LES DRUIDES
TRAGÉDIE

1783

À S. PETERSBOURG.

ACTEURS. §

  • CYNDONAX, grand Druide des Gaules.
  • EMNON, premier Druide des Carnutes.
  • INDUMAR, Roi des Carnutes.
  • ÉMIRÈNE, fille d’Indumar.
  • CLODOMIR, Prince du Sang Royal.
  • AXÉNOÉ, première Druidesse du Temple.
  • LUTHAR, Druide attaché à Emnon.
  • VARSORIX, Druide attaché à Cyndonax, (Personnage muet.)
  • DRUIDES.
  • DRUIDESSES.
  • BARDES.
  • EUBAGES.
  • SATELLITES DU TEMPLE.
  • CHEFS DES GAULOIS.
  • GARDES.
  • PEUPLE, etc.
La Scène est chez les Carnutes dans un bois sacré bordé par la Seine, lequel était le plus célèbre Temple de la Gaule.

ACTE I §

Le théâtre représente une enceinte dans une antique Forêt fort touffue et peu éclairée. Au milieu est un vieux Chêne au pied duquel est un autel sans ornement où l’on voit l’urne sacrée. On découvre quelques tombeaux sur les côtés et dans le fond.

SCÈNE PRÈMIERE. Emirène en habit de Druidesse, mais sans voile et les cheveux flottants, Axénoé et les druidesses. §

AXÉNOÉ.

Ô pur sang de nos Rois, ô fille auguste et chère,
Vous qu’Hésus voit ici d’un regard tutélaire,
Vous qui, déjà remise en ses bras paternels,
Allez vous consacrer au soin de ses autels ;
5 Partagés les transports de ces Vierges fidèles
Qui, fières de vous voir engagée avec elles
Aux lois du même culte, au joug des mêmes voeux,
Par leurs tendres soupirs, hâtaient ce jour heureux.

ÉMIRÈNE.

Hélas !

AXÉNOÉ.

À la faveur de cette auguste fête,
10 Vous savez qu’en secret votre père s’apprête
À surprendre en leur camp ces farouches Romains,
Des Alpes au Caucase oppresseurs des Humains.
Ce jeune Clodomir descendu de nos Maîtres,
Héritier des vertus de ses braves ancêtres,
15 Qui, formé, dès l’enfance, au grand art des combats,
Par tant d’heureux exploits a signalé son bras...

ÉMIRÈNE.

Clodomir !

AXÉNOÉ.

Il arrive et déjà l’on publie
Que ces chefs, ces héros vengeurs de la patrie,
De l’une à l’autre mer, par ses soins appelés,
20 Sont, par divers chemins, dans nos bois rassemblés.
Depuis que, de César défiant la fortune,
Votre père s’immole à la cause commune,
Depuis que tant d’États, qu’il a su protéger,
Se reposent sur lui du soin de les venger,
25 Jamais ce Roi puissant, si près de la victoire,
Aux Gaulois indomptés ne promit tant de gloire ;
Et vous allez vous-même, à ses nobles projets,
Intéresser les Dieux arbitres du succès.

ÉMIRÈNE.

Moi !

AXÉNOÉ.

Ce Druide saint qui, né dans nos contrées,
30 Les a, de ses vertus, si longtemps éclairées,
Cet auguste vieillard qui, par l’humanité,
Fait, aux coeurs attendris, aimer sa piété,
Et depuis quelques mois, par le choix du ciel même,
De la religion tient le sceptre suprême,
35 Le sage Cyndonax est mandé d’Albion.
Il vient, avec le ciel, sceller votre union.
Sur nos rives, sans doute, il est prêt à descendre.

ÉMIRÈNE.

S’il m’apporte la paix que j’ai droit d’en attendre,
Mon coeur impatient vole au-devant de lui.
40 Mais, ô Ciel qui m’entends ! S’il venait aujourd’hui
Sous mes pas égarés creuser un précipice,
Et du ciel qui m’accable et ministre et complice,
À des pleurs éternels livrer mes tristes jours !

AXÉNOÉ.

Que dites-vous !

ÉMIRÈNE.

Hélas ! Pour en troubler le cours,
45 C’est assez des horreurs où je suis appelée.
J’en frémis. Sur ces bords la Gaule est assemblée,
Et c’est par l’homicide et le sang d’un mortel,
Répandu par mes mains, coulant sur cet autel,
Que l’on doit consacrer cette affreuse journée ;
50 Et moi, triste prêtresse, à ce culte enchaînée,
Montrant l’Urne sacrée.
Par cette urne effroyable, organe de la mort,
Je dois, sur la victime interroger le sort.

AXÉNOÉ.

Je sais trop ce que coûte un devoir si terrible ;
Quel trouble il doit porter dans une âme sensible ;
55 Mais la pitié se tait où commande la loi.
Un coeur offert aux Dieux ne doit plus être à soi.
Quand je fus élevée à mon saint ministère,
Je frémis, comme vous, de ce sanglant mystère,
J’osai le condamner et ma tremblante main
60 Se refusa d’abord à ce culte inhumain.
Mais quoi ? L’homme à nos yeux ne meurt que pour renaître ;
Un Dieu même l’attend pour épurer son être ;
Ainsi, lorsque tout tremble à l’aspect de la mort,
Le Gaulois éclairé l’embrasse avec transport.
65 Je me rendis. Que dis-je ? En frappant ma victime,
J’admirai, sans effroi, son dévouement sublime.
Je sentis que mon coeur, vers les Dieux élancé,
Fier d’un destin si beau, n’aurait point balancé,
Le vôtre, en ce grand jour, brûlant du même zèle,
70 Aux lois de nos aïeux sera-t-il infidèle ?

ÉMIRÈNE.

Ah, cette loi de sang, ce mystère abhorré,
Est le moindre tourment qui me soit préparé.

AXÉNOÉ.

Ciel ! Et, dans ce séjour, que craignez vous encore ?

ÉMIRÈNE.

Silence, du tombeau c’est vous seul que j’implore !

AXÉNOÉ.

75 Ah, c’est trop vous confondre. Au nom de vos vertus...
Vous ne voyez ici que ces filles d’Hésus
Dont la tendre amitié partage vos alarmes.

ÉMIRÈNE, bas à Axénoé.

Faut-il leur dévoiler la honte de mes larmes ?

AXÉNOÉ, aux Druidesses.

Laissez-nous un moment... Que vais-je apprendre ? Ô Dieux !

SCÈNE II. ÉMIRÈNE, AXÉNOÉ. §

AXÉNOÉ.

80 Vous semblez consternée à l’aspect de ces lieux !
Eh quoi ? Depuis un an que, dans ce sanctuaire,
Vous attendez du Ciel le sacré caractère,
J’élève votre esprit à ces secrets profonds,
Que notre piété dérobe aux Nations ;
85 Vous apprenez de moi ces sublimes cantiques,
De l’Être Tout-Puissant archives authentiques ;
Et, sur ces grands objets, lorsque vos yeux ouverts,
Ont dû voir le néant de ce vil univers ;
Quand la vérité parle à votre âme éclairée,
90 Vous semblez redouter cette chaîne sacrée,
Ce joug de la vertu qui fait les vrais heureux !

ÉMIRÈNE.

N’est-il donc de vertu que sons ce joug affreux ?
N’est-il de vrai bonheur qu’à porter cette chaîne ?
Bonheur trop acheté ! Vertu trop inhumaine !
95 Tyran de la nature ! Effroi de la raison !
Éteins en moi du moins ce funeste poison
Qui, m’embrasant d’un feu que le Ciel désavoue,
Profane les autels où mon sort me dévoue.

AXÉNOÉ.

Ah, que m’apprenez-vous ?

ÉMIRÈNE.

Voilà le trait vainqueur,
100 Le trait envenimé qui déchire mon coeur,
Le trait que je repousse et qui renaît sans cesse.
Condamnez, s’il le faut, punissez ma faiblesse ;
Elle outrage les Dieux, vous devez les venger.
Frappez, voilà mon sein. Sauvez-moi du danger
105 De leur offrir un coeur qui n’est plus à lui-même.
Sauvez-moi du tourment de trahir ce que j’aime.
Oui, frappez ; mais plaignez l’objet infortuné
Qu’à m’aimer sans espoir le Ciel a condamné.
Ah, si vous connaissiez le charme qui m’attire,
110 L’invincible ascendant dont j’éprouvai l’empire,
Le pouvoir que son coeur avait pris sur le mien !
Allons. Le Ciel est juste, il sera mon soutien ;
Mais faut-il que j’immole à ce devoir barbare
Le Héros le plus grand, la vertu la plus rare ?....
115 Hélas ! Et quel revers l’attendait aujourd’hui !
Quel spectacle funeste est préparé pour lui !
Il revient, et le Ciel lui ravit son amante !

AXÉNOÉ.

Clodomir !

ÉMIRÈNE.

Ô transport ! ô douleur impuissante !
Quel coup pour un coeur tendre ! En apprenant mon sort,
120 Je le sens par moi-même, il va trouver la mort.
Cette horrible pensée épuise ma constance.
Tous deux, près de mon père, élevés dès l’enfance,
Qui m’eût dit, dans ces temps d’innocence et de paix,
Que vous dussiez, grand Dieu, nous séparer jamais !

AXÉNOÉ.

125 Ah ! Fallait-il porter, dans un coeur qu’il réclame,
Jusqu’à ses autels même, une coupable flamme ?

ÉMIRÈNE.

Eh ! Pouvais-je éviter ou prévoir mon malheur ?
En ces temps orageux de trouble et de terreur
Où ce chef des brigands qui dévastent la terre,
130 César remplit ces bords des flammes de la guerre,
Dans un combat fatal, mon père infortuné,
Par ses lâches soldats, se vit abandonné.
Prêt à subir le joug dés Romains en furie,
Mais frappé seulement des maux de sa patrie,
135 « Ô Dieux ! s’écria-t-il, épargnez-moi l’horreur
De voir, en expirant, triompher mon vainqueur.
Sauvez de son courroux les tombeaux de nos pères ;
Je dévouerai ma fille à vos sacrés mystères. »
Ai-je pu démentir un voeu si solennel ?
140 Ce jour même, ce jour, d’un honneur éternel
Couronna les exploits de ton jeune courage,
Cher Prince. Hélas, sans lui, le plus dur esclavage,
La mort la plus sanglante était l’horrible prix
Des efforts de mon père indignement trahis.
145 Lui seul, dans tous les coeurs, sut réveiller la gloire.
On s’arme, on se rallie, on vole à la victoire ;
On dégage mon père et l’ennemi pressé,
Jusqu’aux bords de la Seine, est enfin repoussé.
Des Romains cependant la fureur indomptable
150 Annonçait à la Gaule un joug inévitable,
Et ce torrent fougueux, un moment retenu,
Allait tout entraîner s’il n’était prévenu.
Clodomir fut choisi pour ranimer nos Princes
Endormis trop longtemps au fond de leurs provinces.
155 Il partit. Il vola chez cent peuples divers
Menacés, comme nous, des plus indignes fers.
Je cachais de mes feux le dangereux mystère,
Lorsqu’il fallut remplir le serment de mon père,
Et les voeux qu’en ce jour on attend de ma foi,
160 Quand mon amant paraît, vont m’arracher à moi.

AXÉNOÉ.

On vient. Cachez vos pleurs.

ÉMIRÈNE.

Par pitié, par tendresse,
Vous-même, jurez-moi de cacher ma faiblesse.

AXÉNOÉ.

N’en doutez point.

SCÈNE III. ÉMIRÈNE, AXÉNOÉ, INDUMAR, EMNON. §

ÉMIRÈNE, se jettant dans les bras de son père.

Mon père !

INDUMAR, l’embrassant.

Ah ! Ma fille !
À Emnon.
Ah ! Seigneur !
Introduit, par vous seul, en ce lieu de terreur,
165 C’est à vous que je dois cette douceur extrême
De revoir, d’embrasser un fille que j’aime.

EMNON.

Oui, tout autre, sans doute, en entrant dans ces lieux,
Eut rencontré la mort sous le glaive des Dieux ;
Mais nous devions suspendre une loi trop sévère
170 Pour la gloire d’un Roi, pour la vertu d’un père
Qui va, d’un coeur soumis, en ce jour solennel,
Consacrer, par nos mains, sa fille à l’éternel.

INDUMAR.

Ma fille, c’en est fait, le devoir, la justice,
De tes voeux, de toi même attend le sacrifice.
175 Ton coeur, de passions dès longtemps épuré,
À ces moments heureux doit être préparé ;
Le mien seul en soupire. Une voix gémissante,
A ta vue, en tes bras, y porte l’épouvante.
Tu vas quitter la terre avec moins de regrets.
180 Aux yeux de la vertu le Ciel a plus d’attraits.
Tu sauras, mieux que moi, combattre la nature.

ÉMIRÈNE.

Eh, qui peut étouffer son déchirant murmure ?
Qui peut, maître de soi, sans combats, sans douleur,
Sans quelque effroi caché triompher de son coeur ?
185 Je ne le nierai point, en ces saintes retraites,
J’espérais que, sensible à mes larmes secrètes,
Ce Dieu, quel qu’il puisse être, à qui l’on va m’unir,
Effacerait en moi tout autre souvenir.
Vain espoir qui m’abuse !

INDUMAR.

Ô fille encor si chère !
190 Qu’oses-tu dire ? Hélas, songe au voeu de ton père,
Au bonheur dont les Dieux l’ont déjà couronné,
Au prix que, dans ce jour, ils m’en ont destiné.

ÉMIRÈNE.

Ah, ma vie et ma mort sont en votre puissance ;
Mais à ce coeur trop faible imposez donc silence.
195 Hélas ! En ces bois même, au pied de ces Autels,
Asile inaccessible aux profanes mortels,
En ces bois où l’on dit que, dans la nuit profonde,
L’esprit, source de l’être et principe du monde,
Dévoile, avec horreur, son éclat ténébreux
200 Au Druide tremblant qui lui porte nos voeux,
De mes pleurs, chaque jour, dévorant l’amertume,
J’offre, à ce Dieu puissant, l’effroi qui me consume.
Je crois le voir lui-même, attentif à mes cris ;
Sa présence et sa voix rassurent mes esprits.
205 Dans ces moments d’ivresse, une céleste flamme,
Vers son trône éternel, semble élever mon âme ;
Mais bientôt, rappelée au trouble de mes sens,
Ce calme passager, ces songes ravissants
Se perdent dans l’horreur d’un réveil effroyable.

INDUMAR.

210 Et d’où peut naître en toi ce trouble inconcevable ?
Contemple les mortels, vains jouets de leur coeur,
L’un l’autre se heurtant dans la nuit de l’erreur ;
Sur une mer trompeuse, environnés d’orages,
Et livrés, l’un par l’autre, aux plus cruels naufrages.
215 Ah, crois qu’un Dieu propice, auteur de tes destins,
Te prépare des jours plus purs et plus sereins.

SCÈNE IV. Emirène, Axénoé, Indumar, Emnon, Luthar. §

LUTHAR, à Emnon.

SEIGNEUR, on voit au loin, sur le fleuve tranquille,
Des vaisseaux élancés s’ouvrir un cours facile.
Bientôt le grand Druide arrive sur ce bord ;
220 Et déjà tout le peuple attend, avec transport,
Que, dans ce Sanctuaire, honorant son entrée,
Vous devanciez ses pas à l’enceinte sacrée.

EMNON.

Oui, tel est mon devoir. Par notre auguste loi,
Ce droit, dans nos parvis, n’est réservé qu’à moi.
225 Je vais vous y conduire. Assemblez nos Druides.

SCÈNE V. Emirène, Axénoé, Indumar, Emnon. §

EMNON, à Axénoé.

Vous, courez vous rejoindre à ces Vierges timides,
Qui, l’encens à la main, vont marcher sur nos pas.
Allez.
Axénoé sort.
À Emirène.
Fille des Rois, vous ne les suivrez pas.
Du ministère saint non encore honorée,
230 Attendez le Pontife, et, d’une âme éclairée,
Elevez-vous au Dieu qui va vous adopter.
À Indumar.
Seigneur, à votre amour quoiqu’il puisse en coûter,
Il est tems, pour jamais, de vous séparer d’elle.

INDUMAR.

Ah, ma fille !

ÉMIRÈNE.

Ah, Seigneur !

EMNON.

Votre rang vous appelle
235 A conduire le Peuple et les Chefs des Gaulois.

INDUMAR.

Mon coeur se brise...
À Emirène.
Adieu, pour la dernière fois.
Souviens-toi de ton père, en acquittant mon zèle.

SCÈNE VI. §

ÉMIRÈNE, seule.

Hélas, que deviendrai-je ? O sagesse éternelle,
Qui vois, d’un oeil vengeur, les troubles de mon sein,
240 Tes ordres absolus m’appellent-ils en vain ?
Mais quoi ! tout m’abandonne en cette triste enceinte !
Un Dieu terrible, un Dieu qui regne par la crainte,
Interdit aux humains tout accès jusqu’à moi !
Ah ! qui m’arrachera de ce séjour d’effroi ?

SCÈNE VII. Emirène, Clodomir. §

CLODOMIR, dans l’enfoncement, tout éperdu, sans voir Emirène.

245 Où s’égarent mes pas dans l’horreur des ténèbres ?
Je marche en frémissant sous ces ombres funèbres.

ÉMIRÈNE, sur le devant, sans voir Clodomir.

Qu’entends-je ?

CLODOMIR.

Un sombre effroi soulève encor mes sens.
Hors de lui-même.
Dieu, dérobe à mes yeux ces glaives menaçants.
Cache, ou lance les traits suspendus sur ma tête.

ÉMIRÈNE.

250 Quel mortel sacrilège ?... Ah ! malheureux ! Arrête.
Tu viens chercher la mort.

CLODOMIR.

N’entends-je pas des cris ?

ÉMIRÈNE.

Sors, te dis-je.

CLODOMIR.

Une voix a frappé mes esprits.
Si c’était.... avançons.... !
Apercevant Emirène.
Ah ! Grands Dieux ! Emirène !

ÉMIRÈNE.

Clodomir !

CLODOMIR.

Est-ce vous ?

ÉMIRÈNE.

Je me soutiens à peine.
255 Sortez.

CLODOMIR.

Moi vous quitter ! Ah ! Pour venir à vous,
Des dieux et des mortels j’ai bravé le courroux.

ÉMIRÈNE.

Qu’avez-vous fait, ô Ciel ?

CLODOMIR.

J’ai suivi mon courage.
J’ai saisi le moment qu’on accourt au rivage.
J’ai franchi le rempart d’un peuple épouvanté
260 Qui n’ose me poursuivre en ce lieu redouté.

ÉMIRÈNE.

Ah ! pouvez-vous, des Dieux, soutenir la présence ?

CLODOMIR.

Dans le trouble où je suis, je crains peu leur vengeance.
Ils ont en vain, sur moi, déployé la terreur.
Puis-je rien écouter, en ce moment d’horreur,
265 Que l’affreux sentiment d’une mortelle injure ?
Je vous perds.

ÉMIRÈNE.

Tu sais donc ?...

CLODOMIR.

Il est donc vrai ! Parjure !
Je ne pouvais le croire et mon coeur, malgré moi,
Opposait, à ce bruit qui me glaçait d’effroi,
Vos vertus, vos serments, l’excès de ma tendresse.
270 Dieux ! lorsque, plein d’espoir et tout à mon ivresse,
Après un an d’absence, après de longs travaux,
J’amène à la patrie un peuple héros ;
Quand, par mes soins heureux, digne enfin de vous plaire,
J’allais ouvrir mon âme à votre auguste père,
275 J’apprends qu’un voeu fatal vous destine aux autels !
Je vois un peuple faible et des prêtres cruels,
Fiers de vous voir liée à leur funeste chaîne,
Préparer, à l’envi cette pompe inhumaine !.......
Mais parlez sans contrainte et ne me trompez pas.
280 A ce joug odieux cédez-vous sans combats ?......
De mes voeux, de ma foi rejetez-vous l’hommage ?
Ah ! si je le croyais, dans l’excès de ma rage,
Je percerais ce coeur qui ne peut vous toucher,
Ce coeur que, de vos fers, rien ne peut détacher,
285 Ce coeur que tant de feux dont l’ardeur me dévore,
Même au sein de la mort, animeront encore.
Heureux, en expirant, de tomber à vos pieds ;
D’arracher quelques pleurs à vos yeux effrayés,
D’emporter dans la tombe une trop chère image !

ÉMIRÈNE.

290 Ah ! plutôt !....

CLODOMIR.

Achevez.

ÉMIRÈNE.

Soutenez mon courage,
Grands Dieux... mon coeur tremblant d’un froid mortel saisi...
Que dis-je ? Ah ! malheureux ! qui t’a conduit ici ?
Fuis. Cesse de me rendre, en ce désordre extrême,
Coupable envers le ciel, odieuse à moi-même...
295 Seigneur, ayez pitié de mes justes frayeurs.
Je veux bien, à vos yeux, ne point cacher mes pleurs ;
Mais quittez ce séjour où le Ciel qui m’opprime,
De mes mains, aux autels attend une victime.
Hélas ! à quels transports vous abandonnez-vous ?
300 Si, de leurs droits sacrés, les Ministres jaloux,
Déjà peut-être instruits de votre audace impie,
Demandent qu’en ces lieux votre trépas l’expie !
Si je suis destinée à ce fatal emploi !
Si votre sang... Cruel, je mourrois avant toi.
305 Ah daignez voir le joug où je suis asservie.
Se peut-il qu’un Guerrier, l’espoir de la Patrie,
Lorsque, sous nos drapeaux, cent peuples réunis
Vont surprendre, en leur camp, nos tyrans endormis,
Quand, de ma liberté, le juste sacrifice
310 Doit, à ce grand dessein, rendre le Ciel propice,
Un Guerrier, un Héros qui se doit à l’Etat,
D’un amour criminel fasse un honteux éclat ?
La Gaule vous attend. Volez à sa défense,
Et songez que mon sort n’est plus en ma puissance.
315 Mon père, en triomphant, m’avait promise aux Dieux.
Je n’ai pas dû trahir ces soins religieux,
Ce voeu qui, dans son Camp, ramena la victoire,
Ce voeu qui, pour vous-même, en assura la gloire.

CLODOMIR.

Moi, je n’aurois vaincu que pour votre malheur !
320 Les destins, à ce ptix, me vendroient cet honneur,
Et leur faveur cruelle, à mes armes offerte,
Attacheroit ainsi ma gloire à votre perte !
Car enfin, dans la nuit où vos yeux sont plongés,
Connaissez-vous les lois où vous vous engagez ?
325 Quoi vous qui, des humains, pouviez vivre adorée,
Par un père trop faible aux autels consacrée,
Vous allez prononcer le serment solennel
De faire, avec la terre, un divorce éternel !
Vous ! Et moi, dans les pleurs !... Ô jours de notre enfance !
330 Ces pleurs, sur vous, alors avaient quelque puissance :
Alors vous m’auriez plaint ; alors, dans votre coeur,
Mon sang, prêt à couler, eût porté la terreur...
Je vois qu’à cette gloire il ne faut plus prétendre.
J’obéis. Cependant, si l’amour le plus tendre
335 Donnait un droit... Mais, non. Je me dois oublier,
Et votre bonheur seul m’occupe tout entier.
Qu’allez-vous devenir, si, malgré sa constance,
Votre coeur se repent de son obéissance ?
Voyez quels jours affreux vous seraient préparés ;
340 Quels regrets ! Quels tourments en secret dévorés !
Toujours cacher son coeur ; s’éviter ; se contraindre ;
Pleurer ; se condamner ; tout désirer ; tout craindre ;
Nourrir toujours en soi son plus fier ennemi ;
Ne voir jamais le Ciel d’un regard affermi ;
345 Attendre, avec effroi, la mort que l’on implore,
Et traîner au tombeau la chaîne qu’on abhorre.
Il se jette à ses pieds.
Ah, je suis à vos pieds, arrosés de mes pleurs ;
Princesse, au nom des Dieux, prévenez tant d’horreurs.

ÉMIRÈNE.

Elle le relève.
Lève-toi.... Mais quel bruit ? Ah, tout mon sang se glace !
350 On vient.... où ces forêts attestent ton audace.
Lève-toi. Songe aux lois de ce temple cruel.
Regarde ces tombeaux. Contemple cet autel.
C’est-là, qu’en invoquant un pouvoir inflexible,
Je vais puiser un nom dans cette urne terrible.
355 C’est-là, qu’en frémissant, je vais porter la mort
Au sein du malheureux qu’aura proscrit le sort.
Je ne pourrai suffire à cet effort barbare.
Va. C’est assez des maux que ce jour me prépare,
Sans que, dans ce parvis, surpris et confondus,
360 Nous tombions... Je frissonne et ne me connais plus.
Pars. Adieu...
Elle court toute éperdue jusqu’au fond du théâtre.

CLODOMIR.

Il fait quelque pas pour la suivre.
Non. Cruelle.

SCÈNE VIII. Emirène dans le fond ; Clodomir, Luthar, plusieurs Satellites du Temple armés de haches. §

LUTHAR, arrêtant Clodomir au milieu du Théatre.

Où courez-vous, impie ?
Arrêtez.
Les Satellites l’environnent et le pressent de toutes parts, malgré ses efforts.

CLODOMIR.

Ciel ! Où suis-je ?

ÉMIRÈNE, dans le fond.

Ah, c’est fait de sa vie !

CLODOMIR.

Perfides, osez-vous ?...

LUTHAR, aux Satellites.

Qu’on l’entraîne en ce bois.
Quand il en sera temps, les vengeurs de nos lois,
365 Instruits de l’attentat, ordonneront la peine.

CLODOMIR.

Dieux ! m’abandonnez-vous à leur foule in humaine ?
On l’entraîne.

SCÈNE IX. §

ÉMIRÈNE.

Barbares, arrêtez. Où le conduisez-vous ?...
On l’entraîne !... O destin, lance tes derniers coups...
Ah ! dût-on me punir, je saurai...
Elle fait quelques pas, toute éperdue, pour suivre Clodomir et s’arrête tout-à-coup avec effroi.
Mais où vais-je ?
370 Puis-je, hors du parvis, mettre un pied sacrilège ?
Quel forfait !... Ah, grands Dieux, dans l’horreur de mon sort,
Sauvez-moi de moi-même, ou me donnez la mort.

ACTE II §

SCÈNE PREMIÈRE. Emnon, Luthar, et deux Eubages. §

EMNON.

Des transports d’un vain peuple, en secret, trop flatté,
Cyndonax sur la rive est encore arrêté.
375 Sans doute en nos parvis il daignera se rendre.
Ce qui frappe ce peuple et qui doit vous surprendre,
Sans pompe, sans escorte, il vient dans nos climats.
Un seul Druide, un seul accompagne ses pas.

LUTHAR.

On dit qu’il suit les lois d’une vertu sévère.

EMNON.

380 J’aurais cru que son rang, son nouveau caractère
Demandaient plus d’éclat et plus de majesté.
Sous un dehors si simple on est peu respecté.
Mais quelquefois aussi, par un orgueil extrême,
On fait gloire, en public, de braver l’orgueil même.
385 Quoiqu’il en soit, ce Prince, en ces lieux arrêté,
Ce jeune audacieux est-il en sûreté ?

LUTHAR.

Oui, Seigneur.

EMNON.

Au Conseil que pourra-t-il répondre ?
L’impie, aux yeux du Ciel, est facile à confondre.
Je le plains ; mais nos lois déposent contre lui.
390 D’autres soins cependant m’appellent aujourd’hui.
Au fond de cette enceinte obscure et retirée,
Allez, Eubages saints, portez l’urne sacrée.
Assemblez-y le peuple, et dès que, sous leurs lois,
Les Dieux auront reçu la fille de nos Rois,
395 Que tout soit préparé pour ce divin mystère,
Dont elle doit sceller son premier ministère.
Les Eubages emportent l’urne sacrée.

SCÈNE II. Cyndorax, Varsorix, Emnon, Luthar, Druides, Druidesses. §

CYNDONAX, en entrant.

Qu’on ouvre ces parvis. Arbitre des mortels,
Permets à tous les tiens l’accès de tes autels ;
Des enfants vertueux, dont la gloire t’est chère,
400 Ont tous un droit égal aux bontés de leur père.

EMNON, se prosternant aux pieds de Cyndonax, ainsi que tous les Druides et Druidesses.

Souffrez que les premiers, à vos sacrés genoux,
Seigneur, nous adorions...

CYNDONAX, les relevant.

Hélas, que faites-vous ?
Ministres des autels, ignorez-vous encore
Qu’il est un être au ciel et le seul qu’on adore ?

EMNON.

405 C’est son image, en vous, qui frappe ici nos yeux,
En vous, seul confident des volontés des Cieux...

CYNDONAX.

Moi ! je ne suis qu’un homme, et tout me le rappelle.
Que le faible vulgaire, enivré d’un faux zèle,
Pense qu’à nos regards, dévoilant ses secrets,
410 Le Ciel, par notre bouche, annonce ses décrets ;
C’est à nous de détruire une erreur dangereuse,
Souvent fatale au monde, au Ciel injurieuse,
Que peut-être, en secret, l’orgueil autorisa,
Et dont, plus d’une fois, l’hypocrite abusa.
415 Au respect des humains, si nous osons prétendre,
Sachons le mériter, et non pas le surprendre.

SCÈNE III. Les mêmes. Indumar, Chefs des Gaulois, Gardes. §

INDUMAR.

Pontife auguste et saint, dont l’exemple et la voix,
Du Ciel, aux nations, fait respecter les lois,
Tout reconnaît ici votre pouvoir suprême,
420 Et je viens à vos pieds mettre mon diadème.

CYNDONAX.

A qui déférez-vous ce fastueux honneur ?
Périsse le Pontife, ivre de sa grandeur,
Qui nourrit, sans rougir, sa vanité secrète,
Des voeux dont, sur la terre, il n’est que l’interprète.
425 Ah, loin de voir un Dieu dans un faible mortel,
Grand Roi, Prêtres, Guerriers, sachez que si le Ciel
M’a placé dans un rang dont abusent des traîtres,
C’est pour apprendre au monde à respecter ses maîtres,
C’est pour donner l’exemple au vulgaire indompté,
430 De ce que doit le sage à leur autorité.
À Indumar.
Seigneur, de nos destins heureux dépositaire,
Vous allez attaquer un peuple sanguinaire,
Tyran de l’univers, effroi des nations,
Qui profita longtemps de nos divisions ;
435 Mon devoir, mon partage est de bénir vos armes ;
De présenter au Ciel le tribut de mes larmes,
Et non de balancer le souverain pouvoir
Qui, des Gaulois, en vous, est devenu l’espoir.

INDUMAR.

Je reconnais, Seigneur, à ce noble langage,
440 Que la grandeur du rang est l’épreuve du sage.
Quel exemple offrez-vous aux vulgaires humains,
De leurs droits usurpés si jaloux et si vains !
Et que n’obtiendra point une âme si sublime,
Du sort qui la respecte et du Ciel qui l’anime !
445 Oui, dans le grand dessein qui nous rassemble tous,
Ce que j’attends des Dieux je l’obtiendrai par vous.
Je leur promis ma fille. À mon serment fidèle,
Je leur rends tous les droits qu’ils m’ont donné sur elle.
Ses voeux, reçus par vous, vont dégager ma foi,
450 Et, dès cet instant même, elle n’est plus à moi.

CYNDONAX.

Elle est encore à vous. Tant qu’un aveu sincère
N’a point ratifié le serment de son père,
Vous conservez un droit justement respecté.
Mais craignez d’abuser de votre autorité.
455 Le Dieu qui, par mes mains, recevra son hommage,
Demande une âme pure, et la veut sans partage ;
Vous savez qu’à ses yeux il n’est rien de secret,
Et qu’il refuse un coeur qui se donne à regret.

INDUMAR.

Nourri des sentiments que la vertu fait naître,
460 Son coeur m’est mieux connu qu’il ne peut se connaître.

CYNDONAX.

Ah, c’est cette ignorance où l’on retient un coeur
Qui, dès ses jeunes ans, l’abandonne à l’erreur.
Quand l’âge y vient porter sa tardive lumière,
Il s’étonne, il voudrait rentrer dans la carrière,
465 Pour un autre destin d’autant plus prévenu,
Qu’en y renonçant même, il l’avait moins connu.
À Axénoé.
Madame, en ce parvis conduisez la Princesse.
Axénoé sort.
À Indumar.
Je dois, sur ces dangers, éclairer sa jeunesse.
Vous, Prêtres, Chefs, allez et, soumis à vos Rois,
470 De la terre et du Ciel distinguez mieux les droits,
Et craignez les erreurs qu’un zèle aveugle entraîne.

SCÈNE IV. Cyndorax, Varsorix, Emirène, Axénoé, les Druidesses. §

Le Roi et les Chefs sortent d’un côté ; Emirène et Axénoé entrent de l’autre.

AXÉNOÉ, à Emirène dans le fond en entrant.

Avançons.

ÉMIRÈNE.

Où vas-tu, malheureuse Emirène ?

CYNDONAX, la voyant approcher.

Ciel, si tu l’as choisie, éclaire tous ses pas.

ÉMIRÈNE, à part.

Mes yeux sont presque éteints dans la nuit du trépas.

CYNDONAX, à Axénoé, et aux Druidesses.

475 Laissez-nous.

SCÈNE V. CYNDONAX, ÉMIRÈNE, VARSORIX. §

CYNDONAX.

Cher objet des soins de la nature,
En qui je vois briller une candeur si pure,
D’où vient que mon aspect semble vous étonner,
Et que vos yeux, vers moi, n’osent se détourner ?

ÉMIRÈNE.

Tout impose, Seigneur, à mon âme timide.
480 Des Dieux, en ce séjour, la majesté réside ;
Leur Pontife suprême y vient sceller ma foi ;
Entre le Ciel et vous, puis-je êtte sans effroi ?

CYNDONAX.

Que craignez-vous ? Le juste, au-dessus de la crainte,
Doit-il, comme l’impie, en éprouver l’atteinte ?
485 Cette sainte frayeur, en présence des Cieux,
Vous rend plus précieuse et plus chère à leurs yeux.
Vous avez dû peser, au poids du sanctuaire,
La grandeur des devoirs où vous destine un père.
Vous savez qu’un mortel, dont Dieu même a fait choix
490 Pour annoncer son Être et faire aimer ses lois,
Vit et meurt éloigné de la foule égarée
Qui, toujours de plaisirs et d’erreurs enivrée,
S’agite, avec orgueil, sur les bords du tombeau,
Et de la vérité dédaigne le flambeau ;
495 Mais avez-vous compris quelle vertu sévère
Doit distinguer en nous un si grand caractère ?
S’il n’arrache nos coeurs au joug des passions ;
S’il n’épure nos sens de leurs illusions ;
S’il n’est en nous du Ciel et l’amour et la gloire,
500 Il en devient l’opprobre... Ah, vous devez m’en croire.
Intrépide, ou trop faible à repousser l’erreur,
Un Prêtre est, des humains, l’ornement ou l’horreur.
Grand Dieu, si tu prévois qu’à tes lois infidèle,
Son coeur s’élève un jour et dépose contre elle,
505 Que ta voix, dans ce coeur, ne tonne point en vain !
Que ton bras déployé, comme un rempart d’airain,
Au zèle qui l’égare oppose une barrière !
Ou daigne, é ton Ministre, accorder ta lumière,
Et m’épargner du moins la honte et la douleur
510 D’avoir, en te l’offrant, préparé son malheur !
Ah, vous voyez l’effroi de mon âme attendrie.
Ce jour va décider du sort de votre vie ;
Vous livre, ou vous arrache à des regrets amers,
Et vous ouvre à jamais les Cieux ou les enfers.

ÉMIRÈNE, troublée.

515 Où suis-je ? Que résoudre ?... ô justice suprême !
Ah, Seigneur !

CYNDONAX.

Songez-y. Descendez en vous-même,
A mon coeur paternel daignez vous confier.
Vos sentiments secrets peuvent se déployer.

ÉMIRÈNE.

Hélas, dans les terreurs dont je suis combattue,
520 Par les Dieux accablée, à vos pieds confondue,
Mon coeur est-il à moi ? Sais-je quel sentiment
Le conduit où l’égare en cet affreux moment ?
Dois-je même en avoir contre les lois d’un père ?
Est-ce à moi d’élever une voix téméraire ?

CYNDONAX.

525 Il le faut. Oui, sur vous, sur votre liberté,
Votre père, aujourd’hui n’a qu’un droit limité ;
Oui, de son voeu fatal la Gaule vous dégage,
S’il n’offre à vos regards qu’un funeste esclavage.

ÉMIRÈNE.

Eh bien, si vous lisez en ce coeur déchiré...

SCÈNE IV. Xyndorax, Emirène, Emnon, Varsovix. §

EMNON.

530 On allait commencer le mystères sacrés.
Le peuple, rassemblé dans la première enceinte,
Plein de l’esprit des Dieux, attendait, avec crainte,
Le choix de la victime et l’urne de la mort,
Et chacun, par ses voeux, semblait hâter le sort ;
535 Mais un revers, Seigneur, qu’on ne pouvait attendre,
En ce moment fatal, nous force à le suspendre.
Un profane, un impie, au mépris de nos lois,
A violé tantôt l’asile de nos bois.

ÉMIRÈNE, à part.

Juste Ciel !

EMNON.

Jusqu’à lui son crime est sans exemple.
540 Quelle aveugle fureur l’entraînait dans ce temple ?
Les mortels vertueux, qu’un pur zèle y conduit
N’y viennent qu’en tremblant, dans l’horreur de la nuit,
Chargés de fers, garants de leur obéissance,
Avouant, à nos pieds, leur juste dépendance ;
545 Mais suivre les transports d’un courage indompté !
Rendre le jour témoin de son impiété !...
Nos Gardes l’ont surpris, et, dans le moment même,
Il vient de comparaître au tribunal suprême.
Le croirez-vous, Seigneur ? Quelque fût son dessein,
550 Nulle crainte n’a pu l’arracher de son sein.
Nos prêtres, nos vieillards demandent son supplice ;
Mais, craignant de souiller l’auguste sacrifice,
Qui, dans nos bois sacrés, assemble les Gaulois,
Nous croyons qu’avant tout on doit venger les lois.

ÉMIRÈNE, à part.

555 Ah, malheureuse !

CYNDONAX.

Eh quoi, notre saint Ministère
Doit-il nous inspirer un zèle si sévère ?
Ah, malheur à quiconque, approchant des autels,
Porte un coeur insensible aux erreurs des mortels !

EMNON.

Vous connaissez le Dieu que la Gaule révère.
560 Combien il est jaloux des droits du sanctuaire !
La terreur et la mort, en ce lieu redouté,
Annoncent sa présence à l’homme épouvanté.
Des Dieux des Nations c’est le plus inflexible ;
Et, puisqu’il est si craint, si puissant, si terrible,
565 C’est le vrai Dieu, sans doute.

CYNDONAX.

Ah, Seigneur ! croyez-vous
Que ce Dieu, par qui seul, en qui nous vivons tous,
Ait asservi la terre à ce dur esclavage,
Et voulu, par la crainte, arracher notre hommage ?

EMNON.

Qu’osez-vous dire ? Ô ciel ! Et ne craignez-vous pas
570 Que dévoilant son Être et déployant son bras,
Ce Dieu qui se renferme en ces retraites sombres,
Ce Dieu dont la présence en redouble les ombres,
Ce Dieu, que le plus juste implore avec terreur,
Ne vous accable ici du poids de sa grandeur ?
575 Quoi, par son ordre exprès, la mort la plus cruelle
Punit également le faible ou le rebelle
Qui, sans porter un coeur et des voeux épurés,
Oserait s’introduire en ces parvis sacrés,
Et vous, vous qu’il appelle à servir sa vengeance,
580 D’un tel coupable ici vous prenez la défense !
Et pour mieux l’insulter, vous condamnez la loi !

CYNDONAX.

Quelle loi ! Dieu clément, témoin de mon effroi,
Est-ce ainsi qu’en son coeur, prompt à te méconnaître,
L’homme, par le mensonge, a dégradé ton être !
585 Appelez-vous la loi ces mystères cruels
Où le sang, à grands flots, coule sur vos autels ?
Il n’est pas temps encor de porter la lumière
Sur ce culte, du crime exécrable carrière ;
Mais si Dieu m’appelait, en ses profonds desseins,
590 A le justifier des forfaits des humains,
Si mon coeur, à ses yeux, n’en était pas indigne,
Je saurais mériter cette faveur insigne,
Fallût-il, de mon sang, sceller la vérité.

EMNON.

Seigneur...

CYNDONAX.

Ce malheureux, en vos fers arrête,
595 Peut être, en son forfait, plus faible que coupable,
Quel est-il ?

SCÈNE VII. CYNDONAX, ÉMIRÈNE, EMNON, LUTHAR, VARSORIX. §

LUTHAR, arrivant avec précipitation.

À Emnon.
An, Seigneur ! dans quel trouble effroyable
Le Ciel va-t-il plonger les malheureux Gaulois !
Le Roi, les Chefs, le Peuple, insultant à nos lois,
Menacent d’enlever, jusqu’en ce sanctuaire,
600 D’arracher de nos fers ce jeune téméraire,
Qui, sur leurs autels même, osait braver nos Dieux.

ÉMIRÈNE, à part.

Ciel, éclate !

EMNON.

Et d’où naît ce transport furieux ?
Qui peut !...

LUTHAR.

Ces fiers Romains que nous croyions surprendre,
Dans nos champs, dans nos bois, sont prêts se répandre.
605 On dit qu’ils attendaient, pour s’élancer sur nous,
Que ce parvis sacré nous eût rassemblés tous.
Le peuple s’épouvante. On frémit. On s’agite.
Parmi ces flots émus le Roi se précipite.
Il vient de rassembler ces Princes, ces Héros
610 Qu’on a vus, ce jour même, unis à nos drapeaux ;
Mais il n’attend, dit-il, sa vengeance et sa gloire
Que du Chef qui jadis lui rendit la victoire.

EMNON.

Eh bien ce Chef coupable est proscrit par la loi.

CYNDONAX.

Ô Ciel, peux-tu l’entendre !

ÉMIRÈNE, à Emnon.

Ah, voyez notre effroi,
615 Seigneur. Le Roi, le Peuple, et vous-même peut-être,
Tout est prêt à tomber sous le pouvoir d’un maître.
L’intérêt de la terre, en ce jour odieux,
Se joint, pour vous fléchir, à l’intérêt des cieux.
Car enfin, pensez-vous que le Romain farouche
620 Qu’aucun frein ne retient, que nul respect ne touche,
Épargnera ce temple et ces parvis sacrés,
Où, d’un culte si pur, nos Dieux sont honorés ?
L’horreur de ce séjour, nos mystères terribles
Pourront-ils ébranler ces âmes inflexibles ?
625 Voulez-vous, pour venger le droit de nos autels,
Livrer ces autels même à des bras criminels ?
Je crois déjà les voir enivrés de carnage,
Dans nos bois redoutés se frayer un passage.
Je vois, à leur aspect, les Prêtres éplorés,
630 Dans la flamme et l’horreur, mourants désespérés,
Ces autels renversés, ces tombes écrasées,
Nos oracles muets, nos forêts embrasées
Découvrant, sans nuage, à leurs profanes yeux,
Ce sanctuaire auguste où résident nos Dieux,
635 Ces Dieux abandonnant leur retraite profonde,
N’ayant plus désormais où se cacher au monde,
Et leur culte sublime, à nos pères tracé,
De la terre coupable à jamais effacé,
Ah ! pourriez-vous, Seigneur, à ce tableau funeste,
640 Proscrire, sans frémir, le vengeur qui nous reste ?

EMNON.

Eh ! Ce sont ces horreurs dont nous frémissons tous ;
Ce sont ces dangers même accumulés sur nous ;

CYNDONAX.

Ah, c’en est trop enfin.
Quel que soit son forfait, vous prétendez en vain
645 Qu’au mépris de mes droits, je vous laisse répandre
Un sang....

EMNON.

Tous vos efforts ne sauraient le défendre.
Si sa grace est encore au pouvoir des humains,
Ce n’est....

ÉMIRÈNE, à Emnon, avec impatience.

Eh bien ! Seigneur ?

EMNON à Emirene.

Ce n’est que par vos mains.

ÉMIRÈNE.

Que dites-vous ? faut-il que je me sacrifie ?
650 Dieux puissants, pour ses jours, demandez-vous ma vie ?
À Emnon.
Prononcez, je suis prête à voler à la mort.

CYNDONAX.

Vous, ô Ciel ! vous !

ÉMIRÈNE.

Seigneur, est-ce un si grand effort
Que de donner son sang pour un père qu’on aime,
Pour l’Etat menacé, pour les Dieux, pour vous-même ?
655 Ah ! le Ciel qui m’entend et qui lit dans mon coeur,
Ce Ciel qui m’éprouvait me devait ce bonheur.
D’un trouble dévorant trop longtemPs agitée,
Je dois.... je dois sauver la Gaule épouvantée.
De quoi lui serviraient mes inutiles jours,
660 Et quel honneur plus grand peut terminer leur cours ?
À Emnon.
Hâtez-vous, répondez, à quel prix, à quel titre,
Les Dieux, de ses destins me laissent-ils l’arbitre ?
Parlez.

EMNON.

Une Prêtresse offerte à nos autels,
Quand elle a prononcé ses serments solennels,
665 De la rigueur des lois peut sauver un coupable.

ÉMIRÈNE.

Ce mot a fait mon sort.... ô loi trop favorable !
Ô Patrie ! ô mon Père ! Il faut remplir vos voeux.
Le Ciel s’est déclaré. Je le dois. Je le veux.
Ah ! Qu’il vive à ce prix, je serai trop heureuse.

CYNDONAX.

670 Arrêtez. Ce transport d’une âme généreuse
Vous égare peut-être, et, ce moment passé,
Vous voudrez rétracter un dévouement forcé.

ÉMIRÈNE.

Non, grands Dieux, à vos lois librement asservie,
Emirène à jamais leur consacre sa vie.
Prenant la main de Cyndonax et la posant fur l’autel avec la sienne.
675 Je le jure en vos mains sur cet autel vengeur.
À Emnon.
C’en est fait. À l’État rendez son défenseur.

CYNDONAX.

Ah ! Dois-je recevoir ce serment téméraire ?

EMNON.

Oui. C’est assez qu’aux Dieux il ait pu satisfaire.
Je vais armer le Prince et hâter les combats.
À Luthar.
680 Vous, tandis que les chefs assemblent les soldats,
Rassemblez, près de vous les Bardes, les Eubages.
Que leurs chants belliqueux enflamment les courages.
Vieillards, femmes, enfants, peuple chéri des Cieux,
Que tout marche, avec nous, sous l’étendard des. Dieux.
685 Qu’à ce saint appareil, une terreur soudaine,
L’égarement, la mort frappent l’aigle romaine.
Et nous viendrons après offrir sur nos autels
Le pur sang d’un Gaulois promis aux immortels.
À Emirène.
Vous qui devez ici, par ce grand sacrifice,
690 De vos divins emplois commencer l’exercice,
Obtenez de ces Dieux qu’ils comblent notre espoir,
Et méritez l’honneur de remplir ce devoir.

SCÈNE VIII. Cyndonax, Varsorix. §

CYNDONAX.

Le fanatisme affreux de ce Prêtre barbare,
L’exécrable attentat que la Gaule prépare,
695 L’effroi de la Princesse et ses voeux égarés,
Ses mouvements secrets que j’ai mal pénétrés,
Tout m’afflige et mon coeur que la justice anime
Tremble de partager ou l’erreur ou le crime.
Moi ! Non. Le Ciel m’inspire. Il est temps d’éclater.
700 Non, la Gaule, à ma voix, ne saurait résister.
Dans ce peuple qu’on trompe une lumière sûre,
Même au sein des erreurs, rappelle la nature.
Le Druide farouche en détourne les yeux.
Vous m’entendrez, cruels, contre un culte odieux
705 Dont je ne fus jamais ni fauteur, ni complice,
Du ciel et de la terre attester la justice.
Allons voir cependant ce que, dans son courroux,
L’arbitre des combats ordonnera de nous,
Et revenons soudain confondre l’imposture,
710 Justifier Dieu même, effacer son injure,
Des superstitions déchirer le bandeau,
Éclairer ma patrie ou creuser mon tombeau.

ACTE III §

SCÈNE PREMIÈRE. §

ÉMIRÈNE.

Oui, depuis que le Ciel a reçu mes serments,
Des présages affreux, de noirs pressentiments,
715 Des remords, des terreurs vainement repoussées,
Tout enchaîne mes sens et confond mes pensées.
Je fuis. Je me dérobe à ces filles d’Hésus
Dont les soins innocents, l’amitié, les vertus
Insultent à mon trouble, en offrant à ma vue
720 L’image d’une paix que mon âme a perdue.
Loin d’elles, loin de moi ma douleur me conduit ;
Je cherche un Dieu propice.... et mon coeur me poursuit !
Mon coeur ! que dis-je ? ô ciel ! et quels nuages sombres,
De ces bois ténébreux, ont épaissi les ombres ?
725 Ces autels, ces tombeaux, par de longs tremblements,
Semblent ici répondre à mes gémissements.
Les airs ont retenti d’un funèbre murmure....
Toute éperdue.
Ciel ! que vois-je ?... indigné de mon lâche parjure,
Hésus !... C’est lui... Quels traits va-t-il lancer sur moi ?
Elle marche en désordre sur la scène.
730 Non, grand Dieu, non, ce coeur n’a point trahi sa foi.
Il est encore à vous, quelque horreur qui l’égare,

SCÈNE II. Emirène, Axénoé. §

AXÉNOÉ.

Où fuyez-vous, Princesse ?

ÉMIRÈNE, sans l’apercevoir.

Et quoi qu’il me prépare
Des tourments que je n’ose embrasser sans frémir,
Ils me seront trop doux, j’ai sauvé Clodomir.

AXÉNOÉ.

735 Quoi, de ce souvenir votre âme encor frappée
Dans le sein de Dieu même....

ÉMIRÈNE.

Ah ! ce Dieu m’a trompée.

AXÉNOÉ.

Pourriez-vous démentir ces nobles sentiments
Que, devant le Pontife, ont dicté vos serments,
Quand nous admirons tous la grandeur de votre âme ?

ÉMIRÈNE.

740 Eh ! Connoissais-je allons tout l’excès de ma flamme ?
Proscrit par mes tyrans, sans secours, sans appui,
Il périssait pour moi... je ne vivais qu’en lui ;
Je n’ai vu que lui seul... ô sagesse ! ô justice !
Dieu qui m’avez forcée à ce grand sacrifice,
745 Remplissez donc ce coeur frappé de tant de coupe,
Ce coeur qui désormais doit n’être plus qu’à vous,
Ce coeur dont tous mes voeux vous ont offert l’hommage,
Ce coeur qui vous adore.... et qu’un autre partage !....
Hélas, et plût au Ciel que la foudre en éclats,
750 Aux gouffres des enfers eut entraîné mes pas
Au moment redoutable où les Dieux virent naître
Ce malheureux penchant... qui nous vient d’eux peut-être ;
Au moment où le Prince, en pleurs à mes genoux....
Quel charme, à ce transport, se répandit sur nous !
755 Quel trouble ! quelle ivresse !... oui. Mon âme étonnée
Aux temples éternels se croyait entraînée.
Oui. Mon coeur, dans le sien, semblait anéanti ;
A nos yeux éperdus l’univers englouti
Tous entiers à jamais nous livrait l’un à l’autre.
760 Dieux cruels, ce bonheur eut surpassé le vôtre,
Mais nous n’étions point nés pour un destin si grand.

AXÉNOÉ.

Ah ! songez-vous enfin que le Ciel vous entend,
Que ces lâches regrets ?....

ÉMIRÈNE.

Calmez votre colère.
N’insultez point, cruelle, à ma longue misère.
765 Vous n’avez point aimé. Vous ne concevez pas
Ce tumulte des sens, ces remords, ces combats,
Tous ces élans d’un coeur trop sensible et trop tendre
Renaissants des efforts qu’on fait pour s’en défendre.
Oui. J’appartiens aux Dieux ; j’attends, de leurs bontés,
770 Qu’ils imposent silence à mes sens agités.
Oui. Je suis digne encor de mon saint ministère,
De mon sang, de vos lois, et du ciel qui m’éclaire,
Du ciel que vainement je n’ai point attesté.
Je ne puis, de mes voeux, trahir la sainteté.
775 Je saurai m’élever au-dessus de moi-même.
Je saurai.... cependant que devient ce que j’aime ?
Que devient Clodomir ? Libre, par mes liens,
Hélas ! Il ne fait pas que, pour briser les siens,
Dans ce tombeau sacré, tremblante, consternée,
780 Dévouée à la mort, à la vie enchaînée,
Le flambeau de mes jours, lentement consumé,
N’éclaire plus en moi qu’un fantôme animé
Pour qui le jour et l’être ont perdu tous leurs charmes.

AXÉNOÉ.

Ah, jouissez du moins, en vos sombres alarmes,
785 Du témoignage heureux que vous doit la vertu.
Pour l’état menacé vous avez combattu.
Vous lui rendez un chef, son unique espérance,
Qui va sans doute encore affermir sa puissance.

ÉMIRÈNE.

Cet espoir me ranime... oui, tirans, frémissez,
790 Voyez fuir, devant lui, vos soldats dispersés.
Votre vainqueur s’avance, il vole, il va paroître.
Rentrez dans la poussiere et redoutez un maître.
La fureur me transporte au seul nom des Romanis.
Les cruels ! ils ont fait l’horreur de mes destins ;
795 Ils ont creusé l’abîme où je me vois plongée ;
Ils ont hâté ma mort ;.. mais je serai vengée....
On entend un bruit de guerre.
Je le suis... oui... j’entends... je ne me trompe pas.
Voyez vous tous ces chefs, ces drapeaux, ces soldats ?
Le temple retentit des chants de la victoire.
800 Ah, Prince ! Ah, jour heureux ! Tout m’annonce ta gloire.

SCÈNE III. Emirène, Axénoé, Cyndorax, Varsovix, Indumar, Emnon, Luthar, Druides, Bardes, Eubages, Chefs des Gaulois, Soldats, Gardes. §

Ils entrent au bruit d’un concert de guerre, les enseignes déployées. Quelques-uns portent des aigles brisées, conquises sur les Romains.

CYNDONAX, en entrant.

Gloire au Dieu de bonté qui sauve ses enfants
Des mains de l’oppresseur et du fer des tyrans !
Dieu, qui pèses les cieux et balances la terre,
Précipite aux enfers la discorde et la guerre
805 Et, qu’unis, sons tes lois, par les noeuds de la paix,
Les peuples à l’envi célèbrent tes bienfaits !
Protège les Gaulois. Puisse l’aigle romaine
S’éloigner à jamais des rives de la Seine !
Ou, s’il faut, quelque jour, que ces fiers ennemis
810 Étendent leur pouvoir sur l’Occident soumis,
Que leur règne, agité par d’éternels orages,
Soit un enchaînement de pertes, de naufrages ;
Que, de l’Ourse au Midi, l’univers indigné,
Foulant aux pieds leurs fers et de leur sang baigné,
815 Brise un joug odieux à tout ce qui respire !
Et que, sur leur ruine, il s’élève un empire
Dont le nom, respectable à cent peuples divers,
Par son éclat auguste étonne l’univers !
Que le Seine s’élève à la gloire du Tibre ;
820 Et qu’un Monarque heureux, maître d’un peuple libre,
Régnant sur sujets plus en père qu’en Roi,
Trouve, dans leur amour, le garant de leur foi !
Alors, braves Gaulois, ouvrez-vous la carrière.
Régnez par les talents et, qu’à votre lumière,
825 Les fières nations viennent, de toutes parts,
Puiser, dans votre sein, la sagesse et les arts ;
Et qu’enfin vos vertus, dans les fastes des âges,
Soient l’exemple du monde et le flambeau des sages.

EMNON.

Dieu, que ces justes voeux s’élèvent jusqu’à toi !

INDUMAR, à Emirène.

830 Ma fille, ce triomphe est le prix de ta foi.
Qu’il m’est doux que la Gaule, au sein de la victoire,
Ne doive qu’à mon sang son bonheur et sa gloire !

ÉMIRÈNE.

Ah ! Ce retour du sort, s’il n’a rien de trompeur,
S’il rend heureux mon père, il est cher à mon coeur.
835 Qu’ainsi toujours le ciel me soutienne et vous guide !

CYNDONAX.

D’où vient que ce héros dont la valeur rapide,
Sur nos tyrans surpris, a signalé ses coups,
Se dérobe à sa gloire et n’est point avec nous ?
Quand la Gaule doit tout à son bras tutélaire,
840 Aux voeux d’un peuple entier, voudrait-il se soustraire ?
1
Brennus et Bellovèse et ces Chefs généreux
Célébrés de tous temps dans nos chants belliqueux,
Qui, jusqu’au sein de Rome, ont porté le carnage,
Ont moins fait pour l’Etat que son heureux courage ;
845 Mais il en doit la gloire au Dieu qui l’a conduit.

EMNON.

Seigneur, ce jeune Chef que son crime poursuit,
Vous ne l’ignorez pas, quelque grand qu’il puisse être,
Dans ce temple, avec nous, ne peut plus reparAître
Que désarmé, soumis et dans les fers des Dieux.
850 Tel est l’ordre éternel transmis par nos aïeux.
Son crime est pardonné, mais il faut qu’il l’expie.
Il faut que, par vos mains, le Ciel le purifie.
En sortant du combat on a dû l’enchaîner.

ÉMIRÈNE, à part.

Ciel ! Encore !

EMNON.

Et bientôt on va vous l’amener.

CYNDONAX.

855 J’accepte, avec transport, cet heureux ministère.
Ramener l’homme à Dieu, rendre un fils à son père,
Est le droit le plus cher d’un Ministre de paix.

EMNON.

Et nous, sur qui ce Dieu verse tant de bienfaits,
Gaulois, que tardons-nous d’offrir le sacrifice
860 Que notre piété promit à leur justice ?
Par nos Eubages saints avec ordre appelé,
Dans le premier parvis le Peuple est rassemblé.
J’ai pris soin que, du sort, l’urne y fût apportée
Avant qu’on eût surpris la Gaule épouvantée.
865 Dans un esprit de paix, de crainte et d’union,
Que chacun, sans tumulte, y dépose son nom.
Venez.

CYNDONAX.

Ciel ! Arrêtez. Ô Ciel ! Qu’allez-vous faire ?

EMNON.

Remplir le voeu du peuple et de la Gaule entière.
Souffrez...

CYNDONAX.

Ah, malheureux ! Au nom de l’Éternel,
870 Gardez-vous de remplir un voeu si criminel.

EMNON.

Comment ?

CYNDONAX.

J’ai vu la Gaule à ses erreurs livrée ;
J’en ai frémi. Mon âme, en secret déchirée,
Attendait le moment où ces tristes parvis,
En présence du Ciel, nous verraient réunis.
875 Ce moment est venu. Je proscris ces mystères.

EMNON.

Quoi, la loi des autels ? Le culte de nos pères ?

INDUMAR.

Seigneur, je l’avouerai. Je tremble qu’aujourd’hui
Le peuple, contre vous, ne s’en rende l’appui.
Je n’examine point ce que le Ciel ordonne ;
880 Mais j’ai promis aux Dieux, dont je tiens ma couronne,
Qu’en moi ce culte auguste aurait un protecteur.

CYNDONAX.

Ah, ce n’est point aux Rois à protéger l’erreur.

INDUMAR.

Non. Mais c’est moi surtout que ce peuple contemple.
De la fidélité je dois donner l’exemple.
885 Quand l’urne de nos Dieux aura reçu mon nom,
Vous pourrez prononcer sur la religion.
Il sort.

CYNDONAX.

Non, Seigneur, je vous suis, Ce peuple qu’on égare
M’entendra réclamer contre une loi barbare ;
Et, dût ce jour horrible éclairer mon trépas,
890 Le fanatisme ici ne l’emportera pas.

SCÈNE IV. Cyndorax, Varsorux, Clodomir. §

Tandis que le Roi, les Prêtres, les Chefs et les Soldats sortent par le fond du Théâtre, Emirène sort par un côté, consternée et levant les mains au ciel, et Clodomir entre par l’autre. Il est enchaîné et conduit par deux Druides qui portent ses armes et les déposent sur l’autel.

CLODOMIR, en entrant.

Ô Dieux qui vous jouez de ma fureur extrême,
Me rendrez-vous ici le seul objet que j’aime,
Pour qui seul je m’abaisse à la honte des fers ?

CYNDONAX.

Ô vous, par qui la Gaule, après tant de revers,
895 Voit, en ce jour heureux, sa gloire rétablie,
Venez. Qu’avec le Ciel je vous réconcilie.
Esprit de la nature, arbitre des humains,
Qui mettez votre force en ses vaillantes mains,
Le vainqueur de César ne doit point vous déplaire ;
900 Et, s’il a mérité votre juste colère,
Son sang, versé pour nous, efface son erreur :
Daignez ne voir en lui que notre défenseur.
Que toujours la vertu le soutienne et l’anime !
Brisez, au haut des Cieux, la chaîne de son crime,
Il lui ôte ses fers.
905 Comme je romps ces fers qu’il a pris aujourd’hui
Pour avouer vos droits sur le monde et sur lui.
Il lui rend ses armes.
Reprenez de mes mains ces armes, cette épée
Dans le sang ennemi si justement trempée.
Défendez la Patrie et soyez, en tout temps,
910 L’espérance du faible et l’effroi des tyrans.
Aux Druides qui l’ont amené.
Vous voyez que le Ciel a daigné me conduire
Pour épurer le culte et non pour le détruire.
Retournez, et du moins attestez aux Gaulois
Qu’en abhorrant l’erreur, je respecte les lois.

SCÈNE V. CYNDONAX, CLODOMIR. §

CLODOMIR.

915 Ô mon père !

CYNDONAX, l’embrassant.

Mon fils ! dirai-je aussi mon frère,
Puisqu’en Dieu l’univers adore un même père ?
Je vous vois libre enfin des lois de ces cruels
Qui font, d’un Dieu si bon, l’ennemi des mortels !
Puissent vos jours sauvés ne point coûter de larmes
920 A des coeurs innocents troublés par tant d’alarmes !
Mais quelle sombre erreur précipitait vos pas ?
Veniez-vous, en ces lieux, affronter le trépas ?
Quel dessein vous guidait en cette triste enceinte ?

CLODOMIR.

Tous les transports divers, l’égarement, la crainte,
925 Le chagrin dévorant, le désespoir, l’horreur,
Tout ce qui peut abattre ou déchirer un coeur,
L’amour sur-tout, l’amour, ce tyran de mon être,
Qui, dans mes sens surpris, règne et commande en maître.

CYNDONAX.

Quoi, l’amour ?...

CLODOMIR.

Oui, je brûle. Oui, ce coeur égaré,
930 Aux fureurs de l’amour est à jamais livré.
Je ne vis que par lui. C’est ce feu qui m’anime,
Ce délire effréné qui seul a fait mon crime,
Et va trancher le cours de mes jours malheureux,
Si, pour mieux m’accabler, vous condamnez mes voeux.

CYNDONAX.

935 Moi ?

CLODOMIR.

Vous, Seigneur. L’objet de cette ardente flamme,
Cet objet adoré, le seul Dieu de mon âme,
Qui du sort, avec moi, partage le courroux...

CYNDONAX.

Eh bien ?

CLODOMIR.

Il ne dépend que des Dieux et de vous.

CYNDONAX.

Des Dieux, Seigneur ?

CLODOMIR.

Eh quoi, ma fureur sacrilège,
940 L’orage de mes sens, le trouble qui m’assiège,
Mon entrée en ces bois, malgré les Dieux vengeurs,
Mes combats, mes remords, et ma rage et mes pleurs,
Et la mort que j’implore, et dont l’horreur me presse,
Tout ne vous dit-il pas que c’est cette Princesse.
945 Que vous allez soumettre à de funestes voeux ?

CYNDONAX.

Ciel !

CLODOMIR.

Nous touchions à peine à l’âge dangereux
Où, de feux inconnus, une âme pénétrée,
S’ouvre aux premiers désirs dont elle est enivrée ;
Quand le plus tendre amour, pour nous tyranniser,
950 Forma ces noeuds puissants que vous allez briser.

CYNDONAX.

Ah, que m’avez-vous dit ? Et quels nouveaux orages ?...
Juste Ciel, démentez ces horribles présages !
Cher Prince ! Ah, c’est ici qu’enchaînant votre coeur,
Il faut, de vos vertus, déployer la grandeur.
955 Étouffez pour jamais une vaine espérance.

CLODOMIR.

Ah qu’entends-je ? Emirène ?...

CYNDONAX.

Imiz sa constance.

CLODOMIR.

Quoi, ses voeux ?..

CYNDONAX.

J’en frémis, mais...

CLODOMIR.

Ils sont prononcés !

CYNDONAX.

Je n’ai pu prévenir.... ses frayeurs....

CLODOMIR, avec une fureur sombre.

C’est assez.

CYNDONAX.

C’est à son dévouement que vous devez la vie.

CLODOMIR.

960 Ah, qu’à ses pieds plutôt ne m’est-elle ravie !
Mais, comment ?

CYNDONAX.

Oui, mon fils. Le céleste courroux,
A sa voix, aujourd’hui, s’est détourné de vous.
C’est le droit qu’une loi, de tout tems révérée,
Accorde à la Prêtresse aux autels consacrée.
965 Avec quelle grandeur, remplissant cette loi !...

CLODOMIR.

Quoi, son coeur vertueux s’est immolé pour moi !
C’est moi, c’est mon forfait qui forme ici sa chaîne !
Il n’est donc point de terme à l’horreur qui m’entraîne !
Et je respire encore !... Ah rendez-moi mes fers.
970 Que l’enfer m’engloutisse en ses gouffres ouverts !
Plongez ce fer sacré dans le sein d’un coupable.
Égalez mon supplice au tourment qui m’accable.

CYNDONAX.

Ah malheureux !

CLODOMIR.

Barbare ! à la honte des Dieux,
Avez-vous pu lier à ce joug odieux
975 Un coeur jeune et facile enchaîné par la crainte ?
Ciel, reçois-tu des voeux dictés par la contrainte,
Et mettrois-tu ta gloire à jouir de nos pleurs ?
Cette horrible injustice épuise mes douleurs.
Toi, qui m’as trop aimé, que je perds et j’adore,
980 Si tu meurs à la terre, y puis-je vivre encore ?
Seul !... Ah j’y traînerais un trop affreux destin.
Mourons.
Il tire son poignard et fait effort pour se frapper ; malgré Cyndonax qui le retient.

CYNDONAX.

Ciel ! arrêtez.

CLODOMIR.

Non, cruel,

CYNDONAX, lui arrachant le poignard.

C’est en vain,
Respectez les autels et ce lieu redoutable,
Profane et, dans mes mains, laissez ce fer coupable,

CLODOMIR.

985 Après avoir comblé les horreurs de mon sort,
Votre fausse pitié m’ose envier la mort !
Eh bien, vous répondrez des excès de ma rage.
Vengeance, désespoir, ranimez mon courage...
Ah je les sens renaître et, pour vous défier,
990 Mon coeur, à leurs transports, se livre tout entier.
Il sort.

SCÈNE VI. Cyndonax, Varorix. §

CYNDONAX.

QUE de troubles, grand Dieu ! Dieu juste que j’implore !
Des troubles plus pressants me rappellent encore.
Une Princesse en pleurs dont on surprend les voeux ;
Un amant éperdu qui réclame contre eux ;
995 Des Prêtres, s’appuyant sur d’affreux privilèges ;
Un peuple à détromper de leurs lois sacrilèges ;
L’erreur, le fanatisme... allons, le Roi m’attend.
Courons où le danger, où le crime est plus grand.

ACTE IV §

SCÈNE PREMIÈRE. EMNON, LUTHAR. §

EMNON.

Par quel avis du Ciel, abusant de ses droits,
1000 Cyndonax ose-t-il attenter à nos lois ?
Un Pontife ! Ah grands Dieux ! si la Gaule plus juste
Daigne m’offrir un jour ce rang, ce titre auguste
Qui, dans le dernier choix, peut-être m’était dû,
Votre culte immortel sera mieux défendu.
1005 Prévenant son indigne et lâche résistance
J’avais su profiter de son heureuse absence ;
Tandis que Clodomir l’arrêtait en ces lieux,
J’ai reçu tous les noms dans l’urne de nos Dieux ;
Mais je n’en crains pas moins l’audace ou la faiblesse.
1010 Tout nous trahit, le Roi, Clodomir, la Princesse,
Le peuple...

LUTHAR.

Quoi le peuple ?

EMNON.

Incertain dans sa foi,
Il s’étonne, il balance entre un parjure et moi.
À peine ai-je calmé, dans ces âmes vulgaires,
L’effroi toujours pressant qu’inspirent nos mystères.
1015 Qui les ose juger est prêt à les haïr ;
Et si ce fier Pontife, ardent à nous trahir,
Leur fait entendre encor sa voix séditieuse,
Maître, n’en doutez point, d’une foule orageuse,
Régnant sur les esprits, il pourra tout tenter.
1020 Cependant un Roi faible ose le consulter.
Emirène soupire et, dévorant ses larmes,
S’abandonne en secret aux plus sombres alarmes.
Clodomir, jeune, ardent, aigri par ses revers,
Semble toujours frémir d’avoir porté nos fers ;
1025 Des Dieux et des mortels défiant la puissance,
De cet affront peut-être il cherche la vengeance.

LUTHAR.

Oserait-il ?...

EMNON.

J’ai lu dans son coeur ulcérée.
D’un long ressentiment je l’ai vu pénétré.
Loin de nous, sur les bords de la forêt sacrée,
1030 Aux Romains fugitifs vous en fermiez l’entrée,
Lorsque, vers cette enceinte, il s’avance à grands pas.
Je l’entends appeler ses plus braves soldats.
Ils déposaient leurs noms dans l’urne de nos pètes.
Je l’invite lui-même à se joindre à ses frères.
1035 Ses yeux lancent sur moi des regards menaçants.
Une douleur profonde étouffe ses accents.
Il frissonne, et bien-tôt sa main désespérée
Trace et jette son nom dans notre urne sacrée.
Dieux, qui me poursuivez, puisse-t-il en sortir
1040 Pour éteindre ma rage ou bien pour la punir !
Dit il, et toujours plein d’un trouble épouvantable,
Toujours plus dévoré de l’horreur qui l’accable,
Il vole à ses guerriers, rassemblés à sa voix,
Et, fuyant avec eux, s’élance au fond des bois.
1045 Quel complot, quel forfait peut méditer sa rage ?
Quelle fureur tantôt égarait son courage,
Quand vous l’avez surpris en ces augustes lieux ?

LUTHAR.

Seigneur, le même trouble éclatait dans ses yeux ;
Au même désespoir son âme était livrée,
1050 Et j’ai cru voir, de loin, la Princesse éplorée,
Frémissant du revers qui l’avait confondu.

EMNON.

Ah que me dites-vous ! notre culte est perdu,
Nos mystères détruits, si l’enfer en furie,
Contre eux, des passions, arme la rage impie.
1055 Dieux, sauvez vos autels ! Dieux, soutenez ma voix
Contre ces coeurs ingrats déserteurs de vos lois !
Hâtez nos Prêtres saints, qu’on vienne, qu’on se presse.
Avec eux, à l’instant, amenez la Princesse.
Ce n’est que de mes mains qu’elle doit recevoir
1060 Le voile et le bandeau garants de son devoir.
Déchu du rang sacré qu’il aurait dû défendre,
Cyndonax, parmi nous, n’a plus rien à prétendre.
Courez, dis-je.

SCÈNE II. §

EMNON.

Sans doute, enflammé de courroux,
Il viendra réclamer contre le Ciel et nous ;
1065 Prévenons les éclats de sa raison troublée.
Qu’il trouve, en arrivant, la victime immolée.

SCÈNE III. Emnon, Emorène, Axénoé, Luthar, Druides, Druidesses. §

Les Druides entrent avec ordre, immédiatement suivis de Luthar portant l’urne sacrée qu’il va déposer sur l’autel, tandis qu’ils se rangent sur les deux côtés. Les Druidesses arrivent aussitôt dans le même ordre, et se placent devant les Druides. Leur marche est terminée par Emirène, ayant à ses côtés deux jeunes Druidesses, dont l’une porte le voile, et l’autre le bandeau qui lui sont destinés, ( Ce bandeau est une couronne de chêne) : derrière la Princesse est Axénoé. Toutes les quatre s’avancent jusqu’auprès de l’autel où elles restent.

EMNON, aux Druides.

Ô vous, de nos autels, défenseurs respectés,
Vous qui seuls présidés à nos solennités,
Avancez. Prenez place et, d’un regard propice,
1070 Honorez, avec moi, ce juste sacrifice.
Tout entiers à nos Dieux, libres de soins mortels,
Élevons nos esprits aux trônes éternels.

ÉMIRÈNE, à part.

A quelle horreur encor puis-je être réservée ?
Ô mort, de tes poisons, suis-je assez abreuvée ?

EMNON, prenant le voile et le bandeau des mains des Druidesses, et les plaçant sur la tête d’Emirène.

1075 Recevez, de mes mains, ce voile révéré.
Baissez un front soumis sous ce bandeau sacré.

ÉMIRÈNE.

Hélas ! C’en est donc fait, et ce voile funeste
D’un faible jour encor me dérobe le reste.
Je meurs et, par vos lois qu’à peine je comprends,
1080 Retranchée à jamais du séjour des vivants,
Je ne recevrai point, à mon heure dernière,
Dans mon sein palpitant, les larmes de mon père,
Se tournant vers Axénoé.
Les larmes de l’amour... où m’égarai-je encor ?
Où mes voeux vont ils prendre un si coupable essor ?

AXÉNOÉ.

1085 Hésus, descends toi-même en cette âme éperdue !

EMNON.

Dieu, si, de ces parvis, tu remplis l’étendue,
Reçois à tes autels, tes fidèles Gaulois.
À Emirène.
Venez. C’est en vos mains qu’il a remisses droits.
Digne fille du Ciel, que votre âme réponde
1090 À ce qu’attend de vous sa justice profonde.
Les noms de ses enfants, soumis aux lois du sort,
Sont ici, sous vos yeux, dans l’urne de la mort.

ÉMIRÈNE.

Tous !

EMNON.

Oui, le Roi lui-même en a donné l’exemple,
Et tout son peuple encore environne ce temple,
1095 Attendant que le Ciel dévoile ses décrets.

ÉMIRÈNE.

Tout est donc, en ce jour, complice des forfaits !
Quoi, même un père tendre, appui de sa famille,
Un fils, son espérance, une mère, une fille,
Une épouse... un amant peut tomber sous mes coups !

EMNON.

1100 Le sort n’en frappe qu’un, mais les embrasse tous.
En est-il qui n’aspire au bonheur qui l’appelle ?

ÉMIRÈNE.

Mon sang se glace encore. Ô sagesse éternelle,
Cet homicide affreux peut-il vous honorer ?
Et par quelle fureur osons-nous consacrer
1105 Ces pieux attentats érigés en mystères,
Et jouir, sans remords, du meurtre de nos frères ?

EMNON.

Et qu’est-ce, aux yeux d’Hésus, que le sang des humains ?
Dans l’éternel espace, atomes incertains,
Nous sommes trop heureux que sa voix le demande,
1110 Que sa bonté facile en reçoive l’offrande,
Qu’il daigne la payer de l’immortalité.

ÉMIRÈNE.

Est-ce ainsi que d’un Dieu vous peignez la bonté ?
Puis-je, à ces traits affreux, la distinguer ?

EMNON.

Parjure !
Osez-vous opposer ce coupable murmure
1115 Au décret éternel qui nous fut révélé,
Et doutez-vous encor quand le Ciel a parlé ?
Malheur à l’homme faible, en sa vaine sagesse,
Qui, suivant de ses sens la dangereuse ivresse,
Blasphème un Dieu profond qu’il ne peut pénétrer.
1120 Dieu terrible, à son coeur puisses tu le livrer !
Élève, autour de lui, des remparts de ténèbres !
Qu’il marche environné de nuages funèbres !
Que l’effroi, que la mort, que son spectre odieux,
De leurs flambeaux cruels épouvantent ses yeux !
1125 Et qu’enfin, sous ses pas, ouvrant le sombre abîme,
Ta foudre dévorante y poursuive son crime !
Voilà, n’en doutez point, le châtiment vengeur
Qu’il prépare à l’impie en sa juste fureur.
Voilà l’affreux destin réservé pour vous-même,
1130 Si...

ÉMIRÈNE.

N’attendez-vous pas le Pontife suprême ?
Je ne sais, mais, peut-être...

EMNON.

Ah, c’est trop balancer.
Par le Dieu que je sers, j’ai droit de vous forcer.
Remplissez vos serments. Tremblez sous sa puissance.
Obéissez.

ÉMIRÈNE.

O Dieu, tu vois la violence
1135 Que leur zèle farouche est prêt à m’opposer,
Grand Dieu, tu m’es témoin qu’il ne peut m’imposer.
Vous m’y forcez, je cède, et cette barbarie
Rompra bientôt le noeud qui m’enchaîne à la vie.
Cet espoir rend la force à mon coeur frémissant.
Aux Druides.
1140 Puisse tomber sur vous le sang de l’innocent !
Elle tire un billet, le regarde, le rejette dans l’urne et tombe dans les bras d’Axénoé, en s’écriant :
Qu’ai-je lu ? Ciel ! ô Ciel !

SCÈNE IV. Les mêmes. CYNDONAX, VARSORIX. §

CYNDONAX, arrivant avec précipitation.

Qu’allez-vous entreprendre ?
Malheureux, est-ce ainsi que vous osiez m’attendre ?
Grand Dieu ! Le fanatisme, en ce jour détesté,
A-t-il, dans tous les coeurs, éteint l’humanité ?
1145 Qu’avez-vous fait, Princesse ? Et quel aveugle zèle
A pu surprendre encore ?...

ÉMIRÈNE, se relevant un peu.

Ah quelle voix m’appelle ?...
C’est-vous, Seigneur ! eh bien, le crime est commencé,
Et ma main...

CYNDONAX.

Juste Ciel !

ÉMIRÈNE, se jetant dans ses bras, avec abandon.

Je n’ai point prononcé.

CYNDONAX.

Ah ne prononcez pas quelque effroi qui vous presse.

ÉMIRÈNE.

1150 Ah je n’avais d’espoir que dans votre sagesse.

EMNON, à Emirène.

Vous vous flattez en vain de nous cacher le sort.
Il faut parler, Madame, ou marcher à la mort.
Telle est la loi d’Hésus.

ÉMIRÈNE, à Emnon.

Eh bien, me voilà prête.
Arrache-moi, barbare, à l’horrible tempête
1155 Où ton zèle effréné m’entraîna trop longtemps.
Aux Druides.
Et vous, de ses fureurs, les Ministres sanglants,
Artisans éternels de discorde et de haine,
Farouches imposteurs, dont j’ai porté la chaîne,
Sachez que je réclame, à la face des Cieux.
1160 Contre vos attentats, et vos lois et vos Dieux.
Être éternel, qui seul as droit à notre hommage,
Reçois le désaveu d’un culte qui t’outrage,
Dont on te rend complice et dont l’atrocité,
Au nom de son Auteur, détruit l’humanité.

CYNDONAX, à Emirène.

1165 Ah ! Ce Dieu vous inspire.

EMNON.

Ô fureur ! Ô blasphème !
La Prêtresse d’Hésus s’arme contre Hésus même !
À Erimène.
Vous trahissez les Dieux que vous avez servis,
Perfide !
À Cyndonax.
C’est ainsi, qu’infectant les esprits...

CYNDONAX.

C’est ainsi, tôt ou tard, que le ciel les éclaire.

EMNON.

1170 Pontife dégradé, redoutez sa colère.

CYNDONAX.

Qu’elle éclate sur moi si, par ma lâcheté,
J’autorise jamais ce culte détesté.
Non. Ne l’espérez pas.
À Erimène.
Vous, bravez leur vengeance.
Gardez surtout de rompre un si juste silence.
1175 Et croyez, si le ciel prévient les attentats,
Que ce mystère affreux ne s’accomplira pas.
Aux Druides.
Barbares, votre roi prétend qu’à l’heure même,
De la religion la tribunal suprême
S’assemble en ce parvis où, plein d’un juste effroi,
1180 Il veut qu’on juge enfin cette exécrable loi.
Si la vérité règne en ce Conseil auguste,
J’irai... j’attesterai, ce Dieu clément et juste,
Et son nom que lui-même en nos coeurs a tracé,
Et que vos lois de sang en ont presque effacé.
À Emnon.
1185 Vous, si, contre sa voix, vous osez le défendre...

EMNON.

Si je les défendrai ! Dieu, qui daignez m’entendre
Tonne, ouvra, sous mes pas, les gouffres éternels
Si je trahis jamais les droits de tes autels.

CYNDONAX.

Tremblez plutôt, tremblez qu’il ne se justifie.

EMNON.

1190 Aux coups de sacrilège il peut livrer ma vie ;
Mais mon dernier soupir attestera ma foi.

CYNDONAX.

Qu’il soit donc seul arbitre entre l’erreur et moi.
Marchons.

EMNON, à Emirène.

Vous, soyez prête à nommer le victime.

SCÈNE V. Emirène, Axénoé, les Druidesses. §

ÉMIRÈNE.

Ô monstre !... Mais où suis-je ? Ô désespoir ! Ô crime !
1195 Et j’ai servi ces dieux !... Soutenez-moi. Je meurs.

AXÉNOÉ.

Ah mon coeur tout entier partage vos douleurs.
Mais je crains ce conseil ; et sa rigueur extrême...

ÉMIRÈNE.

Non, dût leur cruauté retomber sur moi-même ;
Dussent-ils à l’envi, par un barbare accord,
1200 Enfoncer, dans mon coeur, tous les traits de la mort,
Dût à jamais ce coeur, trop éprouvé peut-être,
Dans l’horreur des tourments, expirer et renaître ;
Les fureurs des mortels ni le courroux des Dieux
Ne m’arracheraient pas ce secret odieux.
1205 Le malheur à son comble élève le courage.
C’en est fait.

AXÉNOÉ.

Ah Princesse, en ce nouvel orage,
Vous vous tairez en vain ; j’ai vu couler vos pleurs.
Je vois trop que l’objet de des rives terreurs,
Condamné par le sort... est...

ÉMIRÈNE.

Arrêtez, cruelle.
1210 Respectez ma misère et ma douleur mortelle.
Ou plongez-moi vous-même un poignard dans le sein.

AXÉNOÉ.

Qu’osez-vous dir ? Hélas !

ÉMIRÈNE, dans le dernier désespoir, aux Druidesses.

Laissez-moi mon destin.
Sortez. Votre présence irrite mon supplice.
De l’horreur de mon sort tout me semble complice.
1215 Je crois voir l’univers s’élever contre moi,
Et mon coeur déchiré n’est ouvert qu’à l’effroi.
Axénoé fait signe aux Druidesses de sortir, et elles sortent.

SCÈNE VI. Emirène, Axénoé, Clodomir, troupe de soldats l’épée à la min. §

CLODOMIR, en entrant.

La voici.

ÉMIRÈNE.

Dieux !

CLODOMIR, à une partie de ses soldats.

Gardez ce passage,
Amis.

ÉMIRÈNE.

Quel crime, et quel nouvel ouvrage ?...

CLODOMIR, à l’autre partie de ses soldats.

Veillez, de toutes parts, sur ces affreux parvis
1220 Livrez, par l’imposture, à des Dieux ennemis.

ÉMIRÈNE.

Ah le froid de la mort se répand dans mes veines.
À Clodomir.
Malheureux, où viens-tu ?

CLODOMIR.

Je viens briser tes chaînes.
Suis-moi.

ÉMIRÈNE.

Vous oseriez ?...

CLODOMIR.

Viens.

ÉMIRÈNE.

Quel emportement !
En quel lieu ! Je frisonne. En quel affreux moment !
1225 Barbare, es-tu donc né pour l’horreur de ma vie ?

CLODOMIR.

Du dernier désespoir la mienne est poursuivie.
Tu m’a livré, cruelle, aux tourments des enfers.
Tes voeux...

ÉMIRÈNE.

Tu sais donc tout ?

CLODOMIR.

Oui, mes sens sont ouverts
Aux longs déchirements, aux transports de la rage.
1230 Ah devais-tu jamais ?... Par quel triste courage,
T’enchaînant à ce temple, habité par la mort,
T’immolais-tu même aux rigueurs de mon sort ?
Ah, j’ai lu dans ton coeur. Cet affreux sacrifice,
L’amour te l’arrachait... Et j’en serais complice !
1235 Non, Ne t’en flatte pas. Non C’est trop m’outrager.
Marchons.

ÉMIRÈNE.

Contre mes voeurs ?

CLODOMIR.

Ils n’ont pu t’engager.

ÉMIRÈNE.

L’autel les a reçus.

CLODOMIR.

Le Ciel les désavoue.

ÉMIRÈNE.

Mon père les dicta, mon devoir m’y dévoue.

CLODOMIR.

Ils ont été surpris.

ÉMIRÈNE.

Ils sont sacrés pour moi.
1240 Je suis aux Dieux.

CLODOMIR.

Mon coeur avait reçu ta foi
Avant qu’on t’arrachât cette horrible promesse.

ÉMIRÈNE.

Ah j’en suis plus à plaindre.

CLODOMIR.

Abjure ta faiblesse.
Songe que, de tous temps, un plus sacré lien,
Un noeud plus légitime unit ton coeur au mien ;
1245 Que livrés, l’un par l’autre, à la plus vive flamme,
En deux embrasés, nous ne formons qu’une âme ;
Que mes maux sont les tiens ; que tu ne vis qu’en moi ;
Que je n’ai d’être enfin qu’en toi seule et par toi.

ÉMIRÈNE.

Ah Dieux !

CLODOMIR.

Songe à ces jours où ce feu plein de charmes
1250 Confondait nos désirs, nos chagrins, nos alarmes.
Trône de l’univers, espoir ambitieux,
Vain éclat des grandeurs, qu’étiez vous à nos yeux ?
Pleins dune ivresse ardente au dessus de la vôtre,
Seuls, dans le monde entier, nous l’étions l’un à l’autre.
1255 Nous le sommes encore. Oui, ces tyrans sacrés
Abusaient vainement de de tes voeux égarés ;
Oui, sous un ciel plus doux, un Dieu juste et facile,
Contre leur cruauté, nous offre un asile sûre
Oui, nous y reprendrons, par les mains du bonheur,
1260 Les premiers droits de l’homme usurpés par l’erreur.
C’est la loi, le devoir, la voeu de la nature,
Le serment de ton coeur ; tout autre est un parjure.

ÉMIRÈNE.

Ciel, où fuir ? Où cacher mon trouble et mes combats ?
La terre, avec effroi, semble fuir mes pas...
1265 N’abuse point... impie !... Ah, je suis plus coupable.
Le crime me poursuit et le remords m’accable
Et mes sens, coup sur coup; frappés de tant d’horreur...
Je meurs.
Elle s’appuie contre l’autel.

CLODOMIR.

Reviens. Arrête, idole de mon coeur !
Chère amante !

ÉMIRÈNE.

Cruel ! Jouis de ta victoire.
1270 Jouis de ces combats si honteux à ma gloire,
Qu’au prix de tout mon sang je voudrais expier ;
Mais crains un Dieu vengeur prêt à te foudroyer.
Si tu savais... Oui, tremble. Il vient punir ton crime.
Il vient m’encourager à frapper sa victime.
1275 Toi, sa victime et moi !... Dieu terrible et jaloux,
Puissance épouvantable où me réduisez-vous ?
Va, ce jour n’est, pour nous, qu’une chaîne d’orages.

CLODOMIR.

Oui, la paix n’est, pour toi, que fuir d’autres rivages ;
Qu’avec moi. J’en réponds. Tu le dois ; c’en est fait,
1280 Il faut me suivre.

ÉMIRÈNE.

Eh bien, consomme ton forfait.
Porte aux derniers excès ta criminelle audace.
Elle embrasse l’autel avec transport.
Arrache une prêtresse aux autels qu’elle embrasse.
Ce n’est qu’en l’immolant qu’on peut l’en séparer.
Tyran d’un coeur trop tendre, ose le déchirer.
1285 Punis, de tes fureurs, ta sacrilège amante.
Emporte, après ce coup, ma dépouille sanglante.
Ce n’est qu’en cet état que tu peux m’obtenir.
Grands Dieux, ce n’est qu’ainsi que je peux le punir.

CLODOMIR.

Ô ciel !

ÉMIRÈNE.

Mais, non, Seigneur, je lis mieux dans votre âme.
1290 Je connais, mieux que vous, la vertu qui l’enflamme.
C’est trop vous offenser par un si lâche effroi.
Non, le choix de mon coeur est digne encore de moi.
Je puis, de tes transports, braver la violence.
Seule, en ces bois sacrés, sans secours, sans défense,
1295 Ma faiblesse est ma force et, malgré ta fureur,
Mon appui le plus sûr est encore dans ton coeur.
En vain l’amour frémit dans ton âme égarée ;
Tu sauras respecter la foi que j’ai jurée,
La sainteté du lieu, mon sexe, mon effroi,
1300 Mon effroi renaissant qui n’a d’objet que toi.
Adieu. Ma destinée attachée à ta vie
M’appelle à te sauver... elle sera remplie.
À Axénoé.
Ne craignez rien ; sortons.

SCÈNE VIII. Clodomir, Soldats. §

CLODOMIR.

Je demeure éperdu.
Quel rempart, à ma rage, oppose sa vertu !
1305 Quel charme me retient, et quel pouvoir m’enchaîne !
Tu fuis, et pour jamais ! Ô trop faible Erimène !
Quand l’amour frémissant... Mais que m’a-t-elle dit ?
Ses funèbres adieux ont glacé mon esprit.
Quoi, son destin l’appelle à ma sauver encore !
1310 Ah la mort, en ce jour, ne peut frapper que moi,
Quel est donc ce danger, en ce jour, ne peut frapper que moi,
Et mon coeur éperdu l’obtiendra malgré toi.

ACTE V §

SCÈNE I. §

INDUMAR.

Ô vous qui, dans ce temple, organes de nos Dieux,
Ratifiez les lois de la terre et des cieux,
1315 Pardonnez si ce jour a vu couler mes larmes ;
Je ne puis vous cacher mes secrètes alarmes
À ces apprêts de mort, à ce mystère affreux
Par qui ma fille en pleurs va contacter ses voeux.
Pardonnez. Éclairez ma raison confondue ;
1320 Rendez enfin le calme à mon âme éperdue
Prononcer. Est-il vrai que le Ciel ?...

CYNDONAX.

Non, Seigneur.
Ce ciel trop offensé s’explique en votre coeur.
Proscrivez ces forfaits dont on le rend complice,
Et vendez sa clémence ainsi que sa justice.

EMNON.

1325 Et quel droit avez-vous, Pontife audacieux,
De renverser un culte avoué par les Dieux ?

CYNDONAX.

Le droit de la raison ; ais vous, faibles druides,
Osez-vous consacrer la loi des homicides ?
Juges, législateurs, ministres des autels,
1330 Arbitres respectés de la foi des mortels
Qui croyez la contraindre et devez en répondre,
Plus instruits que le peuple, est-ce à vous de confondre,
Avec les lois du Ciel et de la vérité,
Ce culte, enfant impur de la férocité ?

EMNON.

1335 C’est la vérité même annoncée à nos pères
Qui, par eux, à leurs fils a transmis ces mystères
Que nous devons transmettre à nos derniers neveux.
J’en atteste ce temple et ces bois ténébreux,
Asile de la mort, où, du sein du tonnerre,
1340 Hésus, se dévoilant, épouvantant la terre,
Lorsque, scellant son pacte et pénétré d’effroi,
Pour nos aïeux, pour nous, Druïs reçut sa loi.
« Mon esprit, leur dit-il règne en ce sanctuaire.
Si vous portez jamais un regard téméraire
1345 Sur ces lois, sur ces rites que je vous ai tracés,
Si le sang le plus pur... malheureux, frémissez.
Vomis de mon saint temple et de la terre entière,
Aux pieds de vos tyrans vous mordrez la poussière.
Je verserai sur vous des torrents de fureur.
1350 Vous vivrez dans l’opprobre et, frappés de terreur,
Pénétrés de mes traits, poursuivis par mes flammes,
Vos prêtres, vos vieillards, vos enfants et vos flammes
Chercheront, contre moi, dans la nuit du trépas,
Un asile éternel qu’il ne trouveront pas. »

INDUMAR.

1355 Quoi ce Dieu dont la foudre épouvante les crimes,
Verrait tous les humains comme autant de victimes !
Il n’est, dans vos portraits, qu’un despote jaloux
Toujours ivre de rage et brûlant de courroux,
Qu’il nous faut apaiser par le sang et les larmes ;
1360 Et que sommes-nous donc ? Environnez d’alarmes,
Vils jouets d’un pouvoir qui nous frappe à son gré,
Nous ne levons au Ciel qu’un front mal assuré.

EMNON.

Oui, tremblez. Quel qu’il soit, qui le juge, l’offense.
Dieu puissant, comparée à ta sagesse immense,
1365 Qu’est donc celle de l’homme, objet de sa fierté,
Qu’il prétend opposer à ton autorité,
Qu’une clarté trompeuse, une faible lumière
Qu’on voit, aux traits du jour, s’éclipser toute entière ?

CYNDONAX.

Non, quoique vous disiez, et j’en crois ma raison,
1370 Plus il est tout puissant, plus il doit être bon.
Et comment distinguer sa justice suprême
Que par l’heureux flambeau qu’il nous donna lui-même ?
Ah ! Loin d’en faire encor, dans nos sombres erreurs,
Un tyran sanguinaire, aveugle en ses fureurs ;
1375 Sachons, pour le connaître, écouter la nature.
C’est par elle qu’il parle, et sa voix est plus sûre
Que ses décrets sanglants de farouches mortels,
Consacrés sous le nom de décrets éternels
Qui font l’effroi du faible et que le sage abhorre.
1380 Effaçons de la terre, il en est temps encore,
Ces préjugés cruels de nos tristes aïeux,
L’opprobre des humains et la honte des cieux.
Par un décret auguste et scellé de nos larmes,
De ce séjour de paix bannissons les alarmes.
Tous les druides font un mouvement d’indignation.
Après un court silence.
1385 Vous balancez ! Vos fronts, pâlissants de courroux,
M’annoncent que mes pleurs n’obtiennent rien de vous !
D’un zèle forcené votre âme dévorée,
Du pur sang des humains, et toujours altérée !
Mais non. Je le vois trop, vous ne la croyez pas
1390 Cette religion mère des attentats.
Vous n’abusez, cruels, de l’humaine ignorance
Que pour mieux affermir votre affreuse puissance,
Pour enchaîner le faible en l’enivrant d’erreurs,
Et, sous le nom des Dieux, consacrer vos fureurs.
1395 Mais craignez.

EMNON.

C’en est trop et, puisque votre audace
Ose, à l’insulte encore ajouter la menace,
Traître, apprenez, qu’ici, pontife ainsi que vous,
Je peux, de tant d’affronts, venger les Dieux et nous.

CYNDONAX.

Eh bien, si vous l’osez, tranchez ma triste vie.
1400 Commencez, par mon sang, se sacrifice impie.
Ouvrez à ma douleur l’asile du trépas.
Contre l’humanité comblez vos attentats.
Du nom d’homme du moins remplissant l’étendue,
J’emporterai l’honneur de l’avoir défendue.

EMNON.

1405 Oui, frémissez du sort qui vous est destiné.
Déchu de votre sang lâchement profané,
Jeté dans l’univers, sans amis, sans défense,
Blasphémateur marqué du sceau de la vengeance,
Éloignez-vous, partez et sachez, qu’en ces lieux,
1410 Nous ne connaissons plus l’ennemi de nos Dieux.
À Indumar.
Et vous, malheureux roi, qui, dans ce temple même,
Recevant de nos mains le sacré diadème,
Avez juré, par nous, de venger nos autels,
Oubliez-vous ainsi vos serments solennels ?
1415 Quoi, tous nous abandonne et la fille et le père !
La fille, trahissant son sacré ministère,
À peine unie aux Dieux, ose braver nos lois,
Et de ces Dieux enfin nous dérober le choix.

INDUMAR.

Ma fille !

EMNON.

Oui, vainement à périr condamner,
1420 Dans son silence injuste elle est plus obstinée.
Ni la loi de ses voeux, ni l’effroi de la mort,
Rien ne peut le convaincre à révéler le sort.

INDUMAR.

C’est assez. Ô justice, ô vertu qui m’anime !
Ma fille ! Ah, sur toute autre victime
1425 La paix renaît enfin dans mes sens éperdus.

CYNDONAX.

Ciel ! Comment ?

INDUMAR.

Non, Seigneur, je ne balance plus.
Erimène se tait ! Son silence m’éclaire.
Aux druides.
Oui. La victime, amis, n’est autre que son père.
Qu’on amène ma fille. Allez.
Deux druides sortent.
Rassurez-vous.
1430 Je me rends à vos lois.

CYNDONAX.

Ô destins en courroux !
Dans quel abîme encor un faux zèle nous plonge !
Qui vous ! De votre sang consacrer le mensonge !
Ah, du mien, dans mon coeur, le cours est arrêté.
Vous, sceller les forfaits d’un culte détesté !
1435 Vous Roi, père !

INDUMAR.

Oui, moi-même. Et quel Roi, sur la terre,
Du monde qu’on opprime ayant banni la guerre,
N’envierait pas l’honneur de sceller aux autels
Le bonheur de on peuple et la paix des mortels ?
Les animaux courbés que la terre a vu naître
1440 Marchent, d’un cour égal, vers le terme de l’être ;
La nature, en tout temps, déployant ses ressorts,
S’anime, se dissout, renaît de corps en corps ;
Un flot, en un instant, sur l’océan du monde,
Les jette dans la vie ou dans une nuit profonde
1445 L’homme dont la pensée embrasse l’univers,
Législateur et roi de ses hôtes divers,
Voir, à ses grands destins, la mort même asservie.
En vain ce souffle actif, principe de a vie,
Étincelle échappée aux feux de l’éternel,
1450 Est esclave un instant d’un corps vil et mortel ;
Quand le bras de la mort semble arrêter sa course,
Il va, libre et vainqueur, se rejoindre à sa source.

CYNDONAX.

Quoi, jusqu’à la vertu tout s’arme contre moi !
Ah, c’en est trop, mon coeur n’espère plus qu’en toi,
1455 Humanité, lumière adorable, immortelle,
C’est ici le moment où ta gloire m’appelle ;
Conduis mes pas.
À Varsorix.
Venez fortifiez ma voix.
Au secours de leur maître appelons les Gaulois.
Qu’ils viennent renverser ces autels homicides,
1460 Embraser ces forêts, confondre ces perfides,
Ces tyrans des esprits qui, dans les plus grands coeurs,
Trop souvent, du faux zèle, ont versé les fureurs.

EMNON, voulant les retenir.

Arrêtez.

SCÈNE II. Indumar, Emnos, Luthar, les Druides. §

INDUMAR, à Emnon.

Bannissez cet effroi qui m’outrage.
Rien ne peu, en ce jour, ébranler mon courage.
1465 Non. Je suis Roi, mais homme, et soumis à la loi.
Le ciel voit, d’une même oeil, les sujets et le roi.
Il demande mon sang, il a droit de l’attendre.
Vainement les Gaulois prétendraient me défendre.
Ah ! Si Dieu nous forma, s’il m’appelle aujourd’hui,
1470 Si tout doit s’engloutir, tout doit renaître en lui,
Si la terre est, pour nous, le berceau de la vie,
Qui peut, en la quittant, la voir d’une oeil d’envie,
Et regretter en lâche, à des sens asservi,
Un bien qui, tôt ou tard, nous est aujourd’hui ravi ?
1475 Ce n’est pas moi du moins qu’un noble esprit anime.

SCÈNE III. Les mêmes, Erim_ne conduite par deux druides et suivie d’Axénoé et les druidesses qui se rangent tout autour du théâtre. §

INDUMAR, voyant entrer sa fille.

Ma fille, il n’est plus temps de cacher la victime.
Je sais, j’ai pénétré la volonté des Dieux.

ÉMIRÈNE.

Qui vous ?

INDUMAR.

Et ta frayeur m’en assure encore mieux.
Viens, que du moins ma gloire élève ton courage.
1480 Viens, qu’Hésus, de tous deux, reçoive un peu hommage.

ÉMIRÈNE.

Quel hommage ! Quel crime !

INDUMAR.

Ah, calme un vain effroi.
Je vois trop que le sort n’a condamné que moi.
Si ton père t’est cher, bénis ma destinée
Que, d’un bonheur si grand, le Ciel a couronnée.
1485 Prononce et frappe.

ÉMIRÈNE.

Où suis-je ? En est-ce assez, ô Dieux !

INDUMAR.

Va, déjà l’univers se dérobe à mes yeux.
Mon esprit, élancé loin de mon existence,
S’empresse de se joindre à la première essence
Où tout va se confondre et dont tout est sorti.

ÉMIRÈNE.

1490 Ô mon père !

INDUMAR.

Mon coeur ne s’est pas démenti.
J’ai vécu ; j’ai régné ; j’ai rempli ma carrière ;
Je l’a due, aux Gaulois, consacrer toute entière ;
Victime de mon zèle et digne de mon sort,
Je dois, en ce beau jour, leur consacrer ma mort.
1495 Heureux qui, comme moi, par ce grand sacrifice,
Homme, Roi, Citoyen, remplit toute justice !

ÉMIRÈNE.

Ah !

INDUMAR.

Ranime ta force et, dégageant ta foi,
Ose enfin, sur tes sens, t’élever comme moi.
Songe que, de mes jours, la course est mesurée ;
1500 Que le temps, malgré moi, tranchera leur durée ;
Souviens-toi que ce temps, dont un ordre arrêté
Sépara du tombeau notre être limité,
N’est qu’un instant rapide, un point dans l’étendue,
Un vain éclair qui brille et qui fuit notre vue.
1505 Et je vais précéder, de ce rapide instant,
Le grand jour de ta gloire où, te manifestant,
Dans l’abîme infini de ton être suprême,
Grand Dieu, tout ce qui fut ne sera que toit-même !

ÉMIRÈNE.

Et je n’expire pas ! Ô père infortuné !
1510 Arrachez-moi ce jour que vous m’avez donné.
Ce jour affreux.

INDUMAR.

Hésus, pardonne à sa faiblesse.
Ministres des autels respectez sa tendresse.
Si sa main refuse à ce coup douloureux,
Vous-même, en m’immolant, ratifiez ses voeux.
1515 Épargnez à nos coeurs ce combat effroyable.
Frappez.

ÉMIRÈNE.

Ciel ! Arrêtez... Ah ! Tant d’horreur m’accable,
Ranimons mes esprits pour la dernière fois.
Le sort ne peut ici parler que par ma voix.
Je réclame le droit de mon saint ministère,
1520 La loi de nos autels, la loi du sanctuaire
Qu’avez tant de grandeur mon père ose trahir.
Je n’en peux dire plus. Vous voulez m’en punir,
Frappez ; mais admirez un maître qui vous aime,
Qui veut ici, pour vous, se dévouer lui-même.
1525 Tenez lui compte un jour d’un si sublime effort.
Je peux, à ce seul prix, vous pardonner ma mort.

SCÈNE IV. Les mêmes, Clodomir arrivant avec précipitation. §

CLODOMIR.

Sa mort : C’est à moi seul, c’est à moi qu’elle est dûe.

ÉMIRÈNE.

Que vois-je ? Où reposer mon âme confondue.

EMNON.

Qu’attendez-vous encore, guerrier audacieux ?

CLODOMIR.

1530 Ce que j’attente ! Ô ciel ! Égaré, furieux.
Cherchant à renverser votre affreuse puissance,
J’invoquais à grands cris la mort ou la vengeance ;
D’un profond désespoir la pontife agité,
Appelle tout-à-coup la peuple épouvanté ;
1535 Le foule autour de lui frémit de ses alarmes.
Il me voit, il s’avance et, m’arrosant de larmes,
« Courez, volez au temple, et, d’une horrible loi,
Défendez, me dit-il, la Princesses ou le Roi.
L’un cache du sort la fatale sentence,
1540 L’autre, contre lui-même, explique ce silence.
Je vais armer pour vous, ce peuple généreux. »
Quelle horreur m’a saisi ! Quel trait, quel jour affreux !
Ah !... Roi, Prêtres, Vieillard qu’un même zèle anime,
S’il est vrai qu’à vos Dieux on doive une victime,
1545 Frappez celle du sort qui se livre à vos coups ;
Frappez, dis-je, c’est moi.

ÉMIRÈNE.

Cruel, que dites-vous ?

INDUMAR.

Ah ! Cher Prince !...

CLODOMIR, à Indumar.

Seigneur, apprenez un mystère
Dont le pontife seul était dépositaire.
J’adore votre fille, elle m’aime, et son coeur
1550 Pour me soustraire au sort en embrasse l’horreur.
Cet effort généreux...

ÉMIRÈNE.

Ah ! Garder-vous de croire...

CLODOMIR, à Erimène.

Oui, vous m’aimez. Souffrez que j’ose en faire gloire.
Si vous n’en croyez pas son trouble et son effroi,
Gaulois, qu’elle prononce entre son père et moi.

ÉMIRÈNE.

1555 Malheureux, qu’as-tu fait ?

CLODOMIR.

Ce qu’il fallait attendre
De l’amour le plus pur et du coeur le plus tendre,
Ce que chercha toujours mon désespoir affreux
DEpuis que, par la criante, on eut surpris tes voeux.

ÉMIRÈNE.

Ô terre, engloutis-moi !

INDUMAR.

Puissance que j’adore
1560 Quels traits votre courroux peut-il lancer encore ?
Mes enfants, (car mon coeur, prêt à se déchirer,
En ce moment affreux ne peut vous séparer)
Vous vous aimiez... Seigneur... ma fille... leur visage
Porte du désespoir l’épouvantable image !

CLODOMIR, à Indumar avec force.

1565 Qui moi, plein du bonheur de mourir de sa main !...

INDUMAR, à Emirène.

Non, si le sort l’appelle à cet affreux destin,
Tranche plutôt mes jours. Ton père est trop coupable.
J’abjure encor les lois de ce culte exécrable.

ÉMIRÈNE.

Brabares, c’en est trop, arrachez moi ce coeur
1570 Ivre de désespoir et brisés de douleur.
Mon père, et vous, Seigneur, si vous m’avez aimée,
N’insultez point aux maux où je suis abîmée.
Cruels, que l’un ou l’autre expire dans mes bras,
Dans le nuit du tombeau ne le suivrai-je pas ?
1575 Voulez-vous que, des Dieux, épuisant la colère,
J’assassine, en mourant, mon amant ou on père ?
Elle se jette à genoux entre eux deux.
Ah, je suis à vos pieds ; terminez mes tourments.
N’augmentez point l’horreur des me derniers moments.
Laissez la loi du sort dans un e nuit profonde.
1580 Songez que votre vie est nécessaire au monde.

CLODOMIR.

Non je ne suis ici nécessaire qu’à vous.
Levez-vous, c’est à moi d’embrasser vos genoux.

ÉMIRÈNE.

Où me vois-je réduite ? Ô monstres ! Ô furie !
Aux druides.
Ministres des enfers qui, parce culte impie,
1585 Avez conduit mes pas dans ce piège sanglant,
Eh bien, c’est un des deux, mon père ou mon amant.
Avant de dévorer mon coeur prêt à s’éteindre,
Quel tigre, parmi vous, osera me contraindre
À frapper l’un ou l’autre et, d’un bras assuré
1590 Enfoncer un poignard dans un sein si sacré ?

INDUMAR, prêt à tirer son poignard.

Ah ! C’en est trop, ou frappe, ou...

ÉMIRÈNE, le retenant.

Je n’y puis suffire.

CLODOMIR, tirant son poignard.

Parlez, ou je m’immole.

ÉMIRÈNE.

Arrêtez ou j’expire.

INDUMAR, prêt à se frapper.

Dieux, recevez mon sang.

ÉMIRÈNE, se précipitant sur lui et le retenant.

Cruel, ce n’est pas vous.

CLODOMIR, aussi prêt à sa frapper.

C’est donc moi ! Je triomphe.

SCÈNE V. Les mêmes, Cyndonax à la tête du peuple et des guerriers qui ont tous une épée à la main. §

Cyndonax en entrant se précipite sur Clodomir, et retient le poignard, tandis qu’Erimène retient son père. Le peuple et les guerriers, accourant en foule, les environnent et les désarment.

CYNDONAX.

Ô Crime ! Accourez tous.
1595 Dieu, suis-je encore à temps de venger ton outrage ?
Au peuple et aux guerriers
Désarmez, enchaînez leur aveugle courage.
Aux druides.
Vous qu’un noir fanatisme a longtemps aveuglés,
Le ciel se justifie, adorez et tremblez.
Renversons ces autels, détruisons ces mystères.
1600 Tombez vils monuments des erreurs de nos pères,
Instruments et témoins de tant d’atrocités.
Éclatez Dieu puissant !
Le peuple renverse l’urne et l’autel.

EMNON, à Cyndonax.

Eh bien, vous l’emportez.
À vos affreux parjure un vil peuple se livre.
À ma religion je ne veux pas survivre.
1605 Tombent, sur vous, d’Hésus tous les foudres vengeurs !
Il sort avec les druides. Tous les guerriers lèvent leurs épées sur lui, comme prêts à le massacrer. Cyndonax les retient.

SCÈNE DERNIÈRE. Les mêmes, hors Emnon et les druides. §

CYNDONAX, aux guerriers.

Ah ! Respectez son sang en plaisant ses erreurs ;
Il est homme, il suffit. Ne donnez pas l’exemple
Des forfaits dont lui-même a trop souillé ce temple.
Il est assez puni s’il connaît les remords.
1610 Qu’il vive et se repente.

INDUMAR.

Ô sublimes transports !
Où suis-je ?

CYNDONAX, au peuple.

C’est ainsi, qu’après tant de tempêtes,
Le sang de ces héros retombait sur vos têtes.
Ah, de la voix du ciel, distinguez désormais
La voix du fanatise, organe des forfaits.
1615 Avez-vous pu penser que l’autel de la vie,
Dieu qui se manifeste à la terre attendrie
Par son amour, ses soins, ses bienfaits renaissants,
Demandât en tribut le sang de ses enfants ?
Non. C’est lui qui vous parle : aimez-moi dans vos frères,
1620 Vous trouverez en moi le plus tendre des pères,
PAr un commerce heureux et bienfaits et de soins,
L’un de l’autre, à l’envi, prévenez les besoins.
Que le sort tende au faible une main protectrice.
Parents, amis, sujets, voilà pour ma loi,
1625 Et l’hommage, et l’encens qui monte jusqu’à moi.
À Indumar.
Roi, c’est à ce grand Dieu que ma voix vous rappelle,
Votre coeur, né pour lui, doit pardonner mon zèle.

INDUMAR.

Honteux de mes erreurs, je tombe à vos genoux.
Oui, c’est la voix d’un Dieu qui s’explique par vous.
1630 Il m’éclaire. Il m’enflamme... Ah ! Cher Prince, ah ! Ma fille.
Et vous peuple, à mon coeur, plus cher que a famille,
Tombez aux pieds d’un sage, instruit par la vertu,
Qui vous rend à ce Dieu trop longtemps combattu.
Tout le monde se prosterne aux pieds de Cyndonax qui fait signe de se relever.

ÉMIRÈNE.

Je crois le voir lui-même, écartant le tonnerre,
1635 Apporter le bonheur et la paix à la terre.

CLODOMIR, à Cyndonax.

Vous deviez ramener l’univers égaré.
L’exemple d’un grand homme est un flambeau sacré
Que le Ciel bienfaisant, en cette nuit profonde,
Allume quelquefois pour le bonheur du monde.

CYNDONAX.

1640 Mais quoi ? Souffrirons nous qu’il soit encore des coeurs
Abreuvez d’amertume et nourris de douleurs?
À Indumar.
Emnon qui, loin de nous, fuit un Dieu qui le presse,
De votre aveugle fille a surpris la faiblesse ;
Mais je n’ai point reçu ses téméraires voeux.
1645 Le Ciel les désavoue et ma main l’en dégage.
Il ôte le bandeau et le voile.

CLODOMIR.

Ô mon père !

ÉMIRÈNE.

Ah ! Seigneur !

CYNDONAX.

Que ce jour soit le gage
Des beaux jours que le Ciel a promis aux Gaulois.
Grand Roi, si désormais vous distinguez sa voix,
Des pièges de l’erreur songez à vous défendre.
1650 Si Dieu parle à nos coeurs, c’est là qu’il faut l’entendre.
Que la Religion, sous votre auguste loi,
Soit le lien du monde et n’en soit plus l’effroi.