PROVERBE de VOYAGE DE CAMPAGNE
Par Madame la Comtesse de M***
avec les comédies en proverbe de Madame D***

M. DC IC. Avec approbation et privilège du Roi.

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À PARIS, Chez PRAULT Père, Quai de Gêvres, au Paradis.
1

ACTEURS. §

  • MADAME DE VIEILLARDIS.
  • LE CHEVALIER.
  • CATOS.
  • CHAMPAGNE.
La scène est à Paris, dans la maison de madame de Falignac.

PROVERBE. §

CATOS.

Monsieur Champagne, franchement vous avez un maître fort téméraire : croit-il dire impunément des douceurs à madame de Vieillardis ? Elle prend feu plus aisément qu’une autre : son mari est son serviteur très obéissant, il ne songe pas à la contrarier ; et quand il le hasarderait, ce serait peine perdue : elle a une pente à l’amour, que soixante ans, et vingt héritiers qu’elle a donnés à la maison de Vieillardis, n’ont fait qu’augmenter jusqu’ici.

CHAMPAGNE.

Oh ! Je le crois bien, mademoiselle Catos : j’ai toujours entendu dire aux connaisseurs, que l’amour augmente en vieillissant dans le cour des femmes : ce serait une belle chose s’il en était autant des hommes ; mais malheureusement, cela n’est pas ainsi ; et cela fait que les vieilles amoureuses ne trouvent des amants que l’argent à la main.

CATOS.

Oui ; mais Madame de Vieillardis croit avoir été faite par les grâces, et que l’ouvrage de ces déesses-là ne se gâte point. On l’encense tous les jours à brûle-pourpoint, pour se moquer d’elle ; et son amour propre lui garantit bon, tout ce qu’on lui dit sur ce ton-là.

CHAMPAGNE.

Avouez, mademoiselle Catos, que c’est une terrible machine que la femme, et que...

CATOS.

Taisez-vous Champagne ; je n’aime pas la physique ; mais dès que j’entends parler de machines, je m’enfuis, ou je me bouche les oreilles.

CHAMPAGNE.

J’avais pourtant bien quelque petit discours physique à vous faire, et les mouvements que je sens dans mon cour, me serviraient à vous prouver que...

CATOS.

Oh ! Encore une fois ; taisez-vous, aussi bien voici madame.

MADAME DE VIEILLARDIS.

Bonjour, mon pauvre Champagne ; où est ton maître aujourd’hui ?

CHAMPAGNE.

Madame, je le croyais auprès de vous : il faut qu’il ait des affaires bien considérables, quand il s’en sépare un moment : Aussi a-t-il grande raison; belle et jeune comme vous êtes, où pourrait-il être mieux ?

MADAME DE VIEILLARDIS.

Hélas, mon pauvre ami, les hommes sont bizarres ! S’il est vrai que je suis belle, c’est une chose assez visible ; et quand on n’a que trente ans, je crois qu’on peut encore passer pour jeune.

CATOS, à part.

Sa fille en a pourtant quarante-cinq.

MADAME DE VIEILLARDIS.

Que dis-tu, Catos ?

CATOS.

Je dis, madame, que mademoiselle votre fille a le plus grand tort du monde d’en paraître quarante-cinq.

MADAME DE VIEILLARDIS.

Et si, Catos, ne parlons point d’elle ; c’est une chose que je n’ai jamais comprise, quand je la vois de la figure dont elle est : car enfin, encore une fois, je n’ai que trente ans au plus ; c’est une vérité constante. Mais j’aperçois le chevalier : Approchez, approchez, petit fripon ; on ne vous a vu d’aujourd’hui.

LE CHEVALIER.

J’en suis le premier puni, madame, puisque je ne vous ai point vue ; c’est une absence cruelle : et quand on rentre chez vous, on est toujours si ébloui des nouvelles grâces qu’on vous retrouve, et du brillant de vos yeux, qu’on sent bien qu’il n’y a que l’habitude qui puisse faire soutenir l’un et l’autre.

MADAME DE VIEILLARDIS.

On est pourtant assez gracieuse pour vous : on tâche à tempérer ce qu’il peut y avoir de trop éclatant dans les regards ; mais l’amour y ajoute des feux, quand on en retranche les éclairs.

LE CHEVALIER.

Et toujours de l’esprit de plus en plus, madame ! Trop heureux de contempler à tous moment vos beautés, et de goûter les charmes de vos divines conversations ! Mais ne me refusez pas votre belle main, pour m’assurer que vous ne me retrancherez jamais la liberté de vous voir.

MADAME DE VIEILLARDIS.

Tenez, chevalier; vous peut-on refuser quelque chose ?

LE CHEVALIER, en baisant la main de madame Vieillardis.

Quelle main ! Qui peut être à l’heure qu’il est aussi heureux que moi ? Mais voilà une bague dont je suis jaloux : elle a le plaisir de toucher vos doigts ; elle n’y restera pas assurément ; et je vais la faire passer dans les miens, pour la punir de trop de douceurs qu’elle a goûtées.

MADAME DE VIEILLARDIS.

Petit badin, allez, je vous la donne : elle est de deux cents pistoles ; mais c’est une bagatelle, et j’ai à vous entretenir en particulier de choses plus intéressantes. Passons dans mon cabinet.

LE CHEVALIER, à Champagne, en s’en allant.

Ah, Champagne, je meurs de peur !

CHAMPAGNE, riant.

À votre avis, mademoiselle Catos, de quoi Madame de Vieillardis va-t-elle entretenir mon maître ?

CATOS.

Oh ! Mais que sais-je ? De mariage, peut-être ; peut-être aussi de physique.

CHAMPAGNE.

Comment, de mariage ! Et n’a-t-elle pas un mari ?

CATOS.

Oui ; mais elle croit toujours qu’il va mourir : enfin ce sera toujours de quelque chose comme cela qu’elle l’entretiendra.

MADAME DE VIEILLARDIS.

2

Catos, Champagne, au secours ; de l’eau, de la reine d’Hongrie ; du vinaigre.

CATOS.

Eh, mon Dieu ! Qu’est-ce que tout ceci ?

MADAME DE VIEILLARDIS.

Ce pauvre garçon m’aime avec une délicatesse si parfaite , qu’au seul aveu que je lui ai sait de la passion que j’ai pour lui, il s’est évanoui à mes pieds.

CATOS.

Oh ! Ce n’est que cela ? Je croyais que tout était perdu : Je ne m’étonne pas de ce mal subit : il n’y a personne qu’une telle déclaration ne fasse tomber de son haut.

MADAME DE VIEILLARDIS.

Je vais chercher d’un élixir excellent contre les faiblesses.

CHAMPAGNE.

Monsieur, sortez ; il n’y a ici que mademoiselle Catos et moi.

LE CHEVALIER.

Ma foi, sans mon évanouissement, je ne sais ce que je serais devenu. On ne m’y ratrappera de ma vie.

CHAMPAGNE.

Parbleu , monsieur, je vous trouvais aussi fort téméraire, d’aller essuyer un tête-à-tête avec une madame de Vieillardis.

LE CHEVALIER.

Vraiment, j’en avais assez peur : mais un diamant de deux cents pistoles, que j’avais fait si subtilement passer de son doigt au mien, méritait quelque complaisance. Mais je ne risquerai plus de ces aventures-là.

CATOS.

Ma foi, monsieur, partez donc ? Car elle est allée quérir d’un élixir propre à réparer les forces : II ne vous serait plus permis après cela de vous évanouir, une seconde fois.

LE CHEVALIER.

Adieu, Catos ; je suis, pour éviter son retour.

CATOS.

La vieille sera bien surprise ; quand elle ne trouvera plus l’évanoui !

MADAME DE VIEILLARDIS, revenant.

Catos, où est le chevalier ?

CATOS.

Nous l’avons fait revenir, madame ; et aussitôt il est parti avec son Champagne, qui a bien de la peine à le traîner : il est si honteux de cet accident, qu’il dit qu’il n’osera plus se présenter devant vous.

MADAME DE VIEILLARDIS, revenant.

Hélas ! Le pauvre enfant, qu’il a le cour bon ! Voilà une bouteille, ma chère Catos, que je ne donnerais pas pour cent mille écus : il n’aura pas sitôt pris une goutte ; de la liqueur qu’elle renferme, qu’il sera guéri. Appelle-moi quelqu’un, pour que j’envoie savoir de ses nouvelles, en attendant que mes chevaux soient à mon carrosse, pour aller moi-même m’en informer.