ATYS
TRAGÉDIE EN MUSIQUE
ornée d’entrées de ballet, de machines et de changements de Théâtre.
M. DC. CXXVI. Par exprès commandement de Sa Majesté.

À PARIS, Par CHRISTOPHE BALLARD, seul imprimeur du Roi, pour la musique, rue Saint-Jean de Beauvais, au Mont Parnasse.

ACTEURS §

  • ATYS.
  • CYBELE.
  • IRIS.
  • IDAS.
  • DORIS.
  • MÉLISSE.
  • SANGARIDE.
  • FLORE.
  • MELPOMÈNE.
  • Le TEMPS.
  • Choeur des HEURES.
  • ZÉPHIR.
  • Le CHOEUR.
  • Le SOMMEIL.
  • MORPHÉE.
  • PHOBETOR.
  • PHANTASE.
  • SONGES agréables et funestes.
  • Le fleuve SANGAR.
  • NYMPHES.
  • DIEUX de fleuves.
  • Divinités de fontaines, et de ruisseaux.
  • Divinités de ruisseaux.
  • CELAENUS.
  • Choeur des PHRYGIENS.
La scène est en Phrygie. Le théâtre représente une montagne consacrée à Cybele.

PROLOGUE §

Le théâtre représente le palais du temps, où ce dieu paraît au milieu des douze heures du jour, et des douze heures de la nuit.

LE TEMPS.

En vain j’ai respecté la célèbre mémoire
Des héros des siècles passés ;
C’est en vain que leurs noms si fameux dans l’histoire,
Du sort des noms communs ont été dispensés :
5 Nous voyons un héros dont la brillante gloire
Les a presque tous effacés.

CHOEUR DES HEURES.

Ses justes lois,
Ses grands exploits
Rendront sa mémoire éternelle :
10 Chaque jour, chaque instant
Ajoute encor à son nom éclatant
Une gloire nouvelle.
La déesse Flore conduite par un des zéphyrs s’avance avec une troupe de nymphes qui portent divers ornements de fleurs.

LE TEMPS.

La saison des frimas peut-elle nous offrir
Les fleurs que nous voyons paraître ?
15 Quel dieu les fait renaître
Lorsque l’hiver les fait mourir ?
Le froid cruel règne encore ;
Tout est glacé dans les champs,
D’où vient que Flore
20 Devance le printemps ?

FLORE.

Quand j’attends les beaux jours, je viens toujours trop tard,
Plus le printemps s’avance, et plus il m’est contraire ;
Son retour presse le départ
Du héros à qui je veux plaire.
25 Pour lui faire ma cour, mes soins ont entrepris
De braver désormais l’hiver le plus terrible,
Dans l’ardeur de lui plaire on a bientôt appris
À ne rien trouver d’impossible.

LE TEMPS et FLORE.

Les plaisirs à ses yeux ont beau se présenter,

Bellone : Dieu qui personnifie la guerre et accompagne Mars.

30 Sitôt qu’il voit Bellone, il quitte tout pour elle ;
Rien ne peut l’arrêter
Quand la gloire l’appelle.
Le choeur des heures répète ces deux derniers vers. La suite de Flore commence des jeux mêlés de danses et de chants.

UN ZEPHIR.

Le printemps quelquefois est moins doux qu’il ne semble,
Il fait trop payer ses beaux jours ;
35 Il vient pour escorter les jeux et les amours,
Et c’est l’hiver qui les rassemble.
Melpomène qui est la muse qui préside à la tragédie, vient accompagnée d’une troupe de héros, elle est suivie d’Hercule, d’Antaee, de Castor, de Pollux, de Lyncée, d’Idas, d’Étéocle, et de Polynice.

MELPOMÈNE, parlant à Flore.

Retirez-vous, cessez de prévenir le temps ;
Ne me dérobez point de précieux instants :
La puissante Cybele
40 Pour honorer Atys qu’elle a privé du jour,
Veut que je renouvelle
Dans une illustre cour
Le souvenir de son amour.
Que l’agrément rustique
45 De Flore et de ses jeux,
Cède à l’appareil magnifique
De la muse tragique,
Et de ses spectacles pompeux.
La suite de Melpomène prend la place de la suite de Flore. Les héros recommencent leurs anciennes querelles. Hercule combat et lutte contre Antaee, Castor et Pollux combattent contre Lyncée et Idas, et Etéocle combat contre son frère Polynice. Iris, par l’ordre de Cybele, descend assise sur son arc, pour accorder Melpomène et Flore.

IRIS, parlant à Melpomène.

Cybele veut que Flore aujourd’hui vous seconde.
50 Il faut que les plaisirs viennent de toutes parts,
Dans l’empire puissant, où règne un nouveau Mars,
Ils n’ont plus d’autre asile au monde.
Rendez-vous, s’il se peut, dignes de ses regards ;
Joignez la beauté vive et pure
55 Dont brille la nature,
Aux ornements des plus beaux arts.
Iris remonte au ciel sur son arc, et la suite de Melpomène s’accorde avec la suite de Flore. s

MELPOMÈNE et FLORE.

Rendons-nous, s’il se peut, dignes de ses regards ;
Joignons la beauté vive et pure
Dont brille la nature,
60 Aux ornements des plus beaux arts.

LE TEMPS, et LE CHOEUR DES HEURES.

Préparez de nouvelles fêtes,
Profitez du loisir du plus grand des héros ;

LE TEMPS, MELPOMÈNE et FLORE.

Préparez de nouvelles fêtes
Préparons de nouvelles fêtes
65 Profitez du loisir du plus grand des héros
Profitons du loisir du plus grand des héros.

TOUS ENSEMBLE.

Le temps des jeux, et du repos,
Lui sert à méditer de nouvelles conquêtes.

ACTE I §

SCÈNE I. §

La scène est en Phrygie. Le théâtre représente une montagne consacrée à Cybele.

ATYS.

Allons, allons, accourez tous,
70 Cybele va descendre.
Trop heureux phrygiens, venez ici l’attendre.
Mille peuples seront jaloux
Des faveurs que sur nous
Sa bonté va répandre.

SCÈNE II. Idas, Atys. §

IDAS, ATYS.

75 Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.

ATYS.

Le soleil peint nos champs des plus vives couleurs,
Il a séché les pleurs
Que sur l’émail des prés a répandu l’aurore ;
80 Et ses rayons nouveaux ont déjà fait éclore
Mille nouvelles fleurs.

IDAS.

Vous veillez lorsque tout sommeille ;
Vous nous éveillez si matin,
Que vous ferez croire à la fin
85 Que c’est l’amour qui vous éveille.

ATYS.

Non, tu dois mieux juger du parti que je prends.
Mon coeur veut fuir toujours les soins et les mystères ;
J’aime l’heureuse paix des coeurs indifférents ;
Si leurs plaisirs ne sont pas grands,
90 Au moins leurs peines sont légères.

IDAS.

Tôt ou tard l’amour est vainqueur,
En vain les plus fiers s’en défendent,
On ne peut refuser son coeur
À de beaux yeux qui le demandent.
95 Atys, ne feignez plus, je sais votre secret.
Ne craignez rien, je suis discret.
Dans un bois solitaire et sombre,
L’indifférent Atys se croyait seul, un jour ;
Sous un feuillage épais où je rêvais à l’ombre,
100 Je l’entendis parler d’amour.

ATYS.

Si je parle d’amour, c’est contre son empire,
J’en fais mon plus doux entretien.

IDAS.

Tel se vante de n’aimer rien,
Dont le coeur en secret soupire.
105 J’entendis vos regrets, et je les sais si bien
Que si vous en doutez je vais vous les redire.
Amants qui vous plaignez, vous êtes trop heureux :
Mon coeur de tous les coeurs est le plus amoureux,
Et tout près d’expirer je suis réduit à feindre ;
110 Que c’est un tourment rigoureux
De mourir d’amour sans se plaindre !
Amants qui vous plaignez, vous êtes trop heureux.

ATYS.

Idas, il est trop vrai, mon coeur n’est que trop tendre,
L’amour me fait sentir ses plus funestes coups.
115 Qu’aucun autre que toi n’en puisse rien apprendre.

SCÈNE III. Sangaride, Doris, Atys, Idas. §

SANGARIDE et DORIS.

Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.

SANGARIDE.

Que dans nos concerts les plus doux,
Son nom sacré se fasse entendre.

ATYS.

120 Sur l’univers entier son pouvoir doit s’étendre.

SANGARIDE.

Les dieux suivent ses lois et craignent son courroux.

ATYS, SANGARIDE, IDAS, DORIS.

Quels honneurs ! Quels respects ne doit-on point lui rendre ?
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.

SANGARIDE.

125 Écoutons les oiseaux de ces bois d’alentour,
Ils remplissent leurs chants d’une douceur nouvelle.
On dirait que dans ce beau jour,
Ils ne parlent que de Cybèle.

ATYS.

Si vous les écoutez, ils parleront d’amour.
130 Un roi redoutable,
Amoureux, aimable,
Va devenir votre époux ;
Tout parle d’amour pour vous.

SANGARIDE.

Il est vrai, je triomphe, et j’aime ma victoire.
135 Quand l’amour fait régner, est-il un plus grand bien ?
Pour vous, Atys, vous n’aimez rien,
Et vous en faites gloire.

ATYS.

L’amour fait trop verser de pleurs ;
Souvent ses douceurs sont mortelles :
140 Il ne faut regarder les belles
Que comme on voit d’aimables fleurs.
J’aime les roses nouvelles,
J’aime à les voir s’embellir,
Sans leurs épines cruelles,
145 J’aimerais à les cueillir.

SANGARIDE.

Quand le péril est agréable,
Le moyen de s’en alarmer ?
Est-ce un grand mal de trop aimer
Ce que l’on trouve aimable ?
150 Peut-on être insensible aux plus charmants appas ?

ATYS.

Non vous ne me connaissez pas.
Je me défends d’aimer autant qu’il m’est possible ;
Si j’aimais, un jour, par malheur,
Je connais bien mon coeur
155 Il serait trop sensible.
Mais il faut que chacun s’assemble près de vous,
Cybèle pourrait nous surprendre.

ATYS, et IDAS.

Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.

SCÈNE IV. Sangaride, Doris. §

SANGARIDE.

160 Atys est trop heureux.

DORIS.

L’amitié fut toujours égale entre vous deux,
Et le sang d’assez près vous lie :
Quel que soit son bonheur, lui portez-vous envie ?
Vous, qu’aujourd’hui l’hymen avec de si beaux noeuds
165 Doit unir au roi de Phrygie ?

SANGARIDE.

Atys, est trop heureux.
Souverain de son coeur, maître de tous ses voeux,
Sans crainte, sans mélancolie,
Il jouit en repos des beaux jours de sa vie ;
170 Atys ne connaît point les tourments amoureux,
Atys est trop heureux.

DORIS.

Quel mal vous fait l’amour ? Votre chagrin m’étonne.

SANGARIDE.

Je te fie un secret qui n’est su de personne.
Je devrais aimer un amant
175 Qui m’offre une couronne ;
Mais, hélas ! Vainement
Le devoir me l’ordonne,
L’amour, pour mon tourment,
En ordonne autrement.

DORIS.

180 Aimeriez-vous Atys, lui dont l’indifférence
Brave avec tant d’orgueil l’amour et sa puissance ?

SANGARIDE.

J’aime, Atys, en secret, mon crime, est sans témoins.
Pour vaincre mon amour, je mets tout en usage,
J’appelle ma raison, j’anime mon courage ;
185 Mais à quoi servent tous mes soins ?
Mon coeur en souffre davantage,
Et n’en aime pas moins.

DORIS.

C’est le commun défaut des belles.
L’ardeur des conquêtes nouvelles
190 Fait négliger les coeurs qu’on a trop tôt charmés,
Et les indifférents sont quelquefois aimés
Aux dépens des amants fidèles.
Mais vous vous exposez à des peines cruelles.

SANGARIDE.

Toujours aux yeux d’Atys je serai sans appas ;
195 Je le sais, j’y consens, je veux, s’il est possible,
Qu’il soit encor plus insensible ;
S’il me pouvait aimer, que deviendrais-je ? Hélas !
C’est mon plus grand bonheur qu’Atys ne m’aime pas.
Je prétends être heureuse, au moins, en apparence ;
200 Au destin d’un grand roi je me vais attacher.

SANGARIDE et DORIS.

Un amour malheureux dont le devoir s’offense,
Se doit condamner au silence ;
Un amour malheureux qu’on nous peut reprocher,
Ne saurait trop bien se cacher.

SCÈNE V. Atys, Sangaride, Doris. §

ATYS.

205 On voit dans ces campagnes
Tous nos phrygiens s’avancer.

DORIS.

Je vais prendre soin de presser
Les nymphes nos compagnes.

SCÈNE VI. Atys, Sangaride. §

ATYS.

Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous.

SANGARIDE.

210 Nous ordonnons tous deux la fête de Cybèle,
L’honneur est égal entre nous.

ATYS.

Ce jour même, un grand roi doit être votre époux
Je ne vous vis jamais si contente et si belle ;
Que le sort du roi sera doux !

SANGARIDE.

215 L’indifférent Atys n’en sera point jaloux.

ATYS.

Vivez tous deux contents, c’est ma plus chère envie ;
J’ai pressé votre hymen, j’ai servi vos amours.
Mais enfin ce grand jour, le plus beau de vos jours,
Sera le dernier de ma vie.

SANGARIDE.

220 Ô dieux !

ATYS.

Ce n’est qu’à vous que je veux révéler
Le secret désespoir où mon malheur me livre ;
Je n’ai que trop su feindre, il est temps de parler ;
Qui n’a plus qu’un moment à vivre,
N’a plus rien à dissimuler.

SANGARIDE.

225 Je frémis, ma crainte est extrême ;
Atys, par quel malheur faut-il vous voir périr ?

ATYS.

Vous me condamnerez vous-même,
Et vous me laisserez mourir.

SANGARIDE.

J’armerai, s’il le faut, tout le pouvoir suprême...

ATYS.

230 Non, rien ne me peut secourir,
Je meurs d’amour pour vous, je n’en saurais guérir ;

SANGARIDE.

Quoi ? Vous ?

ATYS.

Il est trop vrai.

SANGARIDE.

Vous m’aimez ?

ATYS.

Je vous aime.
Vous me condamnerez vous-même,
Et vous me laisserez mourir.
235 J’ai mérité qu’on me punisse,
J’offense un rival généreux,
Qui par mille bienfaits a prévenu mes voeux :
Mais je l’offense en vain, vous lui rendez justice ;
Ah ! Que c’est un cruel supplice
240 D’avouer qu’un rival est digne d’être heureux !
Prononcez mon arrêt, parlez sans vous contraindre.

SANGARIDE.

Hélas !

ATYS.

Vous soupirez ? Je vois couler vos pleurs ?
D’un malheureux amour plaignez-vous les douleurs ?

SANGARIDE.

Atys, que vous seriez à plaindre
245 Si vous saviez tous vos malheurs !

ATYS.

Si je vous perds, et si je meurs,
Que puis-je encore avoir à craindre ?

SANGARIDE.

C’est peu de perdre en moi ce qui vous a charmé,
Vous me perdez, Atys, et vous êtes aimé.

ATYS.

250 Aimé ! Qu’entends-je ? Ô ciel ! Quel aveu favorable !

SANGARIDE.

Vous en serez plus misérable.

ATYS.

Mon malheur en est plus affreux,
Le bonheur que je perds doit redoubler ma rage ;
Mais n’importe, aimez-moi, s’il se peut, d’avantage,
255 Quand j’en devrais mourir cent fois plus malheureux.

SANGARIDE.

Si vous cherchez la mort, il faut que je vous suive ;
Vivez, c’est mon amour qui vous en fait la loi.

ATYS.

Hé comment ! Hé pourquoi
Voulez-vous que je vive,
260 Si vous ne vivez pas pour moi ?

ATYS et SANGARIDE.

Si l’hymen unissait mon destin et le vôtre,
Que ses noeuds auraient eu d’attraits !
L’amour fit nos coeurs l’un pour l’autre,
Faut-il que le devoir les sépare à jamais ?

ATYS.

265 Devoir impitoyable !
Ah quelle cruauté !

SANGARIDE.

On vient, feignez encor, craignez d’être écouté.

ATYS.

Aimons un bien plus durable
Que l’éclat de la beauté :
270 Rien n’est plus aimable
Que la liberté.

SCÈNE VII. Atys, Sangaride, Doris, Idas, Choeur de phrygiens chantants, Choeur de phrygiennes chantantes, Troupe de phrygiens dansants, Troupe de phrygiennes dansantes, Dix hommes phrygiens chantants conduits par Atys, Dix femmes phrygiennes chantantes conduites par Sangaride. Six phrygiens dansants, Six Nymphes phrygiennes dansantes. §

ATYS.

Mais déjà de ce mont sacré
Le sommet paraît éclairé
D’une splendeur nouvelle.
275 Sangaride s’avançant vers la montagne.
La déesse descend, allons au devant d’elle.

ATYS et SANGARIDE.

Commençons, commençons
De célébrer ici sa fête solennelle,
Commençons, commençons
280 Nos jeux et nos chansons.
Le choeur répète ces deux derniers vers.

ATYS et SANGARIDE.

Il est temps que chacun fasse éclater son zèle.
Venez, reine des dieux, venez,
Venez, favorable Cybèle.
Les choeurs répètent ces deux derniers vers.

ATYS.

Quittez votre cour immortelle,
285 Choisissez ces lieux fortunés
Pour votre demeure éternelle.

LES CHOEURS.

Venez, reine des dieux, venez.

SANGARIDE.

La terre sous vos pas va devenir plus belle
Que le séjour des dieux que vous abandonnez.

LES CHOEURS.

290 Venez, favorable Cybèle.

ATYS et SDANGARIDE.

Venez voir les autels qui vous sont destinés.

ATYS, SANGARIDE, IDAS, DORIS, et les choeurs.

Écoutez un peuple fidèle
Qui vous appelle,
Venez, reine des dieux, venez,
295 Venez, favorable Cybèle.

SCÈNE VIII. La déesse CYBÈLE paraît sur son char, et les phrygiens et les phrygiennes lui témoignent leur joie et leur respect. §

CYBÈLE sur son char.

Venez tous dans mon temple, et que chacun révère
Le sacrificateur dont je vais faire choix :
Je m’expliquerai par sa voix,
Les voeux qu’il m’offrira seront sûrs de me plaire.
300 Je reçois vos respects ; j’aime à voir les honneurs
Dont vous me présentés un éclatant hommage,
Mais l’hommage des coeurs
Est ce que j’aime davantage.
Vous devez vous animer
305 D’une ardeur nouvelle,
S’il faut honorer Cybèle,
Il faut encor plus l’aimer.
Cybèle portée par son char volant, se va rendre dans son temple. Tous les phrygiens s’empressent d’y aller, et répètent les quatre derniers vers que la déesse a prononcés.

LES CHOEURS.

Nous devons nous animer
D’une ardeur nouvelle,
310 S’il faut honorer Cybèle,
Il faut encor plus l’aimer.

ACTE II §

Le théâtre change et représente le temple de Cybèle.

SCÈNE I. Celaenus roi de Phrygie, Atys, suivants de Celaenus. §

CELAENUS.

N’avancez pas plus loin, ne suivez point mes pas ;
Sortez. Toi ne me quitte pas.
Atys, il faut attendre ici que la déesse
315 Nomme un grand sacrificateur.

ATYS.

Son choix sera pour vous, seigneur ;
Quelle tristesse semble avoir surpris votre coeur ?

CELAENUS.

Les rois les plus puissants connaissent l’importance
D’un si glorieux choix :
320 Qui pourra l’obtenir étendra sa puissance
Partout où de Cybèle on révère les lois.

ATYS.

Elle honore aujourd’hui ces lieux de sa présence,
C’est pour vous préférer aux plus puissants des rois.

CELAENUS.

Mais quand j’ai vu tantôt la beauté qui m’enchante,
325 N’as-tu point remarqué comme elle était tremblante ?

ATYS.

À nos jeux, à nos chants, j’étais trop appliqué,
Hors la fête, seigneur, je n’ai rien remarqué.

CELAENUS.

Son trouble m’a surpris. Elle t’ouvre son âme ;
N’y découvres-tu point quelque secrète flamme ?
330 Quelque rival caché ?

ATYS.

Seigneur, que dites-vous ?

CELAENUS.

Le seul nom de rival allume mon courroux.
J’ai bien peur que le ciel n’ait pu voir sans envie
Le bonheur de ma vie,
335 Et si j’étais aimé mon sort serait trop doux.
Ne t’étonnes point tant de voir la jalousie
Dont mon âme est saisie,
On ne peut bien aimer sans être un peu jaloux.

ATYS.

Seigneur, soyez content, que rien ne vous alarme ;
340 L’hymen va vous donner la beauté qui vous charme,
Vous serez son heureux époux.

CELAENUS.

Tu peux me rassurer, Atys, je te veux croire,
C’est son coeur que je veux avoir,
Dis-moi s’il est en mon pouvoir ?

ATYS.

345 Son coeur suit avec soin le devoir et la gloire,
Et vous avez pour vous la gloire et le devoir.

CELAENUS.

Ne me déguise point ce que tu peux connaître.
Si j’ai ce que j’aime en ce jour
L’hymen seul m’en rend-t-il le maître ?
350 La gloire et le devoir auront tout fait, peut-être,
Et ne laissent pour moi rien à faire à l’amour.

ATYS.

Vous aimez d’un amour trop délicat, trop tendre.

CELAENUS.

L’indifférent Atys ne le saurait comprendre.

ATYS.

Qu’un indifférent est heureux !
355 Il jouit d’un destin paisible.
Le ciel fait un présent bien cher, bien dangereux,
Lorsqu’il donne un coeur trop sensible.

CELAENUS.

Quand on aime bien tendrement
On ne cesse jamais de souffrir, et de craindre ;
360 Dans le bonheur le plus charmant,
On est ingénieux à se faire un tourment,
Et l’on prend plaisir à se plaindre.
Va songe à mon hymen, et vois si tout est prêt,
Laisse-moi seul ici, la déesse paraît.

SCÈNE II. Cybèle, Celaenus, Mélisse, troupe de prêtresses de Cybèle. §

CYBÈLE.

365 Je veux joindre en ces lieux la gloire et l’abondance,
D’un sacrificateur je veux faire le choix,
Et le roi de Phrygie aurait la préférence
Si je voulais choisir entre les plus grands rois.
Le puissant dieu des flots vous donna la naissance,
370 Un peuple renommé s’est mis sous votre loi ;
Vous avez sans mes soins, d’ailleurs, trop de puissance,
Je veux faire un bonheur qui ne soit du qu’à moi.
Vous estimez Atys, et c’est avec justice,
Je prétends que mon choix à vos voeux soit propice,
375 C’est Atys que je veux choisir.

CELAENUS.

J’aime Atys, et je vois sa gloire avec plaisir.
Je suis roi, Neptune est mon père,
J’épouse une beauté qui va combler mes voeux :
Le souhait qui me reste à faire,
380 C’est de voir mon ami parfaitement heureux.

CYBÈLE.

Il m’est doux que mon choix à vos désirs réponde ;
Une grande divinité
Doit faire sa félicité
Du bien de tout le monde.
385 Mais surtout le bonheur d’un roi chéri des cieux
Fait le plus doux plaisir des dieux.

CELAENUS.

Le sang approche Atys de la nymphe que j’aime,
Son mérite l’égale aux rois :
Il soutiendra mieux que moi-même
390 La majesté suprême
De vos divines lois.
Rien ne pourra troubler son zèle,
Son coeur s’est conservé libre jusqu’à ce jour ;
Il faut tout un coeur pour Cybèle,
395 À peine tout le mien peut suffire à l’amour.

CYBÈLE.

Portez à votre ami la première nouvelle
De l’honneur éclatant où ma faveur l’appelle.

SCÈNE III. Cybèle, Mélisse. §

CYBÈLE.

Tu t’étonnes, Mélisse, et mon choix te surprend ?

MÉLISSE.

Atys vous doit beaucoup, et son bonheur est grand.

CYBÈLE.

400 J’ai fait encor pour lui plus que tu ne peux croire.

MÉLISSE.

Est-il pour un mortel un rang plus glorieux ?

CYBÈLE.

Tu ne vois que sa moindre gloire ;
Ce mortel dans mon coeur est au dessus des dieux.
Ce fut au jour fatal de ma dernière fête
405 Que de l’aimable Atys je devins la conquête :
Je partis à regret pour retourner aux cieux,
Tout m’y parût changé, rien n’y plut à mes yeux.
Je sens un plaisir extrême
À revenir dans ces lieux.
410 Où peut-on jamais être mieux,
Qu’aux lieux où l’on voit ce qu’on aime ?

MÉLISSE.

Tous les dieux ont aimé, Cybèle aime à son tour.
Vous méprisiez trop l’amour,
Son nom vous semblait étrange,
415 À la fin il vient un jour
Où l’amour se venge.

CYBÈLE.

J’ai crû me faire un coeur maître de tout son sort,
Un coeur toujours exempt de trouble et de tendresse.

MÉLISSE.

Vous braviez à tort
420 L’amour qui vous blesse ;
Le coeur le plus fort
À des moments de faiblesse.
Mais vous pouviez aimer, et descendre moins bas.

CYBÈLE.

Non, trop d’égalité rend l’amour sans appas.
425 Quel plus haut rang ai-je à prétendre ?
Et de quoi mon pouvoir ne vient-il point à bout ?
Lorsqu’on est au-dessus de tout,
On se fait pour aimer un plaisir de descendre.
Je laisse aux dieux les biens dans le ciel préparés,
430 Pour Atys, pour son coeur, je quitte tout sans peine,
S’il m’oblige à descendre, un doux penchant m’entraîne ;
Les coeurs que le destin a le plus séparés,
Sont ceux qu’amour unit d’une plus forte chaîne.
Fais venir le sommeil ; que lui-même en ce jour,
435 Prenne soin ici de conduire
Les songes qui lui font la cour ;
Atys ne sait point mon amour,
Par un moyen nouveau je prétends l’en instruire.
Mélisse se retire.

CYBÈLE.

Que les plus doux zéphyrs, que les peuples divers,
440 Qui des deux bouts de l’univers
Sont venus me montrer leur zèle,
Célèbrent la gloire immortelle
Du sacrificateur dont Cybèle a fait choix,
Atys doit dispenser mes lois,
445 Honorez le choix de Cybèle.

SCÈNE IV. §

Les zephyrs paraissent dans une gloire élevée et brillante. Les peuples différents qui sont venus à la fête de Cybèle entrent dans le temple, et tous ensemble s’efforcent d’honorer Atys, qui vient revêtu des habits de grand sacrificateur. Cinq zephyrs dansants dans la gloire. Huit zephyrs jouants du haut-bois et des cromornes, dans la gloire. Cinq zephyrs jouants du haut-bois. Trois cromornes jouants dans la gloire. Troupe de peuples différents chantants qui accompagnent Atys. Six indiens et six Égyptiens dansants. Six indiens. Six Égyptiens.

CHOEURS des PEUPLES et des ZEPHIRS.

Célébrons la gloire immortelle
Du sacrificateur dont Cybèle a fait choix :
Atys doit dispenser ses lois,
Honorons le choix de Cybèle.
450 Que devant vous tout s’abaisse, et tout tremble ;
Vivez heureux, vos jours sont notre espoir :
Rien n’est si beau que de voir ensemble
Un grand mérite avec un grand pouvoir.
Que l’on bénisse
455 Le ciel propice,
Qui dans vos mains
Met le sort des humains.

ATYS.

Indigne que je suis des honneurs qu’on m’adresse,
Je dois les recevoir au nom de la déesse ;
460 J’ose, puisqu’il lui plaît, lui présenter vos voeux :
Pour le prix de votre zèle,
Que la puissante Cybèle
Vous rende à jamais heureux.

CHOEURS des PEUPLES et des ZEPHIRS.

Que la puissante Cybèle
465 Nous rende à jamais heureux.

ACTE III §

SCÈNE I. §

Le théâtre change et représente le palais du grand sacrificateur de Cybèle.

ATYS, seul.

Que servent les faveurs que nous fait la fortune
Quand l’amour nous rend malheureux ?
Je perds l’unique bien qui peut combler mes voeux,
Et tout autre bien m’importune.
470 Que servent les faveurs que nous fait la fortune
Quand l’amour nous rend malheureux ?

SCÈNE II. Idas, Doris, Atys. §

IDAS.

Peut-on ici parler sans feindre ?

ATYS.

Je commande en ces lieux, vous n’y devez rien craindre.

DORIS.

Mon frère est votre ami.

IDAS.

475 Fiez-vous à ma soeur.

ATYS.

Vous devez avec moi partager mon bonheur.

IDAS et DORIS.

Nous venons partager vos mortelles alarmes ;
Sangaride les yeux en larmes
Nous vient d’ouvrir son coeur.

ATYS.

480 L’heure approche où l’hymen voudra qu’elle se livre
Au pouvoir d’un heureux époux.

IDAS et DORIS.

Elle ne peut vivre
Pour un autre que pour vous.

ATYS.

Qui peut la dégager du devoir qui la presse ?

IDAS et DORIS.

485 Elle veut elle-même aux pieds de la déesse
Déclarer hautement vos secrètes amours.

ATYS.

Cybèle pour moi s’intéresse,
J’ose tout espérer de son divin secours...
Mais quoi, trahir le roi ! Tromper son espérance !
490 De tant de biens reçus est-ce la récompense ?

IDAS et DORIS.

Dans l’empire amoureux
Le devoir n’a point de puissance ;
L’amour dispense
Les rivaux d’être généreux ;
495 Il faut souvent pour devenir heureux
Qu’il en coûte un peu d’innocence.

ATYS.

Je souhaite, je crains, je veux, je me repends.

IDAS et DORIS.

Verrez-vous un rival heureux à vos dépends ?

ATYS.

Je ne puis me résoudre à cette violence.

ATYS, IDAS et DORIS.

500 En vain, un coeur, incertain de son choix.
Met en balance mille fois
L’amour et la reconnaissance,
L’amour toujours emporte la balance.

ATYS.

Le plus juste parti cède enfin au plus fort.
505 Allez, prenez soin de mon sort,
Que Sangaride ici se rende en diligence.

SCÈNE III. §

ATYS, seul.

Nous pouvons nous flatter de l’espoir le plus doux
Cybèle et l’amour sont pour nous.
Mais du devoir trahi j’entends la voix pressante
510 Qui m’accuse et qui m’épouvante.
Laisse mon coeur en paix, impuissante vertu,
N’ai-je point assez combattu ?
Quand l’amour malgré toi me contraint à me rendre,
Que me demandes-tu ?
515 Puisque tu ne peux me défendre,
Que me sert-il d’entendre
Les vains reproches que tu fais ?
Impuissante vertu laisse mon coeur en paix.
Mais le sommeil vient me surprendre,
520 Je combats vainement sa charmante douceur.
Il faut laisser suspendre
Les troubles de mon coeur.
Atys s’endort.
Le théâtre change et représente une antre entouré de pavots et de ruisseaux, où le dieu du sommeil se vient rendre accompagné des songes agréables et funestes.

SCÈNE IV. Atys dormant, Le sommeil, Morphée, Phobetor, Phantase, les songes agréables, Les songes funestes, Deux songes jouants de la viole, Deux songes jouants du theorbe, Six songes jouants de la flûte, Douze songes funestes chantants, Seize songes agréables et funestes dansants, Huit songes agréables dansants, Huit songes funestes dansants. §

LE SOMMEIL.

Dormons, dormons tous ;
Ah que le repos est doux !

MORPHÉE.

525 Régnez, divin sommeil, régnez sur tout le monde,
Répandez vos pavots les plus assoupissants ;
Calmez les soins, charmez les sens,
Retenez tous les coeurs dans une paix profonde.

PHOBETOR.

Ne vous faites point violence,
530 Coulez, murmurez, clairs ruisseaux,
Il n’est permis qu’au bruit des eaux
De troubler la douceur d’un si charmant silence.

LE SOMMEIL, MORPHÉE, PHOBETOR, et PHANTASE.

Dormons, dormons tous,
Ah que le repos est doux !
Les songes agréables approchent d’Atys, et par leurs chants, et par leurs danses, lui font connaître l’amour de Cybèle, et le bonheur qu’il en doit espérer.

MORPHÉE.

535 Écoute, écoute Atys la gloire qui t’appelle,
Sois sensible à l’honneur d’être aimé de Cybèle,
Jouis heureux Atys de ta félicité.

MORPHÉE, PHOBETOR et PHANTASE.

Mais souviens-toi que la beauté,
Quand elle est immortelle,
540 Demande la fidélité
D’une amour éternelle.

PHANTASE.

Que l’amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
À faire sentir sa puissance !
545 Que l’amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
Pour ne finir jamais.
Trop heureux un amant
Qu’amour exempte
550 Des peines d’une longue attente !
Trop heureux un amant
Qu’amour exempte
De crainte et de tourment !

PHOBETOR.

Goûte en paix chaque jour une douceur nouvelle,
555 Partage l’heureux sort d’une divinité,
Ne vante plus la liberté,
Il n’en est point du prix d’une chaîne si belle.

MORPHÉE, PHOBETOR et PHANTASE.

Mais souviens-toi que la beauté,
Quand elle est immortelle,
560 Demande la fidélité
D’une amour éternelle.

PHANTASE.

Que l’amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
À faire sentir sa puissance !
565 Que l’amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
Pour ne finir jamais !
Les songes funestes approchent d’Atys, et le menacent de la vengeance de Cybèle s’il méprise son amour, et s’il ne l’aime pas avec fidélité.

UN SONGE FUNETSE.

Garde-toi d’offenser un amour glorieux,
C’est pour toi que Cybèle abandonne les cieux
570 Ne trahis point son espérance.
Il n’est point pour les dieux de mépris innocent,
Ils sont jaloux des coeurs, ils aiment la vengeance,
Il est dangereux qu’on offense
Un amour tout-puissant.

CHOEUR DE SONGES FUNESTES.

575 L’amour qu’on outrage
Se transforme en rage,
Et ne pardonne pas
Aux plus charmants appas.
Si tu n’aimes point Cybèle
580 D’une amour fidèle,
Malheureux, que tu souffriras !
Tu périras :
Crains une vengeance cruelle,
Tremble, crains un affreux trépas.
Atys épouvanté par les songes funestes, se réveille en sursaut, le sommeil et les songes disparaissent avec l’antre où ils étaient, et Atys se retrouve dans le même palais où il s’était endormi.

SCÈNE V. Atys, Cybèle, Mélisse. §

ATYS.

585 Venez à mon secours, ô dieux ! Ô justes dieux !

CYBÈLE.

Atys, ne craignez rien, Cybèle est en ces lieux.

ATYS.

Pardonnez au désordre où mon coeur s’abandonne ;
C’est un songe...

CYBÈLE.

Parlez, quel songe vous étonne ?
Expliquez-moi votre embarras.

ATYS.

590 Les songes sont trompeurs, et je ne les crois pas.
Les plaisirs et les peines
Dont en dormant on est séduit,
Sont des chimères vaines
Que le réveil détruit.

CYBÈLE.

595 Ne méprisez pas tant les songes
L’amour peut emprunter leur voix,
S’ils font souvent des mensonges,
Ils disent vrai quelque fois.
Ils parlaient par mon ordre, et vous les devez croire.
9

ATYS.

600 Ô ciel !

CYBÈLE.

N’en doutez point, connaissez votre gloire.
Répondez avec liberté,
Je vous demande un coeur qui dépend de lui-même.

ATYS.

Une grande divinité
Doit s’assurer toujours de mon respect extrême.

CYBÈLE.

605 Les dieux dans leur grandeur suprême
Reçoivent tant d’honneurs qu’ils en sont rebutés,
Ils se lassent souvent d’être trop respectés,
Ils sont plus contents qu’on les aime.

ATYS.

Je sais trop ce que je vous dois
610 Pour manquer de reconnaissance...

SCÈNE VI. Sangaride, Cybèle, Atys, Mélisse. §

SANGARIDE, se jetant aux pieds de Cybèle.

J’ai recours à votre puissance,
Reine des dieux, protégez-moi.
L’intérêt d’Atys vous en presse...

ATYS, interrompant Sangaride.

Je parlerai pour vous, que votre crainte cesse.

SANGARIDE.

615 Tous deux unis des plus beaux noeuds...

ATYS, interrompant Sangaride.

Le sang et l’amitié nous unissent tous deux.
Que votre secours la délivre
Des lois d’un hymen rigoureux,
Ce sont les plus doux de ses voeux
620 De pouvoir à jamais vous servir et vous suivre.

CYBÈLE.

Les dieux sont les protecteurs
De la liberté des coeurs.
Allez, ne craignez point le roi ni sa colère,
J’aurai soin d’apaiser
625 Le fleuve Sangar votre père ;
Atys veut vous favoriser,
Cybèle en sa faveur ne peut rien refuser.

ATYS.

Ah ! C’en est trop...

CYBÈLE.

Non, non, il n’est pas nécessaire
Que vous cachiez votre bonheur,
630 Je ne prétends point faire
Un vain mystère
D’un amour qui vous fait honneur.
Ce n’est point à Cybèle à craindre d’en trop dire.
Il est vrai, j’aime Atys, pour lui j’ai tout quitté,
635 Sans lui je ne veux plus de grandeur ni d’empire,
Pour ma félicité
Son coeur seul peut suffire.
Allez, Atys lui-même ira vous garantir
De la fatale violence
640 Où vous ne pouvez consentir.
Sangaride se retire.

CYBÈLE, parle à Atys.

Laissez-nous, attendez mes ordres pour partir,
Je prétends vous armer de ma toute-puissance.

SCÈNE VII. Cybèle, Mélisse. §

CYBÈLE.

Qu’Atys dans ses respects mêlé d’indifférence !
L’ingrat Atys ne m’aime pas ;
645 L’amour veut de l’amour, tout autre prix l’offense,
Et souvent le respect et la reconnaissance
Sont l’excuse des coeurs ingrats.

MÉLISSE.

Ce n’est pas un si grand crime
De ne s’exprimer pas bien,
650 Un coeur qui n’aima jamais rien
Sait peu comment l’amour s’exprime.

CYBÈLE.

Sangaride est aimable, Atys peut tout charmer,
Ils témoignent trop s’estimer,
Et de simples parents sont moins d’intelligence :
655 Ils se sont aimés dés l’enfance,
Ils pourraient enfin trop s’aimer.
Je crains une amitié que tant d’ardeur anime.
Rien n’est si trompeur que l’estime :
C’est un nom supposé
660 Qu’on donne quelquefois à l’amour déguisé.
Je prétends m’éclaircir, leur feinte sera vaine.

MÉLISSE.

Quels secrets par les dieux ne sont point pénétrez ?
Deux coeurs à feindre préparés
Ont beau cacher leur chaîne,
665 On abuse avec peine
Les dieux par l’amour éclairés.

CYBÈLE.

Va, Mélisse, donne ordre à l’aimable Zéphyr
D’accomplir promptement tout ce qu’Atys désire.

SCÈNE VIII. §

CYBÈLE, seule.

Espoir si cher, et si doux,
670 Ah ! Pourquoi me trompez-vous ?
Des suprêmes grandeurs vous m’avez fait descendre,
Mille coeurs m’adoraient, je les néglige tous,
Je n’en demande qu’un, il a peine à se rendre ;
Je ne sens que chagrins, et que soupçons jaloux ;
675 Est-ce le sort charmant que je devais attendre ?
Espoir si cher, et si doux,
Ah ! Pourquoi me trompez-vous ?
Hélas ! Par tant d’attraits fallait-il me surprendre ?
Heureuse, si toujours j’avais pu m’en défendre !
680 L’amour qui me flattait me cachait son courroux :
C’est donc pour me frapper des plus funestes coups,
Que le cruel amour m’a fait un coeur si tendre ?
Espoir si cher, et si doux,
Ah ! Pourquoi me trompez-vous ?

ACTE IV §

Le théâtre change et représente le palais du fleuve Sangar.

SCÈNE I. Sangaride, Doris, Idas. §

DORIS.

685 Quoi, vous pleurez ?

IDAS.

D’où vient votre peine nouvelle ?

DORIS.

N’osez-vous découvrir votre amour à Cybèle ?

SANGARIDE.

Hélas !

DORIS et IDAS.

Qui peut encor redoubler vos ennuis ?

SANGARIDE.

Hélas ! J’aime... Hélas ! J’aime...

DORIS, et IDAS.

Achevez.

SANGARIDE.

Je ne puis.

DORIS, et IDAS.

L’amour n’est guère heureux lorsqu’il est trop timide.

SANGARIDE.

690 Hélas ! J’aime un perfide
Qui trahit mon amour ;
La déesse aime Atys, il change en moins d’un jour,
Atys comblé d’honneurs n’aime plus Sangaride.
Hélas ! J’aime un perfide
695 Qui trahit mon amour.

DORIS, et IDAS.

Il nous montrait tantôt un peu d’incertitude ;
Mais qui l’eut soupçonné de tant d’ingratitude ?

SANGARIDE.

J’embarrassais Atys, je l’ai vu se troubler :
Je croyais devoir révéler
700 Notre amour à Cybèle ;
Mais l’ingrat, l’infidèle,
M’empêchât toujours de parler.

DORIS et IDAS.

Peut-on changer si tôt quand l’amour est extrême ?
Gardez-vous, gardez-vous
705 De trop croire un transport jaloux.

SANGARIDE.

Cybèle hautement déclare qu’elle l’aime,
Et l’ingrat n’a trouvé cet honneur que trop doux ;
Il change en un moment, je veux changer de même,
J’accepterai sans peine un glorieux époux,
710 Je ne veux plus aimer que la grandeur suprême.

DORIS et IDAS.

Peut-on changer si tôt quand l’amour est extrême ?
Gardez-vous, gardez-vous
De trop croire un transport jaloux.

SANGARIDE.

Trop heureux un coeur qui peut croire
715 Un dépit qui sert à sa gloire.
Revenez ma raison, revenez pour jamais,
Joignez-vous au dépit pour étouffer ma flamme,
Réparez, s’il se peut, les maux qu’amour m’a fait,
Venez rétablir dans mon âme
720 Les douceurs d’une heureuse paix ;
Revenez, ma raison, revenez pour jamais.

IDAS et DORIS.

Une infidélité cruelle
N’efface point tous les appas
D’un infidèle,
725 Et la raison ne revient pas
Si tôt qu’on l’a rappelle.

SANGARIDE.

Après une trahison
Si la raison ne m’éclaire,
Le dépit et la colère
730 Me tiendront lieu de raison.

SANGARIDE, DORIS, IDAS.

Qu’une première amour est belle ?
Qu’on a peine à s’en dégager !
Que l’on doit plaindre un coeur fidèle
Lorsqu’il est forcé de changer.

SCÈNE II. Celaenus, suivants de Celaenus, Sangaride, Idas, et Doris. §

CELAENUS.

735 Belle nymphe, l’hymen va suivre mon envie,
L’amour avec moi vous convie
À venir vous placer sur un trône éclatant,
J’approche avec transport du favorable instant
D’où dépend la douceur du reste de ma vie :
740 Mais malgré les appas du bonheur qui m’attend,
Malgré tous les transports de mon âme amoureuse,
Si je ne puis vous rendre heureuse,
Je ne serai jamais content.
Je fais mon bonheur de vous plaire,
745 J’attache à votre coeur mes désirs les plus doux.

SANGARIDE.

Seigneur, j’obéirai, je dépends de mon père,
Et mon père aujourd’hui veut que je sois à vous.

CELAENUS.

Regardez mon amour, plutôt que ma couronne.

SANGARIDE.

Ce n’est point la grandeur qui me peut éblouir.

CELAENUS.

750 Ne sauriez-vous m’aimer sans que l’on vous l’ordonne.

SANGARIDE.

Seigneur contentez-vous que je sache obéir,
En l’état où je suis c’est ce que je puis dire...

SCÈNE III. Atys, Celaenus, Sangaride, Doris, Idas, suivants de Celaenus. §

CELAENUS.

Votre coeur se trouble, il soupire.

SANGARIDE.

Expliquez en votre faveur
755 Tout ce que vous voyez de trouble dans mon coeur.

CELAENUS.

Rien ne m’alarme plus, Atys, ma crainte est vaine,
Mon amour touche enfin le coeur de la beauté
Dont je suis enchanté :
Toi qui fus témoin de ma peine,
760 Cher Atys, sois témoin de ma félicité.
Peux-tu la concevoir ? Non, il faut que l’on aime,
Pour juger des douceurs de mon bonheur extrême.
Mais, près de voir combler mes voeux,
Que les moments sont longs pour mon coeur amoureux !
765 Vos parents tardent trop, je veux aller moi-même
Les presser de me rendre heureux.

SCÈNE IV. Atys, Sangaride. §

ATYS.

Qu’il sait peu son malheur ! Et qu’il est déplorable !
Son amour méritait un sort plus favorable :
J’ai pitié de l’erreur dont son coeur s’est flatté.

SANGARIDE.

770 Épargnez-vous le soin d’être si pitoyable,
Son amour obtiendra ce qu’il a mérité.

ATYS.

Dieux ! Qu’est-ce que j’entends !

SANGARIDE.

Qu’il faut que je me venge.
Que j’aime enfin le roi, qu’il sera mon époux.

ATYS.

775 Sangaride, eh d’où vient ce changement étrange ?

SANGARIDE.

N’est-ce pas vous, ingrat, qui voulez que je change ?

ATYS.

Moi !

SANGARIDE.

Quelle trahison !

ATYS.

Quel funeste courroux !

ATYS et SANGARIDE.

Pourquoi m’abandonner pour une amour nouvelle ?
Ce n’est pas moi qui rompt une chaîne si belle.

ATYS.

780 Beauté trop cruelle, c’est vous.

SANGARIDE.

Amant infidèle, c’est vous.

ATYS.

Ah ! C’est vous, beauté trop cruelle.

SANGARIDE.

Ah ! C’est vous amant infidèle.

ATYS et SANGARIDE.

Beauté trop cruelle, c’est vous,
785 Amant infidèle, c’est vous,
Qui rompez des liens si doux.

SANGARIDE.

Vous m’avez immolée à l’amour de Cybèle.

ATYS.

Il est vrai qu’à ses yeux, par un secret effroi,
J’ai voulu de nos coeurs cacher l’intelligence :
790 Mais ce n’est que pour vous que j’ai craint sa vengeance,
Et je ne la crains pas pour moi.
Cybèle m’aime en vain, et c’est vous que j’adore.

SANGARIDE.

Après votre infidélité,
Auriez-vous bien la cruauté
795 De vouloir me tromper encore ?

ATYS.

Moi ! Vous trahir ? Vous le pensez ?
Ingrate, que vous m’offensez !
Hé bien, il ne faut plus rien taire,
Je vais de la déesse attirer la colère,
800 M’offrir à sa fureur, puisque vous m’y forcez...

SANGARIDE.

Ah ! Demeurez, Atys, mes soupçons sont passés ;
Vous m’aimez, je le crois, j’en veux être certaine.
Je le souhaite assez,
Pour le croire sans peine.

ATYS.

805 Je jure,

SANGARIDE.

Je promets,

ATYS et SANGARIDE.

De ne changer jamais.

SANGARIDE.

Quel tourment de cacher une si belle flamme.
Redoublons-en l’ardeur dans le fonds de nôtre âme.

ATYS et SANGARIDE.

Aimons en secret, aimons-nous :
810 Aimons plus que jamais, en dépit des jaloux.

SANGARIDE.

Mon père vient ici.

ATYS.

Que rien ne vous étonne ;
Servons-nous du pouvoir que Cybèle me donne,
Je vais préparer les zéphyrs
À suivre nos désirs.

SCÈNE V. Sangaride, Celaenus, le dieu du fleuve Sangar, troupe de dieux de fleuves, de ruisseaux, et de divinités de fontaines, Le fleuve Sangar, Suite du fleuve Sangar, Douze grands dieux de fleuves chantants, Huit dieux de fleuves jouants de la flûte, Quatre divinités de fontaines, et quatre dieux de fleuves chantants et dansants, Quatre divinités de fontaines, Deux dieux de fleuves, Deux dieux de fleuves dansants ensemble, Deux petits dieux de ruisseaux chantants et dansants, Quatre petits dieux de ruisseaux dansants, Six grands dieux de fleuves dansants, Deux vieux dieux de fleuves et deux vieilles fontaines dansantes, Deux vieux dieux de fleuves dansants, Deux vieilles nymphes de fontaines dansantes. §

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR.

815 Ô vous, qui prenez part au bien de ma famille,
Vous, vénérables dieux des fleuves les plus grands,
Mes fidèles amis, et mes plus chers parents,
Voyez quel est l’époux que je donne à ma fille :
J’ai pris soin de choisir entre les plus grands rois.

CHOEUR de DIEUX DE FLEUVES.

820 Nous approuvons votre choix.

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR.

Il a Neptune pour père,
Les phrygiens suivent ses lois ;
J’ai crû ne pouvoir faire
Un choix plus digne de vous plaire.

CHOEUR de DIEUX DE FLEUVES.

825 Tous, d’une commune voix,
Nous approuvons votre choix.
Le dieu du fleuve Sangar.
Que l’on chante, que l’on danse,
Rions tous lorsqu’il le faut ;
830 Ce n’est jamais trop tôt
Que le plaisir commence.
On trouve bientôt la fin
Des jours de réjouissance ;
On a beau chasser le chagrin,
835 Il revient plutôt qu’on ne pense.

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR, et LE CHOEUR.

Que l’on chante, que l’on danse,
Rions tous lorsqu’il le faut ;
Ce n’est jamais trop tôt
Que le plaisir commence :
840 Que l’on chante, que l’on danse,
Rions tous lorsqu’il le faut.

DIEUX de FLEUVES, DIVINITES de FONTAINES, et de RUISSEAUX chantants et dansants ensemble.

La beauté la plus sévère
Prend pitié d’un long tourment,
Et l’amant qui persévère
845 Devient un heureux amant.
Tout est doux, et rien ne coûte
Pour un coeur qu’on veut toucher,
L’onde se fait une route
En s’efforçant d’en chercher,
850 L’eau qui tombe goutte à goutte
Perce le plus dur rocher.
L’hymen seul ne saurait plaire,
Il a beau flatter nos voeux ;
L’amour seul a droit de faire
855 Les plus doux de tous les noeuds.
Il est fier, il est rebelle,
Mais il charme tel qu’il est ;
L’hymen vient quand on l’appelle,
L’amour vient quand il lui plaît.
860 Il n’est point de résistance
Dont le temps ne vienne à bout,
Et l’effort de la constance
À la fin doit vaincre tout.
Tout est doux, et rien ne coûte
865 Pour un coeur qu’on veut toucher,
L’onde se fait une route
En s’efforçant d’en chercher,
L’eau qui tombe goutte à goutte
Perce le plus dur rocher.
870 L’amour trouble tout le monde,
C’est la source de nos pleurs ;
C’est un feu brûlant dans l’onde,
C’est l’écueil des plus grands coeurs :
Il est fier, il est rebelle,
875 Mais il charme tel qu’il est ;
L’hymen vient quand on l’appelle,
L’amour vient quand il lui plaît.

Un DIEU DE FLEUVE et une DIVINITÉ DE FONTAINE et chantent ensemble.

D’une constance extrême,
Un ruisseau suit son cours ;
880 Il en sera de même
Du choix de mes amours,
Et du moment que j’aime
C’est pour aimer toujours.
Jamais un coeur volage
885 Ne trouve un heureux sort,
Il n’a point l’avantage
D’être longtemps au port,
Il cherche encor l’orage
Au moment qu’il en sort.

CHOEUR DE DIEUX de FLEUVES, et de DIVINITÉS de FONTAINES.

890 Un grand calme est trop fâcheux,
Nous aimons mieux la tourmente.
Que sert un coeur qui s’exempte
De tous les soins amoureux ?
À quoi sert une eau dormante ?
895 Un grand calme est trop fâcheux,
Nous aimons mieux la tourmente.

SCÈNE VI. Atys, troupe de zéphyrs volants, Sangaride, Celaenus, le dieu du fleuve Sangar, troupe de dieux de fleuves, de ruisseaux, et de divinités de fontaines. §

CHOEUR de DIEUX DE FLEUVES, et de FONTAINES.

Venez former des noeuds charmants,
Atys, venez unir ces bienheureux amants.

ATYS.

Cet hymen déplaît à Cybèle,
900 Elle défend de l’achever :
Sangaride est un bien qu’il faut lui réserver,
Et que je demande pour elle.

LE CHOEUR.

Ah quelle loi cruelle !

CELAENUS.

Atys peut s’engager lui-même à me trahir ?
905 Atys contre moi s’intéresse ?

ATYS.

Seigneur, je suis à la déesse,
Dés qu’elle a commandé, je ne puis qu’obéir

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR, et LE CHOEUR.

Pourquoi faut-il qu’elle sépare
Deux illustres amants pour qui l’hymen prépare
910 Ses liens les plus doux ?

LE CHOEUR.

Opposons-nous
À ce dessein barbare.

ATYS, élevé sur un nuage.

Apprenez, audacieux,
Qu’il n’est rien qui n’obéisse
915 Aux souveraines lois de la reine des dieux.
Qu’on nous enlève de ces lieux ;
Zéphyrs, que sans tarder mon ordre s’accomplisse.
Les zéphyrs volent et enlèvent Atys et Sangaride.

LE CHOEUR.

Quelle injustice !

ACTE V §

SCÈNE I. Celaenus, Cybèle, Mélisse. §

Le théâtre change et représente des jardins agréables.

CELAENUS.

Vous m’ôtez Sangaride ? Inhumaine Cybelle ;
920 Est-ce le prix du zèle
Que j’ai fait avec soin éclater à vos yeux ?
Préparez-vous ainsi la douceur éternelle
Dont vous devez combler ces lieux ?
Est-ce ainsi que les rois sont protégés des dieux ?
925 Divinité cruelle,
Descendez-vous exprès des cieux
Pour troubler un amour fidèle ?
Et pour venir m’ôter ce que j’aime le mieux ?

CYBÈLE.

J’aimais Atys, l’amour a fait mon injustice ;
930 Il a pris soin de mon supplice ;
Et si vous êtes outragé,
Bientôt vous serez trop vengé.
Atys adore Sangaride.

CELAENUS.

Atys l’adore ? Ah le perfide !

CYBÈLE.

935 L’ingrat vous trahissait, et voulait me trahir :
Il s’est trompé lui-même en croyant m’éblouir.
Les zéphyrs l’ont laissé, seul, avec ce qu’il aime,
Dans ces aimables lieux ;
Je m’y suis cachée à leurs yeux ;
940 J’y viens d’être témoin de leur amour extrême.

CELAENUS.

Ô ciel ! Atys plairait aux yeux qui m’ont charmé ?

CYBÈLE.

Eh pouvez-vous douter qu’Atys ne soit aimé ?
Non, non, jamais amour n’eût tant de violence,
Ils ont juré cent fois de s’aimer malgré nous,
945 Et de braver notre vengeance ;
Ils nous ont appelés cruels, tyrans, jaloux ;
Enfin leurs coeurs d’intelligence,
Tous deux... ah je frémis au moment que j’y pense !
Tous deux s’abandonnaient à des transports si doux,
950 Que je n’ai pu garder plus longtemps le silence :
NI retenir l’éclat de mon juste courroux.

CELAENUS.

La mort est pour leur crime une peine légère.

CYBÈLE.

Mon coeur à les punir est assez engagé ;
Je vous l’ai déjà dit, croyez-en ma colère,
955 Bientôt vous serez trop vengé.

SCÈNE II. Atys, Sangaride, Cybèle, Celaenus, Mélisse, troupe de prêtresses de Cybèle. §

CYBÈLE et CELAENUS.

Venez vous livrer au supplice.

ATYS et SANGARIDE.

Quoi la terre et le ciel contre nous sont armés ?
Souffrirez-vous qu’on nous punisse ?

CYBÈLE et CELAENUS.

Oubliez-vous votre injustice ?

ATYS et SANGARIDE.

960 Ne vous souvient-il plus de nous avoir aimés ?

CYBÈLE et CELAENUS.

Vous changez mon amour en haine légitime.

ATYS et SANGARIDE.

Pouvez-vous condamner
L’amour qui nous anime ?
Si c’est un crime,
965 Quel crime est plus à pardonner ?

CYBÈLE et CELAENUS.

Perfide, deviez-vous me taire
Que c’était vainement que je voulais vous plaire ?

ATYS et SANGARIDE.

Ne pouvant suivre vos désirs,
Nous croyons ne pouvoir mieux faire
970 Que de vous épargner de mortels déplaisirs.

CYBÈLE.

D’un supplice cruel craignez l’horreur extrême.

CYBÈLE et CELAENUS.

Craignez un funeste trépas.

ATYS et SANGARIDE.

Vengez-vous, s’il le faut, ne me pardonnez pas,
Mais pardonnez à ce que j’aime.

CYBÈLE et CELAENUS.

975 C’est peu de nous trahir, vous nous bravez, ingrats ?

ATYS et SANGARIDE.

Serez-vous sans pitié ?

CYBÈLE et CELAENUS.

Perdez toute espérance.

ATYS et SANGARIDE.

L’amour nous a forcés à vous faire une offense,
Il demande grâce pour nous.

CYBÈLE et CELAENUS.

980 L’amour en courroux
Demande vengeance.

CYBÈLE.

Toi, qui portes partout et la rage et l’horreur,
Cesse de tourmenter les criminelles ombres,
Viens, cruelle Alecton, sors des royaumes sombres,
985 Inspire au coeur d’Atys ta barbare fureur.

SCÈNE III. Alecton, Atys, Sangaride, Cybèle, Celaenus, Mélisse, Idas, Doris, troupe de prêtresses de Cybèle, Choeur de phrygiens. §

Alecton sort des enfers, tenant à la main un flambeau qu’elle secoue en volant et en passant au-dessus d’Atys.

ATYS.

Ciel ! Quelle vapeur m’environne !
Tous mes sens sont troublés, je frémis, je frissonne,
Je tremble, et tout à coup, une infernale ardeur
Vient enflammer mon sang, et dévorer mon coeur.
990 Dieux ! Que vois-je ? Le ciel s’arme contre la terre ?
Quel désordre ! Quel bruit ! Quel éclat de tonnerre !
Quels abîmes profonds sous mes pas sont ouverts !
Que de fantômes vains sont sortis des enfers !
Il parle à Cybèle, qu’il prend pour Sangaride.
Sangaride, ah fuyez la mort que vous prépare
995 Une divinité barbare :
C’est votre seul péril qui cause ma terreur.

SANGARIDE.

Atys reconnaissez votre funeste erreur.
Atys prenant Sangaride pour un monstre.
Quel monstre vient à nous ! Quelle fureur le guide !
Ah respecte, cruel, l’aimable Sangaride.

SANGARIDE.

1000 Atys, mon cher Atys.

ATYS.

Quels hurlements affreux !

CELAENUS, à Sangaride.

Fuyez, sauvez-vous de sa rage.

ATYS, tenant à la main le couteau sacré qui sert aux sacrifices.

Il faut combattre ; amour, seconde mon courage.
Atys court après Sangaride qui fuit dans un des côtés du théâtre.

CELAENUS, et LE CHOEUR.

Arrête, arrête malheureux.
Celaenus court après Atys.

SANGARIDE, dans un des cotés du théâtre.

1005 Atys !

LE CHOEUR.

Ô ciel !

SANGARIDE.

Je meurs.

LE CHOEUR.

Atys, Atys lui-même,
Fait périr ce qu’il aime !

CELAENUS, revenant sur le théâtre.

Je n’ai pu retenir ses efforts furieux,
Sangaride expire à vos yeux.

CYBÈLE.

1010 Atys me sacrifie une indigne rivale.
Partagez avec moi la douceur sans égale,
Que l’on goûte en vengeant un amour outragé.
Je vous l’avais promis.

CELAENUS.

Ô promesse fatale !
1015 Sangaride n’est plus, et je suis trop vengé.
Celaenus se retire au côté du théâtre, où est Sangaride morte.

SCÈNE IV. Atys, Cybèle, Idas, Mélisse, Choeur de phrygiens. §

ATYS.

Que je viens d’immoler une grande victime !
Sangaride est sauvée, et c’est par ma valeur.

CYBÈLE, touchant Atys.

Achève ma vengeance, Atys, connais ton crime,
Et reprends ta raison pour sentir ton malheur.

ATYS.

1020 Un calme heureux succède aux troubles de mon coeur.
Sangaride, nymphe charmante,
Qu’êtes-vous devenue ? Où puis-je avoir recours ?
Divinité toute puissante,
Cybèle, ayez pitié de nos tendres amours,
1025 Rendez-moi, Sangaride, épargnez ses beaux jours.
Cybèle montrant à Atys Sangaride morte.
Tu la peux voir, regarde.

ATYS.

Ah quelle barbarie !
Sangaride a perdu la vie !
Ah quelle main cruelle ! Ah quel coeur inhumain !...

CYBÈLE.

1030 Les coups dont elle meurt sont de ta propre main.

ATYS.

Moi, j’aurais immolé la beauté qui m’enchante ?
Ô ciel ! Ma main sanglante
Est de ce crime horrible un témoin trop certain !

LE CHOEUR.

Atys, Atys lui-même,
1035 Fait périr ce qu’il aime.

ATYS.

Quoi, Sangaride est morte ? Atys est son bourreau !
Quelle vengeance ô dieux ! Quel supplice nouveau !
Quelles horreurs sont comparables
Aux horreurs que je sens ?
1040 Dieux cruels, dieux impitoyables,
N’êtes-vous tout-puissants
Que pour faire des misérables ?

CYBÈLE.

Atys, je vous ai trop aimé :
Cet amour par vous-même en courroux transformé
1045 Fait voir encor sa violence :
Jugez, ingrat, jugez en ce funeste jour,
De la grandeur de mon amour
Par la grandeur de ma vengeance.

ATYS.

Barbare ! Quel amour qui prend soin d’inventer
1050 Les plus horribles maux que la rage peut faire !
Bienheureux qui peut éviter
Le malheur de vous plaire.
Ô dieux ! Injustes dieux ! Que n’êtes-vous mortels ?
Faut-il que pour vous seuls vous gardiez la vengeance ?
1055 C’est trop, c’est trop souffrir leur cruelle puissance,
Chassons-les d’ici bas, renversons leurs autels.
Quoi, Sangaride est morte ? Atys, Atys lui-même
Fait périr ce qu’il aime.

LE CHOEUR.

Atys, Atys lui-même
1060 Fait périr ce qu’il aime.

CYBÈLE, ordonnant d’emporter le corps de Sangaride morte.

Ôtez ce triste objet.

ATYS.

Ah ! Ne m’arrachez pas
Ce qui reste de tant d’appas :
En fussiez-vous jalouse encore,
1065 Il faut que je l’adore
Jusques dans l’horreur du trépas.

SCÈNE V. Cybèle, Mélisse. §

CYBÈLE.

Je commence à trouver sa peine trop cruelle,
Une tendre pitié rappelle
L’amour que mon courroux croyait avoir banni,
1070 Ma rivale n’est plus, Atys n’est plus coupable,
Qu’il est aisé d’aimer un criminel aimable
Après l’avoir puni.
Que son désespoir m’épouvante !
Ses jours sont en péril, et j’en frémis d’effroi :
1075 Je veux d’un soin si cher ne me fier qu’à moi,
Allons... mais quel spectacle à mes yeux se présente ?
C’est Atys mourant que je vois !

SCÈNE VI. Atys, Idas, Cybèle, Mélisse, prêtresses de Cybèle. §

IDAS. soutenant Atys.

Il s’est percé le sein, et mes soins pour sa vie
N’ont pu prévenir sa fureur.

CYBÈLE.

1080 Ah ! C’est ma barbarie,
C’est moi, qui lui perce le coeur.

ATYS.

Je meurs, l’amour me guide
Dans la nuit du trépas ;
Je vais où sera Sangaride,
1085 Inhumaine, je vais où vous ne serez pas.

CYBÈLE.

Atys, il est trop vrai, ma rigueur est extrême,
Plaignez-vous, je veux tout souffrir.
Pourquoi suis-je immortelle en vous voyant périr ?

ATYS et CYBÈLE.

Il est doux de mourir
1090 Avec ce que l’on aime.

CYBÈLE.

Que mon amour funeste armé contre moi-même,
Ne peut-il vous venger de toutes mes rigueurs.

ATYS.

Je suis assez vengé, vous m’aimez, et je meurs.

CYBÈLE.

Malgré le destin implacable
1095 Qui rend de ton trépas l’arrêt irrévocable,
Atys, sois à jamais l’objet de mes amours :
Reprends un sort nouveau, deviens un arbre aimable
Que Cybèle aimera toujours.
Atys prend la forme de l’arbre aimé de la déesse Cybèle, que l’on appelle pin.

CYBÈLE.

Corybante : Terme d’antiquité grecque. Nom des prêtres de la déesse Cybèle, très fameux pour certaines dévotions violentes. [L]

Venez furieux corybantes,
1100 Venez joindre à mes cris vos clameurs éclatantes ;
Venez, nymphes des eaux, venez dieux des forêts,
Par vos plaintes les plus touchantes
Secondez mes tristes regrets.

SCÈNE VII. Cybèle, troupe de nymphes des eaux, troupe de divinités des bois, troupe de corybantes, Quatre nymphes chantantes, Huit dieux des bois chantants, Quatorze corybantes chantantes, Huit corybantes dansantes, Trois dieux des bois dansants, Trois nymphes dansantes. §

CYBÈLE.

Atys, l’aimable Atys, malgré tous ses attraits,
1105 Descend dans la nuit éternelle ;
Mais malgré la mort cruelle,
L’amour de Cybèle
Ne mourra jamais.
Sous une nouvelle figure,
1110 Atys est ranimé par mon pouvoir divin ;
Célébrez son nouveau destin ;
Mais malgré la mort cruelle,
L’amour de Cybèle
Ne mourra jamais.
1115 Sous une nouvelle figure,
Atys est ranimé par mon pouvoir divin ;
Célébrez son nouveau destin ;
Mais malgré la mort cruelle,
L’amour de Cybèle
1120 Ne mourra jamais.
Sous une nouvelle figure,
Atys est ranimé par mon pouvoir divin ;
Célébrez son nouveau destin,
Pleurez sa funeste aventure.

CHOEUR des NYMPHES des EAUX, et des DIVINITES des BOIS.

1125 Célébrons son nouveau destin,
Pleurons sa funeste aventure.

CYBÈLE.

Que cet arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
1130 Qu’il s’élève au dessus des arbres les plus beaux :
Qu’il soit voisin des cieux, qu’il règne sur les eaux ;
Qu’il ne puisse brûler que d’une flamme pure.
Que cet arbre sacré
Soit révéré
1135 De toute la nature.
Le choeur répète ces trois derniers vers.

CYBÈLE.

Que ses rameaux soient toujours verts :
Que les plus rigoureux hivers
Ne leur fassent jamais d’injure,
Que cet arbre sacré
1140 Soit révéré
De toute la nature.
Le choeur répète ces trois derniers vers.

CYBÈLE, et le choeur des divinités des bois et des eaux.

Quelle douleur !

CYBÈLE, et le choeur des corybantes.

Ah ! Quelle rage !

CYBÈLE, et les choeurs.

Ah ! Quel malheur !

CYBÈLE.

1145 Atys au printemps de son âge
Périt comme une fleur
Qu’un soudain orage
Renverse et ravage.

CYBÈLE, et le choeur des divinités des bois, et des eaux.

Quelle douleur !

CYBÈLE, et le choeur des corybantes.

1150 Ah ! Quelle rage !

CYBÈLE, et les choeurs.

Ah ! Quel malheur !
Les divinités des bois et des eaux, avec les corybantes, honorent le nouvel arbre, et le consacrent à Cybèle. Les regrets des divinités des bois et des eaux, et les cris des corybantes, sont secondés et terminés par des tremblements de terre, par des éclairs, et par des éclats de tonnerre.

CYBÈLE, et le choeur des divinités des bois, et des eaux.

Que le malheur d’Atys afflige tout le monde.

CYBÈLE, et le choeur des corybantes.

Que tout sente, ici bas,
L’horreur d’un si cruel trépas.

CYBÈLE, et le choeur des divinités des bois, et des eaux.

1155 Pénétrons tous les coeurs d’une douleur profonde :
Que les bois, que les eaux, perdent tous leurs appas.

CYBÈLE, et le choeur des corybantes.

Que le tonnerre nous réponde :
Que la terre frémisse, et tremble sous nos pas.

CYBÈLE, et le choeur des divinités des bois, et des eaux.

Que le malheur d’Atys afflige tout le monde.

TOUS ENSEMBLE.

1160 Que tout sente, ici bas,
L’horreur d’un si cruel trépas.