LA LOTERIE
COMÉDIE

M. DC. XCVII, AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

De Mr DANCOURT

EXTRAIT du PRIVILÈGE DU ROI. §

Par Grâce et Privilège du Roi, donné à Paris le vingt-huitième août 1695. Signé, Par le roi en son Conseil, LE FEVRE, il est permis à THOMAS GUIILAIN, Marchand Libraire à Paris, de faire imprimer un Recueil des Comédies du Sieur Dancourt, pendant le temps de six années, à compter du jour qu’elles seront achevées d’imprimer pour la première fois, en vertu des présentés, pendant lequel temps très expresses inhibitions et défenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, de faire imprimer, vendre ni débiter les dites Comédies, d’autre édition que celles de l’exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de quinze cents livres d’amende, sans payable déport par chacun des contrevenants, et de tous dépens, dommages et intérêts, et autres peines portées plus au long par les dites Lettres de Privilège.

Registré sur le Livre de lu Communauté des Imprimeurs et Libraires de lu Ville de Paris, le premier Septembre 1695.

Signé P. AUBOUYN, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la première fois, en vertu du présent privilège, le 27 juillet 1697.

À PARIS, chez Thomas GUILLLAIN, proche les Augustins, à la descente du Pont-Neuf, à l’image Saint Louis.

ACTEURS §

  • MONSIEUR SBRIGANY.
  • ARIANE, fille de Me Sbrigany.
  • LISETTE, suivante de Mariane.
  • LE FLAMAND.
  • PETRONILLO, garçon de boutique de Monsieur Sbrigany.
  • BASTIEN, paysan.
  • LA FRANCE, valet de Chambre.
  • ERASTE, commis, amant de Mariane.
  • SIGNOLET, domestique de Mr Sbrigany.
  • LE GASCON.
  • MADAME DE LA CLOCHE.
  • LA PROCUREUSE.
  • LA MARQUISE.
  • LE FINANCIER, oncle d’Éraste.
  • UN LAQUAIS de la Marquise.

SCÈNE PREMIÈRE. Mariane, Lisette. §

MARIANE.

Non, te dis-je, il n’y a rien au monde qui soit capable de me faire changer de résolution, et je me donnerai plutôt la mort que de renoncer à la tendresse qu’on m’a fait prendre pour Éraste.

LISETTE.

Ouais. Vous le prenez là sur un ton bien héroïque vraiment ; et comment l’entendez-vous donc, s’il vous plaît ; vous n’êtes à Paris que depuis deux ans, et vous voila déjà aussi extravagante que si vous y aviez été élevée toute votre vie.

MARIANE.

Et quelle extravagance trouves-tu dans une passion toute légitime, autorisée par l’aveu de mon père, soutenue par tout le mérite d’Éraste, et qui s’est augmentée de jour en jour par un secret penchant que je ne puis vaincre.

LISETTE.

Hé mort de ma vie, c’est ce penchant-là que je trouve ridicule. Oh pour cela je ne vous comprends point. Est-il possible qu’une fille Napolitaine formée ( je ne dirai pas du plus pur ni du plus noble sang de ce pays-là ) mais du plus subtil du moins. La fille de Monsieur Sbrigany en un mot connaisse une autre passion que celle de son intérêt, et qu’elle puisse être sensible à quelqu’autre chose qu’à sa fortune. Allez, Mademoiselle, vous ne méritez pas l’honnête homme de père que le Ciel vous a donné, et si j’étais a sa place...

MARIANE.

Mais que veux-tu donc dire, Lisette, n’est-ce pas lui qui m’a permis de recevoir les soins et les assiduités d’Éraste. Il nous destinait l’un pour l’autre ; il lui a donné sa parole.

LISETTE.

Oui quand il a cru avoir besoin de lui pour son établissement, et pour son commerce. Éraste est un honnête, Commis de la Douane, fort bon garçon, de bonne famille, fort joli homme ; votre Père et lui étaient associés pour frauder les droits, et pour faire passer des marchandises de contrebande, et vous étiez le noeud de la société vous. Tant que Monsieur Sbrigany n’a été que marchand ce parti-là vous convenait à merveilles : mais à présent cela est bien au dessous de vous. Il fait une Loterie, ce n’est plus un commis qu’il lui faut pour gendre, c’est un commissaire.

MARIANE.

Moi, je serais mariée a un commissaire ?

LISETTE.

Pour mariée je n’en jurerais pas. Mais tant que la Loterie durera du moins, vous y serez promise. La voila tirée, quand elle sera finie, le produit à couvert, les lots distribués tant bien que mal, on congédiera le commissaire, et selon l’exigence des cas, ou l’occurrence des affaires, on vous promettra dans la suite à quelqu’autre, à qui l’on ne tiendra pas mieux parole. Malepeste c’est un habile homme que votre père , il n’y a rien qu’il ne mette à profit.

MARIANE.

Que je suis malheureuse.

LISETTE.

Vous comprenez bien par là que pour la tranquillité de votre coeur, et pour le bien de vos affaires, il ne faut prendre de l’amour pour personne, et faire bonne mine à tout le monde : on ne sait pas de qui on peut avoir besoin.

MARIANE.

Mon coeur ne dépend plus de moi, ma pauvre Lisette, et quelque chose que l’on fasse on ne me réduira jamais à me contraindre, et à épouser un autre qu’Éraste.

LISETTE.

Paix, taisez-vous voici quelqu’un.

SCÈNE II. Le Flamand, Mariane, Lisette. §

LE FLAMAND.

Jentrir moi librement, Mameselle, mais jaure bonne grâce di le faire, parce que moi vouloir dire quelque chose à Monsir le Marchand de Loterie.

MARIANE.

Ce n’est pas à moi qu’il faut s’adresser, Monsieur, Lisette faites parler à mon père.

LE FLAMAND.

Non, non, point précipiter vous, Mondame, moi attendre commodément son commodité, moi faire un petit parlement de conversation avec Mameselle.

MARIANE.

Votre conversation me ferait beaucoup d’honneur et de plaisir, Monsieur, mais je n’ai pas le temps d’en profiter. Allons, Lisette, mon père va venir ; Monsieur je suis votre servante.

LE FLAMAND.

Adieu donc, Mameselle.

LISETTE.

Votre très humble servante, Monsieur.

SCÈNE III. Sbrigany, Le Flamand. §

LE FLAMAND.

Adieu l’autre Mameselle. L’être beaucoup grandement civilité, les Mondames desti pays. Ah bonjour vous Monsir, comment si portir votre personne ?

SBRIGANY.

Fort à votre service, Monsieur, demandez-vous quelque chose ?

LE FLAMAND.

Oui, Monsir, moi venir faire un petite proposition al Monsir qui fait la Loterie.

SBRIGANY.

C’est moi-même, Monsieur, de quoi s’agit-il ?

LE FLAMAND.

Vous étrancher en sti pays, Monsir.

SBRIGANY.

Oui, Monsieur, je suis originaire de Naples.

LE FLAMAND.

1

Naples bon Pais, mais grandement fripon. Un Marchand de sti ville maure une fois emprunté cent pistoles par manière de banqueroute.

SBRIGANY.

Je le crois bien, Monsieur, il y a bien de la mauvaise foi dans le monde.

LE FLAMAND.

Et un autre Marchand de sti Ville encor al Foire de Guibrai aure une autrefois troqué son valise pleine de rien contre mon valise à moi pleine d’argent, et de bonnes baguetelles. Vous connaître point ces fripons-là de votre pays, Monsir ?

SBRIGANY.

Non, Monsieur, je vous assure que je n’ai commercé qu’avec d’honnêtes gens, je fais profession d’une si exacte probité...

LE FLAMAND.

Vous faire pourtant une Loterie, Monsir.

SBRIGANY.

Oui, Monsieur : Mais...

LE FLAMAND.

L’être un fort bon marchandise qu’une Loterie, et si vous vouloir bien permettre, Monsir, moi avoir intention de mettre beaucoup al vôtre.

SBRIGANY.

Elle est fermée, Monsieur, mais cela n’empêche pas, si vous voulez, j’ai des boîtes de reste, et de quoi faire de nouveaux lots. Vous êtes le maître, donnez toujours votre argent ; combien voulez-vous de billets ?

LE FLAMAND.

Ah ! Monsir.

SBRIGANY.

Ils sont tous noirs premièrement.

LE FLAMAND.

Oui, Monsir, mais...

SBRIGANY.

Il n’y en a pas un de blanc, Monsieur, autant de billets, autant de lots. Je fais cela pour me divertir.

LE FLAMAND.

Moi le savoir bien le divertissement bien joli, mon foi, mais point vouloir disti billets noirs moi. Moi entendre un peu la manigance : moi n’être pas un parisien, Monsir.

SBRIGANY.

Que voulez-vous donc dire, Monsieur, et comment l’entendez-vous, s’il vous plaît ?

LE FLAMAND.

Avec votre permission, Monsir, moi l’être un Marchand de Bruxelles, et comme j’aure des bijoux, des montres, des diamants, des tabletieres, moi les prêter à vous pour montre seulement à la Loterie, afin d’attraper les bonnes personnes de sti grande bonne Ville. Après vous me rendre tout, et me bailler mon part de l’attrapement.

SBRIGANY.

Pour qui me prenez-vous, Monsieur ; je vous trouve admirable.

LE FLAMAND.

Monsir, Monsir.

SBRIGANY.

Je ne suis point un fripon.

LE FLAMAND.

Moi saure bien que si Monsir, mais...

SBRIGANY.

Je suis homme d’honneur.

LE FLAMAND.

Et moi l’être bien aussi tout de même, Monsir, Et vous demande en grâce de n’y point beaucoup trop attraper tout le monde dy Paris sti fois-ci, afin que moi puisse l’autrefois encor attraper une bonne partie.

SCÈNE IV. §

SBRIGANY.

À ce que je puis voir les étrangers ne sont pas trop dupes, et il n’y a pas de pays au monde ou une Loterie comme la mienne rendît si bien qu’à Paris.

SCÈNE V. Lisette , Sbrigany. §

SBRIGANY.

Hé bien, Lisette, as-tu déterminé ma fille a ne plus voir Éraste, et à recevoir favorablement Monsieur Desfourneaux le Commissaire : nous aurons peut-être besoin de lui, comme tu sais.

LISETTE.

Vous avez raison, Monsieur, et la Loterie pourrait devenir tumultueuse sur les fins : Mais voulez-vous que je vous dise, outre que Mademoiselle votre Fille est un peu rétive à vos ordres, je doute que la seule protection de Monsieur Desfourneaux puisse vous garantir de l’orage qui se prépare.

SBRIGANY.

Ne te mets pas en peine ; il y a de bons lots dans de certaines boites.

LISETTE.

Vous avez eu bien de la peine à vous résoudre d’y en mettre.

SBRIGANY.

Oh pour cela non : il faut avoir de la conscience. Je passe pour honnête homme, et je le suis dans le fonds.

LISETTE.

On le voit bien. Mais m’en croirez-vous, Monsieur, faites distribuer vos petits lots par Madame votre femme. Il y a longtemps qu’elle vous embarrasse, c’est un vrai moyen pour vous en défaire.

SBRIGANY.

Tu crois donc, Lisette...

LISETTE.

2

Je crois, Monsieur, que nous serions bienheureux tous tant que nous sommes, d’en être quittes pour les étrivières.

SBRIGANY.

Tu prends l’alarme mal-à-propos. De quoi se plaindra-t-on. Je tiens ce que j’ai promis. Il n’y a que des billets noirs une fois.

LISETTE.

Cela est vrai. Mais il y a bien de petits lots, que de mouchoirs ! Où diantre avez-vous attrapé tout cela ?

SBRIGANY.

Va, va, mon enfant, je n’ai point mal fait de mettre tous ces mouchoirs-là.

LISETTE.

Non, sans doute, ceux qui pleureront la perte de leur argent, auront de quoi s’essuyer les yeux du moins. Cela sera bien commode.

SBRIGANY.

Tu plaisantes mal à propos. Mais dans le fonds le public ne fera pas si lésé que tu te l’imagines.

LISETTE.

Oui-da , oui-da, vous faites aller les choses en conscience, et pour un homme de votre pays vous ne prenez pas trop, assurément. Mais il se trouvera des médisants qui diront le contraire. Il y aura des mal intentionnés qui le croiront, et qui feront comme si cela était ? Le peuple a l’esprit si mal tourné quelquefois. Croyez-moi, Monsieur, précautionnez-vous un peu plus que vous ne faites ; cela ne saurait vous nuire.

SBRIGANY.

Quelles précautions veux-tu que je prenne ? J’ai fait mettre à la porte une bonne barrière, bien garnie de pointes de fer, et deux gros Suisses avec des moustaches qui font plus d’effet que des hallebardes.

LISETTE.

N’auriez-vous point quelque ingénieur de vos amis qui pût y faire quelques petites fortifications. Je crois que cela ne serait pas inutile, et je me souviens que de certains Officiers cet hiver, en vous donnant leur argent, vous firent entendre...

SBRIGANY.

Ils sont à l’Armée les Officiers. Je prends bien mon temps, comme tu vois, s’ils sont fâchés ils pesteront de loin, je n’en entendrai rien.

LISETTE.

Vous deviez attendre aussi les vacances pour faire pister de loin les gens de robe. Mais, Monsieur, il y a de certains petits déterminés d’enfants de Paris qui pourraient bien...

SBRIGANY.

Les plus mutins sont de mes amis, j’ai fait un nota à leur numéro, ils auront de bons lots ceux-là ; je sais bien ce que je fais, notre barrière nous suffira.

LISETTE.

Nous en allons faire l’expérience. On a déjà donné des boites ce matin. Nous verrons comment cela commencera.

SBRIGANY.

Aie un peu l’oeil à tout, ma pauvre Lisette, et prends bien garde qu’on ne distribue pas un lot pour l’autre.

LISETTE.

Hé que craignez-vous. Vous savez bien qu’il n’y a que de petits lots dans les boites d’aujourd’hui. Comme c’est toujours la même chose il n’y a point à s’y méprendre.

SBRIGANY.

On pourrait en donner deux pour un, ce ne serait pas mon compte.

LISETTE.

Hé mort de ma vie, laissez faire, de quoi vous embarrassez-vous. Vous en donneriez quinze pour quatre que vous y gagneriez encore.

SBRIGANY.

Il n’importe, fais ce que je souhaite.

LISETTE.

J’y vais. Aussi bien voilà vôtre fidèle garçon de boutique qui a quelque choie à vous dire.

SCÈNE VI. Petronillo, Sbrigany. §

SBRIGANY.

Qu’est-ce que c’est quhaveté, Signor Petronillo.

PETRONILLO.

3

E niente Signor, e niente una bagatelle.

SBRIGANY.

Que cosa e que vol dire una bagatelle.

PETRONILLO.

4

Il m’a pris un remords de conscience, Monsir, j’ai paour.

SBRIGANY.

Et de quoi paour?

PETRONILLO.

D’être pendu, Signor.

SBRIGANY.

Ah l’animai, et perché pendu.

PETRONILLO.

Perché, perché, voi siete un furbo Monsu.

SBRIGANY.

Moi un fourbe ?

PETRONILLO.

Si signor, un fripon autrement tutt’il mundo il dicé labas et mi que sabbi ben qui é la verita non posso dire il contraire.

SBRIGANY.

Hé qui diantre peut déjà se plaindre , à peine ont-ils eu le temps d’ouvrir leurs boites.

PETRONILLO.

Lé sta barricada quhaveté fait mettre labas que sa marmurar tutt’il mundo et se non sarai sourbarie, non sarai bisongna di barricada.

SBRIGANY.

Le beau préjugé. Va,va, va al tuo negotio.

PETRONILLO.

Signor, ho una cosa avi dire auparavant.

SBRIGANY.

Que cosaé ?

PETRONILLO.

Que si non mi date la mia parté de toutes les friponneries fatte et à fare non posso en conscience, empedir mi d’en fare considenza au public, et à la Justice.

SBRIGANY.

Mais voila des tours qui ne se sont point ; que veut dire cela ?

PETRONILLO.

Ca vol dire que vo signoriè é un grand fripon, et mi un petit voi sieté et maistre et mlle garson. Voi fourbaté toute la cita ê io vi furbo.

SBRIGANY.

Ma d’oue éla tua conscienza, signor Petronillo.

PETRONILLO.

E andata con la vostra fare un tourno aux Antipodes.

SBRIGANY.

Hé bien, finissons, je ne veux point de bruit, je vous donnerai cent pistoles.

PETRONILLO.

Cent pistolles non é assai ho scritto trente mille billets, et ho fatto par conséquent trente mille injoustices, ça vaut davantage, date mi deux cens Louisis d’or, saro contentodi voi et voi serez content de moi.

SBRIGANY.

Je te les promets, et je te les donnerai.

PETRONILLO.

Ah vi vingracio lassiate dire il popoli voi siete un honneste homme, mes remors sont finis, je n’ai plus paour.

SCÈNE VII. Lisette, Sbrigany, Petronillo. §

LISETTE.

On a déjà donné bien des petits lots à bien des gens qui s’en retournent en jurottant, Monsieur ; mais voici une boîte qui vous fera juroter à votre tour je pense.

SBRIGANY.

Comment donc, qu’est-ce que c’est ?

LISETTE.

Voyez ce billet. Tenez je suis sûre que ni votre garçon ni vous n’avez pas eu intention d’y mettre ce qui y est, et je n’ai pas voulu qu’on délivrât sans vous en avertir.

SBRIGANY.

Tu as bien fait. Un gobelet d’or, Petronillo.

PETRONILLO.

Monsou.

SBRIGANY.

Vois donc, tu t’es mépris aparamment.

PETRONILLO.

Non, Monsou, c’est sta manière dont nous sommes convenus.

SBRIGANY.

Ah, ah, mi ricordo.

PETRONILLO.

Tenez, Madame Lisette, D-O-R non vol pas dire d’or. Non.

LISETTE.

D-O-R ne veut pas dire d’or.

PETRONILLO.

Non, il y a un pâté, prenez garde.

LISETTE.

Hé bien.

PETRONILLO.

Si la boîte est à une femme, à un bourgeois, à un homme de robe, D-O-R et un pâté vol dire doté, entendez-vous.

LISETTE.

Oh bien, ce n’est ni femme, ni bourgeois, ni homme de robe, c’est un drôle qui n’entend point de raillerie, et qui jure comme un enragé, parce qu’on le fait attendre.

SBRIGANY.

Il fait du bruit.

LISETTE.

Un bruit de diable. Il sait lire, je vous en avertis, et D-O-R et un pâté ne voudront pas dire doré pour cet homme-là.

PETRONILLO.

Ça mérite explication, nous chicannerons et on s’accommodera, la ciate fare et dimorate en repos.

SCÈNE VIII. Lisette, Sbrigany. §

LISETTE.

Votre Petronillo est un hardi fripon ; mais je crains les suites.

SBRIGANY.

Bon les suites, je connais mon monde. Va ne te mets pas en peine, entre nous, Lisette, partout ailleurs qu’en ce pays-ci je ne risquerais pas une chose comme celle- là ; mais à Paris il n’y a rien à craindre , ce sont gens glorieux pour 1a plupart, qui ne se plaignent jamais d’être dupes, pour éviter la honte de l’avoir été. Les moins attrapés se moqueront de ceux qui le seront davantage, et ceux qui ne l’auront point été du tout, me sauront gré d’avoir dupé les autres.

LISETTE.

Mais en effet, il y a un espèce de mérite dans ce que vous faites au moins. Apprendre à vivre à toute une ville. Votre loterie sera fort instructive pour le public, Monsieur.

SBRIGANY.

Comme je n’ai pas envie d’en faire d’autres , il m’importe peu qu’on se guérisse de la folie qu’on a eue d’y mettre.

LISETTE.

Oh, par ma foi, après celle-ci il faut tirer l’échelle. On y connaîtra le fonds et le tréfonds de la bonne foi des Loteries : et je ne crois pas que désormais il soit besoin d’aucune Ordonnance de police pour les défendre.

SBRIGANY.

Tu prends les choses du bon côté, tout le monde y trouvera son compte de cette manière-là : mais qui diantre laisse ainsi monter sans avertir. Que veut cet homme.

SCÈNE IX. Bastien, Sbrigany, Lisette. §

BASTIEN.

Serviteur, Monsieur de la Loterie ; c’est un de vos Suisses qui m’a dit d’entrer, et de parler à vous-même, parce que Messieurs vos gens sont des insolents, qui nacouront personne, et des baragoins que personne n’entend.

SBRIGANY.

Qu’est-ce qu’il y a ; demandez-vous quelque chose ?

BASTIEN.

Si je demande quelque chose ; oh dame acoutez, c’est le cousin Barthelemy, le fils de ma tante Renée, qui est un de vos Suisses. Je sommes tous deux de Courbevoie, li a six mois qu’il est archet du Guet, c’est un drôle qui fera fortune.

LISETTE.

On n’a que faire de votre généalogie ; que demandez-vous encor une fois ?

BASTIEN.

Palsangué je demande de gros lots. Tenez, j’ai opinion que je ferai fortune à cette Loterie. Les vegnes et les bleds promettont marveille dans notre village, et les femmes y mouront dru comme mouches. Je sis veuf depuis trois semaines, m’est avis que je sommes dans une année de bonheur ; ça dépêchons, vêla ma carte, j’ai six billets au moins, baillez-moi ma boîte.

SBRIGANY.

Comment, comment votre boîte, numéro deux mil quarante ; allez, mon ami, vous n’aurez votre boîte de quinze jours.

BASTIEN.

De quinze jours !

LISETTE.

Hé oui, de quinze jours, votre tour ne viendra que dans ce temps-là, c’est une règle.

BASTIEN.

Oh tastigué je me gausse de la règle moi, je n’ai pas le temps de revenir, j’ai là-bas ma charrette et deux bons chevaux. Je vians d’amener du foin, vous ne voudriais pas que je m’en retournasse à vide. Hé morgué ne me faites point languir, baillez-moi ma boîte, je vous baillerai le plaisir de la tirer devant vous.

SBRIGANY.

Mais cela troublera l’ordre que je me suis proposé.

LISETTE.

Que vous importe, expédiez ce pauvre diable, Monsieur, puisqu’il a amené sa charrette.

BASTIEN.

Hé oui pargué, c’est ça, j’emporterai dedans ce que je gagnerai.

LISETTE.

Ce sera autant de fait, et il ne vous en coûtera pas davantage.

BASTIEN.

Alle a raison.

SBRIGANY.

Qu’il me donne donc sa carte, je vais chercher la boîte.

SCÈNE X. Lisette, Bastien. §

BASTIEN.

5

Oh palsangué tenez ; qu’à ça ne tienne. Morgué vous êtes une bonne pâte de créature. Si j’avais une minagère comme vous, je serais bien-aise d’en avoir de la race. Allez, si je gagne ici quelque chose de bon ne vous boutez pas en peine. Mais, voyez-vous, je n’aimerais pas à tirer blanque.

LISETTE.

Et le moyen de tirer bianque, il n’y a que des billets noirs.

BASTIEN.

Ça est vrai. Que des billets noirs dans cette Loterie, ça est admirable dans cette manière-là, plus on y boute, plus on y gagne, c’est un profit tout clair.

LISETTE.

Assurément.

BASTIEN.

Mais votre Monsieur ni songe pas de se ruiner comme ça, que des billets noirs ! Faut qu’il ait bonne bourse sthomme-là.

LISETTE.

Il fait cela pour son plaisir, quand il lui en coûterait un millier de pistoles.

BASTIEN.

6

C’est bien dit, il rattrapera ça d’un autre côté, faut bien amorcer les gens de Paris avec quelque chose, ça li revanra, nan dit qua cette foire, il leur vend des babioles et des mirlifiches qu’ils achetons comme de bonne marchandise. Il en sait bien long, et ils n’en savont guère eux. Je nous gobergeons d’eux quand je les tenons au village.

SCÈNE XI. Sbrigany, Lisette, Bastien. §

SBRIGANY.

Voilà votre boîte, il a fallu la chercher parmi plus de huit mille. Vous êtes bienheureux.

BASTIEN.

Il est pargué vrai, je sis en chance : je vous demande bien pardon de la peine, est-ce que vous ne seriais pas bien-aise que...

À Lisette.

J’eus queuque chose. Ça aidez-moi ; voyons si vous avez la patte heureuse.

LISETTE.

Non, non, voyez vous-même ; j’aurai assez de peine moi d’aller chercher ce qu’il vous faudra.

BASTIEN.

Je vous aurai bien de l’obligation.

SBRIGANY.

Dépêchez-vous donc, nous avons des affaires.

BASTIEN.

Tout à l’heure : baillez-vous patience.

Il baise sa boîte, il l’ouvre, et en tire un billet, sur lequel il souffle.

SBRIGANY.

Oh il est noir, je vous en réponds.

BASTIEN.

7

Oh je le sais bien. Il n’y a point de tricherie. Véla un P, Monsieur, bon. Petit lot, une paire de pabouches : je ne connais point ça ; qu’est-ce que c’est des pabouches, serait-ce queuque chose de rare ?

LISETTE, apporte des Pabouches.

Tenez voilà ce que c’est.

BASTIEN.

Comment morgué sont des pantoufles.

SBRIGANY.

Des pantoufles, quel ignorant, ce sont des pabouches vous dit-on.

BASTIEN.

Hé vantregué je vois bian ce que je vois, ce sont des souliers sans oreilles. Queu semelles, j’aime morgué mieux une paire de sabots que ça, Monsieur de la Loterie.

SBRIGANY.

Hé bien on vous les troquera, ce n’est pas une affaire.

Il met tous les lots dans sa besace à mesure qu’on les apporte.

BASTIEN.

Des pabouches. Petit lot, une souricière. Hé palsangué jon des chats cheunous, que voulez-vous que je fassions d’une souricière !

SBRIGANY.

Vous en ferez ce que vous voudrez, vous êtes le maître.

BASTIEN.

Me vêla bien chanceux.

LISETTE.

Allons, dépêchons, n’oubliez rien ; voilà votre souricière.

BASTIEN, ouvre un billet.

Petit lot : encor on petit lot, Monsieur de la Loterie.

SBRIGANY.

C’est le hasard qui fait cela, mon enfant ; je n’y puis que faire.

BASTIEN.

Un paquet de cure-dents. Mais ventregué c’est folie que de me bailler ça. Je ne les cure jamais.

LISETTE.

Tant pis vraiment, vous êtes un malpropre, corrigez-vous de cela. Ne les perdez pas au moins, et faites-en un bon usage.

BASTIEN.

J’annonce. Un pot de pommade de limaçon, quel ustensile est-ce ça ? Un pot de pommade, à quoi ça est-il bon?

LISETTE.

À vous décrasser le visage, à vous débarbouiller, cela vous ôtera les grosseurs du teint.

BASTIEN.

Les grosseurs du teint à moi. Morgué ne m’apportez pas stila, je vous en ferais un masque sur le visage, je vous en avertis.

SBRIGANY.

S’il n’en veut point, qu’il se couche auprès, il nous demeurera, c’est son affaire.

LISETTE.

Il s’en servira pour l’amour de moi : Je veux qu’il se fasse beau moi cet enfant-là.

BASTIEN.

Il ouvre le billet.

Le beau lot que vêla. Une bouteille d’eau de Cordoue : une bouteille d’eau, mais il saut que vous soyez fou de me bailler ça, la rivière passe au bas de cheux nous.

LISETTE.

C’est de l’eau de Cordoue : vous ne savez ce que vous dites.

BASTIEN.

Hé morgué de liau d’où il vous plaira ; liau de la Seine est toute la meilleure, je ne veux point de celle-là.

SBRIGANY.

Il faut bien que vous la preniez, puisqu’elle est à vous.

BASTIEN.

8

Mais vous vous gobergez de moi, vous dis-je, un demi-septier de vin vaut mieux que tout çà. Il n’y a morgué rien là qui soit à mon usage.

LISETTE.

Oh finissez donc. Voyez le reste.

BASTIEN, ouvre le dernier billes.

Un bâton de brésil. Un bâton, ah palsangué bon pour stila. S’il est bien emmanché je vas m’en sarvir, laissez-moi faire.

SBRIGANY.

Comment, comment donc ?

BASTIEN.

9 10

Oh tastigué, Monsieur l’affronteux, je vous apprendrai à vous gausser des gens de Courbevoie, avec votre bouteille diau et vos souricières.

SBRIGANY.

11

Monsieur, Monsieur le manant, si vous faites ici le moindre bruit.

BASTIEN.

Morgué non je n’en ferai pas ici, mais si je l’attrape jamais queuque part sur le chemin de Neuilly je te rouerai bien pour mes six écus, va ne te mets pas en peine.

LISETTE.

Sans colère, Monsieur de Courbevoie, serrez bien toutes vos petites affaires, etc...

BASTIEN.

Allez ça n’est pas bian, vous êtes une redresseuse itou vous, Madame, et je pourrais bien par avanture... Je vous reconnottrons queuque jour, et je varons biau jeu, patiance.

LISETTE.

Le petit mièvre. Allons point d’emportement, soyez sage, portez tout cela dans votre charrette, et vous en retournez tout doucement, de peur de fatiguer vos chevaux, entendez-vous.

BASTIEN.

12

Ils ne mangeront morgué d’avoine d’aujourd’hui. Pour six écus de marchandises ! Queu peste de Loterie. Quand on sait une fois çan que c’est, il faudrait bian avoir le diable au corps pour y reboutre.

SCÈNE XII. Lisette, Sbrigany. §

LISETTE.

Hé bien, Monsieur, voila déjà un paysan corrigé de Loterie, et je gagerais bien que son exemple servira d’instruction à tout son village. Que l’on vous aura d’obligation.

SCÈNE XIII. La France, Sbrigany, Lisette. §

LA FRANCE.

Monsieur, c’est de la part de mon maître, Monsieur le Baron de Rosebrune.

SBRIGANY.

Ya-t-il quelque chose pour son service, mon enfant.

LISETTE.

Il envoie chercher ses bottes apparemment.

LA FRANCE.

Il vous prie, Monsieur, de vouloir bien mettre ce petit billet dans celle d’Angélique.

SBRIGANY.

Ah, ah, qu’est-ce que c’est que ce billet ?

LA FRANCE.

C’est que Monsieur le Baron est amoureux d’elle, comme vous savez ; elle a une mère capricieuse, avec qui nous sommes brouillés : nous ne savons comment faire pour lui donner de nos nouvelle, et mon maître s’est imaginé que dans une boîte de Loterie vous pourriez bien, si vous vouliez, faire passer son petit billet.

SBRIGANY.

Pour qui me prend-il, je suis honnête homme, et je ne me mêle point...

LA FRANCE.

Il m a chargé de vous présenter dix Louis d’or pour lever les difficultés que votre honneur pourrait trouver dans cette affaire là.

SBRIGANY.

Dix Louis d’or.

LA FRANCE.

Oui, Monsieur, les voilà.

SBRIGANY.

On fera ce qu’on pourra, donnez : prend soin de cela toi, Lisette.

LISETTE.

Oui, Monsieur, je ferai votre affaire.

LA FRANCE.

On apportera peut-être la réponse en venant prendre les boîtes. Vous voudrez bien vous en charger, s’il vous plaît.

LISETTE.

On verra. S’il le trouvait quelques difficultés pour la réponse. Vous savez bien comme on les lève.

LA FRANCE.

On fera bien les choses.

SCÈNE XIV. Lisette, Sbrigany. §

LISETTE.

C’est un assez bon métier, Monsieur, que de faire des Loteries ; cela rend de toutes manières.

SBRIGANY.

N’est-il pas vrai. Mais que veut cette dame. Il y a là-bas des Suisses, et tout le monde entre.

LISETTE.

Ne vous effarouchez point de cette visite-ci, c’est notre bonne amie, la fille de ce marchand, cette veuve qui fait la femme de conséquence, et qui est si folle et si coquette.

SCÈNE XV. Madame La Cloche, Sbrigany, Lisette. §

MADAME LA CLOCHE.

Hé bonjour, mon cher Sbrigany, il y a des siècles que je ne t’ai vu.

SBRIGANY.

Il m’en ennuyait beaucoup, Madame, je vous assure.

MADAME LA CLOCHE.

Hé te voilà aussi : Viens donc me baiser ; ma bonne Lisette.

LISETTE.

Madame je suis votre très humble servante.

MADAME LA CLOCHE, à Sbrigany.

Mais dis-moi donc, mon enfant, voilà ta fortune faite. Il faudra faire porter la queue à Madame de Sbrigany au moins.

SBRIGANY.

Oh pour cela, Madame...

MADAME LA CLOCHE.

Je l’aime à la folie cette Madame Sbrigany, elle a été femme de chambre de feu ma mère.

SBRIGANY.

C’est bien de l’honneur pour elle, Madame, que...

MADAME LA CLOCHE.

À propos. Ne t’avise pas de sortir de chez toi, Monsieur Sbrigany, on t’assommerait, prends-y garde.

LISETTE.

Comment donc, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Tout Paris dit que tu les voles.

SBRIGANY.

Madame...

MADAME LA CLOCHE.

Que tu les pilles.

SBRIGANY.

Moi, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Que veux-tu, ce sont des impertinents, des ridicules qui ne comprennent pas qu’il n’y a rien de plus juste que ce soit aux dépens des dupes que les gens d’esprit s’enrichissent.

LISETTE.

Tout le monde n’a pas l’esprit si bien fait que vous, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Oh je me prête fort à cela moi. Je suis raisonnable. As-tu fait mes boîtes, Monsieur Sbrigany.

SBRIGANY.

Vous les aurez quand il vous plaira, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Ne t’avise pas de me traiter comme les autres ; je prétends être privilégiée ; je suis de tes amies ; si tu me trompais je ferais plus de bruit que qui que ce soit.

SBRIGANY.

Je vous assure, Madame, que c’est avec toute la fidélité imaginable...

LISETTE.

Oh pour cela oui, Madame, il n’y a point de distinction, nous ne favorisons personne.

MADAME LA CLOCHE.

Hélas, mes enfants, j’en suis persuadée : mais je ne veux point de petits lots, je ne les aime pas, je vous en avertis.

SBRIGANY.

Voulez-vous que je vous donne vos boîtes, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Non, non, je ne les prendrai que des dernières, je veux te donner le temps de les faire bonnes.

LISETTE.

C’est le pur hasard qui en décide, Madame.

MADAME LA CLOCHE.

Je sais bien, te dis-je, mais vous avez la fureur des petits lots dans ces commencements-ci ; il faut laisser finir les petits mouchoirs, cela passera. Il arrivera quelqu’aventure.... Mon ami Sbrigany n’est pas incorrigible.

SBRIGANY.

Ma foi, Madame, je n’y entends point de finesse.

MADAME LA CLOCHE.

Oh pour cela non, tu es honnête-homme, je te rends justice, garni bien mes boîtes. J’ai la langue bonne, et de bons amis, tu y feras réflexion. Adieu mon cher petit bonhomme. Bonjour, Lisette.

LISETTE.

Votre servante, Madame.

SCÈNE XVI. Sbrigany, Lisette. §

SBRIGANY.

Lisette.

LISETTE.

Il faudra refaire la boîte de cette femme-là, Monsieur. Nous n’y avions mis que de la bagatelle.

SBRIGANY.

Oui je la referai : mais il n’en sera ni plus ni moins, et puisqu’elle le prend sur ce ton-là elle n’aura parbleu que des souricières.

SCÈNE XVII. Signolet, Sbrigany, Lisette. §

SIGNOLET.

Oh dame, Monsieur, venez donc là-bas, s’il vous plaît, faire tenir ces nigauds-là qui sont à votre porte.

LISETTE.

À qui en as-tu, mon pauvre Signolet, t’ont-ils fait quelque chose ?

SIGNOLET.

Voirement oui, ils me donnent des taloches, et des coups de pied dans les os des jambes.

SBRIGANY.

Ils ne savent donc pas que tu es du logis apparemment.

SIGNOLET.

Si fait, Monsieur, Barbe leur a dit, ils l’avons itou un peu gouspillée, ils m’en avont baillé davantage à moi et ils disont que tout ça est pour vous, et que je vous l’apporte.

LISETTE.

Cela tournera mal, Monsieur, je l’avais prévu.

SBRIGANY.

Il faut trouver moyen d’y mettre ordre.

SIGNOLET.

Ils feront enrager votre Italien, ce Nicodème de Petronille, ils lui jettont au nez les mouchoirs qu’il leur baille ; ils disont qu’ils ne sont que de treize sols pièce, et ils en voulont d’autres.

SBRIGANY.

Il y en a de dix-huit et de vingt que ne leur en donne-t-il le bourreau qu’il est, que ne leur en donne-t-il.

SIGNOLET.

Il dit comme ça qu’il n’est pas encore temps, qu’il faut débiter les plus moindres à cette heure, et que quand ils feront un peu plus de bruit, il baillera les autres.

LISETTE.

Il sera cause de quelque désordre, Monsieur.

SIGNOLET.

Je crois bien que oui. Il y a itou des Madames dans des carrosses qui juront quasi comme des Monsieurs, parce qu’alles n’avont eu que des savonnettes dans leurs boîtes.

LISETTE.

Il fallait un peu diversifier les lots, elles ont raison.

SBRIGANY.

C’est aujourd’hui le premier jour, on fait comme on peut, cela sera mieux réglé dans la suite.

SIGNOLET.

13

Descendez donc si vous voulez. Ils voulont vous voir pour leur argent, et ly en a qui disent qu’ils seront contents quand ils vous auront chanté pouille à vous-même.

SBRIGANY.

Cela commence mal, ma pauvre Lisette ; cela commence mal.

LISETTE.

Cela finira de même, Monsieur, cela finira de même.

SBRIGANY.

Il ne faut pourtant pas quitter la partie, je m’en vais tâcher...

LISETTE.

Hé, Monsieur, à quoi vous exposez-vous, vous n’y songez pas.

SBRIGANY.

Laisse-moi faire, je ne sortirai pas, et je ne paraîtrai qu’en dedans de la barricade.

LISETTE.

Mais quel orage d’invectives...

SBRIGANY.

Bon, bon, des invectives. Voila de belles bagatelles, je tiens le bon bout de mon côté. J’ai leur argent, je me moque de leurs injures.

SIGNOLET.

Je m’en vas donc leur dire que vous allez venir, afin qu’ils se prépariont, qu’ils allont être aises.

SCÈNE XVIII. Mariane, Sbrigany, Lisette. §

MARIANE.

Ne vous alarmez point, mon père, il y a là-bas du désordre, mais il sera bientôt calmé. Je viens de voir Éraste par ma fenêtre, qui faisait assurément tout ce qu’on peut attendre d’un parfaitement honnête-homme. Il parlait de vous d’une manière si avantageuse, il embrassait votre défense avec une ardeur si vive et si sincère.

SBRIGANY.

Voilà qui est bien, je lui suis fort obligé, ma fille. Je vous vois venir. Je l’estime fort, mais je n’en veux point pour mon gendre ; vous avez à l’heure qu’il est, grâce au Ciel et à la Loterie, vingt-cinq mille écus en mariage ; j’ai pour vous des vues qui vous passent, je vous ai défendu de voir Éraste, si je sais que vous lui parliez, ni que vous lui donniez seulement de vos nouvelles, je prendrai des mesures qui vous feront bien voir que je suis le maître. Lisette a dû vous expliquer mes petits sentiments, si vous ne les avez pas assez bien entendus, qu’elle recommence, je vous laisse avec elle.

SCÈNE XIX. Lisette, Mariane. §

LISETTE.

Je vous le disais bien moi que cet homme-là ne songe qu’à votre avancement, vous le voyez.

MARIANE.

Et moi je ne songe qu’à me désespérer. Oui vois-tu, ma pauvre Lisette, si tu n’entres un peu dans mes intérêts, si tu ne me fais parler à Éraste...

LISETTE.

Vous faire parler à Éraste moi, vous voyez avec quelle sévérité votre père vous le défend.

MARIANE.

Il n’en saura rien je te le promets, il va trouver là-bas de l’occupation. Éraste est vis-à-vis de la porte, fais-lui signe par la fenêtre qu’il monte, je t’en conjure, ou permets moi que je le lui fasse moi-même, ma chère Lisette. Je te le demande en grâce, aurais-tu la dureté de me refuser.

LISETTE.

Non je ne l’aurai pas ! Mort de ma vie que je suis malheureuse d’être si bonne. L’avarice du père, l’amour de la fille, je me prête à tout dans cette maison-ci, ça toujours été mon défaut, je suis trop facile.

MARIANE.

Tu veux donc bien ma chère enfant...

LISETTE.

Et quand je ne le voudrai pas, cela dépendrait-il de moi ; ne le voilà-t-il pas déjà lui-même, les habiles gens n’ont que faire de signes, il a deviné votre pensée.

SCÈNE XX. Éraste, Mariane, Lisette. §

ÉRASTE.

Mille pardons charmante Mariane, d’oser ainsi paraître devant vous, quand je sais les défenses qu’on vous a faites, mais l’état on je suis semble devoir tout autoriser. Je vous adore ; vous m’avez dit que vous m’aimiez, on nous désespère ; quelles résolutions sont les vôtres ?

MARIANE.

De vous aimer toute ma vie, puisqu’on m’a permis de le faire.

ÉRASTE.

On vous défend de me voir.

MARIANE.

J’obéis mal comme vous voyez.

LISETTE.

Ces pauvres enfants, cela fait pitié et envie même tout ensemble.

ÉRASTE.

Ne changerez-vous point de sentiment, belle Mariane, et ne vous laisserez-vous point éblouir....

MARIANE.

Non, je vous le promets, La nouvelle fortune de mon père est trop peu solide, et trop mal fondée pour me donner aucun ridicule, quand je serais capable d’en pendre, et je crains même que la fausse démarche que son intérêt lui a fait faire.

LISETTE.

La démarche n’est point fausse, ne vous y trompez point l’un et l’autre. Il y a quatre-vingt-mille bonnes livres de profit, je vous en réponds.

MARIANE.

Quel profit !

LISETTE.

Il est réel. Outre ce qu’il gagne sur tous les petits lots, ce n’est pas lui qui donne les gros à ses dépens au moins.

ÉRASTE.

Ce n’est pas lui....

LISETTE.

Non, vous dis-je, il n’est pas si bête, il en a l’honneur et l’argent, mais ce sont des dupes qui en font la dépense.

MARIANE.

Comment donc, que veux-tu dire ?

LISETTE.

14 15

Que la belle toilette est destinée pour cette grosse trésorière, par exemple, et que c’est un Juif de la place des Victoires qui la lui donne.

MARIANE.

Ah Lisette !

LISETTE.

Ah vraiment. Il y en a bien d’autres. Cette pendule de cinq cents écus qu’aura ce jeune académiste, qui pensez-vous qui l’ait payée.

ÉRASTE.

Mais je ne sais, ma pauvre Lisette, ce ne sont pas là mes affaires.

LISETTE.

16

La veuve d’un épicier de la rue des Lombards qui est amoureuse de lui à la folie.

MARIANE.

Que tu es extravagante avec tes contes.

LISETTE.

Ce ne sont point des contes. Il y a un service de vermeil qu’un jeune... Je ne sais qui Conseiller de.... Je ne sais ou nouvellement émancipé a fait faire pour une espèce de Comtesse Quimpercorentine. Une croix de diamants, de deux cent pistoles, qu’un petit notaire Bourgeois Gentilhomme a achetée pour une femme de qualité. Voila un coffre de la Chine qu’on doit remplir d’étoffes des Indes, et qui est destiné par un partisan, pour la femme d’un Rapporteur, qui a fait prendre un bon tour à une mauvaise affaire. Que sais-je moi, c’est une nouvelle manière qu’on a imaginée de faire des présents, et de les recevoir avec bienséance, et Monsieur votre père a le profit et le mérite de l’invention.

MARIANE.

Et nous avons le chagrin des injustes résolutions que son trop de bonheur lui fait prendre.

LISETTE.

Ne vous en alarmez point plus que de raison, les choses peuvent changer, et pourvu que vous pariassiez dans ces commencements soumise et obéissante à ce que souhaite votre père, et que votre amant ne se rebute point....

ÉRASTE.

Moi me rebutter. Il n’est point de difficultés, quelques insurmontables qu’elles puissent être...

LISETTE.

Laissez faire, on vient à bout de tout. L’affaire la plus importante est qu’il ne vous voie point ensemble, puisqu’il l’a défendu ; sortez et reposez-vous...

MARIANE.

Ma pauvre Lisette, j’entends mon père qui revient.

LISETTE.

Tout est perdu, comment allons-nous faire ?

ÉRASTE.

N’y a-t-il point d’endroit ou me cacher ?

LISETTE.

Je n’en sache point. Mais vous êtes alerte, nous sommes au premier étage, sautez par la fenêtre.

MARIANE.

Par la fenêtre, es-tu folle, il y a là-bas je ne sais combien de monde.

LISETTE.

Vous avez raison, cela ne serait pas secret.

ÉRASTE.

Songez donc vite ; que deviendrai-je ?

LISETTE.

Mettez-vous dans le coffre de la Chine, vous n’y serez pas fort à votre aise, mais...

ÉRASTE.

Il n’importe pourvu qu’on ne me voie point.

LISETTE.

Non, non, ne craignez rien. Si l’on envoie ce lot là chez Monsieur le Rapporteur, Madame sa femme ne sera pas la plus mal lotie.

SCÈNE XXI. Sbrigany, Mariane, Lisette. §

SBRIGANY.

Tout va le mieux du monde, mes enfants, le public est content de moi qu’on ne peut pas davantage. Je te l’avais bien dit, Lisette. Ils se moquent les uns des autres. Les uns rient, les autres plaisantent, et il n’y a que des vilains et des ladres qui soient fâchés sérieusement. Encore n’oseraient-ils le paraître, de peur qu’on ne se moque d’eux.

LISETTE.

Ma foi, Monsieur, vous êtes plus heureux que sage, et voila aussi Mademoiselle votre fille que je trouve dans des dispositions tout-à-fait conformes à vos sentiments.

SBRIGANY.

Tout de bon.

LISETTE.

Oui, Monsieur.

MARIANE.

Ce pauvre garçon étouffera dans ce coffre, Lisette.

LISETTE.

Hé non.

SBRIGANY.

Je suis ravi qu’elle soit raisonnable ; Je ne fais rien que pour elle, comme tu sais, et toute la peine que je me donne...

MARIANE.

Prends bien garde qu’on ne mette rien dessus.

LISETTE.

Non, non.

SBRIGANY.

Que dit-elle ?

LISETTE.

Qu’elle vous est fort redevable, Monsieur, hélas donc, répondez à Monsieur votre père.

SBRIGANY.

La voilà toute je ne sais comment, qu’as-tu, parles.

MARIANE.

Il vient de me prendre dans le moment un étourdissement épouvantable ; trouvez bon, mon père, que je retourne dans ma chambre, je vous prie.

SBRIGANY.

Va ,mon enfant, je ne te veux pas contraindre.

MARIANE.

Ne laisses pas emporter le coffre au moins.

LISETTE.

Hé non,non, ne craignez rien, il vous demeurera.

SCÈNE XXII. Lisette, Sbrigany. §

LISETTE.

Voilà une fille qui prend beaucoup sur elle au moins.

SBRIGANY.

Oui je comprends bien que cela lui fait de la peine.

LISETTE.

Je vous en réponds. Si vous saviez en quel état est ce pauvre Éraste.

SBRIGANY.

Il l’aime beaucoup, j’en suis sûr.

LISETTE.

Assurément. Vous aurez peut-être quelque égard à cela dans la suite, vous êtes bon père.

SBRIGANY.

Non je ne prévois pas que j’en fasse mon gendre.

LISETTE.

Le pauvre garçon, je ne voudrais pas être à sa place.

SBRIGANY.

Ma Loterie va bien, le peuple est docile, tout me réussit, je ferai ma fille grosse Dame.

SCÈNE XXIV. Le Gascon, Sbrigany, Lisette. §

LE GASCON.

Que je vous embrasse, mon cher Monsieur de Sbrigany, que je vous embrasse, je suis votre très humble serviteur ou la peste m’étouffe.

SBRIGANY.

Monsieur je suis le vôtre de tout mon coeur. Tu vois tout le monde me faire caresse.

LISETTE.

Vous êtes furieusement estimé.

LE GASCON.

Hé donc, mon cher, vous voilà riche comme un traitant en temps de guerre.

SBRIGANY.

Monsieur je suis.. .

LISETTE.

Ne serait-ce point quelqu’un qui viendrait demander votre fille en mariage.

SBRIGANY.

Cela se pourrait bien. C’est quelque personne de qualité.

LE GASCON.

Vous avez vous seul plus d’esprit que toute la Gascogne ensemble.

SBRIGANY.

Monsieur j’ai un petit savoir-faire que j’ai toujours conduit avec assez de bonheur.

LE GASCON.

Vous nous damez le pion Monsieur Sbrigany, vous nous damez le pion pour le savoir-faire.

SBRIGANY.

Oh, Monsieur, il s’en faut bien que j’aie autant de mérite qu’une personne comme vons, et...

LE GASCON.

Attraper en gros tout Paris, les plus habiles de chez nous ne le font qu’en détail. Certes je vous en félicite. Je ne vous en estime pas davantage, mais je vous admire.

LISETTE.

Cette homme-là ne vous caressait point de bonne foi, défiez-vous-en.

SBRIGANY.

C’est ce qu’il me semble.

LE GASCON.

Cadedis vous êtes un heureux mortel.

SBRIGANY.

Il est vrai, Monsieur, que je n’ai pas lieu de me plaindre de la fortune.

LE GASCON.

Vous plaindre de la fortune. Vous en êtes l’enfant gâté. C’est ce qui vous rend téméraire. Baste Paris est bon, vos témérités sont heureuses.

SBRIGANY.

Monsieur.

LE GASCON.

Je ne suis pas de Paris moi, comme vous voyez.

LISETTE.

Il n’est pas malaisé de s’en apercevoir.

LE GASCON.

Je suis un cadet de Bordeaux, vif, prompt, colère, et un peu tueur même de mon métier.

SBRIGANY.

Monsieur.

LISETTE.

Tout vous réussit, Monsieur, le peuple est docile.

LE GASCON.

Nous n’en viendrons pas là, ne vous effarouchez pas, voilà deux boîtes de votre Loterie de huit billets chacune.

SBRIGANY.

Il faut les ouvrir, Monsieur, et vous donner les lots qui...

LE GASCON.

Je les sais, Monsieur, je devine. Petit étui, petite porcelaine, petit mouchoir, petite souricière. Vous êtes un petit mignon qui faites de petites Loteries en mignature, hem.

SBRIGANY.

Monsieur.

LISETTE.

Puisque vous avez si bien deviné vos lots, Monsieur, je m’en vais vous chercher votre affaire.

LE GASCON.

Non, non, la belle, ne vous pressez pas ; vous croyez nous mener par le nez avec vos mouchoirs. Vous vous trompez à mon égard s’entend. Allons l’ami rendez mes quatre louis, voilà vos deux boîtes.

LISETTE.

Quel diable d’homme est ceci ?

SBRIGANY.

Mais, Monsieur, vous en usez d’une manière....

LE GASCON.

Je me reproche d’être trop sage, et je me fais violence au moins. Je pourrais m’échapper, prenez garde à moi.

SBRIGANY.

Vos lots sont peut-être meilleurs que vous ne croyez, donnez, vous la peine...

LE GASCON.

Oh cadedis. Restituez, vous dis-je, et promptement. Si je me fiche je ferai tapage , et je casserai bien des petits lots ; dépêchons mes quatre Louis.

SBRIGANY.

Les voila, Monsieur ; mais je vous prie que personne ne sache...

LE GASCON.

Non, non, vous êtes galant homme.

LISETTE.

Ma foi, Monsieur, si tout le monde fait de même il vous demeurera de mauvaise marchandise.

SBRIGANY.

Tais-toi.

LE GASCON.

Voyons ce qui me revient maintenant.

SBRIGANY.

Mais, Monsieur, puisque vous avez repris votre argent...

LE GASCON.

Il m’en faut l’intérêt, vous avez de la conscience, vous le gardez depuis six mois : je prendrai sans voir, faites bien les choses, deux livres de tabac pour moi, un éventail pour la fille de mon auberge, et de vos mouchoirs pour le Toulousain mon valet de chambre.

SBRIGANY.

Je n’ai que faire de cela, Monsieur.

LE GASCON.

Je vous en sors à bon marché, ne nous brouillons point, je vous prendrai sous ma protection, et je parlerai bien de vous au hasard de me décrier.

LISETTE.

Le parti n’est pas mauvais, Monsieur, nous avons besoin d’amis, ne fâchez point cet homme-là.

SBRIGANY.

Hé bien, Monsieur, ne le dites donc à personne, et revenez une autrefois, vous serez content de moi, je vous le promets.

LE GASCON.

Et vous de moi, je vous proteste. Que je ne revienne pas deux fois au moins. Serviteur l’ami, sans adieu la belle.

LISETTE.

Votre valet Monsieur. Un Gascon ne fut jamais dupe.

SCÈNE XXIV. Sbrigany, Lisette. §

SBRIGANY.

Il faut bien prendre garde que cette aventure ne se sache point.

LISETTE.

Cela serait de mauvais exemple, vous avez raison. Mais, Monsieur, n’auriez-vous point affaire là- bas, l’oeil du Maître quelquefois...

SBRIGANY.

Il y a des choses qu’il est bon de ne voir que de loin. Je suis bien ici.

LISETTE, bas.

Oui : Mais, Monsieur....

Bas.

Notre amoureux est mal dans le coffre.

SCÈNE XXV. La Procureuse, Sbrigany, Lisette. §

LA PROCUREUSE.

Allons Monsieur, tôt, dépêchez-moi, vite, s’il vous plaît.

SBRIGANY.

Comment ? Madame.

LISETTE va auprès du coffre qu’elle entrouvre, et elle évente Éraste avec son tablier.

Donnons un peu d’air à notre enfermé, il a chaud dans ce coffre.

LA PROCUREUSE.

On aura beau dire que votre Loterie n’est pas fidèle, Monsieur, que vous êtes un maroufle, je n’en croirai rien pour moi, je vous assure, et je vous rendrai toute la justice qui vous est dûe.

SBRIGANY.

Je vous suis bien obligé, Madame.

LA PROCUREUSE.

17

Je n’ai amené que trois crocheteurs avec moi, sera-ce assez, Monsieur.

SBRIGANY.

Trois crocheteurs, Madame, hé pourquoi faire ?

LA PROCUREUSE.

Pour emporter mon lot, Monsieur : s’il en faut davantage...

LISETTE.

Trois Crocheteurs pour emporter votre lot, il n’en faudrait qu’un pour déménager toute la Loterie.

SBRIGANY.

Vous me faites trembler, qu’est-ce que c’est donc que ce lot, Madame ?

LA PROCUREUSE.

Un buffet garni d’argent, Monsieur, je suis bienheureuse ; il y avait longtemps que j’avais envie d’avoir de la vaisselle.

LISETTE.

Je ne crois ma foi pas que vous en ayez encore de cette affaire-ci. Un buffet garni de vaisselle d’argent, nous n’avons point de ces babioles-là dans notre Loterie, Madame, vous n’y songez pas.

SBRIGANY.

Vous rêvez, je pense, avec votre vaisselle d’argent.

LA PROCUREUSE.

Je rêve moi, je rêve. Ah vraiment voici qui est admirable. Oh je ne viens ici qu’à bonnes enseignes, et voilà un billet qui fera bien foi que je ne rêve point.

SBRIGANY.

Si cela est sur votre billet on vous le donnera ; mais je ne crois pas...

SCÈNE XXVI. Petronillo, Sbrigany, La Procureuse, Lisette. §

PETRONILLO.

Venio vous dire, Signor, que non ho piu di plus petits mouchoirs tutti sont distribués.

SBRIGANY.

Tenez, tenez Madame, voila celui qui a écrit les billets, il reconnaîtra bien son écriture.

LA PROCUREUSE.

Il la reconnaîtra s’il veut, j’aurai mon buffet assurément.

PETRONILLO.

Que cosa qui [...] d’un buffet, Madame que que...

LA PROCUREUSE.

Qué, qué, je n’entends point votre baragoin, mais je sais lire, vous allez voir.

LISETTE.

Il y a du mal entendu là-dedans ; il se trouvera un p...té sur ma parole.

LA PROCUREUSE.

Il me semble qu’il ne faut que des yeux, et j’en ai de beaux et de bons, Dieu merci ; voyez un buffet garni d’argent.

PETRONILLO.

18

Un buffet, é un busc, Madame, é un busc.

LA PROCUREUSE.

Un busc, Un busc...

PETRONILLO.

Oui, Madame, garni de petits filets d’argent. La fortune vi favorise é un des meilleurs lots de tutte la Loterie.

LA PROCUREUSE.

Un busc, un busc, ah quelle effronterie, quelle volerie, un busc pour un buffet ! Je suis perdue, je suis trahie, je suis ruinée, je suis assassinée.

SBRIGANY.

Non, Madame, on ne vous fera point de tort, nous sommes gens d’honneur. Donnez un buse à Madame, Lisette.

LISETTE.

Ferai-je monter vos trois crocheteurs pour emporter votre lot, Madame.

LA PROCUREUSE.

Vous n’avez que faire de rire, vous n’en êtes pas où vous pensez ; on vous fera bien soutenir. Mon mari est Procureur, vous allez voir de belles écritures. Ces fripons-là avec leur busc.

PETRONILLO.

Sta visionnaire avec son buffet, que le que le Procureur n’écrive point, Madame, et qu’il vous apprenne à lire.

LISETTE.

La Procureuse est bien fâchée de n’avoir point de vaisselle.

SCÈNE XXVII. La Marquise, Sbrigany, Petronillo, Lisette, Un Laquais. §

LA MARQUISE, à son laquais.

Faites monter Champagne avec vous, il vous aidera.

LE LAQUAIS.

Je m’en vais lui dire de venir, Madame.

SBRIGANY.

Vous demandez quelque chose apparamment, Madame.

LA MARQUISE.

Je viens quérir mes lots, Monsieur Sbrigany, pour les mouchoirs et les petites porcelaines vos garçons en feront leur profit. Je ne veux que le coffre de la Chine.

SBRIGANY.

Il faut vous donner ce qui vous appartient, Madame.

LISETTE.

Le coffre de la Chine. Serait-ce déjà le nôtre ?

LA MARQUISE.

Le voilà apparemment, il est fort beau , mais je ne crois pas qu’il puisse tenir dans mon carrosse.

PETRONILLO.

Non é pas celui-là, Madame.

LA MARQUISE.

Tant mieux, il me paraît un peu trop grand pour la place ou je le veux mettre dans mon cabinet.

PETRONILLO.

Vous en aurez un plus petit, lasciate faire.

SBRIGANY.

Nous en avons à choisir, Madame : Lisette apportez un de ces petits tiroirs où sont ces coffres de la chine.

LA MARQUISE.

Des coffres dans de petits tiroirs, comment donc cela ?

LISETTE, apporte un tiroir plein de boîtes.

Prenez, Madame, vous n’en serez point embarrassée, un de ceux-là tiendrait dans votre poche.

LA MARQUISE.

Mais vraiment je ne veux point de cela ; vous vous moquez de moi ce sont des boîtes.

SBRIGANY.

19

Non, non, Madame, ils s’ouvrent comme un coffre-vedette. Voilà un beau morceau de la Chine, Madame.

LA MARQUISE.

Je n’en veux point, vous dis- je, il y a un coffre sur mon billet. En voilà un, je l’aurai, je n’en serai point la dupe.

LISETTE.

Oh pour celui-là non, Madame, on me l’a donné en garde.

SBRIGANY.

Il n’est pas à moi, Madame, je vous assure.

LA MARQUISE.

Il n’est pas à vous, Monsieur, pourquoi donc le mettre dans votre Loterie.

PETRONILLO.

Non é pas celui-là, Madame, é celui-ci son mi qui ai écrit les billets, je pouis répondre de mon intention.

LISETTE.

Oui qu’on le prenne à foi et à serment, vous perdrez votre procès, Madame.

SBRIGANY.

Voici tout à propos la personne à qui appartient le coffre. Vous allez bien voir qu’on vous dit vrai.

SCÈNE XXVIII. Le Financier, La Marquise, Sbrigany, Lisette, Petronillo, etc. §

LA MARQUISE.

C’est mon cousin le Financier, si je ne me trompe,

LE FINANCIER.

C’est la Marquise ma cousine, hé que faites-vous ici, ma chère enfant ?

LA MARQUISE.

J’y dispute mes droits contre ces gens-là.

LISETTE.

Et nous défendons les vôtres, Monsieur, Madame veut faite emporter vos meubles, elle a pris du goût pour votre coffre de la Chine.

LE FINANCIER.

Il serait fort à son service, si la destination n’en était faite. Voilà des étoffes que je fais apporter pour voir ce qu’on y en pourra mettre de pièces.

LISETTE.

Il n’en tiendra guère à l’heure qu’il est, il est bien plein.

LE FINANCIER.

Vous nous aiderez à les choisir, Madame ; allons, voyons Monsieur Sbrigany. Approchez le coffre, Seigneur Petronillo. Aidez-lui vous autre ?

LISETTE.

Hoime, que deviendra tout ceci.

SBRIGANY.

Miséricorde, un homme caché, c’est pour me voler : ah pendard.

SCÈNE XXIX. Éraste, Le Financier, La Marquise, Lisette, Sbrigany, Lisette, Petronillo. §

ÉRASTE.

Arrêtez, Monsieur, et prenez garde à ce que vous faites.

LA MARQUISE.

C’est Éraste.

LE FINANCIER.

Mon neveu.

SBRIGANY.

Éraste caché chez moi, qu’est-ce que cela signifie, parle, n’avais-je pas défendu...

LISETTE.

Vous avez défendu qu’il vît votre fille. Mais vous n’avez pas défendu qu’il se mît dans le coffre.

SBRIGANY.

Comment coquine.

LISETTE.

Le coffre est à Monsieur, de quoi vous plaignez-vous : Monsieur est son oncle.

LE FINANCIER.

Vous, mon neveu, ainsi caché dans un coffre chez un marchand.

ÉRASTE.

Vous cesserez de vous étonner, mon oncle , quand vous saurez que je suis amoureux de la charmante Mariane, que son père me l’avait promise , et que....

SCÈNE DERNIÈRE. Signolet, La Marquise, Le Financier, Sbrigany, Éraste, Lisette, etc. §

SIGNOLET.

Hé vite, et tôt, sauvons-nous, Monsieur.

SBRIGANY.

Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il ?

SIGNOLET.

Décampez, vous dis-je, on va mettre le feu à la maison.

LISETTE.

Le feu à la maison.

SIGNOLET.

20

Ils enfoncent la barricade ; ils ont arraché à un des Suisses un côté de moustache, qui ne tenait qu’avec de la colle, et ils l’ont reconnu, c’est le crieur de Gazette. Ils sont plus de trente après ses trousses.

LISETTE.

Le pauvre diable. Ils l’assommeront.

SIGNOLET.

Non, non, ils l’allont noyer, je pense ; et puis ils disont qu’ils reviendront nous brûler nous autres. Oh dame acoûtez ça serait chagrinant, bâillons-nous en de garde.

SBRIGANY.

Miséricorde, que deviendrai-je ?

LE FINANCIER.

On trouvera moyen d’apaiser le désordre; tout le monde murmure de ce que vous gagnez trop à votre Loterie. Remettez cet argent dans le commerce. Faites un gros lot de vingt mille écus, à condition d’épouser votre fille, et la donnez à mon neveu ; nous avons des amis, on vous trouvera de la protection.

SBRIGANY.

Mais, Monsieur, me répondez-vous que par ce moyen ?

LE FINANCIER.

Je me charge de l’événement, ne craignez rien.

SBRIGANY.

Je ferai tout ce que vous voudrez, vous n’avez qu’à dire.

LE FINANCIER.

21

Contentons d’abord les plus mutins avec de l’argent, ou de bonnes nippes. On prendra demain des mesures pour le reste.

LISETTE.

Ils ne seront pas malheureux si elles réussissent. Profitez de l’exemple, Messieurs, et si jamais quelque Napolitain est assez hardi pour faire une Loterie, que les Parisiens ne soient pas assez fous, pour y mettre.