LES AMOURS DE NANTERRE
OPÉRA COMIQUE

M. DCC. LXIII.

Par Mrs. le S***, et D’Or***.

À AVIGNON, Chez Louis Chambeau, Imprimeur - Libraire près les RR. PP. Jésuites.

ACTEURS. §

  • MADAME THOMAS, riche Fermière.
  • COLETTE, Fille de Madame Thomas.
  • MATHURINE, Cousine de Colette.
  • MONSIEUR GRIFFART, Procureur Fiscal, père de Valère.
  • VALÈRE, Capitaine d’Infanterie, Amant de Colette.
  • LUCAS, Valet de Madame Thomas.
  • LE MAGISTER.
  • ARLEQUIN, Tambour de Valère.
  • TROUPE DE PAYSANS ET DE PAYSANNES DANSANTS.
La Scène est dans le Village de Nanterre.

SCÈNE PREMIÈRE. Colette, Mathurine. §

MATHURINE.

Air 15. Je ne suis né ni Roi, ni Prince.
Qu’as-tu donc, ma chère Colette ?
Tu parais chagrine, inquiète.
Eh ! D’où vient cette sombre humeur ?
Ne me cache rien, ma mignonne ;
5 Découvre-moi ton petit coeur.

COLETTE.

Tu ne le vois que trop, friponne.
Air : Nanette, dormez-vous ?
Qu’une fille à vingt ans
Bis.
Est fille avec chagrin dans de certains instants !
Peut-on l’être toujours, quand on l’est trop longtemps ?

MATHURINE.

Paix ma Cousine.

Air : J’offre ici mon savoir faire.
10 Fille sage avec confiance
Attend l’hymen.

COLETTE.

Ah ! Que dis-tu ?
Plus elle est fille de vertu,
Et plus elle a d’impatience.
Plus elle est fille de vertu,
15 Plus elle a d’impatience.

MATHURINE

Il est vrai que cela coûte.

COLETTE.

Je vous en réponds.

Air : Nanon dormait.
Quand un Amant
Auprès de nous badine
Trop librement,
On fait bien la mutine ;
20 Mais, hélas ! En secret
On sent
Trois fois.
Qu’on l’a fait à regret !

Imite ma franchise, Cousine. Ne serais-tu pas bien-aise aussi d’être mariée ?

MATHURINE

Hé, mais...

COLETTE.

Tu fais la sotte. Achève.

MATHURINE

Je n’en serais pas fâchée.

COLETTE.

Tu t’imagines que c’est un grand bonheur, n’est-ce pas ?

MATHURINE

Sans doute.

COLETTE.

Air : Trop de plaisir, cher Tircis.
Même en dormant un faux hymen sait plaire.
Dans un sommeil je rêvais à Valère :
On m’éveilla : que j’en fus en colère !
25 Ah ! ah ! L’hymen s’allait faire !

MATHURINE

Oh, oh ! C’est donc Valère que vous aimez ?

COLETTE.

N’en vaut-il pas bien la peine ?

MATHURINE

Oui vraiment.

COLETTE.

Il est déjà sous-lieutenant d’infanterie.

MATHURINE

Peste ! Il est bien avancé !

COLETTE.

C’est qu’il a de grands amis, voyez-vous.

MATHURINE

Mais il est fils du Procureur Fiscal, et vous fille de Madame Thomas.

COLETTE.

Ma Cousine, je vous entends. Je sais que le Procureur-Fifcal et ma mère sont brouillés. Peut-être ma mère ne voudra-t-elle pas que j’épouse Valére. Je vais prier le Magister Nicolas de les réconcilier.

MATHURINE

Le Magister est homme d’esprit : je compte beaucoup sur lui.

COLETTE.

Je vais le trouver pour le presser de faire cet accommodement... Ma mère vient. Je te laisse avec elle.

SCÈNE II. Mathurine, Madame THOMAS. §

MATHURINE

Bonjour, ma Tante.

MADAME THOMAS, d’un air chagrin.

Bonjour, ma Nièce.

MATHURINE.

Air : Le beau, berger Tircis.
D’où vient ce sérieux,
Cet air triste et sauvage ?
Tout vous rit dans ces beaux lieux ;
Au plaisir tout vous engage.

MADAME THOMAS.

30 Que l’état du veuvage
Me paraît ennuyeux.

MATHURINE

Vous ne pleurez pas votre mari, peut-être ?

Air : Quand le péril est agréable.
Un vieil époux sombre et sévère
N’est regretté que faiblement :
L’époux même le plus charmant
35 Quelquefois ne l’est guère.

MADAME THOMAS.

Ah ! Ma chère nièce, tel que fût mon pauvre mari, il m’était d’un grand secours.

Air 15. Je ne suis né ni Roi, ni Prince.
Que de soins mon état renferme !
Une grande fille, une femme ;
Toujours des procès sur les bras ;
Tantôt acheter, tantôt vendre.
40 Sans mon pauvre Valet Lucas,
Saurois-je par quel bout m’y prendre?

Oui. Ce garçon-là fait toute ma consolation.

MATHURINE

Oh ! Pour cela, il a bien du mérite !

MADAME THOMAS.

N’est-ce pas, ma nièce ?

MATHURINE

Oui, vraiment, ma tante.

MADAME THOMAS.

Air : Tique, tique, taque.
Il n’est rien de plus parfait.
Bis.
Que cet aimable valet.
Bis.
À l’ouvrage il se démène :
45 Tique, tique, taque, et lon-lan-la ;
Il en vaut une douzaine.

MATHURINE

Le bon Valet que voilà !

MADAME THOMAS.

Tous les autres sont des fainéants ; lui seul est né pour le travail.

MATHURINE

C’est la pièce de résistance.

MADAME THOMAS.

Vous avez de l’esprit, ma nièce ; et je vous crois capable de me donner conseil sur une affaire importante. Je songe à me remarier.

MATHURINE surprise.

Ah, ah !

MADAME THOMAS.

Air 95 : Quand on a prononcé ce malheureux oui.
Ne t’imagine pas que ce soit par caprice ;
Mais je veux empêcher que mon bien ne périsse.
50 J’ai besoin d’un Mari vigilant, entendu ;
Et je pense à Lucas. Que me conseilles-tu ?

MATHURINE, froidement.

Tout ce qu’il vous plaira, ma Tante.

MADAME THOMAS.

Air 5 : Quand le péril est agréable.
Il est grand, il a belle face.
Là, franchement, ne crois-tu pas
Qu’il puisse du défunt Thomas
55 Fort bien remplir la place ?

MATHURINE, d’un air mécontent.

C’est votre affaire, ma Tante.

MADAME THOMAS.

Mais, est-ce que tu n’approuves pas mon choix ?

MATHURINE

Si vous voulez que je vous parle naturellement, je ne vois pas qu’il soit nécessaire que vous l’épousiez, puisqu’il fait vos affaires avec zèle.

MADAME THOMAS.

Air 56 : Pour passer doucement la vie.
Oh ! Ce sera bien autre chose,
Quand j’aurai joint son sort au mien.

MATHURINE

Quelle erreur !

Valet qui jamais ne repose,
Devenu Maître, ne fait rien.

MADAME THOMAS.

Je ne pense pas comme cela, moi. Je trouve que ce garçon-là est bien mon fait.

MATHURINE

Croyez-moi. Vous devriez plutôt penser à marier ma cousine.

MADAME THOMAS.

Oh ! Cela ne presse pas.

MATHURINE

Mais songez à ce que dira tout le village, si...

MADAME THOMAS.

Air 171 : Le Cabaret est mon réduit.
60 Je sais qu’il en fera grand bruit ;
Mais, ma foi, je n’en sais que rire :
Quand les gens auront tout dit,
Ils n’auront plus rien à dire,
Ils n’auront plus rien
3 fois.
à dire.

MATHURINE

C’est fort bien fait à vous.

MADAME THOMAS, fièrement

Ne suis-je pas maîtresse de mes volontés ?

MATHURINE

Assurément. Tenez. Voilà votre Lucas. Je vous laisse libres.

D’un air moqueur.

Adieu, ma Tante.

MADAME THOMAS, s7chement.

Adieu, ma Nièce. Allez. On n’a pas besoin de votre consentement pour faire cette affaire-là.

En colère.
1

Voyez un peu cette bégueule.

Mathurine lui fait la révérence et s’en va.

SCENE III. Madame Thomas, Lucas. §

LUCAS.

Qu’y a-t-il donc, notre Maîtresse ? Il semble que vous soyez en rogne.

MADAME THOMAS.

Air 7 : Tu croyais, en aimant Colette.
65 Mon ami, c’est contre ma Nièce,
Qui veut me donner des leçons.

LUCAS.

Voyez un peu la bonne pièce.
Mais, ma foi, je nous en gaussons.

MADAME THOMAS.

Pour cela, oui. Et dans le fond, je suis bien bonne de m’amuser à consulter une petite bête.

LUCAS.

C’est morgué bian dit. Vous ne devez consulter que vous-même, surtout dans la chose dont il s’agit.

MADAME THOMAS.

Comment donc, Lucas ! Sais-tu de quoi il était question entre nous ?

LUCAS.

Oh ! Pargué, je ne suis pas un sot. Tenez. Vous li parliez de çà.

Il se met le doigt sur le coeur, et il montre celui de Madame Thomas ; ce qu’il fait deux ou trois fois de suite.

MADAME THOMAS.

De quoi ?

LUCAS.

Air 19 : Ne m’entendez-vous pas.
Ne m’entendez vous pas ?
70 Est-ce un si grand mystère?
Vous voulez, un Compère
Fait tout comme Lucas.
Ne m’entendez vous pas?

MADAME THOMAS.

Je t’entends à merveilles. Tu as fort bien deviné.

LUCAS.

Oh, dame ! Je devine les fêtes quand alles sont arrivées.

MADAME THOMAS d’un air attendri.

Que tu as d’esprit, Coquin !

LUCAS.

D’autres que moi en avont itout de l’esprit, je vous en avartis.

MADAME THOMAS.

Hé, qui donc ?

LUCAS.

Gros-Jean, Maître Piarre le Tavarnier et Blaise le Veigneron. Je les acoutis tous trois jaboter hier a soir au travars d’une haye. Tâtigué, comme il en dégoisiont !

MADAME THOMAS.

Que disaient ils ?

LUCAS.

Voyez-vous ste Madame Thomas, ce faisiont-ils : voyez-vous comme alle se redresse.

D’une voix grosse.

Je gagerais, ce disait Gros-Jean, qu’al’ne sera pas encor tras mois sans reprendre du poil de la bête.

D’une voix aigre.

Pargué, ce faisait Maître Piarre, est-ce qu’vous ne fsavez pas bian qu’aile lorgne son valet Lucas ?

D’une voix enrouée.

Par ma foi, ce disait Blaise, ils se connaissont bian tous deux ; et si alle fait ce marché-là, al’n’achera pas chat en poche.

MADAME THOMAS.

Voyez un peu les médisants ! Mais je sais le moyen de les faire taire.

LUCAS.

2

Et moi, itout. Je n’avons besoin pour çà que du Curé et du Tabellion.

MADAME THOMAS.

C’est ce que je voulois dire, mon cher Lucas.

Air 64 : Lampons , lampons.
Oui, malgré tous les jaloux,.
Bis.
75 Tu deviendras mon époux :
Bis.
Je ferai ce mariage
À la barbe du Village.
Je veux, je veux,
Mon ami, te rendre heureux.

LUCAS, ôtant son chapeau.

C’est bian de l’honneur pour moi, dà. Mais il faudra que cela vase.

Il fait l’action de compter de l’argent.

MADAME THOMAS.

Tu seras content. Mais, sais-tu bien, mon poulet, ce que j’ai fait pour toi ?

Air 96 : Ton humeur est, Catherine.
80 J’ai méprisé la tendresse
Des plus huppés du Canton.

LUCAS.

Je vous pourrais bian, Maîtresse ;
Parler sur le même ton.
Vingt filles des plus fringantes,
85 Qui grillont pour mon musiau,
Se trouveriont bian contentes
De se charger de ma piau.

MADAME THOMAS.

Si j’avais voulu écouter certaines propositions, je serais à l’heure qu’il est une grosse Madame de Paris ; mais j’aime mieux un bon paysan qu’un Monsieur.

LUCAS.

Vous avez raison. Les paysans avont l’amiquié plus farme.

MADAME THOMAS.

Cours vite t’aquitter de la commission que je t’ai donnée. Je vais t’attendre au logis!

LUCAS.

Air 5 : Quand le péril est agréable.
Allez. Je vas bientôt vous suivre.

MADAME THOMAS.

Mon cher ami, ne tarde pas :
90 Tu sais que la pauvre Thomas
Sans toi ne saurait vivre.
Ils sortent tous deux, l’un d’un côté et l’autre de l’autre.

SCÈNE IV. Colette, Le Magister. §

LE MAGISTER.

Air 1 : Réveillez-vous belle endormie.
Cela suffit, belle Colette ;
J’entreprends l’accommodement.
La chose sera bien tôt faite :
95 Je n’entreprends rien vainement.

COLETTE.

Air 7 : Tu croyais, en aimant Colette.
Vous allez donc trouver ma Mère ?

LE MAGISTER.

Oui, ma mignonne, de ce pas.

COLETTE.

Parlez-lui bien...

LE MAGISTER.

Laissez-moi faire.

COLETTE.

Mais...

LE MAGISTER, s’en allant

Ne vous embarrassez pas.

SCENE V. §

COLETTE, seule.

Laissons agir Maître Nicolas ; et si par malheur il ne réussit point dans son entreprise, nous aurons recours à d’autres expédients.

Air 34 : La jeune Isabelle.
100 L’amour, cher Valére,
Nous unit tous deux.
Si le sort contraire
Traverse nos feux,
Le Dieu de Cythére,
105 Propice à nos voeux,
Fera son affaire
De nous rendre heureux.

SCÈNE VI. Colette, Valère. §

COLETTE.

Air 36 : Malheureuse journée !
Ah ! Je vous vois, Valére !

VALÈRE.

Ah ! Colette, c’est vous !
Se jetant avec transport à ses genoux.
110 Permettez-moi, ma chère,
D’embrasser vos genoux.

COLETTE.

Vous faites trop paraître.
L’empressement....

VALÈRE.

Hélas !
De moi puis-je être maître,
115 Quand je vois tant d’appas ?

Un baiser, ma chère Colette.

Air 46 : Ma raison s’en va beau train.
Un doux baiser seulement.

COLETTE, le repoussant.

Ah ! Valère doucement.

VALÈRE.

Ma Reine, quel tort... ?

COLETTE.

Calmez ce transport :
120 Votre ardeur est trop grande.
C’est à Paris qu’on prend d’abord ;
Au Village on demande,
Lonla,
Au Village on demande.

VALÈRE.

Je vous le demande aussi. Allons, ne faites donc point la villageoise. Un peu moins de sévérité.

COLETTE.

Air 172 : Je suis Madelon Friquet.
125 Vous allez bien vite au fait !
Connaissez un peu mieux Colette.
Vous allez bien vite au fait !
Quittez ce trop libre caquet.
Vous en seriez mal satisfait ;
130 Je pourrais de ma main blanchette...
Je vous le dis franc et net...

VALÈRE.

Oh ! Je vais m’exposer à tout.

Il veut la baiser, elle lui donne un soufflet.

COLETTE.

Je prendrai mon sérieux.

VALÈRE.

Vous vous fâchez ! Cela ne vous convient point : un air enjoué vous sied mieux.

COLETTE.

Air 71 : Sois complaisant, affable , débonnaire.
Mon enjouement
Vous donne un faux présage :
D’un tendre amant
135 J’aime assez le langage ;
Mais,
Avant notre mariage,
Rengainez tous vos souhaits.

VALÈRE.

Mais, je ne vous demandais que les arrhes du marché.

COLETTE.

Plus on donne de gages pour ce marché-là, et moins il tient.

VALÈRE.

Franchement, votre vertu sent le village.

COLETTE.

Je suis là-dessus Paysanne et demie.

VALÈRE.

Ah ! Belle Colette, connaissez mieux Valère à votre tour.

Air 201 : Je me plaignais d’une inhumaine.
Votre sévérité m’enchante,
140 Bien loin de me rendre confus :
Plus la faveur paraît charmante,
Et plus j’en aime le refus.

COLETTE.

Parlons sérieusement de nos affaires. Notre Magister s’est chargé de réconcilier nos parents.

VALÈRE.

Mais, s’il n’y réussit pas ?

COLETTE.

J’ai un autre moyen tout prêt.

VALÈRE.

J’en ai aussi imaginé un, qu’Arlequin mon Tambour est sur le point d’exécuter : mais si tous ces moyens deviennent inutiles, que ferons-nous ?

COLETTE.

Il faudra nous séparer.

Air 11 : On n’aime point dans nos forêts.
Nous séparer ! Qu’ai-je entendu !
Non, non, vous n’aimez plus Valère.

COLETTE.

145 Mais, quand tout espoir est perdu,
Cher amant, que voulez-vous faire.

VALÈRE.

En attendant un meilleur sort,
Nous aimer jusques à la mort.

J’aperçois mon père avec Maître Nicolas. Retirons-nous.

SCENE VII. Le Magister, Monsieur Griffart, Procureur Fiscal. §

LE MAGISTER.

3

Orsus, Monsieur le Procureur Fiscal, je crois vous en avoir assez dit pour vous persuader que vous devez, vous réconcilier avec Madame Thomas.

MONSIEUR GRIFFART.

Je me rends à vos raisons. Mon ressentiment s’éteint ; et je suis prêt à vivre en bonne union avec Madame Thomas, si elle le veut.

LE MAGISTER.

Oh ! Je vous réponds d’elle. La Voici. Tenez-vous un peu à l’écart. Je vais la prévenir.

SCÈNE VIII. Le Magister, Monsieur Griffart, Madame Thomas. §

LE MAGISTER.

Air 14 : Voulez-vous savoir qui de deux.
Arrêtez, Madame, deux mots.
150 Vous arrivez fort à propos.
Ne faites plus mauvaise mine
À notre Procureur Fiscal,
Je vous proteste, ma voisine,
Qu’il veut...

MADAME THOMAS, brusquement.

Que veut cet animal ?

MONSIEUR GRIFFART, à part

Elle fait la fâchée.

LE MAGISTER.

Air 22 : Le fameux Diogène.
155 Eh ! Parlez sans colère !

MADAME THOMAS.

Vraiment, j’ai bien affaire...

LE MAGISTER.

Oh ! Point d’emportement ?
D’un coeur franc et sincère,
Avec vous il veut faire
160 Son raccommodement.

MADAME THOMAS.

Ah ! Il veut se raccommoder tout de bon ?

LE MAGISTER.

Tout de bon.

Air précédent.
Répondez, je vous prie,
Madame, à son envie.

MADAME THOMAS.

Hé bien, soit. J’y consens.

LE MAGISTER.

Ma foi, c’est un bon diable.

MADAME THOMAS.

165 Puisqu’il est raisonnable,
C’est assez. Je me rends.

LE MAGISTER, au Procureur Fiscal.

Monsieur Griffart, vous l’entendez. Madame Thomas est un petit coeur de femme. Allons, embrassez-vous.

MONSIEUR GRIFFART, après avoir salué Madame Thomas, lui présente la main, en disant :

Air 69 : La Ceinture.
Oublions tous deux le passé ?
Vivons en bonne intelligence

MADAME THOMAS.

De mon coeur tout est effacé.
L’embrassant.
170 Voilà quelle en est l’assurance.

Malgré mon courroux, Monsieur Griffart, je n’ai jamais cessé de vous estimer.

LE MAGISTER.

J’en suis témoin.

MONSIEUR GRIFFART.

Quoique prévenu contre vous, Madame Thomas, je vous ai toujours regardée comme une femme de mérite.

LE MAGISTER.

Pour cela, oui.

MADAME THOMAS.

Quand j’ai rencontré des gens qui voulaient attaquer votre probité, je vous ai toujours rendu justice.

LE MAGISTER.

Elle est généreuse.

MONSIEUR GRIFFART.

Quand je me suis trouvé avec des médisants qui voulaient me rendre votre vertu suspecte ; oh ! Je leur ai bien dit ce que j’en pensais !

LE MAGISTER.

Il est charitable, Monsieur le Procureur Fiscal. Jarnicoton ! Je ne me sens pas d’aise d’avoir rapatrié deux esprits d’un si bon caractère. Que je vous embrasse.

Après les avoir embrassés.
Air 8 : Je reviendrai demain au soir.
Que cette paix, mes chers enfans ,
Bis.
Puisse durer long-tems.
Maudit le festin malheureux
Bis.
Qui vous brouilla tous deux.

MADAME THOMAS.

Il est vrai que ce jour-là Monsieur le Procureur Fiscal n’était pas de bonne humeur.

MONSIEUR GRIFFART.

De bonne humeur ! Oh ! Pardi, c’est vous qui prîtes un travers.

MADAME THOMAS.

Un travers ! Moi, prendre un travers ! Oh ! J’ai trop d’esprit pour cela. C’est vous qui n’entendez quelquefois ni rime ni raison.

LE MAGISTER.

Eh ! Laissons-là ce festin!

MADAME THOMAS.

Vous n’êtes qu’un bourru, qu’un brutal, qu’un emporté.

MONSIEUR GRIFFART, d’un ton menaçant.

Madame Thomas !

MADAME THOMAS du même ton.

Monsieur Griffart !

LE MAGISTER.

Que diable...

MADAME THOMAS en colère.

Allez. Si je vous jetai une assiette à la tête, vous le méritiez bien.

LE MAGISTER.

Eh ! Madame Thomas !

MONSIEUR GRIFFART.

Et vous, vous méritiez bien aussi tous les noms que je vous donnai.

LE MAGISTER.

Mais , mais , mais...

MADAME THOMAS criant de toute sa force.

Tous les noms ! Tous les noms ! Allez, mon ami, vous êtes un plaisant sot.

MONSIEUR GRIFFART, fort irrité.

Vous croyez parler encore à votre benêt de mari. Vous êtes une extravagante.

MADAME THOMAS voulant se jetter sur lui.

Ah ! Fripon, il faut que je te...

LE MAGISTER, arrêtant Madame Thomas.

Que voulez-vous faire ?

MADAME THOMAS

Le dévisager.

MONSIEUR GRIFFART, bouillant de colère.

Allez. Vous êtes une... Vous êtes une... Vous êtes une femme.

Mosnieur Griffart et Madame Thomas se retirent chacun de son côté fort irrités.

SCÈNE IX. §

LE MAGISTER, seul.

Voilà de la besogne bien faite ! Je les ai mis un peu plus mal ensemble qu’ils n’étaient.

SCÈNE X. Le Magister , Colette, Mathurine. §

COLETTE au Magister.

Air 121 : Vous y perdez vos pas, Nicolas.
175 Hé bien , quelles nouvelles ?
Avez vous fait la paix?

LE MAGISTER.

Hélas! Ils font, les Belles ,
Plus divisés que jamais.
Il s’en va.

MATHURINE à Colette.

Il a perdu ses pas,
180 Nicolas,
Voilà votre hymen à bas.

SCÈNE XI. Colette, Mathurine. §

COLETTE.

Oh, que non ! Puisque le Magister n’a pas réussi, je vais employer la ruse que je t’ai dite.

MATHURINE

Feindre de l’amour pour Lucas ?

COLETTE.

Justement. Cela donnera de la jalousie à ma mère.

Air 38 : Les Feuillantines.
Qui, dans son jaloux effroi,
Je le crois,
Va se défaire de moi.

MATHURINE

185 Vous êtes ingénieuse.

COLETTE.

C’est que
Bis.
suis amoureuse.

MATHURINE bas.

Eh ! Le voilà, Lucas !

COLETTE.

Parlons de lui, sans faire semblant de l’apercevoir.

SCÈNE XII. Colette, Mathurine, Lucas à l’écart. §

COLETTE.

Air 173 : Iris au bord de Seine.
Apprend, mais sois discrète
Que j’aime ce Lucas.
S’il savait sur Colette
190 Ce qu’ont fait ses appas,
Que deviendrais je, hélas !

LUCAS, à part.

Oh, oh ! Alles parlont de moi ! Accoutons.

MATHURINE.

Air 9 : Quel plaisir de voir Claudine.
Lucas a donc su vous plaire ?

COLETTE.

Je te l’avoue aujourd’hui.
T’étonnes-tu que ma mère
195 Ait pris tant de goût pour lui ?

MATHURINE

Non, vraiment.

LUCAS, à part.

Colette m’aime ! Qui diantre l’aurait deviné ?

COLETTE.

Air 174 : Tourelourirette.
Sa taille est charmante.

MATHURINE

J’admire sa voix.

LUCAS, riant.

Hé, hé, hé, hé, hé, hé.

COLETTE.

Mais ce qui m’enchante,
C’est son beau, tourelourirette,
200 C’est son beau, lan-la derirette,
C’est son beau minois.

LUCAS, à part.

Fatigué ! Comme alle en tient !

COLETTE.

Air 175 : Quand ma mère était jeunette.
Oui, je prétends satisfaire
Ma nouvelle flamme ;
De Lucas, malgré ma mère,
205 Je veux être femme.
Si l’on ne me donn’ ce garçon-là,
On verra tout ce qu’on verra :
J’en ferai la folie,
Ma mie,
210 J’en ferai la folie.

LUCAS, paraît et chante :

Air 176 : Vous avez raison, la Plante.
Vous avez raison, la Plante,
Il est bon sur ce ton-là, Larira.

COLETTE feignant d’être surprise, pousse un grand cri.

Ah !

LUCAS.

Oh, oh ! Vous m’aimez donc, Mademoiselle Colette ? Eh ! Vous n’en sonniez mot.

COLETTE.

Air 75 : Un petit moment plus tard.
Mais, qui t’a donc mis dans l’esprit
Que Colette t’aime ?
215 Puis-je savoir qui te l’a dit ?

LUCAS.

Parguié , c’est vous-même.
Vous disiez présentement...

COLETTE.

Quoi, tu m’as entendue ?

LUCAS.

Que vous m’aimiez tendrement.

COLETTE.

220 Je suis, je suis perdue !

LUCAS.

Le grand malheur !

COLETTE.

Assurément, c’en est un ; car tu l’iras peut-être dire à ma mère.

LUCAS.

Nennin, nennin, je ne li dirai pas. Al’ne sait morgué pas tout ce que je fais : Queuque sot. Après tout, quand al’le sauroit , est-ce qu’al’ me r’abattroit ça sur mes gages ?

MATHURINE

Tu la connais. Elle ferait un beau vacarme.

LUCAS.

Hé ! Palsanguié, qui s’en soucie ? Acoutez, Mademoiselle Colette. Il gn’ya qu’un mot qui sarve. Si vous vlez je l’enverrai au barniquet.

MATHURINE

C’est parler net.

COLETTE.

Air 69 : La Ceinture.
Quoi, Lucas, tu voudrais pour moi
Renoncer au coeur de ma mère ?

LUCAS.

J’aime mieux être, par ma foi,
Son gendre, que votre biau-père.

MATHURINE à Colette.

Te voilà ravie, ma Cousine.

LUCAS.

Air 26 : Talalerire.
225 Ah ! J’ai le coeur chaud comme braise,
Charmante Colette, pour vous !

COLETTE.

Fripon, tu seras donc bienaise,
Quand tu deviendras mon Epoux ?

LUCAS.

Nuit et jour vous m’entendrez dire :
230 Talaleri, talaleri, talalerie.
Il veut l’embrasser.

COLETTE, se défendant.

Air 84 : De quoi vous plaignez-vous.
Ah ! Lucas, tenez-vous!
Ayez de la politesse.
Ah ! Lucas, tenez vous !
Et craignez mon courroux.

LUCAS.

235 Oh ! J’aime à rire sans cesse ;
À batifoler toujours,
À pousser la tendresse
Tout au travers des choux.

MATHURINE

Quel drôle !

COLETTE.

Tu prends un mauvais parti.

LUCAS.

Air 177 : Est-ce ainsi qu’on prend les Belles ?
On dit qu’avec les fumelles
240 Il faut être comme ça.

COLETTE.

Non, non, toujours auprès d’elles
Un air poli l’emporta.
C’est ainsi qu’on prend les Belles.
Lon, lan-la, o gué, lon-la.

LUCAS.

Serpedié ! Vous ne chassez pas de race !

COLETTE.

Que veux-tu dire par-là.

LUCAS.

Je veux dire que votre mère n’aime pas tant la poulitesse que vous.

SCÈNE XIII. Colette, Maturine, Lucas, Madame Thomas derrière eux, sans en être aperçue. §

MADAME THOMAS, à part.

Ah, ha ! Lucas avec ma fille !

LUCAS, riant.

Hé , hé, hé, hé, hé.

COLETTE.

Qu’as-tu à rire ?

MATHURINE

Pourquoi ris-tu?

LUCAS.

Je ris de ce que...

Il rit encore.

Hé, hé, hé, hé, hé.

COLETTE.

Explique-toi donc.

LUCAS.

Je ris de ce que votre mère...

Il continue de rire.

Hé, hé, hé, hé, hé.

MATHURINE

Hé bien ?

LUCAS.

Aile croit bonnement que je l’épouserai ; mais, prrr.

MADAME THOMAS à part.

Qu’entends je !

LUCAS.

A l’a déjà fait avartir les ménêtriers pour note noce. Alle payera les violons ; mais jarnonbille , je danserons pour elle.

MADAME THOMAS à part

Le Coquin !

COLETTE.

Diantre ! Cela est déjà bien avancé.

LUCAS.

Le bon de l’affaire, c’est qu’al’ ne sait pas que Colette m’aime, et que j’aime itout Colette.

MADAME THOMAS, à part,

Le traître !

LUCAS.

Air 119 : Mirlababibobette.
245 Tâtigné ! Madame Thomas,
Mirlababibobette ;
Queu fracas
Alle fera, belle Colette.
Mirlababi, farlababo , mirlababibobette.

MADAME THOMAS, en furie, se montrant tout-à-coup, et continuant l’Air :

250 Sarlababorita

COLETTE contrefaisant l’épouvantée.

Ah !

MATHURINE

Ô Ciel !

LUCAS étonné, et achevant l’Air:

Oh ! La voilà.

MADAME THOMAS, à Colette.

Air 36 : Malheureuse journée !
Petite Impertinence,
Comment donc à mes yeux...

MATHURINE

Ne grondez point, ma Tante.

MADAME THOMAS à Colette et à Mathurine

Ôtez vous de ces lieux.
À Lucas.
255 Et toi, traître, volage... !

LUCAS, à part.

Que ne suis je en un trou !

MADAME THOMAS se jettant sur Lucas,

Il faut que dans ma rage
Je te coupe le cou.

MATHURINE

Air 65 : Voici les Dragons qui viennent.
Quelle fureur est la tienne !
260 Vite sauvons-nous.
Elles s’en vont.

LUCAS.

Couper le cou tatiguienne !
Il est bon que le cou tienne,
À Madame Thomas qui le houspille.
Arrêtez-vous,
Arrêtez vous.

SCÈNE XIV. Lucas, Madame Thomas. §

MADAME THOMAS, toujours en colère.

Air 95 : Quand on a prononcé ce malheureux oui.
265 Tu m’abandonnes donc aujourd’hui pour Colette,
Toi, que depuis quinze ans j’élève à la brochette !

LUCAS.

Mais, Madame Thomas...

MADAME THOMAS.

Ah ! Perfide, tais-toi !
Où seras tu jamais plus heureux que chez moi ?
Air 10 : Mon père, je viens devant vous.
Ne trouves-tu pas le matin ,
270 Pour te raccommoder la panse,
Du pain blanc et d’excellent vin ?
On double au dîné ta pitance ;
Au soupé, ne garde-toi pas
Le jus de l’éclanche à Lucas ?

LUCAS.

Si vous me nourrissez bian, je travaille de même. La besogne est forte cheux vous.

MADAME THOMAS.

Hé bien, petit inconstant, petit scélérat, j’y consens. Va. Épouse Colette. Mais tu n’auras pas le sou, je t’en avertis.

LUCAS, à part.

Ce n’est pas-là mon compte.

MADAME THOMAS.

Tu mourras de faim.

LUCAS, à part.

Malepeste ! Serviteur à Colette. Tenons-nous au gros de l’arbre.

MADAME THOMAS.

Grand-Jacques profitera de ta folie ; je l’épouserai.

LUCAS, haut.

Ah ! Voyez donc comme alle se fâche !

MADAME THOMAS.

Je n’en ai pas sujet, n’est-ce pas ?

LUCAS.

Bon. Allez. Tout ce que j’ai dit à Colette n’était que pour rire.

MADAME THOMAS.

Pour rire !

LUCAS.

Vous croyez donc que je ne vous ai pas apparçue ? Eh non ! J’ai dit comme çà, à part moi : Vla Madame Thomas qui vient à pas de loup, pour nous accouter ; baillons-li un peu la venette.

MADAME THOMAS.

Quoi, Lucas, il n’est donc pas vrai que tu aimes Colette ?

LUCAS.

Fi donc ! Vla encore une plaisante morveuse. Vous m’avez dégoûté, Madame Thomas, vous m’avez dégoûté de la jeunesse.

MADAME THOMAS.

Air 136 : L’autre nuit j’aperçus en songe.
275 Est-il bien vrai, m’es-tu fidèle ?

LUCAS.

Oui, je le suis, n’en doutez pas.
Vos écus ont bien plus d’appas
Que les yeux d’une Parronelle.

MADAME THOMAS lui tendant la main.

Sur ce pied-là, faisons la paix :
280 Lucas, lions-nous pour jamais.

Attend-moi ici. Je vais parler au Tabellion. Je reviendrai te joindre.

SCÈNE XV. §

LUCAS, seul, riant.

Comme les femmes qui aimont baillent dans le pagniau.... Ah, ah ! Voici le Tambour de la Compagnie de Monsieur Valére.

SCÈNE XVI. Lucas, Arlequin, Tambour. §

Il a une bouteille pendue à sa ceinture et deux verres à son chapeau.

ARLEQUIN, chante en battant le tambour.

4
Air : Grand Duc de Savoie, à quoi penses-tu ?
Si des Vilageoises,
Avec leur fierté !
Vivent nos grivoises,
J’en suis enchanté.
285 Souvent au Village
On nous fait souffrir ;
Au Camp la plus sage
À nous vient s’offrir.

LUCAS.

Courage, courage, Monsieur Arlequin. Vous êtes toujours un drôle de corps.

ARLEQUIN.

Air 32 : Du haut eu bas. Rondeau.
Tambour battant.
290 Mon cher Lucas, je me promène,
Tambour battant.
De mon sort je suis fort content ;
Bon pain, bon vin, bon Capitaine,
5
Avec un tendron que je mène
295 Tambour battant.

LUCAS.

Pardi ! Vous n’engendrez point de mélancolie, Monsieur Arlequin.

ARLEQUIN.

6

Non, vraiment. Ni vous non plus, Monsieur Lucas ; vous qui êtes la coqueluche de Nanterre, et le factoton de Madame Thomas.

LUCAS.

Je ne suis encore que le garçon de la Farme ; mais , entre nous, j’en serai biantôt queuqne chose de plus, dà.

Air : Et je l’ai pris pour mon Valet.
Je vais de Madame Thomas
Tarminer le veuvage.

ARLEQUIN, sautant au cou de Lucas.

Que je t’embrasse, cher Lucas.
C’est une veuve sage :
300 Elle te prend pour son mari,
À cause de ton teint fleuri.

LUCAS, sautant et répétant les deux derniers vers.

Oui.

Elle me prend pour son mari,
À cause de mon teint fleuri.

ARLEQUIN.

Je l’en estime d’avantage. C’est une brave femme. Il faut boire à sa santé.

LUCAS.

Tope.

ARLEQUIN, ayant donné un verre à Lucas, et lui ayant versé du vin.

Air 135 : Les fanatiques.
Allons, buvons à la santé
305 De cette grosse mère.
Ils boivent.
Sans oublier la Beauté
Dont est charmé Valere,
Ils boivent encore.
Trinque à la postérité
Dont tu dois être père.
Ils 3recommencent à boire.

LUCAS.

Morgué ! Vla de bon vin. Varsez-m’en encore. À vous et à moi présentement.

ARLEQUIN, choquant avec lui.

Allons, à nous deux.

LUCAS, après avoir vidé son verre.

Hoçà, à st’heure, à qui boirons-je ? Pargué, à votre amoureuse, Monsieur Arlequin.

ARLEQUIN, lui versant encore du vin.

Je vous remercie, mon ami.

Air 180. Pavanne d’Enée.
310 Lucas est un bon garçon,
Il entend bien à vider un flacon.
Oh ! Par ma foi, c’est grand dommage
Qu’il croupisse en un Village !
Il aurait fait l’ornement
315 Du plus célèbre Régiment.

LUCAS.

Oui ; mais il ne faut qu’un coup feulement
Pour bouttre un homme au monument.

ARLEQUIN.

Tu crains la mort, parce que tu n’y ès pas fait. Tiens. Si tu avais seulement deux Campagnes par devers toi, tu écouterais ronfler le canon comme une flûte douce,

LUCAS.

7

Jarni ! Si je savais ça, je me bouttrois tout-à-l’heure dans le sarvice.

ARLEQUIN.

Tu t’y accoutumeras, te dis-je...

LUCAS.

J’aimerais à ne sarvir que dans les Revues.

ARLEQUIN.

Sur ce pied-là tu peux t’engager à présent. Nous sommes en paix ; il n’y a rien à risquer. Buvons un coup : un verre de vin porte conseil.

Ils boivent de nouveau.

LUCAS, apres avoir bu.

Air 3 : Bannissons d’ici l’humeur noire.
Oh ! Ce n’est pas que je balance !
J’ai du coeur comme un enragé :
320 Mais, si la guerre recommence,
Je prétends avoir mon congé.

ARLEQUIN.

Cela va sans dire. Allons, mon Brave, à la santé du Roi.

Il lui verse encore du vin.

LUCAS, choquant le verre.

Allons, oui. Vive la guerre pendant la paix.

SCÈNE XVII. Lucas, Arlequin, Valère. §

ARLEQUIN, à part.

Bon. Voici Monsieur Valére.

VALÈRE, à part.

Je ne sais si Arlequin aura réussi.

ARLEQUIN, à Lucas.

Camarade saluez votre Officier.

À Valére.

Monsieur, vous voyez dans ce garçon-là un des meilleurs soldats de votre Compagnie.

VALÈRE.

Cela me fait plaisir. Lucas est un bon enfant. LJa, mes amis, j’ai ordre de partir demain pour aller joindre le Régiment en Flandres. Nous allons apparemment recommencer la guerre.

LUCAS.

Oui ; Je demande donc mon congé. Je ne me suis engagé qu’à condition que je ne sarvirois point pendant la guerre.

VALÈRE, prenant Lucas par l’épaule.

Allons, allons. Point tant de raisons. Tu es engagé, tu marcheras.

Lucas se met à pleurer et crier de toutes ses forces.

SCÈNE XVIII ET DERNIÈRE. Valère, Arlequin, Lucas, Madame Thomas, Colette, Mathurine, Troupe de Paysans et de Paysannes dansants. §

MADAME THOMAS, effrayée.

Qu’y a-t-il donc, Lucas ! Que t’a-t-on fait ?

LUCAS, pleurant.

Ce sont ces vendeurs de chair humaine, qui m’avont enroullé pour la guerre.

MADAME THOMAS, à Valére.

Air 6 : Menuet de Monsieur de Grandval.
Allez, allez, Monsieur Valére,
Je m’en souviendrai plus d’un jour.
Vous voulez venger votre père,
325 En me jouant ce mauvais tour.

VALÈRE.

Madame, vous me connaissez mal. La fuite vous désabusera.

LUCAS, d’un ton piteux.

Oui ; mais il faudra donc toujours que je marche à bon compte ?

ARLEQUIN.

Sans doute ; et c’est trop perdre de temps. Partons.

LUCAS, pleurant.

Eh ! Madame Thomas !

MADAME THOMAS.

Tout beau, Messieurs. J’ai de quoi le racheter. Combien vous faut-il ?

ARLEQUIN.

Cent pistoles.

Air 38 : Les Feuillantines.
Grand, carré, de bon aloi,
Dans l’emploi
Il servira bien le Roi.
Peut-on trop payer la taille ?

MADAME THOMAS.

Mais, cent pistoles !

ARLEQUIN.

8
330 Sans en rabattre une maille.

MADAME THOMAS.

Même Air :
S’il est propre pour le Roi,
Par ma foi ,
Il l’est encor plus pour moi.
Pour payer sa délivrance
335 Voici de bonne finance.
Tirant sa bourse.

Puisqu’il n’y a rien à rabattre, je vais vous compter les cent pistoles.

À Lucas.

Heu ! L’étourdi ! Vois ce que tu me coûtes.

LUCAS.

Air 46 : Ma raison s’en va beau train.
Eh ! Là , là, Maman Thomas,
Ne me le reprochez pas !
Je bêcherai tant ,
Je piocherai tant ;
340 Un peu de patience :
Ne plaignez point votre comptant,
J’en tirerons quittance,
Lon-là,
J’en tirerons quittance.
Madame Thomas présente sa bourse à Valère qui la refuse.

VALÈRE.

Votre argent ne me tente point, Madame ; la possession de l’aimable Colette peut seule me toucher. Ce n’est qu’à cela que la liberté de Lucas est attachée.

ARLEQUIN.

Vous voyez bien que nous nous mettons à la raison.

MADAME THOMAS, regardant Colette.

Air : Tes beaux yeux ma Nicole.
345 Je vois tout le mystère.
Ah ! Coquine, c’est vous...

COLETTE.

Maman, point de colère.
Donnez-moi cet époux.
Par-là, vous allez faire
350 D’une pierre deux coups ;
En m’accordant Valère
Lucas sera pour vous.

LUCAS.

C’est bian dit.

MADAME THOMAS à Valére.

Monsieur, j’ai des raison pour vous refuser ma fille.

VALÈRE.

Madame, j’ai aussi les miennes pour vous refuser Lucas.

MADAME THOMAS.

Ma fille demeurera auprès de moi.

ARLEQUIN.

Lucas demeurera dans le Régiment.

À Lucas, le prenant au collet, et le secouant.

Allons, marche.

LUCAS, pleurant.

Madame Thomas !

VALÈRE.

Vous avez pris votre parti, Madame. Adieu.

ARLEQUIN à Lucas, lui donnant un coup de poing dans l’estomac.

Marche.

LUCAS, pleurant.

Vous m’abandonnez donc, Madame Thomas.

MADAME THOMAS à Valère.

Arrêtez, Valére. J’aime mieux vous donner deux cens pistoles.

COLETTE.

Ma chère mère, épargnez votre argent.

VALÈRE.

Madame, cela est inutile.

ARLEQUIN.

Non, non. Nous allons joindre le Régiment !

À Lucas, lui appuyant le pied sur le ventre.

Marche, Gueux, marche.

LUCAS, criant de toutes ses forces.

Madame Thomas. Eh ! Bâillez-li votre fille !

MADAME THOMAS, à Valére.

Monsieur, voulez-vous mille écus ?

VALÈRE.

Madame, vous m’en offririez cent mille inutilement.

ARLEQUIN.

Il n’en démordra pas.

MADAME THOMAS, poussant un grand soupir.

Puisqu’on ne peut s’en tirer autrement, je vous accorde donc ma fille.

COLETTE transportée de joie.

Ma chère mère !...

VALÈRE, embrassant Madame Thomas.

Madame, vous me rendez le plus heureux de tous les hommes.

LUCAS sautant.

Vivat. Mon enroullement a fait marveilles.

ARLEQUIN, présentant Lucas à Madame Thomas.

Et moi, par reconnaissance, je vous donne Lucas.

MADAME THOMAS.

Que tous ceux que j’avais invités à mes noces viennent célébrer ce double mariage.

On danse.

MATHURINE, après la danse, chante l’Air suivant.

Air 211 : De Monsieur Gillier.
Madame Thomas
Épouse Lucas.
355 Célébrons ce mariage.
Elle agit en femme sage :
Il fait déjà son tracas ;
Il est fait à son ménage.

ARLEQUIN, à Madame Thomas,

Air 212 : De Monsieur Gellier.
Madame Thomas,
360 En prenant Lucas,
Vous prenez la fleur de Nanterre ;
Vous ôtez au Dieu des Combats
Un vrai fier-à-bras,
Un foudre de guerre.
La danse reprend ce qui finit la pièce.