LE MÉDECIN VOLANT
COMÉDIE BURLESQUE

M. DC. LXVI. AVEC PERMISSION.

PERMISSION. §

Je n’empêche, pour le Roi, l’impresse de MATHEVET Marchand libraire à Lyon, de la comédie intitulée Le Médecin Volant ; et ce pour trois ans, avec les défenses en tel cas requises et accoutumées.

Fait à Lyon, le 27 janvier, mille six cent soixante-six.

BOLLIOUD-MERMET.

À LYON, Chez Charles Mathevet, rue Mercière, à Saint-Thomas d’Aquin.
Permis l’impression dudit livre pour un an. Fait ce 28 janvier 1666. DESEVE
À MONSIEUR C** MEDECDIN DE MON PAYS

[Cette dédicace est absente de l’édition originale et se trouve dans l’édition de 1833 de la Nouvelle Collection Molièresque.]

MONSIEUR, §

Soit par coutume ou soit par générosité, je n’ai jusqu’ici dédié aucune pièce que l’on ne m’ait fait quelque présent, et, à dire vrai, l’on m’attraperait bien si on venait à perdre une si bonne habitude. Cependant je vous dédie le MÉDECIN VOLANT, qui assurément n’est pas le moindre de mes ouvrages, à condition seulement que si jamais je vais au pays, et que je sois assez heureux pour y devenir malade, vous aurez assez de bonté pour moi pour ne pas me faire languir longtemps. Remarquer, s’il vous plaît, Monsieur, que je ne veux pas dire que vous aurez la bonté de m’expédier le plus tôt qu’il vous sera possible, et souffrez que je vous avertisse, de peur d’équivoque, que je n’estime la médecine qu’en ce qu’elle peut être utile à la conservation ou au recouvrement de ma santé, parce que je mourrai bien sans le secours de personne, et particulièrement de votre Faculté, pour qui j’ai trop de vénération pour ne pas lui en épargner la peine. Il meurt plus de monde en ces quartiers par la faute des médecins que vous n’en ressuscitez par votre capacité ; et Paris est si misérable pour les malades que l’on prend plus de soin pour les faire mourir que vous n’en prendriez pour les faire vivre. Je vous proteste que si l’on m’appelait à la Police, j’y donnerais si bon ordre qu’il ne serait plus permis d’assassiner impunément un homme ; et ces Messieurs, qui ne sont médecins que par la soutane, seraient obligés, durant quelques années que je limiterais, de faire l’épreuve de leur science sur les animaux qui ne sont plus propres au travail. Si cela était, les habiles comme vous n’en seraient pas plus mal, et les malades en seraient beaucoup mieux ; vous en aurez ici plus de pratiques, et ceux qui meurent avec tant de précipitation entre les mains de ces ignorants ne mourraient peut-être pas si vite entre les autres. Enfin, Monsieur, j’ai tant d’estime pour votre personne et tant d’inclination pour le pays que, si jamais il me prend envie de sortir du monde, j’aime mieux mourir de votre main que de pas une autre, quand ce ne serait qu’à cause qu’il y a de mes parents qui en sont déjà morts, et que, par conséquent, je suis obligé d’être,

Monsieur,

Votre très humble et très affectionné serviteur,

BOURSAULT.

PERSONNAGES §

  • CLÉON, amant de Lucresse.
  • LISE, servante de Lucresse.
  • LUCRESSE, maîtresse de Cléon.
  • CRISPIN, valet de Cléon, médecin volant.
  • FERNAND, père de Lucresse.
  • PHILIPIN, valet de Fernand.
  • CANTÉAS, habile médecin.
La scène est devant la maison de Fernand.

SCÈNE PREMIÈRE. Lise, Cléon. §

LISE.

N’insultez point, de grâce, au malheur de Lucresse
Je sais qu’elle a pour vous une forte tendresse ;
Mais enfin de son père elle craint le pouvoir,
Et ne peut se résoudre au plaisir de vous voir.
5 Une fille bien née a toujours de la crainte.

CLÉON.

Que veux-tu ? La douleur dont mon âme est atteinte
Rend ma plainte équitable, et me fait murmurer
Contre un objet charmant, que je dois adorer.
Mais, Lise, à sa fenêtre une prompte escalade
10 Peut m’ouvrir une voie.

LISE.

Elle fait la malade,
1
Monsieur, et le vieux rètre est parti du matin,
Pour chercher par la ville un expert médecin.
Sans rien escalader, pour voir une maîtresse,
Un amant dans sa manche a toujours quelque adresse.
15 Mettez tout en usage, et puissance, et savoir ;
Sans choquer son honneur, essayez de la voir.
Il n’est pas de moyens que l’amour n’autorise.
Surtout. Mais du vieillard je crains une surprise :
Adieu, pensez à vous, et vous ressouvenez
20 Qu’il n’est rien d’impossible aux cœurs passionnés.

SCÈNE II. §

CLÉON, seul.

Aux cœurs passionnés il n’est rien d’impossible.
Je l’avoue ; et je trouve un moyen infaillible
De donner à mon âme un moment de repos :
Il faut. Mais, ô Crispin, que tu viens à propos !

SCÈNE III. Crispin, Cléon. §

CRISPIN.

25 Je vous cherche partout pour vous rendre réponse,
Monsieur.

CLÉON.

Si tu savais ce que Lise m’annonce,
Cher Crispin !

CRISPIN.

Il m’a dit que tantôt, sur le soir.

CLÉON.

Quand on a de l’amour, et qu’on a de l’espoir.

CRISPIN.

Je vous dis et redis qu’il m’a dit de vous dire.

CLÉON.

30 Pour des charmes si doux lorsqu’une âme soupire.

CRISPIN.

2
Vous plaît-il que je parle, ô babillard maudit,
Ou ne dirai-je mot ?

CLÉON.

Tu m’en as assez dit.
Le temps m’est précieux, et ma flamme me presse.
Raisonnons entre nous : je me meurs pour Lucresse.

CRISPIN.

35 Mourez-vous ?

CLÉON.

Son visage a des attraits puissants.
Elle asservit mon âme, elle charme mes sens ;
En un mot, je l’adore, et son père me l’ôte,
Tu le vois.

CRISPIN.

Il est vrai, mais ce n’est pas ma faute.

CLÉON.

D’accord ; de mon malheur je ne puis t’accuser ;
40 Mais tu connais son père... Il le faut abuser.
Qu’en dis-tu ?

CRISPIN.

Moi, Monsieur ? Abusez, que m’importe !

CLÉON.

Il la tient enfermée, et je veux qu’elle sorte :
Mon coeur, pour cet effort, ne s’adresse qu’à toi,
Car enfin...

CRISPIN.

À présent, il m’importe, ma foi !
45 À moi, Monsieur ?

CLÉON.

À toi. Rends mon âme charmée !

CRISPIN.

Ne me dites-vous pas qu’il la tient enfermée ?

CLÉON.

Oui.

CRISPIN.

Je n’y puis que faire. En quel lieu du logis ?

CLÉON.

C’est dessus le derrière.

CRISPIN.

Oui ?

CLÉON.

Oui.

CRISPIN.

Oui ?

CLÉON.

Oui.

CRISPIN.

Tant pis.

CLÉON.

Je t’ai dit ma pensée ; instruis-moi de la tienne.

CRISPIN.

50 Elle est enfermée ?

CLÉON.

Oui.

CRISPIN.

Que la belle s’y tienne,
Voilà ce que je pense.

CLÉON.

Ah ! C’est trop s’amuser.
Écoute : sans scrupule, il te faut déguiser.

CRISPIN.

Me déguiser, Monsieur ! Et pourquoi ?

CLÉON.

C’est pour cause.
Je veux bien, en ce lieu, t’informer de la chose :
55 Pour faire pleinement réussir mon dessein,
Il faut être aujourd’hui médecin.

CRISPIN.

Médecin ?
Bons dieux !

CLÉON.

Sans perdre ici d’inutiles paroles,
Ce service rendu te vaudra six pistoles.
Si le gain t’encourage, avise, les voilà !
60 Examine...

CRISPIN.

Mon Dieu ! ce n’est pas pour cela.
Médecin !

CLÉON.

Médecin ; je n’ai point d’autre ruse.

CRISPIN.

Mais il faut de l’esprit, et je suis une buse ;
Et, de plus...

CLÉON.

C’est à tort que tu prends de l’effroi :
Le père de Lucresse a moins d’esprit que toi.
3 4
65 Ce vieillard chassieux connaît peu ton visage.
Et tu sais. Il avance, il me voit, j’en enrage ;
Je le vais aborder... Va m’attendre chez moi,
J’aurai soin de m’y rendre aussi vite que toi.

CRISPIN.

Mais, à moins de m’instruire, apprenez.

CLÉON.

Va,te dis-je,
70 Je te suis.
Il sort.

SCÈNE IV. Cléon, Fernand, Philipin. §

CLÉON.

La douleur de Lucresse m’afflige.
Monsieur, quoique mes soins lui soient indifférents,
Je viens vous informer de la part que j’y prends :
Heureux, quoique toujours sa beauté me captive,
Si pour d’autres que moi j’aperçois qu’elle vive,
75 Et toujours trop heureux, si les voux que je fais
D’un secours nécessaire avancent les effets.
Adieu.

SCÈNE V. Fernand, Philipin. §

FERNAND.

Ma pauvre fille ! Elle va rendre l’âme,
Philipin !

PHILIPIN.

C’est à vous que j’en donne le blâme.
À la pourvoir d’un homme on a trop retardé.
80 Un pucelage nuit, quand il est trop gardé.
C’est cela qui l’étouffe, et ces sortes de choses.

FERNAND.

Point, point. Sa maladie a de plus justes causes.
Mais retourne au plus vite, et va voir, Philipin,
Si l’on attend bientôt ce savant médecin.
85 J’appréhende si fort que Lucresse ne meure.

PHILIPIN.

S’il était de retour, il viendrait tout à l’heure.
On l’a dit.

FERNAND.

Il est vrai, mais apprends mon souci :
D’autres peuvent l’attendre et l’emmener aussi,
Et pour lors tout mon cour, accablé de tristesse,
90 Si Lucresse endurait.

PHILIPIN.

Peste soit de Lucresse !
Elle a le choix de vivre ou du moins de mourir.
Quel plaisir elle prend à me faire courir !

FERNAND.

Surtout ne reviens point que tu ne me l’amenes,
Je t’en prie.

SCÈNE VI. §

FERNAND, seul.

En mon âge, ô bons dieux ! Que de peines !
95 Et que dans mes vieux ans.

SCÈNE VII. Crispin, Fernand. §

CRISPIN, en soutane.

Pythagore, Platon,
Mache-à-vide, Pancrace, Hésiode, Caton.

FERNAND, bas.

Quel serait ce docteur ? Écoutons.

CRISPIN.

Caligule,
Polyeucte, Virgile, Anaxandre, Luculle.

FERNAND, bas.

Ô dieux !

CRISPIN.

Robert Vinot, Scipion l’Africain,
100 Jodelet, Mascarille, Aristote, Lucain,
Médecins de César, assassins d’Alexandre,
Vous voyez un phénix qu’a produit votre cendre !

FERNAND, bas.

Serait-ce un médecin ? Il en parle.

CRISPIN.

Approchez,
Venez voir, grands docteurs, les mystères cachés
105 De l’Encyclopédie et de la médecine.

FERNAND.

C’en est un.

CRISPIN.

Venez voir ce que c’est que racine,
De la mer Arabique et le flux et reflux.

FERNAND, à Crispin.

Monsieur ?

CRISPIN.

Que voulez-vous ? Ego sum medicus.
Médecin passé maître, apprenti d’Hippocrate,
5
110 Je compose le baume et le grand mithridate ;
Je sais, par le moyen du plus noble des arts,
Que qui meurt en février n’est plus malade en mars ;
Que de quatre saisons une année est pourvue,
Et que le mal des yeux est contraire à la vue.

FERNAND.

115 Je ne saurais douter d’un si rare savoir.
Si j’osais vous prier.

CRISPIN.

De quoi ? Parlez.

FERNAND.

De voir
Une fille que j’ai, que chacun désespère.

CRISPIN.

Vous avez une fille ? Et vous êtes son père,
À ce compte ?

FERNAND.

Oui, Monsieur, et j’ai peur de sa mort.

CRISPIN.

120 Elle est donc fort malade ?

FERNAND.

Oui, Monsieur.

CRISPIN.

Elle a tort ;
Je lui veux conseiller qu’elle cesse de l’être.
Qui domine sur nous s’en veut rendre le maître ;
Or, le mal dominant par d’occultes ressorts,
Il corrompt la matière, il ravage le corps ;
125 L’individu qui souffre, au moment qu’il s’épure,
D’un peu d’apothéose entretient sa nature ;
La vapeur de la terre, opposée à ce mal,
Dans l’humaine vessie établit un canal ;
6
Le cancer froidureux rend l’humeur taciturne,
130 Le vaillant zodiaque envisage Saturne
Et s’il faut qu’avec eux j’en demeure d’accord,
Rien n’abrège la vie à l’égal de la mort.
Ce sont de ces auteurs les leçons que j’emprunte.
Votre fille, à propos, serait-elle défunte ?

FERNAND.

135 Non, Monsieur.

CRISPIN.

Mange-t-elle ?

FERNAND.

Un petit, grâce aux dieux !

CRISPIN.

Elle n’est donc pas morte ?

FERNAND.

Elle ? Nenni.

CRISPIN.

Tant mieux.
Je m’en réjouis fort.

FERNAND.

Et de quoi ? Cette vie,
Avant la fin du jour, lui peut être ravie.

CRISPIN.

Tant pis ! L’a-t-on fait voir à quelque médecin ?

FERNAND.

140 Nullement.

CRISPIN.

Elle a donc quelque mauvais dessein,
Puisqu’elle veut mourir sans aucune ordonnance.
De ces sortes de maux notre École s’offense.
Quand un homme se trouve en état de périr,
Toujours un médecin doit l’aider à mourir ;
145 Et c’est faire éclater des malices énormes,
Que vouloir refuser de mourir dans les formes.
Instruisez votre fille, et lui dites, du moins,
Pour mourir comme il faut, qu’elle attende mes soins.
Son âme à déloger est trop impatiente,
150 Monsieur.

FERNAND.

Permettez-moi d’appeler sa suivante.

CRISPIN.

Appelez. Je le tiens ! Ô le franc animal !

FERNAND.

Holà, Lise !

SCÈNE VIII. Lise, Fernand, Crispin. §

LISE.

Ah ! Monsieur, votre fille est fort mal !

FERNAND.

Que fait-elle ? Je tremble.

LISE.

Elle se plaint du ventre ;
Elle sort de son lit, puis après elle y rentre,
155 Se promène, se sied, veut dormir, veut veiller.
Malgré moi, de ce pas, je la viens d’habiller.

FERNAND.

D’habiller !

LISE.

D’habiller ; sa boutade m’étonne.
Apercevant Crispin.
Je crois. Mais ce gredin vous demande l’aumône.
Monsieur ?

FERNAND.

Ah ! Juste Ciel, quel blasphème tu fais !
160 C’est l’exemple parfait des médecins parfaits.
Que j’ai bien du sujet de louer sa rencontre !

LISE.

Médecin ?

CRISPIN.

Médecin. Ma soutane le montre.
Mais, sans perdre ma peine à prouver qui je suis,
Par ma seule doctrine aisément je le puis.
7
165 De la fille ergotante apportez de l’urine.
Apportez !

FERNAND, à Lise.

Allez vite en quérir.
Lise sort.

CRISPIN.

J’examine
Ce que cette malade à peu près peut avoir ;
Mais je vois de l’urine, et je vais le savoir.

SCÈNE IX. Crispin, Fernand, Lise. §

CRISPIN.

Approchez.

FERNAND.

170 De frayeur j’ai mon âme alarmée.

LISE, avec de l’urine.

En voilà.

CRISPIN.

Voyez-vous comme elle est enflammée ?
Mauvais signe !

FERNAND.

Ô bons dieux ! Il en boit.

CRISPIN, après avoir tout bu.

Je crois bien.
Mais qui boit pour si peu ne comprend jamais rien.
Allez-en quérir d’autre.

FERNAND, à Lise.

Allez vite !
Lise sort.

CRISPIN.

Mon prince !
175 Assez d’autres docteurs, d’une étoffe assez mince,
Se seraient contentés du rapport de leurs yeux,
Mais à croire sa langue on en juge bien mieux.
8
Boisrobert nous enseigne, en sa Belle Plaideuse,
Que le goût est solide et la vue est trompeuse,
180 Et qu’un grand médecin, quand il fait ce qu’il doit,
Il sent mieux une chose à la langue qu’au doigt.

FERNAND.

À ces fortes raisons je n’ai point de réplique.

SCÈNE X. Lise, Crispin, Fernand. §

LISE, avec encore un peu d’urine.

À pisser comme il faut ma maîtresse s’applique,
Monsieur, et cependant je n’en ai qu’un filet.
185 Voyez !

CRISPIN.

Pauvre pisseuse !
Après avoir encore bu, il dit :
Allons au robinet
En tirer.

LISE.

Mais, Monsieur.

CRISPIN.

Mais que cette pisseuse
Fasse une ample pissade et qui soit copieuse,
Copieuse !

LISE.

Ma foi ! Ma maîtresse ne peut.
On n’a pas le pouvoir de pisser quand on veut.
190 C’est donner à Lucresse une peine trop grande,
Que vouloir.

FERNAND, à Lise.

Dites-lui que Monsieur le commande.
Courez vite !

LISE.

Monsieur, votre fille n’a pu.
Mais enfin, pour vous plaire, à l’instant elle a bu.
Si Monsieur veut attendre à lui rendre service,
195 Au plus tard, dans une heure, il faudra qu’elle pisse.

CRISPIN.

Elle a raison.

LISE.

De plus, pour chasser son souci,
Elle s’est résolue à venir jusqu’ici.
Elle vient.

SCÈNE XI. Lucresse, Fernand, Crispin, Lise. §

LUCRESSE.

Ah ! Mon père !

FERNAND.

Ah ! Ma fille !

LISE.

Courage !

LUCRESSE.

200 Je me meurs.

CRISPIN.

Je lui trouve un passable visage.
Serviteur ! Si pour vous nos remèdes sont vains,
Vous aurez le plaisir de mourir par mes mains ;
Consolez-vous.

LUCRESSE.

Hélas !

CRISPIN.

Votre bras, que je tâte
Si pour vous il est vrai que la mort ait si hâte ;
205 Donnez, dis-je !
Au lieu de prendre le bras de Lucresse, il prend celui de son père et dit :
Tudieu ! Comme il bat votre pouls !
J’aurai bien de la peine à répondre de vous,
Et votre maladie est sans doute mortelle ;
Prenez-y garde.

FERNAND.

Ô Dieu ! Quelle triste nouvelle !
Je suis donc bien malade, ô Monsieur ?

CRISPIN.

Vous, pourquoi ?

FERNAND.

210 Vous n’avez pris le bras à personne qu’à moi.

CRISPIN.

Et cela vous étonne ? Une tendresse extrême
Rend la fille, le père, et le père, elle-même :
Entre eux deux la nature est propice à tel point,
Que le sort les sépare, et le sang les rejoint ;
215 Étant vrai que l’enfant est l’ouvrage du père,
Sa douleur sur lui-même aisément réverbère ;
Et le sang l’un de l’autre est si fort dépendant,
Que l’enfant met le père en un trouble évident.

FERNAND.

Il est vrai.

CRISPIN.

Cependant, quoIque mon savoir brille,
220 Je veux bien me résoudre à tâter votre fille.
Votre bras ?

LUCRESSE.

Le voilà.

CRISPIN.

Je m’en étais douté :
Il ne vous manque rien que beaucoup de santé ;
Sans cela.

LUCRESSE.

J’ai la mort sur le bord de la lèvre,
Monsieur.

CRISPIN.

Que je retâte ! Avez-vous de la fièvre ?

LUCRESSE.

225 Je ne sais.

CRISPIN.

Non

LUCRESSE.

Non.

CRISPIN.

Fi !

FERNAND.

De quoi ?

CRISPIN.

Mauvais régal :
Parfois, sans qu’on le sache, on se porte fort mal,
Voyez-vous.

FERNAND.

De ses maux que je sache la cause.

CRISPIN.

C’est la fièvre ; ce l’est, si ce n’est autre chose.
Mais, soit fièvre, ou migraine, ou gangrène, ou mal chaud,
230 Allez, pour la guérir je sais bien ce qu’il faut.

FERNAND, à Lise.

Une plume, de l’encre.

CRISPIN.

Et pourquoi ?

FERNAND.

L’ordonnance,
Monsieur...

CRISPIN.

Vous vous moquez. Je les fais par avance !
Je me tiens toujours prêt contre tous accidents :
En voilà pour les yeux, pour le flux, pour les dents.
235 Mais, ignorant son mal, il lui faut, ce me semble,
Une ordonnance propre à tous les maux ensemble ;
Il faudra que le sien se rencontre parmi.
Il donne une ordonnance.

FERNAND.

Charitable Monsieur, c’est agir en ami,
Cela ! Quel honnête homme !

CRISPIN.

En quel lieu couche-t-elle :

FERNAND.

240 Elle a, sur le derrière, une chambre assez belle.

LISE.

Oui, vraiment, une chambre assez belle, en effet !
Si sombre !

CRISPIN.

Croyez-moi, le devant est son fait :
Qu’on l’y mène ! Aussi bien, la journée est malsaine.

SCÈNE XII. Philipin, Fernand, Cantéas, Crispin. §

FERNAND, voyant venir Philipin.

Philipin, aide à Lise...

PHILIPIN.

À la fin, je l’amène :
245 Le voici.
Après que Philipin a dit cela, il aide à remener Lucresse.

CRISPIN.

Qui donc ? Qu’est-ce ?

FERNAND.

Un savant médecin.

CRISPIN, bas.

Médecin ? Malepeste !

CANTÉAS.

Excusez ce matin,
L’intendant d’un seigneur m’a contraint de me rendre,
Monsieur.

FERNAND.

Mon bon Monsieur, je n’ai pu tant attendre :
Au retour de chez vous, pour causer mon repos,
250 Ce fameux médecin s’est offert à propos,
Je l’ai pris.

CANTÉAS.

Monsieur ?

FERNAND.

Oui, mais qu’il a de mérite !
Si vous saviez.

CANTÉAS.

Je loue, et je plains ma visite :
Je me tiens malheureux d’avoir pu me ravir
Au plaisir que j’aurais de pouvoir vous servir,
255 Et de voir la fortune, à mes voux trop cruelle,
M’arracher au bonheur de vous prouver mon zèle ;
Mais, à voir qui pour vous a daigné s’occuper,
Je me tiens trop heureux qu’il ait pu m’échapper.
Le plaisir que je goûte est mêlé dans le vôtre ;
260 Si je perds d’un côté, je recouvre de l’autre,
Puisqu’enfin de Monsieur le sublime entretien,
D’être, un jour, tout à vous, m’offrira le moyen.
Apercevant qu’il est au milieu, il dit à Crispin :
Mais, Monsieur, pardonnez, ce n’est point par audace ;
Je n’ai garde, avec vous, d’occuper cette place :
265 C’est à vous qu’elle est due.

CRISPIN.

Ah !

CANTÉAS.

Monsieur...

CRISPIN.

Palsambleu,
Ah !

CANTÉAS.

Sans cérémonie on vous doit le milieu.
Crispin par deux, fois étant au milieu, comme Cantéas veut parler, il s’écoule par derrière lui, et reprend sa première place.
Eh ! de grâce !... Hippocrate... Hé, Monsieur, je vous jure
Qu’au lieu de m’obliger, c’est me faire une injure ;
Je vous prie. Hippocrate. À quoi bon tout cela ?
270 Conservez, votre place, hé, Monsieur, la voilà !
Empêchez, à vos yeux, que ma honte n’éclate.
Je reprends ma parole, et je dis qu’Hippocrate,
Qui de la médecine est l’illustre ornement,
De cet art salutaire a parlé doctement :
275 « Médecine est, dit-il, une longue science,
Tout à fait dangereuse en son expérience :
Car, touchant notre vie, elle passe si tôt,
Qu’on n’a pas le loisir d’en juger comme il faut.
Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praeceps,
280 Experimentum periculosum,judicium difficile. »
Je me plais à l’étude, et j’ai l’âme assidue
À vouloir de cet art pénétrer l’étendue.
Mais dedans cet abîme un esprit se confond :
Plus on l’approfondit, plus il semble profond.
285 Cette utile science en enferme tant d’autres,
Qu’il faudrait que mes yeux égalassent les vôtres,
Ou que de leurs rayons vous pussiez m’éclairer,
Pour m’offrir un moyen de ne pas m’égarer.

CRISPIN.

Ho, ho, ho !

CANTÉAS.

De plaisir on a l’âme ravie,
290 Alors que d’un malade on prolonge la vie ;
Et d’un grand médecin rien n’égale le sort,
Quand sa seule présence intimide la mort,
9
Quand il est l’ennemi que la Parque redoute,
Quand sa haute science en détourne la route,
295 Et qu’enfin le trépas, qui nous fait tous trembler,
Pour ne pas le combattre aime mieux reculer.
Mortem medicamentis removet medicus expers.
...................................
Je ne puis approuver l’importune méthode.
300 Mais peut-être, Monsieur, je vous suis incommode,
Car enfin comme vous les esprits élevés,
Aux emplois importants sont toujours réservés.

CRISPIN.

Ho, ho, ho !

CANTÉAS.

Je sors donc ; mais j’ose me promettre
Qu’étant moins occupé, vous pourrez me permettre
305 De chercher un prétexte à me faire jouir
Du plaisir qu’on reçoit, quand on peut vous ouïr.

SCÈNE XIII. Fernand, Crispin. §

FERNAND.

Hé bien, ce médecin, vous voyez comme il cause !
Qu’en dites-vous ?

CRISPIN.

Il sait quelque petite chose.

FERNAND.

Daignez-moi,je vous prie, informer de cela :
310 Touchant la médecine est-il expert ?

CRISPIN.

Là, là,
Passable.

FERNAND.

Il n’a donc pas la science parfaite ?
Pour qui passerait-il près de vous ?

CRISPIN.

10
Pour mazette.

FERNAND.

Mais, durant qu’il parlait, vous ne disiez mot ?

CRISPIN.

Moi,
Dites-vous ?

FERNAND.

Oui, vraiment, je dis : vous.

CRISPIN.

Je le crois.
315 Pour pouvoir de cet homme éprouver la science,
J’ai voulu me résoudre à garder le silence ;
Mais enfin, si le drôle eut voulu s’arrêter,
Allez, vous m’auriez vu diablement caqueter.
À dessein d’empêcher qu’un malade ne meure,
11
320 J’allais débagouler du latin tout à l’heure ;
Voir quel temps il fera dans un vieil almanach ;
12
Réciter tout par cour les Quatrains de Pibrac,
Et, pour mieux vous montrer qu’il est vrai que j’excelle
Je sais qu’un lavement fait aller à la selle ;
13
325 J’ai cent fois en ma vie acheté du séné,
Et je dis que le diable est un diable damné ;
Je soutiens que le corps est le frère de l’âme,
Que Séneque et Pauline étaient l’homme et la femme.
Que Narcisse en personne autrefois se noya,
330 Et semper quoniam tuos, alléluia.

FERNAND.

Je ne puis rien comprendre à ces phrases d’élite.

CRISPIN.

Je m’en aperçois bien ; mais adieu, je vous quitte.
Je verrai votre fille ou ce soir ou demain.

FERNAND, lui veut bailler de l’argent.

Monsieur.

CRISPIN.

Ah !

FERNAND.

Recevez ces louis de ma main.

CRISPIN.

335 Je n’ai garde.

FERNAND.

Prenez ; je vous dois récompense,
Monsieur.

CRISPIN.

Je ne suis pas un marchand de science.

FERNAND.

Hé, de grâce.

CRISPIN.

Non, non ; je vous suis serviteur.
Il s’en va.

SCÈNE XIV. §

FERNAND, seul.

Que cet homme est habile, et qu’il est grand docteur !
Ne point prendre d’argent pour des chose si bonnes !
340 Il ne ressemble pas ces tueurs de personnes,
Ces méchants médecins, qui, par un triste sort,
En curant notre bourse, enrichissent la mort.
Voyons ce qu’au logis sa science fait naître,
Et sachons.

SCÈNE XV. Fernand, Crispin. §

CRISPIN, en habit de valet.

Au plus vite attrapons notre maître.
345 Réjouissance. Ô dieux ! C’est Fernand, que je crois !
C’est lui-même !

FERNAND.

Est-ce pas mon docteur que je vois ?
C’est lui-même, c’est lui. Votre mine est pleureuse ?
Qu’êtes-vous ?

CRISPIN, pleurant.

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Moi, Monsieur ? Un pauvre homme qui gueuse.

FERNAND.

Quoi ! tu gueuses ?

CRISPIN.

Monsieur, mes malheurs sont si grands.

FERNAND.

350 Mais dedans cette ville as-tu point de parents ?

CRISPIN.

Ah ! Monsieur, des parents on n’a guère de grâce ;
Je suis frère à mon frère, et c’est lui qui me chasse.

FERNAND.

Il faut donc que sans doute il en ait du sujet.
Qu’as-tu fait ?

CRISPIN.

15 16
Répandu la moitié d’un julep.

FERNAND.

355 Il est donc médecin ?

CRISPIN.

Oui, Monsieur.

FERNAND.

Il me semble
Que ce frère en colère à peu près te ressemble ?

CRISPIN.

Oui, Monsieur.

FERNAND.

Penses-tu qu’on le puisse apaiser ?

CRISPIN.

Non, Monsieur.

FERNAND.

Si tu veux, je lui vais proposer ?

CRISPIN.

Il ne souffrira pas que jamais je le voie,
360 Monsieur.

FERNAND.

Si je m’en mêle, il aura de la joie.
Je le viens de quitter, il est fort mon ami.

CRISPIN.

S’il est vrai, je ne sens ma douleur qu’à demi,
Car, Monsieur, je vois bien que vous êtes brave homme.
Vous aurez de la peine à souffrir qu’il m’assomme.

FERNAND.

365 Attends-moi ! De ce pas, je m’en vais le chercher.

CRISPIN.

Moi, Monsieur ? Point du tout. Je m’en vais me cacher.

FERNAND.

Mais il faut te montrer ?

CRISPIN.

Ah ! Monsieur, je ne l’ose,
Sans savoir si vos soins auront fait quelque chose.
Je m’en vais, s’il vous plaît, vous attendre à l’écart.

SCÈNE XVI. §

FERNAND, seul.

370 Ce garçon malheureux est venu sur le tard :
Deux minutes plutôt, je l’accordais sur l’heure.
Foin de moi ! Je ne sais où son frère demeure ;
Mais toujours je l’attends, sur le soir.

SCÈNE XVII. Fernand, Cripin. §

CRISPIN, en soutane.

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Ah ! Maraud !
Je vous jure.

FERNAND.

Ah ! Monsieur, vous venez comme il faut :
375 Vous pouvez, en ce lieu, m’accorder une grâce.

CRISPIN.

Moi, Monsieur ! Il n’est rien que pour vous je ne fasse.
Commandez !

FERNAND.

Votre frère, il a tant de douleur,
Que j’ai droit d’espérer.

CRISPIN.

C’est un coquin, Monsieur.

FERNAND.

Il a tort, il l’avoue ; il se nomme coupable ;
380 Mais, Monsieur, une faute est assez pardonnable.
Désormais, il en jure, il veut être meilleur,
Vous aimer, vous servir.

CRISPIN.

C’est un fripon, Monsieur.

FERNAND.

Ne vous puis-je résoudre à la miséricorde ?

CRISPIN.

C’est un pendard. Monsieur, qui mérite la corde.

FERNAND.

385 C’est manquer de parole aux plus rares amis.
S’il vous en ressouvient, vous m’avez tout promis,
Monsieur. Ce n’était donc qu’une pure grimace ?

CRISPIN.

Il est vrai, ma parole, en effet, m’embarrasse.
C’en est fait, je pardonne à ce traître : il vous plaît.

FERNAND.

390 Il ne tiendra qu’à vous de le voir comme il est.

CRISPIN.

Moi, Monsieur, moi, le voir, en présence du monde !
18
Quand je vois ce coquin, mon courroux se débonde.
Je ne puis.

FERNAND.

Hé ! Monsieur, il ne faut qu’un instant...

CRISPIN.

Je ne le puis, vous dis-je : un malade m’attend.
395 Mais, touchant ce maraud, je consens qu’il revienne.
Serviteur !

SCÈNE XVIII. §

FERNAND, seul.

Quelque effet qui jamais en advienne
À ce pauvre garçon, qui frissonne d’effroi,
Je veux faire accorder le pardon devant moi.
Que son frère est honnête ! Il s’en vient de l’absoudre,
400 Et j’ose.

SCÈNE XIX. Crispin, Fernand. §

CRISPIN, en pleurant, et en habit de valet.

Hé bien, Monsieur, a-t-il pu s’y résoudre ?
Dois-je devant ses yeux ne paroistre jamais ?
Dois-je ?

FERNAND.

Ne pleure point, j’ai su faire ta paix.

CRISPIN.

Vous croirai-je, Monsieur ? N’est-ce point moquerie ?

FERNAND.

Quoi ! Tu peux.

CRISPIN.

Ah ! Monsieur, je connais sa furie :
405 Il a bien de la peine à pouvoir pardonner.

FERNAND.

Aussi, ne veux-je pas te laisser retourner ;
Je veux qu’il te pardonne en ma propre présence.

CRISPIN.

Du pardon de ma faute avez-vous l’assurance,
Monsieur ?

FERNAND.

Oui.

CRISPIN.

C’est assez que mon frère ait parlé :
410 De vos soins obligeants je serais querellé,
Monsieur ; votre bonté pourrait mal me remettre.

FERNAND.

Mais il peut oublier ce qu’il vient de promettre ;
Puis, après...

CRISPIN.

Point, Monsieur, je le vois fort exact :
Quand on a sa parole, elle vaut un contrat.
415 Désormais, de sa part, je ne crains nul outrage,
Monsieur.

FERNAND.

J’ai résolu d’achever.

CRISPIN, bas.

J’en enrage.

FERNAND.

Entre sur ce derriere.

CRISPIN.

Hé ! Monsieur, où le voir
À cette heure ?

FERNAND.

En tout cas, il viendra sur le soir.
Entre, dis-je !
Il entre, et Fernand ferme la porte à clef.

SCÈNE XX. §

FERNAND, seul.

En ceci ma charité se montre.
420 Mais de notre docteur recherchons la rencontre :
Il faut battre le fer, ce pendant qu’il est chaud.

SCÈNE XXI. §

CRISPIN, à la fenêtre.

Me voilà, grâce à Dieu, raisonnablement haut !
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Trop obligeant grison, ta douceur m’assassine.
Maudit moi, maudit maître, et maudite doctrine,
425 Et maudite Lucresse, et maudits six louis,
Par qui mes yeux tentés se sont vus éblouis !
Maudit... Quoi ?... Je commence à connaître ma faute.
Têtebleu ! D’ici là le moyen que je saute ?
Il le faut toutefois. Taupe à tout !
Il saute de la fenêtre en bas.

SCÈNE XXII. §

PHILIPIN, qui sort.

À présent,
430 Je viens dire. Ma foi ! Ce sauteur est plaisant.
Mais il sort de chez nous ; il n’a rien que je sache ;
Il faut, pour l’épier, qu’un moment je me cache.
Mais j’entends que l’on parle. Attrapons quelque coin.

SCÈNE XXIII. Crispin, Fernand et Philipin, au bout du théâtre. §

CRISPIN, en soutane, dit à Fernand :

Pour un gueux comme lui vous prenez trop de soin :
435 Il mériterait bien qu’on punît son audace,
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Le vaurien !

FERNAND.

C’est là-haut qu’il attend votre grâce :
Moi,je vous la demande, à la charge d’autant,
Si jamais.

CRISPIN.

En quel lieu dites-vous qu’il m’attend,
Le coquin ?

FERNAND.

Voyez-vous cette grande fenestre ?

CRISPIN.

440 Il m’entend, le bourreau, mais il n’ose paraître ;
De m’avoir offensé l’insolent est confus.
Je n’ai pas le pouvoir de vous faire un refus :
Ouvrez, j’entre.

FERNAND.

Avec vous faut-il pas que je monte ?

CRISPIN.

Pour le bien châtier, faisons-lui cette honte ;
445 Montez, oui, montez. Non, épargnons ce maraud ;
Écoutez seulement : je lui parlerai haut,
C’est assez.
Crispin entre seul.

FERNAND.

Je le veux ; refermons cette porte,
Et voyons.

SCÈNE XXIV. Philipin, Fernand et Crispin, dans lamaison. §

PHILIPIN, à Fernand.

Quoi ! Monsieur, vous craignez qu’il ne sorte ?
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Malepeste ! Le drille ! Il sait bien d’autres tours,
450 Le manouvre !

FERNAND.

Pourquoi me tiens-tu ce discours ?
Ou respecte cet homme, ou redoute ma canne.

PHILIPIN.

Quand on est baladin, porte-t-on la soutane ?
À propos. Dites donc, vous riez ?

FERNAND.

Si je ris,
Sot !

PHILIPIN.

Votre ensoutané saute mieux qu’un cabri,
455 Je le sais ; mais, chez vous, que peut-il aller faire ?
Répondez, s’il vous plaît ?

FERNAND.

Pardonner à son frère :
Il était en courroux, pour certains accidents.

PHILIPIN.

À ce compte, son frère est aussi là-dedans,
Est-ce pas ?

CRISPIN, à la fenestre.

Ah ! Fripon friponnant.

FERNAND, à Philipin.

460 Tiens,écoute.

CRISPIN, continuant.

Voyez ce qu’aujourd’hui votre faute me coûte !
J’aurais eu le plaisir de jamais ne vous voir,
Si Monsieur dessus moi n’avait pas tout pouvoir ;
Mais je l’honore plus que personne du monde.

FERNAND, à Philipin.

465 Tu vois bien.

PHILIPIN.

Pour le moins, que son frère réponde !
Il le doit.

FERNAND, à Crispin.

Votre frère, à son tour, ne dit mot.
Qu’il parle !

CRISPIN.

Entendez-vous, beau pleureux, maître sot ?
Si ma juste colère est sitôt adoucie.
Déguisant sa voix et pleurant.
470 Monsieur, je vous rends grâce, et je vous remercie.
Je n’ai pas à dessein répandu. Taisez-vous !
Si jamais. Paix ! Vous dis-je, et craignez mille coups.
Je puis. Taisez-vous donc. Mais,mon cher frère. Encore.

PHILIPIN.

Comment diable fait-il, le futé ? Je l’ignore.

FERNAND.

475 Ils sont deux.

PHILIPIN.

Il le semble ; il n’en est pourtant rien.
Mais de bien le savoir je découvre un moyen :
Dites que devant vous il embrasse son frère.

CRISPIN.

N’était monsieur Fernand que je veux satisfaire,
23
Pécore.

FERNAND.

Il aurait tort de vous plus offenser ;
480 Mais, Monsieur, pour me plaire, il le faut embrasser,
Et toujours...

CRISPIN.

L’embrasser !

PHILIPIN.

Que cela l’embarrasse !
Voyez.

FERNAND.

De votre part je prétends cette grâce.

CRISPIN.

Il serait trop honteux, si ce bien peu commun...

PHILIPIN.

Je vous jure ma foi, qu’ils ne sont, ma foi, qu’un.
485 Le madré ! Gardez-vous des finesses qu’il brasse !

FERNAND, à haute voix.

Seras-tu trop honteux si ton frère t’embrasse,
L’enfermé ?

CRISPIN.

C’est à lui... Paix, monsieur le badaud !
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Paix, fripon ! Paix, belître ! Et venez ici haut !
Crispin met son chapeau sur son coude, et puis l’embrasse si adroitement qu’il semble que ce soit une autre personne.
C’est moins par amitié que ce n’est par contrainte ;
490 Venez, dis-je !

FERNAND, à Philipin.

Tu vois, ce n’est pas une feinte.

PHILIPIN.

Je n’y vois, ma foi, goutte, et ne sais ce que c’est.

CRISPIN, à Fernand.

À présent.

FERNAND.

À présent descendez, s’il vous plaît ?
Je vous ouvre.

PHILIPIN.

Épions : car, ou bien je suis ivre,
Ou bien...
Il sort et met bas la soutane ; puis, comme Fernand est entré, croyant faire sortir un autre frère, Crispin prend l’occasion, et monte fort diligemment par la fenêtre, et ensuite sort avec Fernand, comme si, en effet, il était frère du Médecin.

CRISPIN, descendu.

J’ai fait défense au coquin de me suivre ;
495 J’en aurais de la honte... Il viendra par après.
Adieu.

FERNAND.

Je suis ravi d’avoir fait cette paix ;
Mais faisons sortir l’autre.

PHILIPIN, ramassant la soutane de Crispin.

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Ah ! Je tiens votre gaine,
Doctissime !

CRISPIN, En habit de valet.

Est-il loin ?

FERNAND.

Assez loin.

CRISPIN.

Que de peine,
Monsieur !

FERNAND, à Philipin.

Hé bien ?

PHILIPIN.

Hé bien, sont-ils deux ?

FERNAND.

Ah ! vraiment.

PHILIPIN, montrant Crispin et sa soutane.

500 Voilà l’un, voilà l’autre.

CRISPIN.

Ah ! Grands dieux !

FERNAND.

Quoi ? Comment ?
Que dis-tu ?

PHILIPIN.

Qu’à merveille il grimpe une fenêtre.

FERNAND.

Ah ! Perfide.

CRISPIN.

Ah ! Monsieur, sachez tout de mon maître :
Le voici.

SCÈNE XXV ET DERNIÈRE. Fernand, Cléon, Lucresse, Crispin, Philippin, Lise. §

FERNAND.

C’est Cléon ! C’est ma fille. Ah ! rusé !
Ce Cléon l’a séduite, et tu m’as amusé,
505 Médecin de malheur !

CLÉON.

Quoi ! Monsieur.

FERNAND.

Je te jure
Que tu l’épouseras, ou je te défigure.

LUCRESSE.

Daignez.

FERNAND.

Point de quartier : il sera ton époux,
Ou du moins.

CLÉON.

Cet hymen a des charmes si doux,
Monsieur.

CRISPIN.

Sans affecter compliment ni surprise,
510 Vous, le fait de Lucresse, et moi, le fait de Lise,
Confondant tout ensemble et nos biens et les leurs,
Faisons des médecins, ou volants, ou voleurs.