PAN ET DORIS
PASTORALE

M. DCC. XXIX. AVEC PERMISSION.

APPROBATION. §

J’ai lu par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, les Trois Spectacles, Pièce nouvelle en trois actes ; dont j’ai crû que l’impression serait agréable au public.

FAIT à Paris le 28 Juillet 1729. Signé, GALLYOT.

PRIVILEGE DU ROI §

LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos amés et féaux Conseillers les Gens, tenant nos Cours de Parlements, Maîtres des Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel, Grand Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenants Civils et autres nos Justiciers qu’il appartiendra, SALUT. Notre bien amé JEAN FRANÇOIS TABARIE, Libraire à Paris, Nous ayant, fait supplier de lui accorder nos Lettres de Permission pour l’impression des Trois Spectacles, Pièce nouvelle, en trois Actes, par le Sieur du Mas d’Aigueberre, offrant pour cet effet de le faire imprimer en bon papier à beaux caractères suivant la feuille imprimée, et attachée pour modèle sous le contre-scel des présentes. Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer ledit Livre ci-dessus spécifié en un ou plusieurs volumes, conjointement ou séparément, et autant de fois que bon lui semblera, de le vendre, faire vendre et débiter par tout notre Royaume, pendant le temps de trois années consécutives, à compter du jour de la date desdites présentes Faisons défenses à tous Libraires, Imprimeurs et autres Personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’en introduire d’impression étrangère dans aucun lieu de nôtre obéissance ; à la charge que ces présentes seront enregistrées tout au long sur le Registre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date d’icelles ; que l’impression de ce Livre sera faite dans notre Royaume et non ailleurs, et que l’impétrant se conformera en tout aux Règlements de la Librairie, et notamment à celui du dix Avril 1725 et qu’avant que de l’exposer en vente, le Manuscrit ou Imprimé qui aura servi de copie à l’impression dudit Livre, sera remis au même état où l’Approbation y aura été donnée, ès mains de nôtre très-cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; et qu’il en fera ensuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque Publique, un dans celle de nôtre Château du Louvre, et un dans celle de nôtre très cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; le tout à peine de nullité des présentes ; du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir l’Exposant ou ses ayants causes, pleinement et paisiblement, sans souffrir qu’il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu’à la copie desdites présentes, qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Livre, foi soit ajoutée comme à l’original. Commandons au premier nôtre Huissier ou Sergent, de faire pour l’exécution d’icelles, tous Actes requis et nécessaires, sans demander autre permission, et nonobstant clameur de Haro, Charte Normande, et Lettres à ce contraires : CAR tel est notre plaisir. Donné à Paris le onzième jour du mois d’Août, l’an de grâce mille sept cent vingt-neuf. Et de nôtre Règne le quatorzième. Par le Roi en son Conseil.

Signé, DE SAINT HlLAIRE.

Registre sur le Registre VII. de la Chambre Royale des Libraires et Imprimeurs de Paris, N°409. F°352. conformément aux anciens Règlements, confirmés par celui du 28 Février 1723. À Paris le 17 Août 1729.

Signé, P. A. LEMERCIER, Syndic.

À Paris, de l’imprimerie de P. PRAULT.

À PARIS, Chez TABARIE, sur le Quai de Conti.

ACTEURS du PROLOGUE. §

  • PAN.
  • DORIS.
  • PALEMON.
  • JULIE.
  • LA MARQUISE.
  • HORTENSE.
  • CÉLIMÈNE.
La Scène est à la Maison de Campagne de...

PAN ET DORIS. §

SCÈNE PREMIÈRE. §

PAN sous la figure de Valémon.

Amour, le Dieu des Bois Implore ta toute puissance :
Sauve-moi la douleur de revoir en ces lieux,
Un Berger trop fatal au bonheur de racs igBazi’egay feux
Profitant du dépit qui cauíà son absence,
5 C’est coi qui pour fléchir.l’objet de tous mes voeux,
M’as fait de Palémon prendre la ressemblance :
Amour, le Dieu des Bois implore ta puissance :
Sauve-moi la douleur de revoir en ces lieux
Un Berger trop fatal au bonheur de mes feux.

SCÈNE II. Pan, Doris. §

DORIS.

10 Quoi, toujours agité d’une douleur mortelle !

PAN.

Peut-on aimer hélas ! Et ne pas ressentir
Une crainte toujours nouvelle ?•

DORIS.

L’aveu de mon ardeur fidèle
D’une injuste frayeur aurait dû vous guérir.

PAN.

15 J’éprouve une peine cruelle,
Tout semble m’annoncer que le Ciel en courroux
Me prépare un coup terrible :
Et je sens que mon coeur ne peut être sensible
Qu’au malheur de me voir abandonné de vous.

DORIS.

20 Si le bonheur de votre vie
Dépend de ma fidèle ardeur,
Croyez que Doris en son coeur
Vous garde un sort digne d’envie.

PAN.

Non, vous ne m’aimez pas, et j’en crois la douleur
25 Qu’éprouve en ce jour ma tendresse.

DORIS.

Pour dissiper un soupçon qui me blesse
À de nouveaux serments faut-il avoir recours.

PAN.

Jurez-moi par le Dieu qu’en ces Bois on révère
Que le Berger qui vous sut plaire
30 Sera toujours l’objet de vos tendres amours.

DORIS.

Je jure par le Dieu qu’en ces Bois on révère
Que le Berger qui m’a su plaire
Sera toujours l’objet de mes tendres amours.

DORIS.

Mais on vient. Terminons un discours trop sincère.
Elle sort.

SCÈNE III. Pan, Arcas. §

ARCAS.

35 Palémon sur ces bords, vient de frapper mes yeux.

PAN.

Que son retour me cause une mortelle peine!

ARCAS.

Et pourquoi craignez-vous un Rival malheureux ?

PAN.

Quand Palémon lassé d’une constance vaine
Jura de ne plus voir ces lieux
40 Doris à son départ ne fut que trop sensible
On vit éclater un amour
Que sa rigueur invincible
Avait caché jusqu’à ce jour.

ARCAS.

Du Berger prenant l’apparence,
45 Vous avez triomphé de l’objet de vos feux.

PAN.

Et ne prévois-tu pas que cette ressemblance
Du Berger à son tour va seconder les voeux ?

ARCAS.

Tout respecte vos lois en ce séjour champêtre.
Il ne vous reste plus qu’à vous faire connaître.

PAN.

50 L’amant le plus glorieux
N’est pas toujours le plus aimable ;
S’il était moins redoutable
Souvent il n’en plairait que mieux.

ARCAS.

Celui qui plaît d’avantage
55 N’est pas toujours le mieux traité.
Heureux l’amant dont l’hommage
Flatte l’orgueil d’une beauté !
Heureux l’Amant dont l’hommage
Fait triompher la vanité.

PAN.

60 J’aperçois Palémon. Tâche, ami, de t’instruire
Du soin qui dans ces lieux l’attire.
Il sort.

SCÈNE IV. Palémon, Arcas. §

ARCAS.

Palémon, est-ce vous qu’en ces lieux je revois ?
Vous qui d’une éternelle absence
Vous étiez imposé la loi.

PALÉMON.

65 Je viens revoir les lieux où j’ai pris la naissance.

ARCAS.

Vous y verrez toujours la charmante Doris.

PALÉMON.

L’absence a triomphé du pouvoir de ses charmes :
Et l’on ne verra plus mes larmes
Nourrir son injuste mépris.
70 Heureux mépris qui me dégage
Des soins dont j’étais agité !
Plus j’ai souffert dans l’esclavage ;
Plus je chéris ma liberté.

ARCAS.

Des plaisirs de l’indifférence
75 Goûtez la charmante douceur :
Ceux que promet l’Âmour n’ont qu’un charme trompeur.

PALÉMON, ARCAS ensemble.

Des plaisirs de l’ïndifférence
Goûtons la charmante douceur :
Ceux que l’Amour promet pour récompense
80 N’ont qu’un charme trompeur.

ARCAS.

Doris vers nous s’avance ;
Fuyons un objet trop charmant.

PALÉMON.

Sa présence à mon coeur ne cause point d’alarmes

SCÈNE V. Doris, Palémon, Arcas. §

DORIS.

Bergers, m’est-il permis d’oser pour un moment
85 D’un entretien secret troubler ici les charmes ?

PALÉMON.

J’entretenais Arcas des biens pleins de douceur,
Qu’un coeur indifférent trouve dans cet asile.

DORIS.

Depuis quand Palémon vante-t-il le bonheur
Qu’éprouve un coeur tranquille ?

PALÉMON.

90 Depuis que j’ai perdu jusques au souvenir
Des maux qu’Amour me fit souffrir.
Malgré ses rigueurs, une ingrate
Voudrait qu’on l’adorât toujours :
Mais enfin l’orgueil qui la flatte,
95 Écarte à jamais les amours.

DORIS.

Ciel ! Quel est ce discours ? Et que voulez-vous dire ?

PALÉMON.

Je dis que sous son Empire
Doris n’aura plus le plaisir
De me voir vainement soupirer, et gémir.
100 Mais qu’a donc cet aveu qui doive vous surprendre ?
Avez-vous dû prétendre
Que mon coeur dans vos fers fût toujours arrêté ?

DORIS.

Non, non. J’ai du prévoir que ta légèreté
Serait le prix de ma faiblesse :
105 Et que je perdrais ta tendresse
Sitôt que mon amour aurait trop éclaté.

PALÉMON.

Si les rigueurs des Belles
De leur amour sont des preuves fidèles,
Jamais amant ne fut plus fortuné que moi.

DORIS.

110 Il te sied bien de te plaindre
Des rigueurs que j’eus pour toi.
Ah ! Plutôt à mes yeux, ingrat, cesse de feindre ;
Et nomme-moi l’objet qui m’a ravi ta foi.

PALÉMON.

L’objet qui m’enchante,
115 Régnera toujours dans mon coeur.
Liberté charmante !
Vous ferez toujours mon bonheur.

DORIS.

L’Infidèle m’outrage après m’avoir trahie.
Ô Ciel ! Punis sa perfidie.
120 Ou plutôt terminant ma honte et mes malheurs,
Dieux ! ôtez-moi la vie :
Je ne puis être trop punie
D’avoir aimé l’ingrat qui méprise mes pleurs.

SCÈNE VI. Pan, Doris, Palémon, Arcas. §

PAN sous la figure de Palémon.

Bergère suspendez vos regrets et vos larmes,
125 Celui qui reçut votre coeur,
Brûle toujours pour vous de la plus vive ardeur ;
Laissez les soins et les alarmes,
À ceux qui vous offrent leurs voeux :
Ce n’est point avec tant de charmes,
130 Que l’on voit mépriser ses feux.

DORIS.

Ciel ! Quel est ce prodige ? Et par quelle puissance,
Vois-je ici deux bergers m’offrir les mêmes traits ?

PAN.

Plus amoureux qu’on ne le fut jamais,
De Palémon j’ai pris la ressemblance.

DORIS.

135 Ce n’est point Palémon qui frappe ici mes yeux !

PAN.

Je suis le Dieu des Bois qu’on révère en ces lieux,
Soumis à mon pouvoir suprême,
Dryades et Sylvains sortez du fond des bois,
De la beauté que j’aime,
140 Venez reconnaître les loíis

SCÈNE DERNIÈRE. Troupes de Dryades de Satyres et de Bergers. §

LE CHOEUR.

Sous votre empire,
Nous nous rangeons tous,
Le Dieu qui pour vous soupire,
Règne sur nous.

PAN.

145 Pardonnez au stratagème,
Que vient d’employer mon ardeur,
C’est le Dieu d’amour lui-même.
Qui sut l’inspirer à mon coeur.

DORIS.

Je pardonne au stratagème,
150 Que vient d’employer votre ardeur ;
C’est le Dieu d’Amour lui-même,
Qui me fait chérir mon erreur.

DORIS, à Palémon.

D’une constance trop pénible
Berger, vous n’avez pu supporter la rigueur,
155 Un Dieu soumis et plus sensible,
Par des soins assidus a su gagner mon coeur,
Et je consens qu’il jouisse
D’un bien qu’il doit moins à son artifice,
Qu’à l’excès de son ardeur.

PALÉMON.

160 Bergère, partagez la suprême puissance :
D’un Amant glorieux ;
Mais n’espérez pas que mes yeux,
Soient les témoins d’un bonheur qui m’offense.
Loin des lieux où l’on vient de ravir votre foi,
165 Je vais pleurer un bien qui n’était dû qu’à moi.
Il sort.

PAN.

Redoublons l’ardeur extrême,
Qui vient d’assurer mon bonheur,
C’est le Dieu d’amour lui-même
Qui sut tromper votre rigueur.

DORIS.

170 Redoublons l’ardeur extrême,
Qui vient d’assurer mon bonheur ;
C’est le Dieu d’amour lui-même.
Qui me fait chérir mon erreur.

PAN.

Qu’on applaudisse à ma victoire,
175 Venez, Bergers, accourez tous :
D’un triomphe si doux,
Vous partagez la gloire.
On danse.

UNE DRIADE.

Fuyez loin de nous,
Coeurs insensibles,
180 Nos réduits paisibles,
Sont-ils faits pour vous ?
Votre indifférence
Nous offense ;
Nos ardeurs
185 Condamnent vos froideurs.
Si l’amour nous fait verser des larmes,
Nos alarmes
Ont des charmes
Pour nos coeurs,
190 D’un long esclavage
Tôt ou tard il dédommage
On trouve en ses faveurs
Mille douceurs.

DEUX BERGÈRES.

Que les Dieux, que les Rois
195 Viennent dans nos Bois,
Chercher des Maîtresses sincères.
Ce n’est que par nos bergères,
Qu’un coeur bien enflammé,
Peut se flatter d’être aimé.

LE CHOEUR.

200 Viens, Amour, dans cette retraite ;
1
Quitte ton arc et ton carquois :
2
Et ne prend plus qu’une houlette ,
Pour ranger nos coeurs sous tes lois.
On danse.

UN SATYRE.

Vous qui d’une beauté cruelle,
205 Éprouvez l’injuste rigueur,
Cherchez quelque ruse nouvelle,
Pour faire approuver votre ardeur.
Qu’importe comment on parvienne
À vaincre une fière beauté,
210 Pourvu que notre amour obtienne
Le prix de sa fidélité ?

UNE DRIADE.

Il n’est point de cruelle ,
Il n’est point de rebelle,
Qu’un amant fidèle
215 Ne désarme enfin.
Tel quitte aujourd’hui sa bergère,
Qui peut être le lendemain,
Verrait son coeur moins sévère,
Payer la flamme sincère,
220 D’un heureux destin.

UNE BERGÈRE.

Telle fait l’insensible,
Qui gémir en son coeur
D’une fierté pénible,
L’Amour qui connaît son ardeur,
225 Se rit de sa rigueur :
On la voit fuir sans cesse
L’objet de sa tendresse ;
Mais son trouble et ses soupirs
Trahissent ses désirs.

CHOEURS de BERGERS ET DE BERGÈRES.

230 Viens Amour dans cette retraite,
Quitte ton arc et ton carquois.
Et ne prend plus qu’une houlette,
Peur ranger nos coeurs sous tes lois.