Le théâtre représente un camp.
SCÈNE PREMIÈRE. Jason, Orphée. §
ORPHÉE.
C’est trop garder un timide silence
70 Nos Grecs, si longtemps abusés,
Ne souffrent plus qu’avec impatience
Cet indigne repos où vous les réduisez.
De la riche Toison ils cherchent la conquête;
Colchos garde en ses murs ce dépôt précieux
75 Le ciel nous y conduit : leur troupe est toute prête ;
Et vous seul retardez ce dessein glorieux.
JASON.
Au milieu des horreurs d’une guerre effroyable,
Dois-je accabler encore un roi trop déplorable,
Qui nous a comblés de bienfaits ?
80 Le Scythe sur ces bords a porté t’épouvante
D’un combat furieux nous voyons les apprêts.
Ce prince espère en nous remplissons son attente ;
Combattons pour ses intérêts,
Et que de notre zèle une preuve éclatante
85 Puisse autoriser nos projets.
ORPHÉE.
Pour nous engager à vous croire,
Cessez de prendre un vain détour
Le voile pompeux de la gloire
Sert souvent à cacher l’amour.
90 Aux rives de Lemnos une reine charmante
A long-temps arrêté vos pas;
Et lorsqu’un sort heureux répond à notre attente,
La beauté de Médée amuse votre bras.
Ah quand la gloire nous appelle
95 Est-il temps de languir dans une amour nouvelle?
N’en suspendrez-vous point le cours trop odieux ?a
Tant d’illustres guerriers n’ont-ils quitté la Grèce,
Que pour venir être en ces lieux
Les témoins de votre faiblesse ?
ORPHÉE.
Hélas Vous soupirez?
JASON.
Hélas Vous soupirez? Tu connais mes malheurs
Vainement je voudrais te cacher mes douleurs.
Hypsipyle m’aimait mon coeur brûlait pour elle
Les jours les plus heureux n’étaient faits que pour nous.
Fatal devoir, gloire cruelle,
105 Que je serais heureux sans vous !
Il fallut la quitter, cette reine si belle.
La perte d’un bonheur que je trouvais si doux,
Porte à mon coeur les plus sensibles coups
Plus mon sort eut d’attraits, plus ma peine est mortelle.
110 Trop cruel souvenir d’un bonheur qui n’est plus,
N’offrez plus à mon coeur votre douceur passée
Éloignez-vous, fuyez de ma triste pensée ;
Pourquoi m’entretenir des biens que j’ai perdus ?
Je guérirais des maux dont j’ai l’âme blessée,
115 Si de mes esprits prévenus
Votre image était effacée :
Trop cruel souvenir d’un bonheur qui n’est plus,
N’offrez plus à mon coeur votre douceur passée.
ORPHÉE.
Tandis qu’en cette cour vous prodiguez vos voeux,
120 Croirai-je qu’Hypsipyle occupe encor votre âme?
JASON.
Écoute le secret de ma nouvelle flamme,
Et plains mon destin rigoureux ;
En perdant la Toison, le roi perd sa puissance.
Pour prévenir les coups du sort,
125 Médée a de son art employé l’assistance.
Que peut contre elle un inutile effort ?
Et quelle valeur indomptable
De ses enchantements pourrait forcer le cours ?
Pour vaincre son art redoutable
130 L’Amour, le seul .Amour m’offre ici son secours.
Cependant conçois-tu l’excès de ma tristesse ?
À de feintes ardeurs j’immole ma tendresse
Malgré moi je trahis un objet plein d’appas.
Ah ! C’est une rigueur extrême
135 D’être réduit à quitter ce qu’on aime
Pour s’attacher à ce qu’on n’aime pas !
ORPHÉE.
Je vois paraître la princesse.
JASON.
Cours rassembler nos Grecs ; je te suis, laisse-nous.
SCÈNE II. Jason, Médée. §
JASON.
Princesse, où vous exposez-vous ?
140 Ah ! Fuyez un séjour d’horreur et de tristesse.
MÉDÉE.
Je ne viens point, par un indigne effroi
Arrêter en ces lieux l’ardeur qui vous anime ;
Partez, volez, courez servir le Roi :
Aux héros tels que vous, c’est un soin légitime.
145 Plus votre coeur est magnanime,
Et plus il est digne de moi.
JASON.
Ne puis-je obéir à ma gloire
Qu’en quittant l’objet que je sers ?
Tous les honneurs de la victoire
150 Pourront-ils me payer des douceurs que je perds ?
MÉDÉE.
Vous m’aimez, votre ardeur, m’est chère
Je frémis des périls où vous allez courir
Mais le devoir l’ordonne, il lui faut obéir,
Et l’amour doit se taire.
155 Adieu, Jason, évitez-moi
Je sens redoubler mes alarmes ;
Fuyez de dangereuses larmes ;
Je crains pour vous le trouble où je me vois.
JASON et MÉDÉE.
Ah ! Quelle peine extrême
160 De quitter ce qu’on aime !
Que mon sort serait doux,
S’il ne fallait jamais me séparer de vous.
SCÈNE III. Médée, Combattants derrière le théâtre. §
COMBATTANTS.
Courons, courons où l’honneur nous appelle,
Remplissons tout de sang et de terreur ;
165 Que le trépas, le carnage et l’horreur
Nous ouvrent les chemins d’une gloire immortelle.
MÉDÉE.
Que de cris furieux
Se font entendre dans ces lieux !
COMBATTANTS.
Que notre ardeur se renouvelle,
170 Sous nos funestes traits, tombez, audacieux.
MÉDÉE.
Ô dieux ! Ô justes Dieux !
Quelle rage cruelle !
COMBATTANTS.
Que notre ardeur se renouvelle
Sous nos funestes traits, tombez, audacieux !
MÉDÉE.
175 Quelle horreur ! Quelle triste image !
Mon coeur se sent glacer d’effroi.
Peut-être en cet instant mon amant ou le Roi...
Ô ciel détourne un si cruel présage !
C’est à toi seul que j’ai recours,
180 Mon art de leurs destins ne peut changer le cours,
Je mets mon seul espoir en ta bonté suprême,
Conserve-moi tout ce que j’aime ;
Juste ciel ! Prends soin de leurs jours,
J’implore ton secours.
185 Mais tout redouble ici mon désespoir extrême.
COMBATTANTS.
Périssez tous, périssez tous,
Cédez à l’effort de nos coups.
SCÈNE V. Le Roi, Médée, Jason, Suite de Roi, suite de Médée. §
JASON, au Roi.
Vos ennemis, livrés au destin de la guerre,
De leur perfide sang ont fait rougir la terre.
Leur roi seul échappé de ce désordre affreux,
Traînait de ses soldats les débris malheureux
200 Nos Grecs n’ont songé qu’à le suivre ;
Je l’ai joint dans ce bois et sa mort vous délivre
D’un ennemi si dangereux.
LE ROI.
Après ce grand exploit,. est-il en ma puissance
De payer vos rares bienfaits ?
205 Prescrivez en la récompense;
Et quel que soit le prix qu’exigent vos souhaits,
Soyez sûr des effets de ma reconnaissance.
Et vous, peuples, chantez l’invincible héros
Qui vous assure un plein repos.
LE ROI et MÉDÉE.
210 Pour célébrer sa gloire,
Réunissons nos voix
La paix et la victoire
Sont les fruits glorieux de ses fameux exploits.
CHOEUR.
Pour célébrer sa gloire,
215 Réunissons nos voix
La paix et la victoire
Sont les fruits glorieux de ses fameux exploits.
MÉDÉE et JASON.
Il est temps de bannir les larmes,
Jouissons d’un sort plein de charmes.
220 Le ciel rend nos voeux satisfaits :
Tout cède à l’effort de nos armes.
Après de mortelles alarmes,
Qu’il est doux de s’aimer en paix !
UNE DES SUIVANTES DE MÉDÉE.
Les Dieux ont pour nous
225 Fait éclater leur puissance,
Nos voisins jaloux
Sont soumis sans résistance ;
De leur courroux
Ne craignons plus les atteintes ;
230 Un sort plus doux
Finit le cours de nos plaintes ;
Que de plaisirs
Vont s’offrir à nos désirs !
CHOEUR.
La paix va régner sur la terre :
235 Vivons heureux, profitons des beaux jours :
Les funestes cris de la guerre
Vont faire place aux doux chants des amours.