ASTRÉE
TRAGÉDIE LYRIQUE

1691

Jean de La Fontaine

***
<imprimeur id="BALLARD">Imp de C. Ballard.</imprimeur>

Personnages §

  • ASTRÉE, bergère.
  • CÉLADON, amant d’Astrée.
  • SÉMIRE, amant d’Astrée.
  • PHILIS, confidente d’Astrée.
  • HYLAS, berger.
  • TIRCIS, berger.
  • GALATÉE, princesse du Forez.
  • LÉONIDE, confidente de Galatée.
  • ISMÈNE, fée.
  • TROUPE DE DRUIDES.
  • TROUPE DE BERGERS ET DE BERGÈRES.
  • ESPRITS AÉRIENS.
  • NYMPHES.
  • GÉNIES.
  • PEUPLES DU FOREZ.
  • TROUPE DE LA SUITE D’ISMÈNE.
  • LIZETTE.
  • GALIOFFO.
  • GAMBARINI.
La scène est dans le Forez.

PROLOGUE §

LA NYMPHE

Dieu du Parnasse et du sacré vallon
Quelle aventure en ces lieux vous attire ?

APOLLON

Mars, de tout temps ennemi d’Apollon,
Me force à quitter mon empire.

LA NYMPHE

5 Notre monarque vous promet
Un repos qu’on n’a plus sur le double sommet.

APOLLON

Jupiter lui-même aurait peine
À calmer aujourd’hui tant de peuples divers :
Rien n’impose à présent silence à l’Univers
10 Et cependant je vois les Nymphes de la Seine
S’occuper à l’envi de musique et de vers.

LA NYMPHE

Nous tenons ces faveurs d’un roi plein de sagesse :
La Terreur et l’Effroi respectent ces beaux lieux.
Des chants les plus délicieux
15 Nos bois retentissent sans cesse.
La Paix règne dans nos ombrages.
Le murmure des eaux, les plaintes des amants,
Les rossignols par leurs tendres ramages
Occupent seuls l’écho dans ces lieux si charmants.

APOLLON

20 Joignons tous nos accords : approchez-vous, Acante.
Fille de l’Harmonie, ô Paix douce et charmante !
Comme j’unis les voix, reviens unir les coeurs.
Par son retour la saison la plus belle
Annonce en mille endroits la guerre et ses fureurs ;
25 Fais qu’en ces lieux l’amour se renouvelle.

APOLLON, LA NYMPHE, et ACANTE

Ô Paix ! reviens unir les coeurs.
Par son retour la saison la plus belle
Annonce en mille endroits la guerre et ses fureurs :
Fais qu’en ces lieux l’amour se renouvelle.

LE CHOEUR

30 Fais qu’en ces lieux l’amour se renouvelle.

APOLLON

Et vous, compagnons du printemps
Zéphyrs, par qui les fleurs renaissent tous les ans
Embellissez ces bords de leurs grâces naïves ;
Ramenez ici les beaux jours
35 Doux Zéphire, invitez à danser sur ces rives
Flore et la mère des Amours.

LA NYMPHE

Dans ces lieux les dons de Flore
Font accourir les Zéphyrs,
Et les larmes de l’Aurore
40 Se joignent à leurs soupirs.
Les fleurs n’en sont que plus belles
Jouissez de leurs attraits :
Flore à leurs grâces nouvelles
Donne ici de nouveaux traits.
45 Toutes saisons n’ont pas ces richesses légères
Dont l’émail peint nos champs de diverses couleurs :
Bergers, venez cueillir les fleurs,
N’y venez point sans vos bergères ;
Jouissez des dons du printemps :
50 Tout finit, profitez du temps.

LE CHOEUR

Jouissons des dons du printemps.
Tout finit, profitons du temps.

LES CHOEURS

Est-il quelques rivages
Qui ne connaissent point l’Amour ?

LA NYMPHE et ACANTE

55 Si les bergers lui font leur cour,
Les rois lui rendent leurs hommages.

LES CHOEURS

Est-il quelques rivages
Qui ne connaissent point l’Amour ?

LA NYMPHE et ACANTE

Il n’est point de lieux si sauvages,
60 De coeurs si fiers, d’esprits si sages,
Que ce dieu ne dompte a leur tour.

LES CHOEURS

Est-il quelques rivages
Qui ne connaissent point l’Amour ?

APOLLON

Vos chants sont pour l’amour, ma lyre est pour la gloire
65 Du nom de deux héros je veux remplir les cieux,
De deux héros que la Victoire
Doit reconnaître pour ses dieux.
Muses, profitez d’un asile
Où tout est paisible et tranquille.
70 Représentez, dans ce séjour,
Un spectacle où règne l’Amour.
Ce dieu récompensa quelques moments de peine
Qu’eurent Astrée et Céladon ;
Faites voir aux bords de la Seine
75 Les aventures du Lignon.

LES CHOEURS

Que nos chants expriment nos flammes ;
Répandons dans tout ce séjour
Le charme le plus doux des âmes
Les chansons, les vers, et l’amour.

ACTE I §

Le théâtre représente le pays du Forez, arrosé de la rivière du Lignon, sur les bords de laquelle sont plusieurs hameaux et bocages.

SCÈNE I. §

SÉMIRE

80 Perfide que je suis ! infortuné Sémire !
Les bruits qu’en ces hameaux je répands tous les jours
Soulageront-ils mon martyre ?
Que me sert de troubler d’innocentes amours ?
J’aime Astrée et je tente un dessein téméraire :
85 Je détruis son amant, mais que fais-je pour moi ?
Ce qui le rend suspect de violer sa foi
Me rend-il capable de plaire ?
Au sein d’Astrée en vain j’ai versé cent poisons.
L’implacable dépit, les injustes soupçons,
90 L’aveugle et la sourde colère,
La jalousie, au repos si contraire,
Enfants de l’art dont je me sers,
M’ont en vain procuré le secours des Enfers.
Quel fruit aura ton crime, infortuné Sémire ?
95 Les mensonges divers à quoi tu donnes cours
Soulageront-ils ton martyre ?
Que te sert de troubler d’innocentes amours ?
Je me venge, il suffit ; je fais des misérables.
N’est-ce pas un bien assez doux ?
100 Achevons ; puis retirons-nous
En des déserts inhabitables.
Amants, heureux amants, dont je détruis la foi,
Puissiez-vous devenir plus malheureux que moi !
Je vois déjà cette bergère en larmes
105 Ce doit être l’effet des dernières alarmes
Par qui mon imposture a séduit sa raison ;
Laissons sur son esprit agir notre poison.,

SCÈNE II. Astrée, Philis. §

ASTRÉE, donnant à Philis une lettre ouverte.

Avais-je tort, Philis ? Tu vois ces témoignages
De sa main propre ils sont tracés ;
110 Considère de quels outrages
Mes feux y sont récompensés ;
Ne me parle jamais du traître
Céladon, Céladon, il est un dieu vengeur.

PHILIS

Ne le soupçonnez pas, ma soeur.

ASTRÉE

115 Voici pourtant ses traits, peux-tu les méconnaître ?

PHILIS

Je connais encor mieux son coeur ;
Tout m’est suspect, tout vous doit l’être
Quelque ennemi secret vient d’imiter sa main.

ASTRÉE

Dédiras-tu nos yeux, qui l’ont vu ce matin
120 Embrasser les genoux d’Aminte ?

PHILIS

C’est un reste de feinte ;
Vous-même avez pu voir avec quelle contrainte
Il feignait des transports qu’il ne pouvait sentir.
Qu’un véritable amant a de peine à mentir !

ASTRÉE

125 Eh ! qu’il ne mente plus.

PHILIS

Sait-il votre pensée ?
Il voit, depuis quelques jours
Que sa flamme est traversée,
Et qu’on trouble vos amours
il veut vous ménager, en exposant Aminte.

ASTRÉE

130 Que ne me l’a-t-il dit ?

PHILIS

Sans doute il ne l’a pu.

ASTRÉE

Mon coeur à Céladon n’était que trop connu
N’aurait-il pas prévu ma crainte
Si l’ingrat, d’autres soins occupé, prévenu...

PHILIS

Ma soeur, bannissez ces alarmes
135 Quel objet vous peut-on préférer sous les cieux ?

ASTRÉE

Aminte est engageante, et prévient par ses charmes ;
Ton amitié me rend trop parfaite à tes yeux.
Hélas ! qui feint d’aimer est toujours téméraire
De la feinte à l’effet on n’a qu’un pas à faire ;
140 C’est un écueil fatal pour la fidélité :
Une première ardeur n’est bientôt plus qu’un songe ;
La vérité devient mensonge,
Et le mensonge, vérité.

PHILIS

Les coquettes les plus belles
145 Ne touchent que faiblement.
On peut, par amusement
Feindre de brûler pour elles ;
Et le plus crédule amant
Les regarde seulement
150 Comme on fait les fleurs nouvelles,
Avec quelque plaisir, mais sans attachement.

ASTRÉE

Quand il plaît à l’Amour, tout objet est à craindre.
Ce dieu met bien souvent sa gloire à nous atteindre
Du trait le plus commun et le moins redouté ;
155 Une première ardeur n’est bientôt plus qu’un songe
La vérité devient mensonge,
Et le mensonge, vérité.
Il le prévoyait bien, le traître, l’infidèle
J’eus peine à l’obliger à feindre ces amours ;
160 Il résista longtemps, je persistai toujours
Trouvait-il Aminte si belle ?
Je lisais dans ses yeux une secrète peur
L’ingrat avait raison de craindre pour son coeur.

PHILIS

C’était à vous d’avoir de la prudence,
165 En l’éloignant du danger
De changer.

ASTRÉE

C’était à lui d’avoir de la constance,
En résistant au danger
De changer.

PHILIS

170 À vos soupçons je ne saurais me rendre ;
Mais voici mon dessein, ma soeur :
D’Hylas depuis deux jours je ménage le coeur ;
Je veux que pour Aminte il feigne de l’ardeur,
C’est le moyen de tout apprendre
175 Elle lui dira son secret.
Je l’attends ; vous savez combien il est discret.
Le voici.

SCÈNE III. Philis, Hylas, Astrée. §

PHILIS

J’ai besoin, Hylas, de votre adresse.
Puis-je compter sur vos serments ?
180 Vous me rendez des soins ; mais ces empressements
Sont-ils des effets de tendresse ?
Ou ne sont-ce qu’amusements ?
Sans cesse vous allez de bergère en bergère,
Jurant de sincères amours :
185 Zéphire n’eut jamais d’ardeur si passagère ;
Eh ! comment s’assurer qu’une âme si légère
Puisse ne l’être pas toujours ?

HYLAS

Quoi ! Vous doutez si je vous aime ?
Eh ! Qui pourrait, Philis, vous voir sans vous aimer ?
190 Vous avez plus d’appas que n’en a l’Amour même,
Des traits à tout ravir, des yeux à tout charmer,
Et vous doutez si je vous aime !

PHILIS

Déclarer si bien son ardeur,
Ce n’est pas ce qui nous engage
195 Les vrais interprètes du coeur
Ne sont pas les traits du langage.

ASTRÉE

Ma soeur, j’ose aujourd’hui te garantir sa foi ;
L’Amour ne réservait ce miracle qu’à toi.

HYLAS

Si je n’aime Philis, que ce dieu me haïsse !
200 Qu’il me livre à des coeurs ennemis de ses traits !
Qu’à la fin mon bonheur dépende du caprice
D’une bergère sans attraits !

PHILIS

J’en croirai vos serments, si votre amour s’applique
À m’instruire des feux d’Aminte et d’un berger.

HYLAS

205 N’est-ce pas Céladon ? La chose est si publique
Qu’à de trop grands efforts ce n’est pas m’engager.

PHILIS

Il vient, partez.

HYLAS

Je vole où votre ordre m’appelle.

ASTRÉE et PHILIS

Voyons comment le traître, l’infidèle,
Soutiendra son manque de foi.

PHILIS

210 Adieu ; vous pourrez mieux vous éclaircir sans moi.

SCÈNE IV. Céladon, Astrée. §

CÉLADON

Hé quoi ! seule en ces lieux, sans songer à la fête
Dont vous serez tout l’ornement !
C’est un triomphe qui s’apprête
Pour les dieux et pour vous, aux yeux de votre amant.
215 On n’entend en tous lieux que des chants d’allégresse ;
Bergères, bergers, tout s’empresse
De célébrer ce jour charmant.
Cependant vous rêvez : d’où vient cette tristesse ?

ASTRÉE

Berger, vous paraissez aujourd’hui bien paré
220 De cet ajustement quels yeux vous sauront gré ?

CÉLADON

Les vôtres, ma déesse.
Il n’est rien en ces lieux
Qui ne s’efforce de vous plaire ;
Et c’est pour attirer vos regards précieux,
225 Que ces prés, que ces bois, et cette onde si claire,
Étalent ce qu’ils ont de plus délicieux
L’astre même qui nous éclaire
Ne se montre si beau que pour plaire à vos yeux.

ASTRÉE

Céladon, bannissez ces discours d’entre nous ;
230 Je sais qu’en votre coeur une autre est préférée,
Et vos voeux ne sont pas pour l’innocente Astrée.

CÉLADON

Ciel ! Mes voeux ne sont pas pour vous !
Dieux puissants qu’ici l’on révère,
Dieux vengeurs des forfaits, je vous atteste tous
235 Si quelque autre qu’Astrée à mes désirs est chère,
Faites tomber sur moi vos plus terribles coups

ASTRÉE

Sois traître seulement, et ne sois pas impie.

CÉLADON

Juste Ciel ! vous doutez encore de ma foi !
Mais quel est cet objet dont mon âme est ravie ?

ASTRÉE

240 Va, perfide, va, garde-toi
D’oser jamais paraître devant moi.

CÉLADON

Ah ! du moins...

ASTRÉE

Non.

CÉLADON

Quoi ! sans l’entendre,
Condamner un amant si fidèle et si tendre !

ASTRÉE

Non, perfide, non, garde-toi
245 D’oser jamais paraître devant moi.

CÉLADON

Mon sort est dans vos mains, il faut vous satisfaire ;
Et, puisque votre arrêt me livre au désespoir,
J’y cours ; et respectant votre injuste colère,
Je me fais du trépas un funeste devoir.
250 Vous me regretterez, j’en suis sûr, et votre âme,
Au vain ressouvenir d’une constante flamme
Se laissant trop tard émouvoir,
Me donnera des pleurs que je ne pourrai voir.

SCÈNE V. §

ASTRÉE

Serait-il innocent ? me serais-je trompée ?
255 Soupçons dont j’ai l’âme occupée,
Dois-je donc vous bannir ?
L’ai-je à tort condamné ?
En quel trouble me met cette fuite soudaine !
Qu’as-tu fait, bergère inhumaine ?
260 Où s’en va cet infortuné ?
Ne le pas écouter ! se rendre inexorable !
Ses pas précipités, ses regards pleins d’effroi,
Me font craindre pour lui ; que ne dis-tu pour toi,
Bergère misérable !
265 Tu ne l’as pu haïr, quand tu l’as cru coupable ;
Que sera-ce, s’il meurt en te prouvant sa foi ?
Cours, malheureuse, cours, va retarder sa fuite.
Céladon ! Céladon ! Hélas ! il précipite
Ses pas et son cruel dessein :
270 Il est sourd à mes cris et je l’appelle en vain ;
Je n’en puis plus, la force et la voix, tout me quitte.

SCÈNE VI. Troupes de druides, de pâtres, sylvains, faunes, bergers et bergères. §

Un druide conduisant la cérémonie de la fête du gui de l’an neuf, à la place d’Adamas.

UN DRUIDE

Maîtres de l’Univers, dieux puissants, nos hameaux
Vous présentent le don que viennent de nous faire
Ces antiques palais qu’habitent les oiseaux :
275 Conservez dans nos bois leur ombre tutélaire.
Nous ne vous demandons, en faveur de ce don,
Ni des grandeurs, ni du renom
Ni des richesses excessives ;
Que les sources de l’or soient pour d’autres que nous
280 Nos destins seront assez doux
Si les bergères de ces rives
Ne font régner que de chastes désirs,
Et d’innocents plaisirs.

LE DRUIDE ET LE CHOEUR

Conservez nos troupeaux, arrosez nos prairies ;
285 Faites régner la paix sur ces rives fleuries :
Que Mars n’y trouble point les jeux et les chansons ;
Gardez nos fruits et nos moissons.

UN BERGER ET LE CHOEUR

Accourez, bergers fidèles,
Célébrez tous, en ce jour,
290 Vos bergères et l’amour ;
Chantez vos feux et vos belles.

LE CHOEUR

Venez, Amours, volez de cent climats divers
En ce séjour tranquille.
Ces feuillages épais, ces gazons toujours verts,
295 Vous offrent un charmant asile.
Venez, Amours, volez de cent climats divers,
Pour enflammer nos coeurs, seuls dignes de vos fers,
Laissez dans un repos languissant, inutile,
Tout le reste de l’Univers.

SCÈNE VII. §

UN BERGER

300 Pour pleurer Céladon cessez vos doux accords ;
Du Lignon l’onde impitoyable
Vient de l’ensevelir.

LE CHOEUR

Ô perte irréparable !

LE BERGER

Nous n’avons pu le trouver sur ces bords.

LE DRUIDE

305 Portons ce sacré don sur un autel du temple,
Et que chacun, à mon exemple,
À chercher ce berger fasse tous ses efforts.

SCÈNE VIII. Philis, Astrée. §

PHILIS

Céladon dans les flots a terminé sa vie ;
Comment le dirai-je à ma soeur ?

ASTRÉE

310 Je le sais, Philis ; ce malheur
Est l’effet de ma jalousie.
Déteste-moi ; c’est peu de me haïr
Céladon ne périt que pour mieux m’obéir.
Il s’est perdu ! je me perdrai moi-même
315 Que me sert la clarté du jour ?
Je ne verrai plus ce que j’aime !
Cher amant, as-tu pu me quitter sans retour ?
Notre bonheur était suprême ;
Les dieux nous enviaient du haut de leur séjour.
320 Tu t’es perdu ! je me perdrai moi-même
Que me sert la clarté du jour ?

ACTE II §

Le théâtre représente les jardins de Galatée, et, dans l’éloignement, le palais d’Isoure.

SCÈNE I. §

GALATÉE

Je ne me connais plus ; quelle nouvelle ardeur
Se rend maîtresse de mon coeur ?
Un berger cause ces alarmes.
325 Doux et tranquilles voeux, qu’êtes-vous devenus ?
Le sort offre à mes yeux un berger plein de charmes,
Et depuis ce moment je ne me connais plus.

SCÈNE II. Léonide et Galatée. §

LÉONIDE

Princesse, cherchez-vous ici la solitude ?

GALATÉE

Je me laisse conduire à mon inquiétude.
330 Mais que fait Céladon ? Dis-moi, qu’en penses-tu ?
Je vois qu’en secret tu me blâmes
D’avoir pu concevoir de si honteuses flammes ;
Mais, hélas ! qui n’aurait vainement combattu
Contre les traits dont il a su m’atteindre ?
335 Il allait expirer ; l’onde venait d’éteindre
Le vif éclat de ses attraits :
La pitié lui prêta ses traits.
L’oracle, les destins, tout lui fut favorable.
Rien ne vint s’opposer à ma naissante ardeur.

LÉONIDE

340 Que de raisons ont fait entrer dans votre coeur
Un ennemi si redoutable !

GALATÉE

Mes yeux me trompent-ils ? C’est à toi d’en juger.

LÉONIDE

Princesse, il est charmant ; mais ce n’est qu’un berger.

GALATÉE

Par les noeuds de l’hymen le sceptre et la houlette
345 Se sont unis plus d’une fois.
L’amour n’est plus amour, dès qu’il cherche en ce choix
Une égalité si parfaite.
Mon coeur est excusable, et Galatée enfin
Serait-elle, sans toi, dans cette peine extrême ?
350 Léonide, ce fut toi-même
Qui me fis, malgré moi, consulter ce devin.
" Princesse, me dit-il, voici votre destin
Une étoile ennemie autant que favorable,
Peut vous rendre en hymen heureuse ou misérable.
355 Dans ce miroir regardez bien ces lieux :
Vers le déclin du jour il faudra vous y rendre ;
Celui qui s’offrira le premier à vos yeux
Est l’époux que le Ciel vous ordonne de prendre. "
J’aperçus ce berger : résisterai-je aux dieux ?

LÉONIDE

360 Princesse, son Astrée a pour lui trop de charmes.

GALATÉE

Eh ! n’ai-je pas les mêmes armes ?
N’est-ce rien que mon rang auprès de Céladon ?

LÉONIDE

Vous ne connaissez pas les bergers du Lignon.
Leurs amours sont leurs dieux : l’offense la plus noire
365 Pour eux est l’infidélité.
Aimer fait leur félicité ;
Aimer constamment fait leur gloire.

GALATÉE

Toutes les conquêtes d’éclat
Flattent la vanité des hommes.
370 Quelque constants qu’ils soient dans les lieux où nous sommes,
La beauté dans mon rang ne fit jamais d’ingrat.
Je tremble : je le vois. Quoi ! même en ma présence
Il soupire, il se plaint aux échos d’alentour !

LÉONIDE

Il n’est plein que de son amour
375 Par ses chagrins, jugez de sa constance.

SCÈNE III. Galatée, Céladon, Léonide. §

GALATÉE

Céladon, contemplez nos jardins et nos bois
Qui ne croirait que Flore y tienne son empire ?
De ces oiseaux qu’Amour inspire
Écoutez les charmantes voix.
380 À charmer vos ennuis en ces lieux tout conspire
Cependant c’est en vain que tout vous fait la cour.
Nos soins, nos voeux, ce beau séjour,
N’ont point d’agrément qui vous flatte.
Galatée a sujet de se plaindre de vous :
385 Faut-il que sans effet sa présence combatte
Cette tristesse ingrate
Que vous osez conserver parmi nous ?

CÉLADON

Princesse, ma douleur n’est pas en ma puissance
Je sors, vous le savez, du plus affreux danger ;
390 Puis-je m’empêcher d’y songer ?

GALATÉE

Songez plutôt à ma présence ;
C’est la seule reconnaissance
À quoi je veux vous engager.
Vous soupirez, vous vous plaignez sans cesse
395 Si c’est d’une ingrate maîtresse,
Changez : vous pouvez faire un choix rempli d’appas.
À souffrir tant de maux quel coeur peut vous contraindre ?
Hélas ! le mien ne comprend pas
Que vous deviez jamais vous plaindre.
400 Mais quelle est cette Astrée ? Et depuis quand ses coups
Tiennent-ils votre âme asservie ?
Votre esclavage était-il doux ?

CÉLADON

Belle princesse, comme à vous,
Hélas ! je suis bien loin de lui devoir la vie !

GALATÉE

405 Du Lignon en fureur dans ce fatal moment
Contez-moi l’accident funeste.

CÉLADON

J’y tombai, vous savez le reste ;
Je ne veux vous parler que de vous seulement.

GALATÉE

Vous pâlissez ; vous changez de visage.

CÉLADON

410 Nymphe, c’est malgré moi que sous un doux ombrage
L’aspect de ce fatal rivage
A rappelé les maux que je viens d’endurer.

GALATÉE

De vos chagrins, de cette triste image
Puisse le Ciel vous délivrer !
415 Divertis ses soins, Léonide ;
Fais-lui voir de ces lieux toutes les raretés ;
Parle-lui de cet antre, où des flots enchantés
Faisaient connaître un coeur ou constant ou perfide.

SCÈNE IV. Céladon, Léonide. §

LÉONIDE

Dans le fond de ce bois est un antre sacré.
420 Là, jadis chacun à son gré
Pouvait, en regardant dans une onde fidèle
Qui coule en ce lieu révéré,
Connaître si l’objet en son coeur adoré
Ne brûlait point de quelque ardeur nouvelle.
425 Cette fontaine a nom la Vérité d’amour :
On n’en approche plus ; deux monstres à l’entour
Interdisent l’abord d’une source si belle.

CÉLADON

Léonide, je sais que cet enchantement
Nuit ou sert à plus d’un amant.
430 Voyez combien il m’est contraire
Sans ces monstres pleins de fureur,
Astrée aurait pu lire en cette onde sincère
Mon innocence et son erreur ;
Elle m’aurait trouvé fidèle.

LÉONIDE

435 Vous aimez trop une beauté cruelle :
Oubliez-la : cédez à des transports plus doux,
Et songez qu’en ces lieux il est une princesse
Dont les appas et la tendresse
Sont dignes d’un amant aussi parfait que vous.
440 Laissez la constance
Aux heureux amants.
Vous souffrez mille tourments ;
Vous aimez sans espérance.
Laissez la constance.
445 Des plaisirs les plus charmants
Amour ici récompense
De si justes changements.
Laissez la constance
Aux heureux amants.

CÉLADON

450 Vous voulez m’engager sous un nouvel empire ;
Et dans mes premiers feux je veux persévérer.
Ce n’est point par conseil que notre coeur soupire,
Ou qu’il cesse de soupirer.

CÉLADON ET LÉONIDE, ensemble.

Ce n’est point par conseil que notre coeur soupire,
455 Ou qu’il cesse de soupirer.

CÉLADON

Votre princesse est jeune et belle
Elle mériterait le coeur d’un souverain ;
Mais celui d’un berger ! quelle gloire pour elle !
Nymphe, vous combattez en vain
460 La foi que j’ai jurée.
Combattez-la quand vous verrez Astrée.

LÉONIDE

Sa beauté ne saurait excuser sa rigueur.
Céladon, il est vrai, votre bergère est belle ;
Mais elle est fière, elle est cruelle,
465 Elle abuse de votre coeur.

CÉLADON

Ah ! si j’étais dans nos bocages !
Si leurs frais et sacrés ombrages
Pouvaient servir de temple à l’objet de mes feux !
Si mon coeur y pouvait sacrifier sans cesse
470 Au souvenir de sa déesse,
Que je me trouverais heureux !

SCÈNE V. Ismène, Fée, Léonide, Céladon. §

ISMÈNE

Le Ciel exaucera vos voeux ;
Il me l’a fait savoir. Je suis la fée Ismène.
Ma puissance et mon art vont vous tirer de peine.

LÉONIDE

475 Qui vous rend à ces lieux, Ismène, dites-moi ?

ISMÈNE

L’ordre secret des dieux ; j’exécute leur loi.

LÉONIDE

Quels biens votre pouvoir ne va-t-il pas répandre
Dans cet heureux séjour !

ISMÈNE

Mon oracle doit vous l’apprendre
480 Avant la fin du jour.
Céladon, mettez fin à vos tristes alarmes.
Votre bergère par ses larmes
Veut elle-même vous venger.
Elle croit que de son berger
485 L’âme encor dans les airs, faute de sépulture,
Autour de ces hameaux errante à l’aventure,
Attend qu’un vain tombeau la vienne soulager.

CÉLADON

Confidente des dieux, un amant trop fidèle
Attend tout de votre savoir ;
490 Faites, par son divin pouvoir,
Que, libre et dans nos bois, j’adore ma cruelle.

ISMÈNE

Je ferai plus encore et pour vous et pour elle
Dans ce moment mon art vous fera voir
Ses regrets et son désespoir.

ISMÈNE, aux ministres de sa puissance.

495 Princes de l’air, Nymphes, Héros, Génies,
Calmez de ce berger les peines infinies.
Faites-lui voir Astrée, [et] cachez-le à ses yeux.
Rendez à cet objet l’honneur qu’on rend aux dieux.
Et le temple, et l’autel, et les cérémonies,
500 Vous ont été déjà par mon ordre prescrits.
Faites votre devoir, purs et légers esprits,
Princes de l’air, Nymphes, Héros, Génies.
Les esprits aériens descendent sur un tourbillon de nuages, et construisent un temple dédié à Astrée : le jardin se change entièrement en forêt.

SCÈNE VI. Philis, Astrée. §

PHILIS

Nous parcourons en vain tous les bords du Lignon.
Reposons-nous, ma soeur ; entrons dans ce bocage.

ASTRÉE

505 Ô dieux ! j’y vois un temple.

PHILIS

Il porte votre nom.
Je viens de voir, au fond de cet ombrage,
Ces mots écrits par Céladon
"C’est dans cette demeure
Qu’un amant exilé cherche en vain quelque paix.
510 Que, pour le prix des pleurs qu’il y verse à toute heure,
Puisse Astrée être heureuse, et n’en verser jamais !"

ASTRÉE

Quoi ! de son ennemie il en fait sa déesse !
Au moment que je viens de causer son trépas,
Il me consacre un temple, et demeure ici-bas
515 Afin de m’adorer sans cesse !
Dans ce sombre réduit retirons-nous, ma soeur.
Pourrais-je, après de tels outrages,
Sans honte et sans remords jouir d’un tel honneur ?
Un tombeau m’est mieux dû qu’un temple et des hommages.

SCÈNE VII. Astrée, Philis, Hylas, Tircis, choeur de demi-dieux, de nymphes, et des ministres d’Ismène. §

UN GÉNIE

520 N’approchez point, profanes coeurs !
C’est ici le temple d’Astrée :
Qu’aucun mortel en ce lieu n’ait entrée,
S’il ne sent de pures ardeurs.

LE CHOEUR

C’est ici le temple d’Astrée
525 N’approchez point, profanes coeurs !

LE GÉNIE

Soyez sensible, Astrée, au sort de votre amant.
Pour lui nos voix à tout moment
Font résonner ici mille plaintes nouvelles.
Il ne pense qu’à vous : il n’a pour tous désirs
530 Que de se consoler, en ses peines cruelles,
Par de vains et tristes plaisirs.

HYLAS

Voilà l’effet que produit la constance !
Vantez, bergers, votre persévérance !

TIRCIS

C’est un devoir de persister toujours
535 Dans les mêmes amours.

HYLAS

C’est une erreur de persister toujours
Dans les mêmes amours.

TIRCIS ET HYLAS, ensemble.

C’est un devoir de persister toujours
C’est une erreur de persister toujours
540 Dans les mêmes amours.

TIRCIS

Hylas, y songes-tu ? Profaner un tel temple !

LE GÉNIE

N’imitez pas son exemple.
Régnez, divin objet, et triomphez des coeurs ;
Daignez recevoir les honneurs
545 Que le Ciel fait rendre à vos charmes ;
Ne les profanez point, ne versez plus de larmes.
Régnez, divin objet, et triomphez des coeurs.

LE CHOEUR

Régnez, divin objet, et triomphez des coeurs, etc.
Que sous les pas d’Astrée ici tout s’embellisse !
550 Que de son nom tout retentisse !
Faisons-le répéter aux échos d’alentour
Tous les coeurs lui rendent les armes ;
Et célébrer ses charmes,
C’est célébrer le pouvoir de l’Amour.

SCÈNE VIII. Philis, Astrée. §

PHILIS

555 Retirons-nous aussi, quittons cette demeure ;
La peur m’y saisit à toute heure.
Il est tard, et chacun s’en retourne aux hameaux ;
L’ombre croît en tombant de nos prochains coteaux ;
Rejoignons ces bergers : déjà la nuit s’avance,
560 Dans ces lieux règne le silence.
Bergers, attendez-nous... Ils ne m’écoutent pas...

ASTRÉE

C’est de moi seulement qu’ils détournent leurs pas
Eût-on dit qu’un jour cette Astrée
Serait l’horreur de la contrée ?
565 Tout le monde me fuit ! on a raison, Philis ;
Qui ne détesterait mes fureurs excessives ?
Ô lieux que mon berger a longtemps embellis,
Redemandez-moi tous l’ornement de vos rives.

ACTE III §

Le théâtre représente la fontaine de la Vérité d’amour dans une forêt agréable.

SCÈNE I. §

ASTRÉE

Enfin me voilà seule, et j’ai trompé Philis.
570 Venez, monstres cruels : ce n’est pas que j’espère
Que ma beauté faible et légère
Donne atteinte à des sorts par l’Enfer établis.
Je ne veux que mourir.
Céladon, tu m’appelles.
575 Si parmi les choses mortelles
Quelqu’une peut encor t’attacher ici-bas,
Plains la bergère qui t’adore ;
Ce n’est plus pour moi que l’Aurore
Reparaîtra dans nos climats.
580 Chère ombre, je te suis. Adieu, rives cruelles ;
Adieu, Soleil, adieu, mes compagnes fidèles :
N’aimez point, ou tâchez de bannir de l’amour
Les soupçons, les dépits, les injustes querelles
Celui que je regrette en a perdu le jour.
585 Je ne vous fuis que pour le suivre ;
À ce devoir il me faut recourir
Si je vous ai promis de vivre,
Aux mânes d’un amant j’ai promis de mourir.
C’est trop tarder, ombre chérie
590 Viens voir mon crime s’expier
Aide mon coeur à défier
Ces animaux pleins de furie.
Mais d’où vient que je perds l’usage de mes sens ?
La mort sur mes yeux languissants
595 Étend un voile plein de charmes.
Avec quelle douceur je termine mes jours !
Quel plaisir de céder à de telles alarmes,
Pour se rejoindre à ses amours !

SCÈNE II. §

CÉLADON

Sous ces ombrages verts je viens de voir Astrée
600 Bois, dont elle parcourt les détours ténébreux,
Ne me la cachez pas sous votre ombre sacrée.
Ô dieux ! Je l’aperçois aux pieds d’un monstre affreux !
Des puissances d’Enfer ministre malheureux,
Par quel droit nous l’as-tu ravie ?
605 Inhumain, devais-tu seulement l’approcher ?
Ce dard punira ta furie !
Tous mes efforts sont vains, et je frappe un rocher.
Meurs, Céladon : qui me retient la main ?
Fiers animaux, je vous réclame en vain ;
610 Tout est marbre pour moi, tout est sourd à ma peine.
Léonide, est-ce là cette faveur d’Ismène ?
Je meurs enfin ; et plût aux dieux
Que j’eusse pour témoins de ma mort ces beaux yeux !

SCÈNE III. Tircis, Hylas. §

TIRCIS

C’est ici que se doit accomplir le miracle
615 Que la Fée a prédit aux rives du Lignon.

HYLAS

Raconte-moi donc son oracle.
Que vois-je, juste Ciel ! Astrée et Céladon
De ces monstres cruels ont éprouvé la rage !

TIRCIS

Le sort est accompli, ne nous alarmons pas ;
620 Le Ciel en ces amants achève son ouvrage.
Pour finir tes frayeurs, entends l’oracle, Hylas
« Le plus constant et la plus belle,
Pour rendre à l’Univers cette glace fidèle,
Détruiront un enchantement :
625 On les verra mourir, mais d’une mort nouvelle ;
Ils revivront en un moment. »

HYLAS

De ces monstres horribles
L’aspect n’est plus à redouter.

TIRCIS

Ne troublons point du sort les mystères terribles ;
630 Sortons : à nos hameaux allons tout raconter.

SCÈNE IV. Astrée, Céladon. §

ASTRÉE

Qui me ramène au jour ? et d’où vient que je vois
L’ombre de Céladon se présenter à moi ?
Mes yeux me trompent-ils ? Son ombre ! C’est lui-même.
Quoi ! je reverrais ce que j’aime !
635 Hélas ! il est sans mouvement.
Vains et trompeurs démons, rendez-moi mon amant.
Il ouvre enfin les yeux ! il reprend tous ses charmes !
L’ai-je ranimé par mes larmes ?

CÉLADON

Où suis-je ? Le soleil éclaire-t-il les morts ?
640 Quoi ! je revois les mêmes bords
Où ma divinité m’interdit sa présence ?
C’est elle-même que je vois.

ASTRÉE

Ah ! ne rappelez point une injuste défense
Mes pleurs ont lavé cette offense ;
645 Deviez-vous suivre cette loi ?

CÉLADON

Quoi ! vous m’avez pleuré ! Ces larmes précieuses
Auraient arrosé mon tombeau !
Divinités, de mon sort envieuses,
Avez-vous un destin si beau ?
650 Les yeux de la divine Astrée
M’ont vengé de votre courroux ;
Vous ignorez les plaisirs les plus doux
Descendez en une contrée
Où de semblables yeux puissent pleurer pour vous.

ASTRÉE

655 N’irritez point les dieux, et craignez leur puissance
Vos transports les pourraient contre nous animer.
J’ai de vos feux assez de connaissance
Vous m’aimez trop...

CÉLADON

Peut-on vous trop aimer ?

ASTRÉE

Que je vous ai causé d’alarmes !
660 Ai-je trop pu les payer par mes larmes ?
Ah ! que nous bénirons nos fers,
Si l’Amour mesure ses charmes
Sur les tourments qu’on a soufferts.

ASTRÉE ET CÉLADON

Ô doux souvenir de nos peines !
665 Ô noeuds par qui l’Amour recommence à former
L’espoir le plus cher de nos chaînes,
Redoublez les plaisirs qui viennent nous charmer !
Ô doux souvenir de nos peines !

SCÈNE V. Ismène, Galatée, Céladon, Astrée. §

CÉLADON, à Astrée.

La Nymphe vient à nous.
À Galatée.
Princesse, notre sort
670 Vous doit faire excuser ces marques de transport.

GALATÉE

J’ai déjà tout appris d’Ismène ;
Tendres amants, vos voeux sont exaucés
Venez voir en cette eau la fin de votre peine.

ASTRÉE ET CÉLADON

Nous la voyons dans nos coeurs, c’est assez.

ISMÈNE

675 Rien ne peut plus troubler une si douce chaîne ;
Achevons de remplir les ordres du Destin.
Tout obéit à mon pouvoir divin ;
Rien ne peut plus troubler une si douce chaîne ;
Unissons ces tendres amants :
680 Ils n’ont que trop souffert ; finissons leurs tourments.

GALATÉE, ISMÈNE, ASTRÉE, CÉLADON

Unissons ces (Unissez de) tendres amants.
Ils n’ont que trop souffert, finissons (finissez)leurs tourments.

ISMÈNE

Du haut de leur gloire éternelle
Les dieux ont daigné voir ces amants en ce jour,
685 Et veulent rendre leur amour
Heureux autant qu’il fut fidèle.

GALATÉE, ISMÈNE, ASTRÉE, CÉLADON

Unissons ces (Unissez de) tendres amants,
Ils n’ont que trop souffert, finissons (finissez)leurs tourments.

GALATÉE

Le printemps, avec toutes ses grâces,
690 Ne nous paraîtrait pas entouré de plaisirs,
Si l’hiver, environné de glaces,
N’avait interrompu le règne des Zéphyrs.

ISMÈNE

Plus on a de tourments soufferts,
Plus douce est la fin du martyre ;
695 Plus Borée a troublé les airs,
Et plus le retour de Zéphire
Cause de joie à l’Univers.

SCÈNE VI. Galatée, Ismène, Hylas ; choeur de bergers et de bergères. §

GALATÉE

Que tout ce que ma Cour a de magnificence
Accompagne aujourd’hui l’hymen de ces amants ;
700 Inventez tous des divertissements
Dignes de ma présence.

ISMÈNE ET GALATÉE

Amants, votre persévérance
Du sort surmonte les rigueurs ;
Que l’Hymen et l’Amour, toujours d’intelligence,
705 Vous comblent à jamais de toutes leurs douceurs.

LE CHOEUR

Que l’Hymen et l’Amour, toujours d’intelligence,
Vous comblent à jamais de toutes leurs douceurs.

HYLAS, aux amants qui veulent aller à la Fontaine de la Vérité d’amour.

Ces indiscrètes eaux vont vous accuser tous ;
Vous feriez beaucoup mieux de croire que vos belles
710 Sont fidèles.
À quoi sert d’être jaloux ?
C’est le moyen de déplaire,
Et de faire
Qu’à l’objet de vos voeux d’autres plaisent que vous.

ISMÈNE

715 Esprits soumis à ma puissance,
Venez, et, sous divers déguisements,
Faites connaître à ces heureux amants
Les surprenants effets de votre obéissance.

SCÈNE VII. Troupe de la suite d’Ismène, Lizette, Galioffo, Gambarini. §

LIZETTE

Chi pet mogl’ mi vuol pigliar ?
720 Son Lizetta,
Fanciulletta,
Vezzozetta,
Leggiadretta,
Son d’amore la saetta
725 Fatta pet tutto infiammar.
Chi per mogl’ mi vuol pigliar ?
Ogni fior, se non è colto,
Cade, e da gli venti è tolto.
Ahi, che tem’ ch’ al primo fiato
730 Certo fior troppo guardato
Meco piu non possa star !
Chi pet mogl’ mi vuol pigliar ?

GALIOFFO , amante de Lizetta.

Di voi sono inamorato.
Il fantolin dio bendato
735 Con un stral avelenato
M’ ha per voi ferito il cor.
Rispondete a tanto ardor,
E fate entrar, en sto di fortunato,
Il mio vascel’ tormentato
740 Nel dolce porto d’amor.

GAMBARINI , rivale di Galioffo.

Tu sci matt’ d’amar sta bella.
Speri tu qualche merce ?
Quest’ amor convien’a te,
Com’ all’ asino la sella.
745 Lizetta è fatta pet me,
Com’ io son fatto per ella.
Son gioven’, le è giovanella ;
Son fedel, le è pien’ di fe.
Com’ io son fatto pet ella,
750 Lizetta è fatta per me.

LIZETTE

Ô quanti becchi,
Balordi e vecchi !
Qual bruttalacciol
Qual nazonaccio !
755 Non voglio tal servitù,
Ne mi maritaro più.

GALIOFFO

Voi mi sprezatte !

GAMBARINI

Voi mi beffate !

LIZETTE, GALIOFFO, GAMBARINI

Non voglio tal servitù,
760 Ne mi maritaro più.