Le Procès des Prétieuses en vers burlesques
Comédie
A PARIS,
Chez ESTIENE LOYSON, au Palais,
à l’entrée de la Gallerie des Prisonniers,
au Nom de Jesus.
M. DC. LX
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Léa Delourme sous la direction de Georges Forestier (2013-2014)

A MADAME
Madame la marquise de monloy. §

MADAME,

Apres avoir quelque temps douté si je differerois les preuves de mon respect pour vous en donner de plus considerables, ou si je me hazarderois de vous le témoigner par l’offre d’une bagatelle : je me suis enfin laissé persuaderque je ne pouvois avec trop d’empressement chercher les moyens de vous en donner des marques ; mais comme il me sembloit presque impossible qu’elles vous fussent considerables sortant de mes mains ; j’ay cherché dans les agréments d’un style burlesque dequoy reparer mon peu de merite, & ne me sentant pas assez fort pour vous plaire par la beauté de mes pensées, j’ay voulu vous empescher de songer à ma foiblesse, & reparer ce deffaut par la plaisanterie de mes imaginations : En un mot, MADAME, je me suis resolu de vous offrir une Comedie, n’osant pas vous presenter un Ouvrage serieux. Dans cette entreprise je n’ay point d’autre but que celuy de vous divertir, & de vous faire connoistre que je me souviens de ce que je vous dois. J’avouë que c’est me charger d’une nouvelle obligation que de vouloir m’aquiter ainsi ; mais il est bien mal-aisé de n’estre pas tousjours redevable à celles qui vous ressemblent ; aussi me fonday-je entierement sur vostre bonté. C’est une de vos vertus, MADAME, & vous n’avés pas acquis moins de reputation dans la Cour par elle, que par toutes vos autres bonnes qualitez. Je m’abuserois moy-mesme si je pretendois en faire icy le denombrement. Trop de choses vous ont renduë recommandable durant que vous avez esté auprés de la plus auguste & plus vertueuse Reyne qui ait jamais porté la Couronne pour me laisser le moyen de l’oser entreprendre ; aussi ne m’y hazarderay-je pas ; & tout le tesmoignage que je veux rendre à une vertu conneue de tout le monde, c’est que dans ce lieu où vostre naissance vous avoit appellée ; dans ce lieu dis-je où la médisance n’espargne personne, vostre vertu luy a si bien fermé la bouche que les plus médisans ne l’ont jamais ouverte que pour publier que vous estiez la plus sage & la plus vertueuse personne de la Cour ; & dans ce lieu ce n’est pas peu de chose de conserver tant d’estime avec tant de beauté. Cependant ce qui pour lors estoit vray ne l’est pas moins à present, au contraire on peut dire que vos vertus brillent avec plus d’éclat :mais dans cette estime generale de tous ceux qui vous connoissent souvenez-vous de cette generosité par où vous l’avez acquise. S’en est une bien grande, MADAME, de regarder de bon œil les choses qui sont au dessous de nous, & c’est celle dont je vous prie de vous servir en mon endroit, me permettant de me dire avec respect,

MADAME,

Vostre tres-humble & tres-obeïssant serviteur, SOMAIZE.

AU LECTEUR. §

Je te donne icy un Procez, dont le sujet est si nouveau, que malgré toute l’antiquité de la chicane, on n’en avoit point encore veu de semblable au Palais : il s’y est fouré comme en son païs natal, & bien qu’il soit né dans un lieu fort tranquille, il n’ pas laissé de passer dans celuy du trouble & de l’embaras. En vain j’ay tasché ar raison de le retenir, la demangeaison d’avoir ton jugement m’a forcé de l’exposer à recevoir de toy un Arrest moins favorable que celuy que mes amis en ont porté. Je n’en appelleray point, & ne croiray pas mesme que tu me fasses d’injustice en le condamnant : mais comme tu peux luy estre contraire par plusieurs raison, il me semble assez juste de te dire ce que la liberté du Poëme Burlesque y a rendu raisonnable ; qui est premierement l’expression qui dans ces sortes de Comedies, fait une partie du plaisant, & reçoit toutes sortes de façons de parler. Le sujet en suitte qui dépend entierment de l’imagination, & qui n’a besoin pour estre receu que du passe-port de la vraye-semblance. Il seroit besoin icy de faire un long discours pour expliquer ce que c’est que vraye-semblance ; mais pour te le dire en deux mots, c’est tout ce qui, bien qu’extraordinaire par sa nouveauté, tombe neantmoins assez dessous les sens pour persuader à l’esprit que cela peut arriver sans renverser l’ordre estably dans le cours des Choses. Ce qui despend souvent bien plus de l’arengement des actions, que des actions mesme. Peut-estre m’accuseras-tu d’y avoir manqué precipitant en un jour un procez, qui selon la coustume des Modernes dure pour l’ordinaire des six mois : mais le Theatre peut bien donner cette licence, puisque la raison & l’utilité voudroient qu’ils ne fussent pas plus longs, outre que cecy estant plutost un Arbitrage en forme, qu’un Jugement reglé. Il ne faut pas s’estonner qu’il aille si viste, aussi n’est-ce pas là dequoy je veux le plus me deffendre, & les Scenes deliées qui sont presentement tout à fait condamnées dans les pieces regulieres, & que j’ay laissé passer dans cette Comedie, me fourniroient une ample matiere, d’apporter quantité d’excuses, ce que je ne feray pourtant pas, croyant qu’elles ne sont pas tout à fait condamnables dans une Piece burlesque, qui est proprement un ouvrage ou tout est permis, pourveu qu’il fasse rire. Comme je te l’ay donné pour te divertir, je te pris si tu ne le trouves pas assez plaisant de te donner quelque jour de patience, j’en exposeray un autre à ta censure qui pourra reparer les defaut de celluy cy ? ce sera la Pompe funebre d’une Pretieuse, avec toutes les ceremonies de ce fameux Convoy ; que ces termes de lugubres et funestes ne t’espouvantent point, car je puis t’asseurer que cét Enterrement n’aura rien de triste que son nom.

ACTEURS §

  • RIBERCOUR, Gentihomme Manceau & député de ce Païs.
  • ROGUESPINE, Son Valet.
  • THEOCRITE, Professeur és langues Espagnole, Italienne & Françoise.
  • PANCRACE, Professeur de la langue Pretieuse.
  • ERGASTE, Escuyer de Madame la Duchesse de ….
  • UN GREFFIER.
  • PATRICE,
  • ANAXARITE,
  • ARISTIME, Juges, se disant de l’Academie Françoise.
  • EPICARIE, Deputée du Corps des Pretieuses.
  • SA SUIVANTE.
  • RODOGINE, Escoliere, qui vient apprendre à parler Pretieux.
La Scene est à Paris.

LE PROCEZ DES PRETIEUSES
Comédie en vers Burlesques.i §

[Acte I] §

SCENE PREMIERE. §

PATRICE, EPICARIE.

epicarie, (en appellant Patrice.)

Hem, ou courez-vous de ce pas ?

patrice.

Ma foy, je ne vous voyois pas,
Et j’allois chez vous pour vous dire,
De vous apprester à bien rire.
5 Nostre homme, enfin arriva hier, [p. 2]
Et m’est desja venu prier
De luy répondre sa Requeste,
Regardez si vous estes preste,
Et si vous avez aujourd’huy
10 Le temps de plaider contre luy ?

epicarie.

Ouy j’ay tousjours le temps de rire ;
Mais il ne sçaura que nous dire,
Il le faut laisser reposer
Si nous voulons l’oüyr jazer ;
15 Car je croy qu’il aura sans doute
Tout oublié pendant sa route.

patrice.

Croyez-moy, si l’on le surprend
Le plaisir en sera plus grand,
Et nous le verrons se confondre
20 Sans sçavoir par où nous répondre.
Mon Dieu ! qu’il sera tantost sot ;
Tous nos gens ont desja le mot,
Et je vous donne ma parolle
Que chacun joüera bien son roolle,
25 Et que Professeurs, & Sergens
Ne paroistrons pas negligens ;
Mais marchons je le vois paroistre. [p. 3]

SCENE II. §

RIBERCOUR, ROGUESPINE.

roguespine.

Parbieu c’est bien avoir mon maistre,
De plaider la demanjaison,
30 Qu’en poste quitter sa maison
Pour venir à Paris, se rendre
Avecque dessein d’entreprendre
Contre des femmes un procez,
(Dont j’augure mal du succez)
35 Et cela dites-vous à cause
Que leur bouche, n’est jamais clause,
Et qu’elles parlent que je croy
Le langage des des…… ma foy
Ce mot n’est plus dans ma mémoire,
40 Il n’est plus dessus mon grimoire,
Et ce nom, ce diable, de nom,
Qu’on dit avoir tant de renom,
A retenir fait tant de peine,
Que je l’ay laissé dans le Maine ;
45 Mais sans doute qu’il nous viendra
Quand vos chappons, l’on envoyera ; [p. 4]
Car l’on doit dans cette occurence
Vous en envoyer pour la pence
De Monsieur, vostre Procureur ;
50 Puis qu’enfin il faut qu’un plaideur,
S’il craint de son procez la perte,
Ait sans cesse la bourse ouverte.

ribercour.

Les Nobles du Mant par bonté
M’ayant dans Paris, deputé
55 Pour empescher dedans la langue,
Par une belle & bonne harangue,
L’heresie qui va passer,
Et qui commence à se glisser
Dedans tout le pays du Maine ;
60 Prendront assurément la peine
De m’envoyer force presens,
Qui seront plus que suffisans
Pour me faciliter l’entrée
Auprés des directeurs d’Astrée
65 Et qui me donneront moyen
De mener mon procez à bien
Et d’avoir (puisque je m’en picque)
Un Arrest celebre, authentique,
Contre ces jazeuses enfin
70 Que je hay plus que le lutin,
Et que l’on nomme Pretieuses ;
Mais non pas pour estre amoureuses. [ 5]

roguespine.

Ah ! voila justement ce mot
Qui si long-temps a fait le sot,
75 Et qui pour moy, chose nouvelle,
M’a fort embroüillé la cervelle ;
Mais puisque je le tiens enfin
Monsieur, sans attendre à demain,
Malgré toute la procedure
80 Apprenez-moy, je vous conjure
Pour quelle importante raison
L’on les appelle de ce nom,
Et pourquoy ? par toute la terre
On aime à leur faire la guerre ?

ribercour.

85 Ah ! je vois bien que tu seras
Curieux, tant que tu vivras,
Et que mesme en la sepulture
Tu le seras encor, je jure.

roguespine.

Mon Dieu ! qui ne le seroit pas
90 L’on l’est bien pour un moindre cas :
Depuis six ans, le monde en cause,
Je n’entends rien dire autre chose,
Ce mot en Province a grand cours,
De luy les Dames, tous les jours
95 En disent toutes des plus belles,
Et dés-lors que quelqu’unes d’elles
S’en vont faire un tour à Paris, [p. 6]
Aussi-tost, aux plus favoris,
De mesme qu’aux plus favorites
100 Dedans des lettres bien escrites
Elles protestent que Paris,
Charme tous les plus grands ennuis,
Que l’on y rit des Pretieuses,
Qu’elles n’y sont pas fort heureuses,
105 Que l’on en a pour cent raisons
Imprimé de toutes façons ;
Enfin dans Paris, dans le Maine ;
Dans Lion, dans Turin, dans Genne,
Et dans seize mille autres lieux
110 Pretieuses & Pretieux
Font l’entretien de maintes-belles,
Des Suivantes, des Demoiselles,
Et le vieux, le jeune, & le sot,
Veut là-dessus dire son mot.
115 Ne seroit-ce point quelque fable,
La chose me paroist croyable,
J’ay souvent le goust rafiné ;
Et je crois avoir deviné ;
Car l’on n’imprime point des femmes.

ribercour.

120 Ce sont les Mots, que font les Dames,
Que l’on imprime aussi, lourdaut.

roguespine.

Hé bien, quoyque je sois rustaut,
Dites ? comment sont-elles faites ? [p. 7]
Sont-ce des femmes ? fort parfaites,
125 Qui n’ont rien des autres en tout ?
Sont-elles point à vostre goust ?
Portent-elles, des hauts de chausses ?
Sont-ce pieces bonnes, ou fauces ?
Quoy Monsieur, vous ne parlez pas,
130 Vous font-elles, de l’embaras ?
Sont-elles, point hermaphrodites ?
Ont-elles, des justeaucorps ! dites ?
Ont-elles, le visage beau ?
Ont-elles, un vilain muzeau ?
135 Sont-elles, tant soy peu camuses ?
Chantent-elles, comme les muses ?
Ont-elles, le nez aquilain ?
Ont-elles, l’esprit fort malin ?
Sont-ce des beautez, sans secondes ?
140 Sont-elles, brunes, grandes, blondes,
Petites, jeunes, vieilles, ou
Hideuses, comme un lougarou ?
Ne sont-ce point quelques sorcieres ?
Sont-elles, douces, ou bien fierres,
145 Ont-elles, des maris ou non ?
N’auroient-elles, point de surnom ?
Des galands, en endurent-elles ?
Ne feroient-elles, point les belles ?
Sont-elles, riches à foison ?
150 Sont-elles, de pauvre maison ?
En un mot, dites-moy ? sans fraude, [p. 8]
Monsieur, sont-elles à la mode ?

ribercour.

Oüy, oüy sans doute elles y sont ?

roguespine.

Elles ont dont des souliers ronds ;
155 Car d’en porter c’est la grande mode.

ribercour.

Va, de cela ne t’incommode,
Je t’en veux faire voir bien-tost.
Mes affaires sont comme il faut,
Et je n’ay fait dans cette Ville
160 Rien qui ne me soit fort utille ;
Desja plein d’animosité
J’ay ma Requeste presenté
A Messieurs, de l’Academie,
Que certes je n’oublieray nie,
165 Tu sçais, dont je suis fort contant,
Qu’on l’a répondue à l’instant.

roguespine.

Mais si faisant les Damoiselles,
Un Procureur, venoit pour elles
Monsieur, je ne les verrois point ;
170 C’est pourquoy, je crois sur ce point
Qu’il vaudroit bien mieux, ce me semble,
Leur donner à toutes ensemble
Un personnel adjournement. [p. 9]

ribercour.

Tu raisonnes fort justement.

roguespine.

175 Vous vous croyez donc bien habille,
Et s’il en venoit plus de mille,
Et que dans ce beau jugement
Il fallut personnellement
Agir avec toutes, je jure,
180 Que dans une telle adventure
Je vous trouverois pas ma foy
Fort embarassé.

ribercour.

        Va, tay toy ;
Car quoy que tu me puisses dire,
185 Je ne suis point d’humeur à rire,
Et je me ressouviens fort bien
Que je n’ay fait encore rien,
Quoy que je voye ma Requeste
A signifier toute preste,
190 Puisque je ne sçay point du tout
Ou pouvoir d’une voir le bout.

roguespine.

Il faut qu’un secret, je vous die,
Pour qu’à cela l’on remedie ;

ribercour.

Que me veux-tu dire de bon ?

roguespine.

195 Prenez-les au petit Bourbon,
L’on les dit au païs, plaisantes [p. 10]
Et mesme assez divertissantes

ribercour.

Tu ne sçais pas ce que tu dis,
A Bourbon, va tu t’es mépris
200 Ce ne sont que Comediennes.

roguespine.

Ah ! je viens sans beaucoup de peines
De trouver un expedient.

ribercour.

Dis ! car je suis impatient.

roguespine.

Il faut les faire avecque pompe
205 Monsieur, crier à son de trompe.

ribercour.

Voila justement le moyen
Pour ne rencontrer jamais rien ;
Puisque toutes les Pretieuses,
De se cacher sont curieuses,
210 Qu’elles ne veulent du tout pas
Qu’on connoisse rien à leur cas,
Et que les plus grandes d’entre-elles
Disent qu’elles ne sont point telles.

roguespine.

J’en veux voir quelqu’une pourtant,
215 Et j’ay des moyens tant & tant,
Qu’en quelque endroit que ce puisse estre
Je vous en feray voir, mon maistre ;
Par exemple, j’en tiens un bon. [p. 11]
J’ay oüy dire avecque raison
220 Que quand l’on a dans cette ville,
Perdu quelque chienne gentille,
L’on fait afficher des billets
De tous les costez au Palais,
Et qui promettent recompense
225 A ceux, qui plains de vigilance
La rapporteront. Vous pourrez
Faire de mesme, & vous verrez
Sans doute que quelque suivante,
Avide de la paragoüante
230 Ne pourra sa langue tenir.

ribercour.

Mais quoy ne vois-je pas venir
Mon vieil amy, Monsieur Pancrace,
Vrayement il faut que je l’embrasse. [p. 12]

SCENE III. §

RIBERCOUR, PANCRACE,
ROGUESPINE.

pancrace.

Cher amy, que je suis joyeux
235 De vous rencontrer en ces lieux :
Il faut pourtant que je vous fasse
Des plaintes, quand je vous embrasse
Et que je demande pourquoy
Vous n’estes pas venu chez moy,
240 En arrivant en cette ville,
Establir vostre domicile
Sçachant avec combien d’ardeur
Je suis vostre humble serviteur ;

ribercour.

Un procez, est ce qui m’ameine
245 Et les plaideurs font trop de peine,
Le boire, & le manger chez eux
Tantost, faute d’une heure ou deux,
Ils n’ont que procez à la bouche,
L’on ne sçait point quand on s’y couche
250 Et quand on s’y leve encor moins,
Cent chicaneurs font tous leurs soins,
Un Clerc, aujourd’huy les visitte, [p. 13]
Un Procureur arrive en suitte,
Le lendemain un Advocat,
255 Vient dire un nouvel altercat,
Apres vient un homme d’affaires,
Apporter quelques formulaires,
Et tous les jours un tas de gens
Affamez, comme des Sergens,
260 Viennent, non pas, avec main morte,
Heurter, rudement, à leur porte,
Pour dire, quatre meschants mots
Qui sont souvent hors de propos.

pancrace.

Et quel procez donc vous ameine ?

ribercour.

265 Pour le public, j’ay cette peine
Et je suis authentiquement
Deputé des Nobles du Mant,
Comme de la Province entiere,
Qui s’interesse en cette affaire,
270 Afin de plaider en ces lieux
Contre le parler pretieux
Et ces pestes de Pretieuses,
Que je vais rendre mal-heureuses ;
J’ay desja par precaution
275 Pour intenter mon action
Fait tantost un coup de ma teste
Et j’ay presenté ma Requeste
A l’Academie, & voicy [p. 14]
La teneur que j’en tiens icy.
(il lit.)
280 A Messieurs de l’Academie.
Humblement Messieurs, vous supplie
Le Sieur de Ribercour, du Mant
Gentilhomme qui point ne ment,
Et deputé de la Noblesse
285 D’où l’on voit des pommes la presse.
Disant, que depuis quelque temps
Il s’espend d’instans en instans
Dans leur païs certain langage,
Ou plutost un Baragouinage,
290 Qui leur est à tous inconnu,
Ne sçachant pas s’il est venu
Par eauë, ou sur quelque aridelle
Et que Pretieux l’on appelle :
Lequel, comme la nouveauté
295 Plaist avecque facilité,
Est receu dans nostre Province,
De gens, dont la cervelle est mince,
Sujets à prendre en cent façons
Mille folles impressions,
300 Et qui je croy Messieurs, sous ombre
Que ce langage estoit fort sombre
Et qu’il estoit né dans Paris,
Et s’est fouré jusqu’à leurs huis,
Ont crû, qu’ils seroient fort celebres                    [ [p. 15] ]
305 Et que pour sortir des tenebres,
C’estoit un cas sur à chacun
Pour les distinguer du commun,
S’ils s’attachoient tous à le suivre
Et s’ils pouvoient le faire vivre.
310 Neantmoins cela fait grand tort
A la Province & luy nuit fort ;
Tant à cause Messieurs, du trouble
Qui de temps en temps se redouble,
Et qui met le commerce à bas,
315 Que du grand nombre de Ducats,
Dont tous les jours l’on fait despence,
Non sans grande condoleance,
Pour avoir à chaque momens
Avec soy quelques Truchemens.
320 Ce consideré, qu’il vous plaise,
Pour que ce desordre on appaise,
Faire appeller pardevant vous
Pour qu’on luy donne du dessous,
Tout ce grand corps des Pretieuses,
325 Pour se voir comme factieuses,
Condamner d’abord à laisser,
Abjurer, quiter, renoncer,
Un si pernitieux langage,
Et qui peut causer du carnage,
330 Et que deffences à l’instant,
Leur soient par vous faites s’entend
De ne s’en plus servir à peine [p. 16]
De ne jamais lire Artamene,
Ny mesme aucun autre Romant ;
335 Ou pour un plus dur chastiment
Que le lit, desdites femelles,
Soit des deux costez sans ruelles,
Et qu’il soit mesmement placé
Sans estre du tout exaucé ;
340 Et vous ferez bonne Justice.

pancrace.

La responce est-elle propice ?

ribercour.

Oüy : prestez donc attention
La voicy : Qu’assignation
Soit donnée, à ces Pretieuses,
345 Qui sont si fort contentieuses ;
Fait justement le vingt & trois
De May, le plus fleury des mois.
Hé bien ? mon cher Pancrace,
Croyez-vous que je les terrace
350 Et que j’aye fort advancé ?

pancrace.

Tout à fait ; car enfin je sçay
Que ces Messieurs, à forte teste
En respondant vostre requeste,
Avecque tant d’agilité
355 Ont fait un coup en verité,
Qui par sa grande vigilance [B 17]
Doit estre à tous en evidence ;
Puis qu’un mot souvent leur suffit
Pour embarasser leur esprit
360 Plus de dix, ou douze semaines ;
Mais je vous veux donner mes peines,
Et solliciter avec vous :
Aussi bien je suis en couroux
Contre toutes ces orgueilleuses,
365 Pour dire plus ces Precieuses,
Que j’allois perdre, Dieu le sçay,
Si vous n’aviez pas commencé ;
Vous sçavez bien que dix années,
Favorisé des destinées,
370 J’ay suivant ma profession,
Enseigné dedans la maison,
Avec honneur, & dans la ville,
D’une manière fort facille,
La langue Italienne, avec
375 L’Espagnolle, sans nul eschec,
Et pareillement la Françoise ;
Cependant je vois qu’on dégoise
Aujourd’huy pour me ruïner
Un jargon, qu’on doit condamner.
380 Que mes escoliers se dépitent,
Qu’il s’en faut peu qu’ils ne me quittent.
Et que lors qu’à quelque estranger,
Qui me fait souvent enrager,
J’ay bien souvent donné mes peines [p. 18]
385 L’espace de quelques semaines ;
Mais non pas sans bien me fascher,
Afin de luy faire escorcher,
Le François, qu’il tasche d’apprendre,
Il me vient dire, pis que pendre
390 Et crier d’un ton outrageant
Que je luy volle son argent,
Et qu’il s’est veu parmy des femmes,
Des illustres, des belles ames,
Qui parloient un patois, sa foy,
395 Qui ne s’apprenoit point chez moy.
Que mesme il avoit fait despence
Et qu’il dit estre d’importance,
Acheptant des Livres nouveaux,
Que tout le monde trouve beaux,
400 Intitulez, les Pretieuses,
Pretieuses, pour luy fascheuses,
Puis qu’il n’y peut connoistre rien.

ribercour.

Je croy que vous ferez fort bien,
Pour exterminer ces femelles,
405 De vous joindre avec moy, contre elles
Car enfin s’il faut qu’une fois
Voulant imiter les François,
Qu’en Espagne, & dans l’Italie,
Ce diable de nom, se publie
410 Et qu’il vienne à naistre en ces lieux [p. 19]
Quelque langage pretieux,
Vous n’auriez bien-tost, que je pense,
Qu’à rengaigner vostre science.

roguespine (à part.)

Je croy que mon maistre aujourd’huy
415 A rencontré plus fou que luy.

ribercour.

Mais j’oubliois de vous apprendre,
Que je ne sçay pas où les prendre,
Pour les pouvoir faire assigner.

pancrace.

Ah ! sans y long-temps ruminer,
420 Je trouve la chose facille
Tout en est plein dans cette ville
Et puis, je sçay bien à peu prés
Où quelqu’une loge icy prés.

ribercour.

Allons-y donc, dés tout à l’heure.

roguespine.

425 Ils perdent l’esprit, ou je meure,
Mais je pense qu’avec lent soin
Ils auroient encor grand besoin,
Pour que leurs action esclatte
De la lenterne de Socrate,
430 Afin de chercher à leur tout
Une Pretieuse, en plein jour
Comme il faisoit jadis un homme ; [p. 20]
Pour moy je croy que l’on m’assomme,
Disant, que tout en est farcy ;
435 Puisque je n’ay pü jusqu’icy
Par mon addresse, non commune
Jamais en descouvrir aucune,
Moy qui depuis trois jours entiers
Faits residence en ces quartiers.
(Ribercour & Pancrace ayant fait trois ou quatre pas, aperçoivent au dessus d’une porte, une affiche & lisent.)
440 Les Lecteurs, qui sont curieux
Sçauront que le Sieur Theocrite,
Dedans cette maison habite
Et montre à parler Pretieux.

pancrace.

Nous ferons icy nostre affaire
445 Monsieur, & nous n’avons que faire
D’aller en d’autre lieux courir :
Nous le ferons bien discourir
Sy nous pouvons avec addresse
Malgré le couroux, qui nous presse
450 Cacher, ce qui nous fait venir.

ribercour.

Entrons donc pour l’entretenir. [p. 21]

SCENE IV. §

roguespine seul.

Ah ! puisque je sçay la demeure
Il me prend envie : ou je meure,
De venir sans en dire mot
455 De peur de passer pour un sot,
Pour un capagnart, pour un rustre,
Apprendre cette langue illustre,
Qui met le monde en grand credit.
Aussi bien en Province, on dit
460 Que dans Paris, toutes les femmes,
Et mesme les plus grandes Dames,
Reçoivent jusques aux laquais
Quand ils sont bien vestus, bien fais,
Et qu’enfin ils ont l’avantage
465 De sçavoir un peu ce langage. [p. 22]

SCENE V. §

ROGUESPINE, RODOGINE.

roguespine.

Mais où va cette fille-là ?
(Monstrant la porte de Theocrite.)
Elle va de ce costé là,
Ouy, ses pas font assez connoistre
Qu’elle va tout droit chez ce Maistre ;
470 Pour nous desennuier un peu
Arrestons-là, dedans ce lieu
Madame, ou bien Mademoiselle ;
Car il faut que vous soyez telle,
Vous ne sçauriez que faire là ;
475 Car……

rodogine.

Le beau debut que voila !
Que vous avez l’ame grossiere,
La forme avant, dans la matiere ;
Ah ! mon cher que vous este dur,
480 Et qu’il fait dans vostre ame obscur.

roguespine (à part.)

Qu’est-ce que celle-là veut dire ?
Je ne sçay pas si j’en dois rire,
Car n’entendant point ce jargon [p. 23]
Elle peut m’appeler fripon ;
(à Rodogine.)
485 Songez mieux à ce que vous faites
Impertinente, que vous estes
Je suis valet, de probité
Et de Monsieur le Deputé,
Et si vous me chantez injures,
490 Sçachez, que ce sont impostures.

rodogine.

Et quel est donc ce deputé ?

roguespine.

Ah ! vous raillez en verité,
Chacun le doit desja connoistre ;
Car qui ne sçait pas que mon Maistre,
495 Est icy deputé du Mant,
Afin d’obtenir promptement
Contre ces langues venimmeuses,
Que l’on appelle Pretieuses,
Un Arrest, qui casse tout net
500 Le langage qu’elles ont fait.

rodogine.

Justes Dieux ! que je suis surprise
De cette maudite entreprise ;
Mais encore, est-ce tout de bon ?

roguespine.

Peste de la commission,
505 J’en avois ma foy, bien affaire,
La scelle m’en tient au derriere,
Et les sauts que tous les chevaux, [p. 24]
Qui n’estoient certes, bons ny beaux,
M’ont (sans qu’il fut fort necessaire),
510 En courant la poste, fait faire,
Dans un superlatif degré
Le ventre m’ont plus escuré,
Que n’auroient, je le dis sans feintes,
Jamais pû faire quatre peintes
515 De ce vin bien & mal faisant,
Qu’on nomme Emetique à present.

rodogine.

J’ay donc en vain vuidé ma bourse,
Et mon pauvre argent sans resource
Est donc pour tout jamais perdu.
520 Ah ! je voudrois qu’il fut pendu
Ce chien, cét enragé, ce traistre,
En un mot, ce diable de Maistre,
Qui m’a si souvent asseuré,
Et qui m’a tant de fois juré,
525 Que ce magnifique langage
Auroit le puissant advantage
De ne pouvoir mourir jamais.

roguespine.

Mais nos gens sortent satisfaits,
Et je donnerois ma parole
530 Qu’ils viennent d’atraper le drole. [p. C 25]

SCENE VI. §

RIBERCOUR, PANCRACE,
THEOCRITE, ROGUESPINE,
RODOGINE.

ribercour

(en sortant de chez Theocrite.)
Je vous suis obligé Monsieur,
D’une si notable faveur,
Et si vous passez d’avanture
Par le païs, je vous conjure
535 De venir loger droict chez moy ;
Vous y mangerez sur ma foy
Des chapons ; mais en abondance
Qui seront bons par excellence.

pancrace.

Et moy de mon costé Monsieur,
540 Je vous rends graces de bon cœur.

theocrite.

Vos civilitez sont plus grandes
Que n’ont pas esté vos demandes,
Et dedans cette occasion
Il n’est point d’obligation,
545 Qui pour des gens d’un tel merite,
Ne soit de nature petite. [ 26]

theocrite

(pendant que Rodogine parle bas à Roguespine.)
Enfin nostre homme est attrappé,
Et c’est un deputé duppé ;
Mais il auroit tort de ses plaindre,
550 Bien d’autre sans les y contraindre
Du depuis que pour l’attraper,
Ou pour mieux dire le dupper,
J’ay mis sur ma porte une affiche,
Sans pretendre leur faire niche,
555 Me sont venus trouver ceans,
Et par des discours obligeans
M’ont conjuré de leur apprendre,
Ce qu’encor j’ay peine d’entendre,
Sçavoir à parler Pretieux.
(Appercevant Rodogine.)
560 Mais quoy vous trompez-vous mes yeux ?
Non certes, & c’est l’Escoliere
Qui me vient trouver d’ordinaire ;
Voyons donc de quelle façon
Elle a retenu sa leçon. [p. 27]

SCENE VII. §

THEOCRITE, RODOGINE.

theocrite.

565 Bonjour, entrons dans cette salle.

rodogine.

Vous n’este qu’un maistre de balle,
Qu’un ipertinent, qu’un jazeur,
Qu’un traistre, ny qu’un imposteur,
Je ne viendray pas davantage,
570 L’on va casser vostre langage.

theocrite.

Qui sont donc les perturbateurs !
Des Ruelles persecuteurs
Au beau stile, si fort contraires
Et de la raison adversaires,
575 Dont le sens emberliquoqué
Vous a dans l’esprit inculqué,
Par une injuste jalousie,
Cette bizarre fantaisie.

rodogine.

Ce que je dis est asseuré,
580 Car enfin l’on me l’a juré,
Et sur ce qu’on m’a dit, je gage [p. 28]
Qu’on cassera vostre langage.

theocrite.

Est-ce ainsi que mes documents,
Mes leçons, mes enseignements,
585 Sont en des terres infertilles
Où mes peines sont inutilles
Ou de tout ce qu’on peut planter
Rien ne peut jamais profiter.
Ah ! c’est donc en vain terre ingratte,
590 Que l’on vous besche, & qu’on vous gratte,
Puisque mes soins n’ont pour tout prix
Qu’un regret d’en avoir trop pris.
Quoy donc s’esnoncer de la sorte,
Ah ! cela m’estonne & m’emporte.
595 Ce que je dis, est asseuré,
Car enfin l’on me l’a juré
Et sur ce qu’on m’a dit, je gage
Qu’on cassera vostre langage,
Examinez cette oraison,
600 Elle peche en la diction,
L’on n’y voit que de la rudesse
Les mots en sont pleins de foiblesse.
Et……

rodogine.

J’ay bien un autre soucy,
605 Et si vous me voyez icy,
Ce n’est que pour vous faire rendre [p. 29]
L’argent, que vous voulustes prendre
Alors que je vins en ces lieux
Pour apprendre le Pretieux :
610 Car enfin puisque ce langage
Doit estre bien-tost hors d’usage,
Il est raisonnable qu’enfin
Vous me rendiez mon saint-crespin.

theocrite (sans l’escouter.)

Certes la langue Pretieuse
615 Est une chose merveileuse ;
Car enfin l’on parle de ceux
Qui sçavent parler Pretieux,
D’une si nouvelle manière…..

rodogine.

Ah ! ce n’est pas là nostre affaire,
620 Tout cela n’est ny beau, ny bon,
L’argent, fait nostre question ;
Mais quoy donc ? vous branlez la teste,
Et vous n’avez pas la main preste
A m’en avindre promptement.
625 Ah ! je m’en vais presentement,
Afin de vous estre contraire
Plaider de la belle manière,
Et me joindre dans mon couroux
A ces Messieurs, qui de chez vous
630 Viennent de sortir tout à l’heure :
Car de leur Valet, ou je meure,
J’ay sçeu qu’un d’eux n’estoit icy [p. 30]
Qu’afin de prendre le soucy,
De faire par toute la Terre
635 Une longue, & mortelle guerre
A toutes celles, & tous ceux
Qu’on prendra parlant Pretieux.
(Elle sort.)

SCENE VIII. §

theocrite seul.

Ce divertissement est drolle,
Et je jouë assez bien mon roolle.
640 Ils sont pris pour duppes ma foy.
(Voyant entrer Ergaste.)
Mais que desirez-vous de moy ! [p. 31]

SCENE IX. §

ERGASTE, THEOCRITE.

ergaste.

Je viens vous prier d’une grace.

theocrite.

Il n’est rien pour vous qu’on ne fasse.
Mais Monsieur, parlez s’il vous plaist !

ergaste.

645 Pour vous dire donc ce que c’est.
Je viens icy par ordre expresse
D’une incomparable Duchesse,
Vous prier que de vostre mieux
Vous tourniez en vers Pretieux,
650 Ce Madrigal là tout à l’heure.

theocrite.

(à part ouvrant le Madrigal.)
Que l’on voit de fous, où je meure,
Il n’importe pour leur argent,
Paroissans à tous obligeant ;
Mais dans une pareille affaire,
655 Il faut que le Dictionnaire
Que l’on a fait tout à propos, [p. 32]
Me fournisse beaucoup de mots,
(Il lit.)

MADRIGAL.

L’autre jour, un Mary, tenant divers discours
A sa femme, luy dit, au Cours.
660 Je vois que vous cherchez à faire des conquestes,
Elle luy respondit sans y songer du tout,
Ah ! ne paroissez plus si surpris que vous estes ;
Puis qu’enfin d’un mary les baisers sont sans goust.
Luy contre elle, d’abord se mettant en colere
665 Comme a de coustume un jaloux,
Luy dit, sans hesiter d’un visage severe,
Le Cours ne sera plus pour vous.
(Apres avoir leu, il dit.)
Dieux ! que ces vers ont de foiblesse,
Qu’on y voit mesme de rudesse,
670 Que les derniers sont peu pointus,
Vous ne les reconnoistrez plus.
Alors qu’en langue Pretieuse
Par une version heureuse,
Je les aurez mis,

ergaste.

675         Mot à mot,

theocrite.

Non certes, je serois un sot
Si j’avois ozé le promettre, [p. 33]
Puisque je ne les y puis mettre :
A cinq ou six mots prés, pourtant
680 Ils seront faits dans un instant.

ergaste.

Mais……

theocrite.

Mais la Pretieuse langue,
Sans vous faire une longue harangue,
Et pour vous parler en amy,
685 N’est encor faite qu’à demy.

ergaste.

Mais l’on vend un Dictionnaire,
Qui la doit contenir entierre.

theocrite.

Il n’est pas mauvais, mais l’Autheur,
En fait imprimer un meilleur.
690 On y verra des Pretieuses,
Toutes les guerres perilleuses,
Ensemble les descriptions
De leurs plus grandes actions ;
L’on y verra leur poëtique,
695 L’on y verra leur politique,
Leur Cosmographie y sera,
Et de plus l’on y trouvera
Un grand narré, de leurs histoires,
Leurs conquestes, & leurs victoires,
700 Leurs origines, leurs progrés, [p. 34]
Et par un discours fait exprés
L’on verra leur Cronologie,
Et tout ce que l’Astrologie,
Pendant leur regne predit.
705 De plus encore l’on m’a dit,
Que les Villes les plus fameuses
Du Royaume, des Pretieuses,
Avec leurs coustumes et mœurs,
Leurs actions, & leurs humeurs,
710 Y seront amplement descrites ;
Et que celle dont les merites
Esclattent jusques sur le front.
Leurs Esloges y trouveront.
Outre cela leurs Poësies,
715 Un traitté de leurs heresies,
Et leur Geographie aussi,
S’y rencontreront, dieu mercy ;
Avecque leur Philosophie,
De leurs mots l’ethimologie,
720 Et cent histoires, que je croy
Qui plairont fort en bonne foy.
Mais ce qu’il faut que chacun prise,
C’est qu’on y verra la devise
De celles qui par leur esprit
725 Sont dans le Monde en grand credit ?
De plus, & c’est sans railleries,
L’on y verra leurs Armoiries,
Et ceux qui sçavent le Blazon, [p. 35]
S’y divertiront tout de bon,
730 Et pourront voir de cette sorte
Ce que chacune d’elles porte.

ergaste.

Qu’on aura de contentement
A lire un Livre si charmant.

theocrite.

Ce livre sera d’importance
735 Et les Pretieuses de France,
Aussi-tost qu’elles le liront
Sans doute s’y reconnoistront.

ergaste.

Bon Dieu ! qu’on aura de quoy rire.

theocrite.

Tellement, que l’on peut bien dire
740 Que quand la clef on en aura
Beaucoup, on s’y divertira.

ergaste.

Ah ! je crois que chacun sans doute,
Ou par ma foy je n’y vois goutte,
Pour sa ratte bien dilater
745 Viendra promptement l’achepter.

theocrite.

Aux gens curieux il doit plaire
Mais retournons à nostre affaire
Et voyons nostre Madrigal. [p. 36]

ergaste.

Ma foy nous ne ferons pas mal.

theocrite.

750 Ça prenez donc cette escritoire,
J’ay quelques Vers en ma memoire,
Qu’en parlant à vous, j’ay trouvez
Je crains de les perdre, escrivez.
Attendez, que rien ne vous presse,
755 Il faut un tiltre à cette piece.
Mettez ce tiltre spetieux.

Madrigal en vers Pretieux.

C’est fait, continuez d’escrire,
N’aguerre un mary, dans l’empire……
Oüais, je me suis embarassé,
760 Que ce vers là, soit effacé.
Un mar…….non je resve sans doute,
Rien que le premier vers ne couste,
Et dés que je l’auray trouvé
Nous aurons bien-tost achevé.
765 Je le tiens sans doute, ou je meure,
Escrivez donc & tout à l’heure.
L’autre jour un mary, causoit
Avec sa femme, & luy disoit
Dedans l’empire des œillades.
770 Que ces parolles sont mignardes ?
Certes de semblables discours [p. 37]
Expriment tout à fait le Cours.
Dans ce lieu soit belle ou camarde,
Chacun de son costé regarde.
775 Et l’on voit chacun, accorder
Qu’on n’y va que pour regarder.
Il est donc, quoy qu’on puisse dire,
Bien dit des œillades l’empire.
(Il poursuit de dicter.)
Je vois que vous cherchez à faire assauts d’appas,
780 Elle sans songer dit, ne t’en estonne pas,
Car les baisers permis son fades.
Luy d’abord, tout comme un Argus…
Mes discours seroient superflus
Pour pouvoir icy vous d’escrire
785 Ce que ce mot d’Argus, veut dire ;
Puisqu’il est desja sçeu de tous
Qu’Argus, signifie un Jaloux,
Et sans aucune incertitude
Luy dit, vous n’y reviendrez plus
790 Et contre elle d’abord poussa le dernier rude.
Ces Vers sont faits avec estude.
Je puis aisément le prouver,
Puisqu’on ne peut jamais trouver
De façon de parler plus claire,
795 Pour dire se mettre en colere.
Mais c’est fait, lisez. [p. 38]

ergaste.

        Je le veux.

MADRIGAL EN VERS PRETIEUX.

L’autre jour un mary causoit
Avec sa femme, & luy disoit
800 Dedans l’empire des œillades.
Je vois que vous cherchez à faire assauts d’appas.
Elle, sans songer dit, ne t’en estonne pas,
Car les baisers permis sont fades.
Luy d’abord tout comme un Argus,
805 Et sans aucune incertitude
Luy dit vous n’y reviendrez plus,
Et contre elle aussi-tost poussa le dernier rude.

theocrite.

Que ces Vers ont de plenitude.

ergaste.

Les derniers ont je ne sçay quoy
810 Qui n’est pas dans les miens.

theocrite.

            Je voy
Ce que par là vous voulez dire,
Et je m’en vais vous en instruire.
C’est qu’on y voit dessus la fin
815 Par un tour delicat & fin,
Sans qu’elle y paroisse forcée, [p. 39]
Une maniere de pensée.

ergaste.

Vous avez raison en effect.
Pour moy j’en suis tres-satisfait
820 Et la personne qui m’envoye,
N’aura tantost pas peu de joye
De vois ses vers selon ses vœux
Si bien tournez en Pretieux.
(En luy offrant de l’argent)
Mais Monsieur, s’il vous plaist de prendre.

theocrite.

825 Certes je ne puis m’en deffendre
Tant vous m’en priez de grand cœur.

ergaste.

Adieu jusqu’au revoir Monsieur.

SCENE X. §

theocrite seul.

Bon Dieu ! sans le Dictionnaire
Qu’on a fait & que l’on doit faire,
830 J’estois ma foy pris comme un sot ?
Car je ne sçeus jamais un mot
De cette langue que j’enseigne, [p. 40]
Mais il ne faut plus que je craigne,
Puis qu’avecque quatre grand mots
835 L’on duppe souvent bien des sots ;
Mais allons sçavoir si nos drolles
Ont joüé comme moy leurs roolles,
Et si Monsieur, le deputé
A force Ducats apporté.

SCENE XI. §

PANCRACE, RIBERCOUR.

ribercour.

840 Enfin nostre affaire s’avance
Au moins si j’en crois l’apparence,
Et le bon homme bien & beau
A donné dedans le panneau,
Nous indiquant une demeure
845 Où l’on trouveroit tout à l’heure
Des Pretieuses de renom,
Tenant leur conversation ;
C’est pourquoy j’ose me promettre
Que sans doute on leur pourra mettre
850 Ma Requeste bien-tost en main,
Et que devant qu’il soit demain
A ces superbes Pretieuses, [p. D 41]
Nous verrons faire les pleureuses.

pancrace.

Au moins, je vous puis asseurer
855 Et puis mesmement vous jurer,
Que vostre Sergent, ou je meure,
Vous expedira tout à l’heure ;
Car je connois cét homme-là
Et je l’ay choisi pour cela,
860 Et maintenant je vous annonce
Que vous aurez bien-tost responce,
Et qu’il aura fait son devoir.

ribercour.

Ah ! je m’attends bien de sçavoir
Jusqu’à la moindre circonstance
865 De cette affaire d’importance ;
Car depuis l’un à l’autre bout
Roguespine, me dira tout.
C’est le plus curieux peut-estre
Que le Ciel ait jamais veu naistre
870 Et qui soit, point je ne vous ments,
Depuis Paris jusques au Mans.
Il doit suivre jusqu’à la porte
Le Sergent qui mon exploit porte ;
Mais je gagerois tout de bon
875 Qu’il entrera dans la maison,
Qu’il aura mesme l’asseurance
D’y faire quelque connoissance,
Et que de tout ce qu’il verra [p. 42]
Auss-tost il s’enquerrera.

pancrace.

880 C’est sans doute bien le connoistre
Que de ……

ribercour.

Mais je le voids paroistre.

SCENE XII. §

RIBERCOUR, ROGUESPINE,
PANCRACE.

ribercour.

Eh bien qu’as-tu veu ? qu’as-tu fait ?
Dis nous donc es-tu satisfait ?

roguespine.

885 Ce que j’ay veu, que vous importe
Une maison, où sur la porte
L’on avoit mis un escriteau.

ribercour.

Si je me jette sur ta peau
Je te feray bien rendre compte……

roguespine.

890 Oh, oh ! vous avez l’ame prompte ? [p. 43]

ribercour.

Ah ! coquin je t’estropieray.

roguespine.

Nouferay Monsieur, nouferay,
Vous ne sçauriez jamais pis faire.

ribercour. (le battant.)

Je veux pour t’apprendre à te taire……

roguespine.

895 Pourquoy diable tant s’emporter.

pancrace (Retenant Ribercour.)

Arrestez il va tout conter.

roguespine.

Oüida, cela pourroit bien estre,
Aprenez donc Monsieur, mon Maistre,
Que je parlois avec raison ;
900 Puisque dedans cette maison
L’on ne voit plus de Pretieuses,
Et que ces races, & ces gueuses,
Par un endiablé de hazard
Logent maintenant autre-part.

ribercour.

905 Sans doute, quelqu’un tout à l’heure
T’auras pû dire leur demeure.

roguespine.

Il n’est point de gens de mestier
Qui la sçachent dans ce quartier,
D’autant que par un trait habille
910 Avant terme elles ont fait gile.
Mais je pense que l’on m’a dit, [p. 44]
Oüy c’estoit un homme d’esprit,
Et ses discours sont fort croyables
Que du Marais, aux Incurables
915 Elles n’avoient rien fait qu’un saut.

ribercour.

Helas ! Je suis pris comme il faut,
Et tousjours le sort m’est contraire
Quand je veux faire quelque affaire.
Peste…..

roguespine.

920 Cessez de tant pester,
Et de plus vous inquietter,
Ce que je dis, n’est que pour rire
Et je m’en vais tout vous redire,

ribercour.

Quoy maraut……

roguespine.

925         Cessez vos clameurs,
Puis qu’enfin les vieux serviteurs
Ont tousjours quelque privilege.

ribercour.

Tu m’as fait donner dans le piege.
Mais……

roguespine.

930 Mais escoutez à loisir,
Puisque selon vostre desir
J’ay reüssi dans vostre affaire. [p. 45]

pancrace.

Escoutons, sans plus le distraire.

roguespine.

Avecque Monsieur le Sergent
935 Homme, tout à fait diligent,
Quand je vous quitté, nous allasmes
Tout droit au Marais, & trouvasmes
La ruë assez facilement
Dans laquelle est le logement
940 Des babillardes Pretieuses,
Qui sans doute ne sont pas gueuses.
Un venerable Savetier,
Qui loge en ce noble quartier,
D’une façon toute civille
945 Nous indiqua leur domicille,
Quoy qu’enfin, par un heureux cas,
Nous n’en fussions qu’à quatre pas.
A la porte, là nous heurtasmes
Et le heurtoir que nous trouvasmes
950 Estoit de linge emmailloté.
La chose est rare en verité,
Et de mesme qu’en ma memoire,
Merite une place en l’histoire,
Elle est faite avecque raison,
955 Car c’est une precaution
Dont bien souvent elles se servent
Et qu’entre-elles, elles observent,
Pour que, leur conversation [p. 46]
N’ait jamais d’interruption.
960 Il vint à la susdite porte,
Une calle, ou lacquais, n’importe
Qui nous ouvrist civilement.
Nous sans un long raisonnement
A l’instant mesme nous entrasmes
965 Et puis après nous le priasmes,
Que sa maistresse, pût sçavoir
Que nous desirions fort la voir.
Droit à la porte de sa chambre,
Où l’on sentoit le musc & l’ambre
970 Le susdit lacquais nous mena,
Puis apres il s’en retourna
Nous querir certaine suivante,
Que je trouvay fort obligeante,
Laquelle, je ne sçay pourquoy,
975 Communeii, il nomma devant moy ;
Cette fille, je la crois telle,
Vestuë, en jeune Damoiselle,
Apres deux mille questions
Sans les interrogations,
980 Alloit avec grande vitesse
Dans la chambre de sa maistresse,
Afin de la faire venir
Pour pouvoir nous entretenir :
Lors que de cette Pretieuse,
985 L’impatience merveilleuse
Fut cause qu’on nous fist entrer. [p. 47]
Nostre Sergent sans differer
Voyant cette femme sçavante
D’abord, vostre exploit lui presente.
990 Pendant le temps qu’elle le leust,
Et qui certes un long-temps fut,
Sans y trembler en aucun membre,
Je consideray fort la chambre
Dans laquelle à loisir je vis
995 Des Pretieuses de Paris,
Une longue & nombreuse bande.

ribercour.

Et ta joye alors fut bien grande
D’estre entré si heureusement ;
Mais faits nous le denombrement
1000 De ce que dedans cette chambre,
Qui sentoit tant le musc et l’ambre,
Tu vis de beau, de surprenant.

roguespine.

Vous l’allez sçavoir, maintenant.
Car je commence & sans encombre.
1005 Cette chambre estoit assez sombre,
Le grand jour, n’y pouvant entrer
A cause qu’elles font tirer
Pour l’empescher de trop paroistre
Des rideaux, devant la fenestre
1010 Sçachant, que la grande clarté
Efface un peu de la beauté.
J’y remarqué de plus, en suitte [p. 48]
Quoy que la chambre, fut petite,
Que depuis la porte on voyoit
1015 Un paravant qui s’estendoit
Jusqu’au prés de la cheminée.
Pour respondre à ma destinée,
Qui m’avoit fait heureusement
Entrer dans cét appartement ;
1020 De ladite chambre le reste
Sincerement je le proteste,
Je n’examiné nullement
Pour ne pas perdre le moment
Que j’avois de lorgner ces belles,
1025 Dedans l’une de leurs ruelles.
Seize environ elles estoient,
De plus toutes elles avoient
Au moins, ne s’en falloit-il guere,
Assis sur leurs manteaux par terre
1030 Paroissans fort humiliez,
Un homme, chacun à leurs pieds,
Sans ceux qui tres-fort à leur aise
Estoient assis dans une chaise,
Et faisoient peu les courtisans.
1035 Elles avoient tant de rubans,
Que je dis, sans dire sornettes,
Que comme Mulets de sonnettes
Elles estoient, & croyez my,
Toutes chargées, par ma foy.
1040 La pluspart encore d’entre-elles [E 49]
Soit deslaides, ou soit des belles,
Tenoient avec un air badin,
Chacune une canne à la main,
La faisant brandiller sans cesse,
1045 Et sans mentir je vous confesse
Que je n’osois ouvrir le bec
Et que j’allois mourir illec,
Tant de peur j’avois l’ame esmeuë,
Si je n’eus point jetté la veuë
1050 Dessus le Sergent, qui d’abord
Parût me r’asseurer bien fort.
Mais sans vous parler davantage
Du Sergent, ny de mon courage,
De peur de paroistre poltron,
1055 Reprenons la description.
Beaucoup sans attendre aux Dimanches,
Avoient mis des coiffures blanches
Qui toutes en pointe estoient.
Beaucoup d’autres, encore avoient
1060 Des coiffures, à la païsanne,
Et non pas à la courtisanne ;
Si depuis un temps à la Cour
La mode n’a joüé son tour.
Celles qui restoient….ah ! sans rire,
1065 Je ne sçay si je le puis dire,
Avoient tout au tour du museau
De toille jaune, un grand morceau
Si gras, que sans estre Prophete, [p. 50]
On l’eust pris pour une ommelette.
1070 Si je ne me trompe voila
Comme ces Pretieuses-là,
Qui ma foy, sont assez jolies
Estoient par la teste basties.
Or voyons tout presentement
1075 Comme estoit leur habillement.
Les unes, sans que je vous mente,
Avoient une tres-longue fente
A leurs habits, cela s’entend,
Et qui se rejoignoit pourtant
1080 Par des galands, que devant elles,
Avoient fait attacher ces belles.
Je puis dire que ces habits
Estoient faits de fort beaux tabis,
Et d’autres estoffes tres rares :
1085 Ces habits sont nommez Cimarres,
D’autres avoient des Justeau-corps
Et d’autres avoient par le corps,
Des robbes tout au tour plissées,
Parce qu’elles sont plus aisées.
1090 Ceux qui s’y fort humiliez
Estoient abaissez à leurs pieds
Et montroient un cœur plein de flambes,
N’avoient point presque tous de jambes,
Du moins, ne les voyoit-on pas
1095 Tant le rond, & grand embaras
De leurs canons à tous estages [p. 51]
A leurs jambes faisoit d’ombrages.
Leur estomach asseurément,
Et leurs espaules mesmement
1100 Estoient j’en ose jurer certes,
De grands cheveux toutes couvertes
Et pour avoir plus de beauté
Leur visage estoit moucheté.
Ils avoient selon leurs coustumes
1105 Des chapeaux, tous chargez de plumes,
Et des rabats tout à fait beaux
Qui jusqu’) l’espine du dos
Descendoient à tous par derriere ;
Et j’appris de la chambriere,
1110 Qui dans la chambre, en ce moment
Se trouva fortuitement,
Qu’ils estoient, non Anabaptistes,
Mais bien des galands Alcovistes
Ou bien pour vous l’expliquer mieux,
1115 Des galands, nommez Pretieux.
Je fus encor instruit d’icelle,
Je la croy pourtant Damoiselle ;
Mais cela vous importe peu,
Pourquoy ceux qui dedans ce lieu
1120 Comme j’ay dit, tres à leur aise
Estoient chacun dans une chaise,
Avoient tous les yeux fort battus,
De plus estoient de noir vestus,
Avoient la mine rechignée, [p. 52]
1125 Avoient la teste mal peignée,
Avoient de si petits rabats,
Qu’on ne les voyoit presque pas,
Et dont la toille telle quelle,
N’avoit point du tout de dentelle.
1130 Autheurs, elle les appella
Et me dit, que comme cela
D’une serieuse manière
Ils s’habilloient tous d’ordinaire,
Pour pouvoir avec equité
1135 Mieux soustenir la gravité,
La beauté, le credit, le lustre,
De leur profession Illustre.
Je sçeus d’elle encore de plus
En discours, non pas ambigus,
1140 Que quand pour chercher un bon terme
Ils estudioient de pied ferme
Et que leurs testes ils grattoient
Leurs cheveux souvent se mestoient,
Et c’est pour cela que les Poëtes,
1145 Qui bien souvent font les Prophetes,
Et que sans droit vous dedaignez,
Paroissent souvent mal peignez.
Voila le recit tres-fidelle
De tout ce que m’aprit la belle. [p. 53]

ribercour.

1150 Je trouve qu’en voila beaucoup.

pancrace.

C’est tres-bien pour le premier coup.

ribercour.

Et tant que j’ay peine à le croire.

roguespine.

Mais attendez, si ma memoire
Pouvoit un peu me revenir,
1155 Je pourrois vous entretenir
Encor de quelque circonstance
Qu’elle m’a dit & que je pense
Avoir oubliée, ah ! vraimy
Je m’en resouviens à demy.
1160 Ouy c’est sans tarder davantage
Qu’elle divisa par estage
Tous les autheurs, illec presens,
Si mornes & si suffisans.
Les uns font en Vers Heroïques
1165 Des Poëmes qu’on appelle Epicques
Et de ces Livres si charmants
Que nous appellons des Romans.
Les autres, sans estre des Comtes,
Se mettent de faire des Contes
1170 Pour rire, je l’entends ainsi,
Et d’y bien reüssir aussi.
Un seul d’entre-eux ay-je oüy dire,
Se picque d’y bien faire rire,
Et je croy que c’est un Abbé, [p. 54]
1175 Dont le nom commence par B.
Les derniers font des Comedies,
Des Madrigaux, des Elegies
Des Chansons, Sonnets, & Portraits
Dessus de differends sujets.
1180 J’en aurois appris d’avanage ;
Mais le Sergent, dequoy j’enrage,
Sortist dans ce mesme moment
Et je le suivis promptement.

ribercour.

Ce discours a dequoy nous plaire.
1185 Mais ce n’est pas là nostre affaire
Dis nous ! Si d’un air fier ou non,
Elle a veu l’assignation.

roguespine.

Dés aussi-tost qu’elle l’a veuë,
Elle l’a prise & puis l’a leuë,
1190 Et dit fort serieusement
Qu’elle s’y rendroit promptement.

ribercour.

Elle y montrera sa foiblesse.

pancrace.

Allons viste, l’heure nous presse.

ribercour.

Allons Monsieur, j’en suis d’accord,
1195 Voir ce qu’ordonnera le sort. [p. 55]

SCENE XIII. §

roguespine. seul.

Dieux ! qu’ils ont le jugement mince ;
J’ay sçeu dedans nostre Province
La moitié de ce que je dis ;
Que je les ay bien estourdis :
1200 Mais allons ouïr leurs harangues,
Allons voir remuer leurs langues ;
Car j’en jurerois bien ma foy,
Ce doit estre un plaisir de Roy.
On leve une toille, les Juges paroissent avce un Greffier.
[p. 56]

SCENE XIV. §

PATRICE, ANAXARITE
ARISTIME. Un Greffier.

patrice.

Enfin nous voicy tantost Juges.

aristime.

1205 Nous pourrons servir de refuges
A ceux qui n’ont besoin de rien.

anaxarite.

Mais encore sçavez-vous bien
Si nostre homme icy se doit rendre
Et s’il ne fera point attendre.

patrice.

1210 Il viendra, car je luy dis hier
Aussi-tost qu’il me vint prier
De luy respondre sa requeste ;
Que l’Academie estoit preste
De luy servir en tout d’appuy,
1215 Et que de son corps aujourd’huy
Elle en choisiroit trois ou quatre
Qui viendroient l’entendre combattre
A force de raisonnement
Sa partie, & qu’asseurement
1220 Il auroit l’honneur, & la gloire [p. 57]
D’emporter une ample victoire.

aristime.

Attendons-le donc à loisir,
Puisque nous aurons un plaisir
Qui certes, n’est pas ordinaire.
1225 Mais quelqu’un vient, il nous faut taire.

anaxarite.

C’est desja nostre Deputé.

patrice.

Tenons donc nostre gravité.

SCENE XV. §

PATRICE, ANAXARITE,
ARISTIME, Un Greffier,
RIBERCOUR, PANCRACE.
ROGUESPINE.

ribercour.

Messieurs, j’en veux aux Pretieuses,
A ces femmes pernicieuses,
1230 Qui troublent le repos public,
Qui causent dedans le trafic
Par des mots, inintelligibles, [p. 58]
Des revolutions terribles,
Et je deman, de là-dessus
1235 Que leur langage ne soit plus
Aux mesmes fins de ma Requeste. 
Quoy ! personne ne me tient teste.
Ah ! Messieurs n’estants point icy
Jugez s’il vous plaist.

patrice.

1240             Les voicy.

SCENE XVI. §

PATRICE, ANAXARITE, ARISTIME
Un Greffier, RIBERCOUR,
PANCRACE, EPICARIE ;
ROGUESPINE, Une Suivante.

ribercour.

Approchez-vous belle jazeuse,
Vrayment pour une Pretieuse,
Vous ne vous pressez pas trop fort.

epicarie.

C’est signe que je n’ay pas tort. [p. 59]

ribercour.

1245 Ah ! Sans chercher tant de finesses
C’est que vous faisiez voir vos pieces
Sans doute, à quelque homme sçavant.

epicarie.

Peut-estre !

ribercour.

        Et bien d’oresnavant
1250 Du procez verra-t’on l’issuë ?

epicarie.

Pour le finir je suis venuë,

ribercour.

Dans vostre consultation
Faite dessus mon action,
Aviez-vous vos pieces en ordre !

epicarie.

1255 Assez pour sur vous pouvoir mordre ?

ribercour.

Avez-vous ? consulté souvent…..

epicarie.

Vous voulez estre trop sçavant.
Mais pour mieux pousser sa partie,
Pour la rendre sans repartie
1260 Tout du moins je croy qu’il faudroit…

ribercour.

Quoy ! vous monstrer que j’ay bon droit. [p. 60]

epicarie.

Ne l’ayant pas peu voir encore,
Vous voulez bien que je l’ignore.

ribercour.

Bien, bien, nous vous le monstrerons,
1265 Puis apres cela nous verrons
Lequel des deux perdra sa cause.

epicarie.

Je crains, mais c’est pour autre chose.

aristime.

Cessez ce debat entre vous,
Il faut du respect devant nous.
1270 Pensez bien à ce que vous faites
Et songez aux lieux où vous estes.

patrice.

Cessez donc la vexation,
Nous faisant exhibition
Chacun à part de vostre cause.

ribercour.

1275 Messieurs, je vous diray, si j’ose
Que j’ay droict de la chicanner,
Que vous la devez condamner ;
Puisque mes pieces qu’on a veües
Ont parû tout à fait congrües,
1280 Mon procez fort bien intenté,
Et que c’est une verité
Que le droict que quoy je me fonde [p. 61]
Passe pour le meilleur du monde.
C’est ce qui fait qu’enfin je croy
1285 Que ma partie en desarroy
Considerant toutes ces choses,
Plus vrayes que metamorphoses,
Sans attendre à l’extremité
Se rangera de mon costé ;
1290 Puis qu’enfin toutes ses deffences
Estant de nulles consequences
J’aurois de vous asseurément
Un favorable jugement
Et celuy que je sollicite
1295 Contre cette langue maudite,
Ou Messieurs, pour m’expliquer mieux
Contre le parler Pretieux,
Qui s’y bien-tost, l’on n’y met ordre
Va faire un terrible desordre.

epicarie.

1300 Messieurs, je m’en vais en deux mots
Mettre son esprit en repos,
Faites qu’on me donne Audiance.

patrice.

Non, l’affaire est trop d’importance,
Il faut l’entendre tout du long.

epicarie.

1305 Mais au moins Messieurs, songez donc
Que bon droit vous me devez faire. [p. 62]

patrice.

Nous examinerons l’affaire.
Mais parlez, nous vous escoutons.

ribercour.

Pour vous déduire mes raisons
1310 Sans vous faire une longue harangue
Je dis Messieurs, que nostre langue
Se trouve en un piteux estat
Depuis le surprenant esclat
Qu’a fait celle des Pretieuses.
1315 Dans les Citez les plus fameuses,
Pour s’entendre presentement
Il faut avoir un truchement,
Ou le nouveau Dictionnaire,
Que ces femmes viennent de faire.
1320 Quelle conclusion pour nous,
Ah ! Messieurs, à quoy songez-vous ;
Les femmes, oüy Messieurs les femmes,
Nous couvrent aujourd’huy de blasmes
Et viennent de faire en effet
1325 Ce que jamais vous n’avez fait
Au moins, si ce n’est en idée ;
Pour nostre bien par trop gardée,
Mais pour leur reputation
Par un beau desir de renom,
1330 Elles ont un Dictionnaire
Tout fraischement mis en lumiere,
Auquel chacun court comme au feu, [p. 63]
Et nous en promettent dans peu
De leur façon encore un autre :
1335 Cependant helas ! que le vostre
Depuis si long-temps commencé,
N’en est pourtant encor qu’au C.
Ah ! je vois bien que c’est l’ouvrage
De Penelopes, & je gage
1340 Que dans ce livre l’Omega,
Jamais place ne trouvera.
De plus j’ose vous dire encore
Que si ce parler que j’abhorre
Et que l’on nomme Pretieux,
1345 S’en racine dans tous les lieux
Où l’on sçait qu’il a pris naissance
Vous devez Messieurs, que je pense,
Et vous agirez comme il faut,
A l’Alpha remettre bien-tost
1350 Vostre fameux Dictionnaire
Que vous commençastes de faire
En l’an deux cent cinquante-deux
Et qui devoit selon mes vœux,
Et selon nostre juste attente,
1355 Dedans l’an mil six cens quarante
Estre dans sa perfection.
Songez donc Messieus, tout de bon
A me faire bonne justice
Me donnant un Arrest propice ;
1360 Mais j’ay tort de vous y pousser [p. 64]
Ne devez-vous pas ? embrasser
O Senat mille fois auguste,
Un interest si grand, si juste,
Et qui par mon heureux destin
1365 N’est autre que le vostre enfin.
Cependant si ces factieuses,
Ces heretiques Pretieuses,
Parlent encore ce jargon,
La Tour de Babel tout de bon,
1370 Dans ce Siecle va renaistre
Et dans la France, va paroistre,
Mal-heur plus à craindre cent fois
Pour les Nobles, pour les Bourgeois,
(Mais non pas pour les Eminences)
1375 Que les maudites influences
Du Capricorne. Neantmoins
Si vous n’y mettez tous vos soins,
Le desordre s’en va paroistre
Que la susdite Tour fist naistre
1380 Alors que l’on la batissoit.
Cependant helas ! ce n’estoit
Que la quantité des langages
Qui causa de si grands ravages,
Qui fist diviser les mortels,
1385 Qui fist piller jusqu’aux Autels,
Bref qui parmy toute la Terre,
Fist naistre pour jamais la guerre.
Je vous addresse donc mes vœux [F 65]
Messieurs, pour que le Pretieux,
1390 Afin qu’en cette conjoincture
J’empesche pareille adventure,
Soit cassé, brisé, mis à mort
Dans les lieux de vostre ressort
Comme estant fatal au commerce,
1395 Que par tout il trouble & renverse,
Et qu’expresse inhibition
Soit faite par provision
A tout le corps des Pretieuses,
Des inventrices perilleuses
1400 Des mots, qui par leur nouveauté
Troublent nostre felicité,
De ne s’en plus servir, à peine
De ne jamais lireArtamene,
Ny mesme aucun autre Roman ;
1405 Ou pour un plus dur chastiment
Que le lit, desdites femelles,
Soit des deux costez sans ruelles
Et qu’il soit mesmement placé
Sans estre du tout exaucé.

roguespine (à part.)

1410 Peste il a retenu sans peine
Tout ce qu’un Advocat du Maine,
Luy dit, avant que de partir.

patrice (à Epicarie.)

Avez-vous de quoy repartir ? [p. 66]

epicarie.

Oüy je suis preste de respondre
1415 Et mesmement de le confondre,
Et sans parler hors de propos
Je m’en vais Messieurs, en deux mots,
Afin de deffendre ma cause
Donner dans le vray de la chose.

ribercour.

1420 Ah ! quelle perturbation
Voyez son obstination,
Voyez avec quelle asseurance,
Avec quel front, quelle insolence,
Elle ose jusques dans ces lieux
1425 Parler devant vous Pretieux.

anaxarite.

N’interrompez point sa harangue,
Et que devant nous vostre langue
Se tienne un peu plus en repos.

epicarie.

Je dis donc, Messieurs, en deux mots
1430 Qu’il n’a rien dit de patetique
Qu’on ne voit rien de plus inique
Rien mesme, qui selon mon sens,
Soit plus contre le droit des gens
Que de vouloir oster aux femmes,
1435 La langue, puis qu’enfin sans ames
Elles vivroient asseurément
Plutost que sans langue un moment.
L’on sçait de science certaine [p. 67]
Que c’est là leur vray patrimoine,
1440 Que pour en amoindrir les droits
L’on n’a point encor fait de loix
Dedans Villages, Bourgs, ny Villes,
Puis qu’elles seroient inutiles.
Cette seule raison pourroit
1445 Prouver suffisamment mon droit ;
Mais je ne puis encor me taire
Et je poursuis. Sa cause entiere
S’estend sur les troubles passez
Dont il nous croit fort menacez,
1450 Par la confusion des langues.

roguespine (à part.)

Elle fait fort bien des harangues.

epicarie (poursuit.)

Comme si Paris maintenant
Craignoit quelque mal surprenant,
Parce qu’a present l’on y parle
1455 Comme on fait au Maine, & dans Arle,
Et qu’on y parle aussi Gascon,
Normand, bas-Breton, Bourguignon,
Hollandois, & de plus encore,
Italien, Grec, Latin, More,
1460 Espagnol, Polonois, Flamand,
Persan, Turc, Hebreux, Allemand,
Picart, Chaldeen ; pour le reste
J’en dis & cetera. [p. 68]

roguespine (à part.)

        La peste,
1465 Elle en a bien dit à la fois,
Quoy qu’elle ait oublié l’Anglois.

epicarie (continuë.)

Je croy Messieurs, par cét exemple
Aussi puissant comme il est ample,
Avoir prouvé suffisamment
1470 Et mesme intelligiblement,
Que la quantité de langages
Ne sçauroit causer de dommages
A Paris, ny dans d’autres lieux :
Reste à voir si le Pretieux,
1475 Qui maintenant est en usage
Est un bon, ou mauvais langage.
Or si nous pretendons le voir
Il faut auparavant sçavoir,
De quels gens il a pris naissance.

ribercour (à part.)

1480 Juste Dieux qu’enten-je, je pense
Qu’icy je ne gaigneray rien
Tant cette femme jase bien.

epicarie (continuë.)

Il nacquit l’an six cens cinquante,
Et de chacun trompa l’attente ;
1485 Car j’ay de notables tesmoins
Que l’on ne songeoit à rien moins.
Des femmes, enfin l’enfanterent [p. 69]
Et trente-neuf ans, le porterent ;
Mais voyez quelles elles sont,
1490 Quel est le renom qu’elles ont.
Elles ressemblent aux Abeilles
Hormis que c’est par les oreilles
Qu’elles ont pendant tout le temps
Des dusnotez trente-neuf ans,
1495 Succé tous les discours des Poëtes,
Des cervelles les plus parfaites,
De tous ceux qui par leur espris
Sont dans le Monde en grand credit,
Des plus galands portes soutanes,
1500 Des Courtisans, des Courtisanes,
Des gens d’espée, & du bareau.

roguespine (à part.)

Elle n’a rien dit du Boureau.

epicarie (continuë.)

Des Messieurs de l’Academie,
De qui la gloire est infinie,
1505 Et dont vous estes aujourd’huy
Afin de me servir d’appuy ;
Jugez donc Messieurs, si ces femmes ;
Si ces belles & grandes ames,
Apres avoir le suc tiré
1510 Et tout le jus bien pressuré
De maint illustre personnage
Ne pouvoient pas faire un langage
Et si loings de les condamner [p. 70]
Vous ne devez pas ordonner
1515 Que Ribercour, quoy qu’il demande,
Quoy que contre nous il pretende,
Soit & sans prerogation
Deboutté de son action,
Comme estant frivole & inepte.
(Les Juges opinent.)

roguespine.

1520 Escoute un peu jeune soubrette.

la suivante.

Qu’est-ce ?

roguespine.

Ma foy, plaidons nous deux,
Car je me trouve assez joyeux
Et mesme en estat de te faire
1525 Pour ne point traisner nostre affaire
Desja communication
De……

la suivante.

Moy, pour changer l’action
J’insinuërois bien sur ta joüe
1530 Un soufflet.

roguespine.

        Va c’est que je jouë,
Mais pourtant si nous nous plaidions
Si tous deux nous nous chamaillions
Il vaudroit ma foy mieux je pense [p. 71]
1535 Pour obvier à la despence
Grossoyer ensemble à loisir
Nos pieces, peste quel plaisir.

patrice (prononce.)

Oüy le differend des Parties,
Leurs differences & reparties
1540 Nous ordonnons selon vos vœux
Que le langage Pretieux,
Par Arrest celebre, authentique
Et de plus encor juridique,
Soit cassé, brisé, mis à mort
1545 Dans les lieux de nostre ressort :
Faisons mesme en cette sceance
Aux Pretieuses de la France,
Tres expresse inhibition,
De ne plus parler ce jargon,
1550 Ny de s’en plus servir à peine
De ne jamais lireArtamene,
Ny mesme aucun autre Romant,
Ou pour un plus dur chastiment
Que le lit, desdites femelles
1555 Soit des deux costez sans ruelles,
Et qu’il soit mesmement placé
Sans estre du tout exaucé.
(Le Siege se leve.)
[p. 72]

ribercour.

Enfin je suis couvert de gloire,
Car j’ay remporté la victoire.

pancrace.

1560 Vous devez estre fort joyeux
D’avoir destruit le Pretieux,
Et d’avoir pû dessus tant d’ames
Sur tant d’opiniastres femmes
Remporté le dessus.

epicarie.

(Donnant une lettre à Ribercour.)
1565         Tout doux
Peut-estre aurez vous le dessous,
Et cecy me fera justice
En despit de Monsieur Patrice,
(Elle sort avec sa suivante.)
Qui sans trop bien sçavoir pourquoy
1570 Vient de prononcer contre moy.

ribercour.

(Prend la lettre & lit.)
[G 73]

Cher amy,

Je te conseille de laisser là ton procez, & de revenir dans nostre Province, car j’ay appris depuis que tu en es party que c’est un tour que l’on t’a joüé, & que ceux de ce païs qui t’ont envoyé s’entendent avec trois ou quatre personnes de Paris, qui doivent contrefaire les Juges, & les Pretieuses, pour se divertir de toy, je te donne cét advis ; & suis,

Ton Serviteur,

fontenay.

(Ribercour continuë.)
Quoy l’on m’a joüé de la sorte
Cher amy, le couroux m’emporte,
Par la mort, je m’en vengeray.

roguespine.

Et moy, par ma foy, j’en riré.

ribercour.

1575 Mais celuy qui cecy m’avance
N’est-il point de l’intelligence. [p. 74]

pancrace.

Peut-estre, mais je vois enfin
Que vous n’estes pas le plus fin,
Que ce n’est que vous qu’on balotte
1580 Et qu’on fait servir de marotte.

ribercour.

Cependant à des gens d’honneur
Cét affront doit tenir à cœur ;
Mais je sçauray je vous le jure,
Tirer raison de cette injure,
1585 Et vais…….

roguespine.

        En poste vistement
Regaigner le païs du Mant,
Car je croy qu’on vous y prepare
Une entrée tout à fait rare,
1590 Et qui doit respondre au succez
D’un si favorable Procez.

FIN.