Les Noces de Vaugirard
ou Les Naifvetez champestres
Pastorale

Par L.C.D.
[Discret]78

A PARIS.
Chez JEAN GVIGNARD, au premier
Pillier de la grand’ salle du Palais.
M. DC. XXXVIII.
Avec Privilege du Roy

Édition critique établie par Luca Falcone dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2012-2013)

Introduction : les « noces de vaugirard » une pièce creuset dans un moment de transition §

[...] je puis vous asseurer [...] que les oreilles delicates n’y trouveront point leur satisfaction, que les chercheurs de poinctes en trouveront plus chez les vitriers que dans mon livre [...]

[...] que si les Vers ne sont assez coulans à la fantaisie de ces Messieurs qui les voudront lire, vous le frottiez de beurre frais pour les rendre plus glissans & plus faciles à passer dans leurs delicates oreilles.

Ces deux citations, sont extraites respectivement de chacune des préfaces liminaires des deux seules pièces publiées1 par un auteur mineur des années 1630. On ne sait presque rien sur la vie de cet homme qui, en ayant signé ses pièces sous le sarcastique nom de plume de Discret demeure encore aujourd’hui dans l’ombre. Quoique discret, de nom et de fait, cet auteur ne fut sans doute pas dépourvu d’esprit ni ignorant les débats littéraires de son temps, étant donné que ses mots d’esprits sur les « délicates oreilles [des messieurs] » étaient perçues pour les lecteurs de l’époque, comme une malicieuse allusion à La Gazette de Renaudot, qui, en soutenant la naissante entreprise de réhabilitation du théâtre voulue par le cardinal Richelieu, rendait compte par des termes élogieux, le 6 janvier 1635, de l’épuration enfin réalisée : 

[la] Comédie2 depuis qu’on a banni des théâtres tout ce qui pouvoit souiller les oreilles plus délicates, est l’un des plus innocents divertissemens, & le plus agréable à [la] bonne ville de Paris : [la] bonté [du roi] est telle qu’il y veut entretenir trois bandes de Comédiens, la I. à l’hostel de Bourgoigne, la 2. aux marais du Temple, de laquelle Mondori ouvrit le Theatre Dimanche dernier : & la troisième aux faux-bourg S.Germain.

Comme l’on sait, le théâtre français connaît dans la première moitié du XVIIe siècle une série d’importantes transformations qui aboutissent à mettre en place autour des années 1650 ce qu’on appelle depuis le XVIIIe siècle le théâtre classique.

Or l’œuvre restreinte de Discret, et tout particulièrement la pièce Les Noces de Vaugirard,3 représentée en 1637, occupe une position privilégiée en ce qu’elle incarne certains aspects fondamentaux de la sensibilité esthétique d’une période charnière pour l’histoire du théâtre.

Dans le premier XVIIe siècle, c’est à dire quelques années avant la mise en œuvre de la reforme du théâtre, la scène dramatique se caractérise par un goût de la métamorphose et de l’ostentation4 produisant un théâtre, dit baroque, fait d’œuvres instables et irrégulières à l’égard des normes de ce qu’on nommera ensuite le classicisme. La modification du système esthétique baroque s’est faite par ce processus de régularisation qui commence à être mis en place à partir de 1629 à l’initiative de Richelieu, principal ministre du roi, et maître de la vie culturelle française. Cette mise en perspective historique, à peine ébauchée mais sur laquelle nous reviendrons, nous permet dès à présent, de faire apparaître l’intérêt de cet auteur mineur aujourd’hui méconnu. On serait induit en erreur si l’on se bornait à cantonner hâtivement Discret dans le coin des auteurs conservateurs, qui, en raillant ces « oreilles delicates » refuseraient radicalement la voie de la réforme ouverte par Richelieu et les auteurs qu’il protège. Les Noces de Vaugirard, représentée en 1637, témoigne au contraire de l’influence du mouvement réformiste, mais en même temps, elle nous montre aussi ses réticences, qui sont le signe d’une dépendance et d’un attachement à une esthétique antérieure qui reste encore bien vivante malgré le procès de régularisation. De ce point de vue, l’exemple canonique qu’illustre la tension entre ces deux systèmes esthétiques, insinués l’un dans l’autre, est, bien évidemment, Le Cid de Corneille. Cette pièce fut, elle aussi, représentée en 1637, et notre auteur Discret dans la préface de sa première comédie, fait un admiratif récit du retentissement que fit la pièce de Corneille :

[…] depuis quelques mois ont paru sur le théâtre de nos Comédiens avec tant d’éclat & d’admiration de chacun, que le seul bruit du Cid de Monsieur Corneille a fait souhaiter par toutes les bonnes villes de la France, qu’il y eust autant de troupes de Mondory, qu’il y en a maintenant de gendarmes dans la Flandre5 [...]

Le Cid, pour sa structure dramaturgique et thématique appartient pleinement à la tradition de la tragi-comédie, genre éminemment irrégulier. Et pourtant cette pièce constitue, comme l’a dit Hélène Baby : « la première tragi-comédie régulière6 » dans la mesure où Corneille réussit à garder l’essence romanesque du genre tragicomique tout en le pliant aux exigences des règles.

Si nous avons juxtaposé pour un moment deux pièces si différentes que sont Le Cid et Les Noces de Discret qui présente plusieurs traits tragi-comiques, c’est que cela nous permet d’apercevoir comment la tragi-comédie, par son goût du romanesque, est l’un des genres les plus représentatifs du premier XVIIe siècle. C’est un genre très mouvant, et, comme son nom l’indique, la tragi-comédie dès ses débuts entretient des rapports de promiscuité avec les autres genres dramatiques : la comédie, la tragédie et la pastorale.

Or la pièce de Discret reflète tout à fait cette pratique du mélange des genres, dès la page de titre l’on peut s’apercevoir de la bigarrure générique qu’elle contient : Les Noces de Vaugirard se présente en effet au lecteur comme Pastoralle dédiée à ceux qui veulent rire ; et c’est par là, que Discret convoque une diversité de genres. Sa pièce est d’abord explicitement donnée comme appartenant au genre Pastoralle, mais le rire, fonction qu’elle est supposée remplir, fait glisser l’identification générique dans un domaine qui appartient a priori à la comédie ; et en dernier lieu, même si cela n’apparaît pas d’emblée au lecteur, Les Noces prend aussi en compte le genre de la tragi-comédie, qui apparaît en creux dans l’analyse de la structure dramatique de la pièce7. C’est donc dans ce creuset des genres et dans la conséquente tension entre adhésion et résistance aux règles, que réside d’abord l’intérêt littéraire de la pièce de Discret.

La question du mélange des genres se rattache à une deuxième question concernant plus particulièrement le genre comique. On a vu que le comique est directement concerné, dans la mesure où il est question d’une Pastoralle dédiée à ceux qui veulent rire. Or l’utilisation du comique que fait Discret nous montre que les formes traditionnelles du rire ne disparaissent pas en dépit de l’expérience entreprise par Corneille entre 1629 et 1635 de produire une nouvelle Comédie qui, en accord avec la générale entreprise de polissage du théâtre, soit expurgée du rire et du ridicule. Au contraire, ces formes traditionnelles, loin de rester confinées dans la farce, contribuent à innerver les genres dramatiques qui, comme la pastorale, se prêtent à des inflexions comiques de ce type.

Par cette utilisation du comique traditionnel, auquel reviendra plus tard aussi Molière, Discret fait subir à la pastorale un traitement parodique : il s’agit donc de rire de la pastorale. Or dans la conscience commune, le terme de parodie évoque spontanément, et exclusivement, l’imitation à visée satirique, mais en réalité, l’intention moqueuse n’est pas forcement la seule fonction attribuable à la parodie, qui se manifeste aussi par des imitations à visée non satirique. Le régime parodique, est en effet une pratique bien plus complexe en ce qu’elle contient une large gamme de gradations et attitudes différentes qui intéressent le rapport entre l’imitateur et son modèle8. La question de la parodie nous permet ainsi d’analyser les transformations des poncifs du genre pastoral à l’intérieur de la pièce.

La construction de la figure auctoriale §

La condition de l’auteur, « tres-humble & tres obeïssant serviteur » §

En voulant s’arrêter au seuil de la pièce, on s’aperçoit que Discret pratique la parodie dès les préfaces, d’où il fait allusion à l’actualité théâtrale de sont temps sous le mode de la raillerie, comme le montrent les deux citations d’ouverture.

En l’absence des documents nous fournissant directement des éléments sur la vie de cet homme, les textes liminaires nous permettent d’analyser l’image d’auteur avec laquelle il entendait se présenter à son lecteur, et par là nous essayons de formuler des hypothèses concernant ses relations avec le contexte théâtral de son temps.

En ce qui concerne l’origine sociale des dramaturges, nous savons qu’ils appartiennent majoritairement au milieu de la bourgeoisie, et s’ils peuvent aussi provenir de la noblesse, l’appartenance à l’aristocratie ne leur garantit nullement une prospérité financière : tel fut par exemple le cas de Tristan L’Hermite (1601-1655), né de haute condition mais pauvre, à cause de son père, mort tôt et ruiné.

Exercer la carrière d’écrivain ne constitue pas une véritable situation, car les revenues sont limitées et peu sûres. Celles-ci sont constituées essentiellement des gains de la représentation et de ceux provenant de la vente des pièces imprimées.

Pour les représentations, les auteurs sont payés au forfait ou bien au pourcentage. Les forfaits sont évidemment fixés en fonction de l’âge et de la notoriété du dramaturge et les chefs de troupe n’hésitent pas à profiter de quelques jeunes auteurs prometteurs et ambitieux qu’on rémunère assez peu, alors qu’ils doivent accepter les conditions d’un auteur à succès. La rémunération au pourcentage, qui ne se généralise cependant pas avant les années 1660, correspond en général à un douzième ou un treizième du gain des représentations. Les troupes, à la fin de chaque spectacle, après avoir retranché les dépenses, divisent les gains en attribuant une part à chaque comédien, et le dramaturge avait en général aussi droit à sa propre part. En ce qui concerne la vente des pièces imprimées, on enregistre entre 1630 et 1639, grâce à la réhabilitation du théâtre, une forte progression des impressions de pièces de théâtre, c’est à dire une augmentation de la demande commerciale.

Cependant malgré cette progression, cela ne suffisait pas à vivre. Même des auteurs célèbres et à « gros tirage9 » comme Corneille ou Scarron, ne pouvaient pas compter sur ces seules revenues pour avoir un train de vie honorable. Bref, les dramaturges ne pouvaient pas vivre de leur plume. Ainsi il était nécessaire d’acquérir un état, exercer une profession, une charge ou un office quelconque et surtout il était fondamental, pour les auteurs qui voulaient réussir, de chercher la protection et les faveurs de quelque puissant seigneur. Il s’agit donc pour l’écrivain de s’appuyer sur les ressources du clientélisme et du mécénat, deux systèmes très répandus au XVIIe siècle qui étaient fondés sur la logique du service et de la reconnaissance10. Par conséquent, pour remercier les seigneurs, pour exprimer leur gratitude d’une faveur particulière, ou pour solliciter surtout la gratification d’un mécène, les auteurs placent au début de leur œuvre ces fameuses épîtres, véritables cérémonials de flatterie du « tres-humble & tres obeïssant serviteur ». Or, face à cette pratique, la teneur du discours entrepris par Discret dans les préfaces semble le situer à l’opposé de la figure du dramaturge qu’on vient de décrire. C’est ainsi que dans l’épître des Noces, il tient à prévenir son lecteur du fait que :

Vous n’y trouverez point dans l’Advertissement au Lecteur ce que les Autheurs du temps ont coustume d’y mettre : [...] car pour moy je ne sçaurois flatter, je dis librement mes pensées [...] sans chercher la protection des grands, ainsi que beaucoup font, & qui s’imaginent que le nom de ceux à qui leurs livres sont dediez excusent leurs fautes, & deffendent leurs œuvres de la médisance [...]

Discret paraît donc refuser le système d’asservissement auquel s’adonnent la plupart des auteurs. Par conséquent, puisqu’il ne recherche pas l’appui d’un protecteur, figure si importante pour la réussite de la carrière d’un écrivain, cela nous induit à penser qu’il ne s’agit que d’un homme modeste, dépourvu de toute volonté de parvenir à la gloire d’une véritable réussite littéraire ; lui-même nous dit d’ailleurs dans sa première publication : « je ne fais point profession d’être poëte11 » et il développe ensuite plus longuement cette considération dans l’épître de sa deuxième pièce :

mon humeur indifferente ne se soucie de la probation des doctes, ny du mépris des ignorans [...] Je vous faits present (Messieurs) de cette Pastoralle, recevez la telle qu’elle est, acheptez la, ne l’acheptez pas, lisez la, ne la lisez pas, riez en, n’en riez pas : Il y a long-temps que je faits profession de ne me soucier des loüanges du monde & que j’ay perdu la volonté de paroistre habile homme, puisque j’ay recogneu avoir esté né pour ne l’estre pas12.

C’est par ces quelques lignes de supérieure indifférence qu’il livre nonchalamment en 1638 sa deuxième et dernière pièce au goût du lecteur. Mais faut-il vraiment croire à cette attitude d’indifférence ? Il est vrai que sa production restreinte, laisse penser qu’il ne s’agit là que d’un auteur occasionnel, qui a probablement arrêté sa carrière assez tôt. En outre ses pièces ne semblent pas être très représentatives des la production théâtrale des années 1630, puisque, comme le dit Charles Mazouer : « [les] genres pratiqués [...] sont ceux qui ont la faveur du public en ces années : la tragi-comédie et la tragédie d’abord ; assez loin derrière la comédie et plus loin encore la pastorale13. » Or à travers leurs frontispices14 on voit que ses deux pièces de Discret s’affichent précisément comme appartenant à ces deux derniers genres assez démodés qu’on vient d’évoquer.

Le public visé par Discret §

Cependant le fait que Discret choisit d’écrire dans des genres qui ne sont plus à la mode, n’explique pas forcément l’attitude d’indifférence dont il se pare, et la condition d’amateur qu’on pourrait lui prêter. À regarder de plus près la production théâtrale de ces années, on se rend compte que ces genres désuets, qui avaient connu leur apogée dans le premier tiers du siècle, arrivent malgré tout  à survivre : la pastorale trouve une nouvelle longévité en se glissant dans les genres voisins de la tragi-comédie et de la comédie ; le genre comique de son côté, qui avait été directement concerné par le mouvement de réhabilitation et de normalisation du théâtre dirigé par Richelieu, garde néanmoins un espace pour le comique traditionnel, même s’il est désormais confiné à une vie plus marginale mais qui trouve malgré tout son public. Dès lors, peut-on parler, en suivant l’abbé D’Aubignac, d’un public populaire, qui n’ayant du plaisir que pour les spectacles « des-honnestes » n’est que « populace élevée dans la fange15 » ? Il est certain que, D’Aubignac avait trop d’intérêt à rabaisser le comique traditionnel pour qu’on puisse prêter foi à ses affirmations. Nous somme plutôt, enclin à penser que, compte tenu des catégories socioprofessionnelles qui peuvent se permettre d’aller au théâtre à cette époque16, Discret s’adresse à un public choisi, appartenant « au meilleures maisons de Paris17 », mais qui ne dédaignent pas pour autant la trivialité d’un comique s’inspirant de la farce traditionnelle. C’est ainsi que l’attitude détachée qu’il manifeste dans ses advertissements aux égards des pratiques flatteuses des auteurs à la mode peut être vue comme une stratégie d’écrivain visant à proposer une image d’auteur différente, fondée sur le refus et la subversion railleuse des autres pratiques auctoriales. Dès lors, Discret n’est pas forcement l’auteur insensible au sort de sa pièce, comme il veut le laisser croire ; et ses advertissements au lecteur contiennent tout une série de signaux textuels qui montrent la volonté de l’auteur de promouvoir son œuvre et son attention au contexte théâtral.

La parodie de la pratique auctoriale §

La comparaison des deux éditions successives de sa première comédie, Alizon, nous montre, la volonté de l’auteur d’inscrire dans ses publications l’actualité théâtrale de son temps, et cela même dans l’espace considérable d’une vingtaine d’année qui sépare les deux éditions de sa pièce. En effet, alors que dans la première édition de 1637, on trouve les allusions à la troupe de Mondory et au succès retentissant du Cid18, dans l’édition de 1664, n’étant plus d’actualité, la référence particulière à cette représentation est supprimée, tout comme un long passage relatant les trois représentations privées de sa pièce19. À côté de ces retranchements, on voit en revanche apparaître toujours dans cette deuxième édition de 1664, une épître dédicatoire dédiée à « Mesdames les beurières de Paris », qui affirme et prolonge la stratégie de subversion de la figure auctoriale déjà entamée, vingt ans plutôt, dans l’Advertissement au lecteur des Noces20.

Bouleversant ainsi la figure habituelle du destinataire de l’épître, Discret dégrade indirectement la pratique des autres auteurs, en s’inscrivant dans la tradition burlesque inaugurée par Sorel et poursuivie par Scarron chez qui l’on trouve des stratégies auctoriales similaires21. On peut dès lors parler d’une sorte « d’anti-épître dédicatoire22 » construit sur le refus parodique de la pratique auctoriale sérieuse ; un refus qui cependant n’exclue pas, comme on l’a vu, l’intention de l’auteur de s’approprier un public.

Le souci de Discret, dans la mise en place de la stratégie d’auteur, ne reste pas confiné dans les épîtres car au théâtre l’appareil para-textuel déborde souvent les contours de la feuille écrite : de telle façon que, en paraphrasant Pierre Larthomas23, nous pouvons dire que le texte théâtral se construit par un « compromis » entre deux espaces d’expression : celui du livre et celui de la scène. C’est ainsi que dans la première comédie de Discret, le titre même : Alizon, établit un pont avec la réalité théâtrale du temps, et nous aide à comprendre le type de relations que le dramaturge aurait pu avoir avec les théâtres parisiens et leurs comédiens. Alizon est le nom d’un personnage comique appartenant à la tradition farcesque qu’on trouve bien avant 1637, et comme ce personnage de vieille au franc-parler et à l’affût d’amours tardives constitue la figure principale autour de laquelle la pièce est construite, il était normal que l’auteur choisisse de le faire apparaître dans le titre. D’autant plus que Alizon était aussi le nom de scène que portait un acteur de cette période spécialisé dans ce rôle24. Ainsi Discret aurait pu concevoir sa pièce, en pensant la faire jouer par cet acteur ; ce n’était pas qu’une pratique isolée d’écrire des pièces faites « sur mesure », exploitant le nom d’un acteur célèbre, qui pouvait ainsi assurer la venue du public, désireux de voir tel ou tel acteur sur scène25.

Les conditions de creation et de représentation §

Autour de la coïncidence entre le nom de l’acteur et le titre de la pièce, une partie de la critique, principalement représenté dans la figure de H. C. Lancaster, a avancé l’hypothèse que la pièce Alizon, aurait été représentée au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. Cette hypothèse a ensuite été contestée, par une proposition adverse, qui est allée plutôt dans le sens d’une éventuelle représentation donnée au Théâtre du Marais. Ce débat autour des représentations s’est avéré précieux pour notre recherche même si cela ne concerne pas directement la pièce des Noces. En l’absence d’informations sur les conditions de représentation de celle-ci, la considérable proximité — autant dans le temps que dans le traitement — des Noces (1638) avec Alizon (1637) ; nous permet de faire valoir pour toutes les deux les considérations que nous allons entreprendre sur les représentations d’Alizon.

Lieux et modalités de la représentation §

La circulation des comédiens §

Dans le dictionnaire des Frères Parfaict, une notice26 concernant cette pièce indique que Alizon aurait été représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1637, l’année même de sa publication. Suivant cet indication, H. C. Lancaster a tenté de démontrer que cette même année, l’acteur Alizon, après une série d’allées et venues de la troupe du Marais à celle de l’Hôtel de Bourgogne27, faisait partie de cette dernière et qu’il aurait par conséquent interprété le rôle traditionnel de la vieille Alizon dans la pièce homonyme de Discret28. Cette proposition a été ensuite reprise par Dierkauf-Holsboer, qui a montré comment certains éléments de la reconstruction de Lancaster étaient sans fondement29, venant ainsi à la conclusion que l’acteur Alizon avait bien fait partie de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne mais seulement pendant quelque mois en 1635 pour ensuite quitter Paris et continuer sa carrière en province30.

Les allusions textuelles §

D’autres critiques sont allés plus loin ; jusqu’au point de remettre en cause l’idée que la pièce ait pu être représentée dans le théâtre de la rue Mauconseil. Comme on l’a vu, l’Advertissement au lecteur, contient des allusions élogieuses à la troupe de Montdory, mais surtout avant le début de la pièce, on trouve un poème liminaire où l’on fait allusion à plusieurs œuvres dramatiques que l’on sait avoir été toutes représentées au théâtre du Marais : « A luy-mesme. / Mariane, le Cid, Cesar, & Cléopatre31, / Paroissans au théâtre, / Ont ravy les esprits par l’oreille & les yeux : / Mais qui preferera le plaisir à tristesse, / Doit cherir Alizon autant qu’une Deesse / Comme un present des Cieux. / C.M. Fort de ces indices, l’auteur de l’unique édition critique d’Alizon32 a cru, puisque Discret s’exprimait en des termes élogieux envers des pièces représentées au théâtre du Marais, que sa pièce ne pouvait être destinée qu’à ce théâtre. En voulant suivre le raisonnement de ce critique, on pourrait corroborer son argumentation en avançant que, considération faite de la rude concurrence que le Marais et l’Hôtel de Bourgogne se faisaient l’un l’autre, Discret ne se serait pas employé à mettre en bonne lumière le théâtre du Marais s’il n’y avait pas été attaché par des intérêts personnels. Toutefois ce critique, se limite à ce raisonnement déductif et ne propose aucun autre argument pour fortifier la thèse selon laquelle Alizon aurait été représentée au Marais.

Le répertoire des théâtres parisiens §

Si les arguments fournis par Lancaster n’apparaissent pas plus probants, en revanche la prise en considération des répertoires des pièces jouées, appartenant aux deux seuls théâtres stables parisiens des années 1630, nous porte plutôt à attribuer, comme étant plus plausible, la possibilité d’une représentation de la pièce de Discret à l’Hôtel de Bourgogne.

Grâce au processus de régularisation du théâtre, l’Hôtel de Bourgogne connut un renouvellement important des membres de sa troupe et de son répertoire, afin de se focaliser sur le théâtre littéraire et devenir ainsi le premier théâtre de Paris. Toutefois, il n’y eut pas de coupure nette avec le répertoire comique traditionnel, qui avait caractérisé la scène de ce théâtre pendant la période finissant où il avait été dirigé par le célèbre acteur Robert Guérin, mieux connu sous son nom de guerre Gros-Guillaume. Le répertoire comique de l’Hôtel de Bourgogne gardait donc un lien fort avec le comique traditionnel. Au contraire, la troupe de Charles Le Noir et Montdory, qui se transformera en la troupe du Marais, s’était illustrée pour avoir joué dans son répertoire Mélite, la première comédie de Pierre Corneille, qui entre 1629 et 1634 produisit un type de comédie nouvelle dépourvue des ressorts traditionnels du comique grossier traditionnel. Cela nous invite à mieux considérer comment les pièces de Discret, franchement rattachées à l’esprit du comique traditionnel, pouvaient être plus facilement accueillies dans le répertoire de l’Hôtel de Bourgogne que dans celui du Théâtre du Marais.

D’autre part, en revenant aux pièces imprimées, on observe que si l’on a trouvé des allusions aux pièces jouées au Marais dans l’appareil para-textuel d’Alizon, celui des Noces ne se trouve pas non plus dépourvu d’indices textuels de ce type, mais qui semblent plutôt faire référence à l’Hôtel de Bourgogne. Dans l’Advertissement des Noces que nous avons déjà cité plus haut, Discret, cherchant à se distinguer des autres auteurs, nous dit : « moy je ne sçaurois flatter [...] sans chercher la protection des grands, ainsi que beaucoup font, & qui s’imaginent que le nom de ceux à qui leurs livres sont dediez excusent leurs fautes, & deffendent leurs œuvres de la médisance [...] ». Selon Lancaster, ce passage est une pique lancée contre les prétentions de Rotrou qui, dans l’épître dédicatoire de L’heureuse constance de 163633, représentée pour la première fois en 1631 à l’Hôtel de Bourgogne34, avait manifesté son désintérêt hautain à l’égard de tout jugement sur son œuvre. L’identification de Rotrou en tant que cible de l’accusation allusive faite par Discret semble être plausible, d’autant plus qu’à l’intérieur de l’Advertissement, l’auteur des Noces étale sa critique railleuse en conseillant « aux Autheurs du temps [...] de donner plus de temps à la composition de leurs ouvrages, & de ne les entreprendre si jeunes ». Par rapport au contexte théâtral évoqué au début de l’introduction, nous avons toutes les raisons de croire que ces jeunes auteurs sont ceux qui constituent la « société des cinq » voulue par Richelieu. Parmi ceux-ci, Jean de Rotrou, tout de suite après Corneille, est l’auteur le plus jeune du groupe35 : en 1637, l’année de la publication des Noces, il a 28 ans, et si l’on accepte l’année 1631 comme datation de la représentation de L’heureuse constance, cela signifie qu’il ne pouvait avoir plus de 22 ans lorsqu’il écrivait cette pièce. Le jeune Rotrou avait commencé sa carrière à l’Hôtel de Bourgogne dont il en était devenu le poète à gage. Bien qu’appartenant à ce groupe de jeunes dramaturges désireux de renouveler le théâtre, il restait le grand représentant de la tragicomédie traditionnelle. À la différence de Corneille, qui étais le poète phare du Marais, Rotrou ne participa jamais aux tendances contemporaines36. Malgré les critiques que Discret fait à Rotrou, la constante présence de ce poète manifeste que le répertoire de l’Hôtel de Bourgogne restait plus attaché à la tradition, donc qu’il pouvait plus facilement accueillir une pièce présentant les caractéristiques traditionnelles comme celle de Discret. De plus, Dierkauf-Holsboer qui a reconstitué le répertoire de la rue Mauconseil dans les années 1636 et 1637, grâce aux données fournis par le Mémoire de Mahelot et les travaux de Lancaster, indique comme très probable la possibilité que Les Noces ait pu être représentée à l’Hôtel de Bourgogne37.

Les conditions matérielles §

Le décor au théâtre de l’hôtel de bourgogne §

Savoir dans quel théâtre Les Noces de Vaugirard a pu être représentée, on a vu que ce n’était pas une chose facile à déterminer. Mais quelle que soit la salle de représentation envisagée, cela ne comporte pas de différences sensibles en ce qui concerne le décor, car les dispositifs scénographiques pratiqués par le Théâtre du Marais et l’Hôtel de Bourgogne étaient à peu près équivalents pendant les années 1630. Les genres dramatiques qui dominent nettement cette période, et d’autant plus qu’ils ne se distinguent pas toujours clairement l’un de l’autre sont la tragi-comédie et la pastorale. C’est à ce dernier qu’appartient la pièce de Discret et cela constitue pour notre étude un avantage considérable dans la compréhension du décor des Noces. La scénographie de la pastorale en effet, au contraire de la tragi-comédie, présente une fixité des décors, puisqu’on utilisait toujours les mêmes lieux topiques. Le caractère récurrent que présente le décor pastoral est manifeste dans les annotations du répertoire de Mahelot où, comme le fait remarquer Pierre Pasquier : 

Il arrivera [que] le rédacteur ne jugera plus utile de décrire les chambres à constituer et se bornera à s’en remettre à l’expérience du peintre chargé de la réalisation des décors. Ainsi la notice des Trois semblables commence par ces mots : « Il faut que le théâtre soit en Pastorale, a la discretion du feinteur » [...] Sans doute la confection des décors de pastorales obéissait-elle, à cette époque, à une tradition déjà ancienne qui ne laissait plus guère place à l’invention et les peintres se contentaient de reproduire des patrons, peut-être transmis par les Italiens38.

Par conséquent, grâce à la fixité des éléments du décor de la scénographie pastorale qui les rendent aisément identifiables, nous pouvons reconstruire assez précisément, à partir des esquisses de Mahelot, le décor probable des Noces selon les indications textuelles présentes dans la pièce. L’usage général dans l’élaboration du décor à l’Hôtel de Bourgogne correspond au dispositif des cinq chambres ou compartiments. L’usage consistait à installer cinq chambres autour de l’espace vide au centre de la scène ; deux chambres étaient placées côtés jardin, deux côté cour et une au centre du dispositif au fond de la scène.

Il existe quelques exceptions à cet usage, mais elles restent assez peu nombreuses et la plupart des dispositifs scéniques dessinés par Mahelot suit l’usage des cinq chambres. Cet usage paraît avoir été si influent au point que des pièces s’y conforment même si la spatialisation de leur action à représenter nécessite moins de cinq chambres.

La caractérisation des chambres entourant l’espace vide obéit à un usage et à une typologie bien précise. C’est ainsi qu’à travers les croquis de Mahelot, on peut dresser un inventaire des chambres qui étaient employées dans la scénographie. Dans l’élaboration de cet inventaire, Pierre Pasquier énumère les différents types en faisant remarquer la distinction hiérarchique qu’il y avait entre les chambres majeures et les chambres mineures, selon leur fréquence d’apparitions dans les dispositifs scéniques dessinés par Mahelot. En ce qui concerne le genre de la pastorale, P. Pasquier nous dit que : 

d’autres types de chambres semblent procéder de la scénographie de la pastorale, telle que l’on la concevait au XVIe siècle dans les cours italiennes et telle qu’elle s’est transmise à la France du XVIIe siècle [...] Il s’agit parmi les chambres majeures, de la grotte, du jardin, du bois, des rochers et peut-être du palais, parmi les chambres mineures, de la fontaine ou de la source, du temple, du tombeau, de la rivière, et de l’arche de verdure.

Parmi ces onze lieux topiques du genre de la pastorale à quoi correspond une chambre pour chacun, on en trouve, à travers les références textuelles, bien six dans les Noces. À ceux-ci il faut en rajouter deux autres qui témoignent de l’inflexion que la pastorale connaît dans la pièce de Discret. Le cadre idyllique de la pastorale, est atténué en effet par la présence des deux lieux scéniques supplémentaires appartenant plutôt au genre de la comédie. Il s’agit: premièrement du décor représentant le village, qui devait correspondre à une chambre placée au fond de la scène ; et deuxièmement celui représentant un carrefour39, prolongement spatial du village dans l’espace vide de la scène.

Une fois identifiés, à travers l’analyse textuelle, tous les lieux40 où est censé se passer l’histoire de la pièce, nous avons essayé de comprendre à quels emplacements pouvaient avoir été disposées les chambres pour former le décor, selon les nécessités de l’action et du jeu des acteurs dans la pièce.

Résumé de la pièce §

Acte premier [Première journée] §

• I , 1 • Pancrace, le vieux berger du village, se félicite de voir enfin son dessein accompli pour le mariage de sa fille Amarille avec Floridon, lequel, aux yeux du vieux père, passe pour être le meilleur gendre qu’on puisse espérer. Le vieux Pancrace est d’autant plus satisfait que, s’il n’avait pas veillé à contrôler les événements, le mariage qu’il ambitionnait aurait pu s’écrouler à cause des amourettes que sa fille entretient avec un jeune nommé Polydas que tout le monde croit un berger étranger mais qui se révèlera être en réalité un jeune noble parisien. Amarille, bien qu’elle se soit pliée aux volontés de son père, a néanmoins exigé de faire ajouter au contrat de mariage une clause interdisant à son époux de coucher avec elle avant une période de six mois à compter du jour des noces. Pancrace a bien voulu la contenter, convaincu du fait qu’une fois mariée, sa fille cédera bien facilement aux attraits de la vie conjugale, et se laissera faire par son époux. C’est pourquoi il s’en va accueillir allègrement les invités pour mener les danses de la fête organisée pour les noces. • I , 2 • Entretemps Floridon, l’heureux époux, s’apprête à célébrer le jour qui va désormais l’unir avec sa bien aimée Amarille, mettant ainsi un terme à ses peines et à ses attentes interminables. En croyant que l’amour de cette union est réciproque, Floridon, pense ingénument que la clause des six mois, n’est en réalité qu’une adroite manière de son épouse pour tromper Polydas en lui donnant un faux espoir afin de n’être plus embarrassée par lui. • I , 3 • De son côté, le berger Polydas, qui entretient cette relation amoureuse avec la fille de Pancrace, se plaint de s’être fait dérober sa belle Amarille pour laquelle il était venu habiter la campagne. Il aurait déjà tué Floridon, afin de punir son insolence d’avoir voulu rivaliser avec lui, si Amarille ne lui avait pas prouvé, par cette clause des six mois, son amour et sa volonté de lui rester fidèle malgré le fait d’avoir été unie en mariage avec Floridon. Conforté par l’engagement qu’Amarille a pris avec lui, Polydas décide de patienter, tout en se disant que, quand dans quelques jours un bateau qu’il attend aura jeté l’ancre, il pourra enfin enlever Amarille. Avec cet espoir il décide d’aller participer à la fête des noces afin de ne pas donner la possibilité de faire naître des soupçons sur lui. • I , 4 • Pendant que Pancrace exhorte ses invités à prendre part aux danses, Polydas apparaît, mais, ne voulant pas se faire remarquer, décide d’observer la scène en se tenant à l’écart ; tout à coup, pendant qu’il observe le groupe, il aperçoit parmi les invités Lydiane et il en tombe amoureux à l’instant même. Dès lors, ne pouvant plus demeurer à l’écart, il se décide à aller joindre le groupe et invite Lidiane à une danse. Après un certain temps où les invités se délectent avec les danses Pancrace fait taire les musiciens et invite jovialement ses hôtes à rentrer au logis pour se régaler du banquet nuptial organisé pour la fête. • I , 5 • C’est ainsi que, ayant laissé partir tout le monde, Amarille peut profiter d’un moment de solitude pour donner libre cours à son affliction en se demandant comment l’ingrat Polydas ait pu danser, sous ses yeux, avec Lidiane. Or à ce moment là, Amarille voit s’approcher le berger Polydas dont elle vient de se plaindre. Celui-ci, se croyant seul, déclare passionnément l’extraordinaire beauté de Lidiane qu’il avait dû jusque-là retenir en son cœur. S’étant ensuite aperçu de la présence d’Amarille il se précipite sur elle avec des paroles douces en espérant qu’elle n’ait rien entendu. Amarille demeure, dans un premier temps, insensible aux tendresse du berger en lui reprochant sa conduite ; mais finalement Polydas réussit adroitement à la persuader du fait qu’il n’aurait dansé avec Lidiane que pour écarter les soupçons sur son compte, mais qu’en fait derrière cette comédie, il lui reste fidèle plus que jamais. Ainsi, grâce à cette ruse Polydas réussit, plus ou moins, à rassurer Amarille qui, après lui avoir donné un baiser, s’en retourne à la fête. La voyant s’en aller, Polydas sent sur lui le chatouillement d’un petit remords mais il s’innocente facilement en se disant que de toute façon il ne peut rien faire pour résister aux charmes de Lidiane et qu’il ne croit pas du tout que Floridon puisse vraisemblablement attendre les six moins exigés par Amarille. C’est ainsi qu’il s’apprête à rejoindre les autres invités au souper des noces en espérant jouir des faveurs de Lidiane.

Acte II [Deuxième journée] §

• II , 1 • L’acte s’ouvre par de mélancoliques réflexions de Lidiane sur la misérable condition de l’homme, soumis aux souffrances de l’amour et aux aléas de la vie terrestre. Elle évoque la guerre qui les a obligées, elle et sa mère Luciane, à quitter leur contrée, les souffrances interminable face auxquelles elle a, plus d’une fois, souhaité de mettre fin à sa vie. Enfin pour occuper son esprit à des réflexions moins tristes, Lidiane se met à songer aux charmes de Polydas, qui ont fait grand effet sur elle la veille au soir. Voici alors que Polydas survient et les deux amoureux commencent à se faire des galanteries, se déclarant ainsi réciproquement leur amour pour ensuite disparaître ensemble sous la fraicheur des ormeaux. • II , 2 • Non loin de là, le berger Pysandre mène son petit troupeau dans les prés, et comme il se trouve à passer près d’une grotte, il entend la voix d’Écho qui s’adresse à lui.  Mais Pysandre, craignant d’entendre des mauvais présages, s’éloigne de la grotte pour aller attendre dans un coin tranquille l’arrivée de sa bergère Cleanide. Une fois celle-ci arrivée, Pysandre lui fait croire d’avoir été mordu sur les lèvres par une abeille et il lui demande de soulager sa douleur par des baisers. Après ce petit jeu, Pysandre et Cleanide aperçoivent Polydas et Lidiane, alors les deux couples se rejoignent et décident de passer le reste de la journée ensemble dans les prés, avec aussi Amarille qui, ayant pu se débarrasser de son mari importun Floridon, les a rejoint entretemps. Pour divertir la compagnie, Polydas sort de sa poche un petit livre de divination, et à tour de rôle les bergers lisent un quatrain qui contient, sur le ton de la révélation et du présage, des réprimandes malicieuses concernant les amours de chacun. La compagnie s’arrête de jouer quand Floridon, le niais du groupe arrive et demande de pouvoir s’unir à leur compagnie. Alors, pour se débarrasser de lui, Polydas propose à la compagnie de jouer à la cligne-musette. C’est ainsi qu’au deuxième tour du jeu, grâce aux tricheries d’Amarille et Polydas, c’est à Floridon de devoir chercher les autres. Ainsi pendant qu’il garde les yeux fermés, toute la compagnie se sauve l’abandonnant dans le pré alors que la nuit commence à tomber. Floridon reste quelque temps à les chercher en vain, jusqu’à ce qu’il comprenne, pendant qu’Écho se moque de lui, qu’il a été berné. Il rentre donc au village en jurant de se venger de l’affront subi. • II , 3 •  Entretemps, avec la tombée de la nuit, le vieux Pancrace, s’étant épris de Luciane depuis la fête des noces, se dirige en parfait amant sous la fenêtre de la vieille pour lui faire une sérénade au clair de la lune. Celle-ci apparaît alors à la fenêtre en coiffe de nuit et, pour le remercier, elle lui tend en signe de sa faveur un anneau que le vieux berger reçoit avec milles transports.

Acte III [Troisième journée] §

• III , 1 • Le lendemain, devant son fidèle ami Pysandre, le berger Polydas se plaint de ne pouvoir plus revoir la belle Lidiane. Pysandre alors, voulant lui apporter du secours, le prie de lui révéler la cause de son malheur. Ainsi, après quelques hésitations Polydas lui raconte que, ayant raccompagné Lidiane chez elle, celle-ci lui a donné un baiser sur la bouche devant sa porte, mais que par malheur, la vieille Luciane, les ayant surpris par la fenêtre, a giflée sa fille en lui interdisant de ne plus sortir pendant six mois. Ayant entendu ce pitoyable récit, Pysandre se propose d’aider son ami en tant qu’intermédiaire entre les deux amants. Polydas alors lui confie une lettre à apporter à la belle Lidiane. Ainsi les deux amis se séparent avec la promesse de se retrouver une heure plus tard au même endroit. • III, 2 • Entretemps Amarille se plaint d’être délaissée par Polydas au profit de Lidiane ; et pendant qu’elle tient ce discours, son mari Floridon débarque. Mais se voyant durement rejeté par sa nouvelle femme, Floridon lui dit qu’elle devra bien un jour se plier aux lois du mariage et que de toute façon désormais Polydas ne veut plus d’elle. Une fois la dispute entre les époux terminée, Floridon s’en va et Amarille se voyant accablée de toutes parts, s’en prend à l’injustice des pères, qui marient leurs filles contre leurs volontés. Elle espère enfin que le ciel, prenant pitié d’elle, changera son sort. • III, 3 • Luciane, déçue par sa fille Lidiane, déplore la décadence des mœurs du temps, en évoquant en contrexemple la stricte pudeur de son époque. Mais Pancrace, beaucoup moins stricte qu’elle, à l’inverse, considère d’un bon œil le fait de vouloir suivre son désir amoureux, et sur le ton badin reproche à Luciane, de ne pas avoir été si chaste en sa jeunesse comme elle voudrait le laisser croire. Puis le vieux berger lui propose de l’accepter comme époux, mais, bien que Pancrace lui assure d’avoir encore bien de vigueur, Luciane cherche à le dissuader en raison de leur âge avancé. Luciane revient enfin sur le déshonneur causé par sa fille, et Pancrace s’offre vaillamment à aller donner une leçon à ce coquin séducteur. Les deux aperçoivent alors un berger s’approcher, que Luciane prend dans un premier moment pour celui qui a embrassé sa fille. Mais, voyant qu’il ne s’agit que de Pysandre, Pancrace refroidit son élan vengeur et invite galamment sa nouvelle fiancée Luciane à aller prendre une collation. • III , 4 • Pysandre de son côté, une fois arrivé devant la maison où Lidiane demeure enfermée par sa mère, lui fait passer la lettre de Polydas à travers la fenêtre. Elle lit la lettre immédiatement sans en révéler le contenu puis dit à son cousin de rapporter à Polydas que, bien qu’elle ait de la crainte pour la résolution prise par Polydas, elle se tient néanmoins prête à le suivre. Une fois Pysandre parti, elle va donc préparer ses bagages pour la fuite nocturne. • III , 5 • Luciane et Pancrace, reviennent de leur collation, mais en chemin, ils voient approcher de l’autre côté Pysandre et Polydas, qui ne les ayant pas aperçus continuent leur conversation, jusqu’au moment au où Pancrace les interpelle brusquement. Le vieux et les bergers commencent à s’insulter pendant que la vieille Luciane essaie de retenir la fureur de Pancrace, dont les deux jeunes se moquent éperdument. Enfin Luciane réussit à ramener Pancrace vers le village, sous les railleries des deux bergers. • III , 6 • Pancrace revient tout seul portant une hallebarde pour se battre. Mais ne trouvant personne, il se rit de la couardise de Polydas qui selon lui n’a pas eu le courage de l’attendre pour le duel. Enfin le soir tombant, il rentre au village.

Acte IV §

• IV , 1 • Polydas s’avance dans la nuit un flambeau à la main en invoquant les dieux pour qu’ils veuillent bien l’assister dans son périlleux projet. Arrivé au village il met le feu à une maison afin qu’une fois l’incendie répandu, il puisse, au milieu de la confusion générale, enlever Lidiane sans qu’on s’en aperçoive. • IV , 2 • Au beau milieu de la nuit, Luciane lance l’alarme de sa fenêtre ; Pancrace, en chemise de nuit, se précipite à son secours, avec bientôt le support de Pysandre et d’autres bergers. Tout le village est en tumulte, et on envoie chercher de l’eau pour essayer de maîtriser les flammes. • IV , 3 • Le moment est ainsi propice pour Polydas qui entre dans la maison de Lidiane et l’enlève. Puis, arrivés au bord d’un rivage Polydas fait monter Lidiane dans un bateau qu’il avait placé là pour s’enfuir, mais au moment où il s’apprête à monter à son tour, la corde à laquelle le bateau était accrochée se rompt, et Lidiane est ainsi emportée par le courant. Polydas en proie à la panique cherche un moyen pour la rejoindre, mais il ne trouve rien, et comble du malheur, il voit au loin Lidiane tomber dans l’eau. Ainsi en proie à la folie Polydas s’en prend à Neptune et à l’inclémence des dieux qui ont voulu lui ravir sa belle. Il décide alors de se donner la mort, en se précipitant dans la grotte des démons, et avant de se précipiter il grave au couteau quelques vers funèbres sur un rocher près du lieu de sa mort. • IV , 4 • Luciane, attristée par la fuite de sa fille, implore les dieux de lui dire pourquoi ils lui infligent de telles souffrances ; elle qui a toujours vécu de façon vertueuse. Puis en invoquant la lettre que Lidiane a oubliée dans la maison, Luciane déplore d’avoir une fille si sotte au point de se laisser duper par les galantes promesses de son ravisseur. Elle en vient enfin à se souhaiter une mort prochaine plutôt que de voir le nom de sa famille couvert de déshonneur par sa fille. Ce disant, elle retourne vers son logis pour recueillir ce qui a survécu aux flammes, en s’en allant elle pense à envoyer sa servante Pernelle à la recherche de sa fille. • IV , 5 • Après la fuite de Polydas, Amarille ayant été abandonnée éclate de colère, et invoque la justice des Dieux afin d’obtenir vengeance. Cependant, comme les dieux ne répondent pas à son appel elle en tire la conclusion qu’ils doivent plutôt prendre plaisir à la voir souffrir. Alors afin d’arrêter ses souffrances elle décide de se donner la mort, quand, s’approchant d’un rocher, elle découvre l’épitaphe gravée par Polydas par quoi elle comprend que celui-ci s’est suicidé à cause de la perte de Lidiane. Par conséquent elle décide aussi de mettre un terme à sa vie, et se précipite dans la grotte en espérant de rejoindre Polydas dans l’outre tombe. • IV , 6 • Pysandre et Cleanide déplorent la fuite de Polydas et Lidiane, ils se disent de ne pas avoir été au courant, ni l’un ni l’autre, de leur funeste dessein autrement ils auraient tenté quelque chose pour les en dissuader. Leur discussion se porte ensuite sur les dégâts causés par l’incendie. Comme Cleanide a perdu sa maison, Pysandre lui propose galamment de dormir sous son toit, mais trop enflammé par cette idée il se laisse aller à des allusions licencieuses que Cleanide semble trouver inconvenantes. • IV , 7 • Floridon se plaint d’avoir perdu ses biens et sa femme Amarille, qu’il croit aussi dans les bras de Polydas. Il s’en prend aux dieux, et en proie au désespoir décide de se donner la mort. Mais après quelques hésitations, il choisit finalement de rester en vie pour trouver le traître et se venger. Pendant ce temps, apparaît son beau-père Pancrace, qui vient le soutenir dans son chagrin. Tout les deux, réclament une vengeance sanglante contre Polydas qui passe ainsi pour avoir enlevé à la fois Amarille et Lidiane. Après cette plainte commune, Pancrace et Floridon retournent au village pour organiser les recherches avec les autres bergers.

Acte V [Quatrième journée] §

• V , 1 • Au même endroit où elle avait était séparée de Polydas, Lidiane est ramenée au petit matin par deux pêcheurs qui l’ont miraculeusement sauvée. En le quittant elle les remercie du fond de son cœur et, pour les récompenser, leur fait cadeau d’une précieuse bague. Ainsi, de retour sur le rivage, Lidiane se hâte de retrouver Polydas pour qui elle craint les pires malheurs à cause de son désastreux projet d’enlèvement. Entretemps Floridon et ses hommes, qui parcourent les bois à la recherche de Polydas, aperçoivent Lidiane et la saisissent pour l’amener devant le juge, convaincus du fait qu’elle sait où se trouve l’infâme Polydas. • V , 2 • Le juge se montre plutôt enclin à être clément pour juger l’affaire qui concerne Polydas ; alors que l’impitoyable procureur qui l’assiste exige qu’il soit condamné à mort, et il s’emploie à mettre sous les yeux du juge les arguments qui valident la condamnation du berger. Pendant qu’un désaccord a lieu entre les deux juristes, Lidiane est amenée par Floridon devant le juge qui l’invite à donner sa version des faits. Elle raconte alors son histoire en entier : du baiser échangé avec Polydas jusqu’au sauvetage par les pêcheurs. Le procureur ne la croit pas et le juge émet la sentence de mort contre elle. • V , 3 • Pysandre accourt pour rapporter la malheureuse nouvelle de la sentence de mort à Cleanide, peu après arrive Luciane qui est déjà au courant de la chose, ainsi Pysandre et Cleanide l’accompagnent pour se rendre tous ensemble devant le juge en espérant de lui faire changer d’opinion. • V , 4 • On amène Lidiane sur le lieu où elle doit être exécutée et on lui signifie qu’elle peut encore se sauver en révélant au juge où se trouve Polydas. Mais à ce moment précis, elle aperçoit l’épitaphe gravée par celui-ci sur le rocher, juste avant de mourir. Cela prouve son innocence, mais puisque son Polydas est mort, désormais elle veut mettre fin à sa vie au plus vite. Entretemps sa mère Luciane, accompagnée de Pancrace et des autres bergers, arrive pour implorer le juge d’épargner sa fille ; celui-ci ne semble pas disposé à céder quand au milieu de cette confusion générale, surgit de la grotte l’ombre de Castrape, amenant avec lui Polydas et Amarille ressuscités. Castrape rétablit l’ordre et invite toute la compagnie à retourner au village, le juge devant cette manifestation de justice divine retire alors sa sentence, et toute la compagnie s’en retourne au village chacun avec sa compagne pour profiter des douceurs de l’amour. Ainsi Amarille revient au près de son époux légitime Floridon, et Lidiane au près de Polydas qui se prépare à regagner Paris avec sa belle.


Présence des personnages sur scène Tableau synoptique41
pan flo pol pys lid cle ama luc pes Jug pro gre dep cas
I.1 X
I.2 X
I.3 X
I.4 X X X X X X X X
I.5 X X
II.1 X X
II.2 X X X X X X
II.3 X X
III.1 X X
III.2 X X
III.3 X X
III.4 X X
III.5 X X X X
III.6 X
IV.1 X
IV.2 X X X
IV.3 X X
IV.4 X
IV.5 X
IV.6 X X
IV.7 X X
V.1 X X X
V.2 X X X X X X
V.3 X X X
V.4 X X X X X X X X X
9 8 10 9 8 5 6 8 1 1 1 1 1 1

Les sources §

Les seules indications par rapport aux sources de notre pièce sont celles qui ont été signalé par H. C. Lancaster. Ces indications sont relatives à quelques épisodes de la pièce : La ruse de Pysandre concernant la morsure de l’abeille (II , 2) et le sauvetage de Lidiane par les pêcheurs (V , 1) ; ainsi que le thème du mariage blanc entre Amarille et Floridon et la scène du procès faite à Lidiane. En ce qui concerne la thématique de l’abeille, Lancaster fait remarquer qu’elle provient de la tradition ancienne du roman grec, et indique comme source principale Les Amours de Leucippé et Clitophon de Achille Tatius (IIe siècle après J. C.) :


Les Noces, II , 2, vv. 524-539 Achille Tatius (IIes. après J.-C.) Les Amours de Leucippé et Clitophon II, 7, 3-4
PYSANDRE.
A l’aide, helas ! je meurs, ô secours ô secours ! 
[...] Sachez rare merveille,
Qu’en passant dans ce pré une mauvaise abeille
M’a planté l’ayguillon sur la lévre, ha je meurs
Les violents efforts de ces aspres douleurs,
Me ravissent l’esprit, adieu chaste Bergere,
CLEANIDE.
Prend courage Pasteur, la peine est fort legere.
Si ce n’est que cela, mon berger, ce n’est rien,
Dans un quart d’heure au plus tu te porteras bien,
Preste* que je la succe, ô la fortune estrange !
Sens-tu allegement ?
Elle le baise à la bouche.
PYSANDRE.
Pas encore mon ange,
Elle le baise encore.
CLEANIDE.
He bien es-tu guery ?
PYSANDRE.
Non encore un petit,
Ce remede excellent me met en appetit*.
CLEANIDE.
Finet* seroit ce point quelque tour de souplesse* ?
PYSANDRE.
Non je jure tes yeux ma fidelle maistresse.
C'est alors que le hasard voulut qu’une abeille ou une guêpe, qui bourdonnait autour de mon visage, se précipitât sur moi, je saisis ce prétexte et, ayant porté la main à mon visage, je fis semblant d’avoir été piqué et d’avoir mal. Leucippé s’approcha, retira ma main et me demanda où j’avais été piqué. « à la lèvre, répondis-je, mais que ne fais-tu pas ton incantations, ma chérie ? ». Elle s’approcha, posa sa bouche comme pour faire l’incantation et murmura quelque chose, en effleurant mes lèvres42.

La comparaison entre les deux extraits ci-dessus se montre assez convaincante pour soutenir la filiation suggérée par Lancaster. Cependant il est très surprenant que le chercheur n’ait pas mentionné une autre œuvre fondamentale pour l’histoire de la pastorale dramatique où l’on retrouve la même thématique de l’abeille. Nous faisons bien évidemment allusion à l’Aminta du Tasse qui, dès la fin du XVIe siècle, exerce une influence majeure pour la constitution de la pastorale dramatique en France. L’engouement pour la petite fable bocagère se manifeste en effet rapidement en France avec une importante diffusion de l’œuvre qui connaît plusieurs traductions, dont la première remonte à 1584, seulement quatre ans après la parution de l’editio princeps en Italie. En 1632 l’œuvre est donc bien connue dans le théâtre français et fréquemment imitée par ses dramaturges43. Cette intense imitation fait donc de l’Aminte un des hypertextes principaux de la pastorale dramatique. Or comme Discret entendait faire une parodie du genre, il est très vraisemblable qu’il ait tiré cet épisode de l’abeille depuis la pièce du Tasse, qui était déjà représentée à l’Hôtel de Bourgogne depuis 1632 dans la traduction de Rayssiguier44 :

Amour qui me rendit plus fin que je n’estois, / Me fit avoir bien-tost ce que je souhaitois, / Je feins subtilement, qu’un abeille, de mesme / Me laissoit sur la levre, une douleur extreme, / Mon visage troublé l’oblige à m’accorder, / Ce que ma langue alors n’eust osé demander, / Elle m’aproche donc, & doucement me baise, / Mon ame en la baisant tressaillit toute d’aise, / Mais je me pleins encor, afin qu’en me plaignant, Mon ame en ce plaisir feust longtemps se baignant : / Ma Nimphe qui croyoit ma douleur veritable, / Par un second baiser me rend moins guerissable, Elle accreust mon desir des cet heure, si fort / Que je ne pouvoy plus arrester son effort, /

Quant à l’épisode du sauvetage de Lidiane par les pêcheurs, qui intervient au début du cinquième acte des Noces, Lancaster signale comme source première L’Astrée d’Honoré d’Urfé, roman fleuve constituant une immense pépinière dans laquelle les dramaturges avaient l’habitude de puiser. L’épisode fait partie de l’histoire de Madonte et de son amoureux Damon, qui, poussé au désespoir par l’amour, avait tenté de se donner la mort en se jetant dans un fleuve :

Je fus incontinent englouti par les flots, où je perdis toute connoissance. Déjà le courant m’avoit emporté bien loin, lorsque des pêcheurs m’ayant apperçu vinrent à moi, & après m’avoir tiré dans leur bateau, ils gagnerent le rivage. Là ils m’entendirent sur le sable, ils me dépouillerent, & remarquant mes blessures qui sembloient encore fraiches, ils furent bien étonnés; mais ils le furent surtout lorsqu’ils me trouverent des bagues pretieuses aux doigts, & beaucoup d’or dans mes poches. Ce jour, dit l’un d’eux, va faire tout notre bonheur, ou tout notre malheur. Voici dequoi nous enrichir à jamais.45

Lancaster signale aussi que Jean Auvray, dramaturge aussi peu prolifique que Discret, avait déjà repris cette histoire contenue dans L’Astrée pour en tirer La Madonte, tragi-comédie représentée en 1630 dans l’un des théâtres parisiens46et qu’il fit publier en 1632. Il est ainsi probable que Discret ait repris l’épisode des pêcheurs à partir de cette pièce, car le traitement de l’épisode et son agencement dans la structure des Noces présente des points communs avec la pièce de d’Auvray. En effet, chez Madonte comme dans les Noces, les pêcheurs sont des personnages secondaires qui apparaissent dans le récit de façon ponctuelle pour remplir une fonction dramatique d’adjuvant. En deuxième lieu, bien que les intentions et le rapport entre les pêcheurs et le héros changent sensiblement d’une pièce à l’autre, leur caractérisation dans la scène est assez proche, car chez Discret comme chez Auvray, le comique est basé sur le contraste entre la richesse du héros et la rusticité des pêcheurs :


Discret, Les Noces, V, 1, vv. 1596-1617 Jean Auvray, La Madonte47
LIDIANE. Les deux pescheurs rameinent Lidiane dans le basteau.
AMis de qui je tiens le repos & la vie,
Que la fureur des eaux m’avoit presque ravie :
Que je suis obligee à vostre bon secours,
Je m’en resouviendray le reste de mes jours :
[...] Elle leur donne une bague.
Premier pescheur.
Bergere grand mercy je n’eusse pas pensé
Devoir estre de vous si bien recompensé.
Second pescheur.
Ma foy ny moy non-plus; car de toute l’annee
Nous n’avons tant gaigné comme cette journee.
Premier pescheur.
Nous voudrions tous les jours prendre de tels poissons,
Et si ne nous faudroit lignes ny hameçon.
LIDIANE
Faites vostre proffit,
Second pescheur.
Que tout vous soit prospere. [...]
Premier pescheur.
Parle compere,
Allons vendre à Paris ce riche diamant,
Puis nous partagerons l’argent ensemblement :
Afin d’en acquerir quelque bon heritage.
Second pescheur.
Nous boirons en passant dans ce petit village.
III , 3
LE PREMIER [PÊCHEUR]
En fin je ne plus le porter longuement
Marquons en ce lieu cy son dernier logement.
LE SECOND [PÊCHEUR]
N'importe en quel endroit : mais en cette ocurrence
Je pretens bien au moins avoir la preference,
Je l’ay veu le premier dans le courant de l’eau
Il eust passé sans moy dessous nostre bateau.
LE PREMIER
Cette pesche ne peut mécontenter personne,
Voyons auparavant ce que le Ciel nous donne.
LE SECOND
Voyons, voyons !
LE PREMIER
[…] C'est sans doute un seigneur de remarque & de gloire
LE SECOND
Je croy qu’il a les mains plus blanches que l’yvoire
Silence compagnon, voicy le beau du jeu;
Vois-tu ces deux anneaux plus brillans que du feu.
Il ne faut que cela pour marier nos filles
ET pour mettre en repos nos deux pauvres familles,
Tous mes doits sont trop gros, ils n’y sçauroient entrer

Enfin les deux dernières indications que Lancaster nous donne concernent d’une part le thème du « mariage blanc » entre les bergers Floridon et Amarille ; et d’autre part la scène du procès faite à Lidiane (V, 2). Le « mariage blanc » proviendrait de La Vraie Histoire comique de Francion de Charles Sorel ; quant à la scène du procès, on retrouve dans l’Aristène, pastorale de Pierre Troterel (1626), l’utilisation d’une scène de jugement vers la fin de la pièce (IV, 1). Ces deux dernières indications demeurent cependant assez vagues, et le rapprochement que fait Lancaster se limite au signalement d’un thème qui reste dépourvu d’un quelconque rapprochement formel.

Le contexte théâtral §

De la pastorale tragi-comique à la tragi-comédie pastorale §

Pour indiquer la spécificité des Noces nous avons dit qu’elle ressentait à la fois l’influence de la période baroque et de l’esthétique classique en train de se fixer autour des années 1630, et que ses attributs étaient en grande partie ceux du genre tragi-comique en plein épanouissement. Or par rapport à ce constat deux questions se posent : premièrement, pourquoi le fait de s’intéresser au genre de la pastorale nous mène nécessairement sur le terrain de la tragi-comédie ? Deuxièmement, comment la tragi-comédie, fer de lance de l’esthétique baroque irrégulière, passe-t-elle dans le camp adverse au point que l’on voit apparaître des pièces comme la nôtre que l’on peut paradoxalement définir comme tragi-comédies régulières ? La pastorale et la tragi-comédie, sont deux genres qui se rencontrent très tôt sur leur chemin. D’abord parce que la tragi-comédie est un genre qui dès ses débuts pose des problèmes de définition48, dans la mesure où elle se constitue en tant que mélange des autres genres et par conséquence elle transgresse les frontières établies. Le terme tragi-comédie est originairement une invention du poète latin Plaute. Il est repris par le Cinquecento italien qui fait l’objet de réflexions théoriques précises sur ce genre qu’on appelle aussi à l’époque « drame mixte ». Un de ces théoriciens italiens, Giraldi Cinthio (1504-1573) introduit la mode des sujets romanesques pour créer une Tragédie qui soit à fin heureuse et qui s’inspire de la fiction plutôt que de l’histoire. C’est là qu’on trouve le premier point de conjonction avec le drame pastoral. Car celui-ci est en train de se développer avec des œuvres marquantes telles que le drame pastoral de l’Aminte (1573) et la tragicommedia pastorale du Pastor Fido (1589). La pastorale, qui mêle facilement les tons, contribue par là à l’élaboration de l’univers moyen de la tragi-comédie. Le Tasse donne avec l’Aminte le modèle du mélange des tons (dits « tragique » et « comique ») et Guarini mène une réflexion sur la tragi-comédie qui aboutit à la publication de son Compendio della poesia tragicomica49 qui fait autorité sur la matière. L’auteur du Pastor Fido soutient que la tragi-comédie est une troisième forme et revendique la modernité du genre à travers le mélange des éléments comiques et tragiques, alors que ses adversaires comme le professeur de la prestigieuse université de Padoue Giasone de Nores définissait le genre tragi-comique comme une «  composition monstrueuse et disproportionnée50 ». Au moment donc de se déverser de l’autre côté des Alpes, la pastorale et la tragi-comédie sont déjà des genres très voisins. Ce qui va encore plus les rapprocher c’est le fait que les auteurs français s’éloignent de plus en plus du modèle de la pastorale pure de l’Aminte, considérée comme un exemple de « parfait équilibre51 », pour embrasser plutôt le modèle tragi-comique du Pastor Fido de Guarini. Ainsi la pastorale qui avait déjà pour domaine un monde imaginaire, affirme son penchant en « cédant aux extravagances romanesques52 ». Si donc la pastorale avait dans un premier temps influencé la tragi-comédie, c’est elle à son tour qui subit l’ascendant tragi-comique au point de perdre son identité d’origine ; dans son ouvrage de référence sur la pastorale, Marsan encore une fois exprime fort bien cette double influence qui se solde, si l’on peut dire, par une inversion des rôles : « l’essentiel est devenu l’accessoire, et, d’une pastorale de forme tragi-comique nous passons à une tragi-comédie n’ayant de pastoral que le costume de ses héros53 ».

Discret entre réguliers et irréguliers §

C’est ainsi qu’en s’appuyant de plus en plus sur son côté romanesque le genre protéiforme de la tragi-comédie connaît une grande prospérité en France. À partir de 1628 s’ouvre pour elle une grande époque, surtout parce que celle-ci devient l’étendard éclatant des modernes irréguliers pendant les six années de débat théorique qui traversent le théâtre français54. Ce débat est provoqué par la vague du mouvement de régularisation qui pose la question de la fonction du théâtre : du moment que l’on cherche à épurer l’art dramatique, celui-ci ne peut plus se limiter à être un simple divertissement mais elle se doit, pour être honnête, d’avoir une fonction instructive à l’imitation du théâtre des anciens. Deux factions opposées vont ainsi se former : celle de réguliers qui exigent un théâtre moralement instructif et celle d’irréguliers revendiquant le plaisir comme seul but de l’art dramatique. À l’essor du débat, ces deux fonctions, plaisir et instruction, vont réduire considérablement leur opposition du départ, pour retrouver le précepte horatien de l’utile dulci. Le procès de régularisation va ainsi redéfinir les principales parties de la composition du poème dramatique ; et la pièce de Discret en 1637 est un exemple de l’aboutissement de ce processus : une tragi-comédie dans son ossature mais avec tous les ajustements nécessaires pour évacuer les éléments scabreux de l’esthétique baroque.

Ces ajustements se font de manière progressive dans le débat qui oppose les deux factions adverses. Ainsi le refus de l’instruction au théâtre se déploie d’abord sur la question de l’ elocutio. Les modernes, partisans de Malherbe, rejettent en bloc la poétique ronsardienne à laquelle était attachée la vieille génération des dramaturges. Ainsi les déclarations de Hardy, qui recommande en 1628 « la douceur des digressions » et « un grave mélange de belles sentences55 », sentent trop le didactisme pédant pour les modernes qui prônent un théâtre affranchi des règles et ayant pour seul but le plaisir.

C’est à travers le système représentatif de Chapelain basé sur l’idée d’illusion mimétique qu’on arrive à réunir plaisir et utilité, en proposant pour le théâtre une instruction qui ne tombe pas dans le défaut du didactisme mais qui s’accorde parfaitement avec l’esthétique moderne du plaisir56. Discret, bien qu’il soit un auteur mineur, témoigne à sa manière de ce débat, révélant ainsi l’acquisition désormais assurée en 1637 de l’idée d’une instruction insensible où tout ces «  belles sentences » qui tendent à rompre l’illusion théâtrale, doivent être condamnées chez les mauvais auteurs, dont il blâme « [ces] poinctes, qui, pour proprement parler, ne sont que metaphores hyperboliques forment des espines si piquantes, que leur honneur s’y escorche le plus souvent57 » ; et plus loin, en précisant d’avoir fait preuve de beaucoup de mesure et de discrétion, il prévient son lecteur que : « [...] dans [ce] livre, [...] les belles pensées, & les bons mots y sont clairs semez ».

Cependant la réflexion élaborée par Chapelain ne se limite pas au plan de l’elocutio. Une fois que le plaisir a été reconnu nécessaire, un partage est fait entre deux sortes de plaisirs : les faux et les véritables. Les premiers sollicitent un mélange désordonné, alors que les vrais plaisirs nécessitent « l’ordre dans la dispositio et la vraisemblance58 »

Ainsi pour les différents plans de construction du poème, on indique que le véritable plaisir est dans la règle parce qu’elle est source de clarté. Par conséquent les irréguliers se trouvant privé de leur justification principale, le principe de plaisir contre celui de l’utilité, vont au fur et à mesure se plier aux règles. La tragi-comédie donc se régularise, et, bien qu’il reste encore quelques irréguliers irréductibles59, la plupart des auteurs se font plus scrupuleux quant à l’application des règles sur la composition du poème. Désormais les arguments de la violente critique portée jadis contre la tragi-comédie de Guarini60 sont repris par les modernes qui, même s’ils n’y arrivent pas toujours, ont un grand souci de faire une composition bien réglée. C’est ainsi que l’on retrouve même chez l’auteur des Noces, les idées principales de l’argumentation régularisante maintenant appliquées à la tragi-comédie ; s’adressant aux auteurs qu’il dédaigne, Discret dit :

je conseillerois volontiers à ces esprits de donner plus de temps à la composition de leurs ouvrages, [...] il n’y a pas un vers qui n’en fournisse quatre pour ronger ce qu’il y a de mal digeré dans leur travail ; de sorte que comme la chauve-souris à cause de sa difformité n’ose paroistre devant le jour, ces ouvrages devroient demeurer enfermez, ou n’estre mis en lumiere que par le feu61

et un peu plus loin, quant à la composition de sa pièce, il s’empresse de mettre en avant tout son zèle de régulier « [la] Pastoralle que j’ay faicte, [...] j’ay beaucoup de fois repassé par dessus, j’y ay corrigé quantité de choses, j’ay faict mon possible pour la polir, & empescher qu’il n’y eust point de fautes remarquables ».

Analyse dramaturgique §

Ayant montré le chemin que la tragi-comédie et la pastorale parcourent ensemble, nous allons à présent nous concentrer sur le fonctionnement dramaturgique à l’intérieur de la pièce. La tragi-comédie, est un genre qui cherche à établir des archétypes, par conséquent il est relativement aisé pour le lecteur de se rendre compte de la répétition des mêmes processus actantiels et des traits distinctifs permanents. Pour ce faire, nous suivrons de près l’analyse menée par H. Baby62, afin de voir comment les codes dramaturgiques du genre s’actualisent dans Les Noces en précisant les infléchissements particuliers et les atténuations que le processus de régularisation exige.

Le schéma actantiel général §

La structure actantielle des Noces, correspondant au schéma topique « des amours contrariés63 » se bâtit autour d’une histoire qui met en scène les tribulations d’un couple d’amants luttant pour asseoir sa relation amoureuse. La pièce ne s’intéresse pas aux aventures d’un seul personnage, mais elle met en scène un couple aux prises avec les obstacles provoqués par les divers opposants. Le couple qui constitue l’axe central du schéma actantiel est celui formé par les personnages principaux de la pièce. On peut certes déterminer cela de façon intuitive par le fait que les personnages principaux sont ceux vers qui tous les intérêts se tournent, mais une analyse actantielle plus précise, nous montre que pour remplir cette fonction, le couple principal doit réunir d’abord deux conditions : avoir une relation amoureuse réciproque, et être formé par des personnages de rang nobles.

Seules ces deux conditions ensemble, permettent de hiérarchiser les couples à l’intérieur de la pièce, et de reconnaître dans la relation Polydas-Lidiane le couple principal. Les autres couples, qui présentent tantôt une condition tantôt l’autre mais jamais les deux ensemble, constituent des intrigues secondaires reliés ou pas à l’intrigue principal. Ainsi l’exposition du premier acte des Noces, contribue à informer le spectateur sur la composition des différents couples et des leurs relations internes parmi lesquelles se produit la rencontre de Polydas et de Lidiane dans la scène de danse (I , 4). Une fois posée cette structure, le début du deuxième acte précise par le biais du monologue de Lidiane (II , 1) le type de relation entre les deux personnages, présentant ainsi les caractères du couple des héros. On est alors instruit du fait que Lidiane n’est pas une bergère mais qu’elle s’est réfugiée avec sa mère à Vaugirard en fuyant la guerre :

Je n’avois pas encore l’usage de raison,            360
Lors que je commençay de gouster le poison.
Des douloureux regrets d’une fuite causee,
Par les guerriers exploits du Prince de Luzee :

S’ouvre par conséquent la possibilité d’une naissance noble de Lidiane, confirmée dans plusieurs passages successifs, comme lorsque sauvée par les pêcheurs (V, 1) elle les remerciera en leur offrant une précieuse bague ; exprimant ainsi par cette action la largesse aristocratique, qualité noble par excellence. Quant à Polydas, les mêmes caractéristiques sont évoquées par Lidiane qui reconnaît en lui sa véritable qualité :

Et je croiray plustost que ce soit quelque Dieu
En Berger deguisé, qu’un pasteur de ce lieu.            385
Toutes ses actions & sa docte eloquence,
Font veoir que d’un Pasteur il n’a point pris naissance :
Son port plus relevé que cette nation,
Monstre qu’il tire lieu de nostre extraction :
C’est peut estre un Seigneur, que quelque subject porte        390
A delaisser la Cour déguisé de la sorte :

À l’appartenance à la noblesse vient s’ajouter la deuxième caractéristique de l’amour réciproque, qui nous montre les deux amants soupirer l’un pour l’autre tout au long de la pièce. Cette dernière condition détermine l’action-type des amoureux de la tragi-comédie qui est celle de lutter pour son amour et retrouver finalement l’objet aimé. Mais si la qualité d’amant correspond à la fonction actorielle, le couple est toujours soumis à une instance qui leur est supérieure. Au couple d’amoureux s’ajoute ainsi une troisième catégorie qui est celle de la « non-souveraineté64 », situation de dépendance qui permet la création des obstacles. Ceux-ci sont provoqués par les opposants, catégorie actantielle dont font partie à la fois les personnages rivaux (Amarille, Floridon) et les acteurs parentaux (Luciane, Pancrace).

La catégorie des opposants dans Les Noces présente une disposition particulière dans le schéma actantiel général. La pièce démarre sur un schéma actantiel qui met au centre le couple Polydas-Amarille. Mais à partir du moment où Polydas délaisse Amarille pour Lidiane (I, 5) on se place dans un nouvel schéma actantiel construit cette fois-ci sur le couple Polydas-Lidiane. Cependant le schéma du départ n’est pas complètement neutralisé grâce à l’incertitude qui demeure sur le délaissement d’Amarille par Polydas. En effet Floridon, le naïf époux d’Amarille et par conséquent rival de Polydas, est persuadé lorsqu’il tombe sur Lidiane (V, 1) que Polydas a aussi enlevé son épouse Amarille alors qu’on l’a vu se suicider auparavant :

FLORIDON
Fidelles deputez de tout le voisinage,
Pour rechercher celuy qui de nostre village            1645
A la perte causé par un embrasement,
Commis pour enlever ma femme nuictament :
[...]
Où est ce Polydas,
[...]
            Il vous a emmenee,            1665
Et Amarille aussi,
LIDIANE.
        Rien moins, croyez pasteur
Que jamais Polydas ne fut d’un crime autheur.

La méconnaissance du suicide d’Amarille par les autres personnages, crée ainsi un quiproquo permettant de faire fonctionner les opposants du premier schéma dans le deuxième.

Acteurs et action types §

Les actions des opposants §

À partir de cette organisation actantielle nous pouvons individualiser le profil de chaque catégorie agissante sur le couple des amants.

Dans la catégorie des opposants nous avons d’abord le rival dont la fonction consiste à aimer sans réciprocité, et à ruiner la relation amoureuse du couple principal de quelque manière que ce soit. Cependant sa fonction ne se concrétise pas nécessairement par une action directe mais peut s’exercer passivement. Le rival devient alors un « opposant passif65 » et se contente de refuser l’union des deux amoureux sans s’engager dans une action précise, comme si sa présence équivalait seule à la création de l’obstacle. Cette passivité n’est souvent que la traduction de l’impuissance du rival comme dans le cas d’Amarille qui, soumise à la volonté de son père, ne peut faire grand chose pour ramener à soi Polydas. Mais surtout, alors que dans la tragi-comédie les sentiments et les conflits sont habituellement exprimés par le biais de l’extériorité d’une action, l’exploitation de l’opposant passif dans Les Noces permet d’opérer un infléchissement dans le repli intérieur du personnage, qui se manifeste par la plainte amoureuse, trait typique provenant de la pastorale. Ainsi la présence d’Amarille sur scène se caractérise par des plaintes accompagnant l’espoir de récupérer Polydas mais sans que cela implique une quelconque action de sa part.

L’Esprit inquieté de milles pensemens*,             [III, 2]
Dont la jalouse ardeur blesse mes sentimens :
Sans resolution je demeure confuse,            820
Et dans ma passion une crainte m’abuse : [...]
Helas que deviendray-je apres tant de travaux*,
Peut estre que le Ciel adoucira mes maux.        915 [...]
PLeure Amarille helas ton malheur sans pareil,        1350     [IV, 5]
Que les larmes jamais ne seichent dans ton œil,
Souspire incessamment ton douloureux desastre
L’amante, sans repos l’injure de ton astre : [...]
Je n’auray pas ce bien que de les veoir punir,
Je serois trop contente à ce doux souvenir :
Il faut auparavant que l’inhumaine Parque,        1380
Me face devaller* dans l’infernalle barque [...]
Je veux presentement malgré vostre puissance,
En me donnant la mort apaiser ma souffrance :

Le deuxième type d’opposant est l’acteur parental incarné par le personnage de Luciane. À la différence du rival, elle ne demeure pas passive mais, étant pourvue d’une autorité, elle est engagée dans une action contraire au désir de sa fille Lidiane, qui se traduit par l’enfermement de celle-ci (III, 1), constituant ainsi l’obstacle principal de la pièce.

L’action du héros et le rapport avec la structure dramatique §

L’enfermement, selon H. Baby est l’un des obstacles faisant partie du répertoire récurrent de la tragi-comédie ; et l’attitude du héros peut varier entre la passivité et l’action violente, quoique ce dernier type de réaction demeure dans les limites déjà imposées par l’inventaire fixe des obstacles. Polydas, le héros de notre pièce, répond à l’obstacle en prenant la fuite avec Lidiane après l’avoir délivrée. Avec le moyen de la fuite Polydas adopte l’action-type privilégiée par le héros tragi-comique. Cette préférence s’explique par des raisons d’ordre structurel : la tragi-comédie qui est un genre spectaculaire, provoque majoritairement des obstacles extérieurs qui déterminent une structure fonctionnant dans l’exploitation de l’accidentel. Or comme l’événement accidentel se manifeste dans le court terme, pour nourrir suffisamment une intrigue, la tragi-comédie doit nécessairement multiplier ces obstacles extérieurs. La fuite est donc un excellent moyen pour les auteurs de tragi-comédie d’organiser le parcours du héros selon cette « dramaturgie de l’extériorité66 ». À travers les multiples péripéties qui composent l’action de Polydas (mise au feu du village, sauve-qui-peut général, irruption dans la maison et enlèvement de Lidiane, cavale nocturne avec noyade de celle-ci, conséquent désespoir et suicide du héros) on voit bien que Discret reste sensible à cette esthétique du spectaculaire, et de la prolifération de l’obstacle extérieur.

L’unification de l’obstacle §

Cependant on ne peut pas véritablement parler des Noces comme d’une pièce qui épouse pleinement les ressources de la fuite dans ce que Jacques Morel67 a nommée la « tragi-comédie de la route » puisque, à la différence de ce type où « les héros ont pris la route bien avant la première scène, et que l’action débute sur une des étapes de leur itinéraire » la séquence de la fuite de Polydas et Lidiane n’intervient que très tard dans la pièce (acte IV).     Par conséquent, cette introduction tardive ne contribue pas à la pleine exploitation du motif de la fuite avec une grande prolifération des obstacles extérieurs. La restriction que Discret applique à l’exploitation de l’obstacle extérieur semble être le résultat de l’influence du critère de la vraisemblance dans le processus de régularisation. Alors que la route consacre le règne du hasard, faisant succéder librement les obstacles sous le mode de la rencontre et des coïncidences, l’action des Noces se construit sur un seul obstacle majeur (l’enfermement de Lidiane) à partir duquel, toutes les péripéties qui se produisent pendant la fuite sont liées par des rapports de causalité qui montrent la volonté du dramaturge d’aller vers l’unification de l’action, qui demande, pour se faire, la suppression d’événements dus au seul hasard68.

Alternance entre scènes d’actions et scènes de genre §

Se privant de faire intervenir le motif de la fuite plus tôt, Discret ne peut alors remplir les premiers actes de sa pièce par une commode successions d’obstacles comme dans la plus conventionnelle des tragi-comédies. Dès lors, une fois que l’exposition s’achève (I, 2) en donnant le cadre complet des relations entre les personnages, l’action dramatique procède par touches, et dans les moments où l’action dramatique se suspend entre des scènes ou à l’intérieur d’une même scène viennent s’intercaler des intrigues secondaires proposant des séquences qui mêlent un comique de mœurs et des moments topiques du genre pastoral. Faisant ainsi alterner l’action dramatique avec la peinture de mœurs bourgeois et les clichés de la pastorale, Discret s’éloigne de la structure tragi-comique de base pour chercher à réaliser un équilibre difficile entre scènes d’action et scènes de genre.

Prolifération et concentration des intrigues §

Comme on l’a vu, la tragi-comédie raconte presque toujours les aventures d’un couple de jeunes amants qui lutte pour établir ou préserver leur amour. Par rapport à ce sujet-type, elle privilégie deux sortes d’intrigues69 : le premier, celui qui appartient à la tragi-comédie de la route, exploite clairement sa dépendance au roman mettant l’accent sur les multiplications des péripéties70 et des coups de théâtre. En revanche le deuxième type cherche, comme dans le cas des Noces, à rassembler son action sur un obstacle majeur qui s’oppose au couple d’amants. L’accent, au lieu de porter sur la prolifération des aventures, est alors mis sur les amants et leurs réactions devant les persécutions dont ils sont l’objet ; de la même manière qu’il peut, comme dans notre pièce, donner de l’espace à l’expression du comique. Dans les deux cas les dramaturges gardent donc un intérêt pour les actions complexes, mais avec l’influence des théoriciens, on voit apparaître chez Discret une plus grande concentration dramatique avec le conséquent abandon de pièces « à tiroirs » et à épisodes multiples. Il s’agit donc de disposer les plusieurs fils de l’action complexe en allant vers une progressive unification. Si Les Noces, participent encore pleinement de ce goût pour l’action complexe, l’emploi dans la structure de la chaîne amoureuse permet la mise en œuvre d’une unification appréciable entre l’intrigue principale et les intrigues annexes.

C’est en effet grâce à la chaîne des amants de la pastorale, que l’intrigue amoureuse secondaire dépend de l’issue de l’intrigue principale. Dans Les Noces en effet les espoirs de Floridon de reconquérir son épouse Amarille ne se concrétiseront qu’au moment où le couple Polydas-Lidiane se confirmera dans son union, rendant ainsi inutile les efforts de la rivale Amarille qui acceptera à la fin de la pièce l’amour de son mari Floridon. Cela contribue donc à rechercher une plus grande concentration dramatique même si, comme l’a remarqué Jacques Scherer, la conception de l’unité d’action que l’on retrouve appliquée chez les auteurs préclassiques et théorisée dans la Pratique du Théâtre de D’Aubignac est l’inverse de celle qu’on trouvera appliquée en plein classicisme71. Les deux autres fils, Pysandre-Cleanide et Pancrace-Lidiane, restent parallèles à l’intrigue principal n’ayant avec lui aucun lien structural véritable mais, si l’on fait abstraction du rôle assez réduit de confident-adjuvant pour Pysandre (III, 1) et de confident-opposant pour Pancrace on peut dire que ces deux couples de personnages se limitent à l’expression des scène de genre dont on a parlé.

Note sur la présente édition §

L’édition originale de 1638 de Les nopces de Vaugirard ou les naifvetez champestres §

Description matérielle §

Un volume. [16] -144 p. ; in-8

[I] LES NOPCES / DE / VAVGIRARD, / OU LES / NAIFVETEZ CHAMPESTRES. / PASTORALLE / Dediée à ceux qui veulent rire. / Par L.C.D.72 / [fleuron] / A PARIS. / Chez IEAN GVIGNARD, au premier / Pillier de la grand’ Salle du Palais. / [filet] / M DC XXXVIII / Auec Priuilege du Roy. /

[II p. bl.]

[III-X] EPISTRE / SERVANT / D’ADVERTISSEMENT / à ceux qui veulent / rire.

[XI-XIII] ARGVMENT

[XIV] A.D.D.L.R.D.L.P. [1er poème liminaire] / Aux Lecteurs [2ème poème liminaire]

[XV] Extraict du Privilege du Roy. / Errata.

[XVI] Les Acteurs.

[1-144] [le texte de la pièce]

[1 p. bl.]

[1 p. bl.]

Nous avons établit le texte à partir de l’exemplaire qui se trouve à la Bibliothèque nationale de France (site de la Bibliothèque de l’Arsenal) sous la cote 8-BL-4637.

Recensement des exemplaires §

Il existe à notre connaissance cinq autres exemplaires en France de l’unique édition de 163873 :

  • – Bnf (site Tolbiac) Réserve des livres rares, YF-704574
  • – Bnf (site Richelieu – arts du spectacle) 8-RF-6030
  • – Bnf (site Arsenal ) GD-14915
  • – Bnf (site Arsenal ) 8-BL-14637
  • – Bibliothèque Sainte-Geneviève Réserve 8 Y 1233 (2) INV 2668 RES

À titre indicatif, nous avons recensé les autres exemplaires à l’étranger75 :

  • – Un à l’ University of Chicago Library (États-Unis)
  • – Un à la bibliothèque de University of Illinois at Urbana Champaign (États-Unis)
  • – Un à la bibliothèque de Universitäts-und Landesbibliothek Sachsen-Anhalt / Zentrale (Allemagne)

Collation des exemplaires consultés [à terminer] §

Variantes entre l’exemplaire de réference 8-BL-14637 et l’exemplaire YF-7045 :

[30] v.435 : « servant » (YF-7045 gallica) → « servante » (8-BL-14637) ; [37] v.540 : « mort » (YF-7045) → « mors » (8-BL-14637) ; [89] v.1203 titre de replique : « PNACARCE. » (8-BL-14637) ; « PANCARCE » (YF-7045 gallica) ; [110] l’exemplaire YF-7045 gallica présente un doublet de la page [110] on a en effet la sequence : [110, 111, 110, 111, 112]

Interventions sur le texte §

Corrections d’usage et corrections systématiques §

  • – Distinction entre le graphème j et le graphème i pour noter le son [ʒ]
  • – Distinction entre le graphème u et le graphème v pour désambiguïser la graphie des sons [y] et [v]
  • – Modernisation du graphèmeen s
  • – Remplacement du graphème ß par ss ; par exemple au v.39 : preßé devient pressé.
  • – Suppression du tilde ~ (signe diacritique indiquant une nasalisation) et rétablissement des consonnes en conséquence, par exemple, au v.103, amãt devient amant.
  • – Rétablissement des accents diacritiques pour désambiguïser les homophones grammaticaux : a et à ; la et  ; ou et
  • – Rétablissement du t euphonique, par exemple, au vers 1030, a il raison devient a-t-il raison
  • – Nous avons unifié la forme de certains noms de personnes, en éliminant la variante aléatoire i / y à l’œuvre dans : Pysandre/Pisandre, Lydiane/Lidiane, Polydas/Polidas. Les occurrences ont été alignées sur la variante en yétant donné qu’elle est la plus utilisée dans le texte et que c’est celle qui apparaît à la page [XVI] dans la liste des Acteurs.

Corrections des erreurs de composition typographique (coquilles) §

EPITRE

[VI] l.5 : « quils avaient données » → « qu’ ils avaient données  » ; [VII] l.9 : « ny a pas un vers » → « il n’y a pas un vers » ; [IX] l.7 : « telle quelle est » → « telle qu’elle est »

ERRATA

[XV] : « l.2 : « r8 & 19 l. » → « v.18 & 19 l. »

ACTE I [1-23]

[8] v.119 : « tes pas » → « ses pas » ; [10] v.162 : « quelle est » → « qu’elle est » ; [18] v.266 « ces Argus » → « cet Argus » ; [20] avant v.303 : « POLIDAS » → « POLYDAS » ; [20] v.303 : « si j’ay parlay » → « si j’ay parlé » ; [20] v.305 : « ma ravit » → « m’a ravit » ; [22] v.333uy « que tu puisse » → « que tu puisses »

ACTE II [24-51]

[27] v.380 : « d amour » → « d’amour » ; « à des yeux » → « a des yeux » ; [28] v.412 : « pl9 » → « plus » ; v.414 : « bon estime » → « bonne estime » ; [30] après v.440 : titre de replique « POLIDAS » → « POLYDAS » ; [30] v.447 : « la’ spect » → « l’aspect » ; [31] v.456 : « avant manquer » → « ayant manqué » ; [33] v.471 : « trefve » → « tresve » ; [33] v.482 : « cét heure » → « cétte heure » ; [34] v.486 : « nen → n’en » ; [37] v.540 : « plastot » → « plustot » ; « mors → mort » ; [41] après v.581 titre de replique : « AMARILE » → « AMARILLE » ; [42] avant v.595 titre de replique : « AMARILE » → « AMARILLE » ; [42] v.595 : « La Fortune a Lidiane. » → « La Fortune à Lidiane. » ; [45] v.632 : « si Floridon t’atrappe » → « si Floridon j’atrappe » ; [46] v.634 : « Vist e s œurs » → « viste sœurs » ; [46] avant v.635 titre de replique : « AMRRILLE » → « AMARILLE » ; [46] v.633 : « si mes mains il eschappe » → « si des mains il m’eschappe » ; [47] v.649 : « l’autre ce sauve » → « l’autre se sauve » [48] v.669 : « parler a elle. » → « parler à elle. »

ACTE III [52-84]

[52] v.720 : « to9 » → « tous » ; [55] v.756: « qu’a cholere » → « qu’à cholere » ; [56] v.781 : « outrageast » → « outragea » ; [57] v.797 : « qu’en regret » → « qu’un regret » ; [58] v.811 : « m’oblige » → « t’oblige » ; [59] v.817 : « amy faites » → « amy fais » ; [61] v.851 : « je te hayt reprend les » → « je te haÿs reprends les » ; [63] v.867 : « pense-tu » → « penses-tu » ; [64] v.881 : « Si tu debvoient brusler je t’en donneroient mille. » → « Si tu debvois brusler je t’en donnerois mille. » ; [65] v.893 : « Jamais comme j’entend tu » → « Jamais comme j’entends tu » ; [74] V.1018 : « qui l’a contraint » → « qui l’a contrainte » ; [75] v.1030 : « a il raison a-il le cœur » → « a-t-il raison a-t-il le cœur » ; [79] v.1081 : « Venez—ça » → « Venez-ça » ; [80] v.1090 : « ne m’offence pas », → « ne m’offences pas » ; [80] v.1090 : « Vous avez sur le nez » → « Vous m’avez sur le nez » ; [80] v.1091 : « tu n’aye » → « tu n’ayes » ; [80] v.1096 : « ce refere » → « se refere » ; [81] v.1105 : « Ou est » → « Où est » ; [81] v.1109 : « du vaillant » → « le vaillant » ; [84] didascalie : « a la main. » → « à la main. »

ACTE IV [85-113] 

[88] didascalie : « Ils viennenttnds [...] des lanternej » → » ils viennent [...] lanternes » ; [89] v.1203 titre de replique : « PNACARCE. » → « PANCRACE. » ; [90] didascalie : « emmeine Diane » → « emmeine Lidiane » ; [91] v. 1228 : « despourveue » → « despourvue » ; [91] v.1232 : « eclypses ses lumieres » → « eclypsent ses lumieres » ; [91] v.1242 : « Non, souds » → « Non, sourds » ; [91] v.1245 : « c’est esteint » → « s’est esteint » ; [92] v.1256 : « pus-je endurer » → « puis-je endurer » ; [94] v.1288 : « Le jour qui peu a peu » → « peu à peu » ; [95] v.1309 : « ce porte » → « se porte » ; [96] v.1325 : « habandonnee » → « abandonnee » ; [97] v.1335 : « on les tiens » → « on les tient » ; [97] v.1337 « cbouche » → « bouche » ; [98] v.1358 : « Bon Dieux ce ! a » → « Bon Dieux cela » ; [98] v.1361 : « Ou estes vous [...] Ariadne » → « Où estes vous [...] Arianne » ; [99] v.1370 : « il ne ce peut pas » → « il ne se peut pas » ; [100] v.1399 : « quesque » → « quelque » ; [102] v.1428 : « dy moy » → « dys moy » ; [103] v.1434 : « cestoit » → « c’estoit » ; [105] v.1464 : « ne te courrouce » → « ne te courrouces » ; v.1466 : « en doubte-tu » → « en doubtes-tu » ; v.1473 : « que tu me baise » → « que tu me baises » ; [107] v.1498 : « Chaots » → « Chaos » ; [108] v.1515 : « Pollydas » → « Polydas » ; [109] v.1544 : « cousté de larmes » → « cousté des larmes » ; [110] v.1546 : « las » → « Las » ; [110] v.1548 : « Polydas ce malheureux profane, » → « Polydas, ce malheureux profane » ; [113] v.1594 : « ne leur a ton » → « ne leur a-t-on » ;

ACTE V [114-144]

[121] v.1693 : « b ! asmable » → « blasmable » ; [123] v.1723 : « crime apparant » → « crime appariant » ; [123] v.1723 : « crime apparant » → « crime appariant » ; [123] v.1726 : « Le ciel command » → « Le ciel commande » ; [124] v.1735 : « je jugerois » ; [124] v.1739 : « qui aye mis » → « qui ayt mis » ; [129] v.1822 : « Et si j’ay parlay » → « Et si j’ay parlé » ; [132] v.1864 : « Reprend un peu tes sens » → « Reprends un peu tes sens » ; [134] liste de personnages : « FORIDON » → « FLORIDON » ; [135] v.1896 : « Se seroit » → « Ce seroit » ; [135] v.1910 : « attend moy » → « attends moy » ; [136] v.1922 : « que tu meure » → « que tu meures » ; [138] v.1943 :  « vous veille consoler » → « vous veuille consoler » ; [141] v.1985 : « Que Polydas aussi aye » → « Que Polydas aussi ayt » ; [141] v.1991 : « ont ce matin » → « sont ce matin » ; [142] v.2007 : « allez embrassez » → « allez embrasser » [143]

Ponctuation §

Le rôle de la ponctuation, dans la déclamation théâtrale du XVIIe siècle, ne se limite pas à noter les rapports syntaxiques entre les divers éléments de la phrase mais détermine aussi le débit et l’intonation de la voix du comédien.76 Ainsi le lecteur ne sera pas étonné de voir dans certains passages du texte une ponctuaction qui ne correspond pas aux exigences modernes.

Nous avons rectifié la ponctuation en corrigeant les coquilles et lorsque cela s’est averé nécessaire pour faciliter la compréhension du texte :

  • – [15] titre replique entre les vv. 220-221 : « PANCRACE, » → « PANCRACE. »
  • –  [16] v.239 : « esteindre la flame : » → « esteindre la flame »
  • –  [17] v.240 : « dans mes os » → « dans mes os : »
  • –  [21] v.314 : « pardonne donc » → « pardonne donc. »
  • –  [22] v.324 : « Ne crains pas mon espoir » → « Ne crains pas, mon espoir »
  • –  [27] v.397 : « Nos cœurs changez en un sera » → « Nos cœurs changez en un, sera »
  • –  [33] v.482 : « Inhumaine » → « Inhumaine ! »
  • –  [36] v.524 : « ô secours ? » → « ô secours ! »
  • –  [43] v.606 : « Cleanide est il vray, » → « Cleanide est il vray ? »
  • –  [47] v.644 : « Est-ce faict est-ce faict » → « Est-ce faict ? est-ce faict ? »
  • –  [46] v.640 : « Allons veoir nos trouppeaux » → « Allons veoir nos trouppeaux, »
  • –  [48] v.664 : « Pasteurs vous avez tort » → « Pasteurs vous avez tort, »
  • –  [61] v.851 : « je te hayt » → « je te haÿs »
  • –  [63] v.868 : « qu’il cherisse ta flame, » → « qu’il cherisse ta flame ? »
  • –  [67] v.925 : « aux filles : » → « aux filles »
  • –  [67] v.928 : « nulle d’esprit parfaite, » → « nulle, d’esprit parfaite, »
  • –  [73] v.1010 : « Hazard j’ay prou » → « Hazard, j’ay prou »
  • –  [74] v.1015 : « qui est là bas » → « qui est là bas ? »
  • –  [75] v.1030 : « a-t-il raison a-t-il le cœur Loyal, » → «  a-t-il raison ? a-t-il le cœur Loyal ? »
  • –  [78] v.1069 : « A ce jeune insensé que tout » → « A ce jeune insensé, que tout »
  • –  [79] v.1084 : «  [...] à moy que l’on parle ? Ouy » → « [...] Ouy. »
  • –  [83] v.1131 : « Compagnon de Silene engence » → « Compagnon de Silene, engence »
  • –  [84] v.1136 : « Que sont-ils devenus, » → « Que sont-ils devenus ? »
  • –  [92] v.1257 : « puis qu’il est impossible : » → « puis qu’il est impossible »
  • –  [92] v.1258 : « ny d’un demon » → « ny d’un demon : »
  • –  [92] v.1259 : « quelque pallemon : » → « quelque pallemon »
  • –  [93] v.1272 : « pouvoir leur cœur inexorable, » → « pouvoir, leur cœur inexorable »
  • –  [93] v.1282 : « sanglant mon homicide main, » → « sanglant, mon homicide main »
  • –  [95] v.1305 : « divinitez supremes » → « divinitez supremes ? »
  • –  [95] v.1309 : « C’est c’est » → « C’est, c’est »
  • –  [96] v.1333 : « crois-tu cela une chimere vaine, » → « crois-tu cela ? une chimere vaine, »
  • –  [105] v.1474 : « Non non » → « Non, non »
  • –  [121] v.1686 : «  tant de grands, heros » → «  tant de grands heros »
  • –  [121] v.1687 : « Ont commis, tels » → « Ont commis tels »
  • –  [121] v.1695 : « Monsieur pardonnez, moy » → « Monsieur pardonnez moy, »
  • –  [125] v.1747 : « par quelque puissant Dieu. » → « par quelque puissant Dieu, »
  • –  [126] v.1763 : « où est, ce Polydas, » → « où est ce Polydas, »

LES
NOPCES
DE
VAvGIRARD77,
OU LES
NAIFVETEZ CHAMPESTRES.
PASTORALLE
Dediée à ceux qui veulent rire. §

EPISTRE SERVANT D’ADVERTISSEMENT à ceux qui veulent rire. §

[p. III a ij]

MESSIEvRS,

Je ne suis point de ces sçavans personnages dont les siecles ont si curieusement* conservé les precieuses reliques pour nous donner lumiere des sciences qui les ont faict estimer vrais Orateurs, & parfaictement bons Poëtes : mon sçavoir est aussi peu cogneu que ma personne, [p. IV] mais mon humeur indifferente ne se soucie de la probation* des doctes, ny du mépris des ignorans : mes escrits en petit nombre, & en peu de volumes n’ont d’authorité que les divers sentimens de ceux qui prennent la peine de les lire. Vous ne verrez point d’Apologiste79 qui me dise confidemment à l’oreille que j’ay parfaictement bien reüssy, que j’ay grandement obligé* le public luy donnant des œuvres si plaines de moralitez, & de subtiles pointes, que j’attribuë des richesses aux rithmes capables de me faire passer pour divin, que j’attraperay la gloire où tous les autres veulent atteindre, & qu’en fin il seroit aussi difficile de trouver mon second, comme de rencontrer deux Rois de France en l’Europe. Tous ces discours de vanité, & de flatterie n’auroient autre remerciment de moy, que celuy que l’on peut faire à des gens [p. V a iiij] que l’on recognoist se moquer honnestement d’un amy, je leur donnerois l’epithete d’esprits foibles plustot que celle d’esprits forts, comme n’ayans pas assez de force pour me persuader une mécognoissance de moy-mesme : les deffaux de mes ouvrages ne trouveront ny de loüanges, ny d’excuses dans les plumes d’autruy. Vous n’y trouverez point dans l’Advertissement au Lecteur ce que les Autheurs du temps ont coustume d’y mettre : Qu’ils sçavent faire une piece en quinze jours, qu’ils n’avoient que quinze ans lors qu’ils l’ont faite, que leurs amis les ont forcez à la faire mettre soubs la presse, & soubs l’asseurance qu’on leur a donnee, qu’elle seroit bien receuë ; que c’est un premier essay, & qu’on doit esperer que quelque jour ils feront mieux : les autres diront que leur absence a causé le desordre, [p. VI] & les fautes qui se rencontrent dans leurs livres, qu’ils ont este imprimez à leur insceu80 sur des copies mal polies qui leur avoient esté dérobées, ou qu’ils avoient données à l’un de leurs amis, mais qu’à la seconde edition ils seront vestus des robbes de la merveille, & qu’on ne les recognoistra plus. Toutes ces raisons si anciennes, & tant de fois repetées pour faire trouver bonne une mauvaise chose, ne peuvent estre appellées autrement que les honnestes excuses de l’ignorance, le manteau de l’incapacité, la couverture de l’imperfection, le voile [p. VII] des petites imaginations, la sterilité des bonnes parolles, le bandeau des Rimeurs, & la folie des Poëtes; & pour moy, afin qu’ils sçachent mon sentiment je conseillerois volontiers à ces esprits de donner plus de temps à la composition de leurs ouvrages, & de ne les entreprendre si jeunes81, veu que leurs poinctes, qui, pour proprement parler, ne sont que metaphores hyperboliques forment des espines si piquantes, que leur honneur s’y escorche le plus souvent : il n’y a pas un pied de vers qui n’en preste deux aux Lecteurs pour marcher sur la teste de leur vanité, il n’y a pas un vers qui n’en fournisse quatre pour ronger ce qu’il y a de mal digeré dans leur travail ; de sorte que comme la chauve-souris à cause de sa difformité n’ose paroistre devant le jour, ces ouvrages devroient demeurer enfermez, ou n’estre mis en lumiere que par le feu; car pour moy je ne sçaurois flatter, je dis librement mes pensées ; on ne sçauroit donner trop de soin à un ouvrage qui paroist en public. Voicy (Messieurs) une Pastoralle que j’ay faicte, où j’ay fait parler les personnages selon que la naïfveté* des champs les a representez à mon imagination : j’ay beaucoup de fois repassé par dessus, j’y ay corrigé quantité de choses, j’ay faict mon possible pour la polir, & empescher qu’il n’y eust point de fautes remarquables, & si je puis vous asseurer qu’elle n’est pas trop bien, que les [p. IX] oreilles delicates n’y trouveront point leur satisfaction, que les chercheurs de poinctes en trouveront plus chez les vitriers82 que dans mon livre, & que les belles pensées, & les bons mots y sont clairs semez*, & neantmoins pour m’instruire sur les divers jugemens sans chercher la protection des grands, ainsi que beaucoup font, & qui s’imaginent que le nom de ceux à qui leurs livres sont dediez excusent leurs fautes, & deffendent leurs œuvres de la médisance83. Je vous faits present (Messieurs) de cette Pastoralle, recevez la telle qu’elle est, acheptez la, ne l’acheptez pas, lisez la, ne la lisez pas, riez en, n’en riez pas : Il y a long-temps que je faits profession de ne me soucier des loüanges du monde, & que j’ay perdu [p. X] la volonté de paroistre habile homme, puisque j’ay recogneu avoir esté né pour ne l’estre pas. Tout le contentement que j’espere donnant cette Pastoralle au public, est de vous faire voir par le compliment ordinaire que je suis veritablement

MESSIEURS,

Vostre tres-humbe, &

Obeïssant serviteur

L. C. D.

ARGUMENT. §

[p. XI ij]

Amarille est jointe par mariage à Floridon qu’elle n’ayme point sous promesse faite de l’advis de ses parens, & pour la contenter que Floridon ne cueillera le fruict de son amour, que six mois apres le jour de leurs nopces, pendant lequel temps Polydas fils d’une des Illustres maisons de Paris déguisé en Berger, & qui cherissoit grandement Amarille, promettoit de l’enlever secrettement, mais estant mandé* à la nopce avec une jeune Bergere nommée Lidiane, qui estoit venuë avec sa mere demeurer à Vaugirard à cause des guerres qui estoient dans la Province de leur naissance84. Polydas devient amoureux de Lidiane, oublie la promesse qu’il avoit faicte à Amarille, & continuë ses amours avec elle, nonobstant les jalousies d’Amarille.

Pendant que Polydas, Lidiane, Pysandre, Cleanide, & Amarille Bergers, & Bergeres passent le temps à mille gentillesses, & tromperies amoureuses : Luciane mere de Lidiane ayant veu au travers d’une vitre Polydas qui baisoit sa fille. Cette action luy donne subject de l’enfermer, Polydas desesperé de ne plus voir sa maistresse, prend resolution de l’enlever, & pour cet effect* luy ayant faict sçavoir par un mot de lettre que Pysandre luy porte (sans sçavoir ce qui estoit [p. XII] dedans) qu’elle se tint preste* pour la nuict suivante de son dessein, il met la nuict le feu dans une grange, pendant que les villageois sont empeschez à l’éteindre, il l’enleve, & la meine au bord de l’eau, où s’estant trouvé un basteau, Lidiane sautant dedans, pendant que Polydas le veut lascher, la corde rompt, le basteau enmeine* Lidiane, & laisse Polydas à la rive dans des fascheries étranges : elle cependant que l’eau entrainoit85 tousjours voyant une Isle proche d’elle, s’eslance du basteau sur le sable, mais le pied luy glissant elle tombe en la riviere où à l’instant enveloppée des ondes à la veuë de son Berger, elle eust esté noyée si deux pescheurs qui de grand matin avoient tendus leurs filets, ne l’eussent repeschée.

Polydas qui croit qu’elle est morte se precipite dans la grotte des Demons, Amarille qui se doute qu’elle est trompée, voyant que Polydas estoit precipité, s’y jette pareillement, laissans tous leurs parents dans une confusion épouventable, & en fin Lidiane repeschée, & ramenée par les Pescheurs au lieu où elle pensoit retrouver Polydas, est à l’instant prise par les Deputez de Vaugirard qui faisoient la recherche d’eux, par le soupçon qu’ils avoient que Polydas avoit efté le boutte-feu*, elle est ménée devant les Juges qui luy font son procez, & quelques prieres, [p. XIII iij] & supplications que leur puissent faire les habitans du village, elle est par eux condamnée à estre precipitée dans la mesme grotte des Demons, où estoient Polydas, & Amarille ; mais comme on vient pour executer cette sentence, l’ombre* de Castrape Magicien, qui avoit basty cette grotte, sort tenant Polydas d’une main, & Amarille de l’autre sains & sauves, arreste l’execution de cette condamnation, & faisant le recit de toutes leurs advantures, ordonne des mariages du bon homme Pancrace avec la vieille Luciane, dont les crotesques86 amours sont naïfuement traictées, redonne Amarille à son Floridon Polydas à sa Lidiane, & Pyfandre à Cleanide, & par ces mariages inesperez calment les differents de tout le village, & leur cause une réjoüissance publique.

A. D. D. L. R. D. L. P.87 §

[p. XIV]
Beautez de qui les yeux captivent les franchises*
De tous les jeunes cœurs qui passent devant eux,
Si les vostres ont l’heur* que de n’estre amoureux88,
Du moins ne soyez plus à vostre porte assises.
5 Tous ceux que vous blessez la voudroient voir fermée,
Plustost que d’y trouver des objects de rigueur :
Et pour moy lors qu’amour m’y vint blesser le cœur,
Son feu devoit aussi me reduire en fumée.

Aux Lecteurs.

Messieurs vous ne l’entendez pas,
10 N’en faictes de faux jugemens :
Quand vous serez tous des Midas,89
Vous entendrez mes sentimens.

Extraict du Privilege du Roy. §

Par grace & Privilege du Roy, il est permis à Jean Guignard, Marchand Libraire, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & debiter un livre intitulé, Les Nopces de Vaugirard : avec deffences à tous [p. XV] Libraires, Imprimeurs, & autres de quelque qualité ou condition qu’ils soient, de faire imprimer, vendre ny distribuer ledit livre, durant le temps & espace de six ans, comme plus amplement est porté par ledict Privilege. Donnè à Paris le vingt-deuxiesme May mil six cens trente-huict, & de nostre regne le vingt-huictiesme.

Errata §

Page 13, vers 4 lisez baise pour baiser p. 40. v.7. 1. sans vous veoir p.49.v.13. l. d’Orphee. p.53 v.18 & 19 l. affection au premier, & affliction au second. p.57.v.8. l. qu’un pour qu’en. p.58.v.10. l. faicts pour faictes. p.63.v.9. l. me parleront. p.101.v.15 l. seile pour sicle. p.107.v.10. l. qu’un pour qu’en.

Les Acteurs90. §

[p. XVI]
  • PANCRACE, vieil Berger, pere d’Amarille.
  • FLORIDON, mary d’Amarille.
  • POLYDAS, Berger.
  • PYSANDRE, Berger.
  • LIDIANE, Bergere.
  • CLEANIDE, Bergere.
  • AMARILLE, Bergere.
  • LUCIANE, vieille, mere de Lidiane.
  • LES DEUX PESCHEURS.
  • LE JUGE.
  • LE PROCUREUR FISCAL.
  • LE GREFFIER DE VAUGIRARD.
  • LES DEPUTEZ DE VAUGIRARD. Un en trouppe.
  • L’OMBRE DU GRAND CASTRAPPE Magicien.
[p. 1, A]

ACTE PREMIER. §

PANCRACE, FLORIDON, POLYDAS, LIDIANE, AMARILLE, LUCIANE, PYSANDRE, CLEANIDE.

SCENE PREMIERE.91 §

PANCRACE.

En fin le juste Ciel par un sainct Hymenee,
De ma fille ce jour borne la destinee,
Luy donnant un Berger digne d’affection, [p. 2]
Autant riche de biens que de perfection ;
5 Le plus sage & dispost* de tout nostre vilage,
Et qu’on void92 posseder le meilleur heritage :
Outre ses grands troupeaux qui font dire aujourd’huy
Que l’on en void fort peu qui soient pareils à luy :
Il sçait le cours par cœur du grand Ephemeride* :
10 Sur tous les differends des Bergers il preside,
Avec un jugement si remply de raison,
Qu’il en sçait plus que moy qui ay le poil grison.
Le Juge de ce lieu le plus souvent le mande*,
Pour resoudre avec luy tout ce qu’on luy demande :
15 Il a de la prudence & du sçavoir beaucoup,
Il a l’invention pour empescher qu’un loup
N’aborde son troupeau, & sçait un artifice
Pour en toutes saisons accoupler la Genice93.
Ses brebis, son belier, ses chevres, & son chien,
20 Il fait dancer un bransle*, une courante*, ou bien
Joüant de son pipeau de cent sortes d’aubades*
Il leur faict dans nos prez faire mille gambades :
Et puis quand il luy plaist, nos fillettes souvent [p. 3 Aij]
Feront voir en dançant le derriere & devant,
25 Par un charme* qu’il fait, & bien d’autres merveilles,
Ma fille à son bon-heur n’aura point de pareilles :
Et s’il n’estoit encor ce jourd’huy marié
Les Nymphes de ce lieu l’auroient d’amour prié :
Tant son corps est aymable en toute modestie,
30 Ou la Nature agist en chacune partie,
Graces, beautez, vertus, forment son action,
Bref, c’est le cabinet de la discretion,
Que je puis m’asseurer d’avoir ce jour pour Gendre,
Ma fille, sotte un peu n’y vouloit pas entendre,
35 Et si elle n’eut craint le paternel courroux
Elle ne l’eust jamais accepté pour espoux.
Un pasteur incogneu de nom & de lignee
Avoit si puissamment sa volonté gaignee :
Que si je n’eusse bien ce jeune esprit pressé
40 L’accord faict entre nous ne seroit point passé :
Mais ma foy maintenant la beccace est bridee94
Encor que ce Berger vive dans son Idee,
Et que par un article escrit au compromis*,
Son Amoureux espoux ayt par sa foy promis, [p. 4]
45 Que de six mois entiers du jour du mariage,
Il ne la pressera d’avoir son pucellage :
Ceste clause pourtant ne m’afflige qu’un peu,
Car je croy que la mesche estant aupres du feu
Pourra bien s’enflammer si l’amour de ses aisles
50 Peut faire de leurs cœurs sortir des estincelles,
Ha ! Que ne peut l’amour, sa puissance peut tout
Et des plus dedaigneux il sçait venir à bout,
J’espere dans neuf mois ou un peu davantage,
Qu’ils verront d’un enfant accroistre leur mesnage
55 Certes l’occasion faict naistre le desir,
Et je sçay que ma fille estant à son plaisir
Aupres de sa moitié, ne pourra dans la lice*
Passer une ou deux nuicts sans ce doux exercice
Car il est trop friand pour ne le gouster pas,
60 Son Berger est remply de si charmans* appas
Qu’il ne l’aura jamais deux seules fois baisee,
Que cet amoureux jeu ne la rende appaisee :
Quand on void de beaux fruicts on en voudroit gouster,
Je n’ay plus desormais dequoy me tourmenter [p. 5 Aiij]
65 Voicy le lieu public où Pysandre s’appreste
Pour se faire estimer le vallet de la feste,
La serviette en la main, le bouquet de muguet,
Faict voir qu’il menera le second bransle* gay,
Le premier par sus tous à moy seul je reserve,
70 Et par discretion l’honneur me le conserve,
De tous ceux qui ont beu un peu trop sans raison,
Il n’en est demeuré que deux à la maison :
Le Berger Petrolin & sa femme Macee95,
Mais discourant ainsi de pensee en pensee,
75 Je retarde beaucoup, sans doubte l’on m’attend
Ce murmure icy pres & ce bruit96 que j’entend,
On fait du bruit derriere le theatre.
M’annonce leur venuë, il faut que je m’advance
Afin que par la main je la mene à la dance,
Je viens de donner ordre au souper preparer
80 Pendant que ces amans pensent à leur parer97.

SCENE DEUXIESME. §

FLORIDON.

RAvy dans un bon-heur qui me suit à la piste, [p. 6]
Qui condamne ma peine & ma fortune assiste,
Qui me promet encor des plaisirs nompareils,
Que j’espere gouster entre les deux soleils
85 Qui premiers paroistront dessus nostre Hemisphere,
Bref qui me donne en fin les biens qu’amour confere.
Puisqu’aujourd’huy je sors des liens du tourment,
Je me puis dire heureux plus que pas un Amant
Amarille est l’objet où butte ma victoire
90 Amarille est le Ciel où se borne ma gloire,
Amarille est le poinct de ma felicité,
Amarille est le prix de ma fidelité,
Amarille est le bien que mon esprit desire,
Amarille est le centre où ma fortune aspire.
95 Amarille en un mot, est tout ce que je veux98
Et son cœur & le mien n’en feront qu’un des deux
Que de contentement quand une flame* egalle [p. 7]
Partage ses douceurs sur une amour loyalle,
Je pensois qu’à regret elle eust donné sa foy
100 Qu’un Berger incogneu qu’elle a veu depuis moy,
Eust dans son jeune cœur allumé quelque flame*,
Mais ce contentement me demeure dans l’ame,
D’avoir veu cét amant perdre en un mesme jour
Le loyer de sa peine avecque son amour,
105 À sa confusion nos loix sont mutuelles
Et le reffus qu’a faict ce miracle des belles :
Ce tableau racourcy de toutes raretez,
Dont Venus99 & l’Amour admirent les beautez :
N’estoit que pour masquer son dessein d’une feinte,
110 Que ce qu’elle en faisoit n’estoit que par contrainte
Afin que l’estranger n’accusast son esprit
D’avoir trop peu d’amour à son desir prescrit,
Cette ruse m’a pleu autant qu’on sçauroit dire
Mais le voicy qui vient, & moy je me retire,
115 Aussi bien l’on m’attend, sans moy l’on ne peut rien,
Amour guide mes pas vers l’objet de mon bien.

SCENE TROISIESME. §

POLYDAS.

BErger Infortuné Polydas miserable, [p. 8]
Que la rage possede & le malheur accable,
Quel funeste demon glisse en ce lieu ses pas
120 Pour veoir devant tes yeux ravir d’entre tes bras
Une jeune beauté (que la gloire accompagne)
Et qui t’a fait venir habiter la campagne.
Où est ton sentiment, ta gloire, ta valeur,
Peux tu veoir malhereux cet insigne voleur
125 Triompher aujourd’huy de ta belle maistresse ?
Si je ne m’attendois à la juste promesse
Qu’à ma fidelité elle a faitte ce jour,
Qu’il n’aura de six mois le fruict de son amour,
Je jure100 ce soleil qui m’a l’ame ravie,
130 Qu’avant le jour passé il n’auroit plus de vie,
Mille coups de poignard par un pur assassin
Du traistre Floridon auroient percé le sein,
Pour tirer la raison d’un si fascheux outrage.
Mon courage assez grand peut faire davantage [p. 9 B]
135 Si ce n’estoit l’espoir que son affection
Tiendra ferme tousjours sa resolution,
Je rendrois tellement sa nopce malheureuse
Qu’à jamais la memoire en seroit odieuse.
Mais j’espere bien tost l’enlever de ce lieu,
140 Un vaisseau que j’attends doibt arriver dans peu,
Quand le vent l’aura faict jetter l’ancre au rivage
Je ne tarderay pas un moment davantage :
Prenons donc patience, attendant ce bon heur
Je m’en vais101 à sa nopce où m’invite l’honneur,
145 De peur que l’on ne tint102 suspecte ma personne,
Et que de nostre faict quelque chose on soubçonne,
On jouë des hauts bois.
Le son de ces haut bois dit qu’ils viennent icy
Pour ne les rencontrer je prens ce chemin-cy.

SCENE QVATRIESME. §

PANCRACE, POLYDAS, LIDIANE, FLORIDON, AMARILLE, LUCIANE, PYSANDRE, CLEANIDE.

PANCRACE.

OR sus* mes bons amis que chacun prenne place, [p. 10]
150 Que l’on nous donne un bransle* & que de bonne grace,
Les violons jouent un bransle pendant que Polydas parle & que les conviez dancent.
On dance gayement, de cœur, d’affection
Je vous103 veux faire voir ma disposition.

POLYDAS.

Je ne pouvois choisir l’occasion meilleure,
Me voicy justement arrivé de bonne heure
155 Pour les voir commencer, admirons donc leur pas,
Je seray fort joyeux qu’ils ne me voient pas,
Dieux ! quelle est la beauté qui marche la seconde,
Il ne se peut rien voir de pareil en ce monde,
Confus en contemplant ses belles actions [p. 11Bij]
160 Je demeure estonné de ses perfections,
Considerez un peu son port, sa bonne mine,
Vous jugerez qu’elle est quelque grace divine,
Devallee* icy bas pour le faire admirer,
Certes c’est un soleil que l’on doit adorer,
165 Diane104 oncques* ne fut si belle ny legere,
Je croy que c’est Venus105 deguisee en Bergere,
Ou sans doubte les deux luy cedans106 leurs appas,
L’ont faitte des beautez107 la merveille icy bas :
Voyons plus à loisir sa grace & ses merites,
170 Indubitablement c’est l’une des Carites108.

PANCRACE.

Sus c’est assez bransler* Messieurs les violons,
Donnez nous la gaillarde*, ou bien les Pantalons*.
On jouë la gaillarde que Pancrace dance avec Luciane.

POLYDAS.

Non, non je ne puis plus demeurer en silence,
Pour salüer la troupe il faut que je m’advance.

PANCRACE.

175 Où cét amant transi vient il dresser ses pas,
Il ne faudra que luy pour troubler nos esbas.

POLYDAS.

Bergers permettez moy la faveur excellente, [p. 12]
Qu’avec ceste beauté je dance une courante*.

PANCRACE.

Vous avez tout pouvoir de commander icy.

POLYDAS.

180 De mesme en mon endroit vous le pouvez aussi.

LIDIANE.

Berger pour mon subjet c’est prendre trop de peine,
Souffrez que Floridon ou Pysandre me meine

POLYDAS.

C’est le plus grand honneur qui me puisse arriver,
Ma belle, ne daignez de cét heur* me priver.

LIDIANE.

185 Je n’ose le donner à vostre courtoisie
Sans qu’un fascheux effect de quelque jalousie,
Ne glisse dans le cœur de chacune109 beauté.

POLYDAS.

Elles ont trop d’esprit & trop d’humilité,
Joint qu’il n’y en a point en ces nombres d’eslites
190 Qui ne voulut ceder à vos rares merites.

LIDIANE.

Beau Pasteur je n’ay pas assez de vanité [p. 13 Biij]
Pour croire ce discours loin de la verité.
Ils dancent.

PANCRACE.

Les jeunes amoureux que de grace & d’adresse
Les bergers & Bergeres donnent chacun une courante*.
Chacun mene dancer & baiser sa maistresse.

POLYDAS remenant Lidiane à sa place.

195 Belle Nymphe excusez mon importunité.

LIDIANE.

Pour vous servir tousjours j’auray la volonté,

PANCRACE.

Hola hola Bergers c’est assez pour ceste heure
Autre110 occupation qui est beaucoup meilleure,
Nous attend au logis allons viste dedans
200 Faire sur le souper dancer toutes nos dents.

FLORIDON

Adorable subjet qui m’a l’ame111 asservie,
Allons passer heureux ensemble nostre vie,
Ne veux-tu plus dancer dis-le moy librement,

AMARILLE.

C’est le moindre soucy de mon contentement.

PYSANDRE à CLEANIDE.

205 Quel heur* ont ces Amans, est il pas vray ma Reine, [p. 14]
Nous voudrions112 bien tous deux estre en la mesme peine.

CLEANIDE.

Mon espoir qui n’attend que le vouloir des Dieux
Me fait imaginer qu’ils font tout pour le mieux.

POLYDAS à Lidiane.

Deesse à qui l’amour ce grand Dieu doit l’hommage,
210 Permettez que ma main vous remeine au village,

LUCIANE.

Pancrace prestez moy s’il vous plaist vostre main,
Car de vostre maison je sçay mal le chemin.

PANCRACE.

Tres-volontiers mamie*, allons à la pareille113,
Quand je vous vois l’amour dans mes os se resveille :
215 Il me souvient tousjours de ma deffuncte Alix,
Dont le teint estoit peint de roses & de lys.

LUCIANE.

Mocqueur en mon endroit vous n’avez bonne veuë [p. 15]

PANCRACE.

Ha quand j’y pense encor ce seul regret me tuë.

LUCIANE.

Ce regret inutil n’apporte que tourment,
220 Allez n’y pensez plus, marchons tout doucement.

PANCRACE.

Luciane il est vray vostre raison est bonne.

LUCIANE.

Lidiane approchez plus pres de ma personne.

LIDIANE.

O dieux que la vieillesse est d’une estrange humeur,
Ma mere je vous suis,

POLYDAS.

            Dieux que j’ay de mal’heur.

SCENE CINQVIESME. §

AMARILLE, POLYDAS,

AMARILLE.

225 DE la confusion maintenant delaissee, [p. 16]
Je viens entretenir à loisir ma pensee,
Pendant que le festin rend nos amis contens,
Je me suis desrobee aux yeux des assistans,
Pour venir librement plaindre la jalousie,
230 Qui depuis le matin trouble ma fantaisie,
Ce ver sans nul repos me devore le cœur,
Et dedans le plaisir je trouve la douleur,
Parjure Polydas, ingrat, est il possible
Que tu pense aujourd’huy que je sois insensible ?
235 Que je puisse souffrir sans regret furieux114
Qu’à un115 autre qu’à moy tu faces les doux yeux :
Non perfide, non non, ne crois pas que mon ame
Pour aymer mon espoux puisse esteindre la flame*
Qui pour ton seul subject s’aluma dans mes os : [p. 17 C]
240 J’ay trop d’affection, j’ayme trop ton repos,
Jamais le changement ne blessa mon envie,
Et ne crains point encor ce reproche à ma vie,
Tandis que mon esprit fera sa fonction,
J’auray tousjours pour toy la mesme affection :
245 Que depuis un long temps je t’ay par tout monstree,
Et presqu’à tous momens sur mes genoux juree :
Mais toy, sot, inconstant, fol, volage, & trompeur,
Ton amour dure moins que le mail* de la fleur,
Qui naissant au matin se perd l’apresdinee*,
250 Et sans doubte qu’Iris116 nourrit ta destinee :
Mais ne le vois je pas ? Ouy, voicy l’effronté,
Je luy veux tesmoigner un visage attristé,
Afin qu’à l’action froide & sans raillerie
Il cognoisse à l’instant d’où vient ma fascherie117.

POLYDAS.118

255 Si jamais amoureux a souffert des tourmens
Parmy le bal, la dance, & les contentemens,
Je pense avoir senty plus de mal en mon ame,
Que n’en ont enduré ny Paris, ny Pyrame119,
J’ay tout seul suporté dedans ma passion,
260 Des tourmens plus cruels que n’endure Ixion, [p. 18]
Me voyant engagé dans un respect de crainte,
Qu’aucun par un souspir ne cogneust ma contrainte.
Mais en fin desgagé de ce piege tendu,
Je puis plaindre mon mal & sans estre entendu,
265 Ny veu de cet Argus120, mais des yeux de Diane
Moins belle en verité que n’est ma Lidiane,
Je puis chanter tout haut sa gloire & ses appas,
O bons Dieux ! qu’ay je dit, parlons un peu plus bas.
J’apperçois Amarylle, ha ! ciel, si ceste belle
270 M’a ouy, elle dira que je suis infidelle,
Il faut feindre pourtant pour oster le soubçon,
De m’avoir entendu parler de la façon121 :
He Dieux, où va si tard une belle espousee ?
Viens-tu mon cœur icy, afin d’estre baisee :
275 Encor une ou deux fois avant que ton mary
Prenne mesme faveur que moy ton favory.

AMARILLE.

Tout beau, Berger, tout beau, vostre creance est vaine,
Sachez que ce subjet nullement ne m’ameine.

POLYDAS.

C’est donc quelque dessein qui est particulier, [p. 19 cij]

AMARILLE.

280 Rien moins.

POLYDAS.

        N’as tu point peur que dedans un hallier*
Quelqu’un se soit caché, qui cruel & prophane
T’enleve,

AMARILLE.

Je n’ay pas les yeux de Lidiane.
Pour rendre les Bergers amoureux de ma peau.

POLYDAS.

Ha ! de quelque courroux arrivé de nouveau,
285 Ton esprit est troublé, mamour*, je te conjure,
De me dire qui peut t’avoir fait une injure,
Car j’atteste l’amour qui nourrit nos desirs,
De l’aller massacrer au milieu des plaisirs.

AMARILLE.

C’est un jeune pasteur qui avec son Amante,
290 A la nopce a dancé la premiere courante*.

POLYDAS.

Quoy, ma Nymphe, est-ce moy que tu accuse ainsi ?
Ha ! Je sçay d’où peut naistre à present ton soucy ; [p. 20]
Confesse librement qu’un trait de jalousie
En me voyant dancer a ton ame saisie.

AMARILLE.

295 Mon soubçon n’est conçeu qu’avec bonne raison,

POLYDAS.

Ma belle tu m’accuse icy de trahison,
Si je l’ay faict dancer je t’asseure mon ame,
Que c’estoit pour chasser le soubçon & le blasme
De ceux qui ont ouy parler de nos amours122.

AMARILLE.

300 Lidiane nommee en vos meilleurs discours,
M’asseure qu’en ma place elle a nom de fidelle.

POLYDAS.

Je te jure mon tout, que si j’ay parlé d’elle,
C’estoit pour librement deplorer le malheur,
Qui d’estre ton espoux m’a ravit le bon-heur.
305 N’embroüille ton esprit sur ce nom inutile,
Car dessous celuy-là j’entendois Amarille :
Rasseure mon soucy, ton emulation*
C’est blesser le sainct nœud de nostre affection
Et si de mon costé telle faute est trop grande, [p. 21 Ciij]
310 Ma Royne à deux genoux le pardon j’en demande.

AMARILLE.

Croiray-je ta parolle un veritable effect* ?

POLYDAS.

Par moy la verité ce discours vous a faict.

AMARILLE.

Je te pardonne donc.

POLYDAS.

            Telle faute remise,
La faveur d’un baiser me doibt estre permise,

AMARILLE.

315 Prend garde que quelqu’un n’arrive à l’impourveu,

POLYDAS.

J’aymerois mieux mourir que quelqu’un nous eust veu.

AMARILLE.

A Dieu123 je m’en retourne.

POLYDAS.

                Adieu belle deesse.

AMARILLE.

Pensez de m’enlever suivant vostre promesse
Je vous garde six mois ma pure chasteté. [p. 22]

POLYDAS.

320 Ce ne sera si tost que je l’ay souhaité,
Mais excusez aussi, si en vostre presence,
Je caresse quelqu’autre evitant médisance.

AMARILLE.

Ne crains pas, mon espoir* cognoissant ton humeur,
Que jamais mon esprit retombe en telle erreur.

POLYDAS seul.

325 Pauvre Amarille, helas, te voila bien trompee,
Tu crois que ma raison soit tousjours occupee
A penser aux appas de tes perfections,
Et c’est le moindre but de mes conceptions.
Lidiane tousjours vivra dans ma pensee,
330 D’où l’image à jamais ne peut estre effacee,
Ausi bien sans mentir je ne croiray jamais
Que tu puisses empescher ton mary desormais
De gouster les douceurs de l’amoureux martyre124,
Tenant entre ses bras le subjet qu’il desire,
335 Joint que125 sur ta beauté Lidiane a le pris,
Mais je veux retourner peur d’estre126 encor surpris. [p. 23]
Afin de remener127 cette rare merveille,
Amour fais la moy veoir avant que je sommeille :
Favorise l’effet de mon contentement,
340 Et je te feray veoir que je suis vray amant.
[p. 24]

ACTE II. §

LIDIANE, POLYDAS, PYSANDRE, CLEANIDE, AMARILLE, FLORIDON, PANCRACE, LUCIANE.

SCENE PREMIERE. §

LIDIANE, POLYDAS.

LIDIANE.

QUe celuy est heureux qui lors de sa naissance,
Perd aussy tost le jour qu’il en a cognoissance :
Il ne se void subjet aux rigueurs du destin ?
Et n’est point du malheur le renaissant butin, [p. 25 D]
345 Les disgraces d’amour à nous autres comunes,
Ne troublent son repos d’aucunes infortunes :
Jamais en son esprit il n’est inquiété
Si ce n’est pour loüer la juste Deité :
Alors qu’il recognoist que ces pieux offices
350 Ne peuvent de Jupin* payer les benefices :
Helas pauvres mortels à combien de tourmens,
Sommes nous destinez128 depuis les deux momens
Que nous sommes conçeu & produits sur la terre,
Toutes sortes d’ennuis* nous129 vont livrant la guerre :
355 Jusqu’au dernier soupir qui sille* nos deux yeux
D’un sommeil eternel qui nous rend glorieux :
O mort combien de fois depuis que je suis nee,
Ay-je desiré veoir trancher ma destinee !
Je n’avois pas encore l’usage de raison,
360 Lors que je commençay de gouster le poison.
Des douloureux regrets d’une fuite causee,
Par les guerriers exploits du Prince de Luzee130 :
Et puis de temps en temps les plaintes, les douleurs,
Les disgraces, le mal, bref infinis malheurs, [p. 26]
365 Compagnes en tous lieux m’ont suivis à la piste.
Mais laissons ce parler, il est un peu trop triste.
S’il falloit de mes maux reciter tout le cours,
Trois jours ne suffiroient pour un si long discours.
L’on dit qu’il n’y a rien qui soit plus agreable
370 Que de penser à ceux dont le corps est aymable :
Et qui par les attraits de leurs perfections,
Ont fait naistre en un cœur quelques affections :
Aussi, pour divertir* mon esprit des pensees,
Qui me font tousjours voir mes fortunes passees,
375 Je veux l’entretenir sur les charmans* appas,
Et parfaites vertus du Berger Polydas.
Mon Dieu qu’il est aymable & qu’il a bonne grace,
La beauté de l’esprit correspond à la face :
Ce miracle d’amour a des yeux ravissans,
380 Et dans ses cheveux d’or s’enchaisnent tous mes sens.
S’il est aussi constant comme il est agreable,
Certes en verité son corps est adorable :
Et je croiray plustost que ce soit quelque Dieu
En Berger deguisé, qu’un pasteur de ce lieu. [p. 27 Dij]
385 Toutes ses actions & sa docte eloquence,
Font veoir que d’un Pasteur il n’a point pris naissance :
Son port plus relevé que cette nation,
Monstre qu’il tire lieu de nostre extraction :
C’est peut estre un Seigneur, que quelque subject porte
390 A delaisser la Cour déguisé de la sorte :
N’importe tel qu’il soit, il promet de m’aymer ;
Aussi son bel objet a sceu mon cœur charmer*
De telle passion, qu’une Amour131 reciproque
Ne veut que mon desir jamais ne la revoque :
395 Je seray tres-heureuse & luy sera contant,
Nos cœurs changez en un, sera132 tousjours constant.
Personne ne sçauroit empescher vostre envie133,
Mais n’aperçois-je pas ce Soleil de ma vie,
Ce Phenix134 des Amans qui s’achemine icy ?

POLYDAS.

400 Sans mentir tu dis vray ma Nimphe135, le voicy
Tout prest de t’obeyr si tu le crois propice,
A te rendre aujourd’huy quelque courtois office*. [p. 28]

LIDIANE

De si bonne façon vous sçavez obliger*,
Qu’impossible seroit de s’en pouvoir venger :
405 L’exces d’humilité joinct à la courtoisie,
Font que pour obliger* vostre ame fut choisie,
Mais si le Ciel un jour à ma suasion*,
Faict que pour vous servir naisse l’occasion :
Je vous tesmoigneray par mon obeissance,
410 Que je n’ay rien si cher que vostre bienveillance.

POLYDAS.

C’est à moy bel objet à souhaiter tel heur*,
Vostre amitié m’est plus que tout’autre faveur,
L’honneur que je reçois d’estre en si bonne estime,
Aupres d’une beauté que la prudence anime :
415 Fait nager mon esprit en des contentemens,
Qu’on ne peut exprimer que par ravissemens.

LIDIANE.

Berger excusez moy j’ay si peu de merite,
Que le moindre pasteur me voyant prend la fuitte.

POLYDAS.

Je ne m’estonne pas de sa fuitte, mon œil136
420 C’est qu’il craint de brusler aux rayons du Soleil, [p. 29 Diij]
Mais moy comme celuy qui volle137 avec prudence,
J’ose m’en approcher sans craindre leur puissance

LIDIANE.

Leur pouvoir que l’on void moindre qu’une vapeur,
Ne doit les aprochant138 donner aucune peur :

POLYDAS.

425 Leur pouvoir est si grand que fermant leur paupiere,
La nuict au mesme instant nous oste la lumiere.

LIDIANE.

O Dieux ! Où vostre esprit s’alembique* les sens.

POLYDAS.

C’est à vous que l’on doit les vœux & les encens,

LIDIANE,

Pasteur telle loüange est beaucoup inutile.

POLYDAS.

430 Je n’eusse pas quitté l’amitié d’Amarille :
Si vous yeux absolus* dessus mes volontez,
Ne m’eussent commandè d’adorer vos beautez.

LIDIANE.

Je me tiendray berger infiniment contente [p. 30]
D’estre de vous vertus la tres-humble servante.

POLYDAS.

435 Ce tiltre139 m’appartient plus legitimement,
Et pour en veoir l’effet, commandez seulement.

LIDIANE.

Puisque vous me donnez ce pouvoir sur vostre ame,
Je commande à vos yeux de ne veoir nulle dame,
Qui plus belle que moy les puissent captiver,

POLYDAS.

440 Ne craignez pas cela, il ne s’en peut trouver :
Les Dieux qui vous on faite au modelle des graces,
Veulent que vos beautez tiennent icy leur places.

LIDIANE.

Amarille pourtant est bien aupres de vous,

POLYDAS.

Je confesse en effect qu’avant qu’elle eust Espous,
445 Je l’aymois grandement, mais estant engagee
A l’aspect* de vos yeux, mon amour s’est changee.
Toutesfois d’un seul poinct je vous veux140 advertir, [p. 31]
C’est que si quelquefois venant se divertir*,
Je tesmoignois encor quelqu’amitié pour elle,
450 Ce ne sera que feinte.

LIDIANE.

            Ha c’est estre infidelle.

POLYDAS.

Mais c’est pour prevenir la jalouse fureur,
Qui se pourroit glisser dans vostre belle humeur.

LIDIANE.

Si telle feinte aussi se trouve veritable,

POLYDAS.

Ha que plustot le Ciel d’un foudre141 épouventable.
455 Mette mon corps en poudre ayant manqué de foy,
Envers vostre beauté que j’ayme plus que moy.

LIDIANE.

Où en sont les tesmoins ?

POLYDAS.

            Ces baisers plains de flame*,
Qui pour vostre subjet met en cendre mon ame.

LIDIANE.

Gardez que quelque Argus voye la privauté [p. 32]
460 Dont vous venez d’user envers ma chasteté,
Allons sous ces ormeaux nous asseoir un quart d’heure,
Pysandre ne sçauroit faire longue demeure.

POLYDAS.

Ny Cleanide aussi car ses agneaux aux champs
Vous la verrez icy venir passer le temps.

SCENE DEVXIESME. §

PYSANDRE, CLEANIDE, POLYDAS, AMARILLE, LIDIANE, FLORIDON

PYSANDRE.

465 ALlez petit trouppeau savourer les herbettes,
Pendant que je diray mes belles amourettes :
Aux Echos qui souvent entendant mon tourment,
Me promettent tousjours quelque soulagement.
Ce qui faict que souvent leur antre je visite, [p. 33 E]
470 L’amour à tout moment sans tresve m’y invite.

                    Echo, viste

Attend fille de l’air142 je ne veux ton repos,
D’un discours importun interrompre si tost.

                    tost

Je n’ay pas le loisir rien encor ne se gaste,
Mon esprit sur l’amour ne court en si grand haste.

                    haste

475 Ne m’importune plus, car je n’en feray rien,
Mon ame maintenant veut un autre entretien.

                    tien

Quoy que veux-tu donner importune criarde
Je fuiray si ta voix le silence ne garde :

                    garde

Le recit des malheurs dont un Amant jouy*,
480 Rend il en quelque effect ton esprit rejouy ?

                    ouy

Inhumaine ! Adieu donc, ne crains pas à cétte heure
Qu’en ce lieu desormais plus long temps je demeure

                    meure.

Cette fascheuse Echo de l’un à l’autre bout,
Pour me desesperer me veut suivre par tout.

                    par tout

485 Si143 n’en feras-tu rien car en changeant de place, [p. 34]
Je n’escouteray plus de ta voix la menace.

                    menace.

Je te conjure Echo par l’amoureux lien.
De ne plus empescher le repos de mon bien.

                    bien.

Dieux, que ce beau Narcisse144 avoit sur toy d’empire,
490 Si Junon145 t’eust permis luy conter ton martyre :
Et que ce beau visage eust chery ta beauté,
Un beau cristal mouvant ne te l’eust pas ostée :
Certes tu meritois l’amour de ce Cephide146,
Comme j’ay merité l’amour de Cleanide :
495 Par tant de longs travaux* soufferts si constamment,
J’ay crainte que ma Nymphe aussi pareillement
Regardant sa beauté dans une eau Cristaline,
Rende amoureux ses yeux de sa face divine,
Pour mespriser apres les feux de mon Amour,
500 Je me suis cette nuict advisé d’un bon tour,
Pour baiser quelque fois cette petite bouche,
Qui ravit tous les cœur avant que l’on y touche
Qui paroist mille fois plus rouge que Corail,
Ceinte d’un marbre blanc plus luysant que l’esmail*, [p. 35 Eij]
505 O dieux que de plaisir ce dessein me prepare,
Voicy ce bel objet où nature s’esgare,
Dans l’admiration de ses charmans* apas,
Voyons si mon dessein ne reussira pas.

CLEANIDE.

Belles fleurs que Zephir147 incessamment caresse    
510 J’ay peur que l’on m’accuse aujourd’huy de paresse :
D’avoir mis si long-temps à venir visiter,
Vostre esmail* bigarrè qui sçait l’œil contenter :
Et vous arbres sacrez, bois, rochers & fontaines,
Qui de mon chaste amour tous seuls sçavez les peines,
515 Ne les publiez148 pas de peur que mon berger
De mon affection se vueille advantager :
Et vous air gracieux gardez que ma parolle,
Par le vent emportee à ses oreilles volle :
Je n’ay sçeu plus matin delaisser le logis,
520 J’ay laissé mon mastin* pour garder mes brebis,
Cependant que je viens pour faire une guirlande,
Que mon berger aura pourveu qu’il la demande. [p. 36]

PYSANDRE.

A l’aide, helas ! je meurs, ô secours ô secours !

CLEANIDE.

Pysandre qu’avez vous ?    

PYSANDRE.

            Je vais finir mes jours.

CLEANIDE.

525 He Dieux dittes le moy149.

PYSANDRE.

             Sachez rare merveille,
Qu’en passant dans ce pré une mauvaise abeille
M’a planté l’ayguillon sur la lévre150, ha je meurs
Les violents efforts de ces aspres douleurs,
Me ravissent l’esprit, adieu chaste Bergere,

CLEANIDE.

530 Prend courage Pasteur, la peine est fort legere.
Si ce n’est que cela, mon berger, ce n’est rien,
Dans un quart d’heure au plus tu te porteras bien,
Preste* que je la succe, ô la fortune estrange !
Sens-tu allegement ?
Elle le baise à la bouche.

PYSANDRE.

            Pas encore mon ange, [p. 37 Eiij]
Elle le baise encore.

CLEANIDE.

535 He bien es-tu guery ?

PYSANDRE.

            Non encore un petit,
Ce remede excellent me met en appetit*.

CLEANIDE.

Finet* seroit ce point quelque tour de souplesse* ?

PYSANDRE.

Non je jure tes yeux151 ma fidelle maistresse.

CLEANIDE.

J’en doubte fort pourtant.

PYSANDRE.

            Ha que plustot la mort    
540 Sur ce corps innocent face un dernier effort.

CLEANIDE.

Si152 est-ce que si plus un tel mal te possede,
Tu pourras bien ailleurs aller chercher remede.

PYSANDRE.

Pourquoy, si dans ta main tu tiens ma guerison,
Me lairras153 tu mourir contre toute raison ?

CLEANIDE.

545 J’y adviseray* lors, [p. 38]

PYSANDRE.

            Tu serois inhumaine.

CLEANIDE.

Ne parle plus Berger, car voicy dans la plaine
La chaste Lidiane & le beau Polydas.

PYSANDRE.

Allons au devant d’eux marchans154 au petit pas.

POLYDAS.

Pan155, Diane & l’Amour vous comblent de liesse*

PYSANDRE.

550 Que Bacchus & Ceres156 vous comblent de richesse.

LIDIANE.

Le Ciel face sur vous toutes faveurs pleuvoir,

CLEANIDE.

Que la docte Pallas157 vous donne son sçavoir.

POLYDAS.

Où allez vous ainsi discrette Cleanide,
Avec ce beau Pasteur vostre fidelle guide ?

CLEANIDE.

555 Ravis de vostre veuë où loge le bon-heur,
Pysandre et moy venons en rechercher l’honneur.

POLYDAS.

C’est nous qui recevons cette faveur extreme, [p. 39]
Et croirons vous servant jouïr d’un bien supreme.

PYSANDRE.

Courtois dans la parolle autant que dans l’effet
560 Oblige nos desirs d’avoir pareil souhait.

POLYDAS.

Vous sçavez tout le monde obliger* au possible,
Et pour ne s’en venger158 faudroit estre insensible.

PYSANDRE.

Je refere ce poinct à vostre humilité.

POLYDAS,

C’est pour faire admirer vostre civilité.

LIDIANE.

565 Tous ces beaux complimens empeschent nostre envie :

POLYDAS.

Quel dessein faittes vous lumiere de ma vie ?

LIDIANE.

De passer gayement ce qui reste du jour.

PYSANDRE.

A quoy

CLEANIDE.

    Dançons, [p. 40]

LIDIANE.

            He bien.

POLYDAS.

                Il fait bien chaud mamour*.

LIDIANE,

Joüons à quelque jeu remply de modestie*,
570 Amarille qui vient sera de la partie.

AMARILLE.

Bon jour gaillard* troupeau, encor que je sois
Contrainte d’obeir aux maritales lois.
Pourtant vostre entretien si profitable à suivre,
Fait sans voir un jour* que je ne sçaurois vivre.

POLYDAS.

575 C’est trop nous obliger*,

CLEANIDE.

            Pysandre invente un jeu.

PYSANDRE.

J’en sçay plus de deux cens, mais nous sommes trop peu.
J’ay dans ma pannetiere une chose opportune,
C’est un petit livret de la bonne fortune.
Si vous voulez sçavoir qui159 vous arrivera, [p. 41 F]
580 Piquez & je suis seur qu’elle vous le dira.

AMARILLE.

Vrayment nous le voulons,

PYSANDRE.

                Prenez donc cette aiguille :
Pour veoir ce que dira cette inconstante fille,
Ce fut endimion160 qui fit ce beau traitté,
Et tout ce qu’il predit ce trouve verité.

LIDIANE.

585 Assisons161 nous icy mais que ceremonie162
Soit tout premierement d’avecque nous bannie.

POLYDAS.

A quoy sert tout cela,

CLEANIDE.

            C’est parler franchement,

PYSANDRE.

Amarille tirez s’il vous plaist vistement.
Ils piquent dans un livre où ces quadrains163 sont transcripts.

La Fortune à Amarille.

Belle vous n’este assez fine
590 Pour veoir des yeux de vostre esprit,
Celuy dont l’amour vous surprit,                         [p. 42]
Baiser bien souvent sa voisine.

POLYDAS.

Dieux quel contentement, le bon trait que voilà.

PYSANDRE.

Sus Lidiane à vous,

AMARILLE.

            Je ne croy point cela,

La Fortune à Lidiane.

595 Pour estre un petit trop164hardie,
Sur le point de souffrir la mort,
Une ombre pour dernier effort,
Guerira vostre maladie.

CLEANIDE.

Ce parler165 est obscur,

LIDIANE.

            Je n’y adjouste foy :

POLYDAS.

600 Vous ne le devez pas,

CLEANIDE.

            Pysandre c’est à moy.

La Fortune à Cleanide.

Ne faites point tant la farouche,
Confessez que vous aymez mieux                         [p. 43 Fij]
Les baisers de vostre amoureux,
Que tous ceux de quelqu’autre bouche

AMARILLE.

605 Cleanide est il vray ?

CLEANIDE.

            Non, ne le croyez pas,

PYSANDRE,

Je n’en veux point douter.

LIDIANE.

            C’est à vous Polydas.

La Fortune à Polydas.

L’amour qui captive vostre ame,
Vous fera jetter dans un trou,
D’ou sortant ainsi qu’un hibou,
610 Irez jouër au trou Madame*.

POLYDAS.

Ha voila le meilleur,

CLEANIDE.

            Pysandre c’est à vous.

AMARILLE.

Quiconque ayt fait cela sans doubte il estoit fous.

La Fortune à Pysandre.

Si vostre amour ne diminue                             [p. 44]
Je juge pourtant aujourd’huy,
615 Que vous aymerez bien l’apuy
Sur vostre Nymphe toute nuë.

POLYDAS.

Certes ce petit livre est excellemment bon,

AMARILLE.

Berger changeons de jeu car voicy Floridon,
Defaisons nous de luy sans luy166 faire paroistre

POLYDAS.

620 Je prend ce soing tout seul,

FLORIDON.

                Pasteurs n’en sçaurois-je estre ?

PYSANDRE.

Tres-volontiers Berger,

FLORIDON.

             A quel jeu jouez vous ?

POLYDAS.

FLORIDON.

            Et qui l’est de vous tous,

AMARILLE.

Nous allions commencer quand sortant167 ce bocage*, [p. 45 Fij]
Je vous ay veu venir costoyant le village.

LIDIANE.

625 Je vais moüiller le doigt* & quiconque l’aura
Pour ne point disputer sans refus clignera168 :
Prenez donc s’il vous plaist,

FLORIDON.

                Est-ce toy Amarille,

AMARILLE.

Nenny* vrayment,

FLORIDON.

            Ny moy

LIDIANE.

                Qu’à prendre on soit habille,
Or sus* c’est Polydas allons viste cacher169,

POLYDAS.

630 Je n’arresteray pas à vous aller chercher,
Est-ce faict,
Ils se vont cacher.

CLEANIDE.

        Ouy.

POLYDAS.

            Ma foy si Floridon j’atrappe,
Croyez qu’il sera fort si des mains il m’eschappe [p. 46]

AMARILLE.

Viste sœurs sauvons nous,

POLYDAS.

            Il vous est fort aysé :
Mais où est Floridon,

AMARILLE.

            Dans un arbre creusé,
635 A douze pas d’icy vous le prendrez sans doute,
Il le va prendre.

POLYDAS.

Or sus* vous voila pris clignez & sans veoir goutte
Ainsi comme j’ay faict.

FLORIDON.

             Berger c’est la raison,

POLYDAS.

Sus* que chacun chez soy s’en aille en sa maison.
Allons veoir nos trouppeaux, des oiseaux le ramage*,
640 Dit qu’il nous faut bien tost retourner au village,
Et devant qu’il170 soit nuict dedans quelqu’autre lieu,
Nous pourrons bien encor jouër à quelque jeu.
Ils s’en vont & laissent Floridon seul.

FLORIDON.

Est-ce faict ? est-ce faict ? ô la plaisante histoire, [p. 47]
Laissons pour mieux courir ma houlette d’yvoire.
                    Echo

                    voire.

645 Assez proche de moy l’on c’est esvanouy
Je n’iray pas trop loin est-ce fait ditte ouy,

                    ouy

Allons donc les chercher, l’occasion est chauve*,
J’ay peur qu’en les cherchant l’un & l’autre se sauve171.

                    sauve.

Ma foy l’un sera pris au chemin que voicy
650 C’est estre trop long temps estes vous loin d’icy.

                    Icy

Ha je ne joueray plus apres cette recherche
Il y a trop de temps que par tout je vous cherche ?

                    cherche

He où, je n’ay point d’yeux qui puissent veoir un lieu,
Où je n’aye cherché, Adieu Bergers Adieu ?

                    adieu

655 Leur voix de qui le son me frappe dans l’oreille
Me fait quasi doubter si je dors ou je veille.

                    veille

Se sauve qui voudra je luy donne pouvoir, [p. 48]
Et tout presentement vous donne le bon-soir.

                    bon-soir

Que sert tant de discours telle feinte me lasse
660 Monstrez vous donc Bergers & prenez de l’espace.

                    passe

Telle subtilitez ne m’estonnent beaucoup,
Et j’en faits moins d’estat que du chant d’un coucou.

                    coucou

Pasteurs vous avez tort, n’injuriez personne,
Je me sçay resentir* quant subjet on m’en donne,

                    donne

665 Certes quelqu’un de vous en sera mal contant
Ma houlette & mon bras me le vont promettant

                    & tant

Je croy que cét Echo qui respond quand j’apelle
Pour en estre esclaircy je veux parler à elle.

                    elle

Ha que je suis fasché d’avoir tant arresté*
670 Ils riront maintenant de ma simplicité*.
[p. 49 G]

SCENE TROISIESME. §

PANCRACE, LUCIANE.

PANCRACE.

UN parfaict amoureux jamais ne se repose
Son esprit captivé ne pense à autre chose,
Qu’à chercher chasque jour milles inventions,
Pour plaire au beau subject de ses affections :
675 Aussi depuis qu’amour loge dans ma cervelle
Je cherche à tout moment quelque chose nouvelle
Pour plaire à la beauté qui m’a d’amour espris
Je la trouve cent fois plus belle que Cypris172.
Et ne l’ayant ce jour veuë à la promenade,
680 Je luy viens à ce soir donner la serenade,
Maintenant que la nuict a le dessus du jour,
Je veux viste accorder ma fluste à mon tambour,
Il accorde son tambour & sa fluste.
Ha la douce harmonie ha je rendray Orphée173,
D’Amphion174 & de Pan la memoire estouffee.
685 Sus voila le Palais où mon beau Soleil dort [p. 50]
Allons le reveiller d’un musical accord :
Il me semble desja que je le voids paroistre,
Il ne faict jamais nuict où son bel œil peut estre.

LUCIANE

coiffee de nuict à la fenestre.
Bonsoir, bonsoir Pancrace, ha vrayment c’est trop tard,

PANCRACE.

690 Un Amant comme moy ne craint point le hazard*.

LUCIANE.

Certes vostre musique est parfaittement bonne,

PANCRACE.

Il faut qu’encore un air sur ma fluste j’entonne,
Il reconmance.
He bien qu’en dittes vous,

LUCIANE.

            Que vous me ravissez
Qu’on ne vous peut donner de loüanges assez

PANCRACE.

695 Toubeau175 belle toubeau mais ayez agreable,
Que souvent desormais je face le semblable.

LUCIANE.

J’aurois trop de regret de vous causer ce mal,

PANCRACE.

Au contraire ce bien n’en peut avoir d’esgal, [p. 51 Gij]
Et pourveu qu’en effect ce passe-temps vous plaise,
700 Ce seul contentement rendra mon cœur trop aise :
Si vous ne l’obligez d’un heur* particulier,

LUCIANE.

J’ay un petit anneau de corne de belier :
Que je vous veux donner recevez le de grace.

PANCRACE.

O bien-heureux amant, ô fortune Pancrace,
705 Ha c’est trop m’obliger* d’une telle faveur,
Tenez moy seulement pour vostre serviteur :
Et croyez que jamais nul ne fut plus fidelle.

LUCIANE.

Prenez-le s’il vous plaist au bout d’une ficelle
Ce fut un beau pasteur qui m’en fit un present,
710 Que j’aymois autrefois comme vous à present
Adieu mon serviteur le sommeil me tourmente
Croyez que Luciane est vostre humble servante.

PANCRACE.

Bonsoir ma Royne adieu ô celeste faveur,
Allons plus à loisir admirer ta valleur.
[p. 52]

ACTE III. §

POLYDAS, PYSANDRE, LUCIANE, PANCRACE, AMARILLE, FLORIDAN, LIDIANE.

SCENE PREMIERE. §

POLYDAS, PYSANDRE.

POLYDAS.

715 L’Inimitié d’un Roy, d’un Prince, d’un monarque,
Ne peut de son courroux donner aucune marque :
Que par un coup mortel qui passe en un moment,
Mais celle de l’amour dure eternellement.
On souffre tous les jours mille mors inhumaines
720 Et si cét indiscret se mocque de nos peines, [p. 53 Giij]
Depuis que de ce Dieu le mal contagieux,
Voyant une beauté penetra mes deux yeux :
Je crois avoir souffert des gesnes* plus cruelles,
Que n’en souffrent là bas176 les ames criminelles :
725 Sa malice sans cesse en a de tous177 nouveaux
Et jamais on ne void la fin de ses travaux* :
Hier j’estois content aujourd’huy ma Bergere
Est captive au logis pour chose fort legere !
Ha Ciel pouvez vous veoir m’estre fait un tel tort,
730 Sans en punir l’autheur d’une cruelle mort :
Non non vous n’avez plus de feux ni de justice
Le triomphe est basty de la gloire du vice :
Le coulpable à present reçois par vanité,
Ce qu’un pauvre innocent de juste a merité.

PYSANDRE.

735 A quoy servent amy tant de plaintes frivolles
Sinon qu’a troubler l’air d’inutilles parolles :
Je te conjure au nom de nostre affliction,
De me faire recit de ton affection.

POLYDAS.

Ha c’est renouveller une sanglante playe
740 Dont l’horreur de penser tenseulement* m’effraye [p. 54]

PYSANDRE.

Celuy qui veut d’un mal tirer allegement,
Il faut qu’auparavant il dise son tourment.

POLYDAS.

Je crains qu’en recitant mon malheur trop sensible,
A me pouvoir guerir se trouve l’impossible.

PYSANDRE.

745 Le mal est incurrable à qui le veut cacher,
Mais on a guerison quand on la veut chercher.

POLYDAS.

La mort de tous mes maux est seulle medecine,

PYSANDRE.

Nous causons bien souvent nostre propre ruine.

POLYDAS.

Une grande douleur n’est facille à porter,

PYSANDRE.

750 L’artifice souvent peut le cours arrester.

POLYDAS.

Ma langue ne peut pas dire ce que j’endure,

PYSANDRE.

Le respect quelquefois nous faict souffrir injure

POLYDAS,

Aux maux desesperez tous remedes sont vains [p. 55]

PYSANDRE.

C’est effet de prudence aux esprits des humains,
755 D’accorder plus de chose à raison qu’à cholere,

POLYDAS.

Quel plaisir auras-tu d’entendre ma misere.

PYSANDRE.

De prendre avecque toy part de la pitié.

POLYDAS.

La force qui contraint fait perdre l’amitié.

PYSANDRE.

Quand tu m’auras conté le mal qui te possede.
760 Je pourray bien peut estre y trouver du remede.
Sans perdre pour cela nostre societè*,
Dont je reçois l’honneur sans l’avoir merité.

POLYDAS.

Apreste donc des pleurs pour ouïr ma fortune,
Phebus hier au soir faisant place à la lune,
765 Retiroit sa clarté du sejour des humains,
Les faisant de chez eux reprendre les chemins.
Et desja par nos champs une pasleur nocturne
Avoit fait desloger les oyseaux de saturne178,
Dont le funeste chant ne s’entend que la nuict [p. 56]
770 Alors que le silence est esloigné du bruict :
Les petits passereaux de leur tendre gorgette,
De ma nimphe & de moy entonnoient la retraitte,
Apres t’avoir quitté, ramassans179 nos troupeaux
Nous les reconduisons jusque dans nos hameaux.
775 Puis en me separant de ma belle maistresse,
Je pris d’elle un baiser, & fuyant de vitesse :
Contant je ne pensois que personne n’eust veu
Mais sa mere, ô bons Dieux qui m’avoit aperceu
Au travers d’une vistre acourt & vient à elle :
780 Et de quelques soufflets outragea cette belle :
Et non contente encor luy dit qu’elle fera,
Que de six mois entiers elle ne sortira :
Juge donc si j’ay pas vray subjet de me plaindre
Je n’en eusse rien sceu sans le berger Philindre180 :
785 Qui son proche voisin m’a recité ce faict,
Donc je puis acuser la Lune du forfaict :
Car si elle eust permis sa lumiere eclypsee,
Comme au temps qu’un berger vivoit dans sa pensee.
Cette vieille Alecton181 n’eust veu la privauté [p. 57 H]
790 De laquelle j’eusé182 envers cette beauté :
O astres inhumains pensant à ce dommage,
Je creve de dépit à peu que183 je n’enrage :
Vois donc cher compagnon si je n’ay pas suject,
De quoy me tourmenter en perdant cét object.

PYSANDRE.

795 Vous en avez raison mais non pas de la sorte,
Qu’il faille qu’un regret dans l’exceds vous emporte :
Vous sçavez qu’une mere à le courage bas,
Et qu’envers un enfant son fiel ne dure pas :
Peut estre des demain avecque ses compagnes,
800 La verrez vous mener ses aigneaux aux campagnes.
Cependant vous sçavez que je suis son cousin,
Si je vous puis servir comme amy ou voisin :
Commendez seulement : car je veux faire au reste,
Que vous estant pillade on m’estime un Oreste184

POLYDAS.

805 Ce m’est trop de faveur vous estes trop courtois,
Ne faut importuner son amy tant de fois.

PYSANDRE

Librement voulez vous luy mander* quelque chose, [p. 58]

POLYDAS.

Ce petit mot d’escrit en tes mains je depose
Je te conjure amy de luy faire tenir*
810 Et t’oblige au surplus de viste revenir.

PYSANDRE.

Je n’y manqueray pas car nostre parentelle
Me donne à tous momens un libre accez chez elle,
Dans une heure au plus tart je seray de retour
Rendez vous en ce temps aupres du carrefour.

POLYDAS.

815 L’amour pour y aller me donnera des aisles,
Amy fais qu’aujourd’huy j’en sache des nouvelles.

SCENE DEUXIESME. §

[p. 59 Hij]
AMARILLE, FLORIDON.

AMARILLE.

L’Esprit inquieté de milles pensemens*,
Dont la jalouse ardeur blesse mes sentimens :
Sans resolution je demeure confuse,
820 Et dans ma passion une crainte m’abuse :
Faisant veoir par les yeux de mes sens agitez,
Combien mon Polydas use de privautez :
Par tant de doux regards jettez sur Lidiane,
Mille petits souris truchemens* de l’organe*,
825 Semblent dire pour elle à mon affection,
Que ce vollage amant mocque ma passion :
He dieux seroit-il vray que leur ame traistresse,
Se jouant de mon sort, se rit de ma simplesse* :
Ha je ne le croy pas les sermens qu’il m’a fait,
830 Indubitablement seront mis en effet,
Ou bien le ciel rendroit le crime tollerable, [p. 60]
Où va cét importun qui me rend miserable.

FLORIDON.

Languiray-je tousjours dans l’attente d’un bien
Que ma fidelité doit avoir rendu mien185 :
835 Quel soucy continu te ronge la cervelle,

AMARILLE.

De vous veoir en ce lieu où je ne vous appelle.

FLORIDON.

Quoy ton contentement va-t-il jusqu’à ce point,

AMARILLE.

Mon plaisir est parfait quand je ne vous void poinct.

FLORIDON.

Que je suis malheureux sous la loy d’Himenee.

AMARILLE.

840 N’esperez rien de moy mon amour est donnee186 :

FLORIDON.

Les six mois accomplis ton cœur s’adoucira,

AMARILLE.

Plus vous le pressez & plus il durcira :

FLORIDON.

Si ce n’est d’amitié vous y serez forcee,

AMARILLE.

La force & l’amitié n’ont rien sur ma pensee : [p. 61 H iij]

FLORIDON.

845 As-tu quelque subjet de me traitter ainsi,

AMARILLE.

As-tu quelque raison de me cherir aussi :

FLORIDON.

En quoy t’ay-je mesfait*187 que ta haine je porte,

AMARILLE.

En quoy t’ay je obligé pour m’aymer de la sorte.

FLORIDON.

Ta beauté m’a forcé de luy rendre mes vœux,

AMARILLE.

850 C’est pourquoy je te haÿs reprends les si tu veux.

FLORIDON.

Mon cœur est captivé d’une chaisne trop dure :

AMARILLE.

Si tu veux à l’instant j’en feray la rupture.

FLORIDON.

C’est recognoistre mal les services rendus,

AMARILLE.

Si tu meurs aujourd’huy je t’en rend deus fois plus :

FLORIDON.

855 Seroit donc de regret de servir une ingratte, [p. 62]

AMARILLE.

Je meure, j’ay regret qu’un sot espoir te flatte :

FLORIDON.

Ah mon amour n’a rien de commun que le nom,

AMARILLE.

Adjouste que d’un fol il t’aquiert le renom.

FLORIDON.

Appelle-tu folie une amitié parfaite,

AMARILLE.

860 Ouy, quand l’un des amans a la teste mal faite.

FLORIDON.

Telle imperfection vient donc de ton costé,

AMARILLE.

Je croy qu’en ton endroit ce point est limité.

FLORIDON.

C’est parce que mon cœur avec le tien se lie,

AMARILLE.

Aimer sans estre aymé tesmoigne une folie.

FLORIDON.

865 Par la mesme raison nous sommes foux tous deux,

AMARILLE.

Si j’ayme Polydas il m’aime encore mieux. [p. 63]

FLORIDON.

Comme quoy188 penses-tu qu’il cherisse ta flame* ?

AMARILLE.

Autant que la vertu que respire son ame,

FLORIDON.

Que j’y verray bien tost un subit changement,

AMARILLE.

870 Ta voix ne me rendra jalouse nullement :

FLORIDON.

Bien changeons de discours car celuy-là t’afflige

AMARILLE.

De t’en aller d’icy que ton amour m’oblige.

FLORIDON.

Absent, ta volonté ne songe plus à moy,

AMARILLE.

Ces arbres, ces rochers, ne parleront pour toy,

FLORIDON.

875 Muets tu ne craindras qu’ils troublent ton silence

AMARILLE.

Tu devines vrayment aussi bien que je pense.

FLORIDON.

Dits donc que les oyseaux te diront mes amours [p. 64]

AMARILLE.

Dit plutost qu’ils riront oyants* tes sots discours.

FLORIDON.

Qu’un baiser enflamé me contente Amarille,

AMARILLE.

880 Si tu debvois brusler je t’en donnerois mille.

FLORIDON.

En fin mon amitié dessus toy n’aura rien,

AMARILLE.

Que la haine d’avoir troublé mon entretien.

FLORIDON.

Ny faveur ny baiser ny parolle agreable,

AMARILLE.

Ces fruits estans trop doux je me rendrois blasmable.

FLORIDON.

885 J’aymerois donc autant n’estre point marié,

AMARILLE.

Tu le peux si tu veux je ne t’en ay prié189.

FLORIDON.

Nostre Hymen a rendu nos cœurs inseparables

AMARILLE.

Je sçay bien que le mien fuit de loin tes semblables. [p. 65 I]

FLORIDON.

Telle haine tousjours ne sçauroit pas durer,

AMARILLE.

890 Autant que l’on verra le soleil esclairer :

FLORIDON.

Ce bel astre ce soir vaincra donc ta malice,

AMARILLE.

Jamais comme j’entends tu n’y verras d’éclipse.

FLORIDON.

Le temps dissipera cette fascheuse humeur,

AMARILLE.

Je croy que de la mort depend tout ton bonheur.    

FLORIDON.

895 Il faut que mon destin la patience attrappe,

AMARILLE.

Lors que tu la tiendras garde bien qu’elle eschappe.

FLORIDON.

Je n’auray donc si tost le fruict de mon amour,

AMARILLE.

Alors que nous verrons le soleil sans le jour :

FLORIDON.

Vrayment je m’en plaindray tantost à vostre pere, [p. 66]

AMARILLE.

900 Tant plus on m’importune & plus je suis severe.
Va va retire toy spectre, phantosme hideux,
Ta presence me donne encor plus d’effroy* qu’eux.
Si Polydas tesmoigne envers moy sa constance
Et qu’il me tire un jour de dessous ta puissance
905 Je feray dans peu veoir à tes yeux clairement,
Qu’il ne faut marier les filles forcement190.
Peres mal advisez191 sur moy prenez exemple,
Que chacun des mortels mon desastre contemple :
Voyez où m’a reduit le paternel pouvoir,    
910 Une plus miserable on ne peut jamais veoir.
Le soucy, la douleur, la jalouse manie,
Ont troublé tout à coup de mes sens l’armonie192 :
Helas que deviendray-je apres tant de travaux*,
Peut estre que le Ciel adoucira mes maux.
915 Lors qu’il contemplera avec quelle constance,
Suportant mes ennuis* je luy fais resistance :
Je veux tous les malheurs rendre à la fin lassez,
D’avoir dessus mon chef tant de tourmens versez : [p. 67 I ij]
Celuy qui patient souffre de l’injustice,
920 Force son ennemy à luy estre propice.

SCENE TROISIESME. §

LUCIANE, PANCRACE.

LUCIANE.

QUe l’indiscretion fait naistre de tourment,
A ceux dont les enfans vivent trop librement :
J’approuvois fort les loix des antiques familles
Dont l’extreme rigueur ne permettoit aux filles
925 De veoir, ny d’escouter, mesme de s’enquerir,
Des points de quoy l’honneur peut du blasme encourir :
A l’aage de vingt ans nulle, d’esprit parfaitte,
N’eust sceut dire comment elle avoit esté faitte.
L’amour ne les troubloit en leur contentement
930 Ne sachant que193 c’estoit d’amante ny d’amant, [p. 68]
Mais helas maintenant on fait gloire du vice,
Une fille à douze ans sçait autant de malice
Que celle qui jamais n’a fait d’autre mestier,
Que de suivre d’amour le penible sentier :
935 Le plus ardent desir qui possede leur ame,
Est de leur veoir changer le nom de fille, en femme :
Il n’y a plus d’enfance à ce que je puis veoir,
O que ma Lidiane a trompé mon espoir.
Pancrace mon amy il faut que je vous die,
940 Que si autre194 eust veu cette action hardie :
Me le venant conter je ne l’eusse pas creu,
Mais c’est un fait certain que mes deux yeux ont veu.
Un berger la baisa aupres de nostre porte,
Dont195 alors de regret j’estois à demy morte

PANCRACE.

945 Je ne trouve point là dequoy vous tourmenter,
C’est un jeune appetit qui se veut contenter :
On est impatient d’avoir ce qu’on desire,

LUCIANE.

Vous estes un railleur, vraiment vous voulez rire,
C’est bien me consoler sur ce fait important, [p. 69 Iiij]

PANCRACE.

950 Vous en avez bien fait autrefois tout autant.
Quand j’estois en l’ardeur de ma verte jeunesse
Je fusse mort cent fois pour baiser ma maistresse.

LUCIANE.

Ne dittes pas cela, car ma mere en tous lieux,
Conduisant mon troupeau ne me perdoit des yeux,
955 Et jamais un berger si ce n’est par surprise,
N’emportast de ma bouche un baiser de franchise196.

PANCRACE.

Si sçay-je bien pourtant que Philin bon garçon,
Vous baisa quatre fois à l’ombre d’un buisson.

LUCIANE.

Ha ha malicieux, vous sçavez des nouvelles
960 Autant que la Gazette197 :

PANCRACE.

            O la Royne des belles,
Quand je vois de vos yeux les ravissans attraits
Je vois de ma moitié vivre en vous les portraits

LUCIANE.

A d’autre à d’autre, amy,

PANCRACE.

            Faschez vous, soyez aise, [p. 70]
Si faut-il toutesfois que ma bouche vous baise.

LUCIANE.

965 Mais voyez un petit198 vrayment vous estes fous

PANCRACE.

Du moins vostre mary n’en sera point jaloux.

LUCIANE.

Ha ne me faittes point revivre sa memoire
Vous me ferez pleurer.

PANCRACE.

            Si vous me voulez croire,
Pour achever contans le reste de nos jours,
970 Nous ferons un Hymen de nos vieilles amours

LUCIANE.

Dieux de quoy parlez vous.

PANCRACE.

            Que j’ay beaucoup de force,
Et qu’encore au fusil se trouve de l’amorce.

LUCIANE.

Quand le pot est couvert c’est signe, ce dit-on,
Que le feu en est loing & la chair se morfond.

PANCRACE.

975 Ma callote* vous fait parler de telle sorte199, [p. 71]
Mais chacun200 jeune foux par bienseance en porte :

LUCIANE.

Vous vous riez tousjours,

PANCRACE.

            Mignonne croyez moy,
Sur toutes les beautez je vous ayme, ma foy :

LUCIANE.

Ne vous pensez mocquer, autrefois j’estois belle

PANCRACE.

980 A qui le dittes vous j’estois vostre fidelle :
Si nos proches parens eussent esté amis
Ne nous estions nous pas mariage promis ?

LUCIANE.

Helas je m’en souviens, une telle hardiesse
M’a bien depuis ce temps causé de la tristesse,
985 Encore que l’action ne touchast à l’honneur,
Mais celle de ma fille est à son deshonneur,
Se laissant suborner* d’une jeune cervelle,
De lignage incogneu.

PANCRACE.

            Dittes comme il s’appelle :
J’ay un ardent desir de courir de ce pas [p. 72]
990 L’assommer tout d’un coup,

LUCIANE.

                Le voicy

PANCRACE.

                    Parlons bas.

LUCIANE.

Vous estes trop hardy,

PANCRACE.

            Quoy ? c’est ce jeune drolle,
Qui nos filles cajolle & tout chacun controlle :
Je le veux envoyer là bas faire l’amour.

LUCIANE.

Tout beau201 ce n’est pas luy,

PANCRACE.

                C’est Pysandre, m'amour*,
995 Avant qu’il soit icy regaignons le village
Une collation de fruicts & de laitage* :
Nous attend au logis, hastons nous d’y aller.

LUCIANE.

Je reçois trop d’honneur,

PANCRACE.

            Il n’en faut point parler

SCENE QUATRIESME. §

[p. 73 K]
PYSANDRE, LIDIANE.

PYSANDRE.

L’Amitié d’un amy oblige à l’impossible,
1000 Il faudroit estre ingrat, mais* plutost insensible,
Pour ne le pas servir apres que par effet,
Il vous a tesmoingné son courage* parfaict.
Pour servir Polydas mon amy plus inthime,
J’offrirois à la mort mon ame pour victime,
1005 Je n’ay rien de plus cher que sa felicité,
Aussi de ses amours fidelle deputé,
Je vais faire tomber ce mot à Lidiane,
J’ay crainte de trouver au logis Luciane :
Hazard*, j’ay prou* d’esprit pour sçavoir deguiser,
1010 Et discourant de loin sa prunelle abuser :
Je veux tout doucement du pied frapper la porte
Je n’oserois quasi, toutefois, il n’importe :
Puisque de ce dessein nul ne se doute pas, [p. 74]
Holla ho.

LIDIANE à la fenestre.

On y va, parlez qui est là bas ?

PYSANDRE.

1015 Pysandre,

LIDIANE.

Excusez-moy, car de peur que je sorte
Ma mere a emporté la clef de nostre porte.

PYSANDRE.

Bons Dieux qui l’a contrainte à si grande rigueur

LIDIANE.

Le fantastique apas d’un mensonge trompeur :
Elle dit avoir veu au travers la fenestre,
1020 Un berger me baiser, jugez s’il ce peut estre :

PYSANDRE.

Ha c’est pour ce subject trop de severité,

LIDIANE.

Le ciel puisse punir telle inhumanité :
Cousin le cœur me fend,

PYSANDRE.

            N’y pense plus cousine,
Le berger Polydas : [p. 75 Kij]

LIDIANE.

        Gardez que la voisine :
1025 N’entende vos discours,

PYSANDRE.

            Réçois donc cet escript,
Il luy202 jette.
Pour veoir en quel estat j’ay laissé son esprit :
Ne t’aflige point tant de semblables choleres,
A bien conjecturer ne peuvent durer guieres203.
He bien a-t-il204 raison ? a-t-il le cœur Loyal ?

LIDIANE lit la lettre tout bas puis dit,

1030 Je ne merite pas qu’il souffre tant de mal,
Cher cousin dites luy que ce qui plus m’afflige
C’est qu’avec trop d’ardeur son honneur il oblige
Que d’un si grand dessein je crains l’evenement
Et qu’il ne reussisse à son contentement,
1035 Pourtant asseurez le sans craindre la tempeste
Que pour luy obeyr je seray tousjours preste.

PYSANDRE.

Adieu je me retire afin qu’en devisans
Nous ne soyons ouis de quelques medisans :
Jugez si je vous puis servir en quelque chose,

LIDIANE

1040 Pysandre entre vos mains mon honneur je depose : [p. 76]
Que le Ciel puisse un jour faire naistre un subjet,
De vous pouvoir servir en quelque bon projet :
Pysandre sort.
Dieux qu’il me tardera que la nuict soit venuë
Il me semble desja que mon mal diminuë :
1045 Puisque mon cher amant me doit tirer d’icy,
Je m’en vais m’aprester, & mon bagage aussy.

SCENE CINQUIESME. §

LUCIANE, PANCRACE. POLYDAS, PYSANDRE

LUCIANE.

PAncrace en verité vous estes un prodigue
Le subject ne vaut pas la peine & la fatigue :
Que vous prenez pour luy, car je jure ma foy205 :
1050 Qu’un si riche festin meritoit mieux que moy.

PANCRACE.

Ha ne vous mocquez point j’ay assez de courage, [p. 77 Kiij]
Pour à vostre subject faire encor d’avantage.

LUCIANE.

Vrayment vous ne sçauriez,

PANCRACE.

                Excusez seulement,
Si je ne vous ay faict un meilleur traittement.
1055 Mais quoy le bon accueil passe la bonne chere,
Cette collation estoit un peu legere :
Mamie* priez Dieu donc, pour les mal traitez
Car vous ne l’estes pas comme vous meritez.

LUCIANE.

Mon-dieu pardonnez moy, c’est trop d’honneur Pancrace,
1060 Tenez moy, s’il vous plaist en vostre bonne grace.
Adieu jusqu’au revoir,

PANCRACE.

            Je vous veux remener
Polydas & Pysandre paressent à un bout du théâtre sans veoir Pancrace & Luciane.
Mais qui sont ces bergers que je vois cheminer
Là bas dedans ce pré proche de ces logettes*.

LUCIANE.

Attendez, s’il vous plaist que j’aye mes lunettes [p. 78]
1065 C’est ce jeune galland qui sçait si bien baiser.

PANCRACE.

Pysandre est avec luy, escoutons les causer,
Je veux tout devant vous faire une reprimande
A ce jeune incensé, que tout le monde entende.

POLYDAS.

En fin mon cher amy ma Nimphe t’a promis
1070 O dieux que j’ay bien faict quand je me suis remis,
Dessus ta vigillance à nulle autre commune,
Je tiendray desormais de toy seul ma fortune :
Et si en recompence il faut pour ton subjet,
Faire quelque dessein sur un divin object.
1075 Tien seur que Polydas vouë tout son service,
Pour te remercier par quelque bon office.

PYSANDRE.

Je n’ay pas merité une telle faveur
Joint que de vous servir c’est mon plus grand honneur.

POLYDAS.

Fidelle confident de mes amours secrettes,

PANCRACE.

1080 Venez-ça venez-ça beau baiseur de fillettes. [p. 79]

POLYDAS.

Est-ce à moy que l’on parle ?

LUCIANE.

                Ouy.

POLYDAS.

                    Vous vous méprenez,
Pancrace & Luciane à d’autres cheminez,

LUCIANE.

Je ne me trompe point j’ay encor bonne veuë,
Ce fut vous qui baisa ma fille dans la ruë.

PANCRACE.

1085 Il est vray sur ma foy,

POLYDAS.

            Ha vous m’importunez,
Passez vostre chemin,

PANCRACE.

            Vous m’avez sur le nez206,
S’il vous arrive plus de baiser Lidiane.

POLYDAS.

Je ne vous crains non plus que je faits Luciane.
Vous estes un bel homme.

PANCRACE.

                Ha, ne m’offences pas, [p. 80]
1090 Que tout presentement tu n’ayes le trépas.

POLYDAS.

Trente pareils à vous ne me feroient de crainte,

PANCRACE.

Ho le hardy soldat pour combatre une pinte*.
Je te voudrois bien veoir une espee à la main,
Sans doute on te prendroit pour guesteur* de chemin.

POLYDAS.

1095 Telle comparaison à vous seul se refere.

PANCRACE.

Incongneu de maison, de nom, de pere, & mere,
Pour qui te peut-on prendre avec tes beaux habits,
Car tu n’as pas vaillant seulement deux brebis.

POLYDAS.

Pour tel que je puis estre,

PANCRACE.

            Il a raison je jure,
1100 Champignon d’une nuict il vint à l’advanture :

POLYDAS.

J’ay plus dans ce pais que vous n’aurez jamais, [p. 81 L]

PANCRACE.

Telle rodomontade207 est l’espoir d’un niais :
O le grand amballeur* !

LUCIANE.

            Dieu n’y prenez pas garde,
C’est un jeune éventé,

PANCRACE.

             Où est ma hallebarde* ?
1105 Je mettrois tout d’un coup sa teste par morceaux.

POLYDAS.

Ce seroit un beau coup pour assommer des veaux,

PANCRACE.

Qui te ressembleroient,

POLYDAS.

            Regardez ce vieil singe,
Il fait tant le vaillant & plus foible qu’un linge
Ne se peut soustenir,

PANCRACE.

            Tu te trompe bien fort,
1110 J’ay assez de vigueur pour te donner la mort.

POLYDAS.

O le grand champion, dieux comme il s’esvertuë [p. 82]

PANCRACE.

Mon amour tenez moy de peur que je le tuë :
Je suis trop en cholere, il y aura malheur.

LUCIANE.

Hé dieux n’en faites rien gardez vostre valeur,
1115 Pour quelque occasion qui soit un peu meilleure,

POLYDAS.

Le bon homme mourroit avant demy quart d’heure.

PANCRACE.

Nargue*, j’en ay bien veu deux mille comme toy,
Qui n’ont jamais fait peur à six pareils à moy.

POLYDAS.

Vous n’aviez pas peut estre ensemble de querelle

PANCRACE.

1120 O Dieux où est le temps que j’estois sentinelle
Dedans nostre clocher pour descouvrir de loing ?

POLYDAS.

Pour prouver sa valeur voila un bon tesmoing.
Pysandre qu’en dis-tu,

PYSANDRE.

            Certes je meurs de rire,

LUCIANE.

Pancrace allons nous-en, à quoy sert de tant dire ? [p. 83 L ij]

POLYDAS.

1125 Cela fait voirement208 eschauffer le cerveau.

PANCRACE.

A Dieu jeune badin, adieu goguelureau*,
Crois que tu dois la vie aux yeux de Luciane,

LUCIANE.

Je vous prie marchons, j’ay laissé Lidiane
Toute seule au logis,

POLYDAS.

            Adieu vieil escargot,
1130 Compagnon de Silene209, engence* de Magot.

PANCRACE.

Apprends à devenir une autrefois plus sage.

POLYDAS.

Pysandre il s’en va tard*, retournons au village.
Nous nous verrons demain dedans ce mesme lieu

PYSANDRE.

Je n’y failliray pas, & cependant adieu,

SCENE SIXIESME. §

PANCRACE seul une halebarde à la main.

Il revient
1135 QUe sont-ils devenus ? certes ils n’avoient garde, [p. 84]
De m’attendre au retour, j’eusse donné nazarde*,
A ce fol indiscret, qui presume estre tel
Que pour le pouvoir vaincre il faut un immortel,
Luy faisant veoir à l’œil qu’il n’est que la vieillesse,
1140 Pour dans l’occasion monstrer de la proüesse.
O qu’il eust esté mis viste sur le carreau,
Il n’eut non plus duré qu’un petit lapreau* :
Devant le fin renard, j’en avois bonne envie,
Luciane en effet luy a sauvé la vie.
1145 Car pour luy obeyr je n’ay voulu tuër,
Si j’eusse en verité voulu m’esvertuer :
D’un seul coup de baston, j’eusse envoyé son ame
Promener chez Pluton comme une race infame.
Or sus* le jour s’en va, moy je m’en vais aussi,
1150 Jupin*, l’Amour, & Pan, prennent de moy soucy.

ACTE IV. §

[p. 85 Liij]
POLYDAS, LUCIANE, PANCRACE, PYSANDRE, LIDIANE, AMARILLE, CLEANIDE, FLORIDON.

SCENE PREMIERE. §

POLYDAS tenant un flambeau allumé.

DEesse de la nuict aux amans favorable
Qui bornez leurs desirs d’une gloire durable :
Et pour les asseurer dans leur contentement,
Faittes cacher du ciel le plus bel ornement.
1155 Si jamais amoureux eust besoin de vostre ayde [p. 86]
C’est moy qui dans vos bras va chercher son remede :
C’est moy dont le dessein ne peut estre caché,
Si du sommeil glissant chacun n’est attaché :
Morphee210, c’est à toy que je fais ma priere,
1160 Puis que tu as pouvoir de clore la paupiere :
Des humains d’icy bas, faicts, morne deité,
Que mon desir parfaict se trouve executé :
Sans estre descouvert d’aucune creature,
Favorise l’amour & la mere nature :
1165 En me faisant plaisir tu les obligeras*,
C’est un de leurs subjets qui te tend les deux bras.
Un Prince cognoissant son serviteur fidelle,
Menacé d’un malheur, espouse sa querelle :
Pour rompre s’il se peut le piege à luy tendu.
1170 Moy qui du Dieu d’amour suis esclave rendu,
Si je reçois faveur de ta bonne assistance,
Ce Dieu t’en donnera la juste recompence :
Puisque de ses subjets portant tiltre d’amant,
Jamais nul comme moy n’aymast si constamment.
1175 Puissantes deitez qui sçavez ma detresse, [p. 87]
Courtois permettez moy d’enlever ma maistresse,
Vous sçavez le dessein que j’ay fait depuis peu
De mettre cette nuict dans son logis le feu :
Afin que cependant qu’on le voudra esteindre,
1180 Je la puisse enlever sans la poursuite craindre :
Me voicy prest, bons Dieux de le mettre en effect*,
Ce flambeau que je tiens le va rendre parfaict211 :
Sus voila le logis puissances tutelaires,
Embrassez s’il vous plaist l’estat de mes affaires
Il met le feu.
1185 Or sus* le feu s’allume & peut long-temps durer,
Je me veux un petit à l’escart retirer :
Et lors que je verray au plus fort de l’orage
Chacun courir à l’eau pour sauver le village,
Prenant l’occasion ferme212 au poil inconstant,
1190 J’iray ma Lidiane enlever à l’instant.

SCENE DEUXSIEME. §

[p. 88]
LUCIANE. PANCRACE. PYSANDRE Trouppe de Pafteurs.

LUCIANE à la fenestre.

VIste viste debout, une espaisse fumee
Me dit qu’une maison icy proche allumee :
Pourroit mettre le feu dedans nostre logis,
O bons Dieux ! c’est ceans*, à l’aide mes amis.
1195 O feu, ô feu,213

PANCRACE nud en chemife avec une lanterne.

        Où est-ce ?

PYSANDRE.

             Où est-ce ?

PANCRACE.

                    Patience,
Ils viennent en chemise avec des lanternes & des sceaux.
Que d’aporter de l’eau l’on face diligence* :
La grange & le fourny* de Luciane en feu
Veut que par charité vous l’assistiez un peu.

PYSANDRE.

Ouy da*, tres-volontiers sus Passeurs sans rien craindre, [p. 89 M]
1200 Courrons querir de l’eau pour promptement l’esteindre.

LUCIANE.

Helas ! que ferons nous, amy, tout est perdu,

PANCRACE.

Ne vous tourmentez point le feu n’est respandu
Ils rentrent.
Encore tout par-tout214, bon voicy l’eau venuë,
Sus enfans suivez moy, que chacun s’esvertue.

SCENE TROISIESME. §

POLYDAS, LIDIANE,

POLYDAS.

1205 EN fin graces aux Dieux ma juste intention,
Va je croy reussir à sa perfection :
Une crainte pourtant talonne ma conqueste,
Non non il faut entrer, car Lidiane est preste :
Ils entre & l’emmeine.
Allons chaste Cipris215 mon soulas* mon soucy,
1210 Un basteau nous attend à quatre pas d’icy. [p. 90]

LIDIANE.

Las* fidelle pasteur hastons nostre voyage,

POLYDAS.

Mon ange, ne crains point j’apperçois le rivage :
Regarde devant toy tu verras le basteau,
Ma Royne entre dedans & tiens bien ce flambeau,
1215 Je m’en vais le lascher, & l’aurore venue,
Nous serons esloignez,

LIDIANE.

            Dieux ! la corde est rompue :
La corde rompt & le basteau emmeine Lidiane & laisse Polydas seul.
Polydas au secours, viste prestez la main
L’eau rapide à son fil adresse mon chemin :
Hastez vous, ô grands Dieux Jupiter & Neptune216,
1220 Conduisez à bon port l’estat de ma fortune :
Adieu cher Polydas si l’eau me fait perir,
Sachez que vostre amour seule me fait mourir
Souvenez vous tousjours de nostre unique flame*,
Et que mon souvenir touche souvent vostre ame.

POLYDAS.

1225 Attend chere moitié je vais courir apres, [p. 91 Mij]
Ha ciel pas un basteau ne se monstre icy pres,
Cette rive parest en estre despourvue,
Ou bien l’obscurité les cachent217 à ma veue :
Non je n’en trouve point, encore par malheur,
1230 Diane peint le ciel d’une noire couleur,
Des nuages espais eclypsent ses lumieres,
Les yeux du firmament ont fermé leurs paupieres :
Mon flambeau jusqu’icy ne peut plus esclairer
Bref tout semble en effet contre moy conspirer :
1235 Justes Dieux que feray je à ce coup d’infortune
Ces astres inhumains, ceste inconstante lune :
Pour ne veoir ma douleur ont voilé leurs clartez,
O cieux que puis-je faire en ces extremitez :
Sinon suivre de l’œil ma colombelle aymable,
1240 Et veoir si quelque Dieu luy sera favorable :
Non, sourds vous avez tous sur la face un bandeau,
Ha destins qu’ay-je veu elle est cheute dans l’eau
Son flambeau s’est esteint aussi tost que sa vie,
Venez rages des eaux qui me l’avez ravie, [p. 92]
1245 M’engloutir avecq elle ô Dieux ! ô Dieux ! cruels,
Rendrez vous mes ennuis* & mes maux eternels :
Ouy puisque l’inclemance accompagne vos ames
Et qu’un jaloux amour vous brusle de ses flames* :
Neptune, est-ce point toy qui m’a joué ce tour,
1250 Voyant ce cher objet plus beau que n’est le jour.
Se mirer dans tes eaux sans doute son merite,
T’a fait mettre en oubly Thesis218 & Emphitrite219 :
Indubitablement ses attraits ravissans,
Ont surpris tes esprits & charmé* tous tes sens :
1255 Mais quoy ? puis-je endurer un affront si sensible,
Il le faut malgré moy puis qu’il est impossible
De se pouvoir venger d’un Dieu ny d’un demon :
Peut estre n’est-ce toy, mais quelque pallemon220
Ou autre deité surprise de ses charmes*,
1260 Jupin* assistez moy de vos divines armes :
Autrement je diray ce qui semble en effet,
Que vous participez au tort que l’on m’a fait :
Helas où sont des Dieux la clemence & l’estime [p. 93 Miij]
On les void aujourd’hui favoriser un crime,
1265 Commis en mon éndroit, ô ciel quel creve cœur*
O rage, ô desespoir, ô malheur, ô fureur,
Demons larves horreurs, Errines, Eumenides,
Gorgonne, Atropos, monstres Acherontides221,
Venez mettre mon corps en cent mille morceaux
1270 Les dieux qui souffrent* tout autheurs de mes travaux*,
Vous en donnent pouvoir, leur cœur inexorable
Refuse son secours au pauvre miserable :
O iniques destins, ô sort malencontreux,
Infortuné berger, deplorable amoureux :
1275 Polydas Polydas sus il faut que la Parque
Te face maintenant passer la triste barque :
Choisis de quelle mort tu veux donques mourir
L’eau, le fer, ou le feu, peuvent tes maux guerir :
L’eau, si je m’y jettois Neptune auroit la gloire,
1280 D’avoir par dessus moy emporté la victoire :
Le fer est trop sanglant, mon homicide main
Me feroit à jamais estimer inhumain.
De mourir par le feu je ne m’y puis resoudre,
Jupin* se venteroit que ce seroit son foudre : [p. 94]
1285 Qui auroit consommé mon cœur & mes poulmons,
Choisissons donc plustost la grotte des Démons :
Le jour qui peu à peu recommence à parestre,
L’a faict proche de moy à mes yeux recognaistre222.
Je veux sans differer me jetter au milieu,    
1290 Adieu pauvre pays, Adieu malheureux lieu :
Souviens toy quelque fois de l’amour mutuelle
De ma Nimphe & de moy, ha mon mal renouvelle,
Je veux avant mourir223 graver sur mon tombeau,
Quelques funebres vers avecque ce cousteau :
Il grave quatre vers sur son tombeau qui seront leuz224 par Amarille.
1295 C’est assez, sus Demons de cette grotte sombre
Recevez moy là bas & faitte que mon ombre
Ne reçoive aucun mal sans l’avoir merité,
Pesez mon innocence & ma fidelité.
Sur tout permettez moy qu’en la plaine Elizee225    
1300 Je voye la beauté qui m’a la mort causee.
Il se precipite.

SCENE QUATRIESME. §

[p. 95]

LUCIANE.

ACcablee d’ennuys*, de maux, d’afflictions,
De douleurs, de malheurs, le but de passions,
A qui me dois-je plaindre en ces peines extremes,
M’adresseray-je à vous divinitez supremes ?
1305 Ou aux hommes mortels l’ouvrage de vos mains
Non car vostre pouvoir s’estend sur les humains :
Ils ne peuvent sans vous agir en nulle sorte,
C’est, c’est donc contre vous que ma plainte se porte,
Puisque vous permettez qu’on violle les loix,
1310 De douceur & d’amour envers moy cette fois
J’avois tousjours vescu d’une telle maniere,
Que je n’esperois pas sentir vostre cholere :
Las* qu’ay-je faict (bon dieux) pour veoir contre raison,
Enlever mon enfant & brusler ma maison : [p. 96]
1315 Par un traistre pasteur un mechant, un perfide,
Un brusleur de maisons un volleur homicide
Que ne le tiens-icy ha je jure ma foy,
Qu’il trouveroit sa mort quoy qu’il n’y eust que moy.
Mes ongles & mes dent quoy qu’attains de vieillesse,
1320 Sont encor assez forts pour punir sa jeunesse :
O malheureux enfans, ô indiscretion,
Que tu nous faits souvent souffrir d’affliction,
O ma fille faut-il qu’une amour effrenee,
Face qu’à ce berger tu sois abandonnee,
1325 O folle, ô indiscrette*, helas tu ne sçais pas
La ruse, la finesse, & les pipeurs* appas,
Des hommes inconstans qui vivent sur la terre
Ta lettre226 que tantost j’ay trouvé sur ma chaire227,
Me transporte* les sens quand tu me dits qu’un jour,
1330 Je te verray au rang des Dames de la cour :
O que ton sot espoir te causera de peine,
Simple, crois-tu cela ? une chimere vaine,
Avecque les sermens d’un jeune courtisant,
Pour une mesme chose on les tient à present, [N 97]
1335 Sans mentir j’ay regret que ton jugement louche,
N’ayt peu veoir les abbus de sa trompeuse bouche
Va va meschante fille où te conduit le sort,
Le ciel puisse bien tost me livrer à la mort :
De peur qu’un mauvais bruit blessant ta renommee,
1340 Ne rende à tout jamais ma race diffamee,
O Dieux je n’en puis plus mes larmes & souspirs,
Estouffent mes propos dedans mes desplaisirs.
Retournons au hameau reste de l’incendie,
Pour veoir si à sauver le reste on remedie,
1345 O qu’une fille sotte est un fascheux fardeau,
Plustot qu’en souhaiter j’eslirois le tombeau
Je m’en vais envoyer ma servante Pernelle228,
Pour veoir si quelque part elle en aura novelle.

SCENE CINQVIESME. §

AMARILLE.

PLeure Amarille helas ton malheur sans pareil, [p. 98]
1350 Que les larmes jamais ne seichent dans ton œil,
Souspire incessamment ton douloureux desastre
L’amante, sans repos l’injure de ton astre :
Crie, gemis, plains toy, remplis l’air tout de pleurs,
Pour esmouvoir le ciel à plaindre tes douleurs
1355 Et faire que ton mal le rende favorable,
Pour en punir l’autheur d’un foudre inevitable :
Bon Dieux cela est juste & selon l’equité,
Vous sçavez ma constance & l’infidelité :
Du Berger Polydas & de sa Lidiane,
1360 Où estes vous Didon, vous crétoise Arianne229 ?
Venez veoir le Pasteur qui cause mon ennuy*
Comme le plus méschant qui respire aujourd’huy :
Ce n’est point un Aenee encor moins un Thesee,
Il est pire cent fois & d’humeur moins posee : [p. 99 Nij]
1365 C’est un traistre parjure, un lasche, un imposteur,
Un Amant infidelle un signalè trompeur.
Bref je puis dire icy comme je conjecture,
Que c’est le plus meschant qu’ayt formé la nature :
Nature je me trompe, ha il ne se peut pas,
1370 Tesiphonne230 plustot l’a enfanté là bas :
Nul mortel n’eust jamais une si mauvaise ame,
O Dieux, ô Dieux, faut-il qu’en vain je vous reclame :
Ne verray-je point l’air se troubler de vos feux
Pour consommer les os de ces deux amoureux :
1375 Non vous ne voulez pas, non vous avez envie
De veoir le desespoir triompher de ma vie :
Je n’auray pas ce bien que de les veoir punir,
Je serois trop contente à ce doux souvenir :
Il faut auparavant que l’inhumaine Parque,
1380 Me face devaller* dans l’infernalle barque
Je le veux, je le veux, aussi bien desormais,
Tout mon contentement seroit mort à jamais :
Je ne refuse pas de franchir la carriere*,
Immortels prononcez ma sentence derniere : [p. 100]
1385 Que sert de retarder le decret de ma mort,
Est-ce pour m’afliger de plus fort en plus fort ?
Ou pour vous accuser d’inclemence & de haine,
Meritai-je le mal d’une si longue peine :
Non, je ne le croy pas, vous estes des cruels
1390 Vous ne meritez pas l’amitié des mortels.
Je veux presentement malgré vostre puissance,
En me donnant la mort apaiser ma souffrance :
La grotte des Démons que je vois devant moy
Va servir maintenant à guerir mon esmoy* :
1395 Mais quels vers sont gravez sur cette pierre dure,
Aprochez vous mes yeux, voyons quelle advanture
Se pourroit estre icy : car jamais on n’aprit
Qu’il y eust en ce lieu quelque chose d’escrit.

AMARILLE lit le tombeau de Polydas.

Passant sache que mon flambeau,
1400 A dans les eaux esteint sa vie,
Et Polydas malgré l’envie,                             [p. 101 Niij]
A icy choisi son tombeau.
O bons Dieux est-il vray ce que je viens de lire ?
Polydas est-il mort d’un si cruel martyre ?
1405 Helas ! pauvre Berger je regrette ton mal,
O Dieux ! qui t’a causé cét accident fatal ?
Je n’en puis que juger, sinon que ta maistresse
Est morte dans les eaux, & que toy de detresse
Tu t’es venu jetter dans ce goulfre fumant,
1410 Du moins ces vers icy le disent clairement :
Mais n’est-ce point aussi qu’il a fait ceste ruse,
De peur d’estre suivy, ou bien que je m’abuse :
Non, sans doute il est mort dans ce lieu malheureux,
Allons donc le trouver pour vivre plus heureux !
1415 Dieux, esprits, ou demons, qui habitez ce sicle231,
Prenez l’ame & le corps de la pauvre Amarille :
Et si vous la voulez doublement obliger*,
Faites tant qu’elle soit aupres de son Berger.
Elle se precipite.

SCENE SIXIESME. §

[p. 102]
PYSANDRE, CLEANIDE,

PYSANDRE.

EN verité mon cœur il faut que je confesse
1420 Qu’un extreme regret fort vivement me presse :
Je ne puis concevoir aucun contentement,
Quand de nos deux amis je vois l’esloignement
O certes Polydas nostre amitié juree,
A de vostre costé eu trop peu de duree :
1425 Il falloit m’advertir de ce mauvais dessein,
Ainsi qu’en pareil cas je t’eusse ouvert mon sein :
Mais ma Nymphe dys moy si jamais Lidiane
Ne te l’a descouvert,

CLEANIDE.

            Non, je jure Diane :
Elle estoit trop finette*, & dans sa passion
1430 Elle a tousjours monstré telle discretion :
Qu’on ne se fut douté de leur amour secrette :
Mais sans mentir Pasteur, sa perte je regrette [p. 103]
Car c’estoit ma compagne, & je croy qu’en ces lieux,
Tous objets desormais me seront ennuyeux*.

PYSANDRE.

1435 Il est vray que leur fuite aporte un grand dommage,
Nous perdons nos hameaux & tout nostre village :
Outre leur entretien que je prisois beaucoup.

CLEANIDE.

O cieux que de frayeur m’a surprise d’un coup
Quand pensant sommeiller j’ay ouy dedans la rue
1440 Quelqu’un crier au feu d’une voix esperdue :
Nous n’avons je vous jure eu rien plus que le temps,
De pouvoir transporter nos meubles dans les champs

PYSANDRE.

Et moy de mesme aussi mais desja l’on s’apreste
Pour faire reparer ce grand coup de tempeste,
1445 Au plustart dans huit jours sera fait bastiment,
Capable de servir à nostre logement.

CLEANIDE.

Il ne nous est resté qu’un petit toit à bestes,
Ou nous ne pouvons pas tenir droites, nos testes [p. 104]

PYSANDRE.

Venez vous-en chez moy vous n’aurez pis ny mieux,
1450 Dedans un mesme lict nous coucherons tous deux
Et si vous me ferez un honneur incroyable

CLEANIDE.

Vous estes sans mentir pasteur trop charitable.
Je vous en remercie,

PYSANDRE.

            Advisez* seulement,
Car je vous traitteray assez modestement :
1455 Vous aurez chaque jour un petit ordinaire,
Que vostre cœur demande & que le mien espere.

CLEANIDE.

Rien moins, sçachez berger que le fruit & le laict
Sur tous les autres mets contentent mon souhait.

PYSANDRE.

Bien je vous donneray du fruict de mon service
1460 Qui vous donnant du laict vous peut rendre nourrice.

CLEANIDE.

Ha c’est estre indiscret jusques au dernier point,

PYSANDRE

Ma belle pour cela ne te courrouces point. [p. 105 O]

CLEANIDE.

Berger devenez sage & sans ceremonie,
Ou je me banniray de vostre compagnie.

PYSANDRE.

1465 Je l’ay tousjours esté, en doubtes-tu mon cœur ?

CLEANIDE.

Vous estes insolent aussi bien que mocqueur :
Flattez moy maintenant.

PYSANDRE.

            Cela c’est infaillible*.
Beauté qui peut charmer* une chose insensible :
Et la faire mouvoir de mesme que le vent,
1470 Pardonne moy ce crime où je tombe souvent.

CLEANIDE.

Il vous est pardonné adieu,

PYSANDRE.

                Adieu mauvaise,
Avant que de partir il faut que tu me baises.

CLEANIDE.

Non, non vous avez tort, pasteur laissez cela.

PYSANDRE.

O ciel je suis ravy, quel bon morceau voila. [p. 106]

CLEANIDE.

1475 S’il vous arrive plus de me mettre en cholere,
Berger je le diray sans mentir à ma mere.

PYSANDRE.

Tu n’as garde à ce coup, adieu mon beau soleil,
Unique parmy nous comme au Ciel sans pareil.

SCENE SEPTIESME. §

FLORIDON, PANCRACE.

FLORIDON.

MIserable berger qui vois ton esperance    
1480 Mourir avec le fruict de ta perseverance :
Miserable berger qui vois l’inique sort,
Balancer ton destin dans les mains de la mort
Miserable berger mille fois miserable,
A qui le ciel refuse un effet secourable,
1485 Et qui n’a plus d’espoir que celuy du trespas,
Pipé dans le desir d’un amoureux appas, [p. 107 Oij]
Regarde de quel fil on devide ta trame,
Depossedé de biens, d’honneur, & de ta femme :
Où pourras tu trouver desormais du bonheur,
1490 Qui puisse dans la joye emporter ta douleur :
Le ciel n’en peut avoir, luy, la mer, & la terre,
Contre toy conjurez te declarent la guerre :
L’enfer n’a plus de rage à verser dessus moy,
De toutes ses horreurs je n’auray plus d’efroy :
1495 Qu’il tonne, qu’il éclaire, & qu’en deluge abonde,
Qu’il brusle l’univers, qu’il abisme le monde :
Bref qu’il reduise tout en son ancien Chaots,
Je supporteray tout & d’un ferme propos,
Puis qu’en effet chacun employant sa rancune,
1500 Ne me sçauroit punir que d’une mort commune.
Je ne m’estonneray de toutes ses fureurs,
O perfide Amarille ! ô credules Erreurs !
Vous m’avez fait penser que les yeux de ma face,
Pourroient aveq le temps faire fondre sa glace :
1505 Vrayment elle eut raison quand elle dit un jour.
Que la mort finiroit le cours de mon amour : [p. 108]
Je vois bien maintenant son dire veritable,
La mort qui suit mes pas d’un dart* inevitable,
Dispute avecq nature à qui triomphera
1510 Sur ma vie, & je croy que la mort gaignera :
J’y suis tout resolu, car aussi bien de vivre,
Et veoir tant de malheurs à tous momens me suivre,
Je souffrirois des maux pires que le trespas,
Adieu donc Amarille & ton cher Polydas,
1515 Instrumens malheureux des impudiques flames*,
Execrables amans, adulteres infames :
Vivez, vivez, contans à ma confusion*,
Pour mourir maintenant je prend l’occasion :
Je la prend, non feray232 cela m’est trop sensible,
1520 Il faut qu’às vous trouver je face mon possible :
Afin de me vanger comme vous meritez,
Dieux où est maintenant l’excez de vos bontez :
Où repose ce feu qui reduit tout en poudre,
Sera-ce l’innocent qu’on punira d’un foudre :
1525 Ha seroit tesmoigner trop de severité,
Astres, cieux, terre & mer, voyez l’extremité : [p. 109 Oiij]
O me reduit le sort des loix de mariage,
Vous en estes tesmoins bois, prez, roc, & boccage :
Admirez l’inclemence & le courroux des Dieux :    
1530 O inicques arrests o sort injurieux
Malheurs, tourmens, ennuis*, douleurs, soucis, rancunes,
N’abandonez jamais le cours de mes fortunes.
Le decret immortel l’a ainsi ordonné,
Je ne verray jamais mon tourment terminé :
1535 Et si faut desormais qu’encor moins je l’espere,
Helas ! où allez vous, pauvre infortuné pere.

PANCRACE.

Mon gendre si jamais homme fut affligé,
Des rigoureux ennuis* que l’enfer a forgé.
Je crois avoir souffert sans avoir fait offence,
1540 Tout ceux qu’onc233 inuentast cette noire puissance.
Depuis que l’on m’a dit ce qui t’est arrivé,
Que tu estois (helas !) de ta moitié privé,
O Dieux ! qu’un tel depart m’a ja cousté des larmes,
Qu’il m’a livré ce jour de cruelles alarmes : [p. 110]
1545 O ma fille où es-tu ! Las* faut-il que l’amour
T’ait fait donc esprouver un si funeste jour :
O traistre Polydas, ce malheureux profane
L’a sans doute emmenee avec sa Lidiane :
Dieux, que ne sçay-je où sont ces indiscrets Amans,
1550 Je ne craindrois la mort ny tous les elemens :
Pour les aller trouver & sçay que mon espee
Du sang de ce berger seroit bien tost trempee.

FLORIDON.

Vous n’estes pas tout seul qui pleurez ce malheur,
J’ay bien autant que vous pris part à la douleur.
1555 Il me touche de prés, car mon ame constante,
Eust gousté dans un mois le fruit de son attente.

PANCRACE.

Il est vray Floridon, helas c’est ce qui plus
Rend mon cœur atristé & mes sens tous confus :
Il n’y a nul mortel dedans nostre village,
1560 Qui ne pleure avec nous ce desastreux dommage
Le ciel mesme aujourd’huy en a jetté des pleurs,

FLORIDON.

Les fleurs en ont perdu leurs plus vives couleurs, [p. 111]

PANCRACE.

D’aujourd’huy les oyseaux n’ont chanté leurs ramages,

FLORIDON.

Pan, l’Amour, & Zephir ont quitté nos bocages.

PANCRACE.

1565 Les Echos amoureux en sont devenus sourds

FLORIDON.

Les eaux ont retenu dans la source leur cours.

PANCRACE.

Les arbres ont jetté leur plus belle verdure,

FLORIDON.

Les troupeaux ce jourd’huy n’ont voulu de pasture* :

PANCRACE.

La terre de douleur en a crevé son flanc,

FLORIDON.

1570 Les fontaines & puits n’ont produit que du sang.

PANCRACE.

Nos mastins n’ont mangé depuis l’heure je jure,

FLORIDON.

En fin tout participe au tourment que j’endure. [p. 112]

PANCRACE.

O cruel souvenir qui me donne la mort !

FLORIDON.

Helas meritons nous de ressentir ce tort ?
1575 Quel mal avons nous fait digne de penitence ?

PANCRACE.

Mon gendre il faut du ciel tout prendre en patience.
Les Dieux qui ont borné le destin des humains
Ont encore pour nous le bon-heur dans les mains.
S’il plaist à leurs bontez le verser sur nos testes,
1580 Nous viendrons à bon port malgré toutes tempestes.

FLORIDON.

Face le juste ciel & le grand Dieu d’Amour,
Que je voye bien-tost ma femme de retour :
Pleine d’amour pour moy avec ce chaste gage,
Qui depuis un long temps me retient en servage.

PANCRACE.

1585 Je les en prie aussi de pure affection,

FLORIDON

Dieux, mettez bien tost fin à nostre affliction. [p. 113 P]

PANCRACE.

Retournons au hameau & voyons l’assemblee,
Qui de tant de malheurs est grandement troublee :
Je croy qu’on est apres pour234 faire reparer
1590 Le mal que Polydas est venu preparer.
A tout le voisinage ! O bons dieux, que les filles
Sont cause de tourmens pour estre trop fragiles.
Que ne leur a-t-on fait un esprit moins malin,
Puisque c’est le secours du sexe masculin ?
[p. 114]

ACTE V §

LIDIANE, LES DEUX PESCHEURS, FLORIDON, TROUPPE DE PASTEURS, LE JUGE, LE PROCUREUR FISCAL, LE GREFFIER, PYSANDRE, CLEANIDE, LUCIANE, PANCRACE, L’OMBRE* DE CASTRAPE, POLYDAS, AMARILLE.

SCENE PREMIERE. §

LIDIANE, LES DEUX PESCHEURS, FLORIDON, trouppe de Bergers.

LIDIANE.

Les deux pescheurs rameinent Lidiane dans le basteau.
1595 AMis de qui je tiens le repos & la vie,
Que la fureur des eaux m’avoit presque ravie :
Que je suis obligee* à vostre bon secours, [p. 115 Pij]
Je m’en resouviendray le reste de mes jours :
Et si je ne fais pas d’esgalle recompense,
1600 Sachez mes bons amis que je ne m’en dispense,
Ce bien receu de vous ne s’oublira jamais,
J’espere avec le temps vous rendre satisfaits.
Non pas si justement que merite la chose
Mais selon la raison que mon esprit propose.
Elle leur donne une bague.

Premier pescheur.

1605 Bergere grand mercy je n’eusse pas pensé
Devoir estre de vous si bien recompensé.

Second pescheur.

Ma foy ny moy non-plus; car de toute l’annee
Nous n’avons tant gaigné comme cette journee.

Premier pescheur.

Nous voudrions tous les jours prendre de tels poissons,
1610 Et si ne nous faudroit lignes ny hameçon.

LIDIANE

Faites vostre proffit,

Second pescheur.

            Que tout vous soit prospere. [p. 116]

LIDIANE.

A dieu donc chers amis.

Second pescheur.

            Adieu.

Premier pescheur.

                Parle compere,
Allons vendre à Paris ce riche diamant,
Puis nous partagerons l’argent ensemblement :
1615 Afin d’en acquerir quelque bon heritage.

Second pescheur.

Nous boirons en passant dans ce petit village.

LIDIANE. seule.

Agreable sejour, arbres, cypres, jasmin,
Pour trouver Polydas monstrez moy le chemin :
Voicy le mesme lieu235 où l’ingratte fortune,
1620 Nous separa tous deux de façon non commune.
Helas où peut il estre, ô soleil radieux !
Pour le veoir maintenant preste moy tes beaux yeux :
Et toy puissant amour qui nous cognoist fidelles,
Pour l’atteindre bien tost preste moy tes deux aisles. [p. 117 Pij]
1625 Et pour ta recompense un autel je promets,
Où le musque & l’encens fumeront à jamais :
Je ne puis te promettre à present davantage,
Bons Dieux, que j’ay desir de revoir son visage :
Tant je crains qu’un malheur ne luy soit survenu,
1630 Par ce maudit chemin du bon-heur incognu :
Las* s’il n’a point trouvé de basteau pour me suivre,
Que quelqu’un ayt voulu nostre fuite poursuivre.
Et qu’on l’ait rencontré cheminant en ce lieu :
Si l’on doute qu’il soit la cause de ce feu,
1635 On l’emprisonnera, o soleil de Justice,
Destournez de son chef le mal qui suit son vice :
O dieux que l’imprudence aporte de malheur !
Que j’ay depuis ce jour supporté de douleur !
Il faut qu’incessamment je pleure & je souspire,
1640 Je ne verray jamais la fin de mon martyre :
Car mon destin le veut, & le ciel endurcy
Prend plaisir quand il void me tourmenter ainsi. [p. 118]
Elle s’assit236.

FLORIDON parlant à sa trouppe de deputez.

Fidelles deputez de tout le voisinage,
Pour rechercher celuy qui de nostre village
1645 A la perte causé par un embrasement,
Commis pour enlever ma femme nuictament :
Nous voicy delivrez tantost de nostre queste,
Sans que nostre labeur soit orné de conqueste :
Il ne nous reste plus qu’à veoir icy autour,
1650 Si ce traistre berger cependant qu’il fait jour :
Ne se retire point dedans quelque bocage,
A l’escart du chemin le long de ce rivage :
Voyons, voyons par tout, je pense voir là bas
Celle qu’a tant aymé le berger Polydas,
1655 Il n’est pas esloigné qu’on se saisisse d’elle,
Et qu’on la traitte icy comme une criminelle.

LIDIANE.

Quelle trouppe de gens se descouvre à mes yeux
Pour ne les rencontrer je fuiray devant eux.
Elle fuit.

FLORIDON.

Suivez suivez enfans cette Biche legere.

LIDIANE.

1660 Amis que voulez vous d’une pauvre bergere ? [p. 119]

FLORIDON.

Que tout presentement vous nous faciés sçavoir
Où est ce Polydas,

LIDIANE.

        Il n’est en mon pouvoir :
Car ne l’ayant pas veu depuis une journee,
Je ne vous puis respondre,

FLORIDON.

                Il vous a emmenee,
1665 Et Amarille aussi,

LIDIANE.

        Rien moins, croyez pasteur
Que jamais Polydas ne fut d’un crime autheur.

FLORIDON.

Vous estes trop rusee & pleine de malice,
Sus, allons la livrer és237 mains de la Justice.
[p. 120]

SCENE DEUXIESME. §

LE JUGE, LE PROCUREUR FISCAL, FLORIDON, ET SA TROUPPE, LIDIANE, LE GREFFIER.

LE JUGE.

NOus qui tenons des Dieux la balance à la main,
1670 Pour juger icy bas le differend humain :
Alors que l’equité plus forte que le vice,
Fait veoir devant nos yeux où reigne la Justice :
Adjugeant le bon droict à ceux qu’il appartient,
Cause qu’en l’univers tout chacun se maintient :    
1675 Mais encor qu’aygrement on punisse le crime,
Si est-ce toutesfois qu’on n’en fait pas d’estime
Le mortel ne craint point le tourment preparé
Quand à faire du mal il s’est deliberé :
Nous en voyons l’exemple arriver à toute heure,
1680 Et mesme en Polydas. [p. 121 Q]

LE PROCUREUR.

            Tout chacun veut qu’il meure
Si tost qu’il sera pris,

LE JUGE.

             J’en suis d’avis aussi :
Mais encore faut-il examiner cecy,
Vous sçavez que l’amour a de si puissans charmes*,
Que pour luy resister on ne trouve point d’armes :
1685 (Que tant de grands, heros de nostre antiquité,
Ont commis tels delits sous sa divinité :
Sans pouvoir de ses mains retirer leur franchise)
Qu’il semble que le ciel ayt ceste loy permise :
Puisque les Dieux autheurs de tels ravissemens
1690 Ont fait ce qu’aujourd’huy font ces jeunes Amans.
Or il semble en ce cas que l’amour est coulpable
Polydas innocent & l’action blasmable :
Mais digne de la mort je ne le juge point,

LE PROCUREUR.

Monsieur pardonnez moy, considerant un poinct238
1695 Grandement decisif, je veux vous faire dire [p. 122]
Qu’il merite la mort, que le peuple desire :
Premierement ce faict regarde tout chacun,
S’il n’estoit chastié, il se rendroit commun :
En second lieu le ciel nostre debvoir oblige,
1700 A retrancher le pied d’une mauvaise tige :
Outre que la raison veut que tout malfaicteur,
Reçoive le tourment dont son crime est autheur.
Or il n’a pas commis239 seulement pour un crime
Mais il en a fait trois, dont le moindre j’estime
1705 Estre assez suffisant pour le faire mourir :
Sans qu’il ose à nos loix sa grace requerir :
S’il avoit seulement enlevé sa maistresse,
On ne l’estimeroit qu’un tour de gentillesse :
Mais il est accusé de rapt violement,
1710 D’adultere impudique, & d’avoir nuictanment
Mis indiscretement le feu dans le village,
Dont s’en est ensuivy l’injurieux dommage :
Decquoy chacun se plaint : c’est pourquoy sans mentir,
Sa condamnation ne se peut divertir*.

LE JUGE.

1715 L’on doit punir celuy qui au mal persevere
Et non du premier coup quand la coulpe est legere. [p. 123 Qij]

LE PROCUREUR.

Celuy que l’on commet* pour punir le mesfait*,
S’il se laisse emporter, est complice du faict :
Il ne se peut commettre une faute plus grande,
1720 Et sa vie en effet n’en peut payer l’amande240.

LE JUGE.

Un juge trop severe a renom d’un tyran.

LE PROCUREUR.

Favoriser le mal est un crime appariant* :
Le Juge doit porter la moitié de la peine,

LE JUGE.

Il faut avoir pitié de la nature humaine.

LE PROCUREUR.

1725 Le ciel commande expres de punir les meschants,

LE JUGE.

Il nous commande aussi d’estre doux en tout temps.

LE PROCUREUR.

Celuy doit estre heureux qui rendra la justice,

LE JUGE.

Je croy qu’en pardonnant on fait un bon office.

LE PROCUREUR.

Ouy bien si vous estiez tout seul interessé, [p. 124]

LE JUGE.

1730 Le peuple ne peut rien où ma voix a passé.

LE PROCUREUR.

Il en peut appeller devant la juste essence,

LE JUGE.

Il ne faut point juger contre sa conscience.

LE PROCUREUR.

J’en demeure d’accord le droit le veut aussi,

LE JUGE.

Selon mon sentiment je jugerois ainsi.

LE PROCUREUR.

1735 Certes, seroit tres-mal balancer241 cette affaire,
Vous changerez d’advis la preuve estant plus claire :

LE JUGE.

Je chageray d’advis s’il aparoist un peu,
Que ce soit Polydas qui ayt mis le feu,

LE PROCUREUR.

Voicy nos deputez de retour de leur queste,

LE JUGE.

1740 Entendons les parler Floridon s’y apreste.

FLORIDON & les deputez amenant Lidiane.

Grands Juges deleguez par les dieux icy bas, [p. 125 Qiij]
Pour reprimer le vice & calmer les debats :
Sachez qu’apres avoir couru cette contree,
Sans avoir de nos pas la cause rencontree :
1745 Nous reprenions desja le chemin de ce lieu,
Lors que nos yeux guidez par quelque puissant Dieu,
Nous ont fait descouvrir au bord de la riviere
Assez proche de nous cette jeune bergere :
Fille de Luciane & la cause en effect,
1750 Du pernicieux tour que Polydas a faict :
Elle sçait où il est, mais elle est si rusee,
Qu’elle croit rendre encor la justice abusee.

LE JUGE.

Bergere aproche toy, parle icy librement,
Ne me recelle rien pour crainte du tourment* :
1755 Si tu es innocente autant que veritable :
Nostre ame à la pitié se rendra favorable :
Mon pouvoir maintenant tel que celuy des Dieux,
Te peut donner la vie ou te l’oster comme eux :
Advise donc icy que ton affetterie*, [p. 126]
1760 Ne dise devant nous aucune manterie* :
Dits nous presentement où est ce Polydas,
Qui nous a tant causé de plaintes & debas.

LIDIANE à genoux.

Arbitres souverains des affaires du monde,
Sur qui chacun mortel son esperance fonde :
1765 Pour tirer la raison de l’infidelité,
Je vous veux declarer toute la verité.
Ainsi que je ferois si le maistre au tonnerre,
Estoit au lieu de vous maintenant sur la terre.
Mais permettez aussi que la douce pitié,    
1770 Trouve chez vous pour moy quelque trait d’amitié.

LE JUGE.

Nous te l’avons promis parle avec hardiesse

LIDIANE.

Le berger Polydas de qui j’estois maistresse,
M’a long temps fait l’amour sans que comme j’ay sçeu,
Aucun de mes parens l’ayt oncques* aperceu.
1775 Mais un jour ramenant nostre trouppeau de paistre,
Arrive que ma mere estant à la fenestre, [p. 127]
Vid ce jeune pasteur qui feignant de causer,
Par surprise emporta de ma bouche un baiser,
Ce qui la contraignit à me tenir captive,
1780 Malheur, cause à present que tout ce mal arrive.
Car ce pauvre berger ayant sçeu ma prison,
L’amour qui dominoit ses sens & sa raison :
Luy ouvre le moyen propre à son entreprise,
Resolvant par le feu de mettre en franchise* :
1785 Et de fait par un mot il me le fit sçavoir,
Mais d’y remedier n’estoit en mon pouvoir :
Car ne pouvant sortir pour calmer cette242 orage,
Je dispose mes pas à suivre ce vollage :
Et l’heure estant venuë & le feu allumé,
1790 Pendant que tout chacun de la peur allarmé :
Pour l’esteindre couroit aux rives de la Seine,
Par un autre costé cét indiscret m’emmeine :
Nous cheminons tous deux jusques au bord de l’eau,
Ou s’estant rencontré un seul petit basteau :
1795 J’y saute habilement, luy demeure à la rive,
Afin de le lascher, mais un malheur arrive :
Le plus grand qu’un esprit se puisse imaginer, [p. 128]
La corde se rompit & l’eau vient entrainer :
Dans son fil le basteau où seule je demeure,
1800 Appellant du secours, je soupire, je pleure :
Mais en vain tout cela car nostre affection,
Trouva par ce moyen sa separation :
Je n’ay depuis ce jour veu le berger que j’ayme :
Apres je me trouvay dans un danger extreme :
1805 Car voyant pres de moy une isle dont l’abord,
Me sembloit fort facile à sauter sur le bord :
Je me lance à l’instant sur le sable où je glisse,
Et tombant dedans l’eau je souffre un tel supplice,
Qu’il m’alloit de la mort faire franchir le pas,
1810 Si deux pauvres pescheurs estans un peu plus bas
Avecque leurs filets ne m’eussent repeschee,
Et apres que chez eux je fus un peu seichee :
Je les priè tous deux de m’amener icy,
Pensant y retrouver l’objet de mon soucy.
1815 Mais je n’ay eu plustost mis le pied sur l’arene
Que surprise à l’instant devant vous on m’ameine
Voyez donc maintenant si je puis avoir tort,
Et si vous me jugez coulpable de la mort,
Car tout ce que j’ay dit est aussi veritable [p. 129 R]
1820 Que le soleil nous voit sur la terre habitable :
Et si j’ay parlé faux d’un seul poinct seulement,
Que Jupin* de ses feux me brusle en un moment.

LE PROCUREUR.

Vous en avez trop dict pour paroistre innocente
Vostre ennuieux* discours rend la preuve evidente :
1825 Monsieur qu’en dittes vous, selon mon jugement :
Il la faut condamner à mourir :

LE JUGE.

                Nullement,
Sachons encore d’elle un moyen tres-utile,
Où avez vous laissé la bergere Amarille.

LIDIANE.

Je croy qu’elle est chez elle & Floridon present,
1830 Vous peut mieux que moy dire où elle est à present.

LE JUGE.

Quoy n’estoit elle pas de la mesme entreprise ?

LIDIANE.

Je ne le pense pas

FLORIDON.

            Messieurs elle deguise [p. 130]
Il faut que promptement on la face mourir,
C’est le moindre tourment qu’elle puisse encourir.

LE JUGE.

1835 Je le veux, mes amis, je cognois son offence,
Aprochez vous de moy pour ouyr sa sentence.

LE GREFFIER.

Pendant que les Juges opinent le Greffier dit.
Voyez que la jeunesse a peu de jugement,
L’amour dans le peril l’a jetté librement,
Bergers levez le nez à quoy prenez vous garde,
Les Bergers font feinte de regarder ce que le Greffier escript.
1840 Je ne sçaurois escrire alors qu’on me regarde.

LE JUGE prononce le Jugement contre Lidiane.

Nous Juges deleguez par saincte eslection,
Pour les cas contenus en l’information.
Par jugement dernier condamnons Lidiane,
Comme attainte du crime odieux & profane :
1845 A mourir dans le feu de la grotte aux démons,
Le berger Floridon avec ses compagnons,
Seuls executeront la presente sentence,
Où nostre authorité imposera silence :
Lors que la nuict viendra dessus nostre horison, [p. 131 Rij]
1850 Ordonnons cependant qu’elle tiendra prison243.

LIDIANE.

Ou juste ciel faut-il que je meure innocente,

LE JUGE.

Emmenez la bergers,

LE PROCUREUR.

            Gardez qu’elle s’absente.

SCENE TROISIESME. §

PYSANDRE, CLEANIDE, LUCIANE,

PYSANDRE.

Bons Dieux qu’il court icy un effroyable bruit,
Lidiane mourra auparavant la nuict.
1855 Sa sentence de mort vient d’estre prononcee.

CLEANIDE.

Helas qui vous l’a dit,

PYSANDRE.

            C’est la vieille Macee244.

CLEANIDE.

O cieux que dites vous helas je n’en puis plus
Pysandre soutenez mes membres abattus : [p. 132]
Ce sensible regret touche si fort mon ame,
1860 Qu’elle va s’envoler vers la celeste flame*.

PYSANDRE.

Ma Nymphe prend courage il ne faut pas mon cœur,
Se laisser emporter si fort à la douleur :
Reprends un peu tes sens & tiens pour veritable
Que sans doubte le ciel luy sera favorable.

CLEANIDE.

1865 Ha laissez moy mourir,

PYSANDRE.

             Le ciel ne le veut pas.

CLEANIDE.

Mais encor que dit-on du berger Polydas.

PYSANDRE.

On ne sçait où il est,

CLEANIDE.

            Comme a elle esté prise.

PYSANDRE.

Dessus le bord de l’eau où elle estoit assise.

CLEANIDE.

Pauvre bergere helas que je plains tes malheurs,
1870 Pasteur voicy sa mere, escoutons ses douleurs ; [p. 133 Riij]

LUCIANE.

Bergers une faveur, dites si les nouvelles,
Que l’on dit de ma fille asseurement sont telles.

PYSANDRE.

Nous le venons d’aprendre & croy que nul de nous,
N’en sçait pas à present d’avantage que vous.

LUCIANE.

1875 Il faut donc passer outre, ô ciel inexorable !

PYSANDRE.

Nous yrons avec vous si l’avez agreable.

LUCIANE.

Tres volontiers cousin245 vous m’obligerez* fort,
Pancrace est icy pres qui m’atend demy mort,
Nous irons chez le Juge avec luy tous ensemble,
1880 Dieux je ne puis aller tant, tout le corps me tremble.

PYSANDRE.

Prestez moy vostre main pour marcher fermement,

CLEANIDE.

Pan face reussir le tout heureusement.
[p. 134]

SCENE DERNIERE. §

LE JUGE, LIDIANE, LUCIANE, PANCRACE, FLORIDON, PYSANDRE, CLEANIDE, L’ombre* de Castrape, POLYDAS, AMARILLE.

LE JUGE.

VOicy le lieu Bergere où il faut que ta vie,
Pour punir ton forfait soit des flames ravie.
1885 Advise si tu veux avant que de mourir,
Sur ce faict important quelque cas descouvrir.
Nous te pouvons encor sauver du sacrifice,
Nous livrant Polydas pour en faire Justice :
Vois, regarde, consulte, advise sur ce cas,
1890 Je te donne du temps autant que tu voudras.

LIDIANE ayant leu le tombeau de Polydas.

Pendant que le juge parle, Lidiane lict les vers du tombeau de Polydas.
Las* comment voulez vous grand Juge venerable,
Que je mette en vos mains un pauvre miserable : [p. 135]
Qui comme vous voyez gravé sur ce perron.
A desja traversé le fleuve d’Acheron246.
1895 Ce seroit m’obliger à plus que l’impossible,
Sus sus* je veux mourir sa mort m’est trop sensible :
Qu’on ne differe plus le moment de ma mort,
Amis depeschez vous je veux franchir ce port.
Vivre sans Polydas le jour est sans lumiere,
1900 Qu’on me pardonne ou non voicy l’heure derniere :
Que le soleil verra tous mes travaux* finir,
Car l’ame de mon corps s’en va se des-unir :
Il me semble desja que je te vois belle ombre,
Suivie dans ces lieux par des ames sans nombre,
1905 Qui t’admirent voyant ton esprit nompareil,
Croyant que devers eux soit allé le soleil :
Je t’y veux suivre aussi, ame plus qu’adorable
Qui toute seule rend cette grotte admirable :
Bel ange je te suis, tu m’apelle, attend moy,
1910 Mon ame va partir pour courir apres toy.

LE JUGE.

Pasteurs soustenez la l’exceds du mal l’emporte [p. 136]

LUCIANE.

Hastons nous car j’ay peur qu’elle soit desja morte.
Elle vient avec sa troupe.

PANCRACE.

Non fera, non fera,

LUCIANE.

            O bon dieux ! s’en est faict,
Sa vie a expié son enorme forfaict.
1915 Quoy là on fait mourir sans ouyr sa deffence :

FLORIDON.

Non, l’estat où elle est vient d’une deffaillance.

LUCIANE.

Ma fille ouvre les yeux parle un mot seulement

LIDIANE.

Las* ! pourquoy venez vous rengreger mon tourment ?
Ma mere pardonnez à ma flame* indiscrette,
1920 Et me laissez souffrir la mort que je souhaite.

LUCIANE.

Helas ! Pourquoy faut-il que tu meures aujourd’huy ?

PANCRACE.

Si cela dure encor je pleureray d’ennuy*. [p. 137 S]

PYSANDRE.

L’amour va perdre en elle un de ses puissans charmes*,

CLEANIDE.

Mes yeux ne peuvent plus en retenir leurs larmes.

FLORIDON.

1925 La pitié me transit & voudrois en ma foy,
Que l’on la pût sauver, il ne tiendroit à moy.

LUCIANE.

Jeunes filles pleurez vostre pauvre compagne,
Que la larme tousjours vostre visage bagne,
Et vous braves pasteurs à mon malheur presens,
1930 Voyez si mes ennuis* ne sont pas bien cuisans.

LE JUGE.

Avez vous assez dit, sus depeschez vous femme,

LUCIANE.

Si jamais la pitié trouva place en vostre ame,
Grand arbitre des Dieux, qu’en jugeant vous servez,
Retractez vostre arrest puisque vous le pouvez.
1935 Ou s’il ne se peut pas, permettez moy de grace [p. 138]
Pour sauver mon enfant que je meure en sa place :
Ou bien si vous jugez le mal trop odieux,
Pour me faire plaisir condannez nous tous deux.

LE JUGE.

C’est par trop discourir jettez dans la fournaise,

LUCIANE.

1940 Las* permettez encor qu’un seul coup je la baise;
Adieu ma chere fille, ha je ne puis parler.

LIDIANE.

Ma mere, adieu, le ciel vous veuille consoler,

PANCRACE.

Sage & juste Minos247 octroyez la priere,
Que vous fait à genoux cette dolente mere :
1945 La trouppe que voicy vous en prie par moy,

LE JUGE.

Non, non, n’en parlez plus, berger depéche toy.

L’ombre* de Caftrape, sortant de la grotte, tenant Polydas d’une main,
& Amarille de l’autre.

Demeurez malheureux cessez vostre vengeance, [p. 139 Sij]
Aprochez ceste grotte & me prestez silence :
Je sors des noirs palus* de l’abysme infernal,
1950 Pour venir empescher vostre dessein brutal :
Je suis l’Ombre* sans corps du renommé Castrape,
Fils d’un Dieu, né d’un Roy, & nepveu* d’un satrape248 :
Dont le pouvoir cogneu sur la terre en tous lieux,
La fait craindre autrefois des hommes & des Dieux :
1955 Quand pour executer quelque rare entreprise,
Il falloit par mon art captiver la franchise :
De la terre, & la mer, du Ciel, & des enfers,
Mettre les Dieux captifs, & les Demons aux fers.
L’eau montoit dans le Ciel, le Ciel estoit sur terre,
1960 Les Elemens trembloient, j’enfermois le tonnerre.
Bref, tout ce qu’impossible estoit au temps passé, [p. 140]
Estoit aussi tost fait que je l’avois pensé :
Mais parce qu’en ce lieu j’ay apris ma science,
Que j’y fis mon tombeau, que j’y pris ma naissance :
1965 J’en ay tousjours eu soin & ne desirant pas
Qu’aucun malheur jamais vint troubler vos esbas,
Je bastis cette grotte où jusques à cette heure,
Mon Ombre* a presque fait jour & nuict sa demeure :
Ayant preveu le mal qui devoit opprimer
1970 Ces fidelles amans pour par trop leur aymer :
Polydas ayant veu tomber dans la riviere,
Sans espoir de secours son aymable bergere,
Se vint precipiter dans cét antre fumeux,
Puis Amarille apres d’un esprit genereux,
1975 Voyant que ce berger oubliant sa promesse,
Ne l’avoit enlevee ainsi que sa maistresse :
S’y vint jetter aussi, mais moy les yeux au soin,
Jugeant que de mon art ils avoient grand besoin,
J’ay curieusement* conservé leur personne,
1980 Mais entendez par moy ce que Jupin* ordonne :
Pour nourrir entre vous l’amitié desormais, [p. 141 Siij]
Et dedans vos maisons faire reigner la paix :
Le Ciel veut que Pancrace espouse Luciane,
Que Polydas aussi ayt sa Lidiane.
1985 Pysandre, Cleanide & qu’aussi Floridon
Prenne son Amarille & luy fasse pardon :
Allez tous vivre heureux, gardez que l’imprudence,
Ne vous fasse oublier cette saincte ordonnance :
Chacun retrouvera son logis rebasty,
1990 Mes esprits diligens sont ce matin sorty :
Avec commandement qu’avant la nuict prochaine
Vostre perte se trouve une chimere vaine :
Souvenez vous tousjours du grand bien que vous fait,
L’ombre* du grand Castrape admirable en effet,
1995 Allez jouyr chacun des douceurs amoureuses,
Je retourne au sejour des ames bienheureuses.

LE JUGE.

Puisque des immortels telle est la volonté,
Je veux que mon Arrest ne soit executé :
Bergers viste, mettez Lidiane en franchise*,
2000 Je vois bien que le Ciel ses Amours favorise : [p. 142]

PANCRACE.

Dieux ! quel contentement, ô l’agreable arrest !
Luciane aprochez, baisez moy je suis prest.

LUCIANE.

Helas ! qui eust pensé qu’apres tant d’infortune
Il nous deust arriver une telle fortune ?
2005 Ma fille vous avez vostre contentement,
Baisez moy, puis allez embrasser vostre amant :
Et que chacun berger face ainsi de la sienne,

PANCRACE.

Pour moy je suis contant des baisers de la mienne :

POLYDAS.

Veillé-je ou si je dors adorable beauté,
2010 Croyrai-je en vous baisant que ce soit verité ?

LIDIANE.

Ha mon cher Polydas que d’estranges merveilles
Je ne sçay si mes yeux demantent mes oreilles.

PYSANDRE.

Que de bon-heur nous suit certes faut advouër
Que le ciel nous cherit & qu’il le faut loüer.

CLEANIDE.

2015 Chere ame en verité les Dieux sont adorables,
Aux maux desesperez se rendans secourables. [p. 143]

FLORIDON.

O ma douce Amarille, ô ma chere moitié !
Vivons tous deux contans en parfaite amitié.

AMARILLE.

Vange toy Floridon de mon ingratitude,
2020 Je veux vivre à jamais dessous ta servitude.

POLYDAS.

Amis je suis fasché qu’il faille qu’un adieu
Me face incontinent abandonner ce lieu :
Mais n’estant nay berger, Paris qui me souhaite,
M’obligera bien tost d’y faire ma retraitte :
2025 Et toy fidelle amy que le ciel m’a donné,
Pour rendre maintenant mon malheur terminé,
Reçois ce souvenir de nostre bien-veillance,
Il luy donne une chaisne d’or.
Si tu ne veux venir au lieu de ma naissance,
Où j’espere emmener cette rare beauté,
2030 Pour la faire honnorer comme elle a merité,
Mais je veux qu’en ce lieu nostre Hymen s’acomplisse,

LE JUGE.

Enfans vivez joyeux que tout vous soit propice.

PANCRACE.

Le Ciel puisse benir nos amours triomphans, [p. 144]
Afin que dans neuf mois nous ayons quatre enfans :
2035 Le suppliant (monsieur) pour vostre recompence
Qu’il vous puisse donner les cornes d’abondance249.
Allons, retirons-nous auparavant la nuict,
Et chacun pense à soy pour l’amoureux desduict*,
Afin que le plaisir dans le lict nous assemble,
2040 Et qu’à coigne festu* pas un de nous ressemble.

FIN.

Glossaire §

ABSOLUS : adj.
Souverains. (Richelet, 1680)
V. 431
ADVISER
Réfléchir, penser. (La Curne, 12e-17e siècles)
V. 545
Prendre garde (Huguet, 16e siècle)
V. 1453
AFFETTERIE subst. fém.
Manière pleine d’affectation par laquelle, dans le dessein de plaire, on s’éloigne du naturel et tombe dans un excès de recherche superficielle ou contraire au bon goût. (TLFi)
V. 1759
ALEMBIQUE (S’)
ALAMBIQUER. v.a. Il n’a d’usage qu’au figuré et dans ces phrases, S'alambiquer l’esprit; alambiquer l’esprit, qui signifient, Se distiller en quelque sorte l’esprit, par une trop grande application à des choses abstraites et trop subtiles. S'alambiquer l’esprit mal-à-propos sur des questions espineuses, difficiles, inutiles. s’alambiquer la cervelle. des questions qui ne sont bonnes qu’à alambiquer l’esprit. ne vous allez point alambiquer l’esprit inutilement. (Académie, 1718, 2ème éd.) — Au fig., vx, péj. 1. Emploi trans. Tourmenter à force de réflexions, par excès de recherche. Alambiquer le sentiment, l’esprit, la cervelle (TLFi)
V. 427
AMBALLEUR subst. masc.
Se dit figurément des hableurs, qui disent plusieurs choses contre la verité, qui inventent plusieurs histoires à plaisir, et qu’ils debitent aux credules. (Furetière, 1690)
V. 1103
APPARIER
Comparer, assimiler, égaler. (Huguet, 16e siècle)
V. 1722
APPETIT subst. masc.
Passion de l’ame qui nous porte à desirer quelque chose. (Furetière, 1690)
V. 536
APRESDINEE
DISNER. v.n. Prendre le repas du midy. (Académie, 1687 [Av.-Prem.3] — Prendre son repas vers le milieu du jour. (Furetière 1690)
V. 249
ARRESTER
Tarder (Académie, 1687 [Av.-Prem.1]) — Rester en arrière (Furetière, 1680)
V. 669
ASPECT subst. masc.
Regard, vue (Richelet, 1680)
V. 446
AUBADE subst. fém.
Violons qu’un amant donne le matin à sa maitresse. Régal de violons qu’on donne à quelqu’un pour lui marquer l’estime qu’on fait de lui, ou pour lui marquer de la joie, ou de la passion. (Richelet, 1680)
V. 21
BRASNLE
Terme de maitre à dancer. Dance où plusieurs dancent en rond, se tenant par la main. (Richelet, 1680)
V. 20, v. 150, v. 171
BOCAGE subst. masc.
Sorte de petit bois. (Richelet, 1680)
V. 623
BOUTTE-FEU BOUTEFEU. Subst. masc.
Incendiaire qui de dessein formé met le feu à un edifice, à une ville. On surprit des boutefeux. (Académie, 1687 [Av.-Prem.3])
CALLOTE subst. fém.
Petite cale ou coëffe de cuir, de satin, ou d’autre estoffe, qui couvre le haut de la teste. On s’en sert particulierement quand on est en des lieux où on est obligé d’estre long-temps teste nuë. Les vieillards portent des calottes à oreilles. On porte aussi des perruques à calotte. La calotte rouge est une marque de dignité, car il n’y a que les Cardinaux qui en portent. (Furetière, 1690)
V. 975
CARRIERE subst. fém.
Lieu qu’on creuse dans un champ pour en tirer la pierre qui est dessous. On ne peut pas bastir sur ce terrain, il est creux, on y a fouillé des carrieres. cet enfant est tombé dans le puits de la carriere. (Furetière, 1690)
V. 1383
CEANS adv.
Ici. En cét endroit, en ce lieu. ci. [Il est céans.] (Richelet, 1680)
V. 1194
CHARME, CHARMANT, CHARMER
Ne pas oublier la dimension magique du mot, qui en fait un terme fort et peut le rapprocher de l’enchantement ou du sortilège.
V .25, v. 60, v. 375, v. 392, v. 507, v. 1254, 1259, v. 1468, v. 1683, v. 1923
CLAIR-SEMÉ, ÉE Adj.
Qui n’est pas bien serré, qui n’est pas près à près. Du blé clair-semé, de l’avoine clair-semée. On dit prov. que L'argent est clair-semé chez quelqu’un, pour dire, qu’Il en a fort peu. Il se dit aussi figur. Des ouvrages d’esprit. Ainsi on dit, d’Un livre où il y a quelques beaux traits, mais de loin à loin, que Les beautez y sont clair-semées. (Académie, 1740 [3e éd.])
CLIGNE-MUSETTE Subst. fém.
Jeu de petits enfants, dans lequel l’un d’eux ferme les yeux, tandis que les autres se cachent en divers endroits, qu’il doit chercher pour les prendre. Joüer à cligne-mussette. (Académie, 1687 [Av.-Prem.2])
V. 622
COIGNE FESTU
Celui qui s’occupe de choses inutiles. Celui dont les entreprises restent sans résultat. — Et je di voyant ma fortune, Maigre s’il en fut jamais une, Je suis un grand Cogne festu: Qui cogne cogne et rien n’avance. BAÏF, les Mimes, L. I (V, 42). Celui qui n’est bon à rien, qui ne fait rien. — Et ne me puis tenir de luy dire qu’il sembloit un coigne-festu, qu’il ne voulloict rien fere ny laisser fere les aultres. MONLUC, Commentaires, L. I (I, 114). Employé Surtout au XVIe (Huguet) À noter que l’occurence présente dans notre texte maintient la graphie étymologisante dans sa partie verbale : COGNER, verbe Étymol. et Hist. 1. Fin xiies. « coincer » (J. Le Nevelon, Vengeance Alexandre, 1427 ds T.-L.) ; 2. 1remoitié xiiies. « frapper » (Hugues Piaucele, D'Estormi, 195 ds Montaiglon, Raynaud, Fabliaux, t. 1, p. 204). Dér. de coin*; dés. -er, plutôt qu’issu du lat. impérial cuneare « serrer, maintenir avec un coin ». (TLFi)
V. 2040
CONFUSION
Subst. fém. signifie aussi, Honte (Furetière, 1690)
V. 1517
COMMETRE
— Nommer (Godefroy, 9e-15e siècles) — Signifie encore, Donner pouvoir d’exercer une charge de Judicature, ou autre charge en la place d’un Titulaire. On a interdit un tel Baillif, et il a fallu commettre à sa charge. s’il neglige de se faire recevoir, on commettra à sa place. un Intendant a pouvoir de commettre et de subdeleguer. (Furetière 1690)
V. 1717
COMPROMIS
Fiancé. (Godefroy, 9e-15e siècles)
V. 43
COURAGE
Signifie quelquefois, Ardeur, affection. Il est allé en un tel lieu de grand courage, avec grande promptitude. Il sert ses amis de grand courage. Il travaille de grand courage, pour dire, avec grande affection. (Furetière, 1690)
V. 1002
COURANTE Subst. fém.
Piece de Musique, d’une mesure triple ou mouvement ternaire. Elle commence et finit, quand celuy qui bat la mesure baisse la main; [...] C'est la plus commune de toutes les danses qu’on pratique en France, qui se fait d’un temps, d’un pas, d’un balancement, et d’un couppé. [...] Il y a des courantes simples, et des courantes figurées, qui se dansent toutes à deux personnes. On appelle courante, tant l’air, que les pas qu’on fait dessus pour la danser, et même les paroles sur lesquelles on a mis un air de cette mesure. (Furetière, 1690)
V. 20, v. 178, v. 193, v. 290
CREVE CŒUR
Douleur déchirante (Cotgrave, 1611) — Grand déplaisir, grande douleur mêlée de dépit. Quel crève-cœur ! C'est un grand crève-cœur de voir... Connoté dans le registre familier par le dictionnaire de l’Académie en 1798, mais ce n’est peut être pas le cas à l’époque de notre pièce (1638). (Académie, 1798 [5e éd.])
V. 1265
CURIEUSEMENT
Soigneusement (Huguet 16e siècle)
DART Subst. masc.
Sorte de trait de bois dur qui est ferré au bout et propre à être lancé. (Richelet, 1680)
V. 1508
DILIGENCE Subst. fém.
Prontitude à faire une chose. (Richelet, 1680)
V. 1196
DISPOST
DISPOS. adj. m. Qui est agile, leger, qui se porte bien. (Furetière, 1690) — DISPOST, OSTE. adj. Ancienne forme du mot que nous écrivons aujourd’hui Dispos. (Barré, 1842)
V. 5
DIVERTIR
DIVERTIR. v.a. Destourner, distraire. Divertir quelqu’un de ses occupations. il avoit un tel dessein, je l’en ay diverti. (Académie, 1687 [Av.-Prem.3])
V. 373
SE DIVERTIR signifie aussi, Réjouïr. Il n’y a rien qui divertisse plus que la Comedie. Il ne faut pas toûjours estudier, il faut prendre le temps de se divertir. On dit qu’une femme se divertit, lors qu’elle fait l’amour; (Furetière, 1690)
V. 448
Écarter, éloigner, empêcher. — Il faut parer au coup qui nous menace, et lequel, s’il n’estoit diverty, nous rendroit apres soy tous les autres remedes inutiles. DU VAIR, Actions et traictez oratoires, Pour la loy salique, p. 138. (Huguet, 16e siècle)
V. 1714
DEVALLEE, DEVALLER
Descendre (Ménage, 1650)
V. 163, v. 1380
DESDUICT Subst. masc.
Passe-tems. Plaisir. « Prendre le déduit avec sa nouvelle épouse » (Richelet, 1680) La forme archaïsante de cette occurrence conserve le /c/ etymologique du part. latin deductus ainsi que le /-s/ du préfixe /des-/.
V. 2038
EFFECT Subst. masc.
Pratique, execution (Furetière, 1690)
Argument, v. 311, v. 1181
EFFROI Subst. masc.
Saisissement provoqué par une très grande peur. Cri, hurlement d’effroi; glacer, pâlir d’effroi; jeter l’effroi. (Tlfi)
V. 902
EMULATION Subst. fém.
Jalousie, mauvaise intention. (La Curne, 12e-17e siècles)
V. 307
ENGENCE Subst. fém.
Terme de mépris. Race. [Quand de ces médisans l’engence toute entiere iroit la tête en bas rimer dans la riviere. Dépreaux, Satire. 9. De tous les maux on vit poindre l’engence. Benserade, Rond.] (Richelet, 1680)
V. 1130
ENMEINE, EMMENER, v.a.
[Compl.] mener quelqu’un avec soi d’un lieu à un autre; emporter : Ses meillurs humes enmeinet ensembl’ od sei. (Rol., 502.) (Godefroy, 9e-15e siècles) — Étymol. et Hist. Ca 1100 trans. em meinet « mener hors du lieu où l’on est, en quelque autre lieu » (Roland, éd. J. Bédier, 2817) ; (TLFi)
ENNUY, ENNUYEUX
Dans toutes ses acceptions le mot garde son sens ancien. Ennuy 1. Affliction, douleur, tristesse. (Huguet, 16e siècle) — Ennuy: m. Annoy; vexation, trouble, disquiet, molestation; sorrow, griefe, anguish ; (Cotgrave, 1611)
V. 916, v. 1301, v. 1361, v. 1434, v. 1922
ÉPHÉMERIDE s. m. plur.
Terme d’Astronomie. Ce sont des tables calculées par des Astronomes, qui marquent l’estat du ciel tous les jours à midi, c’est à dire, le lieu où à midi se trouvent toutes les Planetes: et ce sont ces tables qui servent à dresser les horoscopes ou themes celestes. Les Ephemerides d’Origan, de Kepler, d’Argolus, de Joannes Heckerus, etc. Jean Dominique Cassini a fait des Ephemerides des astres de Medicis, ou des Satellites de Jupiter, qui servent à la descouverte des longitudes. (Furetière, 1690)
V. 9
ESPOIR
Appréciation, jugement. (Godefroy, 9e-15e siècles)
V. 323
FAIRE TENIR
Faire tenir quelque chose à : transmettre ou envoyer quelque chose vers. « To conuey, or send a thing vnto. » (Cotgrave, 1611)
V. 809
FINET, FINETTE adj. diminutif de fin.
Qui est fin et qui le dissimule, qui fait le fin. C'est un finet. c’est une finette. Il ne se dit jamais qu’en mauvaise part. (Académie, 1687 [Av.-Prem.3]) — FIN : pur, subtil, délié : comme fin or, fin lin, fin drap; et de là par metaphore aduisé, adroit, et mesme rusé et cauteleux. (Ménage, 1650)
V. 537, 1429
FLAME, FLAMME
On dit figurément, la flamme de l’amour; et se dit premierement de l’amour divin. une flamme celeste. Seigneur, que je brusle de vos flammes. Il se dit communément de l’amour prophane. Cet amant brusle d’une flamme innocente pour cette fille. il ne faut point nourrir des flammes criminelles. une flamme constante, est une amour fidelle. Signifie aussi, Eclat, vivacité. Ses yeux estoient pleins de flamme, estoient vifs et brillants. ces pierreries jettoient des flammes, brilloient de tous costez. Signifie aussi, Eclat, vivacité. Ses yeux estoient pleins de flamme, estoient vifs et brillants. ces pierreries jettoient des flammes, brilloient de tous costez. (Furetière, 1690)
V. 97, v. 101, v. 238, v. 457, v. 867, v. 1223, v. 1248, v. 1515, v. 1860, v. 1919
FOURNY Subst. fém.
Pièce d’une maison où l’on garde des aliments et des outils, annexée à l’endroit ou l’on cuit le pain. « Elle tiendra le fourny fermé aux heures où elle n’y aura que faire » (source : Règlemens ou éclaircissemens sur les constitutions des religieuses, Pierre Fourier, 1674)
V. 1197
FRANCHISE subst. fem.
Dignifie aussi, Asyle, lieu saint et privilegié où on est en seureté de sa personne. Les Eglises et les Monasteres d’Espagne sont des Franchises pour les Criminels. (Furetière, 1690)
V. 1784
Signifie chez les Poëtes et les amants, Liberté. Il a perdu sa franchise. il a engagé sa franchise. (Furetière, 1690)
GAILLARDE subst. masc.
Espece de danse ancienne qu’on dansoit tantost terre à terre, et tantost en cabriolant; tantost allant le long de la salle, et tantost à travers. (Furetière, 1690)
V. 172
GAILLARD, ARDE adjectif
Gai. Plein de gaïeté (Richelet, 1680)
V. 571
GESNE subst. fém.
Signifie torture, puis par affaiblissement sémantique Fatigue, peine, travail. « Donner la gêne à son esprit. » (Richelet, 1680)
V. 723
GUESTEUR GUETTEUR subst. masc.
Se dit des voleurs, des guetteurs de chemins qui attendent les passans pour les destrousser. (Furetière, 1690)
V. 1094
GOGUELUREAU
Forme attestée par Ménage (1694), Godefroy, (9e-15e siècles) et Cotgrave (1611) variante de : GODELUREAU. subst. masc. Jeune fanfaron, glorieux, pimpant et coquet qui se pique de galanterie, de bonne fortune auprés des femmes, qui est toûjours bien propre et bien mis sans avoir d’autres perfections. Les vieux maris ont sujet d’estre jaloux de ces godelureaux qui viennent cajoller leurs femmes.
V. 1126
HALLEBARDE Subst. fém.
Arme d’infanterie en usage du xiveau xviiesiècle et, de nos jours, arme d’apparat pour certains hommes assurant une garde d’honneur (marins, suisses, garde vaticane, etc.), comportant une longue hampe terminée par un fer pointu et tranchant, muni de deux ailes, l’une en pointe, l’autre en croissant de hache.(TLFi) — Ce substantif et son verbe dérivé sont mentionnés par Ménage (1650) et Huguet (16e siècle)
V. 1104
HALLIER subst.masc.
Réunion de buissons touffus et serrés (Godefroy, 9e-15e siècles)
V. 280
HAZARD subst.masc.
Peril, risque. [On est bien fou de mettre sa vie au hazard pour les biens du monde. S'exposer au hazard, Ablancourt. Il a couru hazard de se perdre.] (Richelet, 1680)
V. 690, 1009
HEUR
Chance bonne ou mauvaise (Huguet, 16e siècle)
Subst. masc. Ce mot signifie bon-heur, mais il est bas, est peu usité et se prononce sans faire sentir son h. [Je hai la solitude car elle pourroit me ravir l’heur de te voir et te servir. S. Am.] (Richelet, 1680)
V. 184, v. 205, v.411
Subst. masc. Rencontre avantageuse (Furetière, 1690)
V. 701
IL S’EN VA TARD
Il va être tard, il va faire nuit. (Huguet, 16e siècle)
V. 1132
INDISCRETTE adj.
Estourdy, imprudent, qui ne prend pas garde à ce qu’il dit ou à ce qu’il fait. Cet homme est fort indiscret. cette femme est bien indiscrete. (Académie, 1687 [Av.-Prem.3])
V. 1325
INFAILLIBLE Adj.
Qui est certain, et immancable. (Académie, 1694 [1ère éd.])
V. 1467
JOUR subst. masc.
Se dit aussi d’une lumiere, d’une ouverture qui nous vient dans l’esprit, qui nous donne bonne esperance de la reüssite d’une affaire. Cela n’est pas impossible, je voy quelque jour, quelque apparence d’en venir à bout. (Furetière, 1690)
V. 574
JOUYR
Déformation de chevir : venir à bous de quelquechose. (Huguet, 16e siècle)
V. 479
JUPIN n. pr. m.
Abréviation familière du nom de Jupiter. La Fontaine dit, en parlant des grenouilles: Jupin les soumit au pouvoir monarchique. (Barré, 1842)
V. 350, v. 1150, v. 1260, v. 1284, v. 1822, v. 1980
LAITAGE
Subst. masc. Le lait considéré collectivement ; l’ensemble de ce qui se fait avec le lait (Godefroy, 9e-15e siècles) — Il se dit du lait et de tout ce qui se fait de lait, comme cresme, beurre, fromage, etc. Il ne vit que de laitage. (Académie, 1718 [2ème éd.])
V. 996
LAPREAU subst. masc.
Petit lapin. (Richelet, 1680)
V. 1142
LAS
Interjection Plaintive. Las ! qui le pourroit croire ! las que j’ay souffert de peine ! Il commence à vieillir, et on se sert plus ordinairement d’helas. (Académie, 1694 [1ère éd.]) —Interjection et expression d’un mouvement de douleur ou d’affliction, laquelle on marque avec cette ponctuation ! Il est plus en usage en Poësie qu’en prose, à cause qu’il donne la facilité pour la mesure du vers, on dit ailleurs helas. (Furetière, 1690) La pièce de Discret témoigne d’un usage encore instable car les deux formes sont présentes : hélas avec 20 occurrences contre Las avec seulement 7 occurrences. Cette disproportion à l’avantage de la forme hélas confirme le commentaire des dictionnaires perçevant Las comme une forme vieillie.
V. 1211, v. 1313, v. 1545, v. 1631, v. 1891, v. 1918, v. 1940
LIESSE
De lie, vieux mot François qui signifie ioyeux, et qui est encore en vsage en cette façon de parler faire chere lie. Au lieu de lie on a dit aussi lié, témoin Saint Lié. L'vn et l’autre viennent de lætus, d’où les Italiens ont aussi fait lieto. Voyez André du Chesne dans ses Annotations sur Alain Chartier pag. 866. (Ménage, 1650) — LÏESSE, Subst. fém. † Vieux mot qui signifie joie, et qui entre encore dans le burlesque et le stile le plus simple. [Dieu garde en joie et en lïesse. Voit. Poës. On dit pourtant sérieusement Notre Dame de liesse mais c’est une façon de parler consacrée qui ne tire point à consequence.] (Richelet, 1680) — LIESSE. Subst. fém. Joye, gayeté. Vieux mot qui n’a plus d’usage dans le discours serieux que dans cette phrase. Nostre-Dame de Liesse. (Académie, 1687 [Av.-Prem.3]) — LIESSE. Subst. fém. Vieux mot qui signifioit autrefois, Joye, santé, prosperité. Il est revenu de son voyage, on l’a reçeu en grande liesse. Il ne se dit plus guere qu’en cette phrase, Nostre-Dame de liesse. Ce mot vient de lætitia. (Furetière, 1690)
V. 549
LOGETTE Subst. fém.
Petit logis, échoppe. (Huguet, 16e siècle)
V. 1063
MAIL, ÉMAIL, ESMAIL Subst. masc.
Certaine composition dont se servent les peintres, les vitriers, orfévres et émailleurs. Ce mot au figuré est plus de la poësie que de la prose, et il signifie l’embélissement que font les fleurs et autres pareilles choses. [L'émail des prez. God. Poës. 2. partie, I. églogue.]
V. 248, v. 504, v. 512
MAIS adverbre.
Signifioit aussi autrefois, Plus, d’avantage. On le dit encore en Lyonnois et autrefois à Paris. Vous dites qu’il n’y a là que quatre aunes de ruban, il y en a mais, pour dire, il y en a davantage. Ce mot vient de Magis. (Furetière, 1690)
V. 1000
MAMOUR, MAMIE Subst. masc. et f.
Termes de cageollerie familiere, qui sont abregez de mon amour et de mon amie. Ils ne sont en usage que dans le Burlesque et dans les chansons. Mon cœur, m’amour, se dit par une jeune femme à son mary, par une nourrice à son nourriçon. On dit en esconduisant une pauvre femme, m’amie, je n’ay rien à vous donner. (Furetière, 1690) — M'AMOUR qui n’a cours que parmi le bourgeois ; M'AMIE ce mot ne se dit guere qu’en parlant à des servantes, ou qu’entre de petis bourgeois. (Richelet, 1680)
V. 213, v. 285, v. 568, v. 994, v. 1057
MANDER
Inviter à se trouver à quelque ceremonie. Il a esté mandé pour assister à la nopce, à l’enterrement. On mande de notables bourgeois de se trouver au Bureau de la ville pour l’élection des Eschevins. Les escornifleurs viennent disner aux bonnes tables sans estre mandez. Cet homme est bien malade, il faut mander un Medecin, un Prestre. (Furetière, 1690)
Signifie aussi, Convoquer, enjoindre de venir à soy. Le Roy a mandé le ban et arriereban, a mandé le Parlement. Il a mandé le Prevost et ses Archers pour conduire ce prisonnier. Ce General a mandé tels Regiments, leur a ordonné de le venir joindre. La Cour a mandé un tel Juge, ordonné un veniat contre luy. (Furetière, 1690)
V. 13
Signifie aussi, Escrire à quelqu’un, ou luy envoyer un message pour luy faire sçavoir quelque chose, pour le prier, le charger, de faire quelque affaire. On luy a mandé cette nouvelle par un billet. On luy a mandé par un homme exprés tout ce qui s’est passé en une telle affaire. Cette partie a mandé à son Procureur de mettre son procés en estat. J'ay mandé à mes Fermiers qu’ils payassent cette somme. (Furetière, 1690)
V. 807
MANTERIE MENTERIE, Subst. fém.
Prononcez manterie. Bourde, mensonge (Richelet, 1680) — La menterie est le vice des valets et du bas peuple. Ce Livre est tout plein de bourdes et de menteries. On s’excuse ordinairement par des menteries. Les hableurs soûtiennent effrontement leurs menteries. (Furetière, 1690)
V. 1760
MASTIN subst. masc.
Gros chien de cuisine, ou de bassecour. Les Bergers, les Bouchers ont des mastins pour garder, pour conduire, leurs troupeaux. Ce mot vient de mastinus, qu’on a dit dans la basse Latinité en même signification. Se dit aussi des hommes grossiers, mal bastis de corps, ou d’esprit. C'est un vilain, un gros mastin, un sot mastin. (Furetière, 1690)
V. 520
MESFAIT
Faire mal à quelqu’un (Académie, 1687 [Av.-Prem.3])
V. 847
MODESTIE subst. fem.
Pudeur, retenuë. La modestie sied bien sur le visage d’une fille. (Furetière, 1690)
V. 569
MOUILLER LE DOIGT
Il y a un jeu d’enfant qu’on appelle au doit mouillé, quand on propose à deviner le doit qu’on a mouillé secretement. (Furetière, 1690) — Tirer au doigt moillié, tirer au sort en choisissant entre plusieurs doigts que qqu’un présente et dont l’un est mouillé en dessous. (Godefroy, 9e-15e siècles)
V. 625
NAIFVETE sust. fém.
Caractère de ce qui est naturel. (Huguet, 16e siècle) — Ingenuité, simplicité d’une personne qui n’use point de desguisement. La naïveté des paysans. la naïveté d’un jeune enfant. (Académie, 1718 [2ème éd.])
NARGUE
Mot dont on se sert lorsqu’on veut marquer du mepris pour une personne, ou pour quelque autre chose. [† Nargue du Parnasse et des Muses, Saint Amant. Nargue pour lui, Scaron.] (Richelet, 1680)
V. 1117
NAZARDE subst. fem.
Chiquenaude que l’on donne sur le bout du nez. On dit d’un homme ridicule et timide, qu’il a un nez à camouflets et à nazardes. (Furetière, 1690)
V. 1136
NENNY, NENNI adv. negatif ou subst. fem.
Nenni da, Nenni vrayement. Il est bas, il est quelquefois subst. fem. Cette boutique est si bien fournie, que quelque chose qu’on demande il n’y a point de nenni. (Furetière, 1690) — NENNI Particule dont on se sert pour répondre négativement à une interrogation expresse ou sous-entendue. Il n’a guère d’usage hors de la conversation familière. Voulez-vous aller à la chasse ? Nenni. En parlant d’Un homme complaisant, qui est toujours d’accord de tout, on dit, que C'est un homme avec qui il n’y a point de nenni. La même chose se dit d’un Marchand chez lequel on trouve tout ce qu’on demande.
V. 628
NEPVEU subst. masc.
Petit-fils, Descendant (Huguet, 16e siècle) la graphie etymologisante rappelle l’origine latine du mot — Du lat. nepos, nepotis (fém. neptis, neptis) « petit-fils (descendant de parenté indirecte) » qui a pris à basse époque le sens de « fils du frère ou de la soeur » ; ces 2 sens du lat. subsistent en fr. (TLFi)
V. 1952
OBLIGER Littér., vieilli.
Rendre service à quelqu’un, lui être utile ou agréable, avoir droit à sa reconnaissance. (TLFi)
Épître, v. 403, v. 406
OCCASION EST CHAUVE (L’)
On dit prov. et fig. que l’occasion est chauve par derriere, ou simplement, est chauve, pour dire, qu’il ne la faut pas laisser eschapper quand elle se presente. (Académie, 1694 [1ère éd.])
V. 647
OFFICE Subst. masc.
Secours ou devoir reciproque de la vie civile. (Furetière, 1690)
V. 402
OYANTS participe présent du verbe Oïr
Entendre (Godefroy, 9e-15e siècles)
V. 878
OMBRE subst. fém.
Signifie aussi l’ame d’un mort, qu’on se represente sous la figure qu’il avoit vivant, mais qui est une vaine image sans corps. (Furetière, 1690)
Argument, acte 5 sc. 1 et 4 (liste des personnages), v. 1951, v. 1968, v. 1994
ONCQUES
Jamais (Huguet, 16e siècle, Godefroy, 9e-15e siècles) Avec une valeur négative, servant, avec ne, à former une négation de temps (TLFi)
V. 165, 1774
ORGANE subst. masc.
Se dit figurément en parlant de ceux qui servent à quelqu’un pour faire connoistre ses pensées. Le Grand Seigneur ne s’explique à ses sujets que par l’organe de ses Ministres. (Furetière, 1690)
V. 824
OUY DA, DA/DEA
Est une interiection laquelle enforce la diction où elle est apposée, comme, Non deà, ouy deà, Non vtique, Sanè quidem, mais en telles manieres de parler on use plustost de Deâ, fait dudit Deâ par contraction ou syncope, et dict-on non Dâ, ouy dâ. (Nicot, 1606)
V. 1199
PALUS, PALUD, PALUDS
Terme de Geographie. Marescage. (Furetière, 1690) Du lat. palus, -udis (TLFi).
V. 1949
PANTALON, PANTALONADE Subst. masc.
Bouffon, ou mascarade qui fait des danses par haut, et des postures irregulieres et extravagantes. (Furetière, 1690)
V. 172
PASTURE subst.fém.
Nourriture qu’on donne aux bêtes (Richelet, 1680)
V. 1568
PENSEMENT
Action de penser, méditation, réflexion. (Huguet, 16e siècle)
V. 817
PINTE subst. fém.
Vase qui contient deux chopines et dont on se sert ordinairement pour mesurer le vin, la biére, le lait, et quelques autres liqueurs. (Richelet, 1680)
V. 1092
PIPEUR Subst. masc. et f.
Filou qui trompe au jeu, qui jouë de mauvaise foy. (Furetière, 1690)
V. 1326
PROBATION Subst. fém.
Terme de Capucin et de quelques autres Religieux. Il se dit en parlant du noviciat, et c’est proprement le tems du noviciat durant lequel on éprouve et on voit si le novice a l’esprit de religion. [Faire son année de probation. On ne peut recevoir un Religieux qu’aprés le tems de probation. Patru, plaidoié I5.] (Richelet, 1680)
PRESTE adj.
Qui se fait viste et en peu de temps. Les Charlatans sont prestes et subtils à faire leurs tours, à joüer des gobelets. ­— On dit aussi adverbialement, Allons preste, alaigrement. (Furetière, 1690) — PRESTE, Est aussi adverbe d’exhortation, et signifie, Viste, promptement. Allez-là, et despeschez-vous, preste. Il n’a d’usage que dans le style familier. (Académie, 1718 [2ème éd.])
PROU adv.
Beaucoup, suffisamment. (Furetière, 1690)
V. 1009
RAMAGE subst. masc.
C'est le chant naturel de quelque oiseau que ce soit. (Richelet, 1680)
V. 639
(SE) RESENTIR v.r.
Ce mot autant que je le puis conjecturer ne se dit qu’en mauvaise part. Avoir du ressentiment d’un déplaisir qu’on nous a fait. (Richelet, 1680)
V. 664
SILLET
Marquer d’un sillage (Huguet, 16e siècle)
V. 355
SIMPLESSE subst.fém.
Simplicité ingénue (Godefroy, 9e-15e siècles) — Terme populaire (Furetière, 1690) — Il n’a guere d’usage que dans le discours familier, et dans cette phrase, Il ne demande qu’amour et simplesse, pour dire, que C'est un homme ingenu, qui a les manieres douces et aisées, et qui ne demande qu’à vivre en paix. Académie, 1718 [2e éd.]
V. 828
SIMPLICITÉ subst.fém.
Se dit aussi de l’action qui est faite par une grande foiblesse d’esprit, ou defaut d’experience. On nous a rapporté une grande simplicité que fit cette villageoise. On rit beaucoup de cette simplicité. Il ne faut pas abuser de la simplicité des pauvres gens. (Furetière, 1690)
V. 670
SOCIETE
Amitié, liaison (Richelet, 1680)
V. 761
SOULAS
Plaisir, joie, agrément. (Huguet, 16e siècle) — Vieux mot qui ne peut entrer que dans le burlesque et le stile le plus simple et qui signifie tout ce qui fait la consolation d’une personne, tout ce qui adoucit ses peines et fait son plaisir. (Richelet, 1680)
V. 1209
SOUFFRIR
Permettre, Tolérer (Académie, 1694 [1ère éd.])
V. 1270
SUASION subst.fém.
Terme de pratique, conseil, sollicitation, instigation. Il a commis ce meurtre à la suasion d’un tel.( Académie, 1694 [1re éd.])
V. 407
SUBORNER
Débaucher, seduire, induire à faire une mauvaise action, une action contre son devoir. (Académie, 1694 [1ère éd.])
V. 987
SUS, OR SUS
Exclamation, pour exciter, allons debout, eh bien (Godefroy, 9e-15e siècles, Huguet, 16e siècle) — Vieux mot qui veut dire présentement, et qui quelquefois a encore cours dans le burlesque. (Richelet, 1680)
V. 149, v. 629, v. 636, v. 638, v. 1149, v. 1185, v. 1896
TENSEULEMENT
TANT SEULEMENT. Seulement (Huguet, 16e siècle)
V. 740
TOURMENT
Peine corporelle cruelle (Godefroy, 9e-15e siècles)
V. 1754
TOUR DE SOUPLESSE
Ces mots au figuré signifient finesses, adresses, subtilitez, moiens fins et subtils, ruses. Ainsi on dit [il a fait, mile tours de souplesse pour venir à bout de ses desseins.] (Richelent, 1680)
V. 537
TRANSPORTER
Se dit aussi des violentes agitations de l’esprit. Un homme transporté de colere, de joye, d’amour, etc. Ceux qui rendoient des oracles étoient transportez de fureur. Un Poëte dit aussi, qu’une sainte fureur le transporte. (Furetière, 1690)
V. 1329
TRAVAUX
Se dit au pluriel des actions, de la vie d’une personne, et particulierement des gens heroïques. Dieu benit les travaux des gens de bien. Il recompense les travaux de ceux qui l’ont bien servy. Les Martyrs jouïssent du fruit de leurs glorieux travaux. Les Payens ont aussi appellé les travaux d’Hercule, et ont creu qu’ils meritoient le ciel. On appelle aussi les dehors d’une place, les pieces detachées, des travaux avancez. (Furetière, 1690)
V. 495, v. 726, v. 913, v. 1270, v. 1901
TROU-MADAME subst.masc.
C'est une sorte de jeu de bois composé de tréze portes et d’autant de galeries auquel on jouë avec tréze petites boules. (Richelet, 1680)
V. 610
TRUCHEMENT subst.masc
Interprete, celuy qui explique à deux personnes qui parlent de langues differentes ce qu’ils se disent l’un à l’autre. (Académie, 1718 [2ème éd.])
V. 824

Bibliographie §

Sources §

Textes de L.C.D. Discret §

Édition originale de la pièce §
Les Noces de Vaugirard, ou les naïvetés champêtre. Pastoralle dédiée à ceux qui veulent rire, Toussaint Quinet, 1637. Jean Guignard, 1638.
Ses autres pièces §
Alizon, comédie dédiée aux vieilles veuves et aux jeunes filles, Jean Guignard, 1637.
Éditions critiques §
Alizon, Discret, édition critique par J.-D. Biard, Exeter, University of Exeter, 1972.

Textes de la période moderne §

Aubignac François Hédelin (abbé d’), La pratique du Théâtre, éd. Hélène Baby, Paris, Champion, 2001.
Auvray (Sieur de), La Madonte du tragicomédie dédiée à la reine, A Paris chez Antoine de Sommaville, 1632.
(Le) Baillif Roch, Traicte de l’homme, et son essentielle anatomie, 1580.
Chapelain Jean, Opuscules critiques, éd. Alfred Hunter, Paris, Droz, 1936 ; nouvelle édition par Anne Duprat, Genève, Droz, 2007.
D’Urfé Honoré, L’Astrée, Augustin Courbé, 1633, IIIe partie, livre 6.
Guarini Giambattista, Il compendio della poesia tragicomica [De la poésie tragi-comique], texte présenté, traduit et annoté par Laurence Giavarini, Paris, H. Champion, 2008.
Lemazurier, P. D, Galerie historique des acteurs du théâtre français depuis 1600 jusqu’à nos jours, Paris, Joseph Chaumerot, 1810.
Mahelot Laurent, Le mémoire de Mahelot : mémoire pour la décoration des pièces qui se représentent par les Comédiens du Roi, éd. critique établie et commentée par Pierre Pasquier, Paris, H. Champion, 2005.
Marmontel Jean François, Éléments de littérature, Œuvres complètes, Née de la Rochelle, (t. 5-10), 1787, 17 vol.
Ogier François, Préface à Tyr et Sidon, de Jean de Schélandre (1628), éd. J.W. Nizet, 1975.
Parfaict Cl. et Fr, Dictionnaire des théâtres de Paris, t. 7, Paris, Rozet, 1767.
Rayssiguier (Sieur de), L'Aminte du Tasse, Tragi-comédie Pastoralle, Accommodée au Théâtre François, 1636, I , 3, p. 23.
(Société des) Archives historiques de la Saintonges et de l’Aunis, Paris, H. Champion, 1874.
Sorel Charles, Histoire comique de Francion, Epître aux grands.

Instruments de travail §

Dictionnaires, lexiques, commentaires sur la langue française. §

Le Dictionnaire de l’Académie françoise dedié au Roy, Coignard, 1694 (1ère éd.).
Nouveau Dictionnaire de l’Académie françoise, Coignard, 1718 [2ème éd.] (1ère éd. 1694).
Dictionnaire de Trévoux, La Compagnie des libraires associés, 1771 (1ère éd. 1704).
Dictionnaire de l’Académie françoise, J.J. Smits et Ce, 1798 [5ème éd.] (1ère éd. 1694).
Dictionnaire de l’Académie française, Firmin Didot frères, 1835 [6ème éd.] (1ère éd. 1694).
Barré Louis, Complément du Dictionnaire de l’Académie française, Firmin Didot, 1842 (1ère éd.).
Cotgrave Randle, A Dictionarie of the french and english tongues, Londres, Adam Islip, 1611.
DMF (1330-1500), Dictionnaire du Moyen Français, version 2010. ATILF - CNRS & Université.
(de) La curne de sainte-palaye Jean-Baptiste, Dictionnaire historique de l’ancien langage français ou Glossaire de la langue françoise depuis son origine jusqu’au siècle de Louis XIV, Niort, Paris, L. Favre, H. Champion, 10 tomes, 1875-1882.
Estienne Robert, Dictionaire Francoislatin, Robert Estienne, 1549.
Godefroy Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, F. Vieweg, Émile Bouillon, 10 tomes, 1881-1902. de Lorraine. Site internet : http://www.atilf.fr/dmf.
Furetière Antoine, Dictionaire Universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 3 tomes, 1690.
Huguet Edmond, Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, Librairie ancienne Édouard Champion, 1928 [1925], 1932, Didier, 1946, 1950, 1961, 1965, 1967.
Marty-Laveau Charles, Lexique de la langue de P. Corneille, 1859, Paris, Hachette, 1868.
Nicot Jean, Thresor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne, David Douceur, 1606.
Richelet Pierre, Dictionnaire françois, Genève, Jean Herman Widerhold, 1680.
Trésor de la langue française (TLF), CNRS / Gallimard, 16 vol., 1971-1994. Site Internet (Trésor de la langue française informatisé ou TLFi) : http://atilf.atilf.fr/.
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Bibliographies §

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Klapp Otto [Klapp-Lehrmann à partir de 1986], Bibliographie der französischen Literaturwissenschaft, Francfort, Klostermann (publication annuelle, depuis 1960).

Grammaire, syntaxe, ponctuation §

Fournier Nathalie, Grammaire du français classique, Belin, 1998.
Haase A., Syntaxe française du XVIIe siècle, Delagrave, 1935.
Molinié Georges, Dictionnaire de rhétorique, Le Livre de poche, 1992.
Sancier-Château Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Nathan, 1993, (2 vol.).
Rezeau Pierre, Richesses du français et géographie linguistique vol.1, De Boeck, 2007.
Riffaud Alain, La Ponctuation du théâtre imprimé Genève, Droz, 2007.

Études §

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Baby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, 2002.
Dalla Valle Daniela, Pastorale barocca : forme e contenuti dal « Pastor Fido » al dramma pastorale francese, Ravenna : Longo, 1973
Dalla Valle Daniela, Aspects de la pastorale dans l’italianisme du XVIIe siècle, Paris, H. Champion, 1995
Deierkauf-Holsbœr Sophie Wilma, Le Théâtre du Marais, Nizet, 1954-1958 (2 vol.).
Deierkauf-Holsbœr Sophie Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, Nizet, 1968-70 (2 vol.).
Faranton Valérie, Achille Tatius ou la contestation du genre romanesque, Paris, L’Harmattan, DL 2011.
Forestier Georges, La Tragédie française. Passions tragiques et règles classiques, Armand Colin (coll. U), 2010 (1ère éd. PUF, 2003).
Guichemerre Roger, La Comédie avant Molière 1640-1660, Armand Colin, 1972.
Guichemerre Roger, La Tragi-comédie, PUF, 1981.
Kintzler Catherine, Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau, Minerve, 1991.
Howe Alan, Le Théâtre professionnel à Paris. 1600-1649, Centre historique des Archives nationales, 2000.
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Lancaster Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942 (5 part. en 9 vol.).
Larthomas Pierre, Le Langage dramatique, Colin, 1972.
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[Pasquier Pierre éd.], Le Mémoire de Mahelot, Champion, 2005.
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Residori Matteo: « L’ape ingegnosa » Sull’uso di alcune fonti greche nell’Aminta dans la revue Crhoniques italiennes n°3, Paris 3, Janvier 2003.
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Ubersfeld Anne, Lire le théâtre (I et II), Éditions Sociales, 1977 (I) et Belin, 1996 (II).