Gougenot ? Voilà un nom que l’on s’empresse, à peine lu, d’oublier, d’autant plus vite que son œuvre peut paraître insignifiante tant en regard de la quantité – il a écrit deux pièces et un roman, inachevé –, qu’en ce qui concerne la qualité. En effet, son style semble avoir été condamné par tous ceux qui ont daigné y porter un peu d’attention, des Frères Parfaict – qui sont les premiers dont on ait conservé un témoignage – aux critiques contemporains, et le style de la Fidelle Tromperie, en particulier, n’a pas été épargné. Joint à cela le fait que la vie de cet écrivain est, encore de nos jours, presque totalement obscure, rien ne facilite sa reconnaissance. Pourquoi, alors, rééditer cette pièce ?
Aux yeux de l’historien du théâtre, la Fidelle Tromperie n’est pas sans intérêt. Outre le fait qu’il s’agit d’une tragi-comédie parue dans les années 1630 – décennie pendant laquelle le genre est à son apogée –, et une des rares à mettre en scène un prince travesti, on peut y voir une certaine originalité. Gougenot est en effet le premier à adapter au théâtre l’épisode de l’Amadis de Gaule concernant les amours d’Agésilan de Colchos et de Diane de Guindaye, histoire qui a été reprise, quelques années après, et avec plus de succès, par Rotrou dans son Agésilan de Colchos. Gougenot était donc le premier, mais il est resté dans l’ombre de celui qui a su en faire une meilleure adaptation, de même qu’il est resté dans l’ombre de Georges de Scudéry, qui a repris sa pièce intitulée la Comedie des Comediens, sans même en changer le titre. Ainsi, si l’on peut critiquer la manière d’écrire de Gougenot, il faut garder à l’esprit que tout n’est pas mauvais dans son œuvre puisque même les plus grands ont trouvé ses idées assez bonnes pour les reprendre et, certes, les améliorer.
« Nous ne savons rien au sujet de la naissance, de la famille et de la mort de Gougenot »Gouvenain, Louis de, Deux poètes bourguignons contemporains de Corneille, 1877. La plus grande partie de cet ouvrage de onze pages est consacrée à Pichou, seules les quatre dernières concernent Gougenot. En ce qui concerne celui-ci, elles sont de peu d’intérêt car l’auteur dit tout ignorer de sa biographie, et il critique ses deux pièces qu’il n’a même pas lues (« nos recherches pour trouver ses pièces furent infructueuses » ; note 2 p. 8), en reprenant à son compte l’avis des frères Parfaict. De fait, faute de les avoir lues, il lui arrive d’écrire des absurdités, notamment ceci, au sujet de la Fidelle Tromperie : « Le poète y introduit plusieurs rois qui livrent des batailles, où ils cherchent à se surpasser l’un l’autre par de brillants exploits pour mériter la main de Clorisse, l’héroïne de la pièce » (note 1 p. 10).
Nous connaissons trois œuvres de cet écrivain : la Fidelle Tromperie, publiée en 1633 pour la première fois chez Antoine de Sommaville – chez qui elle sera republiée l’année suivante –, la Comedie des Comediens, publiée chez Pierre David en 1633 également (achevé d’imprimer le 27 août) et le Romant de l’Infidelle Lucrine, publié l’année suivante (achevé d’imprimer le 4 janvier) chez Matthieu Colombel. Par ailleurs, certains critiques lui attribuent le Discours à Cliton publié en 1637 lors de la querelle du CidSearles dans « Le Discours à Cliton », Philological Quarterly, IV, 1925, p. 224-230. A. Adam semblait tenté de l’accepter dans son Histoire de la Littérature Française au dix-septième siècle (Paris, Albin Michel, 1997, T. I, p. 513, note 1). François Lasserre s’applique à démontrer cette attribution dans la Comedie des Comediens et le Discours à Cliton (éd. Gunter Verlag Tübingen, coll. Biblio 17, 2000) ainsi que dans son édition du Romant de l’Infidelle Lucrine (T.L.F., Genève, Droz, 1995), en annexe. D’autres critiques l’attribuent à Durval, ce qui semble beaucoup plus probable.Orizelle de Chabrol, un dramaturge peu connu.
En ce qui concerne la vie de l’écrivain, nous avons très peu de renseignements. Son prénom même posait problème avant que François Lasserre ne lui apportât une solution. A la fin de la dédicace de la Fidelle Tromperie de 1634, et de celle du Romant de l’Infidelle Lucrine, il signait « N. Gougenot ». Les recherches du critique ont permis de développer l’initiale en « Nicolas », du nom d’un graveur, maître-écrivain, originaire de Dijon comme l’était le dramaturgela Fidelle Tromperie : « sieur Gougenot, dijonnois ». Nous donnons une reproduction de cette page-titre originale p. 1 de cette édition.Lasserre au Romant de l’Infidelle Lucrine.
Certains travaux du graveur Nicolas Gougenot ont été conservés : ils contiennent une « petite série de lettres et phrases gravées, soit quatre alphabets et vingt-deux sentences, dont dix-huit en vers »Romant de l’Infidelle Lucrine, éd. citée, p. 21.Priere du Roy au Sainct Esprit, a été créé en 1614Romant de l’Infidelle Lucrine, éd. citée, p. 19.
D’autres renseignements d’ordre biographique nous sont donnés par les dédicaces de ses œuvres. Dans celle qui ouvre le Romant de l’Infidelle Lucrine, nous apprenons notamment que l’auteur de la Fidelle Tromperie est devenu aveugle, cécité qui l’a contraint à arrêter d’exercer son métier :
Ayant esté privé de l’exercice de ma profession ordinaire, par la perte de la veuë, dont il a pleu à Dieu m’affliger, il ne m’est resté pour tout entretien que celuy de mon malheur (…).
Par ailleurs, les destinataires des dédicaces pourraient avoir été des relations de Gougenot. Le dédicataire du roman, « Monseigneur Guillaume Russel, Comte de Betford », celui de la Comedie des Comediens, « François de Bonne de Crequy, Comte de Sault, et Lieutenant General pour le Roy en Dauphiné », et celui de la Fidelle Tromperie, « Monsieur Jean Bernard, Comte et noble seigneur de Lippe »Orizelle de Chabrol témoigne sûrement de la relation qui a existé entre Gougenot et cet auteur dramatique.
Les pièces de Gougenot ont-elles été représentées ? Si les frères ParfaictParfaict, François, Dictionnaire des théâtres de Paris, 1767-1770, tome I, vol. II, Slatkine reprints, Genève, 1967, p. 169 (p. 125 de l’éd. originale) pour la Comedie et p. 281 (p. 574 éd. originale) pour la Fidelle Tromperie.Mémoire de Mahelot, qui recense les œuvres mises en scène dans ce théâtre à partir de l’année 1633 : elles auraient donc pu être représentées auparavant sur cette scène, ou sur une autre scène parisienne, montée dans un jeu de paume comme c’était alors la coutume. En admettant qu’elles aient été réellement représentées, nous n’avons trouvé aucune trace de ce qui concerne leur réception par le public. Figure d’exception, l’abbé de Marolles cite le ou les pièces de Gougenot au milieu d’autres, mais il n’en fait aucun commentaireSuitte des memoires de Michel de Marolles, Abbé de Ville-loin, Paris, Antoine de Sommaville, 1657, p. 243. Le fait que l’abbé de Marolles connaissait les œuvres du dramaturge Gougenot était ignoré de François Lasserre (voir Introduction au Romant de l’Infidelle Lucrine, éd. citée, note 6, p. 21). Nous corrigeons cet oubli. Dans le même ouvrage de l’abbé de Marolles, on trouve une allusion à la qualité du travail du maître-écrivain Nicolas Gougenot (p. 260).
Plus de cinquante autres [pièces] que j’ay veuës sans nom d’Autheurs, & quelques autres encore sous les noms de Banzac, Chapoton, Chaulmer, Cirano, Emaville, des Fontaines, Gougenot, (…).
Cette citation ne suffit pas à prouver la représentation : Michel de Marolles aurait très bien pu les avoir lues, et le contexte de cette phrase ne permet pas de résoudre cette ambiguïté.
Environ un siècle plus tard, la critique que les frères Parfaict font de ces œuvres – critique très négative –, permet de définir celle qu’auraient pu faire les contemporains de Gougenot. Ainsi, ils écrivaient de la Fidelle Tromperie : « Ce n’est ici qu’une mauvaise imitation du sujet d’Agésilan de Colchos, que Rotrou traita depuis » ; et de la Comedie des Comediens : « Rien de plus mauvais que cette Piece, pleine de reconnoissances, de suppositions, de combats, &c »Parfaict, François, Histoire du théâtre françois, 1734-1749, Slatkine reprints, Genève, 1967, Tome I, vol. 5, p. 561 (p. 4 éd. originale. Le texte est intégralement reproduit en annexe – Appendice III) pour la Fidelle Tromperie, p. 565-567 (p. 22-30 éd. originale) pour la Comedie. La dernière citation est en réalité une critique de la Courtisane, pièce interne à la Comedie, mais qui en occupe les trois derniers actes.
La Fidelle Tromperie et la Comedie des Comediens ont peu de points communs. En réalité, on peut même aller jusqu’à dire qu’elles n’en ont aucun, si ce n’est le recours au travestissement – masculin dans la première pièce, féminin dans la seconde –, travestissement qu’on retrouve sous ces deux emplois dans le Romant. Les deux pièces se présentent sous deux formes différentes, la Comedie ayant recours au procédé du théâtre dans le théâtre en mettant en scène une pièce intitulée la Courtisane dans les trois derniers actes, en vers, alors que les premiers étaient en prose. La Fidelle Tromperie est uniquement en vers. Le genre des deux pièces est également différent. Bien qu’elles soient toutes les deux sous-titrées « tragi-comédie », il apparaît que seule la Fidelle Tromperie appartient à ce genre, l’autre relevant plutôt de celui de la comédieH.C. Lancaster corrigeait déjà l’erreur en classant la Comedie des Comediens dans la « comedy from 1630 to 1634 » (A History of French Dramatic Literature, New York, Gardian Press, inc., 1966, Part I, vol. II, p. 653).
Etrangement, les deux pièces partagent plus de choses avec le roman qu’elles ne le font ensemble. Ainsi, la Courtisane contenue dans la Comedie reprend des épisodes et des personnages du Romant de l’Infidelle Lucrine. En ce qui concerne la Fidelle Tromperie, on remarque que les noms de certains personnages du roman (Alderine, Aristome, Armidon, Clorise, Dorine) sont communs aux deux œuvres. Un passage de ce dernier a même donné naissance à des vers de la pièce, ou inversementla Fidelle Tromperie.
La Comedie des Comediens a fait l’objet de plusieurs rééditions à partir du dix-neuvième siècle. Ce « succès » était dû en grande partie au fait que la pièce avait un intérêt aux yeux de l’historien du théâtre, celui de faire jouer aux comédiens le rôle de comédiens. En effet, comme l’indiquent les frères Parfaict : « les deux premiers Actes de cette Tragi-Comédie sont en prose, & se passent entre les Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, qui se sont assemblés pour recevoir de nouveaux Acteurs »Histoire du théâtre françois, éd. citée, p. 565 (éd. originale, p. 22).Comedie des Comediens, écrite par Scudéry
Contrairement à cette pièce, la Fidelle Tromperie est tombée totalement dans l’oubli et n’a fait l’objet d’aucune réédition depuis celle de 1634. D’ailleurs, il apparaît que cette dernière n’est probablement pas une véritable réédition : seule la page-titre semble différer de la version précédente, et il s’agit sans doute d’un stratagème de l’imprimeur mis en place pour écouler un stock d’exemplaires invendus qui restaient de l’année précédente.
En ce qui concerne la rédaction des ouvrages, nous n’avons aucune certitude. Lequel fut le premier à avoir été écrit ? Dans quel ordre furent-ils rédigés ? Ces questions n’ont pour le moment que des réponses hypothétiques. Selon François Lasserre, la Fidelle Tromperie, « qui contient des maladresses », aurait été la première œuvre de Gougenot, et elle aurait été écrite en 1631 au plus tard. Quant au roman, il aurait eu une assez longue gestation et aurait précédé la Comedie des Comediens qui, toujours selon le critique, fut probablement écrite en 1632 et jouée la même année.
Nous venons de voir le peu d’éléments connus en ce qui concerne la rédaction, la représentation et la réception de la Fidelle Tromperie. Il conviendrait, avant d’aborder de façon plus détaillée l’étude de la pièce de Gougenot, d’en donner un résumé qui permettra de mieux en saisir le déroulement. De même, le problème que pose son titre dans la relation qu’il entretient avec l’œuvre elle-même impose ici une étude qui permettra de définir quels liens les unissent.
Le prince Armidore est tombé amoureux d’une femme par l’intermédiaire de son portrait, celui d’Alderine, princesse de Chypre, qui se trouve malencontreusement enfermée par sa mère à l’abri des regards masculins. Armidore parle de cette passion qui le brûle à son cousin et ami Clidame, qui après avoir tenté de le convaincre de ne pas suivre cette inclination dangereuse, décide de l’aider dans son entreprise. Le prince amoureux décide de se travestir pour pouvoir rencontrer sa bien-aimée (I, 1). La reine Clorisée, qui est la mère d’Alderine, se plaint d’avoir été abandonnée par Filamire. Sa Gouvernante tente de la réconforter, lorsqu’arrivent Clidame et Armidore, qui s’est travesti en « Lucide » (I, 2). Les quatre personnages se rencontrent. Les arrivants se font passer pour frère et sœur, rescapés d’un naufrage, après avoir été enlevés par un corsaire. Clorisée décide de les prendre sous sa protection (I, 3).
Hors-scène, « Lucide » a rencontré Alderine, qu’il aime d’autant plus maintenant qu’il l’a vue, et Clidame a discuté avec la reine. Les deux amis, après avoir parlé de leurs entretiens respectifs, se disputent, et se séparent (II, 1). Florinde, la confidente d’Alderine, parle avec elle de l’inclination qu’a la princesse pour « Lucide » et désapprouve cet amour immoral. « Lucide » les rejoint alors, et un duo d’amour en apparence homosexuel commence (II, 2). Aristome, un roi étranger qui a été battu par Filamire dans un duel, arrive et se soumet au pouvoir de la reine. Clidame, qui ne comprend rien à ce qui se passe, se fait expliquer l’histoire de Clorisée et de Filamire par Tersandre : la reine a été abandonnée par lui avant la naissance d’Alderine, et elle a décidé de se venger de lui en promettant la main de sa fille à celui qui lui apporterait la tête du traître (II, 3).
Bruserbe, un autre roi étranger, vient se soumettre au pouvoir de la reine après avoir été battu lui aussi par Filamire. Il exige qu’elle se marie avec lui, Clorisée refuse ; ils se disputent. Les éclats de leurs voix attirent « Lucide », qui prend la défense de la reine, et se bat en duel avec le nouveau-venu. Elle gagne, Bruserbe s’en va. Filamon arrive à son tour, ayant été vaincu par le roi trompeur. Son comportement irrespectueux envers la reine et Filamire entraîne la colère de « Lucide », qui le bat en duel. La reine, ayant assisté à ces deux victoires, a une idée : elle va demander à « Lucide » d’aller combattre celui qui l’a abandonnée (III).
Le roi Filamon, dans un monologue, exprime son désarroi devant les événements qui viennent de se passer. Il décide de trouver un moyen qui lui permettrait de se venger, ou de mourir (IV, 1). Clorisée demande à « Lucide » d’être son champion contre Filamire, et d’être elle-même tuée après la mort de ce dernier ; après avoir hésité, le prince travesti accepte, après avoir obtenu de la reine la promesse de recevoir un don après avoir amené la tête du roi. Tout cela n’est pas du goût d’Alderine qui, ayant assisté à la scène, se dispute avec « Lucide », et s’évanouit. Lorsqu’elle a repris ses esprits, « Lucide » lui dit qu’elle a un secret à lui avouer (IV, 2). Clidame et Tersandre parlent du désir de vengeance de la reine, et craignent pour l’avenir. Celle-ci arrive, et demande à Clidame d’accompagner « Lucide » dans son expédition contre Filamire ; il accepte (IV, 3). Alderine et « Lucide » se retrouvent dans le jardin pendant la nuit. Le prince avoue sa véritable identité. La princesse se met en colère et lui interdit de la revoir. Armidore est désespéré, il veut se tuer, mais Florinde arrive et l’en empêche : il doit partir combattre Filamire (IV, 4).
Les rois Bruserbe et Filamon ont déclaré la guerre à Chypre et ils occupent la plus grande partie de l’île. Avant de prendre le château de Clorisée par la force, ils décident d’envoyer un Ambassadeur pour les représenter et faire accepter leur requête : les mariages de l’un avec la mère, et de l’autre avec la fille (V, 1). Les troupes de Chypre sont prêtes à soutenir ce siège. L’Ambassadeur de Bruserbe et Filamon transmet leur vœu à la reine ; elle se met dans une violente colère et refuse de se soumettre. Ils se préparent à combattre (V, 2). Alderine, de son côté, réfléchit sur l’inconstance du monde, et change d’opinion en ce qui concerne Armidore : elle l’aime toujours, et d’ailleurs, sa colère n’était qu’une feinte. Une voix merveilleuse lui annonce que tout va bientôt être réglé, et qu’elle va être heureuse (V, 3). L’assaut est donné contre le château. « Lucide » et Filamire arrivent à ce moment, et mettent fin au conflit en faisant prisonniers les deux rois ennemis. « Lucide » fait coucher Filamire dans une chambre et le laisse (V, 4). La reine apprend le retour de « Lucide » et veut en savoir plus. Le prince travesti vient la chercher et l’amène auprès de Filamire endormi. Là, il exige son don, qui est qu’elle tranche elle-même la tête du roi. La reine ne peut s’y résoudre et tente de se tuer ; « Lucide » l’en empêche. Filamire se réveille, Clorisée lui pardonne. Tous vont voir Alderine (V, 5). Tersandre et Clidame ne savent pas ce qui se passe, et ils s’interrogent (V, 6). Tout le monde sort du château. Le mariage d’Alderine et d’Armidore, qui a quitté son déguisement entre-temps, est annoncé. La nouvelle de la mort de Clarinde, l’autre femme de Filamire, permet son mariage avec Clorisée (V, 7).
Il convient maintenant d’aborder le problème que pose le titre de la pièce dans la relation qu’il entretient avec l’œuvre elle-même.
Auparavant, la forme oxymorique de ce titre est à remarquer (« fidelle » vs « tromperie »), mais ce n’est pas une originalité à l’époque, bien au contraire : de nombreux dramaturges y ont recours, et on pourrait citer par exemple l’Infidèle Confidente de Pichou (1631), l’Innocente Infidélité de Rotrou (1637), l’Amante ennemie de Sallebray (1642), les Fausses Véritez (1643) et les Morts-vivants (1646) de d’Ouville, les Innocens coupables de Brosse (1645) … la liste serait longue. Il semblerait que Gougenot s’inscrive ainsi dans ce qu’on pourrait appeler une mode du titre oxymorique.
Mais le problème du titre ne se pose pas quant à la forme qu’il adopte, mais bien dans sa relation au contenu de la pièce. Il annonce une « tromperie », qui s’avérera n’en être pas véritablement une. Or, qui dit « tromperie » dit aussi « trompeur » et « trompé » : qui sont-ils dans la pièce ? Parce que l’expression ne réapparaîtra pas dans le texte, il convient de savoir de qui il s’agit. Et c’est là que la difficulté apparaît : plusieurs solutions semblent en effet convenir.
A première vue, le trompeur est Armidore, qui recourt au procédé du travestissement pour se glisser auprès de celle qu’il aime, et les « trompés » sont par conséquent ceux qui ne sont pas au courant de ce déguisement, c’est-à-dire tous – et en particulier Alderine et Clorisée qui y sont sans cesse confrontées –, exception faite de Clidame. Mais alors, pourquoi « fidelle » ? Certes, « Lucide » est travestie, et elle dupe tout le monde, mais il est vrai aussi qu’elle reste fidèle dans son amour pour Alderine, et elle est toujours loyale envers la reine. En outre, elle servira la cause de cette dernière malgré le fait que cela constitue un obstacle à la réalisation de son amour. La forme oxymorique révèlerait alors dans le titre cette opposition entre les désirs de Clorisée – à qui « Lucide » est « fidelle » –, et ceux d’Armidore, qui la « trompe » pour pouvoir les réaliser. Elle traduirait à la fois l’incompatibilité de ces deux désirs divergents, mais leur réunion dans une même expression serait en même temps une sorte de message d’espoir : les contraires peuvent s’assembler, le dénouement heureux est possible.
Mais cette première explication du titre n’est pas la seule qui semble légitime. En effet, la « fidelle tromperie », ce n’est pas seulement l’écartèlement d’un prince entre sa loyauté et son amour, c’est aussi le stratagème que met en place le même personnage au dernier acte, stratagème qui conduira la pièce à un heureux dénouement.
Dès l’acte IV, Clorisée avait demandé un service à « Lucide » – lui apporter la tête de Filamire –, et elle avait insisté sur le fait que l’amazone, si elle le lui promettait, devait être fidèle à sa promesse :
Mais si vous ne voulez advancer mon trépas, Si vous me promettez, c’est de ne manquer pas. (v. 1203-1204) Voulez-vous à cela fidelleconsentir ? (v. 1235)
Cependant, « Lucide » trouvera un moyen de rester fidèle à sa promesse, tout en ne réalisant pas le vœu de la reine. Certes, elle rapportera la tête de Filamire, mais ce sera avec le corps, encore bien vivant. Symptômes de la tromperie, les dérivés de ce terme et leurs synonymes apparaissent pour qualifier « Lucide » à la suite de cette scène :
C’est donc en ceste sorte, et bien je suis trompée(v. 2169) ;Puis que ceste trompeusea manqué d’asseurance (v. 2189) ;Retire-toy, parjure(v. 2195) ;Je ne veux plus ouyr tes infidelitez(v. 2196).
Dès lors, on peut dire que la mise en scène de la « tête vivante » est aussi une « fidelle tromperie ».
Ce n’est pas tout. Le trompeur dans la pièce, c’est encore Filamire, qui a lâchement abandonné Clorisée pour se marier avec une autre. Les nombreuses occurrences des termes qui le qualifient de « desloyal », de « trompeur » et de « parjure » en témoignent
Ainsi, il serait trompeur de chercher le rapport du titre et de l’œuvre dans un sens qui se voudrait unique. La multiplicité des significations, c’est bien ce qui paraît être recherché par Gougenot.
L’Amadis de Gaule est la source principale de la Fidelle Tromperie. Il s’agit d’un roman de chevalerie aux origines lointaines et assez obscures. La version que nous connaissons aujourd’hui a été rédigée en Espagne à la fin du quinzième siècle par Garci Rodriguez de Montalvo, et publiée en 1508 à Saragosse. Bien avant cette édition, qui n’est peut-être pas la première, l’histoire de l’Amadis était déjà connue, notamment en Castille aux alentours de 1350. Les véritables origines du roman restent aujourd’hui encore mystérieuses : on ne connaît pas sa langue d’origine, – la France et le Portugal se sont disputé la paternité de l’ouvrage –, on ne connaît pas la date, même approximative, de sa naissance. En ce qui concerne les traductions françaises, elles ont été nombreuses et se sont échelonnées sur des dizaines d’années, entre 1540 et le début du dix-septième siècle. Elles ont eu un succès considérable et ont inspiré de nombreuses œuvres littéraires.
L’influence que ce roman a exercé sur la composition de la Fidelle Tromperie n’est pas des moindres, et elle se manifeste de diverses manières. Certes, c’est avant tout le sujet que Gougenot lui emprunte, choisissant de reprendre parmi des intrigues différentes, toutes plus ou moins liées entre elles, celle des amours d’Agésilan de Colchos et de Diane de Guindaye, qui partagent la vedette avec les parents de la princesse, Sidonie et Florisel (Livres XI et XIIL’Onziesme Livre d’Amadis de Gaule, Jean Longis et Robert le Mangnier, Paris, 1560 ; Le Douxiesme Livre d’Amadis de Gaule, Jean Longis et Robert le Mangnier, Paris, 1560. Nous avons choisi ces éditions parmi d’autres pour différentes raisons : d’abord, elles utilisent la traduction d’Aubert de Poitiers qui est alors la plus répandue. Ensuite, parce qu’elles sont faciles à consulter : en effet, elles sont disponibles sur le site de la BNF (gallica.bnf.fr). Enfin, parmi celles qui étaient disponibles sur ce site, il s’est avéré que celles-ci étaient en meilleur état que les autres, et permettaient une lecture aisée.
Il conviendrait de préciser ici quels chapitres, parmi ceux de l’Amadis, ont pu influencer le dramaturge, et de quelle façon. H. C. Lancaster, dans son étude monumentale intitulée A History of French dramatic literatureA History of French Dramatic Literature in the XVIIth Century, éd. citée, Part I, Vol. II , p. 460- 462.Amadis, aux chapitres 15, 19, 20, 33, 54, 61, et dans le Livre XII, aux chapitres 22, 29, 45, 47, 57. Après avoir confronté cette sélection à l’ensemble des Livres XI et XII, il est apparu qu’il fallait y introduire des nuances. Chacun des chapitres auquel renvoie M. Lancaster n’exerce pas la même influence sur la pièce de Gougenot, l’un pouvant fournir toute une trame à une scène, l’autre n’ayant parfois que très peu de points communs avec la pièce, voire aucun. De plus, sa liste n’est pas exhaustive. Afin de mieux saisir les différents aspects de cette influence, nous reprenons ici une étude comparée plus complète des deux oeuvres.
Deux types d’influence apparaissent lorsqu’on confronte la Fidelle Tromperie à sa source : la première est une influence sur l’action, la seconde est l’inspiration directe de versAmadis de Gaule sur la Fidelle Tromperie. Cette introduction n’en abordera que les aspects généraux.Amadis sur l’action de la pièce, les chapitres 14, 15, 19 du Livre XI, et les chapitres 21, 22, 42, 45, 46, 47, 48, 50-52, 56 du Livre XII sont importants : chacun d’eux fournit la trame de l’action à certaines scènes de la pièce
Par ailleurs, certains passages de l’Amadis fournissent la matière de quelques vers de la Fidelle Tromperie. Ils figurent dans les chapitres 19, 20, 33 du Livre XI et dans les chapitres 21 et 28 du Livre XII
Pour finir, les chapitres 54 et 61 du Livre XI et 57 du Livre XII, cités par M. Lancaster, nous ont semblé n’exercer aucune influence sur la pièce. Certes, on y voit des combats entre le prince travesti et d’autres chevaliers (chap. 54), ce qui a pu inspirer les duels de « Lucide », mais pas plus que tout autre combat dans le roman où ils sont très fréquents. Dans le chapitre 61, une femme, à qui Agésilan a confié le secret de son travestissement, trahit ce secret en le révélant à Diane : ce n’est pas le cas dans la Fidelle Tromperie où Alderine l’apprend de la bouche même de « Lucide ». Enfin, dans le chapitre 57, Diane et Agésilan sont fiancés, mais cela n’est évoqué qu’en quelques lignes, le reste n’ayant absolument aucun rapport avec l’action de la Fidelle Tromperie. Ces chapitres ne paraissent donc pas devoir figurer dans la liste de ceux qui ont influencé la pièce.
Gougenot s’est donc beaucoup inspiré du roman de l’Amadis de Gaule, mais dans sa transposition, il a également rejeté de nombreux éléments contenus dans la source, en a modifiés d’autres, et en a ajoutés de son propre cru.
En ce qui concerne la sélection effectuée par le dramaturge parmi tous les éléments de l’Amadis en rapport avec le sujet choisi, l’action a été énormément simplifiée. Gougenot a rejeté non seulement toutes les intrigues secondaires dans lesquelles les personnages qu’il avait repris étaient ou non impliquésla Fidelle Tromperie, d’autant plus qu’ils sont très nombreux, – l’Amadis de Gaule multipliant à foison les aventures des personnages. Amadis ne pouvaient trouver de place dans une simple pièce de théâtre. L’intrigue devenait, par la même occasion, compréhensible aux yeux d’un public qui aurait été perdu dans les méandres des multiples actions de la source. Ainsi, Gougenot n’a conservé que ce qui était essentiel à la trame de la conquête amoureuse : la naissance de l’amour devant un portrait, le travestissement et la réciprocité de cet amour malgré le déguisement, la promesse d’une reine qui veut se venger de celui qui l’a abandonnée en offrant la main de sa fille, l’arrivée de ceux qui ont échoué dans le dessein de la servir, des duels, l’emploi que fait la reine du prince travesti dans son dessein de se venger, l’aveu du travestissement et la colère de la princesse, la guerre déclarée par les rois, le siège et la victoire des assiégés, la mise en scène de la « tête vivante », la réconciliation des parents de la princesse, et les fiançailles des deux amants.
Gougenot a également modifié certains éléments que l’Amadis avait inspirés. Il en est ainsi du rapport au temps tout d’abord : là où la conquête de Diane s’étalait sur plusieurs années, celle d’Alderine ne prend que quelques jours. Ce raccourcissement de la durée des aventures peut avoir plusieurs explications : d’abord, l’épuration de l’intrigue des éléments secondaires et superflus, qui freinaient le déroulement de l’action, permet déjà d’accélérer l’enchaînement des événements. Ensuite, et de façon plus pratique, si l’action s’était étendue sur plusieurs années, il aurait fallu le mettre en scène. Dans la source, le jeune Agésilan voyait son travestissement être trahi peu à peu par les modifications physiques qui s’opéraient au cours de son adolescence. Mais comment rendre ceci sur la scène ? Ecourter la durée de l’action apportait aussi une solution à cette difficulté.
Autre modification effectuée par le dramaturge, celle des noms des personnages, à l’exception de celui de BruserbeAmadis, mais bien qu’il ait beaucoup de points communs avec son homonyme, – il est aussi battu par Florisel, envoyé à Sidonie, et il participera à la guerre contre l’île de Guindaye –, il apparaît que c’est le premier qui a influencé réellement le personnage de la Fidelle Tromperie.le Romant de l’Infidelle Lucrine. Celui de Clarinde, qui ne fait l’objet que d’une allusion dans cette pièce, est repris dans la Comedie des Comediens, où un personnage le porte.
Gougenot a aussi fait le choix d’un seul travestissement, alors que la source en contenait deux : ceux d’Agésilan et de son cousin Arlanges. Là encore, plusieurs explications peuvent légitimer ce choix : d’abord, la volonté de mettre en valeur un seul personnage par ce procédé, le personnage principal, et celle de simplifier l’action. Ensuite, l’inutilité du déguisement de Clidame explique aussi son rejet : dans la pièce, il n’aurait eu aucune raison de se travestir. Mais surtout, dans l’Amadis de Gaule, le déguisement d’Arlanges donnait naissance à des aventures qui lui étaient propres : Gougenot n’ayant pas choisi de les développer, c’est sans doute aussi le motif qui l’a amené à le supprimer. Par ailleurs, le procédé du travestissement donnait déjà lieu dans la source à l’exploitation du thème de l’homosexualité – Diane tombant sous le charme de Daraïde malgré son apparente féminité –, mais il n’était pas autant exploité que dans la pièce. En effet, les choses vont beaucoup plus loin dans cette dernière où, loin de ressentir, à l’imitation de Diane, comme un léger trouble et seulement une profonde amitié, Alderine revendique la liberté d’aimer une autre femme
Ensuite, le dramaturge a choisi de ne pas révéler le travestissement à la princesse avant que le héros ne le lui dise en personne, à la différence de la source, où Agésilan révélait son secret à une confidente de Diane qui le répétait à cette dernière. Gougenot perd là une excellente situation, dont Rotrou saura profiter dans son Agésilan de Colchos, en faisant de cette situation un jeu entre Diane, qui sait ce qui va lui être révélé, et Daraïde, qui ne sait pas que Diane connaît déjà le secret qu’elle veut lui avouerAgésilan de Colchos, Acte IV, scène 2. Cette pièce de Rotrou s’inspire des mêmes éléments de l’Amadis que celle de Gougenot, mais cette dernière, qui lui est antérieure, ne semble pas avoir influencé l’autre.la Fidelle Tromperie a choisi de modifier cet élément de la source, c’est sans doute encore dans sa volonté de simplification et d’épuration des trop nombreux événements de l’Amadis.
Enfin, le dénouement de la pièce est très simplifié par rapport à la source. D’abord, Gougenot ne pose même pas la question de la révélation publique du travestissement : elle a lieu hors-scène, pendant la scène 6 de l’acte V, et ne semble soulever aucune difficulté. Dans la source, le mariage avait été accordé à Daraïde à sa demande et en récompense de ses exploits, avant même qu’elle ne révèle son véritable sexe, – ce qui avait d’ailleurs provoqué l’hilarité générale. Ce n’est que plus tard, grâce à une scène de reconnaissance entre la mère et son fils travesti, que le subterfuge était découvert. Pourquoi le dramaturge, en adaptant la source à la pièce, a-t-il supprimé cet élément qui nous semble essentiel, – la révélation du travestissement –, ou du moins, pourquoi l’a-t-il rejeté hors-scène ? Il semble qu’il n’ait choisi de développer que l’aspect spectaculaire de ce procédé – le travestissement –, mis en scène dans des actions souvent violentes, contrastant avec le déguisement féminin, ou dans des scènes qui jouent sur un amour apparemment homosexuel. Les explications qu’il aurait fallu donner lors de la révélation du travestissement n’avaient peut-être pas, aux yeux du dramaturge, leur place dans cette perspective qui privilégie le spectacle, d’autant plus qu’elles auraient eu lieu dans le dernier acte, celui qui se veut le plus spectaculaire dans cette pièce de Gougenot. Elles auraient constitué un temps mort dans un acte très chargé en action, ce que ne désirait peut-être pas son auteur. De plus, la révélation du travestissement avait déjà eu lieu, mais seulement en présence d’Alderine (IV, 4). La répétition du procédé sur scène aurait été dès lors moins intéressante, la révélation publique ne pouvant être qu’une imitation dépassionnée de ce qu’avait été celle faite à Alderine.
Mais l’aveu du subterfuge n’est pas le seul élément du dénouement à avoir été modifié par rapport à la source. Dans le Livre XII de l’Amadis, le mariage de Clorisée et de Filamire n’avait pas lieu, même si les deux personnages qui les ont inspirés s’aimaient à nouveau. Dans ce cas, les modifications apportées par le dramaturge prennent une dimension morale : dans la source, Florisel retombait amoureux de la mère de Diane, mais il était toujours marié à une autre femme. Dans la Fidelle Tromperie, Gougenot fait mourir cette dernière, semblant vouloir respecter certaines bienséances, avant de marier les deux parents d’Alderine. Voilà donc les éléments que le dramaturge a repris et souvent modifiés dans sa transposition de l’Amadis de Gaule au théâtre. Mais ces éléments ne sont pas les seuls qu’il ait pris en compte dans la constitution de son histoire : il en a également ajoutés certains qui n’étaient pas contenus dans la source. Lesquels et pourquoi ?
Les premiers ajouts qu’effectue l’auteur de la pièce concernent les personnages. Si la plupart provient de la source et n’a que simplement changé de nomla Fidelle Tromperie – Aristome, Bruserbe, et Filamon -, peuvent être assimilés aux nombreux rois qui n’ont pas réussi à battre Florisel et qui se sont ensuite présentés à la reine Sidonie, parmi lesquels les rois de Gaze et de Bugie, dont le premier est celui qui inspira particulièrement le personnage de Bruserbe. L’Ambassadeur a pour nom Duc de Galde dans l’Amadis. Enfin, on retrouvera dans la pièce les soldats qui, comme dans la source, combattent pour les deux camps ennemis.Amadis. Ces cinq éléments ont été ajoutés pour des raisons différentes, que nous allons tenter d’éclaircir. Avant d’entrer dans les détails, il faut d’abord remarquer que la tragi-comédie aime multiplier les personnages secondaires, qui augmentent sa dimension spectaculaire, et c’est déjà une raison qui explique la présence de ces personnages sur scène.
Les personnages de la Gouvernante et de Tersandre sont des cas similaires : leur existence relève de la volonté de créer une « suite » propre à la reine Clorisée, dont la fonction exige qu’elle ait des personnes qui lui soient dévouées. En effet, elle « ne saurait aller seul[e] sans heurter l’idée qu’on se fait de sa puissance et de sa dignité. Il lui faut une « suite », d’autant plus nombreuse qu’[elle] occupe un rang plus élevé »Scherer, Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 2001, p. 40.
Mais ces personnages ne sont pas les seuls éléments que l’auteur a ajoutés dans sa transposition de l’histoire d’Agésilan et de Diane. D’autres, comme le récit du naufrage fait par Clidame et « Lucide » lors de la troisième scène du premier acte, plusieurs éléments de la première scène de l’acte suivant, ou encore le recours à la forme des stances, en font encore partie.
Le récit de l’enlèvement des deux héros par un corsaire et de leur naufrage ne figure pas, en effet, dans l’Amadis. L’auteur a jugé nécessaire de l’ajouter, mais pourquoi ? Ce récit, qui est évidemment inventé par les personnages qui le racontent, est destiné à tromper ceux à qui il s’adresse. Il permet d’expliquer l’arrivée de Clidame et « Lucide » à Chypre – une arrivée due aux hasards de la tempête –, et donc de cacher le véritable motif de leur présence – la conquête de la princesse. Mais surtout, ce récit est destiné à rendre invisible le travestissement aux yeux des autres personnages : ayant entendu les exploits que « Lucide » a déjà accomplis, ils ne pourront s’étonner de sa force par la suite. Ce procédé permet, de surcroît, de rendre vraisemblable le déguisement aux yeux du public qui, voyant que les personnages eux-mêmes ont été préparés pour ne pas mettre en question le travestissement, l’accepte lui-aussi d’autant plus facilement. Ainsi, ce que Gougenot ajoute ici à la source prend tout son sens : dans son adaptation théâtrale, il est désireux de respecter certaines vraisemblances.
Ensuite, la première scène de l’acte II contient deux éléments inédits par rapport à l’Amadis. D’abord, le portrait d’Alderine, fait par « Lucide », a un sens premier tout poétique : il développe le thème de la beauté de la princesse, dont chaque partie du corps est comparée à un dieu de l’Olympe ; par ailleurs, il place le spectateur dans une situation d’attente, – attente de la beauté qui vient d’être décrite, et qui apparaîtra à la scène suivante. Ensuite, second élément inédit : la dispute de Clidame et de « Lucide », qui n’existait pas non plus dans la source. La justification du recours à cette scène nécessite certaines considérations sur l’action, nous y reviendrons en temps vouluLes prémices de l’action.
Enfin, les stances, présentes deux fois dans la pièce (IV, 4 et V, 3), sont des formes choisies par Gougenot, sans aucun doute influencé par le théâtre de l’époque qui les multiplie. Leur intérêt poétique se double d’une fonction dramatique : elles mettent en scène la souffrance d’un personnage, et sont destinées à émouvoir le spectateur.
Ainsi, l’adaptation effectuée par Gougenot s’est faite dans une volonté d’épuration – épuration de tous les éléments superflus de la source, qui empêchaient la transposition au théâtre – ; dans le désir aussi de faire de la Fidelle Tromperie une pièce spectaculaire et émouvante, tout en manifestant un certain souci de vraisemblance en ce qui concerne l’emploi du travestissement. L’écriture de cette pièce témoigne, enfin, d’un désir d’appropriation personnelle et de renouvellement de l’œuvre déjà célèbre qu’est l’Amadis de Gaule.
Certaines pièces contemporaines ont sûrement influencé le travail de Gougenot. Parmi celles que nous avons consultées, il nous en est apparu deux ayant pu avoir inspiré le dramaturge dans sa composition : il s’agit de la Belinde de Rampalle et d’Argenis et Poliarque de Du RyerRampalle, La Bélinde, tragicomédie, ou parmy le meslange agreable de diverses varietez, deux Princesses arrivent au comble de leurs desirs, Paris, Pierre Drobet, 1630 ; Du Ryer, Pierre, Argénis et Poliarque ou Théocrine, tragi-comédie, Paris, Nicolas Bessin, 1630.
La Belinde de Rampalle, pièce publiée en 1630, a pu influencer la composition de la Fidelle Tromperie. On y trouve, comme dans la pièce de Gougenot, l’histoire d’un prince travesti, Polydor, dont le déguisement donnera lieu à des scènes en apparence homosexuelles avec la femme qu’il aime. Il est à noter que l’action de cette pièce se passe à Chypre, et c’est peut-être là que se trouve l’origine de l’idée du dramaturge dijonnais de dérouler les aventures d’Armidore dans la même île.
La pièce de Du Ryer, publiée en 1631, entretient aussi un lien avec la Fidelle Tromperie : l’action y est souvent très proche de celle de la pièce de Gougenot, en particulier lors de la scène 2 de l’acte I, qui n’est pas sans rappeler la première scène de la Fidelle Tromperie, où l’on voit dans chacune un prince amoureux d’un portrait faire la révélation de son amour à son ami qui le désapprouve, mais qui est prêt à le suivre malgré tout. En ce qui concerne la princesse, Argenis est enfermée par son père, loin des hommes, et Poliarque se travestit afin de pouvoir la rencontrer, comme le fera Armidore. D’autre part, Licogène, autre prétendant d’Argenis, ayant été mal reçu par le père de la princesse décide de l’obtenir par la force, et fait la guerre à la Sicile : Bruserbe et Filamon l’imiteront en attaquant Chypre. Quelques vers, relativement rares, évoquent ceux de la pièce de Gougenot, mais ils ne se ressemblent pas assez pour qu’on leur attribue une importance considérable.
Il s’agit ici d’appréhender la construction globale de la Fidelle Tromperie, dans la répartition de ses vers, ses actes, ses scènes, dans les principes généraux qui l’animent, – s’il en est –, avant d’aborder dans les détails la construction interne de son action
D’abord, la Fidelle Tromperie est une pièce longue pour l’époque. Jacques Scherer disait déjà que la Sylvie (1628) de Mairet « avec ses 2250 vers, [était] l’une des dernières pièces vraiment longues »Scherer, Jacques, La Dramaturgie classique en France, éd. citée, p. 196.la Fidelle Tromperie, il ressort que l’organisation de la pièce met particulièrement en valeur le dernier acte, le plus développé en vers, en personnages, en changement de scènes, sans aucun doute afin de contribuer au spectacle d’un acte qui se veut être celui de toutes les résolutions.
Ces premières remarques, qui font ressortir la totale irrégularité de la Fidelle Tromperie, et ceci à tous les niveaux, nous permettent de classer cette pièce parmi les tragi-comédies de la décennie 1630-1640, où le genre, indépendant de toute règle, est à son apogée et ne pense qu’à une chose : divertir le spectateur. Il reste à voir comment s’organise cette irrégularité.
L’action de la Fidelle Tromperie est composée de deux fils, ce qui n’est pas sans conséquences sur l’organisation de la pièce. D’une part, un fil unit Armidore et Alderine, par la volonté du prince de conquérir sa bien-aimée ; d’autre part, un autre fil lie Clorisée et Filamire, par le désir de la reine de se venger de celui qui l’a trompée. Ces deux fils sont étroitement liés par deux personnages : Alderine d’abord, qui se trouve être l’objet de la conquête amoureuse, mais qui s’avère être aussi le moyen par lequel la reine espère se venger ; Armidore ensuite, qui, cherchant l’amour d’Alderine, entrera au service de Clorisée pour réaliser son désir de vengeance. Ils sont aussi, et surtout, liés par la parenté des personnages qui justifie une structure à deux couples relevant de la tendance de la tragi-comédie à la multiplication des personnages. Les imbrications, les entrelacs entre les deux fils ont des conséquences sur la composition de la pièce. De plus, un épisode lié au second fil crée encore une difficulté à surmonter en ce qui concerne la construction de l’intrigue : il s’agit de l’épisode dans lequel les deux rois vaincus par Filamire essayent de conquérir Clorisée et Alderine par la force.
Comment l’action s’organise-t-elle en fonction de ces difficultés ?
La question de l’exposition est évidemment la première à poser en ce qui concerne la construction de la pièce. « Dans les tragédies à double intrigue, l’exposition est nécessairement double (…) » : cette règle, édictée plus tard par MarmontelMarmontel, Jean-François, Eléments de littérature, Œuvres complètes, La Rochelle, 1787 ; cité par J. Scherer, op. cit., p. 55.la Fidelle Tromperie doivent être présentés de façon à ce que chacun puisse être compris dans sa singularité. Comment Gougenot adapte-t-il l’exposition de ces deux fils dans sa pièce ?
En ce qui concerne l’exposé du premier fil, qui lie Armidore et Alderine, celui-ci est concentré dans la première scène de la pièce, où l’on assiste à l’expression des sentiments qu’éprouve le prince devant le portrait de sa bien-aimée. Sa résolution de la conquérir est aussitôt mise en application, et l’action de ce premier fil est entamée dès la troisième scène du même acte. Dans la scène précédente (I, 2), se trouve esquissée l’exposition du second fil, – esquissée car elle ne fournit pas assez d’éléments pour qu’on puisse la saisir. En effet, le monologue de Clorisée, et sa discussion avec la gouvernante, s’ils ouvrent cet aspect de l’intrigue, n’en permettent pas une compréhension totale. La fin de cette exposition est reportée à l’acte suivant, lors de la troisième scène, où le récit que fait Tersandre à Clidame permet de comprendre, a posteriori, l’origine des plaintes de Clorisée ainsi que l’arrivée d’Aristome au début de la scène.
L’exposition est donc, double intrigue oblige, organisée en deux temps. Ce procédé qu’emploie Gougenot, – l’ébauche et le report de la fin du second fil –, fréquent dans ce type d’intrigue, permet deux choses : d’abord, il suscite la curiosité du public, piqué ici de voir une reine exposer ses douleurs sans en comprendre vraiment la cause ; il permet ensuite de ne pas surcharger la mémoire du spectateur, par la fragmentation et la répartition de l’exposition de données différentes.
En ce qui concerne la nature des deux expositions, il faut remarquer que, malgré la différence de leurs intrigues, leur dissociation, elles ont un point commun : l’entrée brutale au cœur des passions, – passion amoureuse pour Armidore, révélée dans le monologue initial, passion vengeresse pour Clorisée, développée aussi dans un monologueJ. Scherer, dans la Dramaturgie classique en France (voir Première partie, Chap. I, section 6 et Deuxième partie, Chap. IV, section 4).
Enfin, il faut remarquer que Gougenot, au début de sa pièce, se montre assez habile lorsqu’il s’agit de passer de l’un à l’autre fil : la transition n’est pas brutale. La deuxième scène du premier acte en est une illustration : elle voit apparaître les personnages de Clorisée et de la Gouvernante et esquisser le premier fil, entre deux apparitions d’Armidore et de Clidame. Elle fonctionne comme une parenthèse qui permet de présenter les nouveaux personnages, les plaintes de Clorisée, avant que ne les rejoignent les personnages déjà connus qui appartiennent au premier fil. Mais là où Gougenot se montre le plus habile, c’est lorsqu’il s’agit de savoir comment passer de l’une à l’autre intrigue dans le second acte. Cette difficulté est surmontée dès la première scène de ce dernier par un adroit procédé : lors de cette scène, Clidame et « Lucide » se disputent, se séparent, et chacun va suivre un élément de l’intrigue. Dans la deuxième scène, suivant « Lucide », nous assistons à l’expression de son amour pour Alderine ; dans la troisième scène, suivant le personnage de Clidame, le spectateur assiste à la fin de l’exposition du fil concernant Clorisée. Le passage d’une action à l’autre se trouve ainsi justifié par la volonté de suivre deux personnages différents, ou plutôt, la dispute de Clidame et d’Armidore, qui n’avait vraisemblablement pas lieu d’êtreAmadis de Gaule. Il s’agit d’un des éléments ajoutés par Gougenot dans son adaptation, et ces remarques nous permettent de comprendre la raison de cet ajout.a posteriori par le désir du dramaturge de trouver un moyen de légitimer le passage d’une action à l’autre : si Armidore et Clidame se disputent, c’est peut-être seulement pour créer une porte d’entrée, sous l’apparence d’un personnage, qui ouvre sur chacun des fils de l’action. La construction de l’intrigue a ainsi une conséquence sur son contenu.
La tragi-comédie est un genre où les obstacles que doit surmonter le héros sont souvent abondants, abondance qui permet au dramaturge de divertir son public, – les obstacles apportant variété et rebondissements à l’intrigue –, et, de façon plus pratique, de remplir les cinq actes de la pièce. Parce que l’intrigue de la Fidelle Tromperie est double, le fonctionnement des obstacles a une certaine duplicité : quelques uns pourront être indépendants et appartenir uniquement à un fil de l’intrigue, mais la plupart du temps, l’exploitation d’une difficulté à surmonter dans l’un des deux éléments de l’action aura des conséquences sur l’autre, ambiguïté qui pourra être entretenue au point que le moyen de résoudre un obstacle dans un fil pourra devenir, au contraire, obstacle dans l’autre.
De quels types sont les obstacles de la Fidelle Tromperie ? Comment se combinent-ils entre eux et par rapport à la duplicité de l’action ? Comment se répartissent-ils dans la pièce ?
Le premier obstacle que rencontre Armidore dans sa conquête amoureuse est relativement simple, puisqu’il est aussitôt résolu : la difficulté que constitue l’approche de la princesse, enfermée loin des regards masculins, est immédiatement surmontée par le recours au procédé du travestissement. S’il résout ce premier obstacle, ce dernier va pourtant en créer d’autres. Déjà, en tant que tel, le travestissement lui-même est un handicap qui s’oppose à la réalisation du désir amoureux : il faut l’avouer à la bien-aimée, et se le faire pardonner. De son côté, le désir de vengeance de la reine Clorisée doit surmonter un problème : celui de la valeur de Filamire. La promesse faite par elle de donner la main de sa fille à celui qui lui en apportera la tête se veut un moyen de le résoudre, mais il n’a aucune efficacité, comme le montrent les échecs successifs d’Aristome, de Bruserbe et de Filamon. Cet obstacle, – la valeur de Filamire –, est le seul qui empêche le vœu de la reine d’être exaucé, et il ne trouvera pas de résolution avant le recours de celle-ci à un autre moyen que sa promesse.
Voilà donc les deux premiers vrais obstacles que les héros ont à surmonter dans chaque fil de l’action, et chacun d’eux n’appartient qu’au fil qui les concerne. Dans un cas, il s’agit de résoudre le problème du travestissement qui empêche la relation amoureuse des amants ; dans l’autre, il faut surmonter la valeur de Filamire. Leur résolution, du fait de l’existence des deux intrigues, ne va pas se faire facilement, et même, l’imbrication de ces dernières va contribuer à créer de nouvelles difficultés.
Les deux fils de l’intrigue commencent à se confondre à partir de l’acte III, avec un obstacle qui est réitéré : les deux duels successifs de « Lucide »Bradamante de Garnier.
Va t’en loin de mes yeux n’approche plus de moy (IV, 4, v. 1564).
La promesse que « Lucide » fait à la reine, – ramener la tête de Filamire –, est donc un obstacle dans le premier fil, puisqu’elle provoque la dispute et la séparation des deux amants, mais elle se veut un moyen de surmonter la valeur du roi trompeur dans le second. Hélène BabyBaby, Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2001, p. 141-143.
A partir des duels, les obstacles se succèdent donc. Le contrôle du déguisement échappe totalement à celui qui a choisi de le porter, qui en devient prisonnier au service de la reine. Le héros se retrouve, malgré lui, opposant à sa propre cause. En cela, le travestissement appartient bien aux « procédés actoriels de la réversibilité »Baby, Hélène, op. cit., p. 132.
Enfin, il reste à considérer un dernier obstacle, qui est créé au début de l’acte V, avec un nouvel épisode : la guerre, déclarée par Bruserbe et Filamon à Chypre, qui trouvera une solution avec l’enchaînement des événements qui conduiront au dénouement.
Lorsque débute l’acte V, l’action des deux fils, dont l’un a été rompu, et de l’épisode, est nouée. Trois difficultés sont à surmonter : d’abord, il s’agit de mettre fin à ce nouveau conflit ; ensuite, il faut satisfaire le désir de vengeance de Clorisée, – en le réalisant ou en trouvant un autre moyen de la contenter – ; enfin, il est nécessaire de renouer le lien qui unit Armidore et Alderine.
Avant d’entamer l’étude du dénouement de la pièce, quelques considérations générales sur l’utilisation des obstacles dans la Fidelle Tromperie s’imposent. En ce qui concerne leur nombre, d’abord : ils sont relativement abondantsLa Fidelle Tromperie est donc dans la moyenne : Hélène Baby a calculé que les obstacles étaient en moyenne au nombre de six dans une tragi-comédie, une habitude qui ne réfute pas le fait que ce nombre soit élevé (op. cit., p. 120).
Le dénouement doit se passer en trois étapes, par la résolution des trois derniers obstacles dont nous parlions auparavant. Comment s’organise-t-il en fonction de ces éléments ?
L’enchaînement des événements qui conduit au dénouement commence par le retour de « Lucide » (V, 4), accompagnée par Filamire. Ensemble, ils mettent aussitôt fin à la guerre, emprisonnant Bruserbe et Filamon ; ils résolvent ainsi une des trois difficultés qui empêchaient la pièce de se conclure. « Lucide » contribue encore à dénouer la pièce en organisant la mise en scène de la « tête vivante » de Filamire (V, 5), provoquant le revirement de Clorisée, qui abandonne le dessein de se venger. Enfin, le fil concernant les amours du prince et d’Alderine, qui avait été renoué à la troisième scène par le revirement de la princesse, se trouve résolu par le don de sa main à Armidore lors de la dernière scène. L’ordre de résolution que suivent ces trois étapes respecte une certaine logique : à l’arrivée de « Lucide », le plus urgent est bien sûr de résoudre le problème du siège du château ; par ailleurs, la question de sa relation avec Alderine, dépendante de la vengeance de la reine, ne peut se poser avant que le conflit opposant Clorisée et Filamire ne soit réglé. Cette organisation permet également au public de rester intéressé jusqu’à la fin de la pièce : si la question des amours des jeunes amants avait été réglée en premier, le spectateur n’aurait pas été attentif à ce qui se passait ensuite. En résolvant d’abord le problème de l’épisode, secondaire, puis celui de la reine, et enfin celui d’Armidore, on passe de ce qui est moins intéressant à l’essentiel, et le dramaturge conserve toute la concentration de son public.
Malgré cette logique dans la succession des événements, le dénouement n’en est pas moins totalement contingent. Le retour de « Lucide » qui arrive fort à propos en plein milieu du siège, les deux revirements d’Alderine et de Clorisée, le recours au merveilleux, l’« oubli » du problème du travestissement, la mort de Clarinde : tous témoignent de l’absence de nécessité.
Les deux revirements du cinquième acte manifestent effectivement un refus du nécessaire. Celui d’Alderine, évoqué dans ses stances (V, 3), est justifié d’une drôle de manière : selon les dires de la princesse, sa colère envers Armidore n’était qu’affectée,
Car comme je vous vis timide, Descouvrant l’abus de Lucide, Je creus que je devois aussi Feindreque mon ame offenséeChangeoit d’humeur et de pensée Contre vostre amoureux soucy (V, 3, v. 1955-1960).
Le revirement n’est qu’une apparence, car les sentiments qu’Alderine disait éprouver ne l’étaient pas réellement ; mais il n’empêche qu’il a les mêmes conséquences que s’il avait été réel. Ce type de revirement, par l’affirmation que la colère n’est qu’une feinte, et donc par la négation même du revirement, est original. Cependant, il n’en est pas moins contingent, car Alderine peut changer d’avis à tout moment. Le revirement est réversible, et ici il n’a aucune nécessité. Le recours à une intervention transcendante dans cette même scènela Fidelle Tromperie, et le merveilleux divin n’apporte ici que plus de spectaculaire, ce qui est sans doute tout ce qu’on lui demande.
En ce qui concerne le revirement de Clorisée (V, 5), il est dû à la mise en scène de la « tête vivante » de Filamire par « Lucide ». Mais ce qui est original, ce n’est pas cette confrontation entre la reine et celui qui l’a trompée, confrontation qui aurait à elle seule provoquée le revirement, c’est le fait que « Lucide » demande à la reine de lui couper elle-même la tête. La reine est alors prise à son propre piège : elle avait promis un don à l’amazone, ne pouvant le lui accorder, ni elle, ni Filamire ne mourront. Ce revirement a beau être présenté comme découlant de la mise en scène, il est tout à fait gratuit : la reine pourrait très bien conserver sa haine envers Filamire, voire même le tuer, ou y revenir après avoir changé d’avis.
Autre élément du dénouement tout à fait contingent : l’ellipse du problème du travestissement. Alors qu’il s’agissait d’une des plus grosses difficultés, – reconnaître publiquement et faire accepter par tous le stratagème, ce qui n’est pas évident –, sa résolution est rejetée hors scène, et ne semble poser aucune difficulté, puisque nous n’en avons aucun écho. Enfin, l’annonce de la mort de Clarinde, qui prolonge la tragi-comédie au-delà de la seule résolution des obstacles, est elle aussi contingente : elle permet le double mariage, qui relève du goût de la symétrie de la tragi-comédie, et de celui de la multiplication des personnages.
Ainsi, le dénouement de la Fidelle Tromperie, dont la construction respecte une certaine logique, est loin d’être nécessaire. Ce goût pour le hasard, pour le merveilleux… relèvent du genre de la tragi-comédie, qui privilégie la fin heureuse, en dépit de la vraisemblance.
Les frères Parfaict notent que la Fidelle Tromperie a été représentée sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, en 1633. Cependant, on peut remettre en question cette affirmation, car la pièce ne figure pas dans le Mémoire de Mahelot, qui recense celles qui y sont alors jouées. Si la Fidelle Tromperie a été représentée, elle a donc pu l’être sur la scène d’un autre théâtre, c’est-à-dire sur une scène improvisée dans un jeu de paume, comme c’était alors la coutume – car le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne est alors le seul qui soit fixe à Paris. A moins qu’elle n’ait été jouée sur la scène de ce dernier avant 1633, date à laquelle Mahelot commence à recenser les pièces jouées, selon H. C. Lancaster. Quoiqu’il en soit, il ressort de la lecture de la pièce qu’elle était destinée à être jouée sur une scène qui comprenait un décor à compartiments multiples, comme celui de l’Hôtel de Bourgogne. Dans tous les cas, il s’agit ici d’étudier l’aspect spatio-temporel de la pièce, et la reconstitution de son décor, qu’il ait été réel ou seulement imaginé par son auteur, en fait partie intégrante.
Un problème se présente lorsqu’on lit la pièce de Gougenot avec l’idée de la situer dans l’espace : si certaines didascalies permettent de situer le lieu où se passe une scène, ce n’est pas toujours le cas, et il faut rechercher au cœur même du texte les indices qui permettent de situer l’action sur la scène, indices qui eux-mêmes font parfois défaut. En ce qui concerne la temporalité de la pièce, les problèmes sont les mêmes : certaines didascalies permettent de situer l’action dans le déroulement de la journée ou de la nuit, mais elles ne sont pas fréquentes. Il faut donc, là encore, avoir recours aux indications données par le texte, lorsqu’elles existent.
L’ouverture de la pièce pose déjà problème quant à sa situation spatio-temporelle. L’Argument nous disait qu’Armidore « descouvr[ait] son secret à Clidame » avant qu’ « ils se desrobent de Phrygie » et n’aillent à Chypre. Cette indication permet a priori de situer la première scène en Phrygie, où Armidore tombe amoureux d’un portrait et se confie à son cousin, mais il semble que cela ne soit pas ce que le texte de la pièce indique. En effet, certains indices nous amènent à penser que Clidame et Armidore sont déjà dans l’île, et que l’action, bien loin de commencer, est prise in medias res. C’est le cas par exemple de ce vers :
La beauté qui me fist ce voyage entreprendre (I, 1, v. 98),
qui nous confirme dans cette opinion, comme le font aussi les démonstratifs « ceste place » (v. 90), « ceste forteresse » (v. 106), « cet aymable sejour » (v. 115), employés sans aucun doute comme déictiques. Ces indications nous permettent de comprendre que le décor du château d’Alderine est déjà sous les yeux des spectateurs, et il ne changera pas. En ce qui concerne le temps, ceci n’est pas sans conséquence : alors qu’on pouvait croire que le voyage de Phrygie à Chypre s’effectuait entre la première et la fin de la deuxième scène, et donc qu’il se passait plusieurs jours entre les deux – ce qui n’aurait pas été choquant dans une pièce irrégulière –, on peut dire que cela n’est pas le cas. Lors de la première scène, nous assistons donc à ce qui doit être la réitération d’une scène qui a déjà eu lieu et qui, elle, a provoqué le voyage en donnant véritablement naissance à l’amour d’Armidore. Lorsque ce dernier est ébloui par le portrait dans les premiers vers de la pièce, ce n’est pas la première fois, et c’est ce qui fait dire à Clidame :
N’esteindrez-vous jamaisceste subtile flame (I, 1, v. 46).
Avant de poursuivre l’étude des déplacements des personnages, il convient de voir quels éléments composent le décor.
D’abord, de nombreuses indications nous sont données par les didascalies. Celle qui ouvre la scène 2 du deuxième acte : « Elles sont dans le jardin du Chasteau » implique la présence d’un jardin et d’un château. Une didascalie fera encore allusion à ce « Chasteau » à l’ouverture de la dernière scène de la pièce, et une autre à sa « muraille »
Ainsi, les didascalies permettent déjà de définir la présence d’un jardin, d’un château avec une muraille, d’une chambre pour Filamire, d’une pièce réservée à Alderine, d’une porte conduisant à la chambre de la reine. Mais ces indications données par le dramaturge ne sont pas les seules : en effet, le texte même de la pièce nous offre d’autres éléments à prendre en considération. Il en est ainsi des vers 2039 et 2128 qui font allusion à une « tour ».
Tous ces éléments réunis, nous pouvons maintenant construire ce qui aurait pu être le décor de la pièce. Il apparaît qu’aucun des décors reproduits dans le Mémoire de Mahelot ne correspond exactement à celui de la Fidelle Tromperie, mais l’un d’eux présente quelques points communs avec ce dernier et il est intéressant de les noter. Il s’agit de la décoration de l’Heureuse Tromperie de Boisrobert, qui est décrite ainsi dans le Mémoire :
Au milieu du theatre, il faut un beau palais, et, a un coté du theatre, une chambre et une tour avec une fenestre ; (…) ; au bas de ladicte chambre, deux ou trois portiques en jardinage et pallissade, fleurs et fruits. (…) De l’autre costé du theatre, il faut deux prisons (…)
. Le Mémoire de Mahelot, Laurent, et d’autres décorateurs de l’hôtel de Bourgogne et de la Comédie-Française au 17, édité par H. C. Lancaster, Paris, Champion, 1920, p. 88-89. La reproduction de la décoration deesièclel’Heureuse Tromperiede Boisrobert est issue de ce même ouvrage.
Une chambre et une tour, un jardin, un palais, une prison… voilà des éléments qui se rapprochent de ceux de la pièce de Gougenot. Certes, ce décor n’est certainement pas celui qui a été utilisé, ou envisagé, pour la représentation de la Fidelle Tromperie, car il a trop de différences, et il n’est pas même sûr que cette pièce soit passée sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne. Cependant, ces points communs permettent de donner une idée de ce qu’aurait pu être le décor de cette pièce, dans la réalité ou dans l’imagination du dramaturge, une idée qui a l’avantage d’avoir ici un support visible, à la différence des autres décors qu’on pourrait envisager.
Le problème du décor résolu, qu’en est-il de son utilisation dans les différentes scènes de la pièce ?
Nous l’avons déjà vu : la première scène se passe à Chypre, devant le château. Ce lieu, qui doit être une place, est un lieu de passage, d’arrivée et de rencontre, et il est sans doute le plus utilisé dans la Fidelle Tromperie. C’est probablement là que se retrouvent Clidame, Armidore et Clorisée à la fin de la deuxième scène du premier acte, dans ce lieu ouvert d’où l’on peut voir arriver les nouveaux venus et les accueillir :
J’aperçois une fille en ma Cour incogneuë (I, 2, v. 229).
Tout l’acte I se passe dans le même endroit, ainsi que la première scène de l’acte suivant, où se rejoignent Clidame et « Lucide ».
Lieu d’arrivée, la place publique accueille encore Aristome (II, 3), quand on y attendait Bruserbe
A cet endroit mi-clos, mi-ouvert, viennent s’ajouter des lieux beaucoup plus intimes. Le jardin, d’abord, lieu protégé, peut-être par des palissades qui l’isolent du reste du monde, accueille les amants et leurs conversations amoureuses dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler celle des pastorales (II, 2), et recueille les confidences, parfois difficiles, comme l’est l’aveu de « Lucide », ou les plaintes (IV, 4 ; V, 3)
Autres lieux d’intimité, le « logis d’Alderine », (IV, 2), où les hommes n’ont pas le droit de pénétrer, et qui permet aux femmes de se réunir entre elles en toute sécurité
La plupart du temps, les personnages restent dans le cadre du lieu qui leur est assigné au début de la scène. Il y a souvent des arrivées ou des départs, dans le déroulement d’une scène délimitée par GougenotJ. Scherer, dans la Dramaturgie classique en France, développe une réflexion sur le recours à ce procédé dans le théâtre pré-classique (Deuxième partie, Chap. I, section 5).
Enfin, le déplacement que les personnages effectuent au début de la dernière scène est assez intéressant : nous les voyons sortir chacun à leur tour du château pour aller rejoindre, sur la place, Clidame et Tersandre qui y étaient déjà présents dès la scène précédente. Ces deux derniers personnages, véritables allégories du spectateur, assistent à cette revue finale sans y participer, et en la commentant, étonnés, comme l’est le public qui ne s’attendait pas à une résolution aussi rapide
Dieux ! qu’est-ce que je voy, tout a changé de face, (…) Je doute si je songe, ou si c’est vérité (v. 2292-2299). Mon esprit estonné croit de voir des chimeres (v. 2301).
Cette mise en perspective de l’action, par l’intermédiaire des deux personnages témoins, permet de préparer progressivement le retour à la réalité, celle du public, qui aura lieu quelques vers plus loin. Il est à noter que les personnages de Clidame et de Tersandre étaient déjà, au cours de la pièce, toujours un peu en retrait par rapport à l’action. Lorsqu’ils apparaissent ensemble, c’est pour prendre du recul par rapport à elle, et développer une réflexion en ce qui la concerne, que ce soit pour mieux l’appréhender (II, 3), pour la critiquer (IV, 3), ou pour avouer leur ignorance de ce qui se passe (V, 6).
Il reste à étudier l’aspect temporel de la Fidelle Tromperie.
Les deux fils de l’intrigue que développe la pièce sont pris in medias res. Nous l’avons déjà vu en ce qui concerne celui qui unit Armidore et Alderine : l’amour qu’éprouve le prince existait avant que la pièce ne commence et l’a poussé à faire le voyage à Chypre, où il se trouve dès la première scène. Il est intéressant de remarquer que le dramaturge donne l’impression que cette intrigue est développée ab ovo, par la reproduction de la scène où Armidore tombe amoureux du portrait. Toutefois, étant donné qu’il ne s’est presque rien passé, on peut dire que cette illusion repose en partie sur la réalité : si le voyage a déjà été effectué, tout reste à faire pour obtenir la main de la princesse. Il en est autrement du second fil, dont l’histoire avait déjà commencé bien avant la pièce, et dont les faits passés sont résumés dans le récit que fait Tersandre (II, 3).
Le déroulement de l’action de la Fidelle Tromperie sur la scène s’étale sur deux jours, une matinée, et deux nuits, qui ne sont pas tous consécutifs
La quatrième scène de l’acte IV se passe la nuit de ce même jour. Le premier indice en est le vers 1496 :
Le secret est bien cher aux ombres de la nuict;
et la fin de la scène ne laisse plus aucun doute à ce sujet lorsque « Lucide » s’exclame au vers 1714 :
Mais j’apperçoy desja l’ aurore.
Lorsque commence le cinquième acte, plusieurs jours se sont écoulés pendant l’entracte : Bruserbe et Filamon ont déclaré la guerre à Chypre en l’absence de « Lucide », et leurs troupes occupent maintenant la majeure partie de l’île :
Sa frontiere n’a peu resister à nos armes, (…) La campagne est à nous et tenons tous ses forts (V, 1, v. 1721-1723),
à l’exception du château de Clorisée et d’Alderine. L’action reprend donc ici dans une autre journée, et se déroule alors que le soleil est encore dans le ciel pendant les deux premières scènes de cet acte. Au contraire, les troisième, quatrième et cinquième scènes se passent à différents moments de la nuit de ce même jour. A la scène 3, la première indication en est l’apostrophe d’Alderine aux ténèbres :
Dieux qui presidez sur les ombres,Nymphes hostesses des lieux sombres,Bois, solitudes, autres secrets, Astres, silences, esprits funebres,Et tout ce qui suit les tenebres,Soyez tesmoins de mes regrets (V, 3, v. 1945-1950),
suivie par le délai que donne la voix merveilleuse :
Avant que le Soleil recommence sa course (V, 3, v. 2005),
et la référence à l’ « obscurité » faite au vers 2023obscurité ».nuict ne sçauroit receler ton audace ».jour dissipera ceste fascheuse nuë ».
Les sixième et septième scènes de cet acte se déroulent certainement un peu plus tard dans la matinée, car il faut laisser le temps nécessaire pour que certains événements aient lieu hors-scène : les retrouvailles d’Alderine et d’Armidore, l’aveu public du travestissement, les fiançailles des deux amants.
Quelques remarques s’imposent sur l’aspect temporel de la Fidelle Tromperie. D’abord, en ce qui concerne la durée, il faut remarquer que la pièce est tout à fait irrégulière, puisqu’elle dépasse largement les vingt-quatre heures. Cependant, on ne peut pas nier le fait que Gougenot ait fait un effort considérable en écourtant la durée de l’action de l’Amadis de Gaule dont il s’inspire, car celle-ci s’étendait sur plusieurs années. Ensuite, l’utilisation de la nuit dans la pièce témoigne d’une certaine réflexion : associée au jardin, elle permet la création d’une atmosphère intime et protectrice, propice aux aveux et aux confidences amoureux (IV, 4), atmosphère qui peut se révéler effrayante selon l’état d’esprit dans lequel le personnage se trouve
La Fidelle Tromperie compte quatorze personnages, auxquels viennent s’ajouter les figurants que sont les soldats des deux camps ennemis, et une voix merveilleuse, sans présence matérielle. Ce nombre respecte la limite fixée plus tard par VossiusVossius, Gérard-Jean, Poeticarum institutionum libri tres, Amsterdam, Louis Elzevir, 1647, livre II, chap. V, paragraphe VIII, p. 21 ; cité par J. Scherer, op. cit., p. 36 .Baby, Hélène, op. cit., p. 105.
La pièce de Gougenot met en scène un personnel relativement spécialisé : à la différence d’autres tragi-comédies de l’époque, on n’y trouve pas de personnages du peuple ou de petits bourgeois, tels que marchands de toutes sortes, boucher, concierge, cocher… Beaucoup sont nobles – Clorisée, Alderine, Armidore, Clidame, Aristome, Filamire, Bruserbe, Filamon, et peut-être aussi Florinde, Tersandre et l’Ambassadeur – : il s’agit bien d’une action qui se passe entre les « Grands » de ce monde, probablement due à la source romanesque et chevaleresque de la pièce.
Une difficulté se présente à la lecture de cette dernière : qui est le personnage principal, Armidore ou Clorisée ? Chacun domine un fil de l’intrigue qui lui est propre, et leur rôle est tout aussi imposant : à eux deux incombe plus de la moitié des vers de la pièce – 26, 25% pour Armidore et 24, 22% pour Cloriséela Fidelle Tromperie. Dans une perspective plus générale, deux couples intéressent les spectateurs : Armidore et Alderine, Clorisée et Filamire.
Les personnages secondaires, quant à eux, peuvent être divisés en plusieurs groupes : le groupe des confidents et proches des héros et des héroïnes, composé de Clidame, Dorine, Florinde, Tersandre ; celui des rois étrangers, avec Aristome, Bruserbe, et Filamon ; et les autres, – l’Ambassadeur, la Sentinelle, le Courrier, les soldats des deux troupes –, de trop peu d’intérêt pour que nous leur consacrions une étude.
Il s’agit du couple le plus présent dans la pièce : à eux deux, leurs répliques constituent 39, 84% de la totalité des vers de la pièce. Alderine apparaît beaucoup plus dépendante de leur relation qu’Armidore : elle est toujours en sa compagnie lorsqu’elle est sur scène (II, 2 ; IV, 2 ; IV, 4 ; IV, 7), à l’exception d’une seule fois (V, 3), – Armidore étant alors en voyage. Ce couple est au centre de tous les intérêts, et sa prédominance sur les autres personnages est encore manifeste à travers le fait que c’est à ces deux amants qu’incombent les deux passages en stances de la pièce.
Sujet de la conquête de la femme aimée, Armidore est, nous l’avons vu, le personnage le plus présent de la Fidelle Tromperie : il apparaît dans tous les actes, et dans dix scènes sur les dix-huit que comprend la pièce. Par ailleurs, le fait qu’il soit travesti en femme lui confère une grande dimension spectaculaire, que Gougenot ne se prive pas d’exploiter, puisque sur ses dix apparitions, le travestissement est porté huit fois. Il s’agit donc, pour reprendre une expression de Jacques Scherer, d’un héros « prodigué »J. Scherer, op. cit., p. 23-30.
Jeune, beau, courageux et noble, ce personnage a tous les critères du héros. Passionné, il n’a aucune dimension politique malgré son titre de Prince, et est assimilable au type de l’amant, seulement mû par son amour. Certains objets qui lui appartiennent viennent appuyer dans la réalité ses qualités et ses caractéristiques : le portrait d’Alderine d’abord, qui réapparaît trois fois dans ses mains (I, 1 et deux fois en IV, 4), est un signe concret de son amour ; son épée, probablement toujours à ses côtés, témoigne de sa noblesse et de sa vaillance ; le travestissement enfin, connu des spectateurs, est à la fois un témoignage de sa ruse et de son amour.
Armidore est aussi le personnage le plus actif de toute la pièce. Il combat dans deux duels (III) et dans une bataille qui aboutira à la victoire du camp qu’il défend. Il sait aussi bien manier les armes que les mots, comme le manifeste cette réflexion qu’il fait au roi Bruserbe :
Si Mars vous favorise aussi peu que Cyprine, Vous pourrez bien alors quitter la vanité, Privé de la valeur comme de la beauté (III, v. 886-888).
C’est lui, aussi, qui résoudra le problème de la vengeance de Clorisée en rapportant la tête de Filamire et en mettant en scène le procédé de la « tête vivante ». Ces faits prouvent encore son courage, sa noblesse, et son intelligence. Dans son amour pour Alderine, il est tout aussi actif : c’est lui qui décide de se travestir pour surmonter le premier obstacle que constitue l’enfermement de sa bien-aimée :
Amour veut pour guerir ce soucy qui m’enflame, Que je cache Armidore aux habits d’une Dame (I, 1, v. 109-110).
Dans cet amour, qui semble parfois impossible à cause des obstacles qui viennent s’y opposer, le personnage acquiert une dimension tragique, et une certaine épaisseur :
Je suis, je ne suis pas, ô rigoureux martyre ! Mon nom est Armi, mais las ! le dois-je dire ? Ouy, non, si je le dis, je crains, je le diray, Le diray-je ? il le faut, non feray, si feray (IV, 4, v. 1529-1532).
Son dilemme, qui le fait osciller entre son masque et sa véritable identité, manifeste la part de doute et de précarité inhérente au personnage du prince travesti, qui n’est pas toujours maître de ce qu’il fait.
Malgré tout, Armidore est bien celui qui tire les fils de l’intrigue. Il décide de se travestir, ce qui le rend maître du jeu – jeu qu’il entretient en préparant les autres personnages à ne douter jamais de sa véritable identité : c’est la fonction du récit de ses aventures lors de la tempête et du combat avec le corsaire, récit créé en duo avec Clidame (I, 2), et entièrement destiné à attester de la réalité de la force et du courage d’une femme. Lorsque lui échappe le contrôle du déguisement, ce n’est que temporaire : si « Lucide » accepte de servir la reine en combattant Filamire, ce n’est que pour mieux la tromper en mettant en scène un procédé qui la fera changer d’avis.
Elle est en troisième position en ce qui concerne le nombre de répliques des personnages, après Armidore et Clorisée. Elle est seulement présente dans cinq scènes sur dix-huit et n’apparaît ni dans le premier, ni dans le troisième acte. Objet de la conquête amoureuse, jeune et belle, elle est aussi totalement passive. L’aspect le plus intéressant de ce personnage se trouve dans la relation qui l’unit à « Lucide », alors qu’elle n’a pas encore pris connaissance du déguisement. En effet, l’amour, malgré ce dernier, s’empare de son cœur, et crée une certaine ambiguïté chez le personnage, apparemment homosexuel, revendiquant la légitimité de son sentiment :
Mais pourquoy blasmez vous ces aymables desirs ? (…) Pourquoy Lucide et moy par de vivantes forces, Ne sentirions-nous point d’amoureuses amorces ? (…) Pourquoy, blasmer Lucide, et trouver tant estrange Que sa saincte amitié à la mienne se range ? (II, 2, v. 476-486)
Mais cette revendication n’est probablement due qu’à la naïveté d’Alderine, naïveté dont témoigne sa répartie à Florinde qui contestait cette légitimité quelques vers auparavant :
Florinde
(…) l’industrieux Dedale, Qui soulagea Pasiphe en ses sales tourments, Separeroit plustost le corps des élemens, Que de forcer l’amour où nature est contraire, Ainsi Lucide doit de l’abus se distraire.
A quoi Alderine répond, non sans effet comique :
Mamie je ne puis comprendre vos discours ; Ce Dedale a pour moy de trop fascheux destours (II, 2).
Bien sûr, ce développement du thème homosexuel est un topos de celui de la conquête du prince travesti, et il faut voir en lui un procédé dramatique, qui vise à réjouir le public par l’entretien d’une situation ambiguë, plutôt qu’une véritable déviance de la princesse. D’ailleurs, la révélation du travestissement permettra de redéfinir a posteriori l’ambiguïté : si Alderine est tombée amoureuse d’une femme, c’est que, quelque part, elle se doutait que ce n’en était pas vraiment une.
Le couple en tant que tel n’existe pas avant la dernière scène de la pièce, au cours de laquelle le mariage de ces deux personnages est décidé, et la relation amoureuse réciproque substituée à la haine que portait la reine au roi qui l’avait trompée. Ils sont liés par un lien de parenté avec Alderine, parenté qui justifie une structure à deux couples relevant de la tendance de la tragi-comédie à la multiplication des personnages.
Clorisée est, nous l’avons déjà dit, le deuxième personnage important de la pièce. Elle apparaît dans une scène de moins qu’Armidore, soit dans neuf scènes, et elle est, avec lui, le seul personnage à apparaître dans tous les actes. Cette reine a une dimension spectaculaire, qui apparaît notamment à travers les vêtements que le dramaturge veut lui faire porter à la deuxième scène des actes IV et V, où elle est vêtue en « sa Majesté » et en « Amazone », vêtements qui traduisent son pouvoir et son courage de manière visuelle, tout en contribuant à la diversité de la scène vue par les spectateurs.
Ses élans passionnés ne sont pas moins spectaculaires : son désir de vengeance, exprimé en I, 2 notamment, sa colère qui éclate contre Bruserbe (III), ou contre l’Ambassadeur (V, 2), impressionnent par leur intensité, et la vigueur de ses sentiments se manifeste dans le texte par l’emploi du mot « fureur » qui vient souvent la qualifier. Son autorité, l’utilisation de son pouvoir, sont parfois à la limite de la tyrannie : elle ne supporte pas qu’on discute ses volontés, comme en témoignent ces vers,
Et le mien [mon esprit] ne cerche point d’advis, Regardez seulement que les miens soient suivis. Mon vouloir ne veut point icy de resistance (IV, 3) ;
comme le montre encore sa décision d’employer sa fille comme appât pour réaliser sa vengeance. De fait, le comportement qu’elle adopte, par son charisme et son autorité, compense l’absence du roi, qu’elle sait parfaitement remplacer.
Cependant, ce personnage n’est pas non plus totalement imprégné par la haine. En effet, ses « fureurs » l’écartèlent entre deux directions contraires, deux passions opposées mais égales : son amour et son mépris de Filamire.
Deux fureurs font en moy deux excez violens, Le malheur entretient mes amours insolens Et l’honneur me retient au soin de la vengeance (v. 191-193). Comme espoux je luy dois un amour veritable, Et comme desloyal, une mort miserable (v. 821-822). J’ayme le traict mortel dont je suis traversée (v. 826).
D’ailleurs, sa décision de le tuer et de mourir ensuite est en accord avec son dilemme : elle lui permet de sauvegarder son honneur par la mort de celui qui l’a trompée, tout en conservant son amour pour lui, qu’elle prouve en le suivant dans l’au-delà :
Car comme par sa mort je dois estre vangée, Il faut par mon trépas que je sois soulagée (v. 1234-1235).
Le personnage acquiert ainsi une certaine épaisseur.
Un autre aspect très intéressant de Clorisée est une sorte de paranoïa qui l’atteint, impliquant un sentiment de persécution dont des puissances supérieures seraient responsables, s’acharnant sans cesse sur elle, et complices de Filamire auquel elles sont toujours favorables :
Et semble que le Ciel approuve ses conquestes (v. 746). Et bien que ce trompeur merite cent supplices, Il semble que les Dieux devenus ses complices, Veulent en sa faveur destruire les humains. La victoire tousjours demeure entre ses mains (v. 1197-1200). Les dieux sont devenus mes cruels ennemis, (…) Bref, la terre et le ciel obstinez contre moy, Ont destiné ma vie au bon-heur de ce Roy (v. 2175-2184).
En ce qui concerne son utilité dramatique, le personnage de Clorisée est un opposant – involontaire, certes – à la réalisation des désirs amoureux d’Armidore, par l’emploi qu’elle veut faire de « Lucide ». Mis à part ses élans passionnés, elle est relativement passive.
L’arrivée de ce personnage est attendue dès la deuxième scène du premier acte, au cours de laquelle Clorisée se plaint de ce « parjure », mais elle ne sera effective qu’au cinquième acte. Absent du reste de la pièce, il apparaît seulement dans trois scènes, mais sa présence soudaine se fait particulièrement sentir. En effet, dans ce dernier acte, il parlera plus qu’Armidore, et c’est à lui, nouvelle autorité, que reviendra le privilège de clore la pièce. Par ailleurs, c’est lui qui rend le dénouement possible, et c’est sans doute pourquoi il intervient si tard : il donne la victoire à Chypre avec l’aide de « Lucide » en combattant dans la bataille ; sa simple présence, dans une mise en scène organisée par le prince travesti, met fin à la haine de la reine ; et ce dernier renversement permet aux deux amants de s’aimer en toute légitimité.
Son statut de personnage de tragi-comédie est un peu difficile à cerner. En effet, ni père, ni roi, malgré le fait qu’il le soit, Filamire semble devoir plutôt être assimilé au type de l’amant volage, sorte de Hylas, en plus raisonnable puisqu’il se limitera à deux conquêtes. C’est ce qui apparaît à travers les quatre premiers actes, où on le qualifie sans cesse de « trompeur », de « parjure », de « desloyal », de « traistre »… . Cependant, lorsqu’il apparaît enfin, ce n’est pas pour tenir les mêmes propos que l’inconstant de l’Astrée, ou pour justifier sa conduite passée, mais bien pour se conduire en roi – il sauve Chypre et fait emprisonner les rois ennemis, il présente sa « poitrine coulpable » à la reine (V, 5) –, et pour parler en roi, ne niant pas la faute qu’il a commise et voulant au mieux la réparer, acceptant, résigné, les arrêts du Ciel :
Essuyez, s’il vous plaist ces inutiles pleurs, La mort veut le silence et non pas les douleurs. La perte de Clarinde, est une œuvre secrette, Dont le Ciel veut punir mon erreur indiscrette : Vivante elle me fit de vos yeux separer, Et morte elle me faict mon crime reparer (V, 7).
Ainsi, le personnage de Filamire paraît être hybride : décrit par les autres, c’est un monstre de lâcheté, un inconstant sans pitié, qui n’a pas hésité à abandonner une femme enceinte ; mis en scène, c’est un roi courageux, et responsable.
Chacun de ces personnages est proche d’un des deux héros : Armidore pour Clidame et Clorisée pour Tersandre. C’est d’ailleurs dans cette fonction de proche, parfois de confident, qu’on les retrouve le plus souvent. Ils jouent quelquefois le rôle de bonne conscience de ceux qu’ils conseillent quand ils sont en désaccord avec leurs décisions, mais ils ne sont jamais écoutés
L’aspect le plus intéressant de ces deux personnages ne réside cependant pas dans leur fonction de proche, de conseiller, ou dans leur emploi – militaire ou non –, mais bien dans la mise en scène à laquelle se livre le dramaturge lorsqu’il les réunit tous les deux. En effet, dans certaines scènes, lorsque Clidame et Tersandre sont ensemble, c’est pour prendre du recul par rapport à l’action, afin de mieux l’appréhender (II, 3) :
Monsieur, je ne sçaurois fonder qu’avec[que] peine, Tant de divers effects en l’esprit de la Reine, (…).
Parfois pour la critiquer (IV, 3) :
Que ceste passion estourdit les esprits ! Qu’elle cause de mal à ceux qu’elle a surpris.
Ou encore pour exprimer leur ignorance quant à ce qui se passe (V, 6) :
Je ne sçay quel effect produira tout cecy ;
voire même leur incompréhension (V, 7) :
Dieux ! qu’est-ce que je voy, tout a changé de face, (…) Je doute si je songe, ou si c’est verité, Monsieur, que dites vous de ceste nouveauté ? Mon esprit estonné croit de voir des chimeres.
Dans ces scènes, c’est en véritables allégories du spectateur que se posent Clidame et Tersandre. Comme le public, ils assistent, avec un regard critique, aux gestes des autres personnages, et comme lui, ils sont placés dans la même position d’attente et de surprise devant les événements.
Aristome, Bruserbe et Filamon sont issus du même modèle : tous les trois sont des rois qui ont voulu battre Filamire afin de gagner la main d’Alderine, et tous les trois ont échoué dans cette entreprise et ont été condamnés à servir Clorisée. Cependant, bien qu’issus du même moule, ces rois ne se ressemblent pas et relèvent chacun de types différents.
Aristome est le premier à se présenter à la reine (II, 3), et c’est aussi le moins présent des trois : n’ayant que trente-deux vers à dire, en une seule réplique après laquelle il disparaît définitivement, il ne semble être qu’un prétexte permettant la fin de l’exposition de l’action concernant Clorisée. De plus, il n’a aucun trait particulier qui ferait ressortir un peu sa personnalité. Il en est autrement de Bruserbe, qui apparaît dans quatre scènes (III ; V, 1, 4, 7) et à qui incombent 122, 5 vers. Beaucoup plus présent dans la pièce, son personnage est aussi beaucoup plus imposant : il revendique la main de Clorisée et n’hésite pas à se mettre en colère devant son refus, avant d’essayer de l’obtenir par la force. Filamon, bien que parlant moins, est toutefois le plus intéressant des trois rois, car il est un personnage comique. Il s’agit d’une sorte de fanfaron édulcoré, qui aime se vanter, mais dans une moindre mesure que les soldats que l’on peut rencontrer dans d’autres pièces de l’époque, et qui trouve toujours des excuses absurdes à ses échecs :
L’aspect malencontreux de quelque mauvais astre, Et non pas mon deffaut a causé mon desastre ; Et ce Prince orgueilleux ne m’eust jamais dompté, Sans un secret malheur de la fatalité (III, v. 965-968). La valeur ne peut rien en ce poinct difficile, Où la mienne a manqué toute autre est inutile (v. 989-990).
De même, ayant échoué contre « Lucide », il excuse ainsi son impuissance à la vaincre :
Amour pour me punir est autheur de ses charmes (v. 1029).
Evidemment, comme dans le cas du miles gloriosus, il s’agit de cacher une grande lâcheté qui ne manque pas d’apparaître lorsque « Lucide » sort son épée :
Comment, Prince, avez vous si tost perdu l’audace ? Doncques vostre valeur s’estouffe en la menace. Vostre force ressemble à ces ampoules d’eau, Qui naissent de la pluye (v. 1021-1024).
Il s’agit sans aucun doute du personnage le plus drôle de la Fidelle Tromperie.
Il est à noter que ces rois n’ont aucune dimension politique : même lorsqu’ils déclarent la guerre à Chypre, leur but est avant tout de conquérir les belles qui les intéressent.
Il y a peu à dire sur ces deux personnages. Toutes deux appartiennent au type du confident, type qui s’impose sur la scène théâtrale à partir du début du dix-septième siècle. Elles dépendent totalement de celles à qui elles sont soumises et ne peuvent apparaître sans leur maîtresse : Dorine accompagne Clorisée en I, 2 et 3, III, V, 5 et V, 7 ; Florinde est aux côtés d’Alderine en II, 2 et IV, 2, et elle la suit ou la précède en IV, 4 et V, 5.
En ce qui concerne leurs traits caractéristiques, il est à noter que Florinde joue le rôle de conscience morale de la princesse, dont elle critique les rapports ambigus qu’elle entretient avec « Lucide » :
Où void-on une Dame aymer une autre Dame ? Ce penser seulement ne peut toucher mon ame, Toutes choses s’opposent à de telles amours. La biche ayme son cerf, et l’ourse ayme son ours, Tout suit l’ordre estably des soins de la nature, Lucide seule suit une vaine imposture (II, 3, v. 433-438),
mais sans succès. Dorine, au contraire, est assez fade, et ne se démarque pas de la reine, qu’elle se contente de servir et d’encourager. Une seule fois, elle ose aller plus loin que tous les autres personnages en remettant en question les pouvoirs des dieux dans ce qui paraît être un blasphème :
Son pouvoir [la fortune] absolu s’accorde avec le sort, Ils frappent aussi tost la vertu que le vice, Et le Ciel ne peut rien contre ceste injustice (III, v. 1116-1118).
Mais ce n’est qu’une remarque faite en passant et qui manifeste son indignation face à l’acharnement de la fatalité contre Clorisée.
Dans la décennie 1630, le genre de la tragi-comédie est à son apogée, et la production de pièces de ce type dépasse de loin celle des autres pièces. La tragi-comédie, dont la légitimité est discutée par les Réguliers, devient le bastion des Irréguliers, qui prônent pour le genre le non-respect des règles, et qui s’accordent pour faire de lui le genre divertissant par excellence. Ogier, dans sa Préface à la pièce de Mareschal, Tyr et Sidon (1628), veut adapter le théâtre au public de son temps, « un peuple impatient et amateur de changement et de nouveauté »Dotoli, Temps de Préfaces, Le débat théâtral en France de Hardy à la Querelle du « Cid », Paris, Klincksieck, 1996.
On ne sait si Gougenot a eu vent des différents textes prenant parti pour l’esthétique irrégulière et du débat théorique qu’ils impliquaient, mais nul doute qu’il ne suive la mouvance des Irréguliers, à tel point qu’on a pu lui attribuer le Discours à Cliton. La Fidelle Tromperie s’avère être une de ces tragi-comédies qui multiplie les « accidents et aventures extraordinaires » – pour reprendre une expression de Rayssiguier – afin de plaire au public. Comment Gougenot, en privilégiant par-dessus tout le divertissement dans sa pièce, montre-t-il son appartenance au mouvement irrégulier de l’époque ?
Le travestissement est l’une des sources les plus importantes du spectaculaire de la Fidelle Tromperie. Avant d’étudier de quelles manières le dramaturge exploite ce procédé, il convient de mettre en rapport le choix de ce dernier avec les autres pièces de l’époque.
Le travestissement est récurrent sur la scène de la première moitié du dix-septième siècle, et en particulier dans la tragi-comédie. Il trouve avant tout son origine dans les romans qui connaissent alors le succès : l’Astrée, la Diane de Montemayor, et, bien sûr, l’Amadis de Gaule. Le genre tragi-comique, terreau favorable à l’adaptation d’épisodes romanesques, moderne, a-régulier, ne pouvait manquer de reproduire ces situations plaisantes, parfois ambiguës, auxquelles donnait lieu l’emploi du travestissement. La femme travestie, le plus souvent à la conquête de l’homme qui l’avait abandonnée, fut beaucoup plus exploitée que son équivalent masculin, qu’on retrouve notamment dans Argénis et Poliarque de du Ryer, la Bélinde de Rampale, Agésilan de Colchos de Rotrou, Eurimédon de Desfontaines, et la Cour bergère de Mareschal, pièces où le héros est un roi ou un prince travesti. Lorsque Gougenot a choisi le sujet de la Fidelle Tromperie, c’était donc sans doute aussi en regard des goûts du public contemporain. Il s’agit maintenant de voir comment le dramaturge utilise ce procédé.
Le déguisement d’Armidore est mis en place très tôt dans la pièce, puisqu’il est choisi dès la première scène, à l’initiative du prince lui-même, et porté dès la scène suivante. La nature de ce déguisement est d’être totale : il s’agit de changer à la fois de sexe, de condition, de nom, et de discours, d’où l’effet spectaculaire qui s’en dégage. Dans la mise en scène de ce travestissement, Gougenot se caractérise par un certain souci de vraisemblance, qui apparaît notamment à travers ce vers :
On me prendra pour fille en faveur de mon âge (I, 1, v. 114) ;
l’âge d’Armidore lui permettrait d’endosser un déguisement d’amazone sans que cela puisse être soupçonné. Ce souci apparaît encore à travers le récit de la rencontre avec le corsaire, destiné à duper les autres personnages en fondant l’illusion dans la réalité. Ces deux éléments – l’âge et le récit – font passer pour vraie l’identité empruntée auprès des autres personnages, et, par la même occasion, le rendent moins invraisemblable aux yeux des spectateurs. Le risque d’être soupçonné d’une supercherie avait d’ailleurs été montré par une réplique de Clorisée, qui soulignait la ressemblance de « Lucide » avec un homme, Filamire :
Dieux, qu’est-ce que je voy ! ce port et ceste face, Ceste douceur, ces yeux, ces gestes, ceste grace, Se rapportent si bien aux traicts de ce trompeur, Que l’âge seulement en esloigne ma peur (I, 2, v. 233-236).
Après avoir mis en place ces éléments censés rendre indétectable le déguisement, le dramaturge joue avec le système de vraisemblance qu’il a lui-même créé. Les duels de l’acte III, et la scène de bataille de l’acte V créent – pour reprendre une expression de Georges Forestier – un « effet de distorsion » entre l’être (forte) et le paraître (femme) de « Lucide », qui n’est pas sans réjouir le spectateur. On peut même aller jusqu’à reprendre l’ensemble de la réflexion de ce critique, réflexion qui s’appliquait à la scène 6 du troisième acte d’Agésilan de Colchos, et qui correspond aussi à ces scènes de la Fidelle Tromperie : « toute la scène a été construite pour susciter l’effet de distorsion sans pour autant rompre l’opacité du déguisement. Par là, l’invraisemblance est inscrite au cœur de cette construction ; elle présuppose donc la convention, par quoi toute prise est ôtée à la critique de vraisemblance »Forestier, Esthétique de l’identité dans le théâtre français, Genève, Droz, 1988, p. 254.
Ces effets ne sont pas les seuls à être recherchés par le dramaturge. D’autres, d’ordre verbal, jouent encore sur la dualité du masque et du visage. C’est le cas par exemple de ces vers qui peuvent être pris dans un double sens :
Sçachant bien mes deffauts, je crains le changement (II, 2, v. 524) ; Le Ciel a des secrets qu’il cache à nos pensées (III, v. 950) ;
vers qui font allusion au travestissement, et que comprennent celui qui les prononce – Armidore –, et le public, qui se réjouit de comprendre ce que les autres personnages ne peuvent saisir. On pourrait d’ailleurs parler là encore d’effet de distorsion, au niveau du discours, distorsion qui oppose le sens apparent et le sens caché du vers. Ce procédé, conscient chez « Lucide », est présent aussi dans le discours des autres personnages qui emploient parfois, eux-aussi, sans le savoir, des paroles à double entente :
Pleust aux Dieux maintenant que Lucide fust homme, J’estimerois beaucoup l’amour qui la consomme, Un Prince possedant ces belles qualitez, Pourroit lors à bon droict adorer vos beautez (II, 2, v. 537-540).
Florinde, à qui incombent ces vers, fait allusion à un changement de sexe qu’elle ne sait pas être possible, à la différence du public et de « Lucide ».
Autre forme qui joue sur le procédé du déguisement, et qui est souvent reprise dans le thème de la conquête du prince travesti : l’équivoque sexuelle – la bien-aimée tombant « amoureuse » de la fausse amazone. Ce jeu avec l’ambiguïté, qu’on trouve dans d’autres pièces de la même époque comme L’Hospital des fous, Eurimédon, Argénis et Poliarque, la Cour bergère, la Bélinde, Agésilan de Colchos, Cléagénor et Doristée, l’Amante ennemie, – dans lesquelles une femme, ou un homme, sont séduits par l’homme travesti, ou bien une femme tombe sous le charme d’une autre femme travestie –, ce jeu donc, est repris par Gougenot dans la Fidelle Tromperie, avec une dimension plus transgressive : car non seulement Alderine est charmée par « Lucide », mais elle revendique encore la légitimité de son sentiment amoureux,
Mais pourquoy blasmez vous ces aymables desirs ? Pourquoy Lucide et moy par de vivantes forces, Ne sentirions-nous point d’amoureuses amorces ? (II, 2)
Le public se réjouit de ces scènes où est développée une apparente homosexualité d’Alderine, mais il reste que – pour reprendre encore des propos de Georges Forestier –, « le jeu des apparences en réduit grandement la portée, car son attirance pour une jeune fille se révélera au bout du compte non point le résultat d’une déviance, mais la marque d’une sorte de clairvoyance ; d’autre part, il faut bien souligner que ce trouble ne sort pas des limites de la bienséance »Forestier, op. cit., p. 373.la Fidelle Tromperie (IV, 4), et certaines pièces de la même époque allaient parfois beaucoup plus loinScherer, op. cit., p. 402 et suivantes.
Madame, quand le sort de vos yeux me separe, La mort en mesme temps de mon ame s’empare, Je me brusle en ma crainte, et me noye en mes pleurs, Je sens de tous costez de nouvelles douleurs, Je parle à vos beautez que je vois en images, Et dis en ceste sorte, ô celestes ouvrages, Miracles que ma foy peut seule concevoir, Tant de perfections me veulent decevoir, Et ce ressouvenir aliment de mon ame En cet excez d’ardeur se redouble et s’enflame, Me retraçant l’object de vos divinitez, Lors mon ame s’envole au ciel de vos beautez. Je ne puis recognoistre en ce desordre extréme, Si ce n’est qu’un extase, ou si c’est la mort mesme, Mais que ce soit la mort, ou le ravissement, Je ne puis supporter ce triste esloignement (II, 2, v. 501-516).
Ces vers ne sont pas dénués d’un certain érotisme, car c’est bien le récit d’une sorte de fantasme que fait « Lucide » en parlant de ces « beautez » qu’elle voit « en images » et qui l’émeuvent au point qu’elle en soit physiquement transportée.
Ainsi, le travestissement est bien la source de multiples effets spectaculaires, qui sont autant de réjouissances offertes au spectateur.
Le travestissement est, certes, une forme divertissante, mais ce n’est pas la seule. La Fidelle Tromperie exploite également certaines formes de violence qui, elles aussi, sont appréciées par le public des années 1630. Par ailleurs, le recours au merveilleux, l’expression des passions, font encore partie de ces éléments dont le but est de plaire.
La violence de la pièce de Gougenot se manifeste d’abord à travers les deux duels (III) et la scène de la bataille (V, 4). Les duels sont fréquemment représentés dans le théâtre de l’époque ; ils mettent en danger la vie du héros, font craindre aux spectateurs une mauvaise issue, et, lorsqu’ils sont gagnés par le protagoniste, témoignent alors de sa valeur et de son courage. La bataille sur scène est plus rare, mais aussi plus spectaculaire : on la retrouve par exemple dans la Dorinde d’Auvray, où la ville de Marcilly est prise d’assaut, ou encore dans la Sœur valeureuse de Mareschal, et dans l’Amant libéral de Guérin de Bouscal. On peut imaginer l’effet que devait produire la vue de soldats, sans doute armés d’épées et de lances, de boucliers, en armure, se jetant à l’assaut d’une forteresse…
Mais la violence de la Fidelle Tromperie ne se présente pas seulement sous la forme de combats ; on la rencontre encore dans d’autres confrontations avec la mort. Dans la pièce, deux personnages tentent de se suicider : « Lucide », dont l’aveu de son stratagème a provoqué la colère de sa bien-aimée, veut mettre fin à ses jours (IV, 4),
Astres, arbres, buissons, rochers, ombres, ruisseau, Reservez le sang d’Armidore, Si vous voyez encor la beauté que j’adore, Faites luy toucher mon tombeau (v. 1657-1660).
Florinde l’en empêche alors. De même Clorisée, qui se découvre être dupe de « Lucide », décide d’abréger ses souffrances (V, 5) :
Laisserois-je eschapper ceste fatale espée, Sans tirer des malheurs ce miserable corps, Qui ne demande plus que la gloire des morts. Puis que ceste trompeuse a manqué d’asseurance, Je veux à son deffaut (v. 2186-2190).
Mais elle est arrêtée dans son élan par « Lucide ». Il faut remarquer que dans les deux cas, il s’agit d’un personnage principal, auquel le public est nécessairement attaché : le dramaturge, en leur confiant ce geste qui se veut fatal, fait encore craindre pour l’issue de l’intrigue, et suscite ainsi l’effroi des personnes qui y assistent. L’évanouissement relève aussi de ce jeu avec la violence et la mort : Alderine qui « se pasme » (IV, 2) est comme morte, et fait appréhender une fin tragique.
Un autre procédé peut encore susciter quelques émotions chez les spectateurs : il s’agit de la mise en scène de la « tête vivante ». Bien avant que n’arrive Filamire, dont le « chef » est tant attendu par la reine, les rois Aristome, Bruserbe et Filamon préfiguraient déjà la mise en scène, en apportant leur propre tête à la place de la sienne. Aristome se présentait ainsi à Clorisée :
Filamire en ma grace achevant sa conqueste, Met en vostre pouvoir ma fortune et ma teste(II, 3, v. 593-594).
Et la reine fait encore allusion à d’autres « têtes » venues la trouver après avoir échoué contre le père d’Alderine :
Pardonnez-moy, Monsieur, desja cinq Chevalliers, Que l’honneur immortel a couvert de lauriers, Vaincus de ce cruel, m’ont apporté leurs testes(III, v. 743-745).
De fait, lorsque « Lucide » met en scène le fameux procédé (V, 5), elle indique par le même geste que l’emploi de cette fausse mort est désormais codé, puisque même les personnages, nouveaux dramaturges, l’utilisent. Il faut remarquer aussi que son usage n’est pas sans rappeler les véritables têtes coupées que le théâtre du seizième et du début du dix-septième siècle mettait parfois en scène, comme dans l’Argénis de du Ryer (III, 1), pièce contemporaine de Gougenot, où le personnage d’Arcombrotte porte la tête de Licogene au bout d’une lance – procédé qui, certes, suscitait l’horreur du public, mais qui était apprécié.
Toutes ces formes de violence seront progressivement éliminées de la scène du théâtre, avec la volonté des dramaturges de respecter les bienséances qui s’imposent alors. Lorsque Gougenot écrit sa pièce, ces éléments ne sont encore que des moyens – fréquents et appréciés – de susciter l’émotion du public.
La rhétorique passionnelle est un autre élément du spectacle. Son but est de faire partager au public, par tous les moyens, les émotions, les passions qui transportent les personnages, et le genre de la tragi-comédie y a très souvent recoursGuichemerre, La Tragi-comédie, Paris, PUF, 1981, p. 198 et suivantes.
Dans la Fidelle Tromperie, le discours amoureux est le premier à déployer une telle rhétorique. Il faut dire que la pièce ne contient pas moins de 116 occurrences du terme « amour », dont 43 uniquement dans le premier acte, manifestation la plus flagrante du fait que c’est bien lui qui est au centre de tous les intérêts. Le mal d’amour est, quant à lui, exprimé avec des métaphores plus que fréquentes pour l’époque : celle des « traits » que tire le dieu aveugle et qui blessent profondément le cœur revient couramment sous la plume de Gougenot (v. 20, 278, 640, 826, 1940) ; celle des « feux », symbole de la passion amoureuse brûlant l’amant, est encore plus fréquente (v. 4, 11, 54, 138, 195, 318, 570, 753, 773, 867, 1150, 1316, 1354, 1480, 1526, 1557). La femme aimée fait l’objet de multiples comparaisons et métaphores, issues de la tradition pétrarquiste. On retrouve régulièrement ces figures dans la pièce, mais elles sont particulièrement concentrées dans deux passages : d’une part, dans le monologue d’Armidore qui ouvre le premier acte, tenant un portrait d’Alderine ; d’autre part, toujours dans la bouche du même personnage, dans la description qu’il fait de sa bien-aimée à Clidame (II, 1, v. 351-386). La comparaison de la femme aimée avec le « Soleil », que Roger Guichemerre disait si caractéristique de Rotrou, se trouve également dans les vers de Gougenot :
Je verray les cachots où luit mon beau Soleil(I, 1, v. 104),Ses cheveux qui l’or pur divinement colore, (…) Peuvent estre à bon droict mis en comparaison, Aux rais dont le Soleilenrichit l’orison (II, 1, v. 357-360).On retrouve encore cette comparaison aux vers 3, 41, 108, 364, 1323, 1544, 1583.
Le portrait fait par « Lucide » (II, 1) s’applique encore à comparer chaque partie de son corps à des dieux de l’Antiquité :
Son beau front où l’honneur releve sa victoire, Est un Ciel où l’on void deux Iris en leur gloire, (…) Quand son double corail l’un à l’autre se touche, Il forme l’arc d’amour figure de sa bouche, (…) L’albastre de son col des graces le tableau, De ce nouvel Olympe est un Atlas nouveau, (…).
L’utilisation de l’objet qu’est le portrait soutient matériellement le discours amoureux, et le portrait donne naissance au texte qu’il inspire. Il est intéressant de reproduire cette réflexion d’Hélène Baby à ce sujetBaby, op. cit., p. 218-219.
(…) Le portrait, grâce à la peinture du corps (ou d’une partie du corps), actualise la présence de l’être aimé, et l’image du corps, comme la parcelle du corps,
devientl’être aimé. On détruit le portrait, on le frappe, on l’embrasse, on lui parle, comme l’on ferait avec la personne représentée.
C’est exactement ce qui se passe avec Armidore (I, 1). Ce dernier est tellement touché par la représentation d’Alderine, qu’il ne peut s’empêcher de se demander s’il ne s’agit pas d’une réalité :
Non, je croy que ce corps a quelque sentiment, Son œil suit mes regards d’un égal mouvement (v. 31-32).
La souffrance est un autre sentiment que le dramaturge entend partager avec les spectateurs. Tout un champ lexical est développé autour de ce thème ; les termes « ennui », « peine », « soins », « soucis », « tourment », « travail », et leurs dérivés apparaissent sans cesse pour tenter d’appréhender le calvaire que semblent devoir supporter ces personnages. Le dilemme de Clorisée, qui est la source d’un véritable supplice pour elle, est fréquemment reproduit. L’image la plus frappante qui l’évoque est concentrée dans un seul vers, qui résume bien ce qu’elle peut subir :
J’ayme le traict mortel dont je suis traversée (v. 826).
Enfin, certaines formes d’écriture théâtrale contribuent encore au spectacle du vers, que ce soit en exprimant encore les souffrances de ceux qui parlent ou pour témoigner d’autre chose. Monologues, stances, dialogue en stances, oracle, font entrer le public au cœur des passions et l’émeuvent d’autant plus qu’il s’agit souvent de formes dont la versification bouleverse l’ordre – presque monotone – établi par l’alexandrin.
En premier lieu, les monologues d’Armidore (I, 1), de Clorisée (I, 2) et de Filamon (IV, 1) confrontent les spectateurs à l’exposition personnelle, lyrique, des émotions de l’orateur – passion amoureuse dans le cas du prince, haine dans celui de la reine, doute quant à Filamon. L’emploi de procédés rhétoriques augmente la longueur des monologues et celle des tirades en en faisant de véritables morceaux de bravoure, par le triplement de l’expression,
Il me semblesouvent que cet œil me caresse,Il me ritquelquefois, mais en finil me blesse(v. 21-22) ;
par l’emploi d’un rythme binaire,
Tantostil me paroist un éclair amoureux,Et tantostil me semble un foudre rigoureux (v. 23-24) ;
et d’autres procédés, qui permettent de saisir toutes les nuances des émotions exprimées.
Les stances connaissent beaucoup de succès à l’époque de Gougenot : « De 1630 à 1634, on les trouve dans près de la moitié des tragi-comédies »Scherer, op. cit., p. 295.La Fidelle Tromperie contient deux longs passages en stances (IV, 4 et V, 3), dans lesquels les personnages expriment leurs inquiétudes, leurs passions de manière bouleversante. Il est à noter que le dramaturge recherche une certaine diversité dans leur emploi, comme le démontre l’adoption de deux schémas strophiques radicalement différents, l’un favorisant la différence dans la disposition des rimes (V, 3), l’autre privilégiant la diversité par le choix de différents mètres (IV, 4). Le dialogue en stances, duo pathétique, qui prolonge le monologue de « Lucide » au quatrième acte est tout aussi lyrique. Il ne s’agit pas d’une forme originale, on le trouve dans d’autres pièces de l’époque, comme Gustaphe (III, 4), L’Aveugle de Smyrne (V, 3), La Cour bergère (II, 2), La Céliane (I, 4), Le Prince déguisé (II, 6).
L’oracle (V, 3) est encore une forme qui bouleverse la versification. Intervenant juste après les stances d’Alderine, la voix merveilleuse fait encore partie du processus lyrique, d’autant plus qu’elle n’est convoquée que pour plus de spectacle : son emploi n’a aucune conséquence sur l’action.
La Fidelle Tromperie est-elle une pièce qui relève de l’esthétique baroque ? Certains éléments étudiés précédemment peuvent en effet nous amener à poser la question. Nous parlions plus haut du pouvoir suggestif des mots qui cherchent à parler à l’imagination et à la sensibilité du public, et qui manifestent l’aspect ostentatoire de la pièce de Gougenot – et c’est peut-être déjà là une caractéristique baroque. Par ailleurs, certains thèmes abordés dans la pièce sont non seulement fréquents dans le théâtre de l’époque, mais ils ont aussi été apparentés à l’esthétique baroque. Quels sont-ils, et comment le dramaturge les adapte-t-il ?
La destinée, dans la tragi-comédie, est une fée capricieuse et joueuse, méchante sans cruauté, qui marche en dansant et en ligne brisée, n’accablant l’homme que pour le relever, le jetant de péripétie en péripétie comme une balle dont elle s’amuse. Aussi le héros n’est-il ici ni Œdipe ni Ulysse, ni écrasé ni triomphant, mais jouet lancé et relancé par une main insaisissable et toujours changeante ; il va de surprise en surprise, (…) dans un monde qui n’est jamais ce qu’il paraît (…). Rousset, Jean, La Littérature de l’âge baroque en France : Circé et le Paon, Paris, José Corti, 1954, p. 59.
C’est bien ainsi que s’éprouvent les héros de la Fidelle Tromperie, qui se sentent de véritables jouets dans les mains de forces qui les dépassent. Nous l’avons déjà vu en ce qui concerne Clorisée, personnage qui se croit victime de la fatalité, toujours du mauvais côté de la roue, mais ce n’est pas la seule à ressentir l’action de ces puissances qui semblent se divertir avec l’homme. Bruserbe,
Fortune rigoureuse, on void bien maintenant, Que tant plus les humains te vont importunant, Ils esprouvent tant moins ton secours favorable (III, v. 911-913) ;
Filamon, retraçant les brusques coups du sort qu’il vient d’essuyer,
Je voulois surmonter le Soleil des guerriers, Une fille me dompte et m’oste mes lauriers. Je vivois en l’amour d’une beauté Divine, Mais il faut que ce feu s’esteigne en ma poitrine (IV, 1, v. 1147-1150) ;
« Lucide »,
Destins repentez-vous, que vostre inimitié Retire ses traicts miserables, Mais, helas ! vos decrets estans irrevocables, Vous ne sentez point la pitié (IV, 4, v. 1633-1634) ;
Alderine, dont les stances développent particulièrement le thème des renversements de situation dus à la fortune,
Que les secrettes destinées, Nous font voir d’estranges destours, Et que les suittes des années Ont de bons et de mauvais jours. (…) On void par tout dessus la terre, Rouler d’un desordre fatal, Tantost la paix, tantost la guerre, Tantost le bien, tantost le mal (V, 3, v. 1851-1864) ;
tous les personnages s’accordent pour exprimer ce sentiment d’impuissance face à la fortune, le sort, la fatalité… qui décident de leur bonheur ou de leur malheur, sans qu’ils puissent intervenir. Le héros baroque est dans un monde qu’il sait changeant, et sa seule certitude est que, comme souvent les personnages du théâtre contemporain le répètent, tout change. Dans ce « monde volage » – pour reprendre une expression d’Alderine –, le héros est lui-même incertain et ne cesse de se remettre en question :
Je suis, je ne suis pas, ô rigoureux martyre ! Mon nom est Armi, mais las ! le dois-je dire ? (IV, 4, v. 1529-1530).
Et le travestissement est un moyen de poser la question de l’identité, en jouant avec la dualité du masque et du visage. Ainsi, on peut sans doute voir là une caractéristique baroque de la pièce de Gougenot.
Le théâtre baroque est souvent défini comme un théâtre réflexif, c’est-à-dire comme portant un regard sur lui-même, phénomène dont la manifestation la plus flagrante est le recours au procédé du théâtre dans le théâtre – que Gougenot a d’ailleurs employé dans la Comedie des Comediens. Mais il ne s’agit que d’une des formes que peut prendre ce regard, comme nous pouvons le voir en étudiant la Fidelle Tromperie sous cet angle.
La confusion entre le rêve et la réalité est un thème fréquemment abordé sur la scène de la première moitié du dix-septième siècle. Dans de très nombreuses pièces, les personnages s’exclament, comme Clidame et Tersandre (V, 7) :
Je doute si je songe, ou si c’est verité (v. 2299), Mon esprit estonné croit de voir des chimeres (v. 2301) ;
comme pour témoigner qu’ils sont presque conscients d’appartenir au monde du théâtre, dans le theatrum mundi – topos de la scène contemporaine.
Certes, la Fidelle Tromperie ne contient pas de pièce intérieure, mais d’autres éléments sont des formes de jeu avec la théâtralité : Clidame et Tersandre, allégories des spectateurs ; Armidore, se mettant en scène lui-même comme un personnage, fondant son identité fictive dans la réalité scénique, faisant jouer à leur tour les autres personnages comme des marionnettes dans une mise en scène personnelle … – nous avons déjà vu tout cela. Tous ces éléments sont des effets de théâtralité qui révèlent la réflexivité de la pièce de Gougenot. Cependant, il faut dire que ce phénomène n’est pas spécifiquement baroque : certes, ces effets sont particulièrement employés pendant la période dite « baroque », mais les dramaturges y ont aussi recours pendant tout le dix-septième siècle, y compris dans la période classiqueLe Théâtre dans le théâtre sur la scène française du dix-septième siècle, Genève, Droz, 1996 (1ère édition 1981).
Enfin, le titre que nous étudions dans les premières pages de cette introduction prend aussi une autre dimension si on l’assortit à l’esthétique baroque. Nous avons déjà vu que la Fidelle Tromperie répondait sans doute à une mode du titre de forme oxymorique, mais plus encore, cette mode semble appartenir de plain-pied au baroque. En effet, on a souvent défini le genre comme aimant jouer sur le thème des « apparences trompeuses », qui relève aussi de la question de l’identité – à travers la dialectique du masque et du visage –, et de la question de la vérité – à travers celle du réel et du songe. Avec la « fidelle tromperie », on est au cœur de ce système : où est la vérité ? quelle est l’identité ? Au-delà de cette première interprétation du titre de la pièce de Gougenot, c’est peut-être tout un enjeu dramatique qu’il faut voir : car une « fidelle tromperie », n’est-ce pas aussi l’enjeu de toute représentation théâtrale ?
La présente édition a été effectuée à partir de l’exemplaire de l’édition originale disponible à la bibliothèque de l’Arsenal (fonds Rondel) sous la côte Rf 6204. Il s’agit d’un volume de format in-8° dont les cahiers sont constitués de quatre feuillets, soit huit pages. Il ne contient pas l’extrait du Privilège du Roi. Il se présente ainsi :
Page I (cahier a) :
LA / FIDELLE / TROMPERIE. / TRAGI-COMEDIE. / Par le Sieur GOUGENOT, Dijonnois. / fleuron du libraire / A PARIS, / Chez Anthoine de Sommaville, / dans la petite Salle du Palais, à / l’Escu de France. / M.DC.XXXIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Page II : blanc.
Pages III à VII : Argument.
Page VIII : Acteurs.
Pages 1 à 158 (cahiers A à U) : La Fidelle Tromperie.
L’Ere Baroque en Francela Fidelle Tromperie. A celui que nous avons consulté s’en ajoutent quatre autres, eux aussi datés de 1633 : le premier se trouve aussi à l’Arsenal (cote : 8 BL 14176), le second à la bibliothèque du British Museum (Londres), le troisième à la Boston Public Library (U.S.A.), et enfin un exemplaire se trouve à la bibliothèque de l’université John Hopkins (Baltimore, U.S.A.). D’autre part, est recensé aussi un exemplaire daté de 1634, qui est également consultable à la bibliothèque de l’Arsenal (cote : 8 BL 14177).
Le second exemplaire de l’Arsenal, datant de 1633, est semblable à celui sur lequel nous avons bâti cette édition. En effet, tout ce qui concerne la Fidelle Tromperie paraît à première vue identique (texte, pagination, éditeur, frises, bandeaux, lettrines, absence de l’extrait du privilège du roi), mais l’ouvrage, qui s’intitule Théâtre de Gougenot (sur la tranche), contient aussi la Comedie des Comédiens. L’éditeur n’est pas le même pour les deux pièces (A. de Sommaville dans le cas de la Fidelle Tromperie, P. David en ce qui concerne la Comedie des Comediens), et un extrait du privilège du roi est donné à la fin de la Comedie, qui ne concerne que celle-ci. Tous ces éléments nous amènent à penser qu’un libraire, ou un bibliothécaire, en possession de deux ouvrages distincts, – dont l’un est en fait une réplique de celui sur lequel nous avons travaillé –, a réuni sous une même couverture ces deux pièces, créant ce qu’on appelle un « recueil factice ».
Le troisième exemplaire de l’Arsenal, daté de 1634, est lui aussi joint à la Comedie des Comediens éditée par P. David, mais la couverture de l’ensemble porte cette fois le titre : Fid. Trom. / Com. des Comed. sur la tranche. En ce qui concerne la Fidelle Tromperie, le fleuron de l’éditeur n’est pas le même que celui des exemplaires de 1633, malgré le fait qu’il s’agisse toujours d’Anthoine de Sommaville. De plus, il contient une dédicacela Fidelle Tromperie (exemplaire de 1634) en annexe (Appendice VII).la Fidelle Tromperie est datée de 1634, la Comedie des Comediens, quant à elle, est datée de 1633, et il s’agit de la même édition que celle contenue dans l’exemplaire que nous examinions précédemment. Hormis ces trois éléments, – date, fleuron et dédicace –, tout le reste semble identique dans la tragi-comédie. Il est à noter que cet exemplaire porte des marques de découpage, qui tronque parfois en partie les didascalies inscrites dans la marge, ou bien encore les contourne, indice que les deux pièces – qui toutes deux sont ainsi mutilées – n’étaient pas destinées à être rassemblées sous ce format. Ces nouvelles preuves, – année de publication différente pour les deux pièces, découpage « sauvage »… – nous confortent dans l’idée que nous sommes confrontés ici encore à un recueil factice.
Un lexique situé à la fin de l’ouvrage permettra d’éclaircir les problèmes de vocabulaire éventuels qui peuvent se poser au fil de la lecture. Nous y renvoyons par un astérisque à chaque apparition d’un mot problématique récurrent dans la pièce. Lorsqu’un terme présentant une difficulté de compréhension n’apparaît qu’une fois, nous signalons alors son sens par une note. Nous n’avons pas jugé nécessaire de faire figurer dans le lexique les termes dont le genre a changé et qui ont gardé la même signification qu’aujourd’hui.
Les notes ont été ajoutées dans une volonté d’éclaircissement et de meilleure saisie du texte. Ainsi pourront y figurer des remarques d’ordre grammatical, lexical, didascalique, ou d’ordre plus général.
Les numéros de ligne de l’Argument et les numéros de vers de la Fidelle Tromperie auxquels nous faisons allusion renvoient à la présente édition ; la pagination et les numéros de cahier, signalés entre crochets, renvoient à l’édition originale. Nous avons attribué au premier cahier de l’édition originale, qui ne possède pas de pagination, la lettre a, ainsi qu’une pagination en chiffres romains.
Les orthographes différentes d’un même mot ont été reproduites dans le respect du texte. Le tilde (~) a été remplacé par la lettre correspondante, -n ou –m ; le - développé en –ss ; le –u et le –v, le –i et le –j, initialement confondus, ont été distingués. La différence entre a / à et ou / où, assez rarement respectée, a été rétablie. Les abréviations ont été développées.
Nous avons ajouté entre crochets ce qui avait été « oublié », c’est-à-dire certains noms de personnages au début des scènes, ou encore la syllabe –que au mot « avec » lorsqu’elle s’avérait nécessaire pour la construction de l’alexandrin.
A l’acte III, nous avons également uniformisé les différents noms donnés à Filamon avant chacune de ses répliques. En effet, le personnage était désigné tour à tour sous les noms de « Filamon, Prince d’Hyrcanie » [62, H], « Roy d’Hyrcanie » [63, H], « Roy d’Hyrcanie, Filamon » [64, H], « Roy Filamon » [65, I], « Filamon » [65-68, I]. Pour plus de clarté, hormis la première occurrence qui ajoute le titre de noblesse du personnage, nous avons remplacé toutes ces expressions par « Filamon ».
La ponctuation de l’édition originale a également été respectée, à l’exception de ce que nous jugeons être des incorrections. Nous rappelons que la ponctuation de l’époque ne répond pas aux mêmes critères que celle d’aujourd’hui : il s’agit d’une ponctuation orale. La virgule marque ainsi un court temps d’arrêt ; le point virgule et le double point, qui ne sont pas toujours bien distingués, marquent une pause plus longue. Ces derniers servent parfois à souligner une articulation forte dans une phrase.
Argument
Ligne édition originale édition [Page, cahier]
l.1 en Cypre, ou en Cypre, où [III, a]
9 en Armenie, ou en Armenie, où [IV]
24 à Clorisée. à Clorisée, [V]
26 a sa fille à sa fille [V]
26 laquelle à laquelle a [V]
27 de veuë, de veuë. [V]
28 a la conqueste à la conqueste [V]
37 lendemain, la lendemain. La [VI]
39 a Lucide à Lucide [VI]
43 les mariage les mariages [VII]
45 secoure secourt [VII]
49 a quoy à quoy [VII]
La Fidelle Tromperie
Vers édition originale édition [Page, cahier]
2 adore adore, [1, A]
3 Soleil Soleil, [1]
3 yeux yeux, [1]
5 veritable. veritable, [2]
13 avanture. avanture ? [2]
15 Ce portaict Ce portraict [2]
20 enflammez. enflammez ? [2]
27 couleurs couleurs, [3]
28 chaleurs. chaleurs ? [3]
30 veritable. veritable ? [3]
31 sentiment sentiment, [3]
32 mouvement mouvement, [3]
39 dessein dessein, [3]
40 sein sein, [3]
65 contraintes contraintes, [5]
75 loix loix, [5]
78 supplice supplice, [6]
79 consulté consulté, [6]
81 ramassees ramassées, [6]
82 pensees pensées [6]
87 absolu absolu, [6]
89 ressusscitez ressuscitez [7]
95 sçãchons sçachons [7]
95 amour amour, [7]
96 jour jour, [7]
98 entreprendre. entreprendre, [7]
100 soulagement soulagement, [7]
101 assistance assistance, [7]
103 conseil conseil, [7]
105 caresse caresse, [8]
107 jouvriray j’ouvriray [8]
109 enflame enflame, [8]
110 Dame Dame. [8]
111 déguisement déguisement, [8]
113 visage visage, [8]
116 amour amour. [8]
119 changement. changement ? [8]
131 ou l’amour où l’amour [9, B]
132 instruit instruit, [9]
134 occupée occupée, [9]
135 leurs effors leurs efforts [9]
139 mon consin mon cousin [10]
139 irrité irrité, [10]
141 diffame diffame, [10]
145 Dedale dedale [10]
157 honte honte, [11]
162 croire. croire, [11]
179 ou mon destin où mon destin [12]
181 objects object [12]
181 ennemie ennemie, [12]
187 Palmedon Palmedon, [12]
197 s’obstine s’obstine, [13]
213 audace audace, [14]
216 Sçait domter Sçait dompter [14]
223 fruicts fruicts, [14]
227 mourir mourir, [15]
228 secourir secourir. [15]
235 trompeur trompeur, [15]
236 peur peur. [15]
Didascalie Armidore déguisée Armidore déguisé [15]
Didascalie AMASONE Amazone [15]
237 doute doute, [15]
240 ou vont ces gens où vont ces gens [16]
242 ou la gloire où la gloire [16]
246 fortune fortune, [16]
248 estrangers. estrangers [16]
249 l’inconstance, l’inconstance. [16]
251 mort mort, [16]
259 vent vent, [17]
261 peine peine, [17]
264 l’eau l’eau, [17]
267 inhumain inhumain, [18]
285 D’ou éclattoit D’où éclattoit [19, C]
285 éclattoit (…) des foudres éclattoient (…) des foudres [19]
298 miseres ! misere ! [19]
299 vents vents, [20]
301 naufrage naufrage, [20]
302 nous à jettez nous a jettez [20]
304 Cipre Cypre [20]
305 corsaire. corsaire ? [20]
306 distraire distraire, [20]
313 ou l’ardeur où l’ardeur [20]
327 repos repos, [21]
331 satisfaits satisfaits, [22]
347 a demeurer icy à demeurer icy [23]
350 At-elle A-t-elle [23]
350 attraits. attraits ? [23]
357 colore colore, [24]
358 plus beau plus beaux [24]
373 ou l’amour où l’amour [25, D]
380 nouveau nouveau, [25]
381 ou les vertus où les vertus [25]
382 ou la gloire où la gloire [25]
388 Sy ma beauté Si ma beauté [26]
396 ou nature où nature [26]
405 les Cythes les Scythes [27]
416 a dompter à dompter [28]
416 cheval. cheval, [28]
417 ou l’on veut où l’on veut [28]
418 ou tousjours où tousjours [28]
419 ou reluit où reluit [28]
433 Ou void-on Où void-on [29]
438 une veine une vaine [29]
443 Ou ces femmes Où ces femmes [30]
453 ou nature où nature [30]
456 destours destours. [30]
458 Ou l’amitié Où l’amitié [31]
481 par des vivantes par de vivantes [32]
482 Ne sentirons-nous Ne sentirions-nous [32]
525 pensees pensées [35, E]
526 amassees amassées [35]
533 ou pourroit on où pourroit on [35]
540 beautez beautez. [36]
571 m’avoient m’avoit [38]
600 malheurs. malheurs, [39]
601 advantage, advantage. [40]
621 route route, [41, F]
634 Trebisonde. Trebisonde, [41]
680 severité : severité [44]
685 l’attire l’attire, [44]
690 femme. femme [45]
699 vanger ? vanger. [45]
742 sa vie, sa vie ; [48]
743 Chevalliers ; Chevalliers, [48]
745 leur testes leurs testes [49, G]
762 force force. [49]
778 silence silence. [50]
780 ses confusions ces confusions [50]
789 eschauffée eschauffée, [51]
819 ses diversitez ces diversitez [53]
829 peine. peine ? [53]
840 cœur cœur ; [54]
848 Ses fatales beautez Ces fatales beautez [55]
848 ou mon amour où mon amour [55]
849 ou ma raison où ma raison [55]
869 vacarmes vacarmes, [56]
887 vanité ; vanité, [57, H]
892 fureur : fureur, [57]
894 s’irrite s’irrite ; [57]
922 Dame Dame ; [59]
923 vos erreur vos erreurs [59]
924 antiquité. antiquité, [59]
937 à vaincu a vaincu [60]
Didascalie Brus. s’en va. Bruserbe s’en va [61]
949 passees passées [61]
950 pensees pensées [61]
990 à manqué a manqué [63]
994 croyés croyez [64]
999 pareil. pareil, [64]
1000 Soleil, Soleil. [64]
1057 nouvelle pensée nouvelles pensées [68, I]
1058 passees passées [68]
1074 recompense : recompense, [69]
1075 desplaisirs, desplaisirs : [69]
1097 vous esjouyez vous vous esjouyssez vous [70]
1127 puissans puissans, [72]
1133 outragee outragée [72]
1143 destin ; destin, [73, K]
1163 voix ; voix, [75]
1164 les Rois, les Rois ; [75]
1170 Ou ce corsaire Où ce corsaire [76]
1170 memoire. memoire, [76]
1178 favorisée favorisée, [76]
1241 a demeurée a demeuré [80]
1261 donnees données [81, L]
1262 destinees destinées [81]
1279 horreur ? horreur, [82]
1280 fureur, fureur ? [82]
1281 Aux bons Dieux ô bons Dieux [82]
1286 que face les vents que facent les vents [83]
1298 legere ? legere [84]
1322 ou me voy-je où me voy-je [85]
1378 temple. temple [89, M]
1400 malheur ; malheur, [91]
1401 Clorisée : Clorisée. [91]
1425 des nos armes de nos armes [93]
1426 à versé a versé [93]
1433 Laissons la Laissons là [93]
1481 esperances esperance [96]
1514 ou mon destin où mon destin [99, N]
1560 pouvoir. pouvoir, [102]
1567 D’ou viennent D’où viennent [102]
1578 ou ma gloire où ma gloire [103]
1593 ses apasts ces apasts [103]
1594 à vaincu a vaincu [104]
1594 l’esperance l’esperance, [104]
1641 injurieux ? injurieux ! [106, O]
1650 courage courage, [106]
1651 image image, [106]
1675 inhumaine inhumaine, [108]
1717 toutes chose toute chose [112]
1720 ou son cœur où son cœur [112]
1738 force, force. [113, P]
1739 pouvoir. pouvoir, [113]
1741 du passe du passé [114]
1750 ou mon cœur où mon cœur [115]
1765 à ravagé a ravagé [115]
1768 odieux odieux. [116]
1777 infinie infinie, [116]
1778 Monarque de Pire Monarque d’Epire [116]
1780 Majesté Majesté. [116]
1785 à tousjours receu a tousjours receu [117]
1811 rigueur rigueur, [118]
1829 esgorgees esgorgées [119]
1830 enragees enragées [119]
1834 proche de nous proches de nous [119]
1841 ou l’ouvrage où l’ouvrage [120]
1851 destinees destinées [121, Q]
1853 annees années [121]
1868 pensees pensées [121]
1869 traversees traversées [122]
1878 Ou nature Où nature [122]
1885 disgrace disgrace, [122]
1889 idolastre idolastre, [122]
1907 assujetty assujettie [123]
1944 humilité. humilité ? [125]
1958 offensee offensée [126]
1959 pensee pensée [126]
1988 ou l’erreur où l’erreur [127]
1997 retour : retour, [127]
2002 malheur malheurs, [128]
2006 reflus reflus, [128]
2018 molester molester. [129, R]
2040 loups loups. [130]
2042 à trouvé a trouvé [130]
2045 superbe. superbe [131]
2059 Qui va là. Qui va là ? [132]
2075 a la captivité à la captivité [134]
2077 infideles infideles. [134]
2105 destinees destinées [136]
2106 annees années [136]
2115 ou mon cœur où mon coeur [137, S]
2121 graces grace [137]
2132 d’es excez des exces [138]
2153 vangée. vangée ? [140]
2156 s’en est c’en est [140]
2177 pensees pensées [142]
2189 à manqué a manqué [143]
2193 esgarees esgarées [143]
2194 separees separées [143]
2207 Ou respire Où respire [144]
2213 gloire. gloire, [145, T]
Didascalie Fil. se va habiller. Filamire se va habiller [145]
2235 Madame. Madame ? [146]
2247 Roy. Roy [147]
2272 douceur. douceur [150]
2288 liberté. liberté [151]
2293 quest-ce qu’est-ce [152]
2294 grace grace. [152]
2313 ma remis m’a remis [153, U]
2314 à fleschy a fleschy [154]
2315 à si bien mesnagé a si bien mesnagé [154]
2330 Qu’à lors Qu’alors [155]
2330 a recevoir à recevoir [155]
2333 a des malheurs à des malheurs [155]
2342 Cypre Cypre ? [156]
2342 remede remede, [156]
2366 funeste, funeste. [158]
Armenie : grand pays d’Asie (Moréri). La Cypre à laquelle fera allusion le texte un peu plus loin est l’île de Chypre.Trebisonde : ville d’Asie Mineure (Moréri).Médie : ancien royaume d’Asie (Moréri).Phrygie : province d’Asie Mineure.Amadis, Arlanges [Clidame] est véritablement le cousin d’Agésilan [Armidore]. Ainsi ces deux personnages se donneront le titre de cousin dans la pièce, faisant référence à leur lien de parenté, nom qu’il faut distinguer du titre de cousin que s’attribuent les personnes de sang royal entre eux, et qui est simplement un titre honorifique (voir le glossaire pour les différentes occurrences de cette dernière acception). Natolie ».Lydie : pays d’Asie Mineure (Moréri).Satisfaction : « excuse, reparation dédommagement » (Furetière).L’Onziesme Livre d’Amadis de Gaule (éd. Jean Longis et Robert le Mangnier, Paris, 1560, chap. XXIV, v° 75) : Florisel (qui inspira le personnage de Filamire) après avoir battu un roi en duel, « (…) luy command[a] d’aller porter sa teste vive à la royne Sidonie [personnage qui inspira celui de Clorisée] en satisfaction de la sienne (…) ». Peut-être que le rédacteur de l’Argument s’inspire directement de la source pour le rédiger.Premier : d’abord (Huguet).
Fin du premier Acte.
Fin du second Acte.
Fin du troisième Acte.
Fin du quatrième Acte.
FIN.
Ce glossaire a été élaboré à partir des définitions que donnent Furetière et Huguet dans leurs dictionnaires. On y trouvera les termes difficiles récurrents dans le texte de la Fidelle Tromperie.
Abréviations utilisées :
GOUGENOT.
Canivet, Philippe Desportes et Nicolas Gougenot, recueil de prières à l’usage du roi Louis XIII, France, XVIIe siècle.
Papier, reliure en vélin avec portraits découpés, étui de maroquin. 12, 8 x 9 cm BnF, Manuscrits occidentaux, français 24749 (La Vallière 198 bis).
« Remarquable par son mode de fabrication, ce livre, ni manuscrit ni imprimé, est composé de lettres « découpées à jour », selon un procédé appelé canivet à cause du petit canif qui servait à évider texte et images : la technique en est simple mais requiert tant de dextérité et de patience que ces singularités bibliographiques, extrêmement rares, sont l’œuvre des couvents de femmes, seul lieu disposant d’une main-d’œuvre aussi dévouée. Cet exemplaire fait partie d’une série de quatre, aux caractéristiques très communes, confectionnés par superposition (bibliothèques de Rouen, du Vatican, du St. John’s Seminary, aux Etats-Unis). Il comporte des images également découpées : portraits d’Henri IV (feuillet 71), de Louis XIII (feuillet 2), de sainte Anne avec la Vierge (feuillet 25, sur parchemin), Crucifixion (feuillet 39)…Pour le contenu, ce manuel de l’ordre du Saint-Esprit, fondé par Henri III, pose un problème d’attribution, mais l’auteur des prières semble bien être le poète Philippe Desportes, et un maître-écrivain de Dijon, Nicolas Gougenot, l’offrit à Louis XIII. Contribution à l’histoire de la piété française des XVIe et XVIIe siècles, lié aux troubles politiques et œuvre d’art recherchée des bibliophiles, ce livre de dévotion à la reliure ornée aussi de deux canivets provient de la bibliothèque de La Vallière. Le canivet connut plus tard une nouvelle fortune, due au talent irrévérencieux du peintre genevois Huber croquant ses multiples silhouettes de Voltaire. »
Le texte qui suit a été extrait d’un cours de M. Philip N. Cronenwett, diffusé sur Internet
Prière du Roy au Sainct Esprit, a cut-work manuscript created in Paris in 1614 by Nicholas Gougenot for Anne of Austria, Louis XIII’s wife-to-be, and equally important, the daughter of Philip III of Spain and Margaret of Austria. The couple were betrothed in 1612 and married in 1615. The manuscript, again, is small, 125mm x 85mm, with a text block of 100mm x 58mm. It consists of 72 leaves, interleaved with red and white glazed paper so that the cut letter will stand out. Included also are seven full-page miniatures including a title-page, a portrait of Louis XIII, King David, the Crucifixion, a king tentatively identified as Louis IX, and, finally, a portrait of Henri IV.What makes this manuscript important is that it is just one of a series of four cut-work manuscripts, all created at the same time by Nicholas Gougenot for the same purpose, the Order of the Holy Spirit. Founded by Louis of Taranto in 1352, the order fell into desuetude in the following century. However, Henry III of France was shown a copy of the statutes of the order when he was in Venice in 1574. The Order of the Holy Spirit was refounded by Henry in 1578 as a chilvaric order and a religious fraternity for the elite of France. It was, according to the Henry’s letter to the Pope, a way of introducing the reforms of the Council of Trent to France. The statutes of the order mandated that each member be inducted by reading from the Hours of the Holy Spirit, a set of texts similar to the Hours of the Virgin, but peculiar to the order. No copies of these hours are known.
On trouvera dans cette annexe la reproduction de l’article composé par les Frères Parfaict sur la Fidelle Tromperie.
Ce n’est ici qu’une mauvaise imitation du sujet d’Agésilan de Colchos, que Rotrou traita depuis. Mêmes fonds, semblable[s] plan, & conduite, à l’exception des noms. Ici Clorisée, Reine de Chypre, mere d’Alderine, joue le personnage de Sidonie, Reine de Guindaye, mere de Diane. Filamire, Roy d’Arménie, est le même que Florisel de Niquée. Armidore, Prince de Phrygie son neveu, prend le nom & l’habit de Lucide, de même qu’Agésilan celui de Daraïde. Clorisée imitant Sidonie, met à prix la tête de Filamire. La Piéce est pareillement terminée par son mariage avec ce Prince, & celui d’Alderine avec Armidore. Les Rois que Gougenot ajoute à son invention
L’introduction de cette édition a montré que ces rois figuraient dans l’ , & qui veulent conquérir le cœur de Clorisée, en formant des siéges, & donnant des batailles sur le Théâtre, peuvent contribuer au spectacle, mais ils ne servent à la lecture, qu’à jetter beaucoup de confusion & de ridicule dans le Poëme. La versification y répond parfaitement.Amadis. Ils ne relèvent donc pas de l’invention de Gougenot.
Cet extrait est extrêmement proche des vers 1 à 37 de La Fidelle Tromperie, d’où son intérêt dans le cadre de l’étude de la pièce.
Precieuse image de mon Aurore, belle figure de l’Astre qui me console parmy tant d’obscurité, douce feinte de mon Soleil, cher abus de mes yeux, [aliment] des feux de mon amour, mensonge agreable d’où mon cœur tire un si veritable contentement, symbole d’une beauté que chacun adore, ô beau portrait, que je conçois de cheres delices en vos traits ! ô delices, que vous me presagez de tourmens ! ô traits, delices et tourmens, riches objets de ma gloire ! ombres saintes qui contre l’ordre de nature produisez des flames, et qui servent de flambeaux à mes nuits obscures ! » Puis [quittant] le portrait, et comme hors de soy mesme, il continuë, et disoit : « Amour qui vit jamais une si estrange avanture ? Un portrait dissipe ma raison ; mais insensé que je suis, comment se peut il faire que je me jette à corps perdu dans un nouveau malheur, ne faisant que commencer l’experience du plus grand de tous les malheurs ? Les chaines de Lucrine ne me peuvent faire aprehender les liens de Caliste dont j’idolatre le portrait au mespris du Ciel, qui me punissant justement par Lucrine, me peut aussi foudroyer par Caliste : Lucrine m’est donnée meritoirement pour venger Clarinde, et Caliste me doit estre un sujet de penitence et non d’amour, puis que mon crime se doit expier par la continence et par l’humilité ». Puis Symandre reprenant tout à coup le portrait, changeant de voix et d’action, continuë ainsi : « Non, non, Caliste, mon destin veut que je me perde dans les couleurs de ton image puis que je suis privé de son sujet. Mais qui ne jugeroit que ceste bouche me parle, et que [ces] yeux me jettent des regards ? Belle bouche, dy moy je te prie, par quel miracle nouveau tu me rends des Oracles muets ! Beuax yeux, declarez moy le secret de tant de traits ardants qui partent de vos flames feintes ; il me semble souvent que ceste bouche souspire pour moy, et que ces yeux me carressent, et souvent que d’un sort contraire ils me desdaignent et me menacent ; tantost il me semble que cest œil soit un amoureux esclair, et tantost un foudre rigoureux. Que fais tu Symandre ? Tu te [laisses] dompter par une Idole ? Comment une Idole ? Je croy pour vray que ses yeux ont du sentiment, et qu’ils suivent mes regards d’un mouvement esgal : si l’amour ne me deçoit, la nature s’est conjointe à ce beau portrait ». Symandre ravy en ceste contemplation fit une action que les enfans ont souvent accoustumé de faire lors qu’ils regardent dans un miroir, c’est que le renversant et croyans de trouver la figure au fonds, ils la perdent : ainsi nostre Amant vint jusques à ceste extremité de folie, de faire le semblable du portrait, et tout honteux il le remet en sa place.
François Lasserre, dans son édition du Romant de l’Infidelle Lucrinela Fidelle Tromperie. Il s’agit d’un aristocrate allemand, le comte Jean Bernard de Lippe (ou « von der Lippe ») dont, toujours selon le critique, la naissance pourrait se situer dans une fourchette 1609-1625. Nous empruntons ces renseignements à M. Lasserre car nos tentatives pour consulter les ouvrages auxquels il fait référence à ce sujet sont restées infructueusesNotitiae Sacri Romani Germanici Imperii Procerum, 5e éd. Tübingen, Cotta, 1734 (Tome II, p. 206).
Monsieur,
Vous estes tellement dans/ l’estime pour la rareté de vo-/stre bel esprit, & les loüables qualitez/ que vous possedez, que faisant dessein de/ dedier cét Ouvrage, je n’ay peu choisir/ aucun qui luy donnast plus de cours & le/ mist à plus haut prix que vous, pource/ que vous estant doüé de ceste adresse, fera/ juger que vous ne souffririez pas qu’il pa-/rust sous vostre nom, s’il estoit indigne/ de le porter. C’est donc, Monsieur, ce/ qui me convie à le vous offrir, quoy qu’il/ ne merite vostre adveu, sinon entant qu’il/ recourt à vostre courtoisie, de laquelle il/ s’ose promettre un favorable accueil, / dont ses defauts luy devroient oster l’es-/poir, Agreez je vous supplie l’offre que je/ vous en fay, afin que ne pouvant se ren-/dre considerable par mon nom, je puisse/ reüssir par le vostre, que j’honoreray tou-/te ma vie fort particulierement, comme/ estant avec devoir et passion,
Monsieur,
Vostre tres-humble & obeissant/ serviteur N. GOUGENOT.
LA / FIDELLE / TROMPERIE / TRAGI-COMEDIE / par le Sieur GOUGENOT, Dijonnois. / A PARIS / Chez ANTHOINE DE SOMMAVILLE / dans la petite Salle du palais, à / l’Escu de France / M.DC.XXXIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
LA / FIDELLE / TROMPERIE / TRAGI-COMEDIE / par le Sieur GOUGENOT, Dijonnois. / A PARIS / Chez ANTHOINE DE SOMMAVILLE / dans la petite Salle du palais, à / l’Escu de France / M.DC.XXXIV. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
LA COMEDIE / DES COMEDIENS / TRAGI-COMEDIE / par le Sieur GOUGENOT / A PARIS, / Chez PIERRE DAVID, au Palais sur / le petit Perron de la Grand’Salle du / costé des Consultations. / M.DC.XXXIII. / Avec privilege du Roy. […] Achevé d’imprimer le Samedy 27 Aout, mil six cens trente trois.
LE / ROMANT / DE / L’INFIDELLE / LUCRINE. / PAR N. G. G. D. / A PARIS / Chez MATTHIEU COLOMBEL, rüe / neufve Saincte Anne, prés le Palais, / à la Colombe. / M.DC.XXXIV. / AVEC PRIVILEGE DU ROY. / [achevé d’imprimer] pour la premiere fois le cinquiesme jour de janvier 1634.
Planches consultables au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale. L’in-folio d’origine porte la cote « Kb 31 », et le microfilm les n° P. 8707 à 9448 (les clichés des œuvres de Nicolas Gougenot correspondent aux n° P. 9321 à P. 9337).
Quatre manuscrits, dont l’un s’intitulant Priere du Roy au Sainct Esprit se trouve à la B.n.F., Manuscrits occidentaux, français 24749 (La Vallière 198 bis). D’après le site de la B.n.F., les trois autres exemplaires se trouvent aux « bibliothèques de Rouen, du Vatican, du St. John’s Seminary, aux Etats-Unis ».
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