ESTHER
TRAGÉDIE

M. DC. XXXXIV. AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

De P. DU RYER.

Extrait du Privilège du Roi. §

Par grâce et Privilège du Roi, donné à Paris, le quinzième jour de Juillet mil six cent quarante-trois ; il est permis à Anthoine de Sommaville, et Auguste Courbé, Marchands Libraires à Paris, de faire imprimer, vendre et débiter en tous lieux de notre obéissance, une Pièce de Théâtre, intitulée, Esther, Tragédie de P. Du Ryer. Et défenses sont faites à tous Imprimeurs et Libraires, ou autres, sinon de leur consentement, d’en faire imprimer, vendre ni distribuer aucune autre que de l’Impression qu’ils ont fait faire, sous les peines portées par lesdites Lettres.

Les exemplaires ont été fournis.

<imprimeur id="SOMMAVILLE">À PARIS, Chez Antoine de Sommaville, Au Palais, en la salle des Merciers, à l’Écu de France et Augustin Courbé, Libraire et Imprimeur de Monseigneur le Duc d’Orléans, en la même salle, à la Palme.</imprimeur>
Achevé d’imprimer pour la première fois le 30. Mars 1644.

PRÉFACE §

Il semble que cette pièce ne porte pas le titre qui lui serait le plus convenable, et qu’au lieu de l’appeler Esther, elle devrait être appelée, la Délivrance des Juifs. En effet toutes choses y contribuent au salut, et à la conservation de ce peuple, l’orgueil de Vasthi, la beauté d’Esther, l’amour d’Assuérus, ou d’Artaxerce Roi de Perse, les Injustices d’Haman, et les soins de Mardochée. Enfin la délivrance des Juifs est le but et comme la principale action de cette Tragédie ; et c’est le titre qu’elle devrait légitimement porter, si l’on se mettait toujours en peine de donner aux pièces de Théâtre les noms qui leur conviennent le mieux. Mais puisque l’Écriture sainte n’a pas donné un autre nom à cette Histoire, je crois que je n’ai pas dû le changer ; et qu’il était plus raisonnable de suivre et de respecter l’Écriture, que les règles du théâtre. Ce n’est pas que le nom d’Esther ne puisse aussi convenir à cet ouvrage ; car puisqu’elle en est l’héroïne, que tout se fait en sa faveur, et qu’elle est cause de tout, il n’y aurait pas grande apparence de commencer par le titre à censurer cette Pièce. Au reste j’ai cru qu’il était besoin de dire que la délivrance des Juifs est la fin et le but que se propose cet ouvrage, afin de satisfaire ceux qui me pourraient demander où est l’unité d’action.

LES PERSONNAGES. §

  • ESTHER.
  • THAMAR, suivante d’Esther.
  • MARDOCHÉE, Oncle d’Esther.
  • HAMAN, ministre du Roi de Perse.
  • THARÈS, confident d’Haman.
  • VASTHI, reine de Perse.
  • ASSURÉUS le roi de Perse, ou Artaxercès.
  • ZÉTHAR, grand Seigneur Persan.
La Scène est dans la ville de Suse, entre la Perse et Babylone.

ACTE I §

SCÈNE PREMIÈRE. Esther, Thamar. §

ESTHER.

En vain cette grandeur, cette course d’alarmes
Se présente à mes yeux avecques tous ses charmes ;
Quelque tranquillité qui suive mes travaux,
Plus elle offre de biens, et plus je crains de maux.
5 Comme cette grandeur est toujours infidèle,
Je ne vais qu’en tremblant au trône où l’on m’appelle,
Et je ne crois monter sur un siège si beau
Que pour choir de plus haut dans l’horreur du tombeau.

THAMAR.

N’allez pont pénétrer dans les choses futures
10 Pour chercher des sujets de tristes aventures.
Laissez enfin agir la Justice des Cieux,
Que veut vous rendre un trône ou régnaient vos aïeux.

ESTHER.

Hélas, chère Thamar, je sais que mes Ancêtres
Du trône d’Israël furent jadis les Maîtres ;
15 Mais s’ils en sont tombés me dois-tu contester
Que c’est avec raison que je crains d’y monter ?

THAMAR.

Comme toutes les mers ne sont pas orageuses,
Toutes grandeurs aussi ne sont pas périlleuses.
Quand le Ciel relevant un grand trône abattu
20 Veut en faire le prix d’une illustre Vertu,
Il sait bien séparer de la grandeur mortelle
Cette instabilité qui lui fut naturelle.
Rendez donc à vos yeux cet éclat nonpareil,
Qu’un Roi de Perse adore ainsi que son Soleil,
25 Chassez de votre esprit cette morne tristesse
Qui ne sied jamais bien quand le Ciel nous caresse,
Ce n’est pas mériter les caresses des Cieux
Que de les recevoir les larmes dans les yeux.
À peine un grand Monarque aperçut-il vos charmes
30 Que son coeur captivé vous vint rendre les armes,
À peine est-il vaincu qu’il donne à son vainqueur
Pour demeurer captif et son trône et son coeur.
Vous l’avez fait esclave, il veut vous faire Reine,
Est-ce là, belle Esther, un grand sujet de peine ?
35 La Couronne est charmante à tous les grands esprits,
Et qui la croit un faix n’en connaît pas le prix.

ESTHER.

Un grand roi me chérit ; un Monarque qui m’aime
M’offre avec son amour la part d’un Diadème,
Et peut-être qu’une autre avecque cet honneur
40 Croirait avoir atteint le faîte du bonheur,
Mais si ce même Roi qui me rend Souveraine,
Vient de répudier une puissante Reine,
Une Reine autrefois son âme, et ses désirs,
Dont la possession faisait tous ses plaisirs,
45 Dont les aïeux régnaient, et dont le Père règne,
Faible comme je suis que faut-il que je craigne ?
Dois-je établir ma force en l’amitié d’un Roi
Qui rejette une Reine, et lui manque de foi ?
Dois-je me confier aux biens qu’il me présente,
50 Et qui n’ont pour appui qu’une amour inconstante ?

THAMAR.

Vos vertus garderont la prise de vos yeux.

ESTHER.

Cette garde est un bien que j’attendrai des Cieux.

THAMAR.

Enfin le Roi vous aime.

ESTHER.

Il aima cette Reine,
Qui ressent aujourd’hui ce que pèse sa haine,
55 Ainsi comme un écueil renommé sur les eaux
Par l’horrible débris de cent fameux vaisseaux,
Je crains tous ces honneurs et ces grands avantages
Qui finissent souvent par de honteux naufrages.
Comme un autre aurait peur de son adversité,
60 Moi, Thamar, moi j’ai peur de ma prospérité,
Si l’amour des grands Rois est un bien souhaitable,
Hélas ! Ce même amour est un bien redoutable ;
Le trône est précieux, il est à souhaiter,
Mais la crainte d’en choir fait craindre d’y monter.
65 Enfin je crains le Ciel quand même il m’est prospère,
Mais voici mon appui le frère de mon Père.

SCÈNE II. Mardochée, Esther, Thamar. §

MARDOCHÉE.

Jugera-t-on toujours vous voyant comme en deuil,
Qu’au lieu d’une couronne on vous donne un cercueil ?
Donnez par votre joie une éclatante marque
70 Que vous savez priser les faveurs d’un Monarque ;
C’est offenser le Ciel et violer ses Lois
Que d’être indifférente aux faveurs des grands Rois,
Puisque c’est par des mains si nobles et si chères
Que le ciel nous conduit aux fortunes prospères.

ESTHER.

75 C’est dans notre fortune une espèce d’appui
Que de craindre toujours ce qui fait choir autrui.

MARDOCHÉE.

Je sais bien que le sort d’une Reine chassée
Peut avecques raison troubler votre pensée,
Mais en jetant les yeux sur son adversité,
80 Regardez les raisons de sa calamité.
Vous connaissez l’écueil qui causa son naufrage,
Tâchez de l’éviter dans le même voyage,
C’est dans notre fortune une espèce d’appui
Que d’avoir reconnu ce qui perdit autrui.
85 Si l’orgueil la fit choir d’une place adorée,
Que la soumission vous la rende assurée,
Et tâchez de garder par votre humilité
Ce qu’une autre a perdu par sa seule fierté.
Une beauté superbe est peu de temps charmante,
90 Mais tant qu’elle est modeste elle est toujours puissante,
C’est par là qu’elle rend ses attraits plus constants,
C’est par là que sans peine elle règne longtemps.
Songez donc à l’éclat, qu’un Monarque vous donne;
À garder la vertu plutôt que la couronne ;
95 Quelque accident fâcheux qui vous puisse émouvoir,
Conserver la vertu, c’est garder le pouvoir.
Que si vous devez choir de ce degré suprême,
Où semble vous conduire un Prince qui vous aime,
Faites que votre chute et vos adversités
100 Ne soient pas des malheurs qui vous soient imputés ;
Si vous devez tomber et perdre la puissance,
Tombez comme victime avec votre innocence.
Enfin puisque le Ciel ne fait rien vainement,
Joignez à son vouloir votre consentement.

ESTHER.

105 Je veux tout ce qu’il veut, enfin quoi qu’il ordonne,
Je verrai d’un même oeil les fers ou la couronne.

MARDOCHÉE.

Mais ce n’est pas assez de ce coeur sans pareil,
Il faut vous souvenir de mon premier conseil,
Et pour vous assurer le bien qu’on vous présente,
110 Continuer encore une ruse innocente.

ESTHER.

Certes votre discours me donne de l’effroi,
Il faut, il faut trembler quand on abuse un Roi,
Et la ruse après tout, à soi-même importune,
Est un mauvais appui de la bonne fortune.
115 J’ai suivi vos conseils, et je leur obéis,
Ainsi je cache au Roi mon sang et mon pays,
Il pense que le Ciel me donna la naissance
Dans les vastes pays de son obéissance ;
On ignore en sa Cour où l’on vous doit un rang,
120 Que nous soyons parents et liés par le sang,
Ainsi par vos conseils, je n’oserais paraître,
Je demeure inconnue où l’on croit me connaître,
Et tel est ce succès qu’il semble clairement
Que nous trompions le Roi de son consentement.
125 Mais si quelque hasard découvre cette ruse,
Un Roi souffrira-t-il qu’une esclave l’abuse ?
Et comme le soupçon est une forte voix
Qui parle incessamment dans les âmes des Rois,
Que pourra-t-il juger de ce long artifice ?
130 Quels foudres sortiront des mains de sa Justice ?
Je pense déjà voir les feux de son courroux
Justement allumés se répandre sur nous ;
Il me semble déjà que sa haine m’accuse,
Qu’il me reproche un trône acquis par une ruse,
135 Et que pour le reprendre et m’en précipiter
Il en rompt les degrés qui m’y firent monter.
Pourquoi, me dira-t-il, cacher votre naissance
Quand je vous fais un don même de ma puissance ?
Pensez-vous assurer des biens inopinés,
140 En abusant un Roi qui vous les a donnés ?
Si l’orgueil ruina la fortune d’une autre,
Pensez-vous que la ruse établisse la vôtre ?
Enfin, me dira-t-il, avez-vous prétendu
Par un vice garder ce qu’un vice a perdu ?
145 Ô vous qui de mon sort avez pris la conduite
Soulagez les ennuis où mon âme est réduite.
Évitons le péril que je vois approcher ;
Et découvrons enfin ce qu’on ne peut cacher.

MARDOCHÉE.

Ne précipitez rien, montrez de la constance,
150 Cachez votre pays, cachez votre naissance,
Traitez-moi, traitez-moi comme un indifférent,
Et ne témoignez point que je vous sois parent.
Si ce dessein trahi forme quelque tempête,
Elle n’éclatera que pour frapper ma tête.
155 Que craignez-vous ?

ESTHER.

Les Juifs, peuple odieux au Roi,
Les Juifs de qui je sors me donnent de l’effroi.
Si le Roi les déteste, et leur montre sa haine,
De la fille d’un Juif fera-t-il une Reine ?
Espérerai-je alors en l’amour d’un grand Roi ?
160 Figurez-vous le reste, et craignez avec moi.
Hélas ! Quelle aventure à la mienne ressemble ?
Il me hait sans le croire, et m’aime tout ensemble,
Il m’aime sans savoir pour qui brûle ses feux,
Et comme il hait les Juifs, il me hait avec eux.

THAMAR.

165 Si par notre malheur jusqu’ici manifeste
Il brûla pour les Juifs d’une haine funeste,
Par un effet d’amour qui peut tout surmonter
Il aimera les Juifs parce qu’il aime Esther.

ESTHER.

Peut-on dire qu’il m’aime, et que son coeur me suive,
170 Puisqu’il ne pense pas brûler pour une Juive,
Et que je lui serais un objet odieux
Sans le voile trompeur qui me cache à ses yeux ?

THAMAR.

Mais qui sait dans la Perse où vous fûtes gardée
Que vous tenez le jour des Princes de Judée ?
175 Qui le sait que nous trois ? Quand les Juifs ruinés
Furent dans Babylone esclaves amenés...

ESTHER.

Ha ! Je sais que ma mère avec eux opprimée
Encore dans ses flancs me tenait enfermée ;
Et comme elle craignait que l’orgueil des vainqueurs
180 Destinât aux vaincus de nouvelles rigueurs,
Ne pouvant éviter le périlleux orage
Qui menaçait les Juifs de leur dernier naufrage,
Je sais qu’elle tâcha par d’innocents efforts
D’en garantir le fruit qui naîtrait de son corps.
185 Mais hélas ! En malheur la fortune fertile
A rendu trop souvent la prudence inutile.

MARDOCHÉE.

Mais vous savez aussi par le soin des Cieux
Qui voulurent en vous relever vos aïeux,
Je vous fis élever loin d’un peuple profane,
190 Même par des Persans qui vous crurent Persane.
Ainsi non seulement vous évitez nos maux,
Mais on vous donne un Sceptre au lieu de nos travaux,
Et par un coup du Ciel qui bénit notre peine
Même de nos vainqueurs vous devenez la Reine.
195 Verrions-nous des effets et plus grands et plus doux,
Quand même le futur eût dépendu de nous ?
Vous pourriez-vous donner plus de biens et de gloire
Quand vous disposeriez des fruits de la victoire ?
Le Ciel commence ainsi quelque chose de grand,
200 Le Ciel achèvera l’oeuvre qu’il entreprend.

ESTHER.

Soit que par vos soins ma raison se rappelle,
Soit que le Ciel m’inspire une force nouvelle,
Je sens que dans mon coeur autrefois abattu
Succède à la faiblesse une mâle Vertu.
205 Et par cette Vertu que le Ciel me suggère,
Je sens bien qu’il nous aime, et qu’il veut que j’espère.

MARDOCHÉE.

Mais si mes sentiments sont pour vous une Loi,
Défiez-vous d’Haman, ce flatteur d’un grand Roi.

ESTHER.

D’Haman à qui je suis, et vénérable et chère !

MARDOCHÉE.

210 Défiez-vous de lui comme d’un adversaire
Qui dessous une langue où le miel est semé;
Cache à votre malheur un coeur envenimé.

ESTHER.

Toutefois...

MARDOCHÉE.

Croyez-moi, comme il feint il faut feindre,
Je le connais assez pour vous le faire craindre.
215 Il vous offre ses voeux, mais ses voeux et ses soins
Des sentiments du coeur sont de mauvais témoins.
Redoutez donc Haman par mes expériences,
Mais ne l’irritez point avec vos défiances,
Et de la Vertu seule écoutant les leçons,
220 Défiez-vous de lui sans montrer vos soupçons.
Comme son intérêt est la cause infidèle
Qui fait briller pour vous la flamme d’un faux zèle,
Que ce soit là pour vous une règle, un arrêt,
De ne la regarder que par votre intérêt.
225 La Cour où vous entrez est fertile en malices,
C’est un théâtre ouvert à tous les artifices,
Où l’ami le plus franc est toujours un menteur,
Où le plus défiant est le meilleur acteur.
Je vous l’ai dit cent fois, je vous le dis encore,
230 Redoutez à la Cour quiconque vous adore.

ESTHER.

Je suivrai les chemins que vous m’avez montrés.

MARDOCHÉE.

Mais j’aperçois Haman, je passe, et vous rentrez.

SCÈNE III. Haman, Tharès. §

HAMAN.

J’ai l’âme dans les soins comme aux fers attachée
Mais qui vient de passer, n’est-ce pas Mardochée.

THARÈS.

235 C’est lui.

HAMAN.

Cet insolent, ce Juif audacieux
Qui semble défier les puissances des Cieux,
Qui croit qu’en me choquant il élève sa gloire,
Et que me dédaigner lui soit une victoire.
Triste Loi des grandeurs ! Vains charmes des esprits,
240 Qui ne contentent point comme blesse un mépris !
La Fortune me rit, un Roi me favorise,
Tout le monde m’adore, un seul Juif me méprise,
Et ce mépris tout seul occupant tous mes sens
Du monde universel m’empoisonne l’encens.

THARÈS.

245 Tous excès est permis contre cette insolence.

HAMAN.

Mais d’un trait plus mortel cet esclave m’offense.
C’est par lui seulement que mes profonds respects
Sont à l’esprit d’Esther des hommages suspects.
Oui, je suis averti que par ses artifices
250 Esther prend mes devoirs pour de mauvais offices :
Enfin c’est par lui seul que l’espoir m’est ôté,
Et que l’horreur se joint à ma captivité.

THARÈS.

Seigneur que dites-vous ? Hé quoi que peut-il faire ?

HAMAN.

Sache, mais que dirai-je ? Hélas, il se faut taire,
255 Aussi bien de ton bras l’inutile vigueur
Ne pas rompre des fers qu’on porte dans le coeur.

THARÈS.

Ce discours est obscur, je ne puis le comprendre.

HAMAN.

Ne pouvant pas m’aider, tu ne dois pas l’entendre.

THARÈS.

Si l’amour, ce transport si cruel est si doux
260 Était un mouvement qui fut digne de vous,
Comme dans vos discours je vois briller sa flamme,
Je vous demanderais s’il règne dans votre âme ?

HAMAN.

Si tu crois que l’amour si fertile en langueur
Soit une passion indigne de mon coeur,
265 Ne la croirais-tu pas et ridicule et folle
Si je te répondais qu’Esther est mon idole ?
Hélas ! J’aimais Esther, et mon coeur amoureux
Allait lui découvrir la grandeur de ses feux
Quand le soin de ce Juif, quand le soin de ce traître
270 Aux yeux même du Roi la força de paraître.
Mais enfin si l’amour ne me peut soulager,
La vengeance a des biens qui peuvent m’alléger.
Lorsqu’une passion nous gêne et nous possède,
Une autre passion est souvent son remède.

THARÈS.

275 Faut-il perdre ce Juif ? Prononcez-en l’Arrêt,
Commandez seulement et l’orage est tout prêt.

HAMAN.

T’engager à sa perte injuste ou légitime,
C’est hasarder ta vie ou du moins ton estime,
Et ce n’est à mon gré se venger qu’à demi
280 Qu’exposer un Ami pour perdre un ennemi.
J’attends l’occasion tant de fois désirée.

THARÈS.

Mais cette occasion vous est-elle assurée ?
Non, non, ne cherchez point un secours incertain
Lorsque vous le trouvez assuré dans ma main.
285 Laissez agir pour vous ma fureur animée,
Je tiens l’occasion dans mes mains enfermée.
Vous savez que c’est lui qui rompit ces desseins
Par qui le Sceptre même approcha de vos mains.
Et dont l’heureux effet déjà prêt à paraître
290 Du Roi que vous servez vous eût rendu le maître.
Croyez-moi, croyez-moi, lorsqu’on peut se venger
En différer le coup c’est se mettre en danger.
Prévenez la Fortune amoureuse du change,
Vengez-vous hardiment devant que l’on se venge,
295 Frappez, perdez, tuez, servez-vous de ma main,
Tel peut vaincre aujourd’hui qui ne le peut demain :
C’est enfin un effet de parfaite prudence
Que de prendre toujours la plus proche assistance.

HAMAN.

1
Je suivrais ton conseil, j’employerais ton bras,
300 Mais la perte d’un seul ne me contente pas,
Il faut qu’avecques lui sa nation périsse,
Et que par l’infamie il aille au précipice.

THARÈS.

Ce dessein est bien grand.

HAMAN.

Aussi dans ce dessein
Je veux que le Roi m’aide et me prête la main.

THARÈS.

305 Le Roi ! M’est-il permis de savoir ce mystère ?

HAMAN.

À qui doit me servir je ne dois pas le taire.
Tu sais bien que les Juifs dans la Perse arrêtés
Sont des peuples suspects et du Roi détestés.
Tu sais bien que les Juifs sont des objets de haine,
310 De qui chacun souhaite, ou la perte ou la peine.
Je veux par mes raisons persuader au Roi
De purger son État, de ce peuple sans foi,
De le faire passer par le fer et la flamme,
De ne rien épargner de cette engeance infâme.
315 Ce Juif présomptueux se promet aujourd’hui
D’être de son pays le salut et l’appui :
Mais quoi qu’il entreprenne, et quoi qu’il s’imagine,
Lui seul de son pays il sera la ruine.
Quoi ! Ce dessein t’étonne et te trouble les sens ?

THARÈS.

320 Quoi ! Seigneur, pour un seul perdre tant d’innocents ?

HAMAN.

Homme ignorant des biens dont la vengeance abonde !
Ha pour les posséder je perdrais tout un monde,
Oui, j’aime à voir couler le sang des innocents
Lorsqu’il sert de remède aux douleurs que je sens ;
325 Oui, mes yeux le verront couler avecques joie,
Pourvu que dans ses flots mon ennemi se noie.

THARÈS.

Mais si le sien suffit pour éteindre ses jours,
Ne suffira-t-il pas pour vous donner secours ?

HAMAN.

Il ne suffira pas pour éteindre la flamme
330 Que le dépit allume, et nourrit dans mon âme,
La vengeance est un bien savoureux seulement
Quand l’esprit offensé le cueille abondamment.

THARÈS.

Mais du mépris d’un seul tous ne sont pas complices.

HAMAN.

S’ils n’ont part à l’offense, ils l’auront aux supplices,
335 Et si je hais les Juifs, et si de tous côtés
Ma haine les destine à cent calamités,
Hélas ! L’amour d’Esther, cette amour inhumaine
Les venge des malheurs dont les charge ma haine.

THARÈS.

Mais enfin...

HAMAN.

Mais enfin à mon coeur, à mes yeux
340 Un seul Juif a rendu tous les Juifs odieux.
Si ce que j’entreprends te semble illégitime,
Sache que c’est Vertu que d’user bien du crime.
Sache qu’en un esprit touché comme le mien
Le crime qui le venge est le souverain bien.

ACTE II §

SCÈNE PREMIÈRE. Tharès, Haman, Vasthi. §

THARÈS.

345 Seigneur, votre vengeance est-elle préparée,
La ruine des Juifs a-t-elle été jurée ?
Enfin le Roi contre eux prend il votre parti ?

HAMAN.

Mais qui vois-je ? La Reine.

THARÈS.

Oui, Seigneur, c’est Vasthi.

HAMAN.

Évitons son abord, sa disgrâce m’étonne.

VASTHI.

350 Doncques Haman me fuit, donc Haman m’abandonne !
Haman qui me plaçait au nombre de ses Dieux
Tandis que ma Couronne éclatait à ses yeux !
Haman qui m’adora tandis que l’apparence,
Tandis que ma grandeur flatta son espérance !
355 Ayant accoutumé durant notre bonheur
De lever tes regards pour me voir dans l’honneur,
Trouves-tu difficile en ce destin étrange
D’abaisser tes regards pour me voir dans la fange ?

HAMAN.

Ayez, ayez pour moi de meilleurs sentiments,
360 Si j’eus part à vos maux, j’ai part à vos tourments,
Et mon coeur animé d’une vertu plus haute
Vous conserve le rang qu’un Monarque vous ôte.
Mais par quelle aventure êtes vous en ces lieux,
Que votre adversité vous doit rendre odieux,
365 Et d’où l’ordre du Roi trop prompt et trop injuste
Avait comme exilé votre personne auguste ?

VASTHI.

Je viens pour l’accuser de sa brutalité,
Je viens lui reprocher son inhumanité,
Je viens, je viens par une noble audace
370 Mériter aujourd’hui ma honte et ma disgrâce.

HAMAN.

Mais vous vous exposez.

VASTHI.

On ne s’expose pas
Lorsque pour s’alléger on cherche le trépas.
Moi, moi je pourrais voir une indigne rivale
Monter dessus mes pas au rang d’où je dévale !
375 Je suis Reine, mourrons pour un titre si beau,
Pour les Rois, pour les Rois le trône ou le tombeau.
Il n’est point de milieu que les Rois puissent prendre
Quand le sort irrité les contraint de descendre,
Le trône ou le tombeau, tout le reste est honteux.

HAMAN.

380 Ne vous exposez point à des chemins douteux,
Attendez ou craignez.

VASTHI.

Moi ! J’en suis incapable
Pour craindre et pour trembler de quoi suis-je coupable ?
Un Roi capricieux, bizarre en ses projets,
Donne de grands festins aux peuples ses sujets ;
385 Et pour faire éclater et la fête et sa grâce
Il veut que je me montre à cette populace,
Comme si prodiguant ses biens de toutes parts
Il voulait la repaître avecques mes regards.
Hé bien j’ai refusé de plaire à son caprice,
390 J’ai refusé ma vue au peuple son complice,
J’ai voulu conserver la Majesté des Rois,
En quoi cette action blesse-t-elle les Lois ?

HAMAN.

Mais elle offense un Roi que peu de choses offense.

VASTHI.

D’un Monarque aveuglé ne prend point la défense.

HAMAN.

395 Vous deviez à ses voeux accorder ce plaisir.

VASTHI.

J’ai satisfait Haman à son lâche désir,
Puisqu’il ne me faisait une Loi si cruelle
Qu’afin de m’obliger de paraître rebelle,
Qu’afin que mon refus qu’il avait souhaité
400 Donnât quelque couleur à sa brutalité.
Car enfin a-t-il fait le choix d’une Princesse
Pour lui faire remplir la place que je laisse ?
Non, non, tu le sais bien, mais de tous les côtés,
Ayant fait assembler les plus rares beautés
405 Comme s’il affectait et sa honte à ma peine
Que sa brutalité vous choisit une Reine,
Parmi tant de beautés que ne fit-il un choix
Qui me put condamner quand je l’accuserais ?
Mais la brutalité sans respect des Couronnes
410 Affecte le plaisir et non pas les personnes.
Une fille du peuple, et vous l’avez souffert,
Une fille du peuple, ha ! Ce penser me perd.
Ce penser me remplit de fureurs et de rages.
Démons assez puissants pour venger tant d’outrages.
415 Si l’on me préférait le sang de quelques Rois,
Constante en mon malheur je me consolerais.
Mon plus grand mal n’est pas de quitter la Couronne,
Un sage quelquefois la fuit et l’abandonne :
Mais le plus grand des maux dont je sente les coups,
420 C’est de céder le trône à de moindres que nous.

HAMAN.

Certes, ce mal est grand, certes il est extrême,
Et pour m’en garantir je me perdrais moi-même.

VASTHI.

J’arme aussi contre Esther ce que j’ai de pouvoir.
Comme c’est aujourd’hui qu’on la doit recevoir,
425 Je viens, je viens moi-même à la mort toute prête
Pour différer au moins cette funeste fête.

HAMAN.

Ô dessein, digne enfant d’un esprit généreux,
À qui le juste Ciel doit un succès heureux !

VASTHI.

Pourrais-tu voir enfin dans un trône adorable
430 Une esclave de Perse et vile et méprisable ?
Pourrais-tu sans murmure obéir à sa voix,
Toi qui fus en état de lui donner les lois ?

HAMAN.

Non, non, Madame, non, il faudra que j’expire
Si le bonheur d’Esther la conduit à l’Empire.
435 Ha, s’il lui faut un trône, il me faut un tombeau,
Et la grandeur d’Esther est enfin mon bourreau.

VASTHI.

Aujourd’hui toutefois elle sera ta Reine.

HAMAN.

Esther femme du Roi ! C’est là, c’est là ma peine,
Mais c’est là seulement le plus grand de mes maux,
440 Parce que c’est de là que naissent vos travaux.

VASTHI.

Garde, garde toujours cette ardeur qui te presse,
Puisque c’est le seul bien que mon destin me laisse.
Mais enfin il est temps de s’opposer aux coups
Qui sont déjà tous prêts à tomber dessus nous.

HAMAN.

445 Oui, Madame, il est temps de montrer son courage,
Puisque déjà l’éclair vous annonce l’orage.
Allez, allez sans crainte en ce funeste jour
Troubler par votre aspect le calme de la Cour,
Votre seule présence aujourd’hui nécessaire
450 Retardera le cours d’une si grande affaire,
Et je ne doute point que le retardement
Ne guérisse le Roi de son aveuglement.
Il considérera d’une âme plus égale
Sa honte et son honneur, vous et votre rivale.
455 Et quand du haut d’un trône il jettera les yeux
Ouverts par la raison pour un choix glorieux,
Ne craignez rien, Madame, espérez la victoire.
Il est Roi, c’est assez, il choisira la gloire.
Allez donc maintenant par un noble attentat
460 Ou remonter au trône, ou troubler tout l’État.

VASTHI.

L’un ou l’autre est mon but.

HAMAN.

Suivez donc cette voie.

VASTHI.

Mais va sonder le Roi devant que je le voie.

HAMAN.

J’embrasse avec plaisir votre commandement,
Mais votre seul aspect peut agir puissamment.
465 Vos pleurs seront des traits qui perceront son âme,
Vos pleurs rendront la force à sa première flamme,
Rallumeront l’amour, éteindront le courroux,
Et sans ouvrir la bouche, ils parleront pour vous.
J’irai si vous voulez par des raisons pressantes
470 Présenter un obstacle à ses flammes naissantes;
Mais pour toucher un coeur, et rompre des prisons,
Une larme souvent fait plus que cent raisons.
Voir enfin une Reine en sa misère extrême
Réduire à n’employer pour elle qu’elle-même,
475 La voir en suppliante esclave des malheurs,
Mouiller les pieds d’un Roi par les eaux de ses pleurs,
C’est sans doute un spectacle assez assez capable
De touche le plus dur, et le plus indomptable.
Poursuivez donc, Madame, allez jusques au bout,
480 N’employez que vos pleurs, vos pleurs obtiendront tout.

VASTHI.

Moi que par des soupirs et par des larmes lâches
À ma condition je fasse quelques taches ;
Non, non, ce noble orgueil qui m’anima toujours
Doit m’animer encore au dernier de mes jours,
485 Et la Fortune injuste autant qu’elle est volage
Peut m’ôter les grandeurs, et non pas le courage.
Pour sortir de mes maux, pour vaincre mes malheurs
J’ai du sang à verser, mais je n’ai point de pleurs.
Moi gémir, moi pleurer.

HAMAN.

C’est pourtant dans vos larmes
490 Que vous devez trouver de la force et des charmes.

VASTHI.

Le trône me serait une autre adversité
S’il fallait le devoir à cette lâcheté ;
Et toutes les grandeurs me seraient odieuses
Si je les achetais par des larmes honteuses.

HAMAN.

495 Les pleurs qui font régner sont toujours glorieux.

VASTHI.

En toute extrémité les pleurs sont odieux.

HAMAN.

Si des pleurs répandus par un coeur d’Amazone
Sont des chemins honteux pour remonter au trône,
Le seul prix de ce trône est capable d’ôter
500 La honte des chemins qu’on tient pour y monter.

VASTHI.

Hé bien, hé bien, Haman, puisque le sort me presse;
J’irai par des soupirs témoigner ma faiblesse,
Et sans considérer l’éclat de notre sang
Nous irons par des pleurs redemander un rang
505 De qui ces mêmes pleurs en lâchetés insignes
Aux yeux de l’univers nous déclarent indignes.
Mais que dis-je insensée en mon ressentiment !
Si l’on croit que le Roi me chassa justement
N’irai-je pas moi-même à moi-même infidèle,
510 Témoigner par mes pleurs que je suis criminelle ?
N’irai-je pas enfin moi-même contre moi
Justifier ainsi l’injustice du Roi ?
Moi demander pardon, c’est tacher mon estime
Puisque enfin tout pardon présuppose le crime.

HAMAN.

515 Que ferez-vous enfin ? Quoi ?

VASTHI.

Tout ce que je puis.

HAMAN.

Troublerez-vous l’État ?

VASTHI.

Je vaincrai mes ennuis.

HAMAN.

Le trouble de l’État est le dernier remède.

VASTHI.

Oui, mais sonde le Roi avant que je m’en aide.

HAMAN.

Mais, Madame...

VASTHI.

Vas-y.

HAMAN.

Mais Madame...

VASTHI.

Crains-tu ?

HAMAN.

520 Moi ! Madame, ha plutôt...

VASTHI.

Montre donc ta vertu,
Ne me fais pas juger en ce malheur extrême
Que tu veux m’employer pour t’épargner toi-même,
Et que pas un dessein, qui te ferait rougir,
Tu feins de conseiller pour t’exempter d’agir.
525 Crains-tu de voir le Roi, crains-tu pour moi l’orage ?
Crains-tu de t’exposer ?

HAMAN.

Vous blessez mon courage,
Madame épargnez-moi.

VASTHI.

Ne t’épargne donc pas.

HAMAN.

Votre service seul a pour moi des appas.
Remettez en mes mains le soin de vos délices,
530 Esther a des attraits, moi j’ai des artifices
Mais ne vous montrez point.

VASTHI.

Je vais chez Thamis,
Où ma calamité m’a laissé des amis.

SCÈNE II. Haman, Tharès. §

THARÈS.

Seigneur, que faites-vous ? Le Ciel vous est propice,
Voulez-vous malgré lui vous faire un précipice ?
535 Et croyez-vous enfin combattre impunément
D’un Monarque offensé le juste sentiment.

HAMAN.

Tharès, le Roi me croit, nous éteindrons sa flamme,
Il est Roi des Persans, je suis Roi de son âme.

THARÈS.

Cet Empire est un bien qu’on ne peut trop priser,
540 Mais il est dangereux d’en trop souvent user.
Plaignez si vous voulez le sort de cette Reine,
Mais fuyez le hasard de partager sa peine,
Si le Ciel la veut voir d’un regard rigoureux,
Qu’elle soit malheureuse, et demeurez heureux.

HAMAN.

545 Qu’elle soit malheureuse et Reine déplorable
Si je puis par ses maux n’être pas misérable.
Mais qu’elle soit heureuse, et vive dans l’honneur
Si ma félicité dépend de son bonheur.
Il m’importerait peu, quoi que je lui promette,
550 Qu’elle fut dans le trône, ou qu’elle fut sujette
Si je ne connaissais que mes maux et mes biens
Par un lien fatal sont attachés aux siens.
Peut-elle choir d’un trône où tu la vis montée
Quand dans le même instant Esther n’y soit portée ?
555 Et puis-je voir Esther sans perdre en même jour
Cet agréable espoir que me donne l’Amour ?
Non, non, pour éviter cette mortelle peine,
Qu’elle demeure esclave, et que Vasthi soit Reine.
Allons parler pour elle, allons parler au Roi,
560 L’adoucir pour Vasthi, c’est l’adoucir pour moi.

THARÈS.

Ha Seigneur ! Triomphez de cette amour naissante.

HAMAN.

On ne triomphe point d’une amour si puissante.

THARÈS.

Mais l’Amour ce Tyran des esprits enchantés
Peut être le poison de vos prospérités.

HAMAN.

565 Il n’importe, exposons d’une ardeur non commune
Pour les biens de l’Amour les biens de la Fortune,
Puisque par mille maux je ressens à mon tour
Que la Fortune même en fait moins que l’Amour.

THARÈS.

Quoi pour un bien léger, quoi pour un bien qui passe,
570 Pour de vaines beautés tenter votre disgrâce !

HAMAN.

Et ces vaines grandeurs où tu vois tant d’appas
Comme les autres biens ne passent-elles pas ?

THARÈS.

Aimez, mais autre part.

HAMAN.

Quand on est dans les gênes
Hélas il n’est plus temps de faire choix des chaînes.
575 Ne me contredis plus, mon amour est ma loi,
Enfin tu me déplais. Repassons chez le Roi.
Mais il sort.

SCÈNE III. Le Roi, Haman. §

LE ROI.

Cher Haman, la douceur et la grâce
Dans le trône des Rois vont enfin trouver place.
Ainsi cette superbe autrefois mon amour,
580 Et comme dans mon coeur l’idole de ma Cour,
Vasthi reconnaîtra par de sensibles marques
Combien il est fatal de déplaire aux Monarques,
Et que même une Reine esclave de la Loi
Toute Reine quelle est, est sujette du Roi.

HAMAN.

585 Jusqu’ici vos bontés vainquant votre Justice
Semblaient se contenter de montrer son supplice,
Et pour moi j’aurais cru que son juste remords
Ne ferait pas sur vous d’inutiles efforts.
En effet quand je songe à cette sainte flamme
590 Qui confondait vos coeurs et ne faisait qu’une âme,
Quand je songe à vos feux qui furent son trésor,
Aux feux dont vous brûliez dont elle brûle encor,
Je ne saurais penser que pour cette Princesse
Au défaut de l’amour la pitié ne vous presse,
595 Et qu’au ressouvenir de ses calamités
Vous puissiez résister à vos propres bontés.

LE ROI.

Si l’injuste refus de son obéissance
En moi seul outragé terminait son offense,
Peut-être qu’en mon coeur les traits de la pitié
600 Referaient un passage à ceux de l’amitié.
Mais comme moi l’État a part à cette injure,
Son orgueil a touché le peuple qui murmure,
Et si je sais régner souffrirai-je un affront,
Qui refroidit mon Peuple et me rougit le front ?
605 Non, un Roi doit venger par des peines plus dures
Les affronts de l’État que ses propres injures :
Il peut tout pardonner étant seul offensé,
Mais il doit tout punir quand l’État est blessé.
Enfin comme le peuple est dedans nos provinces
610 Un esclave qui fait la force de ses Princes,
Bien que par cent liens, on puisse l’arrêter,
Il faut pour un jouir quelquefois le flatter.

HAMAN.

Quoi Sire aux passions d’un peuple téméraire
Vous pourriez immoler une Reine si chère !
615 Quoi Sire un lâche esclave aujourd’hui respecté
Se vanterait demain qu’un Roi l’aurait flatté !
Et qu’on aurait donné la chute d’une Reine
À l’appréhension de tomber dans sa haine.
Oui, Sire, il faut qu’un Roi Maître et Père des Lois
620 Soutienne de son peuple et la gloire et les droits,
Mais en pensant aussi soutenir sa défense,
Il ne faut pas d’un peuple augmenter l’insolence,
Et quoi que vous fassiez n’est-ce pas l’augmenter
Que de lui faire voir qu’on tâche à le flatter ?
625 Le peuple est dangereux si l’on ne le maîtrise,
Il pense qu’on le craint lorsque on le favorise,
Et sur cette croyance autorisant ses droits
Quelquefois il devient le Tyran de ses Rois.
Qu’aujourd’hui pour lui plaire, et contenter sa haine
630 À ses ressentiments on immole sa Reine,
Peut-être que ce monstre inconstant et sans foi
Demandera demain qu’on immole son Roi.

LE ROI.

Le peuple est inconstant, mais enfin son caprice
Ne doit pas m’empêcher de lui rendre Justice.
635 Que s’il en abusait, il apprendrait qu’un Roi
Peut se la rendre aussi contre un peuple sans foi.

HAMAN.

Vous voulez à l’État épargner une injure,
Vous voulez apaiser le peuple qui murmure,
Et certes ce dessein nous peut bien enseigner
640 Qu’il est digne d’un Roi qui sait l’art de régner ;
Mais pour rendre un État florissant et durable,
Sire le peuple seul n’est pas considérable,
Comme pour composer ce grand éclat des Cieux
Les petits astres seuls n’ont pas assez de feux.
645 Si par le choix d’Esther par ce choix populaire
Au murmure d’un peuple on pense satisfaire,
Ce choix peut exciter des maux plus apparents.
Puisqu’il peut exciter le murmure des Grands.
Comme Esther est sans nom et d’obscure naissance
650 Ils n’iront qu’à regret sous son obéissance,
Ils n’auront pour Esther que des hommages feints,
Au travers de leur feinte on verra leurs dédains,
Et pourrez-vous souffrir dans le pouvoir suprême
Qu’on méprise à vos yeux la moitié de vous-même ?
655 Et comme enfin les Grands sont du corps de l’État,
Et le plus noble sang et le plus grand éclat,
2
Vous pourrez-vous venger de ce mépris injuste
Qu’il n’en coûte à l’État son sang le plus auguste ?
Sire, pour détourner le cours de ses malheurs
660 Dont vous ressentirez vous-même les douleurs,
Quelque raison fait voir qu’il est juste d’éteindre
Pour tous également tous sujets de se plaindre.
Que si par une Reine un grand peuple outragé
Témoigne par ses cris qu’il veut être vengé,
665 Il ne demande pas trop injuste en sa haine
Que de son sang obscur on lui donne une Reine,
Et qu’un Sceptre adorable aux yeux de l’Univers
Soit porté par des bras destinés pour des fers.
Mais pourvu qu’on témoigne à cette populace
670 Qu’on veut bien l’apaiser, et lui faire une grâce,
Il n’importe à ses voeux qu’on joigne à votre rang
Ou bien un sang ignoble, ou bien un noble sang.
Ainsi faisant le choix d’une adorable fille
Où la beauté soit jointe à l’illustre famille,
675 Vous rendrez, en tous lieux pour affermir la paix
Et le peuple content et les Grands satisfaits.

LE ROI.

Esther, me dites-vous, ne sort pas d’une race,
Qui donne à ses beautés une nouvelle grâce !

HAMAN.

Non Sire.

LE ROI.

Esther n’est rien ?

HAMAN.

Non Sire.

LE ROI.

Mais dis-moi,
680 Qu’étais-tu, qu’étais-tu, sans l’amour de ton roi !
Quelle était ta fortune en la paix, en la guerre,
Devant que ma faveur t’élevât de la terre ?
Apprends par ton exemple, Haman, apprends enfin
Que bien souvent les Rois sont Maîtres du destin,
685 Et qu’ayant dans ses mains vos fortunes encloses
Un Roi, comme les Dieux, fait de rien toutes choses.
Qu’Esther sorte du sang le plus bas de l’État,
Un seul de mes regards lui donne de l’éclat :
Dans sa bassesse même, et dans son impuissance,
690 Mon choix et mon amour lui servent de naissance ;
Mon choix et mon amour qui l’élèvent aux Cieux,
Lui tiennent lieu de Sceptre et de gloire, et d’aïeux.
Comme c’est par le jour, que le Soleil fait naître,
Qu’il se montre Soleil, et qu’il se fait connaître,
695 C’est aussi par l’éclat que donne notre choix.
Que ceux de notre rang témoignent qu’ils sont Rois.
Ainsi bien que tes soins soient d’un sujet fidèle,
Fais taire ces raisons qui partent de ton zèle ;
Ôte de ton esprit tous les soins que tu prends,
700 Et ne m’oppose point le murmure des Grands :
Je sais, je sais régner ! Et ma main souveraine
Peut faire aux moins zélés, adorer une Reine.

HAMAN.

Sire, en ce grand dessein, j’ai cru que mon devoir
M’obligeait à montrer ce que j’ai pu prévoir ;
705 J’ai parlé librement pour vous donner des marques
Que j’ignore cet art qui flatte les Monarques,
M’étant imaginé dans cet événement,
Que c’est aimer son Roi, que parler librement.

LE ROI.

Je mets entre les biens aux Princes souhaitables,
710 D’un fidèle sujet les libertés aimables ;
Ainsi j’aime ton zèle, Haman, et tu me plais,
Quand même ton ardeur s’oppose à mes souhaits.
Mais pour récompenser une amour si fidèle,
Comme j’attends Esther au Trône où je l’appelle,
715 Je veux mon cher Haman, qu’Haman seul ait l’honneur
De conduire une Reine au faîte du bonheur.
Va donc au-devant d’elle, avance et me l’amène,
Afin que de tes mains je reçoive une Reine.

HAMAN.

Cet honneur est trop grand !

LE ROI, en s’en allant.

Il est digne de toi.
720 Va.

HAMAN.

Je vous obéis.

SCÈNE IV. Haman, Tharès. §

HAMAN.

Mais hélas malgré moi !
Quelle horrible disgrâce à nos yeux manifeste
Est plus que cet honneur effroyable et funeste.

THARÈS.

Mais il faut obéir.

HAMAN.

Va, va trouver Vasthi,
Dis lui qu’à son malheur le Ciel a consenti,
725 Et que c’est seulement en excitant l’orage
Qu’elle peut désormais empêcher son naufrage.
Qu’elle vienne, dis-lui.

THARÈS.

Mais...

HAMAN.

Mais obéis-moi.

THARÈS.

Souffrira-t-on Seigneur, qu’elle approche du Roi...

HAMAN.

Va, rends-lui ce devoir sans tarder davantage.
730 Je disposerai tout pour lui faire un passage.

ACTE III §

SCÈNE I. Le Roi, Esther, Haman et toute le Cour. §

HAMAN.

Avancez belle Esther, et montez dans les Cieux,
Puisqu’un Trône est le Ciel d’un Prince glorieux.

LE ROI.

Approchez chère Esther, venez prendre la place
Que vous donne l’amour, que vous donne la grâce.
735 Et par un juste arrêt du plus grand de nos Dieux
Régnez avec un Roi, sur qui règnent vos yeux.
Le Ciel qui pour régner vous avait destinée,
S’oublia de vous rendre en naissant couronnée ;
Et quand je mets le Sceptre en de si belles mains,
740 Du Ciel qui vous forma, j’achève les desseins.
Peuple qui voit Esther par mon choix soutenue,
Crois que c’est à tes yeux une Reine inconnue
Que je tire aujourd’hui d’un état languissant,
Puisque toutes beautés sont Reines en naissant.

ESTHER.

745 Sire, c’est en esclave, et non en souveraine,
Que j’approche d’un Roi, qui me regarde en Reine,
Et pour toutes beautés, ô Monarque puissant,
Je n’apporte à vos pieds qu’un coeur obéissant
Je ne me considère au Trône d’un Empire
750 Que comme une vapeur que le Soleil attire,
Et dont le corps léger ne s’élève si haut,
Que pour s’appesantir et retomber bientôt.
Bien que le nom de Reine et grand et vénérable
Puisse assouvir un coeur de gloire insatiable,
755 Je ne l’estime pas, ce nom si glorieux,
Pour nous mettre en un rang où nous devenons Dieux.
Mais pour ce qu’en rendant ma fortune parfaite,
Il me rend d’un grand Roi la première sujette,
Et qu’en me faisant voir les biens que je vous dois,
760 Il m’apprend d’autant mieux à respecter mon Roi.

LE ROI.

Cette soumission aussi rare que belle
Vous rend digne du Trône où le Ciel vous appelle.
Je ne recherche point si parmi vos Aïeux,
Je pourrai rencontrer, ou des Rois, ou des Dieux,
765 Les Trônes sont des biens d’une auguste puissance,
Qui sont dûs au mérite, autant qu’à la naissance.
La grâce et les vertus ont su vous y porter,
Par de plus beaux degrés vous n’y pouviez monter.
Montez donc chère Esther, par des marches si belles,
770 À des prospérités qui seront immortelles,
Et combien le bonheur d’un Monarque amoureux,
Que la seule grandeur ne saurait rendre heureux.

HAMAN, à l’écart.

Puis-je être le témoin des maux que j’appréhende !
Mais j’aperçois Vasthi.

SCÈNE II. Le Roi, Vasthi, Esther, Mardochée. §

LE ROI.

Que vois-je ! Qui vous mande ?

VASTHI.

775 Je ne viens pas ici le flambeau dans les mains
Allumer la discorde et rompre vos desseins ;
Non, non je ne viens pas par mon triste spectacle
À vos félicités présenter un obstacle :
Quand j’aurais le pouvoir, je n’ai pas les désirs
780 D’outrager un grand Roi dont j’aime les plaisirs.
Le sort qui me fait choir du Trône à la misère
M’a rendu malheureuse, et non votre adversaire.
Je viens donc sans secours, et moi seule pour moi,
Vous montrer dans les fers la compagne d’un Roi.
785 Je viens donc maintenant, non pour avoir ma grâce,
Non pour rompre le trait dont le coup me menace ;
Mais pour savoir au moins parmi tant de travaux.
Par quel grand attentat j’ai mérité mes maux.
Je ne demande point quel charme inévitable
790 D’un changement d’amour vous a rendu capable ;
Je vois dans un objet si doux et si charmant,
Les puissantes raisons de votre changement ;
Mais je n’aperçois point dans le cours de ma vie,
La cause des malheurs dont je suis poursuivie.
795 Faites donc voir mon crime, et que votre équité
Découvre les raisons de ma calamité,
Afin qu’en mon malheur voyant votre justice,
Je cesse de blâmer mon juge et mon supplice,
Et qu’enfin mon dépit, mes cris et mon transport,
800 Vous respectant toujours, n’accusent que mon sort.

LE ROI.

Vous saurez mes raisons, vous saurez vos offenses
Quand vous regarderez vos désobéissances ;
Mais vous saurez de plus qu’aux yeux d’un Potentat,
Cette nouvelle audace est un autre attentat.

VASTHI.

805 Sire, si cette audace et noble et légitime
Aux yeux des Potentats doit passer pour un crime,
L’innocence assurée aux yeux des Potentats
Est sujette à former de pareils attentats.

LE ROI.

Le trouble d’un État que votre orgueil outrage,
810 Est de votre innocence un ample témoignage.
Retirez-vous, Madame, et montrer une fois
Que votre esprit soumis, peut recevoir des lois.
Enfin n’augmentez point cette coupable audace,
Qui pourrait rendre juste une injuste disgrâce.

VASTHI.

815 Ce crime en mon malheur serait mon réconfort,
S’il devenait si grand qu’il méritât la mort.
Mais si quelque raison, qui doit être couverte,
Vous oblige à cacher les raisons de ma perte,
Au moins en regardant mon sort et ma douleur,
820 Dites-moi, pour raison, j’ai voulu ton malheur,
Alors me soumettant, chacun m’entendre dire,
Je veux bien endurer, car le Roi le désire.

LE ROI.

Retirez-vous, Madame, il suffit une fois
De tenter le péril, et de déplaire aux Rois.

VASTHI.

825 Si je suis criminelle, achevez mon supplice ;
Quiconque sort d’un Trône, aime le précipice.

LE ROI.

Ainsi vous y courrez.

VASTHI.

Ne m’arrêtez donc pas,
Et donnez seulement plus de pente à mes pas.
On mérite la mort et les maux qu’elle donne,
830 Quand on a mérité de perdre une Couronne.
Que si de mon bonheur quelques rayons restés,
Me font croire innocente en mes adversités,
Comme mon désespoir peut troubler vos Provinces,
Comme il peut émouvoir vos peuples et vos Princes,
835 Prévenez mes forfaits, et qu’un dernier effort
M’empêche par ma mort, de mériter la mort.

LE ROI.

Faites votre devoir, vivez on vous l’ordonne,
C’est assez pour un coup de perdre une Couronne.

VASTHI.

Non, non, délivrez-vous de mes tristes soupirs,
840 Et par ma perte entière assurez vos plaisirs ;
Donnez, donnez mon sang, et la mort que j’espère,
À l’établissement d’une Reine si chère.
Et si l’amour d’Esther vous doit rendre content,
Rendez par mon trépas son triomphe éclatant.

ESTHER.

845 Ha, Sire, regardez d’un oeil plus pitoyable
Une grande Princesse, une Princesse aimable,
Et ne m’élevez point à des prospérités
Qu’elle puisse accuser de ses calamités.
Pourrais-je bien jouir, sans remords et sans peine
850 D’une félicité qui ruine une Reine ?
Quelque bien qui succède à nos ambitions,
La grandeur est funeste à ces conditions.
Regardez ma bassesse, et de quelle distance
Du Trône où vous régnez s’éloigne ma naissance.
855 Vous direz que le Ciel qui peut tout ici-bas,
Nous éloigna si fort pour ne nous joindre pas.
Mais d’un autre côté regardez la puissance
D’où cette grande Reine a tiré sa naissance,
Vous verrez que le Ciel qui la veut soutenir,
860 Ne vous rendit égaux qu’afin de vous unir.
Considérez en elle, et le sang, et la grâce ;
La faire choir du Trône, et me mettre en sa place,
C’est au Trône du jour porter l’obscurité,
C’est chasser de l’Autel une Divinité,
865 Et par un changement aussi nouveau qu’étrange,
C’est y mettre en sa place une idole de fange.
Ha, Sire, pour la Reine ; ha, Sire, pour Esther,
Faites votre justice à même heure éclater,
Nous rendant toutes deux où le Ciel nous adresse,
870 La Reine à sa grandeur, Esther à sa bassesse.
Tout l’honneur que je cherche, et que j’ai prétendu,
C’est de céder le Trône, à qui le Trône est dû.

LE ROI.

Bientôt ma volonté vous sera manifeste,
Attendez un destin ou propice ou funeste.

MARDOCHÉE.

875 Que je crains justement.

LE ROI.

Mes amis suivez-moi.

MARDOCHÉE, demeure.

Vous en qui j’espérai, Cieux, inspirez le Roi.

SCÈNE III. Vasthi, Esther, Mardochée demeure. §

VASTHI.

Belle et charmante Esther, épargnez-vous la peine,
À ma confusion de défendre une Reine ;
Ne me secourez point dans un sort si douteux,
880 Le secours d’une esclave est un secours honteux ;
Et que me servirait où je suis méprisée,
La faveur d’une esclave en Reine déguisée ?

ESTHER.

Au moins à faire voir qu’en sa captivité
Cette esclave garda sa générosité ;
885 Et qu’en vous remettant un Sceptre qu’on lui donne,
Sa générosité mérite une Couronne.
Pardonnez ce transport à mon ressentiment,
Un injuste mépris l’excite justement.

VASTHI.

Déjà la vanité s’empare de votre âme,
890 Mais enfin, qu’êtes-vous ?

ESTHER.

Ce que je suis Madame,
Telle que d’un grand Roi l’ordonnera l’Arrêt,
Esclave s’il le veut, et Reine s’il lui plaît.

VASTHI.

L’aspect d’une grandeur à vos yeux inconnue,
Vous charme, vous séduit, et vous ôte la vue.

ESTHER.

895 Non, non, je me connais, mais je respecte en moi,
Et l’amour, et la grâce, et le choix d’un grand Roi.

VASTHI.

Mais quand le Roi charmé par une amour si basse,
Vous tirant du néant vous mettrait à ma place,
Pensez-vous que l’État pendant à vos genoux,
900 Eût pour vous les respects que vous avez pour vous ?
Ne vous abusez point, ne croyez point des fables,
Un Sceptre est méprisé dans des mains méprisables.
L’honneur n’est pas honneur quand il est mal donné,
Et vous feriez d’un Trône un autel profané.

ESTHER.

905 Si le Trône est pour moi comme un char de victoire,
Le Roi qui m’y conduit, lui gardera sa gloire,
Puisqu’aux ambitieux le Trône si charmant
N’emprunte son éclat que du Roi seulement.

VASTHI.

Ainsi dans son néant la bassesse se flatte.

ESTHER.

910 Par elle des grands Rois la gloire même éclate.
Plus notre sort est bas, plus en le rehaussant
Se montre le pouvoir d’un Monarque puissant.

VASTHI.

Mais craignez ses faveurs ainsi que des menaces.

ESTHER.

C’est faire tort aux Rois que de craindre leurs grâces.

VASTHI.

915 C’est se mettre en péril que de trop s’y fier.

ESTHER.

Qui se résout à tout, se peut humilier.
Quoi qu’il faille trouver, le port ou le naufrage,
Comme un présent du Ciel, je garde le courage.
Qu’il m’ôte cet espoir, qu’il semblait me donner,
920 Qu’il arrête la main qui vient me couronner,
Qu’il montre à ma fortune un visage farouche,
Qu’il me fasse tomber du degré que je touche,
Il me laisse bien plus qu’il ne saurait m’ôter,
Puisqu’il me laisse un coeur qui peut tout supporter.

VASTHI.

925 Espérez néanmoins un sort plus salutaire,
L’amour étant pour vous, rien ne vous est contraire,
Espérez, espérez un bel événement,
Puisqu’en ce grand procès le juge est votre Amant.

SCÈNE IV. Mardochée, Esther. §

MARDOCHÉE.

Hélas sur qui des deux doit tomber la tempête !

ESTHER.

930 À tout événement le Ciel me verra prête.

MARDOCHÉE.

Si vous ne méritez que le plus grand des Rois
Brûle de votre amour et soutienne son choix,
Faites voir pour le moins un coeur magnanime,
Que d’un Roi si puissant vous méritez l’estime.
935 Je le confesse Esther, nos ennemis sont grands,
Quelques-uns sont cachés, quelques-uns apparents,
Et tous et tous enfin joignent leur artifice,
Pour vous faire tomber du Trône au précipice.
J’ai su même qu’Haman, que vous comptez pour vous,
940 Vous attaque en secret, et nous attaque tous.

ESTHER.

Haman dont les discours témoignent tant de zèle !

MARDOCHÉE.

Lui, lui, de qui le coeur est un coeur infidèle :
Il vous rend des respects à vos yeux complaisants ;
Mais c’est un ennemi qui vous fait des présents.

ESTHER.

945 Que fais-je à ce méchant, pour en être opprimée.

MARDOCHÉE.

Ce que fait aux méchants l’innocence estimée.
Mais enfin attendez avec un front égal,
Ou le Trône, ou les fers, ou le bien, ou le mal.

SCÈNE V. Mardochée, Haman, Esther. §

MARDOCHÉE.

Enfin Haman revient, qu’apporte-t-il ?

HAMAN.

Madame,
950 Que j’ai de part aux maux qui traversent votre âme ;
Et que je suis touché de ce triste destin,
Qui semble des grandeurs vous fermer le chemin.

MARDOCHÉE, à part.

Le méchant.

HAMAN.

Mais au moins ai-je cet avantage
D’avoir tâché pour vous de détourner l’orage,
955 Et de contribuer avec votre vertu,
Afin de vous garder un rang qui vous est dû.

ESTHER.

Certes quand la fortune en disgrâces féconde
Nous rend et le mépris, et le rebut du monde ;
Ce nous est un bonheur, et bien grand et bien doux
960 Que d’avoir des amis généreux comme vous.

HAMAN.

Mais ce m’est un malheur de manquer de puissance.

ESTHER.

La volonté suffit, et j’en ai connaissance.

HAMAN.

Que n’ai-je sur le Prince un moment de pouvoir.
On vous verrait Madame, où je voudrais vous voir.

ESTHER.

965 Que n’ai-je le pouvoir de qui je suis sujette,
On vous verrait de même où mon coeur vous souhaite.
Mais enfin, faut-il vaincre, ou faut-il succomber ?
Faut-il monter au Trône, ou faut-il en tomber ?
Qu’a résolu le Roi ?

HAMAN.

Rien encore, Madame,
970 Mais enfin...

ESTHER.

Mais parlez.

HAMAN.

Mais c’est vous percer l’âme.

ESTHER.

Non, non, ne craignez point.

HAMAN.

Le Roi presque rendu,
Entre Esther et Vasthi demeure suspendu.

MARDOCHÉE.

Quoi Seigneur il balance ?

HAMAN.

Oui, mais de telle sorte
Qu’il paraît...

ESTHER.

Dites tout.

HAMAN.

Que la Reine l’emporte ?
975 Il semble que pour elle un rayon de pitié
Rallume dans son coeur sa première amitié.
Mille raisons d’État qu’il pèse et qu’il ramène,
Semblent venir en foule au secours de la Reine.
Enfin j’ai par mes soins voulu l’en divertir,
980 Mais pour y rêver seul, il nous a fait sortir.
Ainsi je crains pour vous.

ESTHER.

Il faut au moins attendre,
Je ne tomberai pas, je saurai bien descendre.

HAMAN.

Il est même honorable en cette extrémité,
De quitter librement ce qui nous eût quitté.

ESTHER.

985 Avez-vous ordre, Haman, de tenir ce langage ?
Et de me préparer à mon proche naufrage ?

HAMAN.

Non pas, mais dans les biens qui vous seraient offerts,
Je crains pour vous les maux que d’autres ont soufferts.
Quoi qu’en votre faveur le Roi veuille résoudre,
990 Comme le Trône est haut, il est près de la foudre :
Et tel y croit monter afin de vivre heureux,
Qui monte seulement en un lieu dangereux.

ESTHER.

Si le Trône est un lieu dangereux et funeste,
Qu’attaque incessamment la colère céleste,
995 Je ferai voir un coeur, et ferme et généreux,
En montant sans trembler sur un lieu dangereux.

HAMAN.

Vous venez d’éprouver qu’à l’instant qu’on y monte
On peut au premier pas rencontrer de la honte ;
Croyez qu’un lieu si haut doit être redouté,
1000 Et lorsque l’on y monte, et lorsqu’on est monté.
On trouve quelquefois avecques moins d’ombrage,
Et dans un moindre sort, un plus grand avantage.

ESTHER.

Il ne m’importe Haman, si le Roi, si les Cieux
Me destinent à choir d’un lieu si glorieux.
1005 Je ferai voir alors une vertu si haute,
Qu’on croira que je donne un Sceptre que l’on m’ôte.

HAMAN.

L’exemple de Vasthi vous doit épouvanter.

ESTHER.

Il m’apprend les chemins que je dois éviter.

HAMAN.

Si l’orgueil la fit choir, on peut, on peut de même
1010 Tomber par mille endroits de ce degré suprême,
Puisque de tous côtés le Trône infortuné
Est un siège d’honneur, de gouffres couronné.

ESTHER.

On peut, on peut périr, et c’est là mon attente,
Mais ce n’est pas périr que périr innocente.

HAMAN.

1015 Mais Madame, ce mal des maux le plus affreux,
Ce seul tourment des coeurs que l’on croit généreux,
La honte qui nous tue, et qui nous persécute,
Accompagne toujours cette mortelle chute.

ESTHER.

Bien qu’un Trône éminent fut le Ciel de l’honneur,
1020 Bien qu’il fut ici-bas le souverain bonheur,
Bien que la gloire suive aussitôt qu’on y monte,
En tomber innocent, c’est en tomber sans honte.

HAMAN.

Mais enfin c’est tomber.

ESTHER.

Mais c’est vaincre en tombant
3
Et se faire un appui mêmes en succombant.
1025 Quand le Ciel nous fait choir, quand un Roi nous rebute,
La honte est dans la cause, et non pas dans la chute.
Enfin sans m’abaisser par une lâche peur,
Enfin sans m’élever par un espoir trompeur,
Quoi qu’on ait résolu, ma gloire ou ma disgrâce,
1030 Si le Roi m’appela, j’attendrai qu’il me chasse.

HAMAN.

Je vous souhaite un sort plus heureux et plus doux,
Et pour vous dire tout, un sort digne de vous.
Mais on apporte ici les marques de l’Empire.
Un Sceptre, une Couronne ! Ha quel est mon martyre !

SCÈNE VI. ZÉTHAR, Esther, Haman, Mardochée. §

ZÉTHAR.

1035 Voyez dans ces grands biens qui vous sont présentés
D’un Roi qui vous chérit les justes volontés.
Votre illustre Vertu mérita la Couronne,
Par les mains de l’amour un grand Roi vous la donne ;
Vos yeux ont su le vaincre, il veut vous témoigner
1040 Que qui surmonte un Roi mérite de régner.
Recevez donc Madame, Et le Sceptre et sa gloire,
Comme présents d’un Roi qui paye une victoire,
Et tenant sous vos pieds les dangers abattus,
Jouissez sans douleur du prix de vos vertus.

ESTHER.

1045 Comme de cet honneur trop grand et trop insigne,
Mes propres sentiments me déclarent indigne,
Je reçois cet honneur dont mes yeux sont surpris,
Ainsi qu’une faveur, et non pas comme un prix.
Mais enfin de ce Sceptre et de cette Couronne,
1050 Allons rendre un hommage à la main qui les donne,
J’ai déjà trop tardé.

HAMAN.

Désespérerons-nous ?

MARDOCHÉE.

Cieux, assurez ces biens s’ils nous viennent de vous.

SCÈNE VII. Haman, Mardochée. §

HAMAN.

Enfin un bel effet succède à votre attente.

MARDOCHÉE.

Le seul plaisir du Roi rend mon âme contente.
1055 Quiconque a pour son Roi d’avantageux désirs,
Des plaisirs de son Roi fait ses propres plaisirs.

HAMAN.

Il vous en doit sans doute une ample récompense.

MARDOCHÉE.

Je la reçois Seigneur, plus grande qu’on ne pense.

HAMAN.

La fortune d’Esther vous promet du support.

MARDOCHÉE.

1060 Je me tiens satisfait et content de mon sort.
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HAMAN.

Espérez d’autres biens le Ciel vous le commande.

MARDOCHÉE.

Que pourrais-je espérer, j’ai ce que je demande.

SCÈNE VIII. Haman, Tharès. §

HAMAN.

Il nous quitte en vainqueur, il rit de mon courroux,
Et triomphe en effet, puisqu’il vit malgré nous.
1065 Ha Tharès ! Que de maux, que d’horreur, que de gênes,
Et que mon coeur sans force est accablé de chaînes !
Fallait-il ma raison te laisser désarmer,
Fallait-il voir Esther ? Mais fallait-il l’aimer ?
Je la perds, je me meurs, un ennemi me brave,
1070 Et de mes passions je demeure l’esclave.
Hélas qui l’eût pensé ! Qu’un Roi, qu’un grand vainqueur,
Dans des liens si bas dût arrêter son coeur ?
Lâche Roi, mais que dis-je, au mal qui me surmonte,
Je veux que d’un grand Roi cette amour soit la honte ;
1075 Et si j’étais placé dans le nombre des Rois,
Esther est le seul bien que je souhaiterais,
Ô Ciel ! Ta cruauté en amour n’eût-elle pas pu paraître
Sans me rendre en amour compagnon de mon maître ?
Fortune, Dieux destins, grands auteurs de mon mal,
1080 Je vous rends vos grandeurs, ôtez-moi mon rival.

THARÈS.

Plutôt que d’un Rival l’autorité suprême
Vous dérobe à l’amour, et vous rende à vous-même.
Il est fort, il est Roi.

HAMAN.

Cessons de soupirer,
Et parce qu’il est Roi commençons d’espérer.

THARÈS.

1085 Près d’un si grand Rival votre amour persévère !

HAMAN.

C’est parce qu’il est Roi que mon amour espère.
Il ne faut qu’un soupçon pour ébranler les Rois,
Qui du bien de l’État se composent des lois :
Il ne faut qu’un soupçon pour éteindre la flamme,
1090 Que la plus forte amour allume dans leur âme.
Esther n’est pas encore en ce lieu de plaisirs
Où l’ambition même assouvis ses désirs ;
Puisque le jour me reste au milieu des supplices,
Il reste à mon amour cent nouveaux artifices.

THARÈS.

1095 Que faites-vous Seigneur ? Que voulez-vous tenter ?

HAMAN.

Je résous de me perdre, ou de me contenter.

THARÈS.

D’où viendrait du secours à l’espoir qui vous reste ?

HAMAN.

Les Juifs me serviront, les Juifs que je déteste.

THARÈS.

Eux qui vous ôteraient la force et le pouvoir.

HAMAN.

1100 Eux que ma haine attaque, et qu’elle fera choir.
Je sais que Mardochée espère en la victoire
Qui va porter Esther au Trône de la gloire,
Je crois même qu’Esther se déclarant pour lui
Fait espérer aux Juifs sa grâce et son appui ;
1105 Je veux par elle-même aujourd’hui m’en instruire,
Et puis montrer au Roi combien elle peut nuire.
Ainsi par des soupçons aisés à fomenter
Dedans l’esprit du Roi nous détruirons Esther,
Étant trop assuré qu’il préfère en son âme,
1110 L’amour se son État, à l’amour d’une femme.
Si l’orgueil de Vasthi précipita son sort,
Pour faire choir Esther un soupçon est trop fort.

ACTE IV §

SCÈNE I. Mardochée, Esther, Thamar. §

ESTHER.

Pourquoi ne vois-je en vous que des marques de crainte ?
De quel trait de douleur votre âme est-elle atteinte ?
1115 Et pourquoi sans parler vous vois-je épouvantés,
Lorsque le Ciel me porte où vous me souhaitiez ?
Vous avez désiré comme un bonheur extrême,
De voir dessus mon front briller le Diadème ;
Et quand l’amour du Ciel contente vos désirs,
1120 L’un en jette des pleurs, et l’autre des soupirs.
D’où vient ce changement, d’où viennent ces alarmes ?
Ce mal qui vous fait peur, qui vous tire des larmes,
Et dont par vos soupirs je sens déjà les coups,
L’apportons-nous au Trône, ou bien l’y trouvons-nous ?

MARDOCHÉE.

1125 Il faut mourir Esther, si le Ciel favorable
N’achève par vos mains un oeuvre mémorable.
Déjà le fer est prêt qui doit trancher vos jours,
Il faut mourir Esther, ou chercher du secours.

ESTHER.

Hé bien il faut mourir.

MARDOCHÉE.

Mais non pas sans défense,
1130 Puisqu’il s’agit ici de sauver l’innocence.

ESTHER.

Quel sort ! Quelle fortune ! Et qu’en dois-je espérer ?

MARDOCHÉE.

De combattre, de vaincre, et de vous assurer,
Ou de mourir au moins rayonnant de gloire,
Si nos propres malheurs vous ôtent la victoire.

ESTHER.

1135 Mais enfin de quels maux sommes-nous menacés ?

MARDOCHÉE.

De tous les maux, Esther, l’un sur l’autre amassés.
Que votre esprit travaille à se faire une image
D’horreur, de trahison, de flamme, de carnage,
D’innocents poursuivis, de Trônes renversés,
1140 Vous verrez de quels maux nous sommes menacés.
Enfin pour dire tout, ce Peuple misérable
Qui languit dans les fers dont la Perse l’accable,
Les Juifs dont vous sortez, les Juifs de qui je sors
Sont aujourd’hui vivants, et demain seront morts.

ESTHER.

1145 Hélas !

MARDOCHÉE.

Moi qui vous parle, et qu’en votre misère
Vous avez tant de fois regarder comme père,
Moi-même dont les soins tant de fois témoignés,
Sont le premier degré du Trône où vous régnez.
Peut-être qu’en ce jour où régnera le crime
1150 Je serai des méchants la première victime,
Et le premier objet affreux, ensanglanté,
Sur qui vous jetterez votre oeil épouvanté.
Enfin, enfin de Juifs la perte est arrêtée.

ESTHER.

N’est-ce point par la crainte une chose inventée ?

MARDOCHÉE.

1155 Vous savez que Tharès de Thamar amoureux,
Par l’hymen qu’il attend, croit devenir heureux.

ESTHER.

Je le sais.

MARDOCHÉE.

Ce Tharès, qui ne craint que pour elle,
Lui vient de découvrir cette trame mortelle,
Lui vient de découvrir ce que l’on a résolu
1160 D’exercer sur les Juifs un pouvoir absolu,
Qu’on doit ensevelir dans le même naufrage
Les vieillards, les enfants, et tout sexe, et tout âge,
Et sans considérer le mérite ou le rang
En étouffer la race, et l’éteindre en leur sang.
1165 Voilà nos maux Esther.

ESTHER.

Quoi Thamar...

THAMAR.

Oui Madame,
Il m’a dit l’oeil en pleurs, et la crainte dans l’âme,
Que si je ne fuyais pour sortir du danger,
5
Mêmes entre vos bras on viendrait m’égorger.

ESTHER.

D’où sait-il ce malheur ?

THAMAR.

Il ne veut point le dire,
1170 C’est assez m’a-t-il dit, que l’on vous en retire,
Et qu’enfin vous sachiez que pour ce grand dessein,
Le Roi donne sa voix, son pouvoir, et sa main.

MARDOCHÉE.

Ce n’est donc pas à tort, que mon esprit en peine
L’a soupçonné pour nous d’une mortelle haine.
1175 Dès l’heure que mon soin découvrit l’attentat
Qui menaçait ses jours de même que l’État,
(Il vous en ressouvient de ces noires pratiques
Qui faisaient le chemin à tant d’actes tragiques,
Et qui dessus le Roi tombant de toutes parts
1180 Déjà près de son sein approchaient les poignards)
Enfin depuis ce temps que la bonté céleste
Découvrit par mes soins un dessein si funeste,
Trop de signes certains témoignent à mes yeux
Que les Juifs sont aux Rois des Peuples odieux.
1185 Quelle grâce a suivi ce signalé service
Par qui je le retins penchant au précipice ?
Hélas on jugerait qu’en ce moment fatal
Je fis un autre mal de découvrir ce mal.
C’est à vous maintenant de calmer tant d’alarmes,
1190 C’est à vous de marcher, et de prendre les armes ;
Et puisqu’en ce haut rang le Ciel vous fait asseoir,
C’est à vous d’opposer le pouvoir au pouvoir.

ESTHER.

Hélas !

MARDOCHÉE.

Consultez-vous ?

ESTHER.

Le danger m’épouvante.

MARDOCHÉE.

Le danger vous étonne, ou la gloire vous tente !

ESTHER.

1195 Le danger qui vous suit, non celui qui me perd,
Tient mon coeur à la crainte incessamment ouvert.

MARDOCHÉE.

L’infortune des Juifs, leurs douleurs et leurs craintes
Ont besoin de secours, et non pas de vos plaintes.
Ce n’est pas les aider que de craindre pour eux,
1200 Et c’est agir pour vous qu’aider ces malheureux :
Car enfin croiriez-vous éviter les tempêtes
De qui le coup mortel tomberait sur leurs têtes,
Et que leur mauvais sort respectant votre rang
N’allât pas jusqu’au Trône épuiser votre sang ?
1205 Si pour sauver les Juifs votre bras ne s’emploie,
Le Ciel pour les sauver peut faire une autre voie,
Il peut fendre la terre en des chemins nouveaux,
De même que pour eux il sut fendre les eaux.
Mais aussi redoutez que le ciel qu’on outrage
1210 Ne laisse sur vous seule éclater cet orage,
Pour avoir négligé des peuples malheureux,
Et retenu le bien qu’il vous donna pour eux.
Croyez-vous que le Ciel vous rende Souveraine,
Et vous donne l’éclat et le titre de Reine,
1215 Pour briller seulement de l’illustre splendeur
Que répandent sur vous la pourpre et la grandeur ?
Croyez-vous aujourd’hui posséder la Couronne
Pour jouir seulement des plaisirs qu’elle donne ?
Que si vous abusant par un nouveau désir
1220 Vous croyez que les Rois sont nés pour le plaisir,
Croyez que le plaisir des Princes équitables
Consiste à secourir les peuples misérables.
Dans le même moment que des coeurs inhumains
Arment contre les Juifs de sanguinaires mains,
1225 Un Roi qui vous chérit vous donne une puissance
Capable d’étouffer cette injuste licence ;
Pensez-vous que ce Dieu qui fait tout sagement
Nous fasse voir en vain ce grand événement ?
Non, non, c’est pour un bien que cette grâce éclate,
1230 C’est pour vous témoigner qu’il faut que l’on combatte ;
Le pouvoir qu’il vous donne avecques tant d’éclat
Est pour vous le signal qu’il donne du combat.

ESTHER.

Pensez-vous donc qu’Esther peu forte et magnanime
Comme un faible soldat ait besoin qu’on l’anime ?
1235 Si j’ai peur maintenant, hélas ! Hélas j’ai peur
De manquer de succès, non de manquer de coeur.
Je n’ai pas souhaité cette grandeur suprême
Pour jouir des plaisirs que donne un Diadème ;
Mais je n’ai souhaité son pouvoir et ses biens
1240 Qu’afin d’en secourir l’infortune des miens.
Et si le Trône même où le Ciel m’a portée
De cet aimable espoir n’eût mon âme flattée,
Quoi qu’un Trône ait de grand et d’illustre et d’heureux,
Je l’eusse refusé comme un bien dangereux.
1245 Comme par la grandeur si pompeuse et si chère
D’un esprit étonné chacun me considère,
On considérerait mon courage indompté
Par l’illustre refus d’un Trône rejeté.
Enfin, enfin les Juifs jusqu’ici déplorables
1250 Verront faire pour eux des efforts favorables.
Ils auront part aux biens dont me comble le Roi,
Ou j’aurai part aux maux qui les comblent d’effroi.
Noble et chère Patrie, autrefois florissante,
Maintenant dans les fers esclave et languissante,
1255 Si je ne puis t’aider, ni te rendre ton rang
Au moins dans ce dessein je te rendrai mon sang ;
J’opposerai mon sein aux couteaux effroyables,
Qui doivent égorger tes enfants misérables,
Et malgré les fureurs qui les font succomber,
1260 Pas un ne tombera qu’on ne m’ait vu tomber ;
Si je ne méritais l’honneur de la Couronne
Quand un Roi m’a donné l’éclat qui m’environne,
Comme pour mon pays je la prodiguerai,
Au moins en la perdant je la mériterai.

MARDOCHÉE.

1265 Allez donc mériter cette éclatante gloire
Ou par votre défaite, ou par votre victoire.

ESTHER.

Mais avant que d’user d’un remède fatal
N’est-il pas à propos d’être assuré du mal ?
Peut-être sur un bruit avez-vous pris l’alarme.

MARDOCHÉE.

1270 Un si funeste bruit veut au moins que l’on s’arme.

ESTHER.

Mon courage est tout prêt. Mais Haman vient me voir.
Retirez-vous d’ici, j’en pourrai tout savoir.

SCÈNE II. Haman, Esther. §

HAMAN.

Ravi de vos honneurs, ravi de votre gloire,
Je viens avecques vous célébrer la victoire,
1275 Et consacrer encore à votre Majesté,
Mon courage, mon sang, et ma fidélité.
Enfin votre vertu justement Couronnée,
Arrête sous vos pieds la fortune enchaînée,
Et si le Ciel répond à nos justes souhaits,
1280 Le Trône aura pour nous une éternelle paix.

ESTHER.

Dans l’état glorieux où l’on me considère
La paix est le seul bien que le Ciel me peut faire ;
Mais cette paix me manque, elle fuit de mon coeur
Comme d’un lieu funeste où le trouble est vainqueur,
1285 Et n’ayant pas la paix que j’appelle à mon aide,
Je ne crois pas avoir les biens que je possède.
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HAMAN.

Qui pourrait vous troubler où le Ciel libéral
Sous le comble des biens semble étouffer le mal ?
Si vos prospérités vous font des adversaires,
1290 Ne sont-ils pas sans force, ou bien vos tributaires ?
Les efforts de Vasthi sont vains et superflus,
Son orgueil l’a fait choir pour n’en relever plus,
Et le Roi s’en assure, et la traite de sorte,
Qu’elle est même en vivant comme une Reine morte.
1295 Enfin il la relègue en des lieux écartés
D’où son bras ne peut nuire à vos prospérités,
Enfin elle est détruite, et sa dernière audace
D’un Monarque amoureux vous confirme la grâce.
D’où vient donc le souci qui semble vous saisir ?

ESTHER.

1300 Le malheur de Vasthi ne fait pas mon plaisir,
Bien que pour l’agrandir le Ciel la persécute,
Bien qu’un Roi si puissant m’élève par sa chute,
Si j’étais insensible aux traits de sa douleur,
J’aurais mieux que son rang mérité son malheur.
1305 Mais enfin d’autres maux qui m’attaquent moi-même
Portent jusqu’à mon coeur leur violence extrême,
Et parmi les honneurs viennent m’ôter la paix,
Qui fait seule aujourd’hui mes voeux et mes souhaits.
Un Peuple, un Peuple esclave, Haman le peut-on croire,
1310 M’empêche de goûter les douceurs de la gloire.

HAMAN.

Un Peuple.

ESTHER.

Oui les Juifs dans nos fers arrêtés
Séparent le repos de mes prospérités
Et m’ôtant le repos, qui vaut une Couronne,
Ils m’ôtent plus de biens que le Sceptre m’en donne.

HAMAN.

1315 Quoi leur calamité vous donne du souci.

ESTHER.

Non, non, j’ai pour ce peuple un courage endurci,
Et je crains que ma main ne soit pas assez forte
Pour l’arrêter au moins dans les chaînes qu’il porte.

HAMAN.

Les Juifs seraient pour vous des objets odieux !

ESTHER.

1320 Je les vois, je les hais comme des factieux,
De secrets sentiments à mon repos contraires
Les peignent dans mon coeur comme mes adversaires.

HAMAN.

Toutefois Mardochée espère en votre appui.

ESTHER.

Jusqu’ici l’ayant craint j’ai tout souffert de lui,
1325 Mais il saura bientôt qu’elle est la différence
De moi dans la faiblesse, à moi dans la puissance.
Et si le Roi s’accorde à mon ressentiment,
Tous les Juifs avec lui sauront ce changement.

HAMAN.

Non, non, ne doutez point que le Roi n’autorise
1330 Contre ce Peuple ingrat une juste entreprise ;
Haïr et détester ces barbares sans foi,
C’est avoir dans le coeur les sentiments du Roi,
Et condamner enfin cette engeance mutine,
C’est avecques le Roi prononcer leur ruine.

ESTHER.

1335 Le Roi veut donc les perdre ?

HAMAN.

Oui Madame, et les Cieux
Qui défendent les Rois, et qui veillent pour eux,
Vous inspirent peut-être une si juste haine,
Pour avancer leur perte aussi bien que leur peine.
Par eux ce grand État est plein de factions
1340 Par eux la porte s’ouvre à cent divisions ;
Ils méprisent nos lois secrètes et publiques,
Ils sont les artisans de cent actes tragiques,
Et peut-être bientôt ces Monstres de l’Enfer
Feraient d’un Trône d’or, un Trône tout de fer.
1345 Mais ils sont peu contents de causer ces misères,
Leur orgueil criminel en veut à nos Mystères.
Et leur Religion bravant les immortels
Attaque insolemment nos Dieux et nos Autels.
Déjà de leur venin les Provinces s’infectent,
1350 Déjà par leurs erreurs nos peuples les respectent,
Présage malheureux de ces noirs attentats,
Qui traînent avec eux la chute des États,
Car enfin quelle flamme et quels malheurs éclatent
Quand deux religions dans un État combattent ?
1355 Quel sang épargne-t-on, ignoble ou glorieux
Quand on croit le verser pour la gloire des Dieux ?
Alors tout est permis, tout semble légitime,
Du nom de Piété l’on couronne le crime ;
Et comme on pense faire un sacrifice aux Dieux,
1360 Qui verse plus de sang paraît le plus pieux.
Le Roi qui voit ces maux, et qui connaît leur source
Veut se montrer bon Prince en arrêtant leur course.
Ainsi par un Arrêt rendu secrètement
Il a de tous les Juifs conclu le châtiment.

ESTHER.

1365 Quand doit s’exécuter cet Arrêt salutaire ?

HAMAN.

On va mettre la main à cette grande affaire.

ESTHER.

Mais par quelle clarté favorable à l’État
A-t-on de ces méchants découvert l’attentat ?

HAMAN.

C’est par mes soins, Madame, heureux et nécessaires
1370 Que le Roi reconnaît ses secrets adversaires,
Et c’est par mes conseils que son bras irrité
Va faire choir sur eux le foudre mérité.
Mais Madame pressez cet effet équitable
Qui doit rendre pour vous le Trône inébranlable,
1375 Et par le grand succès de ce coup important
Affermissez un bien qu’on vous donne inconstant.
Comme vous avez part aux honneurs de l’Empire,
Vous devez avoir part au soin de le conduire ;
Et si par vos vertus vous méritez ce rang
1380 Qu’une autre sans vertu ne devrait qu’à son sang,
Faites juger aussi que notre aimable Reine
Mérite par ses soins le rang de Souveraine.

ESTHER.

Je ferai mon devoir.

HAMAN.

Je vous ai dit le mal.

ESTHER.

Vous m’avez fait un bien qui n’eut jamais d’égal.
1385 Mais je perdrai bientôt le jour et la puissance
Ou vous en recevrez la juste récompense,
J’y vais songer Haman.

SCÈNE III. Haman, Tharsis. §

La scène III, emploie Tharsis comme locuteur, alors qu’il n’existe pas dans la liste des personnages, il semble bien qu’il s’agisse de Tharès ; nous le conservons.

THARSIS.

Ha Seigneur quel effet !

HAMAN.

Si j’étais sans amour, j’en serais satisfait.
Hélas pour contenter mon amour abusée
1390 Il fallait à mes voeux la trouver opposée :
Si j’attaque les Juifs par moi seul malheureux,
Il fallait voir Esther me combattre pour eux.
Ainsi par des soupçons qui refroidissent l’âme
D’un Roi qui la chérit s’eusse altéré flamme ;
1395 Et si Vasthi tomba par de nobles dédains,
Esther eût pu tomber et tomber dans mes mains.
Ô trop cruel amour ! N’es-tu dedans mon âme
Armé contre moi-même, et de fers et de flamme,
Que pour faire des maux aussi longs que mes jours,
1400 De tout ce que j’emploie à me donner secours.
Mais que veux-je, et que puis-je, où tout est impossible ?
Veux-je arracher du Trône une Reine invincible ?
Hélas je le voudrais ! Et pour ce grand dessein,
À toute cruauté s’engagerait ma main ;
1405 Oui pour me contenter je pourrais entreprendre
De mettre tout en sang, de mettre tout en cendre,
À quelque extrémité qu’on porte la rigueur,
On n’achète point trop le repos de son coeur.

THARSIS.

Cédez à l’impossible.

HAMAN.

Il faut bien que je cède,
1410 Et que le temps au moins devienne mon remède.

THARSIS.

Cependant...

HAMAN.

Cependant il faut se consoler
Par l’espoir de ce sang que nous verrons couler ;
Tâcher d’adoucir une amour inhumaine
Par le contentement que recevra ma haine,
1415 Mais de la mort des Juifs cache bien le dessein.

THARSIS.

Il vaut mieux que mon coeur cache dedans mon sein.

HAMAN.

Mais remettre si loin la mort de Mardochée,
C’est faire une autre plaie à mon âme troublée ;
Il faut pour satisfaire à mon ressentiment
1420 Que ce Juif orgueilleux ait à part son tourment,
Comme c’est par lui seul qu’Esther me fut ôtée,
Je veux voir de son sang la terre ensanglantée,
Et je pourrais douter que l’on l’eût répandu
Si parmi d’autre sang il était confondu.
1425 Il n’est point de secours, si prompt, si salutaire,
Qui soulage à l’égal du sang d’un adversaire,
Il n’est point de spectacle et plus grand et plus beau
Que de notre ennemi le meurtre et le tombeau.

THARSIS.

Représentez au Roi que c’est par cet infâme,
1430 Que l’État va brûler d’une funeste flamme ;
Représentez au Roi que ce Juif odieux
Est le Père et le Chef de tous les factieux
Et cependant Seigneur, puisqu’il faut qu’il périsse,
Faites de ce méchant préparer le supplice,
1435 Car je ne doute point que sur votre rapport
Un Roi qui sait régner ne résolve sa mort.

HAMAN.

Je suivrai ton conseil qui me fait par avance
Goûter avec plaisir les fruits de la vengeance.
Je ne crains plus qu’Esther renverse mon dessein,
1440 Elle me prêtera son pouvoir souverain ;
Et si par elle seule une amour inhumaine,
Me remplit de fureur, et me comble de peine,
Par elle une vengeance égale à mes désirs
Me va remplir de joie et combler de plaisirs.
1445 Enfin il n’est plus rien que mon âme appréhende.
Allons trouver le Roi.

SCÈNE IV. Zéthar, Haman. §

ZÉTHAR.

Seigneur, le Roi vous mande.

HAMAN.

En sais-tu le sujet ?

ZÉTHAR.

On peut bien le penser.
Il parle de service, et de récompenser.
Enfin, enfin Seigneur, sa Royale justice
1450 Se prépare à payer quelque illustre service.

HAMAN.

À qui destine-t-il un si beau traitement ?

ZÉTHAR.

À vous Seigneur, à vous, n’en doutez nullement,
De la façon qu’il parle, il fait assez entendre
Que ce prix est un bien que vous devez attendre.

HAMAN.

1455 Va Zéthar, je te suis. Le Ciel peut-il pour nous
Se montrer aujourd’hui plus propice et plus doux ?
Mon amour lui déplut, je l’apprends par ma peine,
Mais au moins il fait voir qu’il approuve ma haine.
Ainsi mon cher Tharsis, puisque l’amour du Roi
1460 Cherche de nouveaux biens à répandre sur moi,
Pour soulager les maux dont mon âme est touchée,
Allons lui demander le sang de Mardochée.

ACTE V §

SCÈNE I. Le Roi, accompagné. §

LE ROI.

Certes quand mon esprit revoit cet attentat
Qui menaçait mes jours, ma gloire et mon État,
1465 Et que je songe enfin que le rare service
Qui me fit triompher dessus mon précipice,
Demeure enseveli comme dans le mépris,
Sans qu’une récompense en témoigne le prix ;
Je crois contribuer à ces sourdes pratiques
1470 D’où naissent tous les jours tant d’accidents tragiques,
Ayant toujours jugé que les Princes ingrats
Sont complices contre eux des plus noirs attentats.
Quoi je devrai mes jours aux soins de Mardochée,
Il aura découvert cette trame cachée,
1475 Il aura conservé ma gloire et ma splendeur,
Ses bras auront été l’appui de ma grandeur,
Et je ne montrerai pour de si grands services
Que de l’ingratitude, et que des injustices !
Non, non, ayant dessein d’apprendre à m’obéir,
1480 Ne pas récompenser c’est apprendre à trahir.
Je veux que Mardochée ait une récompense
Qui montre en même temps sa gloire et ma puissance,
Je veux que Mardochée ait un prix de sa foi
Digne d’un bon sujet, et digne d’un grand Roi.
1485 Mais Haman ne vient point ; il faut qu’il me conseille,
Et suivre son conseil en affaire pareille.

SCÈNE II. Zéthar, Le Roi, Haman. §

ZÉTHAR.

Sire, Haman est ici.

LE ROI.

Qu’il entre, je l’attends.

HAMAN, en entrant.

Enfin nous allons vaincre, et nous rendre contents.

LE ROI.

Haman, comme en faveur de l’heureux Hyménée,
1490 Dont le Ciel qui nous aime amène la journée,
Comme en faveur d’Esther je veux de tous côtés
Répandre heureusement mes libéralités,
Tirer les criminels de la crainte des gênes
Et porter le bonheur même au milieu des chaînes.
1495 Comme je veux enfin pour comble de bienfaits,
Qu’un oubli général efface tous forfaits.

HAMAN.

Quoi Sire, voulez-vous que ce peuple perfide
Qui s’allait signaler par votre parricide,
Voulez-vous que les Juifs prêts à faire un effort,
1500 Vivent par vos faveurs pour vous donner la mort ?

LE ROI.

Non, non, ils périront, quand un Prince fait grâce,
Jamais le factieux n’y doit avoir de place.
Mais comme mes faveurs vont jusques aux cachots
Porter aux criminels le jour et le repos,
1505 Je veux, je veux, Haman, comme en une victoire,
Sur ceux qui m’ont servi, répandre aussi ma gloire,
Montrer que la vertu peut seule me ravir,
Et par la récompense apprendre à bien servir.

HAMAN.

C’est aussi d’un grand Roi le plus noble exercice,
1510 Puisque récompenser c’est rendre la justice.
Ouvrez donc aujourd’hui vos libérales mains,
Soyez égal aux Dieux qu’adorent les humains,
Et puissent vos sujets par une belle envie,
Avecques tant d’ardeur vous consacrer leur vie,
1515 Que votre Majesté puisse aussi désormais
Donner autant de prix qu’elle aura de sujets.

LE ROI.

Haman j’aime un sujet généreux et fidèle,
De qui de grands effets m’ont témoigné le zèle,
Je l’estime, je l’aime, et lui dois tant de biens,
1520 Que c’est trop peu pour lui du haut rang que tu tiens.
Dis-moi de quels honneurs ma puissance Royale
Doit envers sa vertu se montrer libérale ?
Dis-moi, que dois-je faire afin de l’honorer
Autant que ma grandeur le peut faire espérer.

HAMAN.

1525 Comme mieux qu’un sujet un Prince magnanime
D’un fidèle sujet sait le prix et l’estime,
Il n’appartient aussi qu’aux Princes valeureux
De savoir honorer des sujets généreux.

LE ROI.

Parle je le souhaite, et je te le commande.

HAMAN.

1530 À vos commandements il faut que je me rende.
Puisqu’un sujet fidèle et prudent à la fois
Est le plus grand trésor que possèdent les Rois,
Jugeant en sa faveur, Sire, j’oserai croire
Qu’on ne peut le combler d’une trop haute gloire,
1535 Et qu’un Prince régnant ne doit rien réserver,
Ou pour se l’acquérir, ou pour le conserver.
Si donc de vos faveurs la splendeur immortelle
Doit luire abondamment sur un sujet fidèle,
Si vous lui destinez des honneurs sans égaux,
1540 Faites-le revêtir des ornements Royaux,
Faites dessus son front briller le Diadème,
Faites-le voir au peuple en ce degré suprême,
Et que quelqu’un des Grands publie à haute voix
Qu’ainsi sont honorés ceux qu’honorent les Rois.
1545 Que si quelque envieux ose attaquer sa vie,
Immolez à son bien l’envieux et l’envie.
Enfin pour le combler d’honneur et de plaisirs,
On doit tout accorder à ses justes désirs.

LE ROI.

J’estime ton avis, et pour mieux te l’apprendre,
1550 Ton avis est celui que ton Prince veut prendre.
Connais-tu Mardochée ?

HAMAN.

Oui Sire.

LE ROI.

C’est celui
Que j’aime, que j’honore, et qui fut mon appui.

HAMAN.

Quoi Sire, Mardochée est ce sujet fidèle ?

LE ROI.

C’est lui, mon cher Haman, dont j’honore le zèle,
1555 Ce n’est qu’en sa faveur que j’ai pris tes avis,
Ce n’est qu’en sa faveur qu’on les verra suivis.
Enfin j’ai souhaité que ta main généreuse
M’aidât à relever la vertu malheureuse.

HAMAN.

Quoi Sire, à Mardochée un même honneur qu’au Roi ?

LE ROI.

1560 Tu l’as ordonné tel, tel il l’aura de moi.

HAMAN.

Mais il fit son devoir s’il vous rendit service.

LE ROI.

Et je ferai le mien si je lui rends justice.

HAMAN.

Sire, il faut à son rang mesurer vos bienfaits.

LE ROI.

Je les dois mesurer par les biens qu’il m’a faits.

HAMAN.

1565 Ils peuvent être grands, sans devenir extrêmes.

LE ROI.

Ils me sembleraient bas s’ils n’étaient pas suprêmes.
Quoi veux-tu t’opposer à tes propres conseils ?
À qui destinais-tu ces honneurs sans pareils ?

HAMAN.

Aux Princes seulement, ces appuis des Provinces.

LE ROI.

1570 Haman, de bons sujets me tiennent lieu de Princes ;
Je sais bien estimer la noblesse du sang,
Mais la fidélité me plaît plus que le rang.

HAMAN.

Mais Sire...

LE ROI.

Mais enfin, pour tirer Mardochée
De cette obscurité dont sa gloire est cachée,
1575 Pour rendre avec usure à sa fidélité
Le bien que je lui dois, et qu’elle a mérité,
Je veux en sa faveur devant que tu sommeilles,
Te voir exécuter ce que tu me conseilles,
Je veux rendre par toi ses honneurs sans égaux,
1580 Fais-le donc revêtir des ornements Royaux,
Fais briller sur son front l’éclat du Diadème,
Fais-le voir à mon peuple en ce degré suprême ;
Toi-même en sa faveur publie à haute voix
Qu’ainsi sont honorés ceux qu’honorent les Rois.
1585 Que si quelque envieux ose noircir sa vie,
Immole à son repos l’envieux et l’envie ;
Enfin quelques grands biens qu’il puisse demander,
À qui m’a tout sauvé je dois tout accorder.
Va m’obéir Haman, va-t-en me satisfaire,
1590 Exécute cet ordre, ou crains de me déplaire.
Et montre par l’ardeur que j’espère de toi,
Que tu chéris les coeurs qui chérissent leur Roi.

SCÈNE III. §

HAMAN, seul.

Moi que par des honneurs sans borne et sans exemples,
Même à mon ennemi je bâtisse des temples !
1595 Et qu’à ma dignité moi-même injurieux,
Je mette ma victime au nombre de mes Dieux !
Non, non, tombe sur moi pour me réduire en poudre
Et des Rois et des Dieux la disgrâce et la foudre ;
Nous avons triomphé parmi de si grands coups
1600 Si l’heur d’un ennemi ne lui vient pas de nous,
Nous aurons en mourant obtenu la victoire
Si nous ne servons pas à le combler de gloire.
Quel plus horrible coup me peut épouvanter ?
Quel plus cruel destin me peut persécuter ?
1605 Je pense recevoir un honneur, un salaire,
Et j’en viens décerner à mon propre adversaire ?
Je crois trouver sa mort, sans peine et sans combat,
Et je viens à sa vie apporter de l’éclat !
Si le voir seulement, et même comme infâme,
1610 Est un tourment des yeux qui passe jusqu’à l’âme,
Le voir en même temps et vivre et triompher,
N’est-ce pas proprement ce que l’on nomme Enfer ?
Si je résiste au Roi, ma disgrâce est jurée,
S’il lui faut obéir, ma honte est assurée ;
1615 Lequel est, Dieux cruels le moins rude pour moi,
Ou de me voir l’objet de la haine d’un Roi,
Ou de me voir contraint comme par la victoire
De mettre un ennemi dans le Char de la gloire ?
Perdons, perdons plutôt cette vaine faveur
1620 Qui n’est douce qu’aux yeux, et qui gêne le coeur.
Tomber au précipice est une loi plus douce,
Que d’en faire sortir l’ennemi qu’on y pousse ;
Et la faveur des Rois n’est faveur qu’à demi,
Quand elle ne sert pas à perdre un ennemi.
1625 Que fais-je malheureux, ou bien que veux-je faire ?
Veux-je ajouter ma perte aux biens d’un adversaire ?
Veux-je par mon malheur, dont il sera charmé
Lui donner le plaisir de m’avoir opprimé ?
Il chérira ma perte, il chérira ma cendre
1630 Bien plus que les honneurs que je pourrais lui rendre,
Puisque l’adversité d’un ennemi défait
Contente bien autant que l’honneur satisfait.
Comme de mes conseils, hélas le peut-on croire !
J’ai de mon ennemi sollicité la gloire ;
1635 Veux-je par ma disgrâce, et par mes longs tourments
Contribuer encor à ses contentements ?
Pourrai-je enfin prétendre, ô fortune infidèle,
D’être au vouloir d’un Prince impunément rebelle,
D’un Prince rigoureux, et dès le même jour
1640 Qu’il n’a pas épargné sa femme et son amour !
Ô redoutable effet d’un destin sanguinaire !
Qui veut ou que j’honore un infâme adversaire,
Ou que je sois réduit pour comble de douleurs,
À le rendre content par mes propres malheurs.
1645 Mais enfin il est Juif, donnons-en connaissance ;
Mais comme je craignis, je crains son innocence,
Je redoute aujourd’hui ce que j’ai redouté,
Je redoute ma fraude et sa fidélité.
Si je vais l’accuser, son service l’excuse,
1650 Il peut sauver les Juifs du succès de ma ruse ;
Je crains que tout le mal ne tombe dessus nous,
Et qu’en faveur d’un seul on ne pardonne à tous.
Recourons toutefois à ce dernier remède ;
Que ma fraude m’opprime, ou que ma fraude m’aide,
1655 Remontrons qu’il est Juif, et tentons pour le moins
Ce qui peut m’affranchir et de peine, et de soins,
Mais le voici, feignons.

SCÈNE IV. Haman, Mardochée. §

HAMAN.

Enfin les Dieux propices
Joindront la récompense à vos rares services.
Triomphez maintenant de ces longues douleurs !
1660 Qu’une éternelle crainte ajoute à vos malheurs !
Votre fidélité vous gagne une victoire
Qui vous couronnera d’une immortelle gloire.

MARDOCHÉE.

Cesse, cesse, orgueilleux de tes prospérités,
D’ajouter la risée à nos calamités ;
1665 Et crois méchant esprit, âme dénaturée,
Que le bien des méchants n’est jamais de durée.

HAMAN.

N’outragez point celui qui vous doit honorer.

MARDOCHÉE.

Flatterai-je celui qui me doit massacrer ?

HAMAN.

Vous oubliez sans doute et mon rang, et le vôtre.

MARDOCHÉE.

1670 Nous savons votre rang, nous connaissons le nôtre ;
Enfin je sais cruel, qui nous sommes tous deux,
Je suis un misérable, et vous êtes heureux ;
Mais si le Roi de Perse est encore équitable
Je serai bienheureux, vous serez misérable.

HAMAN.

1675 Déjà l’événement répond à vos désirs,
Puisque même le Roi travaille à vos plaisirs.

MARDOCHÉE.

Il y travaillera pour la honte d’un traître,
Et s’il nous veut ouïr, et s’il peut vous connaître.

HAMAN.

Enfin... Mais il revient, je crains quelques malheurs.

SCÈNE V. Le Roi, Esther, Haman, Mardochée. §

LE ROI, parlant à quelqu’un des siens.

1680 Esther, me dites-vous, vient me trouver en pleurs ?
Haman suivez votre ordre.

HAMAN.

Ô loi trop inhumaine ?
Toutefois espérons, je vois venir la Reine.

ESTHER.

Sire, qu’Haman demeure.

LE ROI.

Arrêtez près de moi,
Et recevez d’Esther cette première loi.

ESTHER, remettant aux pieds du Roi la couronne et le Sceptre.

1685 Sire, puisque le Ciel, d’où dépend notre gloire,
Attache de si près ma perte à ma victoire,
Sire, puisque le ciel ne veut que d’un moment
Séparer ma grandeur de mon abaissement,
Je remets à vos pieds ces marques glorieuses
1690 Qui perdraient leur éclat dans des mains malheureuses,
Aimant bien mieux les rendre à votre Majesté,
Que de les voir ravir par mon adversité.

LE ROI.

Quelle raison vous force à rendre une Couronne
À l’instant bienheureux que le ciel vous la donne ?
1695 Que craignez-vous, Esther, et d’où vient cet effroi ?
Craignez-vous les présents, et l’amitié d’un Roi ?

ESTHER.

Ha, sire, si les traits d’une affreuse tourmente
Déjà prêts de tomber ne pendaient sur ma tête,
Ou que cet attentat plein de rage et d’horreur
1700 Contre moi seulement fit agir sa fureur,
On ne me verrait pas par une juste plainte
Au calme de la Cour donner la moindre atteinte,
Et je perdrais la vie avec la liberté
Plutôt que de troubler votre tranquillité.
1705 Mais le coupable auteur d’un si sanglant orage,
Sur un peuple innocent veut étendre sa rage,
Il veut de votre État faire un funeste étang,
Qui ne soit composé que de pleurs et de sang ;
Et pour combler l’horreur d’une trame si noire,
1710 Il va jusques à vous attaquer votre gloire.

LE ROI.

On veut vous attaquer ! De quelle lâche main
Pourrait sortir l’effet de ce cruel dessein ?
Quelle rigueur, quels maux, quels tourments légitimes
Ne sont pas dûs, Haman, à l’auteur de ces crimes !

HAMAN.

1715 Il n’est point de tourment, ni d’inhumanité,
Qui ne soit moindre encore que cette impiété.
Pour perdre le coupable, et lui faire un supplice,
Même la cruauté peut devenir justice,
Mais ne différez point, Sire, et n’épargnez rien,
1720 Laisser vivre un méchant, c’est nuire aux gens de bien.

LE ROI.

Parlez, parlez Esther, montrez le misérable
Qu’un si noir attentat a rendu si coupable.
Bien que contre moi seul il tournât son effort
Pour vous avoir fait craindre il mérite la mort.
1725 Parlez, parlez enfin, montrez-nous cet infâme ?

ESTHER.

Ha Sire, c’est Haman.

LE ROI.

Vous Haman ?

HAMAN.

Moi Madame ?

ESTHER.

Oui traître, oui méchant, Sire pardonnez-moi,
Si je semble oublier le respect de mon Roi ;
C’est le premier tourment que nous devons aux traîtres,
1730 Que de les mépriser à l’aspect de leurs Maîtres.
Sire, il vous ressouvient de ce grand attentat
Qui tramait votre perte, et celle de l’État,
Et de qui Mardochée eût l’honneur et la gloire,
De vous faire obtenir une heureuse victoire.
1735 Le traître dont la main devait l’exécuter,
Le traître qui s’enfuit, quand on crût l’arrêter,
Enfin.

LE ROI.

L’a-t-on trouvé ?

ESTHER.

Les Juifs, ces misérables
Qu’on vous a figurés, comme de grands coupables,
Et qui voudraient mourir pour votre Majesté,
1740 L’ayant suivi partout, l’ont enfin arrêté.
Jusques ici, méchant, tu parais sans offense,
Et brillant de l’éclat que donne l’innocence,
Mais écoute, et bientôt on verra tes forfaits,
Si déjà sur ton front on n’en voit les effets.
1745 Sire, ce prisonnier que les Juifs ont su prendre,
Et que dans vos prisons les Juifs vienne de rendre,
Ce complice d’Haman l’accuse des desseins
Qui poussaient contre vous ces criminelles mains,
Et pour le confirmer le ciel voulut permettre
1750 Que l’on surprit un Grec qui portait cette lettre.

HAMAN.

Hélas !

LE ROI, après avoir lu la lettre.

Haman écrire, aux ennemis des miens,
Recommander un traître aux Macédoniens.

HAMAN.

Moi Sire ?

LE ROI.

Toi méchant.

HAMAN.

Ô Dieux quelle imposture !

LE ROI.

Reconnais-tu ta main ? Vois-tu ton écriture ?
1755 Ce sont là des témoins qui procèdent de toi,
Dont tu ne peux combattre et démentir la foi.

ESTHER.

Cependant c’est par lui, c’est par ses artifices
Qu’on destine les Juifs à d’horribles supplices.
Et je venais enfin solliciter pour eux,
1760 N’espérant qu’aux bontés d’un Prince généreux ;
Mais sire, mais le Ciel, ami de l’innocence
A fait en même temps éclater sa puissance,
Et pour les affranchir de leurs calamités
Il a joint son pouvoir avecques vos bontés.
1765 Ainsi dans le moment que malgré la menace
Je venais à vos pieds vous demander leur grâce,
Ils ont fait un effort dont le fruit est pour vous,
Et qui doit en amour changer votre courroux.
Ils ont dans vos prisons amené le perfide
1770 De qui la main s’arma pour votre parricide,
Et par les soins du Ciel qui les garda toujours,
Ils ont avec ce traître amené leur secours.
S’il est vrai maintenant que les Juifs soient des traîtres,
Des infracteurs de lois, des ingrats à leurs maîtres,
1775 Pour nous répondre, Haman, sortez pour un moment
Ou de la modestie, ou de l’étonnement,
Les Juifs que vous blâmez, les eût-on vu paraître
Avecques tant d’ardeur à la prise d’un traître ?
Et si les factions, et si les attentats
1780 Du faible Mardochée étaient les seuls ébats,
Aurait-il découvert ces attentats funestes,
Qui rendent au Soleil vos crimes manifestes ?
Mais si l’ingrat Haman eut gardé pour son Roi
Quelques ressentiments et d’amour et de foi,
1785 Eût-il de Mardochée attaqué l’innocence,
Comme un sort opposé contre sa violence ?
Viendrait-il aujourd’hui vous demander secours,
Pour perdre un innocent qui conserva vos jours ?

LE ROI.

Quel barbare artisan d’aventures tragiques,
1790 Voudrais-tu m’engager dans tes lâches pratiques ?
Il ne te suffit pas de troubler notre paix,
Tu veux donc que ton Prince ait part à tes forfaits ?

ESTHER.

Je ne demande pas qu’on perde ce coupable,
Mais qu’un peuple innocent vous trouve favorable.
1795 Si l’on détruit les Juifs, on me perd avec eux,
Et vous me haïssez s’ils vous sont odieux.
Il ne faut plus cacher Esther à votre vue,
Il faut rompre le voile, et qu’elle soit connue,
Ce n’est pas un défaut de sortir comme moi
1800 D’un peuple malheureux, mais fidèle à son Roi.
Ce peuple infortuné fut celui de mes Pères,
Il eût été le mien sans nos longues misères,
Et s’il n’eût point senti la colère des Cieux,
Je régnerais au Trône où régnaient mes aïeux.

LE ROI.

1805 Quoi vous sortez des Juifs ! Leurs Rois sont vos ancêtres !

ESTHER.

Oui, je sors des grands Rois qu’ils connurent pour Maîtres,
Et lorsqu’à mon amour votre coeur s’est rendu,
Toujours grand, toujours haut, il n’a point descendu.

LE ROI.

Quoi vous sortez des Juifs ?

ESTHER.

Oui Sire, et Mardochée,
1810 Qu’attaque injustement une haine cachée,
Lui qui vous conserva, lui qui veille pour vous,
Fut Frère de mon Père, et Prince parmi nous.

HAMAN.

Quelle étrange aventure, et qu’en faut-il attendre !

ESTHER.

Sire, après ce discours qui vous a dû surprendre,
1815 Je remets à vos pieds ma grandeur et mon sort
Pour attendre de vous ou ma vie ou ma mort.

LE ROI.

Vivez, régnez Esther, et gardez la puissance,
Comme un don de l’amour, et de votre naissance.
Il fallait que le Ciel couronnât devant moi,
1820 Celle qu’il destinait pour compagne d’un Roi.
Je ne saurais des Juifs, peuple juste et fidèle,
Avec plus de splendeur récompenser le zèle,
Qu’en donnant à la Perse, et joignant à mon rang,
Une Reine qui sorte, et d’eux et de leur sang.

MARDOCHÉE.

1825 Il faut mourir pour vous pour mériter ces grâces.

LE ROI.

Il ne faut que marcher dessus les mêmes traces.
Mais toi méchant esprit, exécrable à jamais,
Sur qui jusques ici j’ai perdu mes bienfaits,
Toi qui de l’innocent voulais faire à ton crime
1830 Ainsi qu’à ta fureur, une injuste victime,
Coupable et digne objet de la rigueur des Rois,
Attends, attends les maux que tu lui préparais.
Et crois que ma justice encore trop humaine
Aux biens que je te fis, mesurera ta peine.
1835 Vous Gardes saisissez ce butin des enfers,
Et que la seule mort l’arracha de nos fers.

ESTHER.

Ha Sire, en sa faveur écoutez la clémence !

LE ROI.

La Clémence est un crime en pareille occurrence,
Et quelque beau laurier qu’on en puisse cueillir,
1840 Pardonner aux méchants, c’est montrer à faillir.
Mais enfin que les Juifs reprennent leur franchise,
Qu’ils soient plus honorés que l’on ne les méprise,
Et qu’en fasse d’Esther, on voie en même jour,
Triompher l’innocence, aussi bien que l’amour.

MARDOCHÉE.

1845 Ô Ciel ! C’est de toi seul que ce bien va descendre,
Et ce n’est qu’à toi que nous devons le rendre.