LE FAUCON
COMÉDIE

M. DCC. XIX. AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

De Melle BARBIER

ACTEURS §

  • FEDERIC, Amant d’Axiane.
  • AXIANE, Amante de Federic.
  • PASQUIN, Valet de Federic.
  • LISETTE, Suivante d’Axiane.
La Scène est devant un vieux Château, situé dans le fond d’un Bois.

ACTE I §

SCÈNE PREMIÈRE. Federic, Pasquin tenant un Faucon sur le poing. §

FEDERIC.

Te voilà bien chagrin ?

PASQUIN.

N’en ai-je pas raison ?
Vainement dans les airs vous lâchez ce faucon ;
Il ne rapporte rien.

FEDERIC.

1
Hé, maraud, que t’importe ?

PASQUIN.

Comment ! Nous ne vivons que de ce qu’il rapporte :
5 Il nous a jusqu’ici fourni quelques repas ;
Mais il ne vaut plus rien depuis qu’il est si gras;
Ah ! Que j’aime un Oiseau, qui par un seul coup d’aIle,
S’en va me tenir lieu de pourvoyeur fidèle !
Je voudrais que son vol fut plus prompt qu’un éclair :
10 J’appelle tels oiseaux les pirates de l’air.
Un Vaisseau trop chargé, Monsieur, n’avance guère,
Et le meilleur voilier, est le meilleur corsaire.

FEDERIC.

Rassure-toi, le jour n’est pas encor passé.

PASQUIN.

Ah ! Le petit ingrat, je l’ai trop engraissé ;
15 Et pour ma récompense il veut que je maigrisse :
Tenez, voyez plutôt, j’ai déjà la jaunisse,
Me voilà saffrané jusques au blanc des yeux.

FEDERIC.

Tant mieux.

PASQUIN.

Que dites-vous ?

FEDERIC.

Tant mieux, Pasquin, tant mieux.

PASQUIN.

Dites plutôt, tant pis.

FEDERIC.

Hé ! Hé ! Hé !

PASQUIN.

Pourquoi rire ?

FEDERIC.

20 Hé ! Qui ne rirait pas ? Ne viens-tu pas de dire,
Que depuis qu’il est gras ce faucon ne vaut rien ?
Prononçant son arrêt tu prononces le tien ;
À te faire jeûner je mettrai mon étude ;
Tu n’en vaudras que mieux.

PASQUIN.

L’épreuve est un peu rude ;
25 Et s’il y faut venir, je ne vous réponds pas,
De m’attacher ici plus longtemps sur vos pas.

FEDERIC.

Tu pourrais me quitter !

PASQUIN.

J’irai trouver Lisette ;
Pour me mettre à l’abri d’une affreuse disette :
Dans ce triste séjour, on ne fait que jeûner ;
30 L’Oiseau n’a-t-il rien pris ? Il ne faut point dîner ?
Voilà ce qu’ont produit vos feux pour Axiane :
J’en enrage ; à jeûner, c’est ce qui me condamne.

FEDERIC.

Ce jeûne-là, Pasquin, te tient bien fort au coeur ?

PASQUIN.

Oui, c’est-là le sujet de ma triste langueur.

FEDERIC.

35 Le terme est un peu fort.

PASQUIN.

Il est de votre style ;
Doux, tendre, pathétique, et pourtant inutile.

FEDERIC.

Poursuis ; tout à loisir je te laisse jaser.

PASQUIN.

Nous voici dans un lieu propre à moraliser.
Cà, raisonnons un peu : pour plaire à votre ingrate,
40 Dont malgré ses rigueurs le souvenir vous flatte,
Vous n’avez épargné ni bijoux, ni cadeaux :
Pour elle tous les jours c’étaient plaisirs nouveaux,
2
Comédie, Opéra, bombance sur bombance :
Cependant, de vos soins, quelle est la recompense ?
45 L’Amour qui vous a fait consumer votre bien,
Est ce faucon lâché, qui ne rapporte rien.

FEDERIC.

Quoi ! Des comparaisons !

PASQUIN.

Ce sont sages paroles ;
3
Mais vous les écoutez comme des fariboles,
Que d’un air dédaigneux il faut mettre à l’écart ;
50 Et d’ailleurs mes leçons viennent un peu tard.

FEDERIC.

Moraliseur fâcheux, n’as-tu plus rien à dire ?

PASQUIN.

Quoi ! Vous ne pleurez pas !

FEDERIC.

Va, je n’aime qu’à rire.
Philosophe nouveau, tu le sais bien. Pasquin,
Plus l’amour autrefois m’a causé de chagrin,
55 Plus mon coeur du repos goûte aujourd’hui les charmes ;
La molle oisiveté succède à mille alarmes :
Si j’ai vu tant de soins, tant d’amour négligé,
Par un profond oubli n’en suis-je pas vengés ?
Je l’avoue, Axiane est toujours jeune et belle,
60 Elle mérite bien le soin qu’on prend pour elle ;
Mais par sa cruauté mon espoir démenti,
M’a fait résoudre enfin à prendre mon parti.
Tiens, sa maison des Champs n’est pas loin de la mienne,
Vers moi tranquillement j’attendrai qu’elle vienne :
65 Moi, je l’irais chercher ! Qu’elle n’y compte pas,
Dussai-je autant d’amour que je lui sais d’appas :
Non, je fuis trop piqué.

PASQUIN.

Monsieur, je me défie
D’un dépit si contraire à la Philosophie ;
Votre coeur me paraît un peu trop agité :
70 Ne sauriez-vous haïr avec tranquillité ?

FEDERIC.

Moi, je ne la hais point ; mais du moins je te jure
De ne la jamais voir.

PASQUIN.

Je crains peu le parjure :
On ne peut qu’à grands frais se montrer son amant,
Et votre pauvreté me répond du serment :
75 Ah ! Qu’il eût mieux valu...

FEDERIC.

Toujours de la morale ?

PASQUIN.

Ce font noires vapeurs que l’abstinence exhale ;
Mais quand dînerons-nous ?

FEDERIC.

Tu dîneras demain.

PASQUIN.

Peste soit de l’Amour qui fait mourir de faim.

FEDERIC.

Mais toi-même autrefois n’aimais-tu pas Lisette ?

PASQUIN.

80 Mais, comme sa Maîtresse, était-elle coquette ?
Du moins dans mes amours je n’ai rien mis du mien.

FEDERIC.

Et la grande raison, c’est que tu n’avais rien.

PASQUIN.

Qu’importe, à vos dépens je me donnais carrière :
Ô Lisette ! Avec toi je faisais chère entière :
85 Que de charmants repas ! Mais regrets superflus !
Hélas ! J’en ai tant fait, que je n’en ferai plus :
Tous mes plaisirs passés ne sont qu’une ombre vaine ;
Vous avez fait la faute, et j’en porte la peine.

FEDERIC.

Mais pour Lisette encor ressens-tu de l’amour ?

PASQUIN.

90 Je puis de sa cuisine avoir besoin un jour,
Et ce jour n’est pas loin.

FEDERIC.

Imite ma sagesse,
Oublions pour jamais et suivante et maîtresse ;
De la seule raison il faut suivre la loi ;
Pour moi je n’aime plus que ce faucon et toi.

PASQUIN.

95 Passe pour le faucon, grâce à votre tendresse,
Autant que je maigris, tous les jours il engraisse.
On entend un bruit de cors.

FEDERIC.

Quel bruit vient me frapper ? Cours, va voir ce que c’est.

PASQUIN.

À la chasse d’autrui, prenons-nous intérêt ?

FEDERIC.

N’importe, va savoir...

PASQUIN.

Si c’est votre Diane ?
100 Elle aime les forêts.

FEDERIC.

Quoi ! Toujours Axiane ?
Pasquin, je te défends de prononcer son nom :
Fais ce que je te dis, va, donne ce faucon.

PASQUIN.

Tenez : je fuis ravi que l’on m’en débarasse.

FEDERIC.

Cours, et viens m’informer de tout ce qui se passe.

SCÈNE II. §

FEDERIC, seul.

105 Toi qui d’un vol plus prompt que celui des Zéphirs,
T’élances dans les airs au gré de mes désirs ,
Et qui dans les forêts à mes leçons docile,
Apprens l’art de mêler l’agréable à futile ;
Cher oiseau, c’en est fait, je veux n’aimer que toi ;
110 J’ai vécu trop longtemps sous une dure loi.
On entend encore le bruit de la chasse, qui fait tourner la tête à Federic.
Cesse bruit importun, cesse de me distraire,
Ne trouble plus la paix de ce bois solitaire ;
Dûsses-tu m’annoncer Axiane en ces lieux,
Avec tous ses appas la montrer à mes yeux ;
115 À mon fidèle oiseau, mon coeur toujours fidèle ;
Tout de feu pour lui seul, tout de glace pour elle,
Ne lui laissera voir qu’une noble fierté :
Ii était dans les fers, il est en liberté.
Quel bonheur de pouvoir dans une paix profonde,
120 Pour n’être qu’à soi-même, oublier tout le monde !
Le bruit de chasse continue.
Hé quoi ! Ce bruit fâcheux vient toujours me frapper ?
Cher oiseau de toi seul je prétends m’occuper :
Non, je ne veux plus voir l’insensible, l’Ingrate,
Qui peut-être en secret de mon retour se flatte.
125 Je veux bien convenir qu’elle avait mille attraits ;
Qu’il partait de ces yeux d’inévitables traits :
Je veux de sa beauté conserver la mémoire ;
Mais c’est pour ma vengeance, et non pas pour sa gloire :
Si je l’élève ici, c’est pour l’humilier,
130 Et je ne m’en souviens, que pour mieux l’oublier.
Mais j’aperçois Pasquin.

SCÈNE III. Federic, PASQUIN. §

FEDERIC.

Hé bien ! Quelle nouvelle ?

PASQUIN.

Ah ! Monsieur, il n’en fut jamais de plus cruelle :
Ouf ! Je ne puis parler tant je suis confondu.

FEDERIC.

Qu’est-il donc arrivé ? Parle.

PASQUIN.

Tout est perdu.

FEDERIC.

135 Quel étrange accident, Pasquin, viens-tu m’apprendre ?

PASQUIN.

Tremblez, votre Axiane en ces lieux va se rendre.

FEDERIC.

Pasquin ?

PASQUIN.

Ce n’est pas tout : pour nous assassiner,
C’est peu que d’y venir, elle y prétend dîner.

FEDERIC.

Ô comble de bonheur ! Pasquin, un tête-à-tête !
140 Qu’à la bien recevoir à l’envi tout s’apprête.
Adorable beauté ! Que ne puisse à tes yeux
Prodiguer l’ambroisie, et le nectar des Dieux ?

PASQUIN.

Que parlez-vous ici de nectar, d’ambroisie ?
L’Amour vous a-t-il fait tomber en frénésie ?
145 Ne vous souvient-il plus de cet ordre inhumain,
Qui tantôt pour dîner m’a remis à demain ?

FEDERIC.

Que me rappelles-tu ?

PASQUIN.

Cet oiseau si fidèle
Vous sert mal au besoin.

FEDERIC.

Ô fortune cruelle !
Ne m’as-tu pas encor assez persécuté ?
150 Je te pardonnerais de m’avoir tout ôté,
Si du moins pour premier et pour dernier office
Dans ce pressant besoin je te trouvais propice.
Pasquin ?

PASQUIN.

Hé bien ! Pasquin ?

FEDERIC.

N’imagines-tu rien ?
Cherche, invente.

PASQUIN.

Monsieur...

FEDERIC.

Hé bien ! Dépêche.

PASQUIN.

Hé bien !

FEDERIC.

155 Quoi ! Toi-même au besoin tu me manques ?

PASQUIN.

J’enrage.
De rien on ne fait rien ; et le diable, je gage,
S’il était comme moi dans un si mauvais pas,
Tout inventif qu’il est, ne s’en tirerait pas.
Je ne sais qu’un moyen.

FEDERIC.

Ah ! Que j’aime ton zèle !

PASQUIN.

160 C’est de vous éclipser aux yeux de votre belle.

FEDERIC.

Que me proposes-tu ? Je fuirais ses beaux yeux ?

PASQUIN.

Voyez, imaginez, quelque chose de mieux.

FEDERIC.

De grâce, cher Pasquin, montre ici ton adresse.

PASQUIN.

Elle est à bout.

FEDERIC.

Ah ! Ciel ! Cependant le temps presse ;
165 Et l’objet de mes feux sans doute n’est pas loin ;
Il y va de ma gloire, il faut en prendre soin :
Il faut, quoi qu’il arrive, aux yeux de ce que j’aime
Dérober, s’il se peut, mon indigence extrême.
Amour, inspire-moi.

PASQUIN.

Ma foi, jusqu’à ce jour
170 Rien de bon ne vous fut inspiré par l’amour.

FEDERIC, lui parlant bas.

On vient. Écoute.

PASQUIN.

Ciel ! Je pourrais m’y résoudre !
Ah ! Que je sois plutôt écrasé de la foudre,
Monsieur....

FEDERIC.

Épargne-toi des conseils superflus,
Emporte ce Faucon, et ne réplique plus.

PASQUIN.

175 Je suis mort.

SCÈNE IV. Federic, Axiane e, habit de chasse, et Lisette. §

FEDERIC.

Quoi ! C’est vous, trop aimable inhumaine !
Auprès de Federic quel destin vous amène ?
J’avais cru pour jamais être oublié de vous.

AXIANE.

Il faut bien vous chercher, quand vous nous fuyez tous.

FEDERIC.

Hélas ! En vous fuyant, je fuis tout ce que j’aime ;
180 Et m’arrachant à vous, je m’arrache à moi-même :
Mais je me cache en vain dans le fond des forêts ;
Des yeux qui m’ont blessé, jc sens partout les traits.
Se peut-il que l’Amour survive à l’espérance ?

AXIANE.

Vous plaindrez-vous toujours de mon indifférence ?
185 L’Amour a des tourments quii doivent m’alarmer,
Et mon coeur à ce prix ne veut pas s’enflammer.

FEDERIC.

Quoi ! Je ne puis prétendre au bonheur de vous plaire ?

AXIANE.

Avez-vous des rivaux que mon coeur vous préfère ?

FEDERIC.

Le mal de mes rivaux n’adoucit pas le mien :
190 Est ce un bonheur pour moi que ce coeur n’aime rien ?
Que dis-je ? Pour ma flamme il vaudrait mieux peut-être,
Qu’un Rival plus heureux eût su s’en rendre maître ;
Comme j’ai plus d’amour, je pourrais aspirer
Au bonheur, sans égal, de me voir préférer.

AXIANE.

195 Ah ! Ne souhaitez pas qu’un autre objet m’enflamme,
Si l’amour une fois s’emparait de mon âme :
J’ose vous l’assurer, ce serait pour toujours ;
Je me connais trop bien : mais quittons ces discours.

FEDERIC.

Et pourquoi les quitter ? Craignez-vous d’en trop dire ?

AXIANE.

200 Mon coeur s’est expliqué, cela vous doit suffire :
Croyez que jusqu’ici vous l’avez mal connu,
Et qu’un jour... mais ce jour n’est pas encor venu.

FEDERIC.

Ciel ! qu’entends-je ? Achevez de rompre le silence.

AXIANE.

Arrêtez, ces transports ont trop de violence :
205 Mais je m’en prends à moi, ce que j’ai fait pour vous
A donné lieu, Sans doute, à des transports si doux :
Détrompez-vous pourtant ? Malgré ce tête-à-tête,
Ne me regardez pas comme votre conquête ;
À ma présence ici l’amour n’a point de part,
210 Et vous ne la devez tout au plus qu’au hasard.
Après avoir longtemps couru de plaine en plaine,
Ma troupe chasse encor dans la forêt prochaine ;
Moi, pour me reposer, je viens l’attendre ici.

FEDERIC.

Me voilà de mon sort pleinement éclairci.
215 Ah ! cruelle.

SCÈNE V. Federic, Axiane, Lisette, Pasquin. §

PASQUIN.

Monsieur, je n’ai pas le courage
De...

FEDERIC, bas.

Si tu dis un mot, crains d’éprouver ma rage;

PASQUIN.

Dûssai-je être cent fois et mille fois battu ;
J’en aurai le coeur net.

FEDERIC, bas.

Bourreau, te tairas-tu ?
À Axiane.
Madame, pardonnez, pour certaines affaires ;
220 Je donne à ce valet des ordres nécessaires.
À Pasquin bas.
Prends garde de broncher.
Haut d’un ton radouci.
Pasquin, tu m’entends bien,
De tout ce que j’ai dit, fais qu’il ne manque rien.

PASQUIN.

Non, je ne saurais plus me faire violence ;
Ce serait vous trahir que garder le silence.
225 Madame.

FEDERIC, à part.

Ce coquin va me deshonorer ;
D’un pas si dangereux, tâchons de nous tirer.
À Axiane.
Pasquin depuis un temps est sujet au délire,
Il est fou.

PASQUIN.

Moi !

FEDERIC.

Voyez, comme son mal empire ;
Il est d’autant plus fou qu’il croit ne l’être pas.

PASQUIN.

230 Quoi donc ?

FEDERIC, tout bas à Pasquin.

Si tu réponds, je te casse les bras.

PASQUIN.

Je serais trop heureux, si j’en perdais l’usage.

FEDERIC, à Axiane.

Voyez, comme il répond, et jugez s’il est sage.

LISETTE.

Ah ! mon pauvre Pasquin : éloignement máudir !
En cessant de me voir, il a perdu l’esprit.

PASQUIN.

235 C’est bien en vous voyant en ces lieux l’une et l’autre ;
Qu’y venez - vous chercher ì Quel malheur est le nôtre!

LISETTE.

Madame, il est trop vrai ; n’en doutons nullement ;
De ses yeux enfoncés, voyez l’égarement,
L’amour l’a rendu fou.

PASQUIN.

Mais toi-même es-tu folle ?
240 De croire que l’amour...

LISETTE.

Cette seule parole
Ne me fait que trop voir que son timbre est fêlé,
ll peut nier qu’il m’aime ! il est ensorcelé.

PASQUIN.

Trêve d’amour, Lisette, et de sorcellerie ;
Veux-tu savoir d’où vient toute la diablerie.
245 C’est...

FEDERIC, bas à Pasquin.

Pour un mot lâché, deux cents coups de bâton.

PASQUIN.

Ouf ! C’est le prendre là sur un diable de ton.

FEDERIC, à Axiane.

Je lui dis certains mots d’un Médecin Arabe.

PASQUIN.

Je n’ai garde d’en perdre une seule syllabe :
Ce sont mots d’un grand poids, ils opèrent des mieux.

FEDERIC.

250 Voyez, comme son mal lui fait rouler les yeux.

PASQUIN.

Que je dise à Lisette un seul mot à l’oreille;
Écoute.

FEDERIC, à Lisette.

Garde-toi d’une épreuve pareille,
Il te l’arracherait.

LISETTE.

Ah ! ah ! N’approche pas.
Je vais m’évanouir si tu fais un seul pas.

FEDERIC, à Lisette.

255 Il est temps de finir tes mortelles alarmes;
À Axiane.
Madame ; votre vue a pour moi mille charmes :
Mais au mal de Pasquin il faut aller pourvoir,
Et préparer ces lieux pour vous y recevoir.

PASQUIN, à Axiane.

Allez, vous nous ruinez ; c’est une conscience.

AXIANE, à Federic.

260 Au moins ne faites pas ici de la dépense ;
Je ne veux qu’un seul plat.

FEDERIC.

Un plat, et très léger.

PASQUIN.

Quelque léger qu’il soit, il nous coûtera cher.

SCÈNE VI. Axiane, Lisette. §

AXIANE.

Pasquin me fait pitié.

LISETTE.

Je suis inconsolable.
Encor si de son mal j’étais seule coupable ;
265 Si pour me trop aimer il perdait la raison,
D’où le mal est venu viendrait la guérison ;
Je sens que ma fierté rendrait bientôt les armes,
Et d’ailleurs sa folie honorerait mes charmes ;
Mais, Madame ; c’est vous que j’en dois accuser.

AXIANE.

270 Moi !

LISETTE.

Je vous parle ici sans vous rien déguiser,
Je vous garantis sous le valet et le maître ;
L’un l’est déjà, pour l’autre il n’est pas loin de l’être.

AXIANE.

Tu perds l’esprit toi-même.

LISETTE.

Oh que non.

AXIANE.

Mais enfin,
Que veux-tu dire ?

LISETTE.

Hélas ! Si vous plaignez Pasquin,
275 Federic plus que lui sera bientôt à plaindre.

AXIANE.

Mais à devenir fou qui pourrait le contraindre ?

LISETTE.

La faim. Quand malgré soi l’on jeûne trop souvent,
L’estomac au cerveau ne porte que du vent.
Du corps et de l’esprit la sympathie est telle,
280 Que l’un s’affaiblissant, l’autre baisse et chancelle ;
Et voilà ce qui fait que le pauvre Pasquin,
4
Des petites-maisons enfilant le chemin,
Vient par tous ses discours de vous faire connaître,
Qu’il y va préparer la loge de son maître.

AXIANE.

285 Soit, mais de tout cela suis-je coupable moi ?

LISETTE.

Qui donc ? Morbleu ! Qui donc ? Parlez de bonne foi :
Avez-vous pu souffrir en bonne conscience,
Que pour vous Federic épuisât fa finance,
Que pour vous nuit et jour il fît tant de fracas ?
290 Car enfin vous l’aimiez, ou vous ne l’aimiez pas ;
5
Parlez : si vous l’aimiez, c’est un trait d’étourdie ;
Si vous ne l’aimiez pas, c’est une perfidie :
C’à que répondez-vous sur l’un et l’autre point ?

AXIANE.

Que j’aime Federic, que je ne l’aime point,
295 Qu’importe ?

LISETTE.

La réponse est tant soit peu normande,
Et c’est ce qu’on appelle éluder la demande.

AXIANE.

Moi ! Je n’élude rien. Choisis ce que tu veux :
J’aime, je n’aime point.

LISETTE.

Lequel choisir des deux ?

AXIANE.

Tout est égal pour moi.

LISETTE.

Me voilà bien instruite :
300 Quoi ? Dans tous vos discours trouver fuite sur fuites !
Je m’y perds.

AXIANE.

Mais pourquoi me presses-tu si fort ?

LISETTE.

C’est que de Federic je déplore le sort.

AXIANE.

Va, ne le plains pas tant.

LISETTE.

Quoi ! Serait-il possible,
Qu’enfin à son amour votre coeur fut sensible ?

AXIANE.

305 Je ne dis pas cela.

LISETTE.

Quoi donc ?

AXIANE.

Que Federic
Peut-être n’aime point.

LISETTE.

Ha ! Ha ! Voilà le hic.
Nous n’osons pas aimer, ou nous n’osons le dire,
Que sur de bons garants que pour nous on soupire ;
Mais quel garant plus sûr voulez-vous de l’amour,
310 Dont Federic pour vous brûla jusqu’à ce jour ?
Ces Fêtes, ces cadeaux, cette énorme dépense,
Dont il n’obtint jamais la moindre récompense,
Et dont il fait ici pénitence à loisir ,
Tout cela s’est donc fait, pourquoi ?

AXIANE.

Pour son plaisir,
315 Voilà comme ils sont tous. Crédules que nous sommes,
Ne serons-nous jamais que les dupes des hommes.
Quoi qu’ils fassent pour nous, toute leur passion
N’est qu’orgueil, qu’amour propre, et qu’ostentation.
C’est pour faire du bruit seulement que l’on aime ;
320 Le véritable amour s’explique-t-il de même ?
Ne peut-on renfermer son secret dans son coeur,
Sans que d’une maîtresse on triomphe en vainqueur ?
Je rends à Federic un peu plus de justice ;
Et s’il faut te parler enfin sans artifice ;
325 Mon coeur le distinguait du reste des amants ;
Mais combien sont changés mes premiers sentiments,
Depuis que loin de moi, méditant sa retraite,
Il ne m’en a laissé, que la honte secrète.
L’inconstant, à mes yeux soigneux de se cacher ,
330 Triomphe et me réduit à le venir chercher.
Que dis-je ? Sans raison, vois si je le condamne ;
Un oiseau qu’il chérit lui tient lieu d’Axiane,
Et je vois dans son coeur succéder en ce jour,
La fureur de la chasse aux transports de l’amour ;
335 Et tu te plains encor ! C’est moi que tu dois plaindre.

LISETTE.

Que j’aime à voir enfin que vous cessiez de feindre !
Je me doutais déjà que vous l’aimiez un peu.

AXIANE.

Moi ! l’aimer!

LISETTE.

Est-il temps d’en rétracter l’aveu ?
Mais, quand de Federic votre coeur se défie,
340 Permettez un moment que je le justifie.
S’il vous fuit, c’est qu’il craint de vous importuner,
Quiconque, comme lui n’a plus rien à donner
Auprès d’une Maîtresse est bientôt incommode ;
N’aimer que pour aimer ! Ce n’en est plus la mode ;
345 Et l’on risque de perdre, et ses soins et son temps,
Quand on ne fait l’amour qu’à beaux soupirs comptants.
Pour la chasse, entre nous, fait-il mal quand il l’aime ?
Il veut vous imiter, être un autre vous-même.
Pour le faucon, malgré votre mauvaise humeur,
350 Je ne puis m’empêcher d’en rire au fond du coeur :
Et d’un oiseau chéri vous voyant inquiète,
Je vous dirais tout franc, si vous étiez coquette,
Qu’avec vous Federic le fait aller de pair,
Et qu’il n’a jamais eu que des amours en l’air.

AXIANE.

355 Tais-toi : je n’aime pas sur ce point qu’on plaisante.

LISETTE.

Ah ! Vous le prenez là sur un ton qui m’enchante.
Poursuivez : redoublez ce charmant ........
Vous ne fûtes jamais plus aimable à mes yeux.
Continuez, Madame, aimez qui vous adore :
360 Que Federic apprenne...

AXIANE.

Il n’est pas temps encore.

LISETTE.

Qu’attendez-vous ? Qu’il perde ou l’esprit, ou le jour ?
Voyez où l’a réduit l’excès de son amour !
Avec le seul Pasquin dans un séjour sauvage,
Il cache le débris d’un éclatant naufrage :
365 Lui, qu’on vit autrefois entouré de laquais,
Remplir pompeusement un superbe palais :
Les mets les plus exquis inondaient ses cuisines :
Il ne vit que de fruits, peut-être de racines ;
Et s’il mange parfois un morceau de gibier,
370 Il le tient d’un oiseau, son père nourricier.
Cependant... j’en ressens une douleur amère :
Hélas ! S’il s’est ruiné ce n’est que pour vous plaire ;
Voilà de son amour le déplorable effet.

AXIANE.

Ah ! S’il est vrai qu’il m’aime, il n’en a que trop fait :
375 Mais si son triste sort est mon funeste ouvrage,
Quelle gloire pour moi d’en réparer l’outrage !

LISETTE.

Ah ! J’attendais de vous ce généreux retour.

AXIANE.

Voyons si Federic mérite mon amour.
Par quelque piège adroit qu’il faut que je lui dresse,
380 Je veux savoir, pour moi, jusqu’où va sa tendresse ;
J’en doute encor, Lisette, et prétends l’éprouver.
Toi, ne fuis point mes pas, et me laisse y rêver.

SCÈNE VII. §

LISETTE, seule.

Quel est donc son dessein ? D’un Amant si fidèle,
Elle veut faire encore une épreuve nouvelle !
385 Mais quoi ? Que pourrait-elle enfin se proposer ?
Federic l’aime trop pour lui rien refuser.
Je vois Pasquin. Ô Ciel ! Quelle mélancolie ?

SCÈNE VIO. Pasquin, Lisette. §

PASQUIN.

Hélas !

LISETTE, à part.

Je sens venir quelque accès de folie.

PASQUIN, sans voir Lisette.

Hélas ! Il ne vit plus ! Ô comble de malheurs !
390 Je viens de voir son sang couler avec mes pleurs.

LISETTE.

Quoi ! Federic est mort ? Parle ; que veux-tu dire ?

PASQUIN.

Qui te parle de lui ?

LISETTE.

Grâce au Ciel ! Je respire ;
Et qui donc pleures-tu ?

PASQUIN, à part.

C’est... gare le bâton.

LISETTE.

Achève...

PASQUIN.

C’est...

LISETTE.

Hé ! Bien.

PASQUIN.

C’est le meilleur oison ;
395 Par qui l’on puisse voir des basse-cours peuplées,
Qu’allez-vous devenir, ô veuves désolées ?

LISETTE.

Ah ! Ciel ! Peut-on plus loin porter l’égarement ?
Sans doute son délire augmente en ce moment,
Fuyons.

PASQUIN.

Dans mon malheur, Lisette m’abandonne :
400 Fortune, c’en est trop. Demeure.

LISETTE.

Je frissonne.

PASQUIN.

Quoi ? Ton pauvre Pasquin t’inspire de l’effroi !

LISETTE.

Je crains les fous.

PASQUIN.

Mon Maître est moins sage que moi.
Peste soit de l’amour qu’il a pour Axiane !
Puisqu’à mourir de faim tous deux il nous condamne...

LISETTE, à part.

405 Je l’ai bien dit ; la faim lui trouble la raison.
Mais par bonheur pour lui, j’ai le contre-poison ;
Il en faut sur le champ employer la recette.
Pasquin ?

PASQUIN.

Hé bien.

LISETTE.

Un mot.

PASQUIN.

Je vais mourir, Lisette.

LISETTE.

Bon, tu ne mourras pas pour un oison de moins ;
410 Et l’Amour va bientôt pourvoir à tes besoins.

PASQUIN.

Vraiment, il s’y prend bien, d’un coup il nous accable.

LISETTE.

C’est un grand médecin.

PASQUIN.

Le mal est incurable,
Nous n’avons plus d’espoir. Ô le maudit repas !

LISETTE, riant.

Ha ! Ha !

PASQUIN.

Tous les oisons ne se ressemblent pas ;
415 Et le nôtre était tel, que tout notre ménage...
Federic me défend d’en dire davantage.
Mais ce jour malheureux, le dernier de nos jours,
À ta feule pitié me fait avoir recours :
Jette sur ton Pasquin un regard favorable ;
420 M’abandonneras tu dans mon sort déplorable :
Souviens-toi de ces temps que nous trouvions si doux ;
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour nous ;
Nous les passions ensemble à bien manger et boire :
J’irai t’en rafraîchir quelquefois la mémoire ;
425 Et promenant mes yeux sur quelque plat charmant,
Dans l’Office avec toi soupirer goulûment.
Là, mes boyaux plaintifs, de mes langueurs secrètes,
Au défaut des échos seront les interprêtes :
Là, le tendre Pasquin, t’assurant de sa foi,
430 Lisette, dira-t-il, puis-je vivre sans toi ?

LISETTE.

Va, Pasquin, tu vivras, c’est moi qui t’en assure ;
Ton destin va changer.

PASQUIN.

Hé ! Par quelle aventure ?
Je suis trop malheureux.

LISETTE.

Laisse-là tes regrets ;
Tu jouiras bientôt d’un sort rempli d’attraits.

PASQUIN.

435 Que viens-tu m’annoncer ?

LISETTE.

La plus grande nouvelle...
Axiane à la fin cesse d’être cruelle,
Et ton Maître pourrait s’en ressentir un jour :
Mais, Pasquin, elle doute encor de son amour.

PASQUIN.

Et peut-il en donner une preuve plus grande,
440 Que... ? Je n’ose achever.

LISETTE.

Quoi qu’elle lui demande ,
À lui complaire en tout il faut le disposer.

PASQUIN.

Il ne peut désormais donner, ni refuser;
Il n’a plus rien.

LISETTE.

N’importe, il faut la mettre à même ;
Offrir tout, donner tout, pour lui prouver qu’il l’aime.
445 Elle veut de son coeur s’assurer aujourd’hui.
Tiens, s’il ne promet tout, tout est perdu pour lui.

PASQUIN.

Pour promettre, il le peut : pour donner c’est le diable :
Il est sec.

LISETTE.

Quoi ! Son sort est si déplorable ?

PASQUIN.

J’en pleure tous les jours.

LISETTE.

Va, cesse de pleurer ;
450 L’Amour a fait le mal, il peut le réparer.

PASQUIN.

Au moins s’il se pouvait que ta riche maîtresse,
Jusqu’à nous épouser fît aller sa tendresse ;
Je braverais la faim, muni d’un tel appui,
Et me consolerais du repas d’aujourd’hui.
455 Mais les moments sont chers ; et pour peu qu’on diffère...

LISETTE.

Va, dans un jeune coeur, l’Amour ne s’endort guère ;
Il fait bien du chemin.

PASQUIN, gaiement.

Ah ! Quel est mon bonheur !
Allons, plus de soucis, plus de mauvaise humeur ;
Rions, chantons, dansons. Ô ! Ma chère Lisette !
460 Je ne me connais plus ; ma joie est si parfaite,
Qu’il ne tient plus qu’à moi de te sauter au cou.

LISETTE.

Modère ce transport ; tu deviens encor fou !

PASQUIN.

On les croit à moins : Oui, ma belle Princesse,
On devient fou de joie, ainsi que de tristesse :
465 D’un excès de plaisir les traits sont si puissants,
Que quand il surprend l’âme, il fait perdre le sens :
Je sens que ma raison... mais Federic approche ;
Je sens que c’est à moi d’aller tourner la broche.
Je t’invite au convoi de défunt notre oison.

SCÈNE IX. Federic, Lisette, Pasquin. §

PASQUIN.

470 Vous le voyez, Monsieur, je n’en dis pas le nom.

FEDERIC.

Bien en prend à ton dos.

PASQUIN.

Ah ! nous savons peut-être
Le respect qu’un valet doit porter à son maître,
Et nous n’avons à coeur que son propre intérêt.

FEDERIC.

Va, fais-nous avertir, lorsque tout sera prêt.

SCÈNE X. Federic, Lisette. §

FEDERIC.

475 Lisette, qu’as-tu fait de ta belle maîtresse ?

LISETTE.

Dans le bosquet prochain certain souci la presse ;
Elle y rêve.

FEDERIC.

Quoi ! Seule ? Il faut l’aller trouver.

LISETTE.

Non, vous ne perdrez rien à la laisser rêver.

FEDERIC.

Lisette, que dis-tu ?

LISETTE.

Quoi qu’elle vous demande...
480 Je crains qu’elle ne vienne, et qu’elle ne m’entende :
Justement ; la voici. Monsieur , songez-y bien ;
Quoi qu’elle exige enfin, ne lui refusez rien.

SCÈNE XI. Federic, Axiane, Lisette. §

FEDERIC.

Madame, pardonnez si je vous ai quittée ,
D’un soin pressant mon âme était inquiétée,
485 Et ma présence était nécessaire à Pasquin.
On va bientôt servir.

AXIANE.

Au moins point de festin.

FEDERIC.

Ce séjour écarté ne permet pas d’en faire.

AXIANE.

Tant mieux.

FEDERIC.

Dans un désert on fait mauvaise chère :
Cependant je prends soin qu’on vous offre en ces lieux
490 Ce que j’ai de plus cher, et de plus précieux.

AXIANE.

Je ne regarde ici que la main qui le donne :
Quel que soit un repas, le bon coeur l’assaisonne :
Je compte sur le vôtre, et j’ose me flatter...
Mais non, n’achevons point.

FEDERIC.

Quoi ! vous pourriez douter,
495 Quoique vous ordonniez, que je ne l’exécute ?
La Fortune ennemie en vain me persécute ;
Elle m’a tout ôté par une dure loi :
Mais ce coeur qui me reste, est plus à vous qu’à moi.

AXIANE.

Que vous me rassurez !

FEDERIC.

Expliquez-vous, de grâce ?
500 Que puis-je ?

AXIANE.

Federic, vous savez que la chasse
Dès mes plus tendres ans fit mes foins les plus chers ;
Vous avez un oiseau plus prompt que les éclairs.

FEDERIC, à part.

Je tremble.

AXIANE.

De plaisir je me sens éperdue,
Sitôt que je le vois se perdre dans la nue :
505 Je l’aime, et je mettrais mon coeur même à ce prix,
Si...

FEDERIC.

Juste Ciel !

AXIANE.

Quel trouble agite vos esprits ?

FEDERIC.

Ai-je bien entendu ? Quoi ! Vous voulez, Madame...

AXIANE.

Non, je ne veux plus rien ; le trouble de ton âme
M’apprend trop tes refus : Que puis-je demander ?

LISETTE, bas à Federic.

510 Accordez tout, Monsieur.

FEDERIC.

Hé ! Que puis-je accorder ?
Fortune impitoyable, achevé, prend ma vie ;
Barbare, je croyais ta fureur assouvie ;
Mais tu mets aujourd’hui le comble à mon malheur,
Par le coup imprévu dont tu frappes mon coeur.
515 Ô rigueur sans égale ! Ô tyrannique empire !

AXIANE.

Qu’entends-je ! Avec le sort c’est donc moi qui conspire ?
Je viens à votre coeur porter les derniers coups :
Quoi ! Pour un seul Oiseuu...

FEDERIC.

Que me demandez-vous ?
Hélas ! Si vous saviez, Madame, à quel usage...

AXIANE.

520 Va, tu n’as pas besoin d’en dire davantage :
Je sais qu’à le garder tout doit t’interesser ;
Qu’il t’est cher, précieux : mais as-tu pu penser,
Que pour te le ravir je fusse assez cruelle ?
Je voulais de tes feux une marque nouvelle,
525 Triste épreuve ! Ton coeur d’un seul mot alarmé,
Ne m’a que trop fait voir qu’il n’a jamais aimé.

FEDERIC.

Je n’ai jamais aimé ! Quel injuste langage !
Hélas ! Et dans quel temps me fait-on cet outrage !
Je viens de me réduire au plus funeste état ;
530 Et quand j’ai tout donné, je passe pour ingrat.

AXIANE.

Ah ! C’en est trop enfin , ce reproche me blesse.
Pour m’en sauver la honte, il faut que je vous laisse.
Adieu.

FEDERIC.

Non, demeurez, ou dans mon noir transport,
De ce fer a vos yeux, je me donne la mort :
535 Il faut sur mes refus que je me justifie.
Heureux, si vous n’aviez demandé que ma vie !
Je vous l’aurais donnée, elle est en mon pouvoir,
L’amour que j’ai pour vous m’en eût fait un devoir,
Mais faut-il que le sort à tous mes voeux contraire,
540 M’ôte le seul moyen que j’avais de vous plaire ?
Avec plus de noirceur peut-il m’assassiner ?
Hélas ! L’oiseau n’est plus, vous en allez diner.

AXIANE.

L’oiseau n’est plus !

FEDERIC.

Le sort à tel point m’est funeste,
Que je vous offre en vain le seul bien qui me reste ;
545 Mais n’importe, en ces lieux prêt à vous recevoir ;
Ai-je pu trop payer le plaisir de vous voir ?

AXIANE.

Hélas ! Qu’avez-vous fait ? Et qu’ai-je fait moi-même ?
Quel outrage ! Quel prix de votre amour extrême !
Et comment réparer cet excès de rigueur ?
550 Est-ce assez de mes biens ? De ma main ? De mon coeur ?
Tout est à vous.

FEDERIC.

Quels mots ont frappé mon oreille !
Votre coeur est à moi ! Je doute si je veille :
Ah ! Dans le doux transport qui vient de me saisir,
Permettez qu’à vos pieds j’expire de plaisir.

AXIANE, en le relevant.

555 Federic, il est temps qu’une chaîne éternelle
Unisse à mon destin l’amant le plus fidèle ;
Mon coeur est tout à vous, ma main dépend de moi,
Je vous la donne.

FEDERIC.

Amour, ai-je trop fait pour toi ?

SCÈNE DERNIÈRE. Federic, Axiane, Pasquin, Lisette. §

PASQUIN.

De chasseurs, une troupe s’avance :
560 Quoi ! Viendrait-on encor me rogner ma pitance.

LISETTE.

Rassure-toi, Pasquin, tout répond à tes voeux ;
Axiane est sensible, et ton maître est heureux.

PASQUIN.

Que m’apprends-tu, Lisette ? Ah ! Tu me rends la vie !
Que je vais m’en donner ! Ô sort digne d’envie !
565 Qu’un repas succulent commence un sort si doux ?
À Axiane.
Mais croyez-moi, Madame, allons dîner chez vous.