LE JALOUX ENDORMI
COMÉDIE
Représenté sur le Théâtre Royal du Marais.

M.DC.LXII. Avec Privilège du Roi.

Par le Sieur BOURSAULT, Secrétaire de Madame la Duchesse d’Angoulême.

Extrait du Privilège du Roi. §

Par grâce et Privilège du Roi donne à Paris le vingtième jour de Mai 1662. Signé par le Roi en son Conseil, DUMOLEY ; Il est permis à Jean Guignard fils, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer une Pièce de Théâtre, intitulé Le Jaloux Endormi, par le Sieur Boursault et ce durant le temps de cinq années à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer pour la première fois. Et défenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires, et autres, de l’imprimer, ou faire imprimer, vendre, débiter ni contrefaire le dit Livre sans le consentement dudit Jean Guignard fils, à peine aux contrevenants de trois mille livres d’amende, confiscation des exemplaires, et de tout dépend, dommages et intérêts, ainsi qu’il est plus amplement porté par le dit Privilège.

Et le dit Jean Guignard a associé au présent privilège Nicolas Pépingué et Etienne Loison Marchands Libraires à paris, pour en jouir, signant l’accord fait entre eux.

Les exemplaires ont été fournis.

À PARIS, Chez ETIENNE LOISON, au Palais à l’entrée de la Galerie des Prisonniers, au Nom de Jésus.
Achevé d’imprimer pour la première fois le treize Juin 1662.
À MONSEIGNEUR LE COMTE DE SAUX.

MONSEIGNEUR, §

Il y a si longtemps que j’ai une forte passion de vous rendre l’hommage que votre Mérite exige de tous ceux qui ont l’honneur, ou de vous voir, ou de avoir vu, que je ne puis attendre que l’expérience m’ait rendu capable de vous offrir quelque chose de proportionné à une des plus illustres Naissances de l’Univers, et aux qualités les plus sublimes qui se puissent rencontrer dans ce qu’il y a de plus achevé sur la Terre. Ne jugez pas, MONSEIGNEUR, de la grandeur de mon Zèle par la médiocrité de mon Présent ; Vous n’avez pas besoin d’un Ouvrage pompeux pour immortaliser votre Nom, et j’ai besoin d’un Nom fameux pour éterniser mon Ouvrage. Mais, MONSEIGNEUR, quand je n’aurais pas ces considérations : quand, dis-je, ma Plume aurait autant de délicatesse que votre Esprit : Et quand mes Ouvres seraient assez considérables pour égaler votre Générosité, tous ces avantages n’auraient pas assez de force pour autoriser ma témérité, et je n’aurais pas plus de droit pour justifier la liberté que j’ose prendre, puisque vous seriez toujours au-dessus de tout ce que je pourrais vous présenter. Aussi, MONSEIGNEUR, loin de me reprocher la moindre faiblesse dans l’élection que j’ai faite d’un Protecteur pour un Poème qui n’est recommandable que parce qu’il vous est offert ; On remarque tant d’inégalité entre ce que vous êtes, et ce que je vous consacre, que pour me rendre justice, on ne peut condamner ma hardiesse, sans être obligé d’approuver mon industrie, puisque je ne me prévaux que de la gloire de mon choix, et non pas de la beauté de mon offrande. Quel bonheur pour moi, MONSEIGNEUR, de pouvoir apprendre à la Postérité, que le même Héros qui vient si fraîchement de recevoir le Prix de son Courage de la Main La plus Auguste du Monde, n’a pas dédaigné un sacrifice de la mienne ! Si ce que je vous dédie égalait ce que vous avez, si glorieusement emporté, je n’attendrais pas que vous le disputassiez à la plus célèbre de toutes les Cours ; Je vous l’immolerais avec d’autant plus d’ardeur, que je croirais vous donner de plus éclatantes marques des profonds respects que je veux avoir pour vous, et du désir inviolable que j’ai d’être éternellement,

MONSEIGNEUR,

DE VOTRE GRANDEUR,

Très humble, très obéissant, et très passionné Serviteur,

BOURSAULT.

PERSONNAGES §

  • SPADARILLE, Gouverneur de Toulon, mari d’Olimpie, qui en est si jaloux qu’il l’enferme à six cadenas.
  • CLÉANDRE, Amoureux d’Olimpie, à qui Alcidor l’ôta pour la donner en mariage à SPADARILLE.
  • OLIMPIE, femme de SPADARILLE, et fille d’Alcidor, autrefois promise à Cléandre.
  • ALCIDOR, Père d’Olimpie.
  • CASCADET, Valet de Cléandre.
La scène est à Toulon.

SCÈNE PREMIÈRE. Spadarille, Olimpie. §

SPADARILLE.

Je vous l’avais bien dit pour calmer votre effroi,
Que vous seriez toujours à votre aise avec moi.
Et qu’assez de trésors vous auriez en partage,
Si de me posséder vous aviez l’avantage ;
5 Mentais-je ? Et le repos vous est-il assuré,
Ayant eu le bonheur de m’avoir rencontré !
De semblables profits auriez-vous à prétendre,
Si l’on vous eut laissée au pouvoir de Cléandre,
Et si, par un destin à vos voux pas trop doux,
10 J’eusse jeté les yeux sur une autre que vous ?

OLIMPIE.

Quand je songe au malheur où je suis condamnée,
J’ai regret d’être à vous par les nouds d’Hyménée,
Et j’éprouve du sort les plus sensibles coups,
Puisqu’il m’a fait tomber dans les mains d’un jaloux,
15 Qu’est-ce que de ma part votre cour appréhende ?
Mon honneur m’est trop cher pour vouloir.

SPADARILLE.

Ah friande !
Que si je m’empêchais de vous être cruel,
L’honneur dont vous parlez deviendrait casuel ;
Et que sachant les tours dont les femmes sont dignes,
20 On nous prendrait bientôt dans le Ciel pour des Signes,
Puisque de vos plaisirs un bon Frère garni
Produirait Capricorne, et ferait Gemini !
Sachez que de tout temps j’appréhende le blâme,
Qu’au gré de mon désir je gouverne ma femme,
25 Que sans en murmurer il faut suivre ma loi,
Et que quand je vous pris ce ne fut que pour moi.
Que si votre Mari dans ce lieu vous enferme,
C’est qu’il croit votre honneur n’être pas assez ferme,
Et que ne pas souffrir qu’on vous puisse approcher,
30 C’est ôter à vos sens les moyens de pêcher.

OLIMPIE.

Vous, Monsieur, apprenez qu’un discours incommode,
D’un crime qu’on ignore enseigne la méthode,
Et que pour confirmer vos injustes soupçons,
D’un prétexte inutile on se fait des leçons :
35 Pour épargner du trouble à votre âme alarmée,
Peut-être avec raison m’avez-vous enfermée,
Car de la liberté si j’usais pleinement,
Qui doute de ma foi douterait justement.
Voyez-vous qu’en effet d’autres fassent paraître.

SPADARILLE.

40 Les autres sont des sots et je ne veux pas l’être ;
Nous savons mieux que vous ce que ces autres font,
Et ne prétendons pas devenir ce qu’ils sont.
Faut-il point pour vous plaire à l’exemple d’un autre,
Souffrir en mon absence un Galant qui soit vôtre,
45 Et qu’après qu’en honneur cinquante ans j’ai vécu.
Je sois d’intelligence à me faire Cocu ?
Faut-il point, dis-je encore, que moi-même je brigue ?
Que je pousse à la roue, et conduise l’intrigue ?
Et sur vos passions conformant mes désirs,
50 Que l’époux ait la peine, et l’Amant les plaisirs ?
Quand on vient pour vous voir, faut-il point que je sorte ?
Sur vous, et vos Muguets que je ferme la porte ?
Et que sous mon aveu vous ayez le moyen
D’acheter du Brocart d’autre argent que du mien ?
55 Voilà ce qu’aujourd’hui tous ces autres observent,
Ils se font des Amis dont leurs femmes se servent,
Et ne murmurent pas quand pour faire l’amour,
Elles courent la nuit, et reposent le jour.
Ah ! qu’il vaudrait bien mieux que du nombre assez ample,
60 De ces Martyrisés je devinsse l’exemple !
Que si l’on enfermait chaque femme qui court
Avec six cadenas, elle aurait le nez court !
Qu’on verrait de Maris marcher tête levée,
Si ma règle par eux était bien observée !
65 Et que de quantité le destin serait doux,
Si leur plus grand malheur était d’être jaloux !

OLIMPIE.

Et de tous les malheurs en est-il un plus rude
Monsieur !

SPADARILLE.

Il me le semble, ô Madame la prude !
Et qui de la sagesse a le moindre rayon,
70 Préfère un sort d’Argus au destin d’Actéon.

OLIMPIE.

Quiconque peut avoir un rayon de sagesse,
Dans les maux d’une femme à jamais s’intéresse,
Et loin qu’à l’outrager il puisse être contraint,
Il s’en veut faire aimer, et n’en pas être craint.
75 Qui d’avoir des soupçons ne pouvait se défendre,
Devait m’abandonner à l’amour de Cléandre,
Et par l’éclat d’un bien dont je ne puis jouir,
N’abusez pas mon Père, et ne pas l’éblouir.

SPADARILLE.

Il vous plaisait beaucoup ce Cléandre ?

OLIMPIE.

80 Sans doute.

SPADARILLE.

Il avait votre estime ?

OLIMPIE.

Encore même, il l’a toute.

SPADARILLE.

Vous voudriez que je crois être à lui ?

OLIMPIE.

Plut aux Dieux,
Mon sort.

SPADARILLE.

On dit bien vrai que l’amour n’a point d’yeux !
Vous aurez donc regret de vous voir ma conquête
Madame la Mignonne ?

OLIMPIE.

En effet.

SPADARILLE.

Bonne bête !
85 De vos mauvais desseins c’est assez m’avertir,
Vous voudriez être gueuse, et vous bien divertir.
Je vois ce qui vous choque, et le ver qui vous pique,
Il vous faut un Mari de nouvelle fabrique,
Qui redoute une femme, et de crainte du choc,
90 Laisse chanter la Poule, et plus haut que le Coq.
Il vous faut un Mari qui crut faire un grand crime,
S’il ne donnait de quoi pour jouer à la Prime,
Et qui ne laisse pas de paraître gaillard,
Si l’on quitte la Prime, et qu’on joue au Billard.
95 Il vous faut un Mari qui confonde sa rente,
Qui soit brave quatre ans, et gredin plus de trente,
Et sur qui l’on saisisse au profit des Marchands,
Et maisons de la ville, et revenus des champs.
Oui, je vous charmerai, ô Coureuse recluse,
100 Si vos débordements ne trouvaient une écluse,
Et du moins dans mes biens vous verriez des appâts,
Sans les doubles ressorts de mes six cadenas ;
Mais quoique contre moi votre cour se propose,
Sachez qu’avant la nuit j’en veux croître la dose,
105 Et dussiez-vous cent fois vous en mettre en courroux,
À vos six cadenas joindre autant de verrous,
Rentrez ; car aussi bien je vois un Gentillâtre,
De vos yeux bien fendus il serait idolâtre,
Rentrez donc.

OLIMPIE.

Mais.

SPADARILLE.

Rentrez, sans vous embarrasser.
110 Diable ! que j’ai bien fait de la cadenasser.

SCÈNE II. Cléandre, Spadarille, Cascaret. §

CLÉANDRE.

Monsieur, vous savez bien qu’on me nomme Cléandre ?

SPADARILLE.

Oui.

CLÉANDRE.

Vous ne savez pas ce que j’ose prétendre ?

SPADARILLE.

Non.

CLÉANDRE.

Mais il vous souvient que je fus amoureux ?

SPADARILLE.

Oui.

CLÉANDRE.

Que je ne fus pas un amant fort heureux ?

SPADARILLE.

115 Non.

CLÉANDRE.

Que votre mérite emporta la balance ?

SPADARILLE.

Oui.

CLÉANDRE.

Qu’enfin mon ardeur n’eut point de récompense ?

SPADARILLE.

Non.

CLÉANDRE.

Ainsi donc, Monsieur, ne trouvez pas mauvais
Si je viens.

SPADARILLE.

Vous, Monsieur, trouvez bon si je vais.
Un si grand préambule est suspect à mon âme,
120 Parlez bref.

CLÉANDRE.

Mais Monsieur.

SPADARILLE.

Mais Monsieur, mais Madame,
J’ai des soins à donner autre part que vers vous,
Avec mes cadenas j’ai besoin de verrous,
Près de mon Serrurier il est temps de me rendre ;
Pour pouvoir me parler il ne faut que m’attendre,
125 Si je trouve mon fait, je reviens sur mes pas,
Si je ne trouve rien, je ne reviendrai pas.
Bonjour.

SCÈNE III. Cléandre, Cascaret. §

CLÉANDRE.

De ce qu’il fait j’aurai tort de me plaindre,
Avec moins de faiblesse il serait plus à craindre,
Si de quelque lumière il était éclairé,
130 En vain à le tromper je serai préparé.
Je veux à SPADARILLE arracher Olimpie,
Mais je sais que son âme est sans cesse assoupie,
Et quand secrètement j’ose agir contre lui,
De sa brutalité je me fais un appui.

CASCARET.

135 Mais comme Spadarille est sujet à l’ombrage
Quoique des cadenas il observe l’usage,
Si pour votre malheur il advient que ce fou,
De sa femme Olimpie aperçoive le trou ?
Si d’un sensible affront se sentant l’âme outrée,
140 De ce trou favorable il occupe l’entrée,
Et que de son pouvoir se servant à propos,
De coups drus comme grêle il nous brise les os ?
Plaît-il ?

CLÉANDRE.

Non, Spadarille a la tête trop sèche,
Je n’appréhende pas qu’il découvre ma brèche,
145 Si pour voir Olimpie en un coin fort obscur,
On a fait de ma chambre une entrée à son mur,
Tu sais qu’un lit superbe à ma flamme propice,
Pour me favoriser cache mon artifice.
D’ailleurs notre vaisseau sur la fin de ce jour,
150 Doit partir pour Marseille et quitter ce séjour,
Cet anneau d’Olimpie est la marque secrète,
Qui doit malgré l’Argus assurer sa retraite,
Et que pour accomplir d’équitables desseins,
Par l’avis de son Père elle a mis dans mes mains.
155 Ainsi de mon Rival le défaut effroyable.

CASCARET.

Je sais que Spadarille est puant comme un Diable,
Et que de son haleine il infecte tous ceux
Qui de parler à lui sont assez malheureux ;
Mais il est Gouverneur, et c’est dont je frissonne,
160 Car son train.

CLÉANDRE.

À sa suite il n’a nulle personne,
De peur que de sa femme on pût voir les attraits,
Ce Jaloux hypocrite a chassé les valets :
Son âme scrupuleuse, et toujours défiante
Ne peut près d’Olimpie endurer de servante,
165 Dans la crainte qu’il a que l’on eut supposé,
Sous l’habit d’une fille un garçon déguisé.
Si bien. mais il écoute, évitons ses reproches.

SCÈNE IV. Spadarille, Cléandre, Cascaret. §

SPADARILLE, avec trois verrous en chaque main.

Voici pour des Polis empêcher les approches ;
Qu’ils s’y viennent frotter, ces mignons, ces poudrés.

CLÉANDRE.

170 Quoi l’on ose ?.

SPADARILLE.

Oui l’on ose, et ce sont des Madrés,
Qui voudraient sur ma terre usurper droit de chasse,
Vous qui d’un Chien couchant affectez la grimace,
Êtes-vous point aussi quelque Amant aux yeux doux,
Qui pour plaire à l’épouse entretienne l’époux ?
175 Et lors.

CLÉANDRE.

Ne craignez rien de la part d’Olimpie,
Tous mes voux sont bornés à chérir sa copie.

SPADARILLE.

Sa copie ?

CLÉANDRE.

Oui, Monsieur.

SPADARILLE.

Bon, il semble à ce fat,
Qu’on copie une femme aussi bien qu’un contrat.
Et vous vous en allez ?

CLÉANDRE.

Avec une patente
180 Je suis prêt.

SPADARILLE.

Je vous puis rendre l’âme contente.
Mais dans ce petit doigt vous avez un anneau
Qui vous sied assez bien, et me semble fort beau ;
Que je voie.

CLÉANDRE, bas.

Ô malheur ! C’est.

SPADARILLE.

Vous êtes étrange,
Pour le voir un moment croyez-vous qu’on le mange ?

CLÉANDRE.

185 Non, Monsieur, mais.

SPADARILLE.

Quoi mais ? A-t-il peur de mes yeux ?
Apercevant que c’est l’Anneau d’Olimpie.
Où Diable avez-vous pris ce bijou précieux ?

CASCARET, bas à Cléandre.

Répondez hardiment, et mentez comme un Diable.

CLÉANDRE.

Je l’ai pris.

SPADARILLE.

Parlez vite, ô l’Amant trop aimable,
Où donc l’avez-vous pris ?

CLÉANDRE.

Où prend-on les bijoux ?

SPADARILLE.

190 Et j’ai tort, mon Cadet, de paraître Jaloux,
Est-ce pas ?

CLÉANDRE.

Je ne sais s’il se peut qu’Olimpie.

SPADARILLE.

Et moi je sais fort bien qu’Olimpie est impie,
Et sans les cadenas à sa porte attachés,
Qu’elle ferait souvent d’agréables pêchés.
195 Quelque doux traitement qu’à ce sexe on prépare,
Une femme fidèle en ce temps est bien rare,
Et qui peut s’en servir doit s’attendre à ce coup,
D’acquérir peu d’honneur, et d’en perdre beaucoup !
N’espérez, cependant, passeport ni Patente,
200 Ou soyez résolu de remplir mon attente ;
Et d’un Original que je dois soupçonner,
Donnez-moi la Copie à collationner,
Sinon.

CLÉANDRE.

Quoi vous voulez.

SPADARILLE.

Oui, je le veux, vous dis-je.

CASCARET, bas à Cléandre.

Par ce commandement ce Jaloux vous oblige,
205 Avant qu’il ait ouvert cinq ou six cadenas,
L’anneau.

CLÉANDRE.

C’est ma pensée, et j’y vais de ce pas.
Puisqu’il vous plaît, Monsieur, d’admirer ma Maîtresse,
J’obéis.

SCÈNE V. §

SPADARILLE seul, ouvrant la porte de la chambre d’Olimpie.

Je vous tiens, ô la double traîtresse,
Qui dans l’âpre dessein d’acquérir du renom,
210 Avez l’air d’une Sainte, et l’esprit d’un Démon.
J’aperçois tous les tours que votre esprit enfante.
Vous donnez librement des faveurs par la fente ;
Mais malgré vos desseins contre moi conjurés,
Les ais de votre porte en seront resserrés.
215 Voyons un peu sa mine.

SCÈNE VI. Spadarille, Olimpie. §

SPADARILLE.

Approchez, la Matoise,
Dont la vertu s’altère, et l’honneur s’apprivoise,
Approchez.

OLIMPIE.

De ma part, désirez-vous.

SPADARILLE.

Moi ? Rien ;
Je viens voir seulement si vous vous portez bien.

OLIMPIE.

Quoi, se peut-il, Monsieur, que mon malheur vous touche ?

SPADARILLE.

220 Vous n’en savez donc rien, ô la sainte Nitouche !

OLIMPIE.

Non, daignez m’expliquer vos bizarres desseins.

SPADARILLE.

Je viens de voir Cléandre, il vous baise les mains.

OLIMPIE.

Quoi Cléandre est ici ?

SPADARILLE.

Point du tout, je me moque,
Je l’ai pris pour un autre, et c’est une équivoque.

OLIMPIE.

225 Pourquoi donc voulez-vous.

SPADARILLE.

Belzébuth incarné,
Démon acariâtre à me nuire obstiné,
C’est à tort à présent que ton âme biaise ;
Je sais pour me trahir que tu fais la niaise,
Et que de ton honneur prévoyant l’abandon.

OLIMPIE.

230 Cet outrage.

SPADARILLE.

À vos yeux je demande pardon !
Quelque soit le forfait dont mon cour vous soupçonne,
C’est vous faire une injure, équitable friponne ;
Et parmi votre sexe outrageux à chacun,
Faire un mari Cocu c’est le vice commun.

OLIMPIE.

235 Enfin, expliquez-vous, qu’avez-vous à m’apprendre ?

SPADARILLE.

Rien ; sinon que j’ai vu l’un des doigts de Cléandre.

OLIMPIE, faisant la surprise.

Un des doigts de Cléandre ?

SPADARILLE.

Un des doigts.

OLIMPIE.

Un des doigts !
Si vous m’en assurez, aisément je le crois,
Mais qu’en concluez-vous ?

SPADARILLE.

Et qu’en peut-on conclure ?
240 Fin contre fin n’est pas bon à faire doublure
La belle, et dans mon âge, il vous sied assez mal
De vouloir me charger d’un brevet d’animal.

OLIMPIE.

Ce langage confus.

SPADARILLE.

Vous rend l’âme éperdue,
Et je suis confondu de vous voir confondue.

OLIMPIE.

245 Je ne puis rien comprendre à tout votre discours.

SPADARILLE, lui montrant les verrous.

Voici pour mettre obstacle à tous vos petits tours,
Les anneaux désormais n’iront plus en campagne,
Et vous êtes sevrée, amoureuse compagne.

OLIMPIE.

Finissez ces discours, ils sont extravagants.

SPADARILLE.

250 Je suis donc fou ?

OLIMPIE.

Du moins on le croit.

SPADARILLE.

Bas les gants.

OLIMPIE.

Quoi, Monsieur.

SPADARILLE.

Bas les gants.

OLIMPIE.

Mais au moins.

SPADARILLE.

Bas, vous dis-je.

OLIMPIE.

Si.

SPADARILLE.

Bas, vous dis-je.

OLIMPIE.

Encore, quel dessein vous oblige.

SPADARILLE.

Bas, vous dis-je, et tantôt votre esprit éclairci.
Apercevant le même anneau qu’avait Cléandre.
Mais vertubleu que vois-je ? Et que Diable est-ce ci ?
255 Que cet anneau ressemble à celui de Cléandre !

OLIMPIE.

Ils sont bas.

SPADARILLE.

Sur ma foi je n’y puis rien comprendre,
Et ces anneaux tous deux ont un rapport si grand,
Que plus on les regarde, et plus on s’y méprend.
Vous pouvez cependant, réchauffer la mitaine,
260 Puis après de rentrer il faut prendre la peine,
Aussi bien un vieillard adresse ici ses pas.

OLIMPIE.

Amour.

SPADARILLE.

Entrez, entrez, et ne raisonnez pas.

SCÈNE VII. Alcidor, Spadarille. §

ALCIDOR.

Monsieur le Gouverneur dont je suis le beau-père,
Je viens.

SPADARILLE, enfermant sa femme.

Beau-père, ou non, laissez-nous un peu faire,
265 Quand votre huis une fois sera clos à plaisir,
De vous voir pleinement nous aurons le loisir ;
Taisez-vous donc.

ALCIDOR.

Monsieur, mais.

SPADARILLE.

Mais Monsieur vous-même,
Dont le morne visage est passablement blême.

ALCIDOR.

Je prétendais de vous qu’en faveur de mes soins.

SPADARILLE.

270 Un peu trop prétendant, prétendez un peu moins,
Et souffrez, s’il vous plaît, qu’à mon tour je prétende.

ALCIDOR.

Mais Monsieur.

SPADARILLE, ayant achevé de fermer ses cadenas.

Hé bien donc, ô Diseur de Légende,
Dont je suis obligé d’enfermer le présent,
Si le cour vous en dit, raisonnez à présent.

ALCIDOR.

275 L’heur dont votre alliance a comblé ma famille,
Fait que je viens ici m’informer de ma fille,
Dites-moi donc comment elle se porte.

SPADARILLE.

Bien.

ALCIDOR.

Et de ses mours, Monsieur, ne m’apprendrez-vous rien ?
Dites-moi, si parfois son humeur vous contente,
280 Si parfois cette humeur est pour vous complaisante ;
Tirez-moi de souci, comment vit-elle ?

SPADARILLE.

Mal.

ALCIDOR.

Mal, bon Dieu ! ce malheur est pour moi sans égal.
Où peut-elle avoir pris de mauvaise teinture,
Elle, que de ses dons a comblé la nature ?
285 Pour me faire un outrage elle a donc le sang.

SPADARILLE.

Chaud.

ALCIDOR.

C’est l’amour chaud sans doute, et plus chaud qu’il ne faut :
Mais n’est-ce point à tort qu’envers vous je la blâme ?
Ne lui faites-vous rien qui chagrine son âme ?
Lors que vous la voyez, quel est son accueil ?

SPADARILLE.

Froid.

ALCIDOR.

290 D’en user de la sorte elle a bien peu de droit.

SPADARILLE.

D’accord ; mais de vous deux, moi l’époux et le Gendre,
Qui pour faire l’Amant pris le droit de Cléandre,
Sachez que j’aurai lieu de paraître marri,
Si par droit réciproque il faisait le mari.

ALCIDOR.

295 Cléandre, oserait-il suborner.

SPADARILLE.

D’Olimpie,
Il aime, à ce qu’il dit, seulement la copie ;
Cependant d’un anneau je le trouve pourvu ;
Autre part qu’en ses doigts je le crois avoir vu ;
Aussitôt par ma bouche Olimpie appelée,
300 À mes aigres propos contrefait la troublée ;
Veut voir par mes discours son esprit éclairci ;
Fait semblant d’ignorer que Cléandre est ici ;
Me soutient à mon nez que souvent j’extravague ;
Puis soudain se dégante, et me montre sa bague ;
305 Et je crois là-dessus, consultant mon cerveau,
Que qui la copia copia son Anneau.
De Cléandre pourtant je crains peu la finesse,
Il doit en ce lieu même amener sa Maîtresse,
Je l’attends, nous verrons ; mais tenez je les vois.

ALCIDOR.

310 Il amène Olimpie.

SPADARILLE.

En effet, je le crois.
La serait-ce ?

ALCIDOR.

Ce l’est ; quelle erreur vous domine ?

SPADARILLE.

Ma foi, si ce ne l’est, elle en a bien la mine.

SCÈNE VIII. Spadarille, Cléandre, Olimpie, sous le nom d’Aspasie, Alcidor, Cascaret. §

SPADARILLE, appelle sa femme à travers de la porte.

Olimpie !

OLIMPIE, bas à Cléandre.

Ah Cléandre !

CLÉANDRE.

Ah daignez tenir bon,
Madame.

CASCARET.

Ou je me trompe, ou j’aurai du bâton.

SPADARILLE, continue.

315 Olimpie ! Ah j’enrage.

ALCIDOR.

Il s’échauffe la bile.

CASCARET.

Vous me parliez tantôt de m’envoyer en Ville
Monsieur.

CLÉANDRE.

Poltron fieffé.

SPADARILLE, continue.

Tout ceci me confond.
Olimpie ! écoutez comme elle me répond !
De ce tracas, Beau-père, en un mot que vous semble.

ALCIDOR.

320 J’ai peur que ce ne soit Olimpie.

SPADARILLE.

Et j’en tremble :
Mais on pourrait sortir aussitôt de l’Enfer,
Sa cheminée est close, et de grilles de fer,
J’ai de même matière étoffée sa fenêtre,
Beau-père !

ALCIDOR.

S’il est vrai, ce ne peut donc pas l’être.

SPADARILLE.

325 Assez adroitement je la vais pressentir ;
Je vous crois Olimpie, et ne crois pas mentir,
Si vous ne l’êtes pas pour le moins sa jumelle,
Daignez quelque moment discourir avec elle ;
Entrez jusqu’en sa chambre, et trouvez à propos.

OLIMPIE.

330 Monsieur.

SPADARILLE.

Vous lui direz seulement quatre mots,
Je vous en prie.

OLIMPIE.

Il faut.

SPADARILLE.

Il ne faut autre chose.

CLÉANDRE.

Des plaintes d’Olimpie elle ignore la case,
Ainsi.

SPADARILLE.

Mon Dieu, Monsieur, parlez à votre écho.

ALCIDOR.

Ce n’est pas.

SPADARILLE.

Vous aussi, taisez-vous, idiot.

OLIMPIE.

335 Pour moi, Monsieur, le Ciel me deviendrait propice,
S’il m’offrait un moyen de vous rendre service ;
Mais enfin sur le point de partir.

SPADARILLE.

Par ma foi
Vous entrerez, Madame, ou vous direz pourquoi.

OLIMPIE.

Je puis.

SPADARILLE.

Entrez, vous dis-je, ou bien point de patente.

OLIMPIE.

340 Vous pouvoir obliger c’est me rendre contente ;
Mais envers Olimpie agréez mon respect,
Un visage inconnu lui peut être suspect,
Durant donc un adieu qu’à l’instant je vais faire,
Sachez si ma visite aura droit de lui plaire,
345 Et tandis que Cléandre attendra mon retour.

SPADARILLE.

C’est fort bien dit, allez.

OLIMPIE, à Cléandre en s’en allant.

Je prépare un détour,
Et quoi que de ma part ce perfide prétende.

SPADARILLE.

Que lui dites-vous là ?

OLIMPIE.

Je lui dis qu’il m’attende.

SPADARILLE.

Bon cela.

CLÉANDRE.

J’obéis, et n’y contredis pas.
350 Cascaret, d’Aspasie accompagne les pas.

SCÈNE IX. Spadarille, Cléandre, Alcidor. §

SPADARILLE.

Or ça, notre Beau-père, et vous Sire Cléandre,
Qui jadis malgré lui vouliez être son gendre,
Je vais vous faire voir Olimpie à l’instant.

ALCIDOR, qui craint qu’Olimpie ne soit pas encore rentrée.

Si j’en suis cru, Monsieur, ne vous hâtez pas tant.

SPADARILLE.

355 Et pourquoi ?

ALCIDOR.

Tout l’amour que Cléandre eut pour elle
Pourra se rallumer à l’aspect.

SPADARILLE.

Bagatelle.

CLÉANDRE.

En effet la beauté que je vous ai fait voir,
De tout autre visage affaiblit le pouvoir :
Et s’il faut que mon âme à vos yeux se découvre,
360 Rien ne m’est échappé que mon cour ne recouvre,
Puisqu’à l’objet que j’aime avec tant de raison
Pour paraître Olimpie il ne faut que le nom.
C’est pour ce seul objet qu’en secret je soupire,
Pour sa seule pensée je languis.

SPADARILLE.

C’est tout dire,
365 Et pour l’amour de vous je m’en vais de ce pas
Réveiller les ressorts de mes six cadenas.

SCÈNE X. Alcidor, Cléandre, et Spadarille au bout du Théâtre qui ouvre ses cadenas. §

ALCIDOR.

Parlons bas. Enfin brave Cléandre
Ma fille en peu de temps en vos bras se va rendre :
Si d’avec ce brutal son hymen se détruit,
370 De vos soins généreux vous aurez tout le fruit.
Mais surtout que l’honneur.

CLÉANDRE.

Je vois peu d’apparence
À pouvoir franchir d’une injuste puissance ;
Mais enfin quelque effet qui succède à mes yeux,
L’intérêt d’Olimpie est plus fort que mes feux.
375 Nul espoir ne me flatte, et mon cour avec joie,
La dérobe aux tourments dont le sien est la proie ;
Et c’est le moindre effort qu’en semblable danger
La vertu malheureuse ait le droit d’exiger.
Ainsi.

SCÈNE XI. Spadarille, Olimpie, Cléandre, Alcidor. §

SPADARILLE.

Mes cadenas sont ouverts. Hola la Belle,
380 Venez ça. Pourquoi donc se frotter la prunelle ?
Qu’avez-vous ?

OLIMPIE, faisant exprès l’endormie.

Du sommeil, les pavots gracieux
Assoupissent mon âme, et me sillent les yeux ;
Depuis une heure ou deux, leur douceur pour confondre.

SPADARILLE.

Elle avait bien raison de ne pas me répondre
385 Vraiment ! ça la dormeuse au sommeil un peu dur,
Qui n’avez pu m’entendre à travers de ce mur,
Ouvrez les yeux.

OLIMPIE, faisant l’étonnée.

Mon Père ! ô destin quelle grâce !

ALCIDOR.

Ma fille !

SPADARILLE, lui montrant Cléandre.

Et celui-ci, Bel enfant, qui sera-ce ?

OLIMPIE.

Ô Dieux !

CLÉANDRE, à Spadarille.

Souffrez qu’ici je me règle sur vous,
390 Et que de cet objet je devienne jaloux ;
Je crois voir Aspasie, et mon Âme confuse
Voudrait.

SPADARILLE.

Le tour est bon ; peste soit de la Buse.

CLÉANDRE.

C’est un peu vainement que vous êtes surpris,
C’est elle.

SPADARILLE.

Il veut sans doute égayer nos esprits,
395 Pauvre Butor !

OLIMPIE.

De quoi, de la part de Cléandre,
Est-ce là tout l’accueil que j’ai droit de prétendre ?

CLÉANDRE.

Aspasie est-ce vous dont les yeux éclatants.

SPADARILLE.

Quand les gens sont si sots, ils le sont pour longtemps,
Je le trouve bouffon avec sa jalousie.

CLÉANDRE.

400 Daignez donc me répondre, est-ce vous Aspasie ?
Dissipez le chagrin qui me rend assoupi,
Et pour le moins.

SPADARILLE.

Beau-père, et picora campi.
Quoi, vous n’en riez point ?

CLÉANDRE, à Spadarille.

Éclaircissez mon âme,
Monsieur, ne l’est-ce pas ?

SPADARILLE, en riant.

Non ma foi, c’est ma femme.

CLÉANDRE, à Olimpie.

405 Veuillez donc m’excuser si pour m’être mépris.

OLIMPIE.

À votre indifférence ajouter le mépris,
Cléandre, et feindre ici de ne pas me connaître ?

CLÉANDRE.

J’ai toujours tout l’amour que vos yeux firent naître ;
Mais si mon cour soupire, apprenez qu’il m’est doux
410 De le voir soupirer pour une autre que vous :
De ce cour enflammé la langueur est extrême,
Mais cette autre que vous est une autre vous-même ;
Et mon amour éteint serait tout consumé,
Si vos mêmes appâts ne l’avaient rallumé.

SPADARILLE, à Alcidor.

415 Quel niais compliment ce badin lui va faire !

ALCIDOR.

Il est fou.

OLIMPIE, à Cléandre.

Quelque objet a donc l’heur de vous plaire ?

CLÉANDRE.

Oui, Madame, et de plus cet objet plein d’appâts
En mérite, en vertu ne vous céderait pas :
Quelque chose de plus est dans celle que j’aime,
420 Et.

SPADARILLE.

Ne disons point plus ; mais disons tout de même.

OLIMPIE.

Et quoi, pour vous venger du refus qu’on vous fit,
Vous osez.

CLÉANDRE.

J’ai raison d’oser dire.

OLIMPIE, dans une feinte colère.

Il suffit,
Je connais vos desseins, et vous êtes un lâche,
Dont l’indigne mépris, et me choque, et me fâche :
425 Ne croyez pas pourtant que l’outrage soit grand,
Votre amour, votre choix, tout m’est indifférent :
Et ne présumez pas.

CLÉANDRE.

Quoi, Madame.

OLIMPIE.

Quoi, Traître,
Vous avez pu m’aimer, et m’osez méconnaître ?
Et prétendez me faire un outrage odieux,
430 Qu’installer par mépris votre choix à mes yeux ?
Je dédaigne à mon tour vos indignes approches,
Allez.

SPADARILLE.

Il est penaud comme un fondeur de cloches.
C’est qu’il aime.

OLIMPIE.

Et qu’importe ?

SPADARILLE.

Il importe fort peu ;
Mais je veux vous montrer à l’objet de son feu :
435 Bientôt dans cet endroit nous aurons sa présence.

OLIMPIE.

Moi, Monsieur, me résoudre à cette complaisance ?
Que je puisse.

SPADARILLE.

Mon Dieu, forcez-vous de la voir,
Et sachez.

OLIMPIE.

Sur mes sens j’ai trop peu de pouvoir,
À m’expliquer ainsi son dédain m’autorise,
440 J’ai peu de complaisance envers qui me méprise ;
Et quoique mon époux, c’est avoir le cour bas
Qu’exiger de mon âme un respect qu’il n’a pas.

SPADARILLE.

Mais enfin Aspasie.

OLIMPIE.

Aspasie ou Cléandre,
Je ne veux ni les voir, ni jamais les entendre,
445 Et préfère aux dédains de ce couple outrageux
L’inflexible rigueur d’un époux soupçonneux.
Renfermez-moi.

ALCIDOR.

Ma fille, est-il juste.

OLIMPIE.

Mon Père,
Je ne fais rien ici qui ne soit nécessaire.
De Cléandre en un mot je connais le désir,
450 Dans ce lieu de me voir il a peu de plaisir :
De ses voux mes souhaits précipitent le terme,
C’est assez l’obliger que vouloir qu’on m’enferme ;
Mais ce qui plus me charme, et que j’aime le mieux,
C’est priver mes regards d’un Objet odieux.
455 Je vous le dis encore, Aspasie ou Cléandre, à Spadarille
Je ne veux ni les voir, ni jamais les entendre,
Souscrivez sans murmure aux plus doux de mes voux,
Adieu.

SPADARILLE.

Pauvre Galant te voilà bien chanceux !

SCÈNE XII. Spadarille, Cléandre, Alcidor. §

SPADARILLE.

Vous voyez.

CLÉANDRE.

Oui, Monsieur, je vois ce qui se passe :
460 Si je m’en repentais j’aurai l’âme trop basse.
J’aperçois qu’Olimpie a pour moi de l’horreur :
Mais l’amour d’Aspasie adoucit cette aigreur.
J’ai sujet de goûter une joie assez pleine,
Si l’une a de l’amour quand l’autre a de la haine ;
465 Ou plutôt j’aurai tort de me plaindre à mon tour,
Quand des preuves de haine ont des marques d’amour.
Mais je vois Aspasie.

SCÈNE XIII. Olimpie sous le nom d’Aspasie, Sspadarille, Cléandre, Aalcidor, Cascaret. §

OLIMPIE sous le nom d’Aspasie.

À présent pour vous plaire
Sur ce que j’ai promis je vous viens satisfaire.
Je puis voir Olimpie, et je suis sur le point
470 De lui rendre.

SPADARILLE.

À présent, vous ne la verrez point,
Vous voilà ce me semble assez bien attrapée.

OLIMPIE, sous le nom d’Aspasie.

Vous rendez en effet mon attente trompée,
Me manquer de parole, et depuis un instant.

SPADARILLE.

Olimpie en un mot, ne vous aime pas tant,
475 Si vous ne m’en croyez pas, demandez à Cléandre.

OLIMPIE, sous le nom d’Aspasie.

Quel sujet aurait-elle.

SPADARILLE.

Il pourra vous l’apprendre.

CLÉANDRE.

Lors.

SPADARILLE.

De vous écouter je n’ai pas le loisir,
Partez, ou demeurez, vous n’avez qu’à choisir.

OLIMPIE, sous le nom d’Aspasie.

Et quoi.

SPADARILLE.

Tant de discours me font mal à la tête,
480 Voulez-vous partir ?

CLÉANDRE.

Mais.

SPADARILLE.

Mais la Patente est prête,
Et qui plus est pour vous je la donne gratis,
Tenez.

CLÉANDRE.

Puisqu’il vous plaît, nous voilà donc partis,
Mais si pour m’acquitter de l’excès de vos grâces
Je puis.

SPADARILLE.

N’affectons point d’importunes grimaces,
485 Si vous voulez partir, partez.

CLÉANDRE.

Adieu Messieurs.

SPADARILLE.

Notre Beau-père et moi sommes vos serviteurs,
Adieu.

CLÉANDRE, bas à Olimpie.

L’occasion ne peut être plus belle,
Allons.

CASCARET.

Le pauvre Diable ! Il n’a plus de femelle,
Je le donne en dix coups à qui fourbera mieux.

ALCIDOR, bas.

490 Hâtez-vous.

OLIMPIE, à Cléandre.

Mais mon Père, il fait signe des yeux,
S’il n’est hors de ses mains, mon souci n’est pas moindre.

CLÉANDRE.

N’es soyez point en peine, il saura nous rejoindre,
Nous avons rendez-vous, et j’en suis avoué,
Allons.
Ils s’en vont.

SCÈNE XIV. Spadarille, Alcidor. §

SPADARILLE, fort joyeux.

De tout ceci le bon Dieu soit loué !
495 J’ai hors du pied, Beau-père, une vilaine épine ;
De me tromper Cléandre avait toute la mine,
Il faisait tout exprès le petit complaisant ;
Dieu sait si votre fille est joyeuse à présent.
Et si, loin de l’objet, qui lui porte bissêtre,
500 Ses transports d’allégresse auront lieu de paraître !
Du départ de Cléandre allons la réjouir,
Allons.

ALCIDOR, bas.

De son erreur je le laisse jouir,
Mais.

SPADARILLE, à haute voix.

Il n’est plus ici ce Cléandre, Ma Mie,
Venez, venez.
Voyant qu’elle ne répond pas.
Beau-père ; elle s’est rendormie.
505 Je ne la vis jamais si souvent sommeiller ;
Mais entrons l’un et l’autre, et l’allons réveiller,
Loin d’en être marrie, elle aura de la joie,
Entrons.

ALCIDOR, bas

De me venger je découvre une voie ;
Je tiens.

SPADARILLE.

Sus, Beau-père, entrez donc.

ALCIDOR.

Ah ! Monsieur,
510 Je sais trop.

SPADARILLE.

Je sais trop qu’on me doit de l’honneur,
Mais entrez.

ALCIDOR.

Moi commettre une faute si grande !

SPADARILLE.

Entrez, vous dis-je.

ALCIDOR.

Mais.

SPADARILLE.

Mais je vous le commande.

ALCIDOR.

De grâce.

SPADARILLE.

Obéissez, Courtisan mal éclos.

ALCIDOR.

Monsieur.

SPADARILLE.

S’il en fait rien qu’on me brise les os.

ALCIDOR.

515 Ce que je suis, Monsieur, me permet de vous rendre.

SPADARILLE.

Vous êtes mon Beau-père, et je suis votre Gendre,
Avec vos pieds de veau, passez donc.

ALCIDOR.

Si jamais.

SPADARILLE.

Sans tant dire de si, ni de car, ni de mais,
Courtois souple jarret qui semblez par bravade
520 Pour me faire enrager vouloir faire gambade,
Entrez.

ALCIDOR.

Mais quand je songe aux respects que je dois.

SPADARILLE.

Respectueux Beau-père, entrez donc après moi,
Puisqu’en vos sentiments vous demeurez si ferme.

ALCIDOR.

Un cadenas sans clef aisément se referme,
525 Il est pris.

SPADARILLE, dedans la chambre.

Suivez donc.

ALCIDOR.

Je n’ai pas le loisir.

SPADARILLE.

Vous m’enfermez !

ALCIDOR.

D’accord.

SPADARILLE.

Pourquoi ?

ALCIDOR.

Pour mon plaisir.

SPADARILLE.

Ah trigaud malfaisant, si je sors je te jure.

ALCIDOR.

Tu ne sortiras pas, c’est moi qui t’en assure ;
Mais sans tenir ici d’inutiles propos,
530 Tu peux par ta fenêtre écouter quatre mots.

SPADARILLE, à sa fenêtre.

Exécrable Barbon que ne puis-je descendre,
Tu verras.

ALCIDOR.

Olimpie est aux mains de Cléandre,
Mais de quelques désirs dont il soit combattu,
Il est trop généreux pour fouiller sa vertu.

SPADARILLE.

535 Gueux par moi revêtu, que Dieu puisse confondre,
En ses mains !

ALCIDOR.

En ses mains, et je puis t’en répondre,
Mais l’horrible défaut que chacun connaît bien,
Pour rompre un mariage est un trop sûr moyen.
La cruelle fureur dont tu l’as poursuivie,
540 De l’ôter des mains m’a fait naître l’ennui ;
Et si j’ai des regrets le plus rude de tous,
Est de voir qu’un barbare ait le titre d’époux.
En entrant le premier tu m’as mis hors de peine,
Adieu.

SPADARILLE.

Tu t’en vas donc, Marchand de Chair humaine,
545 Au voleur, au voleur.

SCÈNE XV ET DERNIÈRE. §

SPADARILLE, à sa fenêtre.

Le traître est échappé,
Il court comme un beau Diable, et je suis attrapé.
Jamais futé Renard dans sa propre tanière,
Se vit-il enfermé de semblable manière ?
Et peut-on en finesse égaler ce Grison,
550 Qui m’enlève sa fille, et me met en prison ?
Si la meilleure femme en malice est féconde,
Peuples qui m’écoutez, laissez périr le Monde ;
Et disant à ce sexe un éternel adieu,
Songez que qui s’en passe est bien-aimé de Dieu.