L'Advocat duppé.
Comédie

Urbain Chevreau

A PARIS,
Chez Toussaint Quinet, au Palais, dans la petite salle, sous la montée de la Cour des Aydes
M. DC. XXXVII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Audrey Maratra dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2010-2011)

Introduction §

« Comédie : Poëme dramatique, piece de theatre representant quelques actions de la vie humaine qui se passe entre des personnes privés. » .

Dictionnaire de l’Académie Française, 1re édition, 1694.

Quiproquos et imbroglios : duper un avocat n’est pas de tout repos. Mais duper un amant est divertissant sachant que celui-ci se comporte comme un pédant. Déguisements et travestissement sont autant de prises de risque pour faire fléchir ce fameux avocat qui se retrouve, malgré lui, prit dans un jeu galant et comique. Chevreau imagine une pièce plaisante autour d’un avocat qui se place en parfaite antithèse face à la duperie qu’il est sensé maîtriser. L’ironie, c’est qu’il se verra confier, dix ans plus tard, la charge d’avocat après avoir reçu sa licence en 1647. Par la suite, il n’hésitera pas à dénigrer son théâtre comme une erreur de jeunesse, mais cette comédie plaisante peut être rapportée à son humeur libre et enjouée que ses contemporains lui connaissaient.

L’auteur §

Sa jeunesse §

Urbain Chevreau, fils d’Antoine Chevreau, peintre et vitrier, et de Suzanne Delarue ou Rue, est né à Loudun. Les avis divergent sur le jour de sa naissance, mais grâce au médaillon qui orne le Chevreana, où il est lui-même représenté avec sa date de naissance inscrite en latin, Gustave Boissière a démontré que par rapport au calendrier latin, qui a jusque-là été mal interprété, Chevreau est né en avril, le 201. Cette date est également la référence de Lancaster2. Les chercheurs ont toujours cru qu’il était natif du mois de mai sans prendre en compte la façon des anciens de compter les jours. De plus, son acte de baptême est daté du lendemain par le prêtre René Lemousnier.

Ses parents étaient de condition modeste sans être pauvre. Son père gagnait correctement sa vie : le métier de peintre-vitrier était un métier qui garantissait suffisamment de ressources pour vivre, depuis que Louis xi fit de ce métier une corporation par une lettre patente, en 1361.

Chevreau était issu d’une fratrie de sept enfants : Auguste né en 1603, Pierre né un an après, Suzanne née en 1607, Jean en 1609, notre auteur Urbain, puis Marie en 1616 et enfin Philippe née l’année suivante. Nous n’avons guère d’autres informations quant à la vie de ses parents et de ses frères et sœurs si ce n’est des actes de mariages.

Chevreau fît une partie de ses études à Poitiers. Il fut bachelier et licencié en droit le 30 septembre 1647, à l’âge de 34 ans. Il est d’ailleurs curieux que Chevreau ait été dans un âge aussi avancé quand il reçut sa licence de droit : Gustave Boissière émet deux hypothèses sur ce sujet. En effet, Chevreau se destinait peut-être à une carrière ecclésiastique et aurait finalement changé de voie. Mais Gustave Boissière émet également la possibilité qu’il ait été obligé de fuir Loudun, à cause d’une épidémie de peste en avril 16323. Il serait alors allé à Paris où il aurait fait des progrès dans le domaine des Belles-Lettres et aurait finalement choisi de passer le baccalauréat et la licence en droit comme aboutissement de ses études passées. On peut d’ailleurs mettre en évidence ce séjour à Paris et ses pièces de théâtre qui ont toutes été montées au théâtre de Bourgogne entre 1637 et 1641 (excepté L’Innocent exilé qui fût probablement joué au théâtre du Marais) . En reconnaissance de ses talents littéraires, il se vit offrir un canonicat, placement très avantageux puisqu’il se voyait recevoir une portion des droits ecclésiastiques, mais Chevreau le refusa. Il refusa également le mariage revendiquant son célibat :

[…] j’ai regardé avec beaucoup de réflexion les incommodités inséparables du mariage et, n’ayant pu m’en accommoder, j’ai pris ce parti, dont je me trouve parfaitement bien4.

Les pérégrinations de Chevreau §

Chevreau a beaucoup voyagé au cours de sa vie et particulièrement de 1653 à 1675. Sa correspondance est un outil précieux pour savoir où il se trouvait et à quel moment ; ainsi, nous pouvons en déduire un itinéraire.

En 1652, Chevreau fit un séjour à Paris en février avant de partir pour la Hollande le mois suivant puis revint à Paris en décembre. Gustave Boissière rapporte également, que Chevreau assiste au combat du faubourg Saint-Antoine en juillet de la même année, qui opposait Turenne au prince de Condé, au moment de la Fronde5.

Début 1653, Chevreau était à Stockholm : il rentra au service de la reine Christine de Suède (1632-1654) , qui le nomma ordonnateur de ses fêtes, puis secrétaire des commandements. Chevreau mit alors ses talents littéraires et artistiques au service de cette reine, en rédigeant des vers galants et des ballets qui firent danser la Cour. Le 16 juin 1652, la reine Christine abdiqua en faveur de son cousin, Charles Gustave, qui nomma Chevreau, secrétaire de son cabinet, mais ce dernier qui s’ennuyait en Suède, retourna à Loudun, où il séjourna jusqu’en 1656. Cette même année, il fit paraître le recueil de ses poésies. De plus, il faisait de temps à autres de courts séjours dans la capitale.

En 1661, Chevreau se trouvait à Constance. Le 3 mai 1662, il était à Thouars. Revenu à Loudun entre temps, il repartit en 1663, en Italie en passant par Cassel. En février 1664, il se rendit à Copenhague où Frédéric III voulait lui offrir l’archevêché de son pays, s’il voulait changer de religion ; mais Chevreau refusa et retourna à Cassel six mois après. En août 1664, il fit un court séjour à Venise, après être allé à Iburg en janvier.

En 1665, Chevreau traversa l’Allemagne en allant à Celle, puis dans le Hanovre puis à Brunswick en passant par Heidelberg. Pendant son passage dans le Hanovre, le duc Frédéric le nomma gentilhomme de sa cour avec un traitement de cinq cents écus, ainsi qu’un logement et un valet. Chevreau qui ne pouvait refuser, resta en Allemagne. Par la suite, il est rapidement sollicité par la princesse palatine douairière, pour convertir au catholicisme la princesse palatine Élisabeth Charlotte de Bavière, en vue de son mariage avec le duc d’Orléans, appelé Monsieur, frère de Louis xiv. On peut noter l’implication de Chevreau dans le devoir religieux, ce qui expliquerait l’hypothèse de Gustave Boissière au sujet de sa volonté d’entrer dans les ordres. La conversion attestée par le père Jésuite Jourdan, Chevreau accompagna la future Madame jusqu’à Metz, puis retourna à Heidelberg pour un compte-rendu à l’Électeur palatin, qui ne voulait pas avoir à faire aux religieux. À la cour de l’Électeur Palatin, Chevreau côtoyait et estimait Spinoza, mais quand ce dernier refusa le poste de précepteur au service de l’Électeur, Chevreau proposa son ami, Le Fèvre de Saumur. Cependant celui-ci mourut d’une forte fièvre avant même d’avoir eut le temps de rejoindre l’Allemagne. Nous pouvons retenir le fait qu’il entretenait avec son ami le plus cher, une correspondance qui nous est restée.

Cependant, Chevreau qui s’ennuyait encore à Heidelberg, décida de revenir à Paris en passant par Munich, à la fin de l’année 1675. L’incendie du Palatinat par Turenne en 1674, avait dû précipiter son départ. Chevreau déclara lui-même être resté treize ans en Allemagne. À la suite de ses longues années passées à l’étranger ou à voyager, Chevreau revient dans sa ville natale, pour y goûter un repos bien mérité.

Sa retraire à Loudun §

Il revint en 1676, en France et à Loudun, où il restera jusqu’à sa mort le 15 février 1701, à l’âge de quatre-vingts ans.

En 1678, Chevreau fut nommé précepteur du duc du Maine, Louis-Auguste de Bourbon, fils légitimé en 1673, de Louis xiv et de Madame de Montespan. Il refusa d’abord, doutant de ses capacités puis accepta finalement. Il dédira d’ailleurs à son élève, en 1686, son Histoire du monde. De plus, ce fameux élève le nommera secrétaire de S. A. Mgr. Le duc du Maine, le 11 décembre 1700, peu de temps avant sa mort.

Chevreau ressentit de plus en plus le besoin de consacrer le temps qu’il lui restait à ses devoirs chrétiens : il entreprit donc la construction d’un couvent, qu’il nomma l’Union Chrétienne. Il avait également acquis le 4 décembre 1661, la maison de Jeanne Fauton, à Loudun, veuve de l’avocat au Parlement, Pierre Aubin ; et en 1672, il acheta la maison contigüe à la précédente qui appartenait à Modeste Thibault, veuve de Vincent Henry, sieur de la Croix Blanche : ces maisons seront léguées aux dames de son couvent à sa mort.

À Loudun, Chevreau passait beaucoup de temps dans sa bibliothèque, qui était selon La République des Lettres « une des plus belles qu’on puisse voir par la rareté des livres, le choix des auteurs, le papier, l’impression et la reliure. » . C’était sa passion, sans oublier les fleurs, auxquelles il accordait autant d’importance qu’à ses livres comme il l’écrit dans ses Œuvres Mêlées :

Je fais plus d’état de six anémones et de six tulipes bien panachées que de toutes les fleurs de rhétorique6.

Cependant, le « bourgeois du monde » devenu « l’ermite de Loudun » ne se lassait pas de la société, et continuait à entretenir des liens avec ses amis. À sa mort, le Mercure galant écrira que Chevreau était « l’un des plus doctes et des plus profonds hommes qui aient paru dans le xviie siècle, quoiqu’il ait été fécond en grands personnages » .

Ses œuvres §

Chevreau est un auteur complet dans le sens où il touche à toute la littérature : traductions, poésies, romans, théâtre, observations, il se mêle de tout et démontre ainsi son caractère enthousiaste vanté par La République des Lettres.

Ses œuvres majeures sont en rapport avec des traductions comme la traduction de Joseph Hall (docteur anglais) , Considérations Fortuites ou encore une imitation d’un ouvrage de ce même auteur, L’École du sage, ou le caractère des vertus et des vices en 1664, dédié à la comtesse de Suze.

Chevreau écrivit également le Tableau de la fortune en trois livres : le premier relatant les décadences des Empires et des Royaumes à cause des éléments naturels, le deuxième sur les malheurs arrivés aux Rois et aux grands par les guerres, et le troisième, les malheurs des Grands arrivés au cours de duels ou de tournois. Il se mêle également de poésie, en publiant en 1660, ses Observations sur les Vers de Malherbe, vers dit « obscènes » . Il fait paraître aussi ses Observations sur les remarques que Vaugelas a faites sur la Langue Française. Son œuvre la plus connue à ce jour est son Histoire du Monde, parut pour la première fois à Paris en 1686, en deux volumes et dédié à son élève, le duc du Maine : Chevreau met en évidence la difficulté à dater les événements historiques ; il débute son œuvre par la Création du monde, et la termine à la fin de la Monarchie des Perses. Il y aura deux autres publications de cette œuvre corrigée, une en 1689 et l’autre en 1698.

Chevreau publia deux romans : Scanderbeg en 1644, et Hermiogene en 1648 qui ont reçu un accueil favorable mais il avait choisi de les faire paraître anonymement. Scanderbeg est tiré d’un fait relativement récent pour l’époque : Chevreau relate la bataille des Albanais contre les Turcs pour le maintien de leur indépendance ; au contraire, l’action d’Hermiogene se place dans l’Antiquité lors de la dictature de César.

Nous citerons également deux œuvres importantes : Œuvres mêlées en 1697 (recueil de billets, correspondance, etc.) ainsi que Chevraeana en 1697 et 1700 qui sont des contes pour rire.

Quant à ses pièces de théâtre, il les rédiga dans sa jeunesse, probablement quand il monte à Paris. Il écrivit donc trois tragédies, quatre tragicomédies et une comédie : La Lucrèce Romaine, Coriolan, Hydaspe, La Suite et le mariage du Cid, Les Deux amis, Les Véritables frères rivaux ainsi que L’Innocent exilé et bien sur L’Avocat dupé. Ses trois tragédies sont empruntées à l’Antiquité et notamment à l’Histoire de Tite-Live pour ce qui est de l’épisode du viol de Lucrèce par un des Tarquin. Gustave Boissière signale qu’il n’a pu retrouver le texte de la tragédie, Hydaspe7. La Suite et le mariage du Cid est un écho au triomphe de Corneille, Le Cid publié en 1637 : Chevreau ne perdit pas de temps pour écrire une suite et ainsi marcher sur les traces de Corneille. La tragi-comédie de L’Innocent exilé a été publiée sous le nom de Provais, mais elle fut rapidement attribuée à Chevreau excepté par Lancaster8. Chevreau s’essaya à tous les genres dramatiques ainsi qu’à la comédie, qui était peu répandue dans les années 1630. Cependant, Chevreau a renié cette jeunesse, qu’il consacrait à l’écriture dans l’imitation du poète italien, Marino ; il écrit ainsi dans ses Œuvres Mêlées :

Graces au Seigneur, il y a longtemps que je ne suis plus entêté de l’amour propre, qui dans ma jeunesse m’a fait passer d’assez bonnes heures quand je me prenois pour un autre : et j’en fus gueri quand je commençai à me connoître et à me servir de ma raison9.

La comédie au xviie siècle §

Le genre de la Comédie entre les années 1632 et 1642 est négligé dans le sens où le public ne se lasse pas des traditions latines et de la farce. De plus, la Comédie est assimilée à l’idée des types traditionnels que sont les personnages de pédants, de valets, de soldats fanfarons ou encore de nourrices et d’entremetteuses : « lorsqu’il assistait à une scène d’observation plaisante et délicate, il ne comprenait pas que la comédie c’était précisément cela »10. Néanmoins, la pastorale et la tragicomédie n’hésitent pas à mettre des éléments comiques qui poussent la comédie à se renouveler. La comédie d’intrigue et celle de mœurs essaient peu à peu de se dégager de la tragicomédie romanesque. Chevreau se place du coté de la comédie d’intrigue de part les quiproquos entre les personnages. Cette pièce semble avoir été jouée à l’Hôtel de Bourgogne en 163711. Elle semble avoir eu un succès suffisant pour être réimprimée l’année suivante, en 1638. Néanmoins les critiques du xviiie siècle ont contribué à faire oublier cette pièce ; le commentaire des frères Parfaict va dans ce sens :

[…] voici cependant une comédie plus pitoyable encore que sa tragédie La Suite du Cid  […] le sujet composeroit tout au plus une mauvaise farce, par le bas qui y règne. Mais l’auteur a jugé à propos de la traiter comme une comédie héroïque. […] ce faible sujet est traité très maussadement et encore plus mal versifié12.

Son titre, pourtant, attire la curiosité du spectateur dans le fait qu’on se demande dans quelle mesure un avocat pourrait se faire duper : c’est en effet, une de leurs caractéristiques, de duper les jurés et la Cour, mais ils se font rarement duper à leur tour. La première scène de l’acte I met en évidence, avec la tirade d’Atalante sur les avocats, le fait qu’ils savent duper tout le monde (vers 64 à 93) . Dans sa tirade, Atalante met en relief les faits détestables des avocats : leur pédanterie dans leurs explications savantes, dans lesquelles ils emploient des termes, plus techniques les uns que les autres, pour montrer leur savoir, ou encore dans leur manière d’être, qui requiert une exigence qui découle de leur pédanterie. Rien n’est suffisant pour eux, et leurs charges les mettent en position de décideur et de maître, dans le sens qu’ils symbolisent une nouvelle classe, celle de la bourgeoisie mise en avant par le pouvoir : les avocats symbolisent une réussite, par l’étude et le savoir, qu’il n’hésite pas à mettre en avant. Cependant, Chevreau ne choisit pas un avocat comme dupe, mais le jeune-homme vaniteux et sot qui incarne la charge d’avocat : c’est dans cette configuration, que notre auteur met en place l’intrigue de sa comédie, même si la comédie des années 1630 reste en retrait par rapport à la tragi-comédie, qui inclue des éléments comiques au sein de ses intrigues.

La peur du rire §

Un phénomène mécanique et un égarement psychologique §

Au xviie siècle, la question du rire est importante pour l’insertion de la comédie au théâtre : elle ne peut acquérir la reconnaissance des « honnêtes gens » puisqu’elle est d’un point de vue aristotélicien, une partie du laid :

La comédie est, comme nous l’avons dit, l’imitation d’hommes inférieurs ; il ne s’agit cependant pas de n’importe quelle bassesse, mais de ce qui est comique et qui n’est qu’une partie du laid13.

Les contemporains de Chevreau ont donc retenu, par la relecture de La Poétique d’Aristote, que la comédie fait partie du laid, mais ils ont occulté le fait qu’elle ne doit être ni basse ni vulgaire : la méfiance contre la comédie et le rire est donc à son comble. Cette laideur est d’ailleurs expliquée par le fait que ce phénomène mécanique déforme le visage par des torsions et des grimaces, qui rendent le corps laid : les honnêtes gens se caractérisent alors par opposition à ce rire débridé, ils sont dans ce qui est de l’ordre et de la retenue, du bien et de la morale. Ce corps, qui se déforme et qu’on ne peut maîtriser, fait peur à cette société qui tente d’être une élite sans défauts :

En effet, le comique est un défaut et une laideur qui ne suppose ni douleur ni destruction ; le masque comique en est un bon exemple : il est laid et difforme sans exprimer la douleur14.

En effet, l’importance accordée à l’étude du rire par le xviie siècle, est passée de l’étude des causes, à celle de l’effet produit : les classiques s’expliquent mal ces convulsions irrépressibles, qui déforment le visage, et qui inspirent les masques des théâtres antiques, ainsi que l’imaginaire admis de la difformité du corps comique. Le rire apparait comme une mécanique d’horlogerie et même d’automate :

L’union intime de l’âme et du corps semble l’ultime point de fuite des analyses mécanistes qui ont besoin, pour être opératoires, de privilégier l’hypothèse dualiste d’un corps-machine, fermé sur lui-même15.

Le comique selon Henri Bergson, devient le résultat « de la réduction du personnage à une mécanique qui l’exclut des vivants »16, ce thème du corps-machine se retrouve donc dans son analyse. De plus, le personnage comique est comique non en tant que personnage, mais à cause de son inadaptation aux codes sociaux : son comique réside dans le fait qu’il soit en décalage entre ce qu’il fait, et le monde dans lequel il évolue. Bergson démontre également, qu’un procédé comme celui de la répétition peut être considéré comme un élément mécanique, dans le sens qu’il fait joué deux sentiments, qui fonctionnent comme deux forces contraires, l’une tend, l’autre comprime :

Dans une répétition comique de mots il y a généralement deux termes en présence, un sentiment comprimé qui se détend comme un ressort, et une idée qui s’amuse à comprimer de nouveau le sentiment17.

Mais outre ces études sur un rire mécanique lié à l’esprit, c’est le rire incontrôlable qui laisse planer au dessus de lui « le spectre de la folie »18. En effet, les éclats de rire sont d’autant de signes d’un égarement psychologique, qui ne peut donc plus contrôler le corps qui se déchaîne. Le corps est possédé dans le sens où l’esprit n’a plus de prise sur lui. Ainsi le rire peut être pris pour une marque de folie, quand celui-ci n’est pas assez motivé. De plus, si l’on considère le théâtre comme un miroir du monde, on peut mettre en évidence le fait que le rire va à l’encontre des principes religieux, puisque le chrétien ne doit pas se détourner de ses prières, d’autant plus s’il regarde une pâle parodie de la réalité, en tant que Création.

Le rire est la jonction entre la mécanique du corps et de l’âme : la jonction entre la bassesse corporelle et la hauteur de l’esprit ; la comédie doit se placer dans ce même système du rire, à l’intervalle entre la farce basse et la noble tragédie.

Distinction de goût §

Ainsi le goût des honnêtes gens se définit par un rejet catégorique de ce qui fait rire aux éclats, pour un rire modéré et réglé, par la retenue ainsi que la discrétion; on rejette donc le rire populaire, jugé trop débridé et sauvage. Comment la comédie est-elle perçue par cette société à « deux vitesses » , l’une populaire habituée aux débordements de la farce, l’autre voulant adhérer à une nouvelle comédie joyeuse purgée d’un rire débridé et vulgaire ?

le grand ennemi (de la comédie) est la farce dont il faut à toute force que le comédie se distingue en refusant tout « bas comique » et en se définissant par complémentarité –non par opposition– avec la tragédie19.

Le goût des honnêtes gens se manifeste par le fait d’exclure tout ce qui plaît au peuple. En effet, le rire qui devrait normalement rassembler les différences, et lier les Hommes entre eux, exclut sans vergogne le bas peuple. Tout ce qui fait rire le bas peuple est donc un repoussoir aux bonnes mœurs et aux gens de goût : le rire excessif est un attribut populaire, et se place en contradiction avec une sorte de « savoir-rire » , directement mis en rapport avec la dialectique théâtrale de plaire et instruire. Le rire des honnêtes gens est un rire raisonnable, considéré comme un signe de distinction et de décence : le xviie siècle des doctes et des hommes de goût, se détache totalement de l’héritage médiéval, en matière de comédie, qui mettait en relief le corps, ainsi que les déstructurations du langage. Tout ce qui fait rire le peuple devient indigne d’être littérature : la comédie du début du siècle est considérée comme un divertissement et se résume le plus souvent au théâtre à une représentation d’une farce, après la représentation d’une tragédie, par exemple. Si la comédie veut faire œuvre littéraire, elle doit s’affranchir de toute familiarité avec le genre comique du peuple.

Dans cette exclusion, les femmes sont également mises en retrait, puisqu’elles ne peuvent rire que dans une mesure définie : le rire féminin doit être encore plus « édulcoré » que celui des honnêtes gens. Cette distinction entre les sexes se manifeste de plus en plus au théâtre, et en particulier dans la comédie : la femme doit faire preuve d’une plus grande retenue, dans le sens où elle ne doit pas rire de sujet en relation avec le « bas-corporel » , mais qu’elle doit au contraire s’en indigner, ou encore désapprouver un sujet trop romanesque qui pourrait lui donner des idées indignes de sa condition. La morale touche donc le rire féminin, encore plus que le rire masculin. La tragédie devient plus commode à la femme, puisqu’elle montre des passions nobles, et qu’elle est morale au contraire de la farce, qui domine encore le début du siècle. D’ailleurs, les classiques ont tendance à distinguer le rire et la joie, qui est une passion réputée noble, à l’inverse du rire, qui se qualifie comme une « passion joyeuse pervertie »20.

La comédie doit donc se définir par rapport à son intrigue qui doit être enjouée dans une certaine mesure : il ne doit pas y avoir d’éléments farcesques, ni de bouffonneries, et elle ne doit pas non plus relever d’éléments appartenant à l’univers de la pastorale et de la tragicomédie. Mais dans la pratique, le public ne peut se détacher des types de personnages comme le soldat fanfaron ou encore le pédant hérités de la comédie italienne : la comédie montrant des personnages de la vie dans un salon aux prises dans une intrigue galante, a plus de difficultés à se faire admettre comme divertissement que comme littérature. Quelques réglementations officielles tentent d’ailleurs de réprimer voire d’interdire le rire excessif, au profit d’un enjouement honnête, qui fait naître l’esthétique galante de ce siècle. Mais le plaisir de rire est un principe de convivialité, qui, même si la théorie repousse le rire populaire, est important au xviie siècle.

La nouvelle comédie fait sourire, tout en se démarquant des autres genres. Néanmoins, elle ne peut s’empêcher de reprendre l’univers amoureux dépeint dans l’univers tragi-comique, avec le principe de la chaîne amoureuse : sur ce point Chevreau s’en détache. Mais elle s’en éloigne dans le choix de son sujet : en effet, la tragicomédie et la pastorale tirent leurs intrigues de sujets romanesques avec de nombreuses péripéties, la comédie doit tirer son sujet de l’invention de son auteur, et ne doit faire l’objet d’aucun récit romanesque, ni hérité de l’Histoire et notamment de l’Antiquité. La comédie peut ainsi se définir de la façon suivante :

Une intrigue entre personnages de petite condition, finissant heureusement, entièrement inventée et soumise strictement à la vraisemblance, voilà ce qui caractérise la Comédie d’après les théoriciens des xvi et xviièmes siècles. Pour le reste elle se soumet aux règles de la tragédie21.

La comédie doit également faire face aux deux tentations qui sont celle du « naturel » et celle de la « gratuité irréaliste et de la fantaisie sans frein » . La première se caractérise par le rapport au « bas-corporel » et se manifeste dans des éléments de types farcesques : c’est ce qui déplait aux contemporains, qui juge que les mœurs au théâtre doivent être « décentes et instructives » , comme le dit La Bruyère, qui remet en cause le familier des pièces de théâtre. Quand à la « gratuité irréaliste et la fantaisie sans frein » , il s’agit de critiquer la débauche d’événements romanesques au théâtre, et notamment, ceux inspirés des tragicomédies, dont la comédie veut se distinguer. L’idéal de la comédie se situe entre ces deux tentations : des éléments farcesques sans trop tirer sur le vulgaire, et une intrigue sans trop de détails romanesques. La comédie devient par toutes ces restrictions « un art du comportement »22 : elle se rapporte alors au principe aristotélicien de l’imitation, puisqu’il s’agit d’observer les mœurs pour les rendre sur scène d’une façon la plus comique possible, c’est-à-dire en privilégiant les manies d’une manière risible, par l’intermédiaire de type, qui mettent d’autant plus en relief ces agissements comiques. La comédie doit se placer sur le même point que la tragédie : elle doit être sujette à un rire noble.

Chevreau et la comédie §

Une codification du rire §

La dramaturgie classique se codifie petit à petit. Dans un premier temps, chaque genre va devenir spécifique et va respecter un nombre de règles prédéfinies. Dans un deuxième temps, c’est le théâtre qui va se réglementer : les pièces devront être régies selon des unités, les trois unités connues aujourd’hui (unités de lieu, de temps, et d’action) . Ces règles se placent dans un système fondé sur le plaisir : pour certains doctes, c’est la régularité du théâtre et son entrée dans une forme donnée qui amènent le plaisir du spectateur. Au contraire, d’autres mettent en avant le fait que les règles sont des obstacles au plaisir. Mais elles finissent par s’imposer au spectacle au nom du plaisir. La comédie ne va pas y échapper et au début du siècle, les dramaturges essaient de s’y résoudre. Chevreau également va tenter d’y faire correspondre sa comédie.

L’intrigue de L’Avocat dupé se déroule approximativement en vingt-quatre heures : les didascalies ne peuvent nous aiguiller sur le commencement de la pièce, mais on peut supposer que c’est en journée. L’acte IV se déroule la nuit, dans le jardin où tous les personnages enchaînent les quiproquos : au début du dernier acte, Polydas sort du jardin où il s’était endormi, et l’intrigue reprend pour le duper encore davantage. On peut donc supposer que la pièce commence le matin, et se termine le lendemain au petit matin également. L’unité de temps, qui se définit par rapport au temps du spectacle, est relativement bien respectée. Chevreau inscrit sa pièce dans son siècle, avec les différents enjeux qui font évoluer la dramaturgie. En revanche, l’unité de lieu n’est pas respectée : dans un même acte, les personnages enchaînent les entrées et les sorties d’un bout à l’autre de la scène, d’un décor à l’autre. Le décor est d’ailleurs composé de deux maisons, une rue et un jardin ; il y a également un bureau sur lequel est posée une feuille, où est écrit le sonnet de Polydas, pour louer la beauté et la cruauté en amour d’Atalante, ainsi qu’une chaise et trois épées. Le Mémoire de Mahelot ne répertorie pas le décor de la pièce, mais nous pouvons aisément affirmer, qu’il s’agissait d’un décor à compartiments, représentant deux façades de maisons ainsi qu’un jardin. D’après les dessins que nous avons pu voir, les jardins étaient souvent placés côté jardin (gauche vu de la salle) , et les habitations du type maisons se trouvaient côté cour (droite vu de la salle) . Dans cette pièce, le jardin devait être placé du côté auquel il donne son nom, la maison d’Atalante pouvait se trouver côté cour ; quant à la maison de Polydas, elle devait sûrement se trouver au centre de la scène. À l’Hôtel de Bourgogne, dans les années où s’est jouée notre pièce, 1636/1637, l’usage était un décor à cinq compartiments, disposés de la façon suivante : deux de chaque côté et un central devant lequel l’intrigue se dénouait, en présence de la plupart des personnages ; en effet, le compartiment du milieu pouvait être visible de la totalité, ou presque, des spectateurs qui n’avaient pas tous la chance de voir correctement et entièrement tous les personnages selon leur position sur la scène. C’est pour cette raison que nous pouvons supposer, que la maison de l’avocat était placée au milieu de la scène, puisque c’est chez Polydas que se clôture l’intrigue.

En ce qui concerne les chambres, il existait au xviie siècle des tapisseries qui étaient des éléments de décor, qui permettaient de dissimuler une chambre. Ces tapisseries, appelées également « rideau » (le rideau d’avant-scène prenant le nom de « toile de devant » ), pouvaient ainsi être tirées pour montrer l’intérieur d’un compartiment à un moment donné de l’action23. Il était également fréquent, que le texte du dramaturge fasse référence à ce « jeu de scène » , soit dans les paroles même du personnage, soit dans les didascalies, comme dans notre pièce, avec, par exemple, la didascalie marginale des vers 1260-1261: « (On tire la toile pour cacher la chambre.) » , Polydas surprend Sicandre dans une chambre en compagnie d’un homme, qu’elle fait passer pour un ami d’Atalante, qui vient l’entretenir sur ses amours. Ces tapisseries sont considérées comme un gain de place sur un plateau, qui ne cesse de se rétrécir, du fait des aménagements pour les spectateurs les plus aisés, qui pouvaient prendre place sur la scène même. De plus, elles contribuaient à rendre plus réaliste le mouvement entre deux lieux, elles étaient d’un emploi naturel pour séparer deux endroits contigus dans la première moitié du xviie siècle ; la fin de siècle et les règles du théâtre s’affirmant, on préfèrera le décor unique, ou un décor unique par acte sera toléré, avec si changement à vue à l’intérieur de l’acte, un décor contigus.

Le décor garantit également une certaine homogénéité de la pièce, dans le sens que les personnages évoluent dans différents lieux par une logique déterminée par le dramaturge. Ainsi les changements de décor doivent être motivés par l’action. Cependant, certaines scènes ne sont pas reliées entre elles : les personnages passent d’un décor à l’autre sans liaison apparente entre les deux. Le premier acte peut être un exemple de ces changements sans liaisons : les deux premières scènes se déroulent dans la maison d’Atalante et d’Isidore, tandis que la troisième se déroule dans la maison de notre avocat. Peut-être ce changement spontané d’un lieu à l’autre est-il motivé par le sujet de la conversation des deux premières scènes ? Les sœurs évoquent la ruse dans laquelle elles veulent faire tomber Polydas, puis Chevreau réalise ensuite une sorte de gros plan sur le sujet de la duperie, pour montrer le personnage et pouvoir en rire, sachant ce qui se trame derrière lui. Nous assistons donc plusieurs fois dans cette pièce à des changements soudains de décor. Si nous prenons un second exemple, nous pourrions alors citer l’Acte II et la rencontre, à la scène 5, des prétendants d’Isidore qui vont définir les conditions de leur duel alors qu’à la scène précédente, nous étions dans la maison de Polydas, pour recevoir la garantie des services de Sicandre. Les liaisons entre les différents lieux ne sont pas toujours soignées.

Quant à l’unité d’action, Chevreau construit sa pièce autour de l’intrigue principale, qui est la séduction de Polydas par Atalante. Les actions secondaires, comme celle qui confronte Sicandre à l’amour de Flaminie, influent directement sur l’action principale, puisque c’est cette action qui provoque le quiproquo de Flaminie prenant son frère pour Sicandre, et Polydas prenant à son tour, Atalante pour Flaminie. Quant à l’action de Tharzinte, elle est motivée par son amour pour Isidore, et elle aide l’action principale à se dénouer, en obligeant Atalante à choisir Polydas, puisque même sa sœur trouve l’amour. Nous allons maintenant nous intéresser aux différentes manières d’écrire une pièce : nous évoquerons l’aparté, puis les stances sans oublier de parler du sonnet de Polydas.

Pour ce qui est de l’écriture théâtrale, Chevreau a recours à l’aparté, aux stances mais également aux sonnets et aux sentences qui sont des éléments qui embellissent une pièce et qui plaisent aux spectateurs qui attendent ces moments avec impatience.

En ce qui concerne l’aparté, nous pouvons l’évoquer en tant que parenthèse comique, mais également en tant qu’ « indicateur » de vraisemblance :

Voici le fondement de toutes les pièces de théâtre, chacun en parle et peu de gens l’entendent ; voici le caractère général auquel il faut reconnoître tout ce qui s’y passe ; en un mot la vraisemblance est, s’il le faut ainsi dire, l’essence du Poëme Dramatique, et sans laquelle il ne se peut rien faire ni rien dire de raisonnable sur la Scène24.

En effet, l’aparté est une manière d’exprimer des sentiments qu’un personnage ne pourrait dire en face de celui ou celle qu’il aime ; c’est également un moyen de dire tout haut ce que le personnage pense, pour que le public soit dans la confidence et non l’interlocuteur de ce personnage. Ce décalage est gratifiant pour le spectateur, qui se place en position de supériorité du point de vue du savoir, par rapport aux personnages. Dans cette perspective, on touche à la bienséance puisqu’une jeune fille bien née ne peut offrir son cœur à un homme, sans se montrer malséante ; Flaminie se demande dans un aparté, comment elle pourrait déclarer sa flamme à Sicandre, sans être inconvenante :

Ha ! Si mes yeux pouvoient témoigner mon ardeur ?
Mais il faut malgré tout montrer de la froideur.
Obstacle injurieux, respect, loy tyrannique,
Cacherez-vous toujours le dessein qui me picque ?
Du moins inspirez-moi quelque doux compliment,
Qui sans difficulté le fasse mon Amant. (Acte III, scène 2 ; vers 767 à 772)

Flaminie, qui parait si préoccupée des inconvenances de son aveu, les oublie bien vite quand Sicandre la repousse :

FLAMINIE
Je me sçaurai vanger de ton ingratitude ;
Et treuverai la fin de mon inquietude.
J’assurerai bientôt pour te voir condamner
Que ton credule esprit m’a voulu suborner.
J’emploie à cét effet l’excès d’une malice
Capable desormais de fêre ton suplice.
Mon frere le sçaura qui poura t’en punir,
Et sans avoir peché tu te verras banir. » (Vers 849 à 856)

La bienséance laisse place au comique, entre une femme qui déclare sa flamme avec prudence, et qui devient finalement tyrannique face à son amant qui se refuse à elle ; le fait que Flaminie déclare sa flamme, en réalité, à une autre femme, peut être sujet à sourire, puisqu’il existe un décalage de savoir entre Flaminie, qui pense aimer un homme, et Isidore qui se trouve aux prises entre sa véritable identité et son déguisement, dans les limites de la bienséance. Celle-ci ne se distingue pas forcément, au xviie siècle, de la notion de vraisemblance : cette dernière engage la bienséance puisque le vrai est comme le bien et le concevable. Chevreau reste dans les limites du bienséant et, par conséquent, reste également dans le vraisemblable avec cette comédie légère sur les amours de bourgeois. La vraisemblance touche également la liaison entre les différentes scènes puisque d’une scène à l’autre, il faut que la venue d’un personnage soit annoncée par un autre personnage qui se trouve sur scène ; mais cette pratique s’affirmera dans la seconde moitié du siècle.

Cependant la bienséance et la vraisemblance peuvent toucher à des formes plus poétiques comme les stances ou encore le sonnet : c’est dans la manière de les introduire que les dramaturges doivent prendre en compte ces deux notions. En effet, l’introduction de ces morceaux de textes travaillés doit se faire sans que le spectateur revienne à la réalité, en se disant que le travail du dramaturge est remarquable : le dramaturge doit totalement s’effacer de sa pièce et Chevreau ne déroge pas à la règle en introduisant ses poèmes comme si c’était Polydas qui les avait composés pendant l’entracte. Ainsi, au début de l’acte III, il est introduit comme étant dans son bureau à lire les vers qu’il vient de composer :

POLYDAS
Dans son cabinet, où il lit sur sa table ces vers qu’il a fait pour Atalante.

Le souci de vraisemblance se manifeste par le fait que le théâtre doit s’effacer en temps que théâtre : on ne doit pas rappeler aux spectateurs sa condition de spectateur assistant à une représentation, mais à une vérité qui se passe devant ses yeux.

Ces stances sont introduites comme s’il venait de les écrire, et qu’il les relisait pour y apporter quelques corrections. Cette irruption de lyrisme est en rupture avec l’action, mais contribue à vanter la part de littérature dans la pièce : leur insertion, au début de l’acte, permet d’une certaine manière, de les mettre en valeur puisqu’elles ouvrent le profil psychologique de Polydas, qui se confie encore plus intimement qu’il ne le fait au contact de sa sœur. De plus, ces stances mettent en place le schéma amoureux de l’amant épris d’une belle inhumaine : le public peut sourire à cette situation bloquée entre une femme qui essaie, par tous les moyens, de conquérir un homme qui pense qu’elle le repousse.

Elles sont composées de deux quatrains de rimes croisées et composées de cinq octosyllabes séparés par un alexandrin d’un distique de décasyllabes. On y retrouve les lieux communs de la littérature galante, et notamment, dans la première strophe, avec « l’adorable ennemi » qui désigne l’amante, ainsi que la conquête amoureuse y est caractérisée par des termes guerriers de conquête militaire. Chevreau met également en avant, dans les strophes suivantes, la métaphore du feu qui désigne l’amour, et la développe en faisant appel aux quatre éléments de la nature : le feu avec « S’en est fait, vôtre œil me consume, » (vers 641) , l’eau et l’air avec ce décasyllabe « Je ne suis plus que de l’onde et du vent. » , et enfin la terre « Comme elle porte un cœur de roche, » . Cette recherche passe par le travail particulier que Chevreau a cherché à faire en utilisant les figures de styles, qui rappelle l’esthétique galante qui donne une place d’honneur à la maîtresse : elle a la suprématie sur l’amant, mais en est totalement indifférente. Ces stances sont assez ironiques du point de vue de l’intrigue, puisqu’Atalante essaie par tous les moyens de se faire désirer par Polydas, qui ne la voit que comme une belle inhumaine : chacun essaie d’apprivoiser l’autre, sans comprendre ce qui se passe réellement. Chevreau ne déroge pas à la forme traditionnelle des stances :

ces pauses sont fortement marquées dans les stances au théâtre, c’est qu’elles présentent un intérêt particulier pour la déclamation. Elles permettent en effet de souligner fortement la « chute » de chaque strophe ; or, dans cette chute, il est d’usage d’inclure quelque recherche de style : une « pointe » , une antithèse ou toute autre tournure ingénieuse25.

En effet, il place des pointes galantes, en référence souvent avec son échec face aux appas de cette femme, sous la forme de la métaphore guerrière ou celle du feu pour désigner son amour ; il utilise également, un oxymore mêlé à une antithèse, toujours sur le schéma du feu : « Qui brûlent tout, et n’ont point de chaleur » en parlant des glaces ardentes : on trouve cette idée de la belle inhumaine, reprise dans son sonnet pour Atalante qui est comparée à un miroir.

De la même manière le sonnet « Sur le miroir d’Atalante » , est introduit par un échange comique entre Polydas et sa sœur :

SUR LE MIROIR D’ATALANTE
Sonnet
Ne cherche point de glace où tu te puisses voir,
Sache que tout Paris admire tes merveilles,
Ceux à qui tes beautez ont apris leur pouvoir
Te vont fère l’objet de leurs plus douces veilles.
Que cette glace, ô Cieux, me fait bien decevoir !            735
Et qu’elle exprime bien ses graces nompareilles !
Ha si ton cœur ainsi me vouloit recevoir,
Qu’un doux remerciment flatteroit tes oreilles.
Mais resveur que je suis, où seroit mon plesir ?
Quand même elle voudroit accomplir mon desir,            740
Jamés cette faveur ne feroit ma fortune*.
Car comme son miroir a cela de commun
Qu’il reçoit cent beautez, et n’en retient pas une,
Elle reçoit cent cœurs, et n’en retient pas un. »

Polydas essaie de cacher ce sonnet à sa sœur Flaminie, qui veut le lire : il est hésitant et se résout finalement, à le lire devant elle. Ce sonnet est composé à la française, c’est-à-dire qu’il a la particularité des poèmes français d’ordonner le système de rime des deux tercets de la manière suivante : un distique de rimes plates et un quatrain de rimes croisées. Cette combinaison a été inventée par Peletier pour présenter successivement les trois types de rimes dans un même sonnet26. Mais Chevreau ne suit pas cette mixité dans le système de rimes, puisque les deux premiers quatrains, habituellement en rimes embrassées, sont ici en rimes croisées, illustrant un phénomène de parallélisme autour du distique, pour former un miroir. Atalante est ici assimilée au miroir qui ne retient pas les reflets, elle ne retient pas les cœurs ; elle est alors assimilée au type de la belle inhumaine qui n’aime personne et que tout le monde convoite. Ce type est d’ailleurs très courant dans la tragicomédie, où le schéma de la chaîne amoureuse admet souvent un dernier ou une dernière qui n’aime personne, mais qu’on aime. Atalante peut donc être assimilée à la froideur de la glace, et le thème du miroir est traité de façon paradoxale, dans le sens où le reflet est toujours trompeur : ne serait-ce pas une manière détournée par Chevreau pour dénoncer la tromperie d’Atalante ?

De plus, Chevreau place des sentences dans sa pièce, que l’on reconnait aux guillemets ouverts : la sentence ne se rencontre que dans les pièces sérieuses, et elle s’inscrit dans la fonction du divertissement, qui est l’apprentissage. Mais elle peut également, être une sorte de parodie des sentences tragiques, prononcées par des personnages enjoués.

Forme et finalité de l’intrigue de L’Avocat dupé §

Cette comédie est assimilable à la comédie humaniste. En effet, le renouveau dramatique initié par les auteurs de la Pléiade, ainsi que les influences de la comédie italienne dirigent la comédie humaniste, vers une comédie d’intrigue « où l’accent est mis sur l’agencement complexe de situations piquantes, de péripéties inattendues qui font rebondir l’action et tiennent l’attention en éveil. »27. La comédie humaniste se caractérise par des sujets qui se passent en France, avec des personnages français ; l’action se déroule donc à Paris, à Orléans ou à Poitiers. Les allusions à l’actualité sont intégrantes à l’intrigue, et les types représentatifs d’un métier ou d’une catégorie sociale sont tournés en dérision. De plus, elle esquisse la définition du xviième siècle qui met en évidence le milieu bourgeois et familial de la comédie. Le thème le plus souvent évoqué, est celui de la question d’argent : la subtilité de Chevreau en ce qui concerne ce thème, est de le traiter de façon différente. En effet, dans la comédie humaniste, il est question d’argent quand le mariage est évoqué, c’est un contrat dont les parents veulent tirer le plus d’avantages ; dans notre pièce, c’est la future épouse qui espère en tirer le meilleur profit. Cependant ce profit est indissociable des sentiments, Chevreau lui donne un trait positif car, même si les jeunes femmes cherchent à se marier pour des questions financières, elles ne laissent pas les sentiments de côté : Atalante, au début de la pièce, n’aime pas les avocats, puis elle se laisse finalement charmer par Polydas. La question financière lance l’intrigue sentimentale. Chevreau construit sa pièce sur l’héritage des comédies humanistes, sans oublier d’inscrire ses personnages dans sa propre époque. Sa comédie, comme la comédie humaniste, développe chez le spectateur un plaisir de l’intelligence. Ce plaisir, provoqué par la comédie d’intrigue, est ainsi éveillé par les situations, les déguisements ou encore les quiproquos : le personnage du meneur de jeu, ne fait pas rire en lui-même mais, rend le spectateur conscient de la distance qu’il existe entre lui et les différents personnages. C’est le rôle d’Isidore qui se sort de toutes les situations et qui rend le mariage final possible. Elle est l’héritière du rôle du fourbe, décrit par Madeleine Lazard, dans son ouvrage sur la comédie au xvie siècle :

Sans être un grotesque ni un ridicule, il suscite un monde d’illusion où les rôles sont inversés, les valeurs renversées, où le triomphe du valet-roi symbolise tout à la fois de l’imagination, de l’intelligence et du plaisir28.

Cependant, Chevreau ne rend pas la cohérence souhaitée par la comédie humaniste : sa volonté de faire œuvre nouvelle, met en valeur les manques de son intrigue. Celle-ci paraît, en effet, compliquée à première vue, mais le sujet de l’intrigue, n’est pas pertinent puisque Polydas est séduit par Atalante avant même de l’avoir vu : cette pièce repose sur le seul plaisir des personnages à duper l’avocat. L’aversion d’Atalante pour les avocats peut être considérée comme un obstacle à la séduction de Polydas, mais elle se laisse rapidement persuader de mener à bien cette séduction, par sa sœur, Isidore, pour conclure au mariage :

Il est riche, il est jeune, et sa flamme naissante
Toucheroit doucement vostre Ame languissante29.

La richesse est la motivation première de la duperie puisqu’elles sont sans ressources, et que ce sont des coquettes, qui possèdent de nombreuses toilettes démontrant leur goût du luxe. Les deux jeunes femmes veulent acquérir ce qui leur appartient déjà, l’intrigue est creuse puisque la scène d’exposition amène un sujet sans intérêt : séduire un homme déjà séduit.

Le véritable nœud de l’intrigue réside dans le fait que les amants Polydas et Atalante se brouillent à l’acte IV, permettant à l’acte V de jouer son rôle de dénouement, et de terminer la pièce par trois mariages. En effet, l’acte IV se déroulant dans le jardin à la nuit tombée, est un tissu de quiproquos qui s’enchainent jusqu’à la brouille des amants, à la scène 8 ; Polydas, courroucé par l’aveu de sa sœur éprise de Sicandre et pensant qu’elle revient s’expliquer, la renvoie brutalement avant de s’apercevoir qu’il s’agit d’Atalante :

POLYDAS
Ah ! c’est mon Atalante ; adorable merveille        1205
Sachez qu’un bruit confus a trompé mon oreille,
Qu’une sœur infidelle a causé ma fureur,
Et qu’un pront repentir doit suivre mon erreur.
ATALANTE
Sachez que vôtre gloire avoit esté trop haute,
Et qu’un pront repentir doit suivre aussi ma faute.    1210

Atalante se met en colère et décide de mettre un terme à la duperie, puisqu’elle n’arrive pas à faire fléchir Polydas, son orgueil de la première scène du premier acte30 est mis à mal puisqu’elle n’arrive pas à en faire son amant, mais Polydas ne lui est-il pas d’ores et déjà acquis corps et âme ?

Flaminie, tombée sous le charme de Sicandre/Isidore, rend la situation délicate pour Isidore, mais profite à la brouille des amants, puisque son amour, est sujet de querelle avec son frère, aveuglé par la nuit et la colère. Mais là encore, cette brouille n’est qu’un prétexte à une nouvelle duperie, qui ne se justifie que par la volonté des personnages : Atalante, qui voulait se retirer du jeu, finit par jouer la duperie jusqu’au bout, et Polydas est éprouvé dans un amour qu’il a défendu tout au long de la pièce. Chevreau a fait d’un maigre sujet une comédie qui manque de légitimité : si Polydas n’était pas acquis dès la première scène, la duperie aurait été plus intéressante puisqu’Isidore aurait été un véritable allié, pour favoriser les amours de sa sœur auprès d’un homme qui n’y pensait pas.

Cependant Chevreau, en partant d’un sujet qui semble sans véritable importance, arrive à rattacher les personnages les uns aux autres et à leur trouver une utilité qui n’est pas évidente à première vue : Mainalte prend toute son importance pour devenir l’amant de Flaminie, puisque Sicandre/Isidore ne peut le devenir. Quant à Tharzinte, amant d’Isidore, il trouve sa place dans la duperie du fait qu’il éprouve l’amour de Polydas en se faisant passer pour son rival avec Mainalte.

La pièce est un divertissement qui se retrouve dans son écriture même : Chevreau y ajoute un sonnet, des stances, des déguisements et un travestissement qui enchantent le public, même si l’intrigue reste légère. De plus, Chevreau aborde des thèmes débattus dans les Salons galants comme, par exemple, quand Polydas fait référence au cocuage à la scène 3 du premier acte et la question de l’amour jaloux : « N’aimer pas comme moi, c’est n’aimer rien qu’un peu. » (vers 271) ; question qui est longuement débattue pour savoir de qui, de l’amoureux « normal » ou du jaloux, aiment le mieux, thème également récurrent, que l’on retrouvera plus tard chez Molière.

Personnages et jeux d’apparences §

Les différents types §

Les personnages de cette comédie sont directement inspirés des types de la comédie humaniste du xvie siècle : ils appartiennent à la bourgeoisie. En effet, on peut retrouver ainsi le personnage du jeune amoureux dans la société, que l’on peut rapprocher de Polydas. Il est caractérisé par son inactivité, ou par une profession dont il n’est presque jamais fait référence au cours de la pièce, excepté au début : même eux s’en désintéressent provisoirement, au contact de l’amour qui les absorbe. On peut également noter, qu’il est habitué à la richesse et est vaniteux face à son profit.

Devant l’amour, l’amant peut se montrer fidèle ou au contraire volage : nous nous intéresserons à l’amant fidèle en particulier, qui correspond au personnage de Polydas. Dans la comédie, la naissance de l’amour est brève et soudaine, ainsi Polydas tombe sous le charme d’Atalante sur un simple récit de ses beautés ; de plus, face à celle qu’il aime, il perd ses moyens comme l’explique Madeleine Lazard :

Face à la jeune fille, avec laquelle il ne s’entretient que très rarement, son audace l’abandonne. Il reste paralysé devant une belle insensible ou s’empêtre dans sa déclaration31.

Son jeu est caractérisé par un besoin de dire son amour et de se lamenter seul ou devant un confident : il décrit ce qu’il ressent comme une maladie, une souffrance que seule la jeune fille peut apaiser. Madeleine Lazard résume en une phrase toutes leurs lamentations :

Lecteurs attentifs des poètes, écoliers et damoiseaux n’ont pas oublié les leçons de rhétorique du pédant qu’ils appliquent docilement au cours de leurs effusions lyriques ; on y relève à foison des invocations à l’Amour, à la Fortune, à la Nature, des personnifications de la crainte, de la honte, des allusions mythologiques à Bacchus et à Jupiter, à Tantale et à Ixion, à Hélène de Troie et, bien sûr, à Cupidon, quel que soit l’interlocuteur auquel ils s’adressent, ami ou valet, et même au cours de soliloques32.

En rapportant cette phrase aux interventions de Polydas, on retrouve ces lamentations sur la belle qu’il ne peut pas voir, tout d’abord, puis sur le fait d’être loin d’elle. On retrouve également, les références aux personnages mythologiques qui permettent de donner des images aux spectateurs instruits de ce que ressent le personnage.

POLYDAS
Non, non c’est trop soufrir ; si je suis amoureux*
Faut-il que j’en paroisse un peu moins genereux* ?        1180
Attendre tout le soir, ne treuver que des feintes,
Perdre le jugement, estre afligé de craintes,
Quitter son interest pour son contentement,
Se plaire de la sorte à croistre son tourment,
Rendre par des effets son amour si connuë,            1185
Et comme un Ixion n’embrasser que la nuë.
O Ciel je n’en puis plus ! je me rends à mon tour,
Il faut estre bien sot pour faire ainsi l’amour33.

Ainsi on peut retrouver la référence au personnage d’Ixion qui caractérise la fuite de l’être aimé, quand il pensait la posséder. Tous les lieux communs de la littérature galante, sont également appliqués comme nous avons pu le voir avec le sonnet et les stances de Polydas.

Cependant, Polydas, tout en jouant le rôle du jeune premier, peut également être pris pour un pédant, il se vante des vers qu’il compose : « Comme je fais des vers sans y joindre la pene, » (vers 670) mais le rôle du pédant est partiellement éclipsé entre 1620 à 1640. Cependant après 1635, la pédanterie réapparaît petit-à-petit, et on voit même apparaître une variante de ce rôle, qui est le poète : le nouveau pédant est assimilé au poète, et Polydas correspond à ce nouveau type. Sa pédanterie s’expose tout au long de la pièce par petites touches : il épanche ses sentiments dans des monologues ou des tirades toujours plus longues et langoureuses, les unes que les autres. Mais dans ces monologues, le comique s’installe dans le décalage entre son rôle de jeune amant, et sa pédanterie, dans les termes qu’il utilise, pour se vanter d’un poème qu’il vient d’écrire. Mais, cette pédanterie pourrait également, lui venir de son état d’avocat que décrit Atalante, au début de la pièce :

Au reste sans sujet chacun s’en fait accroire,
On ne les peut aimer à cause de leur gloire (vers 77-78)

La pédanterie est donc assimilée à la charge d’avocat, qui étale ses connaissances juridiques, mais aussi, au poète qui met en évidence ses talents littéraires. On peut noter l’ironie, dans le fait qu’Atalante est ruinée à la suite d’un procès à cause d’un avocat malhonnête et qu’elle va finalement être « sauvée » et charmée par un avocat.

Atalante, tout comme sa sœur, Isidore, sont assimilables au type de la jeune première dans les comédies du xvie siècle, mais elles s’en éloignent du fait de leur nouvelle autonomie en affirmant leur personnalité, comme les définit Madeleine Lazard :

Passionnées, entreprenantes, souvent jalouses et rompues à la stratégie de l’amour, rarement timides ou effacées34.

Isidore est encore plus intrépide que sa sœur : c’est elle qui mène l’intrigue, qui convainc tous ceux qui ne sont pas très enthousiastes. Son discours est toujours persuasif, elle met en avant des arguments qui touchent le cœur et non la raison : par exemple pour convaincre Atalante :

L’argent est toujours bon de quelque lieu qu’il vienne :
Lors que nous en aurons nos yeux seront charmans,
Nous recevrons des vœux, nous aurons des amans*,
Nôtre sort* rigoureux finira sa colêre,
Nos plus grands ennemis tascheront de nous plêre,
Et tous ceux que nos yeux avoient fait endurer
Avec mille respects viendront nous adorer. (Vers 114-120)

Ou encore pour convaincre son frère Mainalte d’aller retrouver Flaminie à sa place, dans le jardin :

Polydas est son frere, elle est riche, elle est belle,
Et croi que la voiant vous lui serez fidelle.
Mettez-vous dans ma place, et fiez-vous sur moi,
Qu’elle ne peut manquer de vous donner sa foi. (Vers 897-900)

Les arguments d’argent sont toujours placés en premier dans ses discours : elle sait persuader et joue parfaitement son rôle, tout au long de la pièce, elle est certes une femme, mais une femme qui sait ce qu’elle veut et sait comment s’y prendre pour arriver à ses fins. C’est d’ailleurs à ce personnage haut en couleur, que Chevreau donne la dernière réplique : elle résume tous les grands thèmes de la pièce et notamment, la manifestation de l’amour chez un avocat. Isidore caractérise la jeune héroïne de Madeleine Lazard, dans sa façon d’être et dans sa façon d’agir. Au contraire, Flaminie est dans la retenue, même si elle laisse parler son cœur et n’hésite pas à être très entreprenante quand il s’agit de dire ses sentiments : elle est fourbe en amour et se distingue d’Isidore en ce sens qu’elle ne veut tromper personne pour arriver à vivre son amour. Elle convainc par la persuasion également, mais c’est une persuasion négative puisqu’elle en appelle au chantage avec Sicandre. Flaminie est « l’anti figure » d’Isidore, puisqu’elle n’arrive pas à garder le secret de son amour à son frère : Isidore se sort toujours des situations délicates, et ne se fait pas démasquer, alors que Flaminie ne se méfie de rien et va crier son amour pour un domestique à son frère indigné. Sans le vouloir, elle se retrouve être le moteur de l’action à partir du quatrième acte, comme le dit Isidore : « Flaminie à propos a fait cette querelle, » (vers 1614) . C’est donc sa passion, qui lui fait perdre la confiance de son frère, mais c’est cette même passion qui va la faire tomber sous le charme de Mainalte et donc couvrir ses arrières, lorsque Polydas les découvre dans une chambre : ainsi, on peut mettre en évidence le fait que la passion de Flaminie pour Sicandre n’était qu’une passade que l’on mettra en rapport avec le travestissement d’Isidore, et au contraire, sa passion pour Mainalte est véritable et lui fera même mentir devant son frère (le fait qu’elle cache son amour pour Sicandre, au début de la pièce, ne peut pas être considéré comme un mensonge puisque son frère ne lui demande pas de s’expliquer sur ses sentiments) .

Quant à Mainalte, Chevreau le différencie du type du soldat fanfaron, ce soldat qui rêve d’argent et de gloire, alors qu’il est couard et ridicule. Ici Mainalte est placé au centre d’une intrigue galante. Sa gloire, dans le sens de son courage et ses exploits militaires, ne sont pas reconnus selon leur juste valeur : le spirituel n’est pas reconnu face au matériel et Mainalte souffre de cette distinction de valeur de ses contemporains. Au contraire, Polydas, établi en tant qu’avocat qui dupe et qui ne peut en retirer aucune gloire, est riche : Chevreau met en avant ces différences en confrontant les deux types de personnages dans sa pièce.

D’ailleurs, les personnages de cette comédie fonctionnent par trois et par couples :

Isidore   →    Flaminie   →    Atalante

↕        ↕        ↕

Tharzinte   →    Mainalte   →     Polydas

Isidore symbolise la passion, l’entreprise, le stratagème et surtout l’action ; Flaminie est un cran en dessous d’elle, elle est dans l’action mais moins impliquée, et Atalante est dans la retenue, elle ne se jettera dans l’action qu’à la fin de la pièce. Le schéma est également le même pour les hommes : Tharzinte est jeune et plein de fougue, Mainalte est un peu plus désenchanté et Polydas ne fait preuve de bravoure qu’avec beaucoup de retenue. Ce système de personnages permet d’explorer plusieurs facettes à la fois tout en gardant une certaine homogénéité.

Déguisements et travestissement §

Chevreau fonde sa pièce sur le travestissement d’Isidore en clerc sous le nom de Sicandre. En effet, Sicandre va s’introduire chez Polydas, pour favoriser les amours de sa sœur, en influençant ce dernier sur ce qu’il doit faire ou ne pas faire. Chevreau joue sur les valeurs du travestissement, et va jusqu’à un point d’ambiguïté important en faisant que Flaminie prenne Sicandre pour un homosexuel, alors qu’Isidore essaie tant bien que mal de se sortir de cette situation embarrassante.

Traitons tout d’abord des déguisements des personnages secondaires : Mainalte et Tharzinte. Leur déguisement n’est donc pas physique mais identitaire. En effet, Mainalte et Tharzinte changent consciemment d’identité pour pouvoir mener à bien la duperie imaginée par Isidore. Il s’agit ensuite de savoir si leur déguisement engage un changement de condition : ce n’est pas le cas de Tharzinte, puisque d’amant d’Isidore, il devient amant fictionnel d’Atalante. Il reste donc un bourgeois amoureux. Mainalte, tout comme Tharzinte, se fait passer pour amant d’Atalante, pour éprouver l’amour de Polydas. En revanche, quand il se rend dans le jardin, et se fait passer pour Sicandre aux yeux de Flaminie, à la faveur de la nuit, il change de condition puisque de bourgeois, il devient domestique. Ce déguisement à l’identité dégradante de Mainalte, est motivé par la conquête amoureuse de Flaminie. Leurs déguisements peuvent être considérés comme des victoires, puisque Polydas ne se rendra pas compte de leur supercherie. De plus, même si Flaminie découvre la véritable identité de Mainalte, quand son frère les surprend dans une chambre, elle tombe sous le charme de cet inconnu : la conquête amoureuse de Mainalte est un succès couronné par un mariage.

Tous ces déguisements sont des éléments comiques dans le rapport qu’ils entretiennent avec Polydas. Ce dernier est ridiculisé par son aveuglement et le décalage qui se forme entre les personnages et le public, qui sont dans la confidence, et lui qui se laisse duper jusqu’au bout. La clairvoyance du frère reconnaissant sa sœur, du premier coup d’œil sous les traits d’un homme et l’amant reconnaissant également sa maîtresse travestie, rend plus plaisant l’aveuglement de Polydas et par conséquent, sa dérision. Le travestissement d’Isidore est également un élément comique : le but de ce travestissement est l’approche, et le décalage, qui réside dans toutes les incohérences de langages, entre le discours de Sicandre et le discours sous-jacent d’Isidore qui parle en tant que femme, pourrait faire échouer sa finalité. Au contraire, cela renforce l’aveuglement et l’incompréhension de Polydas qui est d’autant plus ridicule aux yeux réjouis du spectateur.

SICANDRE
Ma Sœur.
ATALANTE
Parle autrement.
[…]
POLYDAS, (il dit cecy bas) .
Sa fortune est extrême,
Je voudrois estre Clerc pour estre aimé de même. (Vers 597 et vers 501-501)

Polydas ne se rend pas compte des incohérences dans le langage de ce clerc ? ni de ces agissements qu’il n’ose commenter sans émettre des soupçons, bien trop aveugler par son amour pour Atalante ? et par l’amitié qu’elle entretient avec Sicandre, comme à l’acte III, scène II :

POLYDAS
Je n’ose te l’aprendre.        750
Vrément il n’agit pas comme il promit d’agir,
S’il se reconnessait il en devroit rougir ;
C’est un Clerc glorieux qui ne sait pas écrire,
Il se masque la nuit d’une toile de cire,
Il a des gans au lit pour conserver ses mains,        755
Ceci peut-il entrer en des cerveaux bien sains.
N’importe, il peut aider à flatter mon attente,
Il faut le caresser en faveur d’Atalante,
Et tacher : le voila, faisons-luy bon accueil,
Sa presence ma Sœur vient d’acroistre mon dueil.        760

D’autre part, le travestissement met en jeu les relations que le personnage entretient avec son déguisement, mais également le principe de l’ironie surtout présente dans le discours du personnage déguisé ou travesti. On pourrait alors penser, que Chevreau utilise l’ironie verbale appelée ironie de la double entente, comme la définit J. Morel : « exprimer une idée de telle manière que sous les même mots […] une idée toute différente puisse être perçue »35, mais Isidore, sous le nom de Sicandre, n’essaie pas de jouer sur les mots : elle exprime ses sentiments en tant que femme et ses paroles peuvent être comprises selon un sens bien déterminé par Flaminie, sans pour autant qu’Isidore n’ait voulu le dire dans ce sens.

En effet, le personnage d’Isidore n’est pas sujet à l’ironie même si elle est travestie, et dans une posture dans laquelle Chevreau la place : dans la scène qui la confronte aux sentiments de Flaminie, elle éprouve un trouble dû aux avances de Flaminie.

SICANDRE
Ha ! vrément à la voir son humeur est gentille ?
Ciel ! destins ennemis, suis-je encore une fille !
Je parois un garçon dans ce déreglement,
Et je n’en puis avoir que l’habit seulement ;
Toutefois. (Vers 873-877)

Le trouble d’Isidore est exprimé verbalement : l’aparté s’en trouve également rallongé, du fait de cette ambiguïté dans toute la scène. L’ironie se place alors au niveau du personnage de Flaminie, victime de son amour pour une jeune fille travestie. Chevreau pousse l’ambiguïté assez loin, et laisse Sicandre/Isidore dans une situation qui s’explique que par une attirance homosexuelle de la jeune fille, pour une autre jeune fille. Mais la description de ce trouble restera toujours dans les limites de la vraisemblance et l’hétérosexualité finit toujours par être réintroduite : Isisdore se laisse, d’ailleurs, courtiser par Tharzinte. De plus, cette déviance est placée en marge de l’action et est traitée comme un jeu théâtral sans autre but :

Comme il s’agit d’un jeu, il est permis d’aller beaucoup plus loin dans l’équivoque, au point de faire douter, paradoxalement, qu’il s’agisse encore d’un jeu36.

Cependant ce jeu ne peut se faire qu’entre des personnages féminins : « au plan des apparences il n’y a rien d’anormal »37. Au contraire, les dramaturges peuvent jouer sur l’effet visuel d’un homme courtisant en apparence un autre homme mais en sachant pertinemment qu’il s’agit de sa maîtresse travestie : ainsi Chevreau met en place Tharzinte et Isidore travestie en Sicandre dans une scène de déclaration amoureuse.

THARZINTE
Isidore mon cœur, que vous paroissez belle !        1225
Et que j’ai bien raison de vous estre fidelle !
Vous este admirable en habit de garçon,
Adonis autrefois estoit de la façon.
Pour aimer un objet, dont la grace est extrême,
Vous n’avez maintenant qu’à vous aimer vous-même.    1230
Si les hommes avoient d’aussi puissans apas,
Les filles desormais ne nous charmeroient pas. (Acte IV, scène IX)

Tharzinte joue considérablement sur les différences de sexes que Sicandre/Isidore rend ambiguës, par sa beauté en tant que femme travestie en homme, mais aussi en homme rivalisant de beauté avec la femme. La référence à la période de la Grèce Antique avec l’importance des mythes reflétant le monde des Hommes, met en évidence cette ambiguïté de sexe, puisque l’homosexualité était reconnue et non dénigrée par ces contemporains.

Conclusion §

Chevreau joue avec les conventions et essaie d’inscrire sa pièce dans son époque en se rapportant aux mœurs et aux règles. Cette comédie ouvre le pas sur un nouveau « genre » de comédies plus érudites et faites pour l’élite constituée des honnêtes gens qui déterminent le goût du siècle. Il s’inscrit également dans la lignée des dramaturges du xvie siècle, et de la comédie humaniste : il réagence les types de personnages et tente de faire œuvre nouvelle en jouant sur les sujets comiques, en les détournant. Cette nouveauté d’esprit le place au début d’une nouvelle ère de la comédie, à l’intervalle entre un héritage et son époque : réaliser la jonction entre les deux, est ce que fait Chevreau dans cette pièce, son unique comédie. Chevreau touche aux prémices de la grande comédie de fin de siècle.

Note sur la présente édition §

Présentation et description de l’ouvrage §

L’édition sur laquelle nous avons travaillée est la suivante : Paris, chez Toussainct Quinet, in 4°, achevé d’imprimer le 30 septembre 1637, imprimeur Claude Prud’Homme, dédié au vicomte de Scudamore (1607-1671) , ambassadeur britannique en France.

Nous avons reproduit le texte avec la graphie et l’orthographe de l’édition du xviie siècle. Nous nous sommes permis de rétablir les dénasalisations et de corriger les coquilles que nous avons répertoriées dans cette note à la présente édition.

La pagination ne présente aucun manque, ni erreurs.

Description de l’ouvrage :

[I] page de titre

[II] verso blanc

[III-V] Épitre

[VI-VII] Au lecteur

[VIII] Privilège du Roi

[IX] Argument du premier acte

[X] Acteurs

1-120 texte de la pièce ainsi que les arguments des autres actes

Différentes éditions consultées : Nous avons consulté l’édition conservée à la bibliothèque Sainte Geneviève et nous avons pu constater que la pagination présente un vers de décalage pour le premier acte mais que cela ne change pas le nombre de page du texte qui est de 120 pages. De plus, nous avons pu constater que la page 19/20 (recto/verso) est placée dans le premier cahier non paginé : nous pouvons supposer qu’elle a été placée dans ce cahier à la suite d’un oubli.

La page de titre est disposée de la façon suivante :

L’ADVOCAT / DUPPÉ. / COMEDIE. / [Fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, dans la petite / salle, sous la montée de la Cour des Aydes / [filet] /M. DC. XXXVII. / AVEC PRIVILEGE DU ROI

Une nouvelle émission de l’édition chez Toussainct Quinet avec le même imprimeur, Claude Prud’Homme, a paru en 1638. Nous pouvons également noter que la même année, une contrefaçon caennaise a été publiée (« sur l’imprimé chez Toussainct Quinet » ), in-8º par ½ feuille par Jacques Mangeant. Le texte reste identique dans cette édition.

Rétablissement des β en ss §


Paβé = passé v. 188, 449.
Neceβêre = necessêre v. 371, 912, 921.
Laiβez = laissez v. 1202.
Auβi = aussi v. 1257.
Bleβé = blessé v. 1494.

Coquilles relevées et corrigées dans le texte de la pièce §


Épitre Lequel vous vons estimeriez Et s’il c’est treuvé l. 18 l. 23
Au lecteur Se faire jour aux entteprises d’une fille l. 4
Argument du premier acte en méme temps quelles se proposoient l. 2
Acte I, scène 2 Vons en pourrez loüer et la cause et l’issuë, v. 214
Argument du deuxième acte D’interrrompre toute cette entreprise l. 8
Argument du deuxième acte Cette ligne est obmise en la page 36, ligne 4. Que le Ciel desormais augmente ce malheur, Fin de l’argument
Acte II, scène 2 N’ont que trop épreuve mes importans efforts. v. 384
Acte II, scène 2 Sachetent par l’argent, et non par la valeur v. 400
Acte II, scène 4 Estre aimé d’Atalante, ô qu’elle grande joie ! v. 513
Acte III, scène 1 S’en est fait, vôtre œil me consume, v. 641
Acte III, scène 1 Mille Poites nouveaux que le vulgaire estime v. 673
Acte III, scène 2 Tu le vais savoir v. 708
Acte III, scène 2 Je dors sur ces genoux, je parle de ma flâme, v. 829
Acte III, scène 2 Qu’elle étrange avanture ? v. 833
Acte III, scène 4 Si tu dois sucomber, qu’elle proche retraitte v. 917
Acte III, scène 5 Excepte mon honneur, je ne hazarde rien. v. 988
Argument Acte IV Tharzinte = Mainalte
Acte IV, scène 1 Et si tôt qu’il arrive il disppe les ombres v. 1002
Acte IV, scène 1 Et remarquant de prês cette aimable tableau, v. 1027
Acte IV, scène 2 Allons dedans ma chambre, attendant sen retour v. 1051
Acte IV, scène 3 Que n’ai-je cy-devant aporte mon épée, v. 1074
Acte IV, scène 10 Dans la distribution, Tharzinte n’est pas mentionné même s’il est présent sur scène au début de la scène.
Acte IV, scène 10 Et s’il eut plus long temps cherché vôtre trêpas : v. 1283
Acte IV, scène 10 Et que nous abusons, s’en rendre possesseur. v. 1316
Acte V Dans la distribution des personnages, Polydas n’est pas mentionné.
Acte V, scène 2 S’il ne servoient de rien quand ils étoient suivis ? v. 1416
Acte V, scène 3 Et ce nouveau Soleil ne reviens point encore ? v. 1422
Acte V, scène 3 Lors que je l’entendois le sommeil m’a surpris v. 1423
Acte V, scène 5 Me ivreroient par tout une eternelle guerre, v. 1534
Acte V, scène 5 J’aflige égalemenc Polydas et Tharzinte, v. 1578

Remarques :

  • – La graphie n’est pas encore fixée au xviie siècle : un mot peut donc avoir plusieurs orthographes reconnues par les dictionnaires anciens ; c’est pourquoi un même mot peut apparaître avec différentes orthographes sur une même page. Cependant, la graphie de notre pièce semble être une graphie phonétique, pour certains mots comme « rêzon » qui n’est pas une graphie reconnue par les dictionnaires ou encore « plesir » . L’imprimeur Claude Prud’Homme est connu pour son travail assez soigné et élégant. Nous avons pu parcourir d’autres pièces38 de notre auteur, avec des imprimeurs différents de cette comédie, pour vérifier si c’était ses graphies habituelles. Nous avons pu mettre en évidence, que les rimes pour l’œil sont moins significatives dans les autres pièces (qui sont également postérieures) , et que les mots de « plaisir » et « raison » sont correctement orthographiés ; en revanche, pour ce qui est des désinences du passé-simple en ût ou û, elles apparaisent aussi, dans ses autres pièces. Peut-être que ces graphies, si particulières, sont la combinaison de graphies phonétiques et de graphies désuètes de Chevreau et de l’imprimeur.
  • – Le verbe avoir à la troisième personne du singulier du présent de l’indicatif et la préposition « à » ne sont pas toujours correctement différenciées par l’accent diacritique.
  • – « treuver / trouver » et « preuver / prouver » sont des doublets linguistiques encore très usités au début du siècle.

Rétablissement des dénasalisations « ã, õ, ẽ » §


dõne l. 12 (épître) biẽ v. 149
recõmandable l. 13 (épître) lontẽps v. 153, 378
courõne l. 13 (épître) Dãtelle v. 162
despẽs l. 13 (privilège du roi) v. 166
cõduisaient v. 9 Grãdes v. 166
taschoiẽt v. 12 Avãtage v. 186, 417
surprẽdre v. 12 Sicãdre v. 373 (didascalie) , 749
hõneur v. 13 Mõmeillan v. 382
caressoiẽt v. 29 Nãci v. 382
bõne v. 56, 138 doivẽt v. 394
offrãde v. 62 Cõmun v. 399
rẽdre v. 74 Cõbats v. 431
prẽs v. 80 argẽt v. 445
õ v. 95 biẽtôt v. 685
recõnus v. 104 Durõs v. 921
v. 107 surprẽdroit v. 965
charmãs v. 115 Cõnue v. 965
Amãs v. 116 entreprẽdre v. 1029
Tascherõt v. 118 ẽnuis v. 1200
entretiẽne v. 137 repẽtir v. 1210
siẽne v. 138 Atalãte Argument Acte V, l. 10
Quãd v. 146 Demãde Argument Acte V, l. 10
cõtraindre v. 149 Hõte v. 1370
Cõmande v. 1509

Corrections apportées à la ponctuation §


Acte I, scène 1 Que le sort est ingrat à celles qui n’ont rien, v. 3 Point d’exclamation à la place de la virgule.
Acte I, scène 1 Que le monde la fuit à l’égal de la peste, v. 6 Remplacement de la virgule par un point.
Acte I, scène 1 Et ne nous pas aimer c’estoit commettre un crime v. 26 Ajout d’un point.
Acte I, scène 1 Tout nous vient à propos v. 146 Ajout d’une virgule.
Acte I, scène 3 N’aimer pas comme moi, c’est n’aimer rien qu’un peu, v. 271 Remplacement de la virgule par un point.
Acte III, scène 3 Et cependant ma sœur v. 911 Ajout de points de suspension.
Acte IV, scène 1 Je connetrois toûjours la moitié de moy-même ! Toute l’obscurité ne m’en peut empêcher, v. 997, 998 Inversion du point d’exclamation.
Acte V, scène 3 Veut prendre en mon endroit le titre d’homicide : v. 1434 Ajout d’un point d’exclamation.

Remarque : les points, les points virgules ainsi que certaines virgules placés en fin de réplique, pouvaient correspondre à des interruptions de réplique symbolisées aujourd’hui par les points de suspension. Nous avons relevé les vers interrompus : vers 93, 241, 553, 1171, 1401.

L’ADVOCAT DUPPÉ. COMEDIE. §

[p. III]

A HAUT ET PUISSANT SEIGNEUR, MESSIRE, JEAN VICOMTE DE SCUDAMORE, Ambassadeur en France, pour sa Majesté de la grande Bretagne. §

MONSEIGNEUR,

Cét ouvrage me fait rougir, et j’ai raison de présenter avec crainte ce que vostre Grandeur ne devroit recevoir qu’avec quelque sorte de dégoust. Mais c’est un advocat qui ne demande pas justice, il se confie en vostre bonté, et sçachant [p. IV] bien que la France se peut vanter aujourd’hui de vivre des long-temps dans l’Angleterre par vostre illustre Maison ; il n’aprehende pas de vous entretenir en sa langue. Il n’est pas estranger dans son païs ; il a sçeu qu’on ne pouvoit retrancher de l’histoire les belles actions de vos Ancestres qu’en la privant de ce qui l’embellit, et de ce que nous admirons tous les jours ; il aprend encore de la voix commune qu’on se contente d’envier la mort glorieuse de ses Heros, dont on ne peut imiter la vie qu’avec des forces et des effors dont les hommes du siècle n’ont pas droit de se prevaloir. Je sçai bien, Monseigneur, que leur gloire ne fait pas la vostre, et qu’en ayant assez aquis pour la faire servir d’exemple à ceux qui viendront apres nous ; vous ne treuverez pas mauvais qu’on vous donne quelque chose sans leur ravir. Depuis que vous avez cru que le mérite rend les Princes plus recommandables que leur sang, et que leur Couronne, de quelque or qu’elle soit faite, n’est jamais si belle que leur Vertu, vous avez estimé dans vos Aïeulx l’éclat de leur vie plutôt que celuy de leur fortune, et vostre Générosité a étendu les bornes que la mort leur avoit prescrites. Vous avez fait voir que vous connessez la veritable gloire, non pas comme les Pilo- [p. V] tes connoissent les écueils et les precipices pour les éviter ; mais comme un bien hereditaire qui vous touche, et sans lequel vous vous estimeriez pauvre quand même vous auriez dequoi enrichir tous les miserables. Si bien que si on estoit contraint de faire le portrait d’un homme que les belles qualitez élevent au dessus des autres, il faudroit de nécessité que vous en fussiez l’original. Mais, Monseigneur, je laisse parler la renommée, et je suis bien aise que la multitude de vos Nobles actions fasse la sterilité de mon esprit et de mes pensees ; et s’il s’est treuvé des personnes qui apres avoir veu le Soleil ont beni cétte belle lumiere, qui les avoit renduës aveugles, j’ai à me consoler de ce qu’un tel éclat m’eblouit, et dans cét état j’ai dequoi faire des jaloux si vous me permettez l’honneur de me dire,

Monseigneur,

de vôtre Grandeur,

Le tres-humble, et tres-

obeïssant serviteur,

Chevreau.

[p. VI]

AU LECTEUR. §

Mon dessein n’est pas de blamer ici tous les Advocats, je ferois conscience de toucher à ceux qu’Atalante soupçonne de n’en point avoir, et ce ne seroit pas faire justice à ceux qui la demandent tous les jours. J’en ai seulement choisi un, dont les images39 sont un peu troublées, et dont l’esprit n’a pas assez de lumiere pour se faire jour aux entreprises d’une fille. Je l’ai voulu rendre capable d’amour, afin de le disposer à des actions qui sont bien souvent de l’intelligence de cette passion, qui d’ordinaire éblouït les sens quand elle ne les peut aveugler. Cét Advocat est jeune, et par consequent les ruses du Palais ne luy ont point encore apris à éviter celles qu’on luy avoit preparées, et l’amour est un mal dont on ne treuve pas le remede dans Barthole ni dans Cujas, qui n’enseignent pas le droict qui est si necessaire pour cét effet. Il est vrai que son entreprise a reüssi dans sa fin, qui est le mariage, mais si vous considerez les moyens dont on se sert pour le dupper d’un bout à l’autre, les artifices de Flaminie, le consentement d’Atalante, l’intrigue de Mainalte, la feinte generosité de Tharzinte, et les divers mouvement où il est luy-même lors qu’il se propose de l’abandonner ; vous [p. VII] advoüerez qu’il s’est fait des pieges que les autres ont tendus pour le prendre, et où il tombe insensiblement. Que si vous treuvez des injures contre les Advocats dont les æquivoques necessaires ne changent pas tout à fait la force ; donnez au ressentiment d’Atalante ce que le commencement du sujet en doit exiger. Si c’est une feinte, elle est vrai semblable ; et si c’est une vérité, vous ne devez point passer plus avant. Pour la pièce, je l’ai acommodée à la nature du Poëme Comique, qui rebute en tout des vers et des sujet graves40, pource que les uns ni les autres ne sont point de la jurisdiction, et qu’elle se treuveroit defectueuse de ce qui embellit la Tragédie. Pour ce qui est des fautes, si vous condannez à mort tous ceux qui en font, je suis en danger de ne vivre pas long-temps, si je n’obtiens ma grace de quelque autre qui les excuse, et qui connessant ma franchise et mon humeur, relachera peut-estre de sa sévérité, à dessein seulement de me donner advantage de me corriger.

[p. VIII]

Privilege du Roy. §

Louis par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre. A nos amez et feaux les gens tenans nos Cours de Parlements, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Juges, ou leurs Lieutenans, et à chacun d’eux en droit soy, Salut. Nostre cher et bien aimé Toussainct Quinet Marchand Libraire, nous a fait remonstrer qu’il desirerait faire imprimer et mettre en lumiere une Comedie, Intitulée L’Advocat duppé, mais crainte que l’impression ne luy soit dommageable, si d’autres que luy s’ingeroient de le faire imprimer, il nous a sur ce requis nos Lettres necessaires. A ces causes nous avons permis et octroyé, permettons et octroyons audit Quinet d’imprimer, ou faire imprimer ladite Comédie par tels Imprimeurs que bon luy semblera, icelle vendre et exposer durant le temps de sept ans, pendant lequel temps nous avons fait et faisons tres-expresses inhibitions et defences à tous autres Libraires et Imprimeurs de la faire imprimer, vendre, ny debiter sur peine de perte des exemplaires, et de trois mil livres d’amende, appliquable un tiers à nous, et un tiers à l’Hostel Dieu de Paris, et l’autre tiers à l’exposant, despens dommages et interests, et afin qu’ils n’en pretendent cause d’ignorance. Nous voulons que mettant en fin des exemplaires autant des presentes, elles soient tenües pour certifiées, à la charge toutefois de mettre deux exemplaires de ladite Comedie dans nostre bibliothecque des Cordeliers à Paris, et un exemplaire és d’icelle és mains de nostre amé et feal Chevalier, Chancelier de France le Sieur Seguier. Car tel est nostre plaisir. Donne à Paris le vingt-uniesme jour d’Aoust, l’an de grace mil six cens trente-sept, Et nostre regne le 28. Par le Roy en son Conseil. De S. Andre, et scellé du grand seau de cire jaune.

Achevé d’imprimer le dernier Septembre 1637.

Lesdits exemplaires ont esté fournis.

[p. X]

ARGUMENT DU PREMIER ACTE. §

Atalante avec sa sœur Izidore se plaint de sa misere, que la perte d’un procez leur fait naistre en méme temps qu’elles se proposoient beaucoup de choses pour leur advancement, et dans ce ressentiment elle ne peut s’empescher de parler avec un peu de liberté des Advocats qu’elle ne pouvoit aimer pour beaucoup de considerations legitimes. Izidore neantmoins pour la consoler dans sa necessité, luy donne advis de l’amour de Polydas Advocat, qui par la seule reputation d’Atalante l’avoit tellement aymée qu’il ne pût s’empescher d’en donner advis à sa sœur Flaminie afin de la rendre confidente d’une passion si forte ; ce qu’Izidore sçachant, aidée de Philemon leur curateur, elle prend l’habit d’un Clerc, et va se presenter à Polydas, apres avoir esté asseurée qu’il en cherchoit un.

[p. IX]

ACTEURS. §

  • ATALANTE.
  • IZIDORE. Sœurs.
  • PHILEMON. Curateur d’Atalante et d’Izidore.
  • POLYDAS. Advocat, amoureux d’Atalante.
  • FLAMINIE. Sœur de Polydas.
  • MAINALTE. Frere d’Atalante et d’Izidore.
  • SICANDRE. Clerc.
  • THARZINTE. Amoureux d’Izidore, sous le nom de Sicandre.
  • CALLIANTE.
La Scene est à Paris.
[A, 1]

ACTE PREMIER.

L’ADVOCAT DUPPÉ. COMEDIE. §

ATALANTE, ISIDORE, PHILEMON, POLYDAS, FLAMINIE.

SCENE PREMIERE. §

ATALANTE, ISIDORE.

ATALANTE.

Ma Sœur, que la misere est aujourd’huy commune !
Qu’on fait par la beauté rarement sa fortune* !
Que le sort* est ingrat à celles qui n’ont rien !
Nous voyons que tout manque à qui manque de bien, [p. 2]
5 Et que la pauvreté semble estre si funeste*,
Que le monde la fuit à l’égal de la peste.
Dans la prosperité, mille petits plaisirs
Succedoient tous les jours à nos jeunes desirs ;
Les uns nous conduisoient le soir aux promenades,
10 Les autres nous donnoient le soir des serenades,
Et par des instrumens capables de charmer,
Taschoient de nous surprendre, et de se faire aimer :
L’honneur qu’ils en avoient leur servoit de salaire*,
Et s’ils jouoient du luth, de peur de nous déplaire,
15 Tous ces Amants* brûlez et transis à la fois
Trembloient le plus souvent jusques au bout des doigts.
Par tout également leur ame41 estoit éprise,
Ce n’estoit que pour nous qu’ils alloient à l’Eglise,
Ils nous donnoient le bal, s’exerçoient à louër
20 Tout ce dont la Nature avoit pu nous doüer,
Nous faisoient en secret sçavoir leur maladie42,
Nous menoient avec eux pour voir la Comédie*,
Et si leur feu* croissoit, pour le mieux apaiser,
Ils inventoient des jeux afin de nous baiser :
25 Bref le plus médisant nous mettoit en estime,
Et ne nous pas aimer c’estoit commettre un crime.
Maintenant qu’un procez a changé nostre sort*,
Nous sommes sans amants*, nous sommes sans suport, [p. 3]
Ceux qui nous caressaient nous font mauvaise mine*,
30 Et leur esprit est froid comme nostre cuisine.
Les juges ont treuvé ce procez odieux43,
Pource que44 trop peu d’or éclattoit à leurs yeux.
« Helas ! Nostre partie en fit bien son affaire,
« Et vit bien que l’argent y seroit necessaire,
35 « Que c’est par ce moyen qu’on les doit étonner*,
« Et qu’on n’en a du bien qu’à force d’en donner :
« On ne les repaist plus de tous ces graves termes,
« Qui rendoient leurs esprits si justes et si fermes,
« C’est en vain jour et nuict visiter leurs maisons,
40 « Ils sçavent mieux peser nostre or que nos raisons,
« Atalante, ma sœur, sçait par experience
« Qu’ils ont beaucoup de mains, mais peu de conscience,
« Qu’un écrit sans present sert à les irriter,
« Qu’il faut perdre avec eux afin d’y profiter,
45 « Et qu’en tout temps ces gens qui causent nostre perte,
« Comme les Medecins tiennent la main ouverte45.

ISIDORE.

Il se faut consoler, et tascher desormais
De posseder du moins une éternelle paix
Maintenant nostre mal* peut avoir son remede, [p. 4]
50 Et si nous le voulons, nous treuverons de l’aide.
Nous n’avons point perdu l’esprit ni la beauté,
Il s’en faudra servir dans une extremité* :
Un certain Advocat, comme on m’a fait accroire,
Veut establir chez nous son repos et sa gloire*,
55 Il ne vous connoist point ; un recit seulement
De vostre bonne humeur* l’a rendu vostre Amant* :
Il est riche, il est jeune, et sa flamme* naissante
Toucheroit doucement vostre Ame languissante.

ATALANTE.

Est-ce, ma chere sœur, des jeunes Advocats
60 Dont ton esprit se picque, et dont tu fais du cas ?
Qu’on a troublé tes sens ! Que ta sottise est grande !
Et qu’à saint Mathurin46 tu dois bien une offrande !
Que tu crois de leger47 ! Que tu conseilles mal !
Et qu’un jeune Advocat est un sot* animal :
65 Depuis que j’en voy tant, sçache que je me pique48
D’entendre aussi bien qu’eux les termes de Pratique.
Ordonnances, Edicts, verifications,
Inventaires, defauts, renvois, productions,
Requeste, apointemens, contredits et sentences,
70 Appel, desertions, demandes, et deffences,
Graces, remissions, inscriptions à faux,
Arrests, transactions, griefs, lettres Royaux; [p. 5]
Bref ils s’estiment bien49 quand des choses pareilles
Pour me rendre sçavante ont chocqué mes oreilles,
75 Et me viennent conter sans aucune raison
Qu’ils entendent* Cujas, et Barthole, et Jason50.
Au reste sans sujet chacun s’en fait accroire,
On ne les peut aimer à cause de leur gloire* :
Leur humeur* est plaisante ; ils font les courtisans ;
80 Et prens garde, ma sœur, qu’ils sont tous médisans.
Pour leur plaire il faudroit prononcer des oracles,
Et pour les contenter faire quelques miracles ;
L’une sera passable, et l’autre n’aura rien
Qui puisse mériter le plus simple entretien,
85 Ils prendroient celle-cy, mais c’est un corps sans ame,
L’une aura trop de glace, et l’autre trop de flâme*,
Celle-cy parle trop, l’autre parle trop peu,
Bref rien n’est suffisant de leur donner du feu*.
Ces petits Advocats sont d’une humeur* étrange !
90 Il faudroit qu’une fille eut la beauté d’un Ange,
Et que l’esprit fut tel, que jamais un Amant*
Ne l’oüit, sans entrer dans un ravissement,
Pour moy.

ISIDORE.

N’en parlez plus, ma sœur, chere Atalante,
Je puis rendre aisément vôtre ame plus contente.    
95 Si Polydas vous aime, et qu’on treuve51 aujourd’huy [p. 6]
Un moyen qui soit prompt à flater vôtre ennuy*,
Sans doute vous crerez52 que je vous suis fidelle,
Puis que vôtre fortune* en doit estre plus belle.

ATALANTE.

Ah ! ne me reduis point à tant d’extremitez*,
100 Le plus juste Advocat prend53 de tous les costez.
Non, non, je n’en veux point.

ISIDORE.

Je plains vôtre sottise,
Ils prennent quelquefois, mais on les authorise :
Ils demandent en droit ; leurs pechez infinis,
« Quoy qu’ils soient reconnus, ne sont jamés punis.
105 « Ils peuvent exercer beaucoup de violences,
« Puis qu’ils ne prennent point sans avoir leurs licences :
Mais non, ma chere sœur, il vaut mieux raisonner,
Car nôtre pauvreté nous devroit étonner,
Nous avons quantité de collets54 et de juppes,
110 Mais ce sont seulement des filets pour des duppes,
On nous voit du satin, nous portons du tabis55,
Mais on s’arreste à l’or, et non pas aux habits :
Vôtre foible raison doit ceder à la mienne.
L’argent est toujours bon de quelque lieu qu’il vienne :
115 Lors que nous en aurons nos yeux seront charmans, [p. 7]
Nous recevrons des vœux, nous aurons des amans*,
Nôtre sort* rigoureux56 finira sa colêre,
Nos plus grands ennemis tascheront de nous plêre,
Et tous ceux que nos yeux avoient fait endurer57
120 Avec mille respects viendront nous adorer.
Croyez-moy, Polydas est d’humeur* à se prendre,
S’il vous voit un moment, forcez-le de se rendre,
Joüez de la prunelle, et dans vostre entretien*
Soyez de bonne humeur*, ne luy refusez rien.

ATALANTE.

125 J’en feray mon Amant*, un sous-ris, une œillade    
D’un qui sera bien sain en peut58 faire un malade.
Je fais ce que je veux, un geste seulement
Afflige à mon desir, ou ravit un Amant*.
Genereuse Isidore, il faut que je t’advoüe
130 Que ton esprit me plaist, et qu’en fin je te loüe,
Qu’en ce temps la richesse est un puissant motif,
Et qu’un homme pour elle est aisément captif*.
Mais quoy ce Polydas m’aime sans me conétre,
Son amour doit finir ainsi qu’on l’a veu naître59.
135 En quel lieu bien-heureux recevray-je sa foy* ?
Où le pourray-je voir ? Qui parlera pour moy ?
Il faut auprés de luy quelqu’un qui l’entretienne*,
Et dont la bonne humeur* seconde un peu la sienne.

ISIDORE.

[p. 8]
Il ne me connest point, je veux m’offrir à luy,
140 Ce moyen seulement finira vostre ennuy*,
J’auray d’autres habits, tout nous sera propice,
Je feindray d’estre Clerc, je luy rendrai service,
Et tout reüssira si bien à mon desir,
Que nous ne devons pas negliger ce plesir.
145 Laissez faire le reste, et vous serez contrainte
Quand nous aurons tout fait de bannir vostre crainte :
Mais il faut de l’argent.

ATALANTE

Tout nous vient à propos,
Voy nostre Curateur60 d’où dépend mon repos*.

ISIDORE

Il faut bien en avoir, nous l’y sçaurons contraindre,
150 Pour en tirer de luy, nous n’avons qu’à nous plaindre.

ACTE I. SCENE DEUXIEME. §

[B, 9]
PHILEMON, ATALANTE, ISIDORE.

PHILEMON.

Mes Dames quel sujet vous servoit d’entretien* ?

ATALANTE.

Nous plaignions nos mal-heurs, et nôtre peu de bien ;

PHILEMON.

Vous pouviez dés long temps61 vous choisir un remede
Capable de guerir le mal* qui vous possede.
155 Vous cherchez à parêtre, et tant de nouveautez
Vous ont mis depuis peu dans ces extremitez*.
Par tout également vôtre humeur* s’acommode,    
Vous changez plus d’habits qu’on ne change de mode, [p. 10]
Vous dépensez en fard, en robes, en galans*,
160 Vous ne portez jamés deux fois de mêmes gans,
Vous avez des habits pour parêtre plus belles,
Il vous faut des collets, des masques, des dantelles,
Des toiles, de la poudre à secher vos cheveux62,
De qui les dous liens ont tant fait d’amoureux*,
165 De riches bracelets, des coliers, des guirlandes63 ;
Non, non, ce sont pour vous des sottises trop grandes.
Pour si peu de plesir c’est avoir trop de mal,
Et c’est prendre un chemin qui mene à l’hospital*.
Vous en avez trop faict, il est temps de se rendre,
170 « Ne pouvant plus monter, sçachés qu’il faut déscendre,
Et quitter cét orgueil qui vous a mis au point
De perdre tous les jours et de ne gaigner64 point.
Je sçai que maintenant vous m’estes redevables
De ce dont je vous tiens desormais insolvables,
175 Que les comptes rendus65, on vous preuvera bien
Que vous devez beaucoup, et qu’on ne vous doit rien.
Mais comme un bon ami, je vous ferai parêtre
Que vôtre esprit un jour devra me reconêtre,
Et qu’à present bien loing de vous estre importun
180 Je ne possede rien qui ne vous soit commun.

ISIDORE.

[p. 11]
Vous sçavez justement l’art de charmer nos penes*,
« Un ami se connest aux choses incertenes.
Je voi dans cét âvis vôtre esprit ingenu,
« Et connois que l’épargne est un bon revenu,
185 « Qu’un bien dure long temps alors qu’on le ménage,
« Et qu’on n’en peut tirer qu’un puissant avantage ;
Mais helas ces propos vous semblent superflus,
« Puis que le temps passé ne se recouvre plus.
Toutefois dans l’état où le destin nous range,
190 Il faudra malgré tout que son caprice change,
Et qu’un trait excellent n’agueres médité,
Finisse nôtre vie ou nôtre pauvreté.

PHILEMON.

S’il choque vôtre honneur vous serez méprisée,
Vous servirez par tout de sujets de risée,
195 Vous scandaliserez vos plus proches parens,
Mille sorte de maus* leurs seront aparens,
On les verra passer sans en faire du conte66,
Et vous serez perduë aiant perdu la honte ;
Ainsi n’esperez plus d’avoir aucun bon-heur,
200 « Tout mal* doit arriver à qui n’a plus d’honneur.

ATALANTE.

[p. 12]
Ah ! Monsieur, la raison finiroit mon envie,
J’aime bien plus l’honneur que je n’aime la vie ;
Je suivray le sentier que vous m’avez batu,
« L’or quoi que precieux vaut moins que la vertu*.
205 Mais est-il deffendu de chercher dans son ame
Dequoi nous enrichir sans meriter du blame ?
Puis que la pauvreté fait nôtre mauvais sort*
Malgré ce grand orage il faut chercher un port,
Et charmer si l’on peut tellement la fortune*
210 Que contre sa coutume aucun ne l’importune,
Cent francs y suffiront.

PHILEMON.

Je vous les veux donner
S’il est vray que je seme afin de moissonner.

ISIDORE.

Nous vous dirons bien tôt l’affaire toute nuë,
Vous en pourrez loüer et la cause et l’issuë,
215 Et vous apreuverez un aussi joli tour
Qu’on en ait veu dans l’art de pratiquer l’amour.

PHILEMON.

Pourveu qu’à vôtre espoir cette ruze réponde
Le succez me rendra le plus content du monde. [p. 13]

ATALANTE.

Nôtre affaire ira bien, ton esprit est charmant,
220 Si c’est par ce moyen que j’aquiers un Amant*.

ACTE I. SCENE TROISIESME. §

POLYDAS, FLAMINIE.

POLYDAS.

Ma sœur vous sçavez bien que le monde l’estime,
Et confessez par là mon amour legitime ;
Le bruit de ses vertus a des-ja tant d’effet
Que je tiens dés long-temps ce chef-d’œuvre parfet,
225 Même les plus jalous luy donnent tant de charmes,
Qu’au lieu d’y resister ils luy rendent les armes ;
Et je croi qu’Atalante a des attraits* puissans
Puis que ses ennemis* les treuvent ravissans.
Pour moi qui sans la voir cheris sa renommée,
230 Et qui voi que ma flâme* est assez alumée, [p. 14]
J’aprehende ses yeux, et je crains leur pouvoir
Si je le sens des-ja premier que67 de les voir.
Dans cette occasion cette ardeur violente
Qui me brûle toujours ne devient pas plus lente,
235 Et par un sort secret qui conclud mon trépas
Je suis forcé d’aimer ce que je ne voi pas.
Au moins si le bon-heur m’ût fait voir son visage
Je ne me plaindrois pas, j’aurois cét avantage,
Et son teint et son corps à qui rien n’est égal
240 Ne m’auroient pas causé peut-estre tant de mal* ;
Et dans un tel état.

FLAMINIE.

Cessez, cessez mon frere
Je vous la ferai voir si vous m’en voulez crere.
Mais par ce trait d’amour vous devés avoüer
Qu’en ceci nôtre sexe est beaucoup à loüer.
245 Un recit seulement touche si bien vôtre ame,
Qu’aujourd’huy vos soupirs ne sont plus que de flâme* ;
L’homme est d’un naturel si sensible à nos coups
Qu’il ne sçaurait nous voir sans se plaindre de nous.

POLYDAS.

[p. 15]
Je la cheris ma sœur d’une amour68 legitime,
250 Où l’excès est loüable et le change est un crime,
Le feu* que j’ai pour elle est si dous et si beau
Qu’il doit m’acompagner jusque dans le tombeau.
Mais dequoi desormés m’en servira la veüe
Quand je lui ferois voir mon ame toute nuë ?
255 Quand je l’esleverois par dessus tous les Cieux,
Que mon esprit confus la suivroit en tous lieux,
Que je l’adorerois, et qu’enfin mes loüanges
Feroient voir ses apas* à la honte des Anges ;
C’est un foible moyen pour l’attirer à moi,
260 Et peut-estre qu’un autre aura des-ja sa foi*.
O Ciel que ce mal-heur affligeroit ma vie !
Le trépas seulement finiroit mon envie,
« Je voudrois estre seul, car l’amour a ce mal*
« Que comme il est unique il ne veut point d’égal.

FLAMINIE.

265 Atalante est bien fort dans vôtre fantesie69,
Car des-ja vôtre amour tient de la jalousie :
Vous l’aimez sans la voir, et pour vous mieux aider
Vous croiez qu’un chacun vous la doive ceder.

POLYDAS.

[p. 16]
S’il te falloit aimer, ah tu craindrois de même,
270 Il faut estre jalous de la chose qu’on aime,
N’aimer pas comme moi, c’est n’aimer rien qu’un peu.
C’est par là bien souvent qu’on entretient son feu*,
C’est par cette raison qu’un Amant* se captive70,
Et que sans cette ardeur une flâme* est oisive.
275 « Un esprit bien jalous aime parfaitement,
« Et tel qui ne l’est pas aime indifferemment.

FLAMINIE.

C’est un juste moyen de contraindre une fâme,
A montrer chez autrui les excez de sa flâme*.

POLYDAS.

Nous sommes dans un temps où les moindres cocus
280 Sont toujours sans honneur, mais non pas sans escus.
Tout leur vient à souhait, et souvent ils soupirent
D’en avoir plus deux fois que leurs cœurs n’en desirent.
Au moins je me resous à souffrir cét afront,
Les cornes rarement incommodent le front.

FLAMINIE.

[p. C, 17]
285 Ha ! Si par une marque on les pouvoit connêtre,
Sans doute la plus-part auroient peur de parêtre.

POLYDAS.

Nous sortons d’un sujet que je ne puis quitter,
Tasche ma chere Sœur à me ressusciter.
Cherchons cette Atalante, et puis s’il est possible
290 Faisons-luy voir mon feu* qui n’est que trop visible,
Si sa beauté répond à ce qu’on m’en a dit
Mon cœur à son abord doit bien estre interdit71,
Jamés un pauvre Amant* n’ût de si grandes pênes*,
Et jamais un captif* n’ût de plus fortes chaines*.
295 N’importe il se faut mettre en hazard* de guérir,
Et contenter mes yeux quand j’en devrois mourir.

FLAMINIE.

Vôtre mal* est puissant, il faut que je l’apaise,
Sans doute mon esprit vous doit mettre à vôtre aise.

POLYDAS.

[p. 18]
Si tu me fais ce bien, je dépite le Ciel
300 De me verser jamés une goutte de fiel* ;
Si ton invention me doit estre propice
Je ne sçaurois plus choir dans aucun precipice,
Et si je puis l’avoir, je serai plus ravi
Que si tout l’Univers devoit m’estre asservi.

FIN DU PREMIER ACTE
de l’Advocat duppé de
Chevreau.

ARGUMENT DU DEUXIESME ACTE. §

[p. 19]

Polydas ayant recogneu la gentillesse d’Izidore qu’il ne cognoissoit que sous le nom de Sicandre, sans sçavoir que ce fut une fille, et ayant apris qu’Atalante répondroit de sa fidelité, va la treuver, ravi d’une ocasion si favorable. Flaminie qui ne recevoit pas moins de contentement par la veüe de Sicandre, faisoit des-ja mille chimeres, et s’assuroit d’avoir de luy tout ce qu’un honneste homme ne peut pas refuser à celles de son sexe. Cependant Mainalte frere d’Izidore et d’Atalante revenu des armées, aprend de Philemon l’intrigue de cette amour de laquelle il veut les desambarasser, et fait dessein d’interrompre toute cette entreprise, au mesme temps qu’Atalante prioit Polydas de recevoir Sicandre qui s’y [20] voyoit des-ja instalé par son industrie, par les persuasions d’Atalante, et par la courtesie de Polydas. Dans ce commerce d’amour Tharzinte et Calliante amoureux également d’Izidore, se disputent et prennent heure pour se battre afin quelle demeure au plus heureux ou au plus adroit.

ACTE II. §

[p. 21]
POLYDAS, FLAMINIE, ISIDORE sous le nom de SICANDRE, MAINALTE, PHILEMON, THARZINTE, CALLIANTE.

SCENE PREMIERE. §

POLYDAS, FLAMINIE, SICANDRE.

POLYDAS.

305 Tu me soulageras, et tu feras ta gloire*
Si tu peux travailler comme tu me fais croire.

FLAMINIE.

Sa mine* est assez douce, et je pense à le voir
Qu’il n’a point de malice, et qu’il a du sçavoir.

SICANDRE.

Je vous sçai distinguer en quatre traits de plume
310 Les statuts des arrests, la loi de la coutume, [p. 22]
Bref vous me treuverez l’esprit si delicat
Que vous m’aimerez mieux qu’un fameux* Advocat.

POLYDAS.

Ses vanitez ma sœur sont tout à fait étranges,
Il s’obstine d’abord à faire ses loüanges :
315 Cette gloire* m’étonne, et me rend interdit,
J’aime bien ce qu’il sçait, mais non pas ce qu’il dit.

FLAMINIE.

Nous conêtrons bien tôt par quelque experience
Jusques où peut aller une telle science.
Allez dans vôtre étude*, et vous sçaurez apres
320 Sans parler si long temps, ce qu’il sçait à plus pres72,
Il fera son profit s’il veut estre fidelle.

SICANDRE.

La fortune* me rit, et moi je me ris d’elle ;
Je suis toûjours loial, mais par fois indigent,
Je sçai voller des cœurs, et non pas de l’argent.

POLYDAS.

325 Quand même ce qu’il dit parêtroit veritable,
Ah cette vanité me semble insuportable,
Voi que mal-aisement on le peut retenir,
Aussi bien en deux jours faudroit-il le bannir. [p. 23]
Son orgueil est trop grand, il se doit reconêtre73,
330 A l’entendre parler il pense estre le maître :
Non, de quelque sçavoir qu’il puisse estre doüé
Il a fait une faute alors qu’il s’est loüé.
Helas tu ne sçais pas le mal* que tu te causes !
J’aime l’humilité par dessus toutes choses :
335 Tu doy te corriger d’un visible defaut,
Au lieu de t’abaisser tu t’esleves trop haut,
A t’ouïr, un avis, un conseil t’incommode,
On treuve en ton esprit le Digeste et le Code74,
Ton moindre sentiment est plus fort qu’une loi,
340 Et tu seras tantôt aussi sçavant que moi.
Adieu, va mon ami, ta sottise est trop clere,
Malaisement ta pene* aura-t’elle un salere :
Ne tarde plus ici ; n’en parlons plus ma sœur,
Je veux avoir un Clerc, et non pas un censeur,
345 Et quand même il seroit le plus parfait du monde
Pour sa fidelité, je veux qu’on m’en réponde.
Et bien pour cét effet as-tu quelques parens ?

SICANDRE.

Ouï, j’ay beaucoup d’amis qui seront mes garans,
Et vous pourrez tantôt voir une Damoiselle
350 Qui vous assurera comme je suis fidelle.

POLYDAS.

[p. 24]
Son nom.

SICANDRE.

C’est Atalante.

POLYDAS.

Il arrive à propos
Dans cette occasion je treuve mon repos.
D’où la connessez-vous ? Tout le monde la vante.

SICANDRE.

Je la voi tous les jours, ma Sœur est sa servante.

POLYDAS

à sa Sœur.
355 Tirons-nous à l’écart.

SICANDRE.

Je connois son humeur,
Et je m’en vais le rendre aussi fou qu’un rimeur.

POLYDAS.

Je n’ai point fait de vœus à qui tout ne succede,
Si tôt que j’ai du mal j’y rencontre un remede.
Je n’estimeray plus mon destin rigoureux,
360 La fin de son discours m’a rendu trop heureux.
Ma sœur, si nous usons d’une grande conduitte, [p. D, 25]
J’aurai d’oresnavant la fortune* à ma suitte75 ;
Outre que ce plesir me doit estre si dous
Que le moins envieux en doit estre jalous.
365 Mais l’irons-nous treuver ? Faut-il point76 qu’elle vienne ?
Parle, car ton amour doit soulager la mienne.

FLAMINIE.

Vous devez l’aller voir, et la civilité*
Vous y semble contraindre autant que sa beauté.

POLYDAS.

O Ciel ! Que ton conseil m’est en tout necessêre !
370 Tout mon bon-heur sans toi seroit imaginêre.
Il est vrai je le dois, son logis n’est pas loing,
Et puis le Clerc fera mon excuse au besoing.
(Il dit ceci à Sicandre :)
Venez donc me conduire au logis d’Atalante,
C’est d’elle maintenant que dépend vôtre attente.

FLAMINIE.

375 Si le Clerc est d’humeur à bien faire l’amour77,
Nous aurons le moien de rire à nôtre tour.
[p. 26]

ACTE II. SCENE DEUXIESME. §

MAINALTE.

Enfin je suis rendu78, j’ay fini mes traverses79,
J’ai couru trop long temps des fortunes diverses :
On m’a veu dans la guerre où mes exploits guerriers
380 M’ont quasi fait mourir sous le faix80 des lauriers,
Ré, la Rochelle, Alaix, Privas, Cazal, et Suse,
Pignerol, Mommeillan, Nanci, tous ceux d’Anduse,
Corbie et Landreci81, bref la plus part des forts
N’ont que trop épreuvé mes importans efforts.
385 J’ai paru dans la Cour et des Rois et des Princes,
J’ai vogué sur la mer, j’ai couru des Provinces,
Où sans difficulté j’ai franchi des hazards*
Capables desormais d’arrester des Cesars.
Le Poitou, le Piedmont, la Holande, l’Espagne,
390 La Suede, la Loraine, et toute l’Allemagne,
En un mot les païs où l’on a combatu
Preuveront à jamés ce que vaut ma vertu* ;
Et je croi sans mentir que là bas ces lieux sombres82 [ 27]
Doivent à ma valeur la plus-part de leurs ombres.
395 « Mais un pauvre soldat quoi qu’il soit genereux*
« Ne se peut voir osté du rang des malheureux,
« On donne au desespoir ce qu’on doit à sa gloire,
« Quand il fait quelquefois ce qu’on a pene à croire.
« Les charges maintenant dans ce commun malheur
400 « S’achetent par l’argent, et non par la valeur,
« Et l’on voit tous les jours tirer aux Capitenes,
« Et l’honneur de ses faits, et le fruit de ses penes*.
J’ai fait ce qu’un démon n’ût peut-estre pas fait,
Je n’ai rien entrepris que l’on juge imparfait,
405 J’ai cherché mille morts sans en treuver aucune,
Et j’ai gagné sur tout, sinon sur la fortune*.
J’ai quitté mon païs, et non pas ma douleur,
J’ai changé de clymat sans changer mon malheur,
Et cette pauvreté qui toûjours me travaille
410 Est l’ombre de mon corps en quelque lieu que j’aille.
Elle est à mes côtez, je ne la puis banir,
Et c’est avecque83 moy qu’elle voudroit finir.
Souvent pour la chasser j’ai hazardé* ma vie,
J’ai souhaité cent fois qu’elle me fût ravie,
415 Mais dans l’état facheux* où le Ciel me reduit
J’ai beau la detester, toujours elle me suit, [p. 28]
« Mon Dieu que la valeur est un foible avantage* !
« La vertu* maintenant est un sot* heritage ;
« Un chacun qui connest ce que vaut un thresor,
420 « Comme aus siecles passez adore les veaus d’or84.
« En effet ce métal où nôtre espoir se fonde
« Est le bien de la vie, et l’idole du monde.
« Alors qu’un homme est riche il est aimé de tous,
« Et sa brutalité* fait même des jalous.
425 Mais un autre bien né qui par experience,
Pourroit de cent façons signaler sa science85,
S’il est pauvre, on le met dans le nombre des sots*,
Quoy qu’il soit ravissant86 au moindre de ses mots.
Pour moi je connois87 bien que ces choses sont vraies,
430 Quand je découvrirois ou ma race, ou mes plaies,
Que je mettrois au jour mes plus fameux* combats,
Et que je nommerois ceux que j’ai mis à bas.
Mais voila Philemon, si je suis miserable*
Il me rendra bien tôt le sort* plus favorable.

ACTE II. SCENE TROISIESME. §

[p. 29]
PHILEMON, MAINALTE,

PHILEMON.

435 Quelle surprise, ô Ciel ! Vous estes revenu,
La guerre vous avoit bien long temps retenu.
Au moins je reconnois ici vôtre avantage,
Si nôtre esprit s’en doit raporter au visage.
Un semblable em-bon-point montre vôtre santé,
440 Mais dedans88 ces habits je voi la pauvreté,
Et j’oserai gager que dans toutes vos cources
« L’argent n’a point crevé vos poches ny vos bources.

MAINALTE.

Vous avez de la pene à vous l’imaginer,
Mais c’est ce qu’aisément vous devez deviner.
445 L’argent qu’ont les soldats ne trouble point leur joye,
« Et ce n’est pas pour eux que l’on bat la monnoie. [p. 30]
Tant de jours ont passé que je n’en ai pas veu
Que je crois bien souvent n’en avoir jamais eu.
Rien ne m’a reüssi, tout m’a semblé funeste*,
450 Mais tout mon reconfort gist au bien qui me reste.

PHILEMON.

N’en esperez plus rien, on a consumé tout,
Un procez et vos sœurs en ont treuvé le bout.

MAINALTE.

Et les biens que j’avois ?

PHILEMON.

Ne parlez plus des vôtres,
Vous en avez autant dépensé que les autres.

MAINALTE.

455 Je ne me prens qu’à vous ; deviez-vous pas juger
Que ce qui me restoit se devoit ménager ?

PHILEMON.

Nous le verrons bien tôt sans aucune surprise,
Mais changons cependant d’habit et de chemise,
Et je vous aprendrai par divertissement [p. 31]
460 Tout ce que font vos sœurs pour avoir un Amant*.

MAINALTE.

Son nom.

PHILEMON.

C’est Polydas.

MAINALTE.

Je ne le puis conêstre,
Mais dans cét entretient* je ne voi rien parêtre.
Ne croi pas m’abuser d’une fausse douceur,
Je veux un compte d’or, et non pas de ma sœur89.

ACTE II. SCENE QUATRIESME. §

[p. 32]
ATALANTE, POLYDAS, SICANDRE.
Ils sortent de la maison d’Atalante.

ATALANTE.

465 Il est vrai qu’il est vain, qu’il se plaist d’ordinére
A loüer sa vertu* qui n’est qu’imaginêre,
Qu’il s’estime beaucoup pour un peu de beauté,
Et qu’on rit bien souvent de cette lacheté,
Il conserve son teint comme une Damoiselle,
470 Il se prise90 par tout autant que la plus belle,
Il me veut imiter, il fait ce que je fais,
Il croit estre honneste* homme, et ne le fût jamais.
En un mot je l’ai veu d’une humeur si fantasque,
Qu’il essaioit mes gans, qu’il s’ajustoit un masque.
475 Il craignoit le serain91, le Soleil et le feu,
Et de peur de rougir, il ne marchoit qu’un peu. [E, 33]
Je l’aime toutefois sçachant bien sa naissance,
Et vous en tirerez beaucoup d’obeïssance,
Je sçai qu’il est fidelle, et qu’à cause de moi
480 Il fera son devoir, et me tiendra sa foi*,
Et s’il vous peut servir dans ce qu’il peut entendre*,
Vous m’obligerez bien si vous le daignez prendre.

POLYDAS.

L’aiant de vôtre main, je le veux estimer,
Et puis que vous l’aimez, il me pourra charmer.
485 Sa fortune* chez moi ne sera pas trop grande,
Toutefois en entrant je veux qu’il y commande,
Qu’il y soit respecté, qu’il sorte à son desir,
Et qu’enfin nuit et jour il cherche son plesir.

ATALANTE.

Il n’auroit pas besoing d’une telle licence,

POLYDAS.

490 Qu’il n’aprehende point aucune violence.
Il a ses volontez, il en peut disposer,
Estant chez moi, Madame, il poura tout oser.

ATALANTE.

[p. 34]
Ne sois plus glorieux*, prens le soin de luy plêre,
Autrement sois certain d’êpreuver ma colêre :
495 Si tu ne te resous desormés à changer,
Adieu, n’arreste plus, tache à me soulager.

SICANDRE.

Ma Sœur.

ATALANTE.

Parle autrement.

SICANDRE.

Madame je vous jure
Que vous n’en recevrez jamés aucune injure,
Et que puis que Monsieur me fait un tel honneur,
500 S’il en a du plesir, j’en aurai du bon-heur.

ATALANTE.

Tantôt92 je t’irai voir.

POLYDAS.

(il dit cecy bas)
Sa fortune* est extrême,
Je voudrois estre Clerc pour estre aimé de même.

ATALANTE.

[p. 35]
Monsieur je n’ûs jamés d’assez dous compliment,
Qui suffise assez bien à ce remerciment,
505 Mais dans l’occasion je me rendrai capable
De vous faire treuver mon service agreable.

POLYDAS.

Je ne crerai jamés que le sort* me soit dous
Que quand j’aurai l’honneur d’estre emploié de vous93.
Que ta condition Sicandre est belle et rare !
510 Elle pouroit toucher les esprits d’un barbare,
Et pour un tel bon-heur à qui rien n’est égal ;
Un rocher deviendroit ou jalous, ou rival.
Estre aimé d’Atalante, ô quelle grande joie !
Il parest que tes jours sont tous filés de soie94,
515 Et tu te peux vanter de goûter un plesir,
Qui bornant ta fortune* a borné mon desir.
Ce miracle en beauté quelquefois te regarde,
Un homme est trop heureux d’en avoir une œillade,
Et si j’ozois attendre un tel contentement,
520 Je craindrois de mourir par un ravissement.

SICANDRE.

[p. 36]
Monsieur il est bien vrai ; quand je me considere
Je me dois consoler dans ma triste misere,
Et de quelque disgrace, ou de quelque douleur,
Que le Ciel desormais augmente ce malheur,
525 Je m’estimerai trop pourveu que je la voie
Dans un durable êtat de conserver ma joie.

POLYDAS.

D’abord qu’on m’en parla, je me vis curieux
D’épreuver de plus pres le pouvoir de ses yeux,
Je l’aimai sans la voir, mais apres l’avoir veuë,
530 Mon ame n’usa plus d’aucune retenuë,
Et par mes actions j’ai fait voir que mon cœur
S’est rendu son esclave et son adorateur.
Dans un bien si puissant j’aurois tout l’avantage*,
Si ma flâme* par fois estoit sur mon visage,
535 Mais peut-estre elle croit quand je rougis un peu,
Que je rougis de honte, et non pas de mon feu*
Il est vrai, je le dois, car sachant son mérite
Je me veux eslever, et je me precipite,
Cét Ange à qui mon cœur sert aujourd’huy d’Autel
540 Doit avoir pour Amant* un autre qu’un mortel.
Mais pour un tel Soleil il faut que je m’egare,
Et pour lui desormais je veux vivre en Icare95.
Que si j’ai son trépas comme j’ai son defaut96, [p. 37]
Je me pourai vanter d’avoir volé plus haut.

SICANDRE.

545 Offrez avec respect vôtre amour legitime,
Aimer ce qu’on voit beau ne tient pas lieu de crime :
Cherchez par ce moien à soulager vos maux*,
Vous ferez en cela ce que font vos rivaux.

POLYDAS.

Mais toi qui la connois, penses-tu que son ame
550 Apreuve ma recherche, et brûle de ma flâme* ?

SICANDRE.

C’est dequoi mon esprit ne vous peut assurer,
Mais découvrez le mal*, que sert de l’endurer ?
En tout cas un refus.

POLYDAS.

Tu l’as treuvé Sicandre,
Et tu me serviras si j’oze l’entreprendre.
555 Allons cela suffit, ce jour m’est trop heureux,
Sois donc autant ami que je suis amoureux*.

ACTE II. SCENE CINQUIESME. §

[p. 38]
THARZINTE, CALLIANTE.

THARZINTE.

Je ne te puis celer97 cher ami Calliante
Un mal* assez puissant, et contre ton attente,
Nous n’aimons qu’en un lieu98, je crains que cette ardeur
560 Fasse naître en nos cœurs une extréme froideur99.
Je sçai bien que tu veux…

CALLIANTE.

Ce discours m’importune,
Un chacun doit soufrir* qu’on cherche sa fortune*.
Je vais chez Atalante, et tu ne penses pas
Qu’il me faille adorer de si puissans apas* ?
565 O que pour un ami ton humeur* est étrange !
Quoy veux-tu que ton feu* m’oblige à quelque change100 ?
Que mon esprit credule à tes foibles propos [p. 39]
Fasse mon déplesir, en faisant ton repos ?
Tu veux qu’à son égard ma passion soit morte
570 A dessein que la tienne en devienne plus forte ?
C’est agir en Amant*, et non pas en ami,
Et chercher seulement mon bon-heur à demi.

THARZINTE.

Accuse-moi d’erreur ou bien d’ingratitude,
Par là je voi la fin de mon inquietude.
575 Tu vois mon Atalante, et moi je ne sçai pas
Qui te peut obliger d’y faire tant de pas.
Si la même beauté regne en nôtre pensée,
Ton amour violent rend mon ame insensée ;
Et par un Dieu jalous et plus puissant que moi
580 Je me verrai contraint de te rompre la foi*.

CALLIANTE.

Ah Tharzinte ! L’objet que mon esprit adore
A la beauté d’un Ange, et le nom d’Isidore.

THARZINTE.

Non je ne le croi pas, c’est elle que je veux,
C’est d’elle cher ami que je suis amoureux*.
585 A quelle extremité* veux-tu donc me reduire ?
Ton cœur par cette ardeur entreprend de me nuire,
Le mien mal-aisément rendra-t’il cét amour, [p. 40]
Si je ne pers aussi la lumiere du jour.
Que fais-tu Calliante ? as-tu quelque parole
590 Qui finisse mon deuil, ou bien qui me console ?
Isidore est l’objet qui surprend ton esprit,
Pourquoi m’afliges-tu ? Pourquoi me l’as-tu dit ?
De grace parle mieux, mon ame est combatuë,
Et si tu me dis vrai la vérité me tuë ;
595 Je l’aime comme toi.

CALLIANTE.

Je te dis mon secret,
Et si c’est t’ofenser, je t’ofense à regret.

THARZINTE.101

Tu viens de prononcer ta sentence funeste*,
Ton mal-heur ou le mien est ici manifeste.
Elle ne peut d’un coup épouser qu’un mari,
600 Croi-tu si je le fais estre son favori ?
A quoi la cajoler, si c’est pour son merite
Que par fois je lui parle, et que je la visite.
Ah que si je pouvois te decouvrir mon cœur !
Mais quoi je ne le puis, car il mourroit de peur
605 Viste sans plus tarder, c’est ce que je demande,
Sa mort doit faire apres ma fortune* assez grande.

CALLIANTE.

[F, 41]
Qu’as-tu donc à resver ?

THARZINTE.

C’est qu’il faut aujourd’hui,
Ou croître tout d’un coup, ou finir nôtre ennui*.
Et si par ton amour tu pretens cette belle,
610 Ce prix vaut-il pas bien qu’on fasse une querelle ?
Quand cette trahison meriteroit l’enfer,
Il y faut employer, et la flâme*, et le fer.

CALLIANTE.

En ce cas cher ami ton mal-heur est à plaindre,
Et ton aveuglement devroit te faire craindre.
615 On te prise par tout, je te crois genereux*,
Mais tu le fais moins voir estant plus amoureux* ;
Où sont mes intérests ? où va donc ta pensée ?
Tharzinte, ton ardeur parest bien insensée.
Me quereller d’abord pour un sujet d’amour,
620 Sans doute la rêzon102 t’en fera plainte un jour,
Et je serai fachê si tu veux l’entreprendre
De te causer la mort en pensant me deffendre.

THARZINTE.

[p. 42]
Non, non, si j’ay manqué ce n’est que pour mon bien,
Ma devise en amour est d’estre tout, ou rien.

CALLIANTE.

625 Oui puis que tu le veux, il faut que je le fasse,
L’amour et le devoir en obtiendront ma grace,
Mais du moins souviens-toi que si je suis vainqueur,
Tu cherches le poignard dont tu t’ouvres le cœur.

FIN DU SECOND
Acte.

ARGUMENT DU TROISIESME ACTE. §

[p. 43]

P olydas d’Advocat devient Poëte, et est rencontré par sa Sœur Flaminie, où il composoit certains vers à la loüange d’Atalante, dont il estoit extremement amoureux. Lors que Flaminie eut veu les vers, et qu’elle les eut leus, Sicandre advertit Polydas qu’Atalante estoit à la porte. Flaminie treuvant l’heure à propos parle secrettement à Sicandre, et par mille traits d’esprit lui declare à la fin sa passion. Ils prennent l’assignation103 sur le soir dans le jardin, Mainalte venant au logis de Polydas treuve Isidore en habit de garçon, et pensant la gourmander104 d’abord, il se voit contraint d’apreuver son invention, surtout quand il sceut le lieu où Flaminie se devoit treuver, et qu’il pouvoit prendre sa place. En luy disant adieu il [44] rencontre Calliante et Tharzinte qui se vouloient battre, et aiant apris le sujet de leur querelle, il promet Isidore à Tharzinte, voiant que l’autre manquoit de cœur. Lorsqu’il luy donne connessance de son secret, Atalante par importunité promet à Polydas de l’aller treuver le soir au jardin, ne sachant pas que Sicandre y dût aller, et ne s’imaginant pas qu’il y eut grande *fortune à risquer, puis qu’elle estoit si proche de sa Sœur, dans laquelle elle avoit toûjours mis la meilleure de ses esperances.

ACTE III. §

[p. 45]
POLYDAS, FLAMINIE, SICANDRE, MAINALTE, THARZINTE, CALLIANTE, ATALANTE.

SCENE PREMIERE. §

POLYDAS

dans son cabinet, où il lit sur sa table ces vers qu’il a fait pour Atalante.
Astre qui conservez ma vie,
630 Ange à qui mes sens font la Cour,
Objet digne de mon envie,
Miracle de grace et d’amour :
Prodige incroiable de charmes,
Adorable ennemi*, doux et juste vainqueur,
635 Puis qu’il est temps que je rende les armes,
Gardez ces vers aussi bien que mon cœur.

Tout est contrêre à mon attente,
Je croiois sortir de prison ;
Mais vos beautez chere Atalante [p. 46]
640 Sont plus fortes que ma raison :
C’en est fait, vôtre œil me consume,
Et si vous en doutez considerez un peu
Que desormais loing de prendre la plume,
Mon propre sang vous signera mon feu*.

645 Divin sujet de mon martire
Qui savez si bien triompher,
Si la flâme* pouvoit s’escrire
Ces vers vous pourroient échaufer :
Ah faux espoir qui me contentes,
650 C’est trop t’entretenir*, je crains pour mon malheur,
Qu’elle ne semble à ces glaces ardantes
Qui brûlent tout, et n’ont point de chaleur.

Mais je sens que ma mort s’aproche,
Mon destin ne se peut gauchir ;
655 Comme elle porte un cœur de roche,
Rien ne la peut jamés flechir :
L’ingratte qui retient mon ame
Me voiant soûpirer et pleurer si souvent,
Poura juger qu’au lieu d’estre de flâme
660 Je ne suis plus que de l’onde et du vent.

Mais pour en faire une autre épreuve, [p. 47]
Et rendre mon destin plus beau,
Je veux que tout le monde treuve
Ces quatre vers sur mon tombeau :
665 Passant la mort m’a voulu prendre,
Je l’en voulu prier, elle agréa mon vœu ;
Puisqu’aujourd’hui je ne suis plus que cendre
Croi qu’autrefois j’avois esté feu*.
Comme je fais des vers sans y joindre la pene*,
670 Quand j’y pense le moins j’en tire de ma vene ;
Ils ne sont pas mauvais, ils expriment assez
Mes tourmens avenir, et ceux qui sont passez,
Mille Poètes nouveaux que le vulgaire estime
Pouroient-ils bien treuver si doucement la rime ?
675 Quand je la veux chercher m’éloignai-je du sens ?
Ces vers quoi qu’ils soient doux font des effets puissans.
J’y mets des nouveautez, les graces y sont jointes,
J’y fais plutôt entrer la raison que les pointes105,
Je poursui mon sujet, et croi sans vanité
680 Qu’en disant qu’ils sont bons, je dis la verité.
Mais une stance y manque, il faudra ce me semble
Luy faire consentir que l’Hymen* nous assemble.
Toutefois c’est bientôt, je croi qu’il vaudroit mieux
Pour flatter son esprit lui parler de ses yeux ; [p. 48]
685 Lui dire que son teint a seul ce privilege
De brûler un chacun, combien qu’il soit de nege,
Mais que me servira de vanter sa beautê,
Si je ne l’entretiens* de ma fidélité.
Huit vers y suffiront ; que ma pensée est forte :
690 Mais non ; je ne doi pas commencer de la sorte.

ACTE III. SCENE DEUXIESME. §

FLAMINIE, POLYDAS, SICANDRE.

FLAMINIE.

Resverez-vous toûjours à ce que vous aimez ?
Cieux que faites-vous là ? Mon frere vous rimez,
C’est bien pour en tenir : vôtre esprit s’imagine
Qu’on entreprend ce jeu sans faire d’autre mine* ?
695 Ha que vous deviendrez d’une jolie humeur* ;
Il faut estre un peu fou pour estre bon rimeur ;
Effacer ce qu’on fait quand on ne peut rien fere,
Jurer, frapper du pied, ce n’est que l’ordinêre, [G, 49]
Courir dans une chambre apres deux ou trois mots,
700 S’arrester sans dessein, ruiner son repos,
Ceux-là sont mal-heureux que ce metier devore,
Et ces gens devroient faire encherir l’Elebore106.
Mon frere c’est assez, ne vous y perdez plus,
Ces divertissemens vous seront superflus,
705 Vous en aime-t’on mieux.
(Elle lit ceci sur une fueille107 de papier)
Sonnet pour Atalante,
Je l’avois toûjours dit, que l’amour vous tourmente.
Mais voions le Sonnet.

POLYDAS.

Premier que de le voir
En sçais-tu le sujet ?

FLAMINIE.

Non.

POLYDAS.

Tu le vas savoir.
Sache qu’en l’abordant, j’aperceu devant elle
710 Un miroir qui montroit combien elle estoit belle,
Cieux que je fus ravi, lors que ses yeux ardans
Jettoient d’un seul regard tant de feux* là dedans ! [p. 50]
Helas ! Ma chere sœur son visage et sa grace
Sans fondre aucune chose échaufoient cette glace.
715 Si je la regardois pour soulager mon mal*,
L’image me brûloit comme l’original,
Et mon esprit confus dedans cette avanture*
Ne savoit que choisir d’elle, ou de sa peinture.
Abordant son miroir je la voulois baiser ;
720 Croiant qu’ainsi mon mal* se pouroit apaiser ;
Mais l’ingratte fuioit dans mon amour extrême,
Et la pensant baiser je me baisois moy-même.
Je voiois mon visage où j’avois veu le sien,
Je voulais prendre tout, et je ne treuvois rien,
725 Je la cherchois assez pour lui rendre un hommage,
Mais quoi ce faux miroir me cachoit son visage,
Et quand j’en aprochois j’etois transi de peur,
Car je voiois ma teste où j’avois veu mon cœur.
Voici donc le Sonnet.

FLAMINIE.

Monstrez je le veux lire.

POLYDAS.

730 Ma Sœur ne le lis pas, car tu me ferois rire.

SUR LE
MIROIR
D’ATALANTE.
SONNET. [p. 51]

Ne cherche point de glace où tu te puisses voir,
Sache que tout Paris admire tes merveilles,
Ceux à qui tes beautez ont apris leur pouvoir
Te vont fère l’objet de leurs plus douces veilles.

 

735 Que cette glace, ô Cieux, me fait bien decevoir* !
Et qu’elle exprime bien ses graces nompareilles !
Ha si ton cœur ainsi me vouloit recevoir,
Qu’un doux remerciment flatteroit tes oreilles.

 

Mais resveur108 que je suis, où seroit mon plesir ?
740 Quand même elle voudroit accomplir mon desir,
Jamés cette faveur ne feroit ma fortune*.

 

Car comme son miroir a cela de commun [p. 52]
Qu’il reçoit cent beautez, et n’en retient pas une,
Elle reçoit cent cœurs, et n’en retient pas un.

~~~~~~~

745 Et bien sçais-je piper ? Il faut que tu confesses
Que ces vers me devroient aquerir des Maitresses ;
Et pour un Advocat je descris nettement
Tout ce que les meilleurs font si confusément.

FLAMINIE.

Il est vrai, mais brisons ; je n’ai point veu Sicandre,
750 Que fait-il maintenant.

POLYDAS.

Je n’ose te l’aprendre.
Vrément il n’agit pas comme il promit d’agir,
S’il se reconnessait il en devroit rougir ;
C’est un Clerc glorieux* qui ne sait pas écrire,
Il se masque la nuit d’une toile de cire,
755 Il a des gans au lit pour conserver ses mains,
Ceci peut-il entrer en des cerveaux bien sains.
N’importe, il peut aider à flatter mon attente,
Il faut le caresser en faveur d’Atalante,
Et tacher : le voila, faisons-luy bon accueil,
760 Sa presence ma Sœur vient d’acroistre mon dueil.

SICANDRE

[p. 53]
arrive.
Quelqu’un vient maintenant de frapper à la porte.

POLYDAS.

On me vient en tout temps afliger de la sorte.

SICANDRE.

Monsieur c’est Atalante.

POLYDAS.

O l’agreable jour,
Demeure, j’ouvrirai ; j’ai trop d’aise en amour !

FLAMINIE.

765 Sicandre sauvons-nous, sa joie est infinie,
Sortons, l’amour se plaist d’estre sans compagnie.
Ha ! Si mes yeux pouvoient témoigner mon ardeur ?109
Mais il faut malgré tout montrer de la froideur.
Obstacle injurieux, respect, loy tyrannique,
770 Cacherez-vous toujours le dessein qui me picque ?
Du moins inspirez-moi quelque doux compliment,
Qui sans difficulté le fasse mon Amant*.
(Elle parle à Sicandre.)
[p. 54]
Mon frere est trop heureux de parler bouche à bouche
A l’adorable objet*, dont la beauté le touche.
775 Qu’en juges-tu Sicandre ? a-t’on pas du plesir
D’entretenir* ainsi son amoureux desir ?
De parler de soupirs ? de faire voir sa flâme*,
Qui sans bruler le corps consume une pauvre ame ?
D’essaier cent moyens pour détacher ses fers ?
780 Et de treuver la fin de ses tourmens soufers ?
Pour moi si quelque Amant*. O Ciel l’osai-je dire ?
Quand il sçaura mes maux*, il n’en fera que rire.

SICANDRE.

Quoy vous n’achevez point ?

FLAMINIE.

Mille pensers divers
Ont surpris mon esprit, et l’ont mis de travers.

SICANDRE.

785 Mais que disiez-vous donc ?

FLAMINIE.

Qu’une fille est heureuse
Alors qu’on l’aime autant qu’on la treuve amoureuse*.
Qu’aimer sans estre aimé c’est rencontrer un sort* [p. 55]
Pire que les poisons, et pire que la mort.
Ah ! Que si tu pouvois conêtre ma pensée,
790 Tu te crerois heureux me croiant insensée !
Mais quoi c’est te jetter de trop foibles apas*.

SICANDRE.

Madame par ma foi, je ne vous entens* pas.

FLAMINIE.

Je connois ma foiblesse, et ta gloire* Sicandre,
Tu m’entens*, mais ton heur* ne gist pas à m’entendre*.
795 Tu te ferois du tort, tes desseins sont trop hauts,
Tu vois mon démerite, et tu sçais mes defauts :
Toutefois malgré tout mon bon-heur est extrême,
Si tu ne veux m’aimer, soufre au moins que je t’aime.
N’agueres110 ton esprit me devoit prevenir*,
800 Mais l’amour est un feu* qu’on ne peut retenir.
Combien qu’un tel secret choque la bien-seance,
A ton occasion j’en prendrai la creance111,
Et je m’estimerai pourveu que mon amour
Oblige ton esprit à me faire la cour.

SICANDRE

[p. 56]
(Sicandre dit ceci bas.)
805 O Ciel je n’en puis plus ! Je me voi découverte !
Qui peut de cette sorte entreprendre ma perte ?
Quoi voulez-vous tenter dans cette extremité*
Si je m’entretiens* bien dans ma fidelité ?
Ah ! J’entens* mon devoir, et je sçai vôtre feinte,
810 Vostre cœur à dessein me forme cette plainte,
Et je suis assuré qu’il ne m’aimeroit pas
S’il sçavoit que mon ame adorât vos apas*.
Je me suis veu toûjours prodigue de caresses,
J’ai fait des serviteurs*, et non pas des maitresses,
815 Je ne sçaurois aimer les filles qu’à demi,
Je prise moins leurs cœurs que celui d’un ami.
Si je soufre* par fois qu’une fille me baise,
Ce n’est pas que par là je commence mon aise112
Bien souvent le devoir et la necessité
820 Malgre mes sentimens forcent ma liberté,
Et de quelque faveur que leur sexe m’oblige,
Me vantant son amour, il connest qu’il m’aflige.
Mais quand j’aime quelqu’un je l’aime infiniment,
Je l’apelle mon cœur, je le croi mon Amant*,
825 Le serrant de mes bras je lui preste la bouche,
Son entretien* me plaist, sa passion me touche ;
J’augmente son ardeur lui presentant mes vœux, [H, 57]
Quelquefois de mes doigts je peigne ses cheveux,
Je dors sur ses genoux, je parle de ma flâme*,
830 Et lui prenant la main, je lui donne mon ame ;
En un mot il m’estime, il me promet sa foi*,
Et se tient trop heureux s’il est aimé de moi.

FLAMINIE.

Quoi j’aime un insensé !

SICANDRE.

(Il dit cecy bas.)
Quelle étrange avanture* ?
Mon impuissance a droit d’acuser la nature.
835 En cette ocasion que n’ais-je ce qu’il faut
Pour courir sans danger à cét aimable assaut !
Quelqu’un qui seroit homme en feroit sa fortune*,
Mais ici vainement mon sexe m’importune,
Nos desirs sont égaux comme nôtre pouvoir,
840 Helas ! J’ai seulement ce qu’elle peut avoir !
C’est pour un même bien que nôtre esprit soûpire,
Et ce qu’elle pretend c’est moi qui le desire.

FLAMINIE.

Ah Sicandre aveuglé ! Tu refuses mes vœux,
Dy-moi donc ce qu’il faut pour te rendre amoureux* ?
845 Te faut-il des soûpirs ? as-tu besoin de larmes ? [p. 58]
Est-ce par ce moien que tu rendras les armes ?

SICANDRE.

Que ne m’est-il permis de lui confesser tout :
Mais j’aurois mes desseins sans en venir à bout.

FLAMINIE.

Je me sçaurai vanger de ton ingratitude ;
850 Et treuverai la fin de mon inquietude*.
J’assurerai bientôt pour te voir condamner
Que ton credule esprit m’a voulu suborner.
J’emploie à cét effet l’excès d’une malice
Capable desormais de fêre ton suplice.
855 Mon frere le sçaura qui poura t’en punir,
Et sans avoir peché tu te verras banir.

SICANDRE.

Nos desseins sont rompus si ce mal-heur m’arive.
Ah, Madame croiez que mon ame est captive,
Je vous aimerois bien, mais la discretion
860 Veut donner une borne à mon affection,
C’est en vain que je cache un feu* qui me devore ;
Je feins de vous haïr lors que je vous adore,
Et malgré le respect qui me deffend l’amour,
Le feu* qui me consume est plus clair que le jour. [p. 59]

FLAMINIE.

865 Je t’aime d’avantage, et s’il étoit possible
Je te rendrois bien tôt mon ardeur plus visible.
Le temps n’y suffit pas ; mais pour t’en assurer
Alors que le Soleil cessera d’éclairer,
Rens-toi dans ce jardin, tu sentiras ma flâme*,
870 Et malgré cette nuit tu pouras voir mon ame.
Je vais à Polydas ; ne sois plus rigoureux,
Adieu rends-moi contente, et tu seras heureux.

SICANDRE.

Ha ! vrément à la voir son humeur est gentille ?
Ciel ! destins ennemis, suis-je encore une fille !
875 Je parois un garçon dans ce déreglement,
Et je n’en puis avoir que l’habit seulement ;
Toutefois.

ACTE III. SCENE TROISIESME. §

[p. 60]
MAINALTE, SICANDRE.

MAINALTE.

C’est trop fait, c’est trop estre à la gêne113,
Il est temps de finir leur amour et ma pêne*.
Ma sœur de la façon114 ruine son bon-heur,
880 Et croit fère son bien faisant son deshonneur.
Je suis prest du logis, mais je la voi parêtre,
Ou bien malaisement la puis-je reconêtre.
Quoi ma sœur est-ce vous ?

SICANDRE.

Quel reste de plesir
Semble si doucement terminer mon desir !
885 Mon frere c’est donc vous ? Quel bon sort* vous envoie
Pour ravir mes esprits d’une parfaite joie ?

MAINALTE.

[p. 61]
Cessez de me surprendre, et de me caresser,
Je vous étouferois pensant vous embrasser.
Quels habits avez-vous ? et quel ordre de vivre ?
890 Est-ce le vrai chemin que la gloire doit suivre ?
Ah ma sœur !

SICANDRE.

Ecoutez.

MAINALTE.

Je sçais bien le dessein
Dont un feu* deshonneste embrase vôtre sein.

SICANDRE.

Vous ne m’entendez* pas ; sçachez que Flaminie
Conçoit pour mon visage une ardeur infinie,
895 Regardez ce jardin, ce sera sur le soir
Qu’elle m’y doit attendre, et que je l’y dois voir,
Polydas est son frere, elle est riche, elle est belle,
Et croi que la voiant vous lui serez fidelle.
Mettez-vous dans ma place, et fiez-vous sur moi,
900 Qu’elle ne peut manquer de vous donner sa foi*.

MAINALTE.

[p. 62]
Ma sœur si tu dis vrai, maintenant je t’advoüe
Que malgré ma colere il faut que je te loüe.
Mais est-il assuré.

SICANDRE.

Si tôt que le Soleil.

MAINALTE.

Tu me l’as des-ja dit ; ô bon-heur nompareil !

SICANDRE.

905 Ne luy répondez point, autrement vos paroles
Rendroient en un moment vos attentes frivoles
Elle connest ma voix, mais on peut l’abuser
Si vous usez du temps comme il en faut user.
Je vous y conduirai, ménagez cette affère,
910 Icy le jugement vous sera necessère.
J’y vais donner bon ordre.

MAINALTE.

Et cependant ma sœur…

SICANDRE.

Promenez-vous toûjours attendant ce bon-heur.

MAINALTE.

Si je fais reüssir ceci comme j’espere,
Je suis riche à ce coup, tout me sera prospere :
915 Je me vangerai bien de mes travaux115 soufers, [p. 63]
Et j’irai dans le Ciel au sortir des enfers.

ACTE III. SCENE QUATRIÈME. §

CALLIANTE, MAINALTE, THARZINTE.

CALLIANTE.

Si tu dois sucomber, quelle proche retraitte
Poura sauver ma teste apres cette défaite ?
C’est un mal necessêre, il y faut consentir,
920 En te donnant la mort, j’en ai du repentir.
Nous durons trop long temps, finissant nôtre envie
Achetons cét objet* au prix de nôtre vie.
Ils se veulent battre.

MAINALTE.

Que je suis à propos ! vous.

CALLIANTE.

Il faut qu’un duel
Termine maintenant un mal* continuel.
925 Non, non c’est trop soufrir, Isidore est trop belle. [p. 64]

MAINALTE.

Seroit-ce pour ma sœur que vous auriez querelle ?

THARZINTE.

Mainalte cher ami.

MAINALTE.

Tharzinte, mon support,
Est-ce donc pour ma sœur que tu cherches la mort ?

THARZINTE.

Ma main pour cét effet n’est pas mal ocupée,
930 C’est pour me l’aquerir que je porte l’épée.

CALLIANTE.

Tu l’aimes, je le sçai, mais ta fidelité
Qu’on estimoit jadis, cede à ta lacheté.

THARZINTE.

Ah ! c’est trop m’ofenser, si j’etois insensible
Je pourois endurer un afront si visible.

MAINALTE.

[p. I, 65]
935 C’est trop dit ; j’y consens, aujourd’hui le vainqueur
Doit gaigner Isidore, et posseder son cœur.

THARZINTE.

Et bien c’est à ce coup.

CALLIANTE.

Je veux mal à ta rage,
Ce seroit dans ton sang que tu ferois naufrage,
Ecoute, faisons mieux, dequoi m’acuses-tu ?
940 Je sçai que nous avons une égale vertu*.
Cessons nôtre querelle, et si tu m’en veux croire
Nous treuverons ailleurs des matieres de gloire*.

THARZINTE.

Cela ne suffit pas.

CALLIANTE.

Croi que cela suffit,
Et que par ce moien je cherche ton profit.
945 J’aime plus un ami que toutes les richesses,
Et pour en avoir un je perdrois cent Maitresses.

MAINALTE

[p. 66]
à Tharzinte.
Je te donne Isidore, et je perdrai le jour
Si je ne la contrains d’apreuver ton amour.

CALLIANTE.

Tharzinte je te l’offre, et combien que je l’aime,
950 Je veux pour t’assurer me combattre moy-même,
J’ay du courage assez, mais j’ay trop d’amitié
Pour te considerer sans en avoir pitié.
Adieu je te la quitte à dessin que l’on sçache
Qu’une telle amitié ne reçoit point de tache.

MAINALTE.116

955 Si tu le vois jamés punis sa lacheté,
Medite son trépas qu’il a trop merité !
Oublions cet infame, il auroit trop de gloire*
Si son nom seulement restoit dans ta memoire.
Pour toi que j’ai toujours dedans mon souvenir,
960 J’apreuve ton amour, mon cœur le doit benir :
Et pour t’en assurer il faut que je t’instruise
D’un secret qui m’importe, et de mon entreprise
Tirons-nous à l’écart, je te promets la foi*
D’obliger Isidore à n’aimer plus que toi.
965 Quelqu’un nous surprendroit, ta querelle est connuë
Et tu ne devois pas te battre en pleine ruë.

ACTE III. SCENE CINQUIESME. §

[p. 67]
POLYDAS, ATALANTE, FLAMINIE, SICANDRE.

POLYDAS

dans une chambre.
Enfin si vous m’aimez, faites-moi ce plesir,
Ne me refusez pas, prenez vôtre loisir,
Ce soir vous le pouvez.

ATALANTE.

Mais que pouroit-on dire ?
970 Ceci donneroit bien des matieres de rire.

POLYDAS.

La Lune a retardé, tout fuira de ces lieux,
Et le Ciel n’aura point l’usage de ses yeux.

FLAMINIE

arrive à la porte.
Y devons-nous entrer, parle.

SICANDRE.

Non, ce me semble.

FLAMINIE.

Je me resoudrai donc à les laisser ensemble.

ATALANTE.

[p. 68]
975 Ouï je vous le promets ; si la discretion
Entretient vôtre crainte, et vôtre affection.

POLYDAS.

J’en jure par vos yeux, et je perdrai la vie
Si tout ne reüssit au gré de vôtre envie.
Tenez voici la clef ; venez par le dehors,
980 Vous y pourrez entrer avecque117 moins d’efors.

ATALANTE.

Adieu ne sortez point.

POLYDAS

la conduisant.
J’aurois l’ame brutale,
Si vous m’estes Procris je vous serai Cephale118.
Il s’en va.

ATALANTE.

Toutefois c’est bien tôt pour parler de se voir,
Et sur tout sans conduite, et se servir du soir.
985 Il faut le contenter ; en tout cas j’ai Sicandre
Qui me fait assister, et qui me peut deffendre,
Je hazarde* beaucoup, mais n’aiant plus de bien
Excepté mon honneur, je ne hazarde* rien.

FIN DU TROISIESME ACTE.

ARGUMENT DU QUATRIESME ACTE. §

[p. 69]

P olydas apres avoir long-temps attendu, entend du bruit et s’imaginant tenir Atalante, prend Mainalte sans le connêtre, qui croit estre trompé par sa sœur. Mainalte en sortant entend venir Flaminie, qui d’abord est prise par Polydas, lequel se voyant duppé si souvent, proteste d’avoir à l’advenir moins d’amour. Lors qu’il est encore à faire ses plaintes, Flaminie est surprise par Mainalte, qui l’emmene dans la chambre sans la voir, et Atalante arrive au lieu de l’assignation ; mais Polydas prenant Atalante pour Flaminie, la rebute par des termes assez injurieux : ce qui oblige Atalante de sortir : Polydas aiant reconnu se faute, s’en va au logis, où il treuve sa sœur avec un homme inconnu, et Sicandre avec Tharzinte. Flami- [p. 70] nie se voiant abusée, et croiant posseder Sicandre, aprend la cause de ce changement, et treuvant Tharzinte aussi bien fait du moins que Sicandre, apres avoir renvoié Polydas au jardin, où elle disoit qu’Atalante l’attendoit encore pour joüer la piece entiere, donne jour aux uns et aux autres de dupper son frere, et s’y porte dés l’heure avec une industrie tout à fait étrange.

ACTE IV. §

[p. 71]
POLYDAS, SICANDRE, MAINALTE, THARZINTE, FLAMINIE.

SCENE PREMIERE. §

POLYDAS

dans le jardin.
Toutes sortes d’objets sont maintenant funebres,
990 Et la terre et le Ciel sont couverts de tenebres.
Un chacun dort au lit comme dans un tombeau,
L’amour à mon sujet a quitté son flambeau*,
Les zephirs les plus doux nous donnent du silence,
Et le bruit ne nous fait aucune violence ;
995 Quand bien119 mon Atalante avanceroit ses pas,
Ecleré de ses yeux je ne la verrois pas.
O nuit quoi qu’à present ta noirceur soit extrême, [p. 72]
Je connetrois toûjours la moitié de moy-même !
Toute l’obscurité ne m’en peut empêcher,
1000 Je verrai ce Soleil, il ne se peut cacher ;
Il porte assez de jour dans les lieux les plus sombres,
Et si tôt qu’il arrive il dissipe les ombres.
Mais le temps qui jadis alloit si promptement
S’écoule à mon âvis un peu trop lentement.
1005 Dieu que je parois triste en cette destinée !
Il semble qu’un moment soit plus long qu’une année.
Où cét astre est-il bien ? que peut-il differer ?
Pourquoi ne vient-il pas afin de m’eclerer ?
Atalante mon cœur, de qui dépend ma vie,
1010 Aproche, que fais-tu, seconde mon envie,
Conserve-toy ce bien que ta beauté me prit,
Sois presente à mes yeux ainsi qu’à mon esprit,
Entre dans ce jardin, n’aprehende aucun blâme,
Fais-t’y voir souveraine aussi bien qu’en mon ame,
1015 Et proche de cette eau par tes soûpirs ardans
Console-moy d’un feu* qui me brule au-dedans
Sur tout si ton dessein est de finir ma pene*,
Ne te regarde point dedans cette fontene ;
Si Narcisse120 en est mort, juge que ta beauté
1020 Te reduiroit bientôt à cette extremité*. [K, 73]
Si tu veux un miroir qui te montre sans feinte,
Considere mes yeux, tu t’y verras dépeinte :
Ou si tu te veux voir comme un objet* vainqueur,
Regarde ta conqueste, en regardant mon cœur :
1025 Tu pouras y treuver ton image gravée,
Qui malgré tout mon feu* s’est toûjours conservée,
Et remarquant de prês cet aimable tableau,
Tu te pouras vanter comme il y parest beau.
Alors, certes, alors. Mais que veux-je entreprendre,
1030 Que sert de luy parler ? elle ne peut m’entendre,
C’est en vain que j’apelle ; un semblable discours
Ne sçauroit de long-temps m’aporter du secours.
Viens donc chere Atalante, et pour me faire vivre
Apreuve le dessein qu’on me force de suivre :
1035 Je n’y puis resister, c’est un arrest du sort*,
Autrement mon amour me causera la mort.
Mais je l’entens venir ; c’est à tort que j’en doute,
« On dit injustement que l’amour ne voit goute,
« Ou si ce Dieu puissant n’a jamés eu des yeux,
1040 « Nous devons avoüer qu’Argus121 ne voit pas mieux.

ACTE IV. SCENE DEUXIESME. §

[p. 74]
SICANDRE, MAINALTE, THARZINTE.

SICANDRE

en lui ouvrant la porte du jardin.
Allez, elle m’attend, montrez vôtre prudence,
Et mettez vôtre amour en pareille evidence.

MAINALTE.

Viste, retire-toy, j’en serai possesseur,
Le frere fera tout au defaut de122 la sœur.

THARZINTE.

1045 Retirons-nous, Madame, et s’il vous est possible
Témoignez moins d’ardeur, paressez moins sensible ;
Ou si cela vous fâche aiez du sentiment
Pour soulager le mal* d’un malheureux Amant*.

SICANDRE.

[p. 75]
Pourveu qu’en un moment il treuve sa fortune*,
1050 Mon esprit est content si rien ne l’importune.
Allons dedans ma chambre, attendant son retour,
Mais soions plus discrets, et faisons mieux l’amour.

ACTE IV. SCENE TROISIESME. §

POLYDAS, MAINALTE.

POLYDAS.

A la fin je vous tiens, adorable Atalante,
Vous rendrez à ce coup mon ame plus contente.
1055 Et sans vous y forcer, je veux que vos plesirs
Soient égaux pour le moins à vos plus grands desirs.
Vous ne me parlez point ; quoi rien ne me console !
Lors que je pers le cœur, perdez-vous la parole ?

MAINALTE.

[p. 76]
Ma sœur m’en a donné.

POLYDAS.

Quel refroidissement ?
1060 Est-ce ainsi comme il faut soulager mon tourment ?
Du moins comme un écho répondez à ma plainte,
Vous troublez mon esprit, et d’amour, et de crainte,
Dites si vous aimez, ou si vous n’aimez pas,
Donnez-moi d’un seul coup la vie ou le trépas.

MAINALTE.

1065 O Ciel qu’ai-je entrepris ! ici tout m’est contrere,
Il croit tenir la sœur, et ne tient que le frere.
Le devrois-je soufrir* plus long-temps en erreur,
Que differai-je plus à montrer ma fureur.
Mainalte sort.

POLYDAS.

A ce coup je suis pris, est-ce ainsi qu’on m’abuse ?
1070 Je ne voudrois qu’un bien, le Ciel me le refuse,
Et le pensant avoir, la rigueur de mon sort*
S’obstine seulement à me donner la mort.
Mais je ne tiens plus rien, ma prise est échappée,
Que n’ai-je cy-devant à porté mon epée,
1075 Je m’en serois servi contre ces ennemis, [p. 77]
Qui troublent le repos que l’amour m’a promis.
N’importe, achevons tout, et par experience
Témoignons nôtre flâme* et nôtre passience.

ACTE IV. SCENE QUATRIÈME. §

MAINALTE

estant sorti.
Endurer cét afront ; j’aimerois mieux mourir,
1080 La vengeance est le bien qui me peut secourir.
Elle s’attaque mal, sa folie est extrême,
Crere ainsi me tromper, c’est se tromper soi-même.
Sa ruse est découverte, et je ne pense pas
Qu’elle ait à l’avenir de si puissans apas*.
1085 Mon esprit abusé commence à la conêtre,
Et par là son amour se fait assez parêtre.
Il faut que Polydas la caresse en secret,
Mais pour les bien punir je veux estre discret.
Elle ne peut tarder, l’entretien de Tharzinte [p. 78]
1090 Ne l’empeschera point d’executer sa feinte.
Rentrons dans le jardin ; par leurs moindres discours
Nous sçaurons leur amour, et nous verrons son cours.

ACTE IV. SCENE CINQUIESME. §

FLAMINIE, POLYDAS.

FLAMINIE

entrant dans le jardin.
Il ne peut m’échapper ; malgré toute sa gloire*
Il faut que j’en espere une heureuse victoire.
1095 Il m’attend, je le suy, je croi que ses desirs
Sont bornez seulement par mes plus grands plesirs.
Ce vainqueur est vaincu, mes soûpirs et mes larmes
Ont reduit son courage à me rendre les armes :
Et malgré sa rigueur qui n’avoit rien d’égal,
1100 J’ai treuvé mon secours quand j’ai senti le mal*.
Je le voi, je le tiens ; Enfin rare Sicandre [p. 79]
Je t’attaque trop bien, tu ne te peux deffendre ;
Ne me resiste plus, car te voila surpris,
Je n’ai que trop long temps suporté ce mépris.
1105 As-tu des complimens dont la force t’excuse
De prendre mes baisers, et de loüer ma ruse :
Non, tu ne le sçaurois, ton esprit est trop sain
Pour ne pas apreuver mon amoureux* dessein.
Mais d’où vient ta froideur ? quelle peur te recule,
1110 Crains-tu de soulager la flâme* qui me brûle ?
Ah ! c’est trop consulter123 ; mon cœur aproche-toi,
D’où viens que tu me fuis ? doute-tu de ma foi* ?
Es-tu trop indulgent ? suis-je trop amoureuse ?
Et croi-tu que ton feu* me rende trop heureuse ?
1115 Il est vrai que j’ai tort, mais confesse du moins
Que pour te meriter je prens assez de soins*,
Et qu’on ne peut jamés étoufer mon envie,
Quand même elle feroit la perte de ma vie.

POLYDAS.

Ma sœur.

FLAMINIE.

C’est Polydas : faut-il que mon amour
1120 Lui soit dans cette nuit plus claire que le jour ?
Dequoi puis-je couvrir ma flame* illegitime,
Mon indiscretion passera pour un crime.

POLYDAS.

[p. 80]
Et bien que voulez-vous ? suis-je point vostre Amant* ?
Esperez-vous de moi quelque contentement ?
1125 Non, je ne le croi pas ; un autre que Sicandre
Si vous ne le soufrez* n’oseroit l’entreprendre.
Croiez-moi je vous prie, une fille a trop d’heur*
De regler ses desirs aux termes de l’honneur.
Vous recherchez Sicandre ; et qui pensez-vous estre ?
1130 Voulez-vous d’un valet en faire vostre maistre ?
Epouser un parti que vous devez haïr,
Et caresser celui qui vous doit obeïr.
Que pour vous ramener à vôtre humeur premiere,
Vous auriez grand besoin d’avoir quelque lumière.
1135 Mais la raison suffit, un peu de jugement
Portera vôtre amour dedans le changement.

FLAMINIE.

Si doi-je m’excuser dans l’état qu’il me treuve,
Et pour y parvenir mettre tout à l’épreuve.
Mon frere je sçai bien que vous croirez d’abord,
1140 Qu’on ne peut m’en loüer, et qu’en un mot j’ai tort.
Quelque chose pourtant que vous en puissiez croire, [L, 81]
Ceci n’altere point ma vertu* ni ma gloire*.
Toutefois il est vrai que je veux trop agir :
Mais quoi si j’ai peché, vous en devez rougir.
1145 Mon ame à vôtre âvis est vivement atteinte.
Non, non, le temps me presse, il faut banir la feinte.
Songez, songez à vous ; tant de nouveaux soûpirs
Ne m’ont que trop fait voir le but de vos desirs.
Vous attendez ici la moitié de vôtre ame,
1150 Vous y voulez bien tôt partager vôtre flâme*,
Sçachez qu’il n’est plus temps de le dissimuler,
Et que pour le Sçavoir je feignois de bruler.
Tous ces regrets formez, et ces larmes versées
Ne nous montrent que trop où vont tant de pensées.
1155 Vivre dans la maison comme dans quelque bois,
Rimer, parler tout seul, et resver quelque fois,
N’entretenir* aucun, fuir la compagnie,
Tout cela nous fait voir vôtre amour infinie,
Et pour n’en douter plus, je m’en viens d’assurer.

POLYDAS.

1160 Que tu prens de plêsir à me voir endurer !
Laisse-moi quelque temps songer sur ma folie, [p. 82]
Car il faut que je cede à ma melancolie.
Il faut crêre à ce coup que mon projet est vain,
Je tombe, et si124 pas un ne me preste la main.
Flaminie le quitte.

ACTE IV. SCENE SIXIESME. §

MAINALTE, FLAMINIE.

MAINALTE.

1165 C’est elle, il faut parler ; elle quitte son frere,
Le sort* d’oresnavant ne peut m’estre contrere,
Je la dois prevenir*, et lui parler si peu,
Que sans me conêtre elle apreuve mon feu*.
Qu’as-tu fait si long-temps ? que tu me fais attendre ?
1170 As-tu perdu le soin de soulager Sicandre ?

FLAMINIE.

Ne parlez pas si haut, mon frere.

MAINALTE.

[p. 83]
Je sçai tout.
Mais avoir un dessein sans en venir à bout.

FLAMINIE.

Sui moi dedans ma chambre, et quoi qu’on nous soupçonne,
Nous nous entretiendrons* sans crainte de personne.
1175 Mes yeux ont obligé mon esprit à t’aimer,
Le brasier que je sens ne se peut exprimer,
Et malgré Polydas, les destins, et les Parques125,
Je t’en rendrai bien tôt d’assez visibles marques.

ACTE IV. SCENE SEPTIESME. §

[p. 84]

POLYDAS.

Non, non c’est trop soufrir ; si je suis amoureux*
1180 Faut-il que j’en paroisse un peu moins genereux* ?
Attendre tout le soir, ne treuver que des feintes,
Perdre le jugement, estre afligé de craintes,
Quitter son interest pour son contentement,
Se plaire de la sorte à croistre son tourment,
1185 Rendre par des effets son amour si connuë,
Et comme un Ixion126 n’embrasser que la nuë.
O Ciel je n’en puis plus ! je me rends à mon tour,
Il faut estre bien sot* pour faire ainsi l’amour.

ACTE IV. SCENE HUICTIESME. §

[p. 85]
ATALANTE, POLYDAS.

ATALANTE.

Est-ce vous Polydas ?

POLYDAS.

Il n’est plus temps de feindre,
1190 Acordez-moi du moins le plêsir de me plaindre.
Que vous sert de venir ? vos tours sont superflus,
Et c’est trop m’épreuver, ne m’importunez plus.
Je rabats127 maintenant de vos cajoleries,
Ne me troublez jamés dedans mes resveries.
1195 Quel dessein malheureux conduit ici vos pas ?
Pourquoi me cherchés vous ? je ne vous cherche pas.
Dans un si triste êtat, vous m’estes importune,
Troubler mon entretien* c’est troubler ma fortune* ;
Adieu donc laissez-moi dans l’humeur* où je suis,
1200 Tant plus vous demeurés, et tant plus j’ai d’ennuis*.

ATALANTE.

[p. 86]
Quoi me traiter ainsi ! ta fourbe est découverte,
Mais si j’ai des amis tu dois craindre ta perte.
Ne m’opose plus rien afin de me changer128,
Puis que j’ai trop de cœur pour ne me pas vanger.

POLYDAS.

1205 Ah ! c’est mon Atalante ; adorable merveille
Sachez qu’un bruit confus a trompé mon oreille,
Qu’une sœur infidelle a causé ma fureur*,
Et qu’un pront repentir doit suivre mon erreur.

ATALANTE.

Sachez que vôtre gloire* avoit esté trop haute,
1210 Et qu’un pront repentir doit suivre aussi ma faute.

POLYDAS.129

Je n’ai rien que deux mots ; arbitre de mon sort*,
Lors que vous reculez vous avancez ma mort.
Attendés un moment ; c’est en vain que je crie,
L’incrédule qu’elle est veut mal à ma furie ;
1215 Elle n’appreuve plus mes amoureux* desseins,
Tant plus je la veus suivre ; helas ! moins je l’atteins.
O Ciel, Amour, Destins, finissez donc ma vie !
S’il faut que son mépris finisse mon envie. [p. 87]
Sicandre que fais-tu, viens donc me consoler,
1220 Tu la pouras fléchir ; c’est trop long-temps parler.
Il faut tout découvrir, j’en espere de l’aide,
Quand il sçaura mon mal*, je suis seur de remede.
La plainte en cét estat est bien hors de saison,
Au defaut du merite, aions tout par raison.

ACTE IV. SCENE NEUFIESME. §

THARZINTE, et SICANDRE dans une chambre.

THARZINTE.

1225 Isidore mon cœur, que vous paroissez belle !
Et que j’ai bien raison de vous estre fidelle !
Vous este admirable en habit de garçon,
Adonis130 autrefois estoit de la façon.
Pour aimer un objet, dont la grace est extrême,
1230 Vous n’avez maintenant qu’à vous aimer vous-même.
Si les hommes avoient d’aussi puissans apas*,
Les filles desormais ne nous charmeroient pas.

SICANDRE.

[p. 88]
Mais parlons de Mainalte à qui ma Flaminie
Crêra devoir la fin de sa pêne* infinie,
1235 Ils sont à mediter des propos amoureux,    
Chacun cherche son bien, chacun reçoit des vœux,
Ils parlent sans se voir, et sans se reconêtre,
Ils benissent des vœux qui commencent à naître :
Disent également qu’ils seront eternels,
1240 Et font pour cét effet des sermens solemnels.
Mais la nuit retirant quelques-uns de ses voiles,
Et le Ciel faisant voir l’éclat de ses étoiles,
Ils seront étonnés131, et s’ils peuvent parler,
Ce ne sera jamés que pour se quereler.
1245 Mais voici Polydas.

THARZINTE

en se tirant à l’écart.
Inventez quelque ruse,
Ou quelque compliment qui fasse mon excuse.

ACTE IV. SCENE DIXIESME. §

[p. M, 89]
POLYDAS, SICANDRE, FLAMINIE, MAINALTE, THARZINTE.

POLYDAS

entrant dans la chambre.
J’ai pensé sucomber à ces nouveaux maleurs,
Quelqu’un moins genereus* en eut versé des pleurs.
Aimable confident quelque chose qu’on fasse,
1250 Il est bien mal-aisé de me remettre en grace.

SICANDRE.

(il dit ceci bas)
Tout est-il découvert ?

POLYDAS.

Mon esprit ingenu
M’a sans doute causé. Quel est cét inconnu ?

SICANDRE

lui dit ceci bas.
Ne parlez pas si haut ; c’est l’ami d’Atalante,
Et c’est aussi de lui que dépend vôtre attente : [p. 90]
1255 Elle aime ses conseils, il revient de la voir,
Et venoit de sa part m’enseigner mon devoir.
Mais feignez seulement de ne le pas connêtre,
Et sçachez qu’en ceci vôtre esprit doit parêtre.
Il me parloit d’amour, laissez-nous un moment,
1260 Nous en pourons avoir quelque contentement.
(On tire la toile pour cacher la chambre.)

POLYDAS

prend un flambeau sur la table.
Je croi ce que tu veux, adieu je me retire,
Et si tu ne me sers il faut que je soûpire.
J’entens ici du bruit.
(Polydas rencontre sans lumiere sa sœur, que Mainalte baisoit.)
O Ciel qu’ai-je aperceu !
C’est vrêment à propos que je me vois deceu132.
1265 Que songez-vous133 ma sœur.

FLAMINIE

regardant Mainalte se retire.
(Elle dit ceci bas)
Quoi ce n’est pas Sicandre.
Où suis-je ! qu’ai-je fait ! quel sort* m’a pû surprendre !

POLYDAS.

Mais quel homme avez-vous ? Ah c’est pour tant de feu*
Avoir trop d’assurance, et c’est rougir trop peu !

FLAMINIE

lui dit ceci bas.
Il est vrai que j’ai tort d’en faire tant de conte,
1270 Mais c’est de vôtre amour que procede ma honte. [p. 91]
L’homme que vous voiez arive encore ici,
Et c’est pour vôtre bien que j’ai tant de souci.
Il suivoit Atalante, et tachoit de la prendre
Dans le même jardin qu’elle est à vous attendre,
1275 Il y vouloit entrer, et faire son effort
Pour lui montrer sa haine ; et vous causer la mort !
Et moi qui n’us jamés une plus digne envie
Que celle qui me porte à vous sauver la vie,
Je l’ai pris sans le voir, et je l’ai diverti
1280 De vous faire chez nous un si mauvais parti,
Par mon humilité j’ai gagné son courage,
J’ai soufert* des baisers pour apaiser sa rage,
Et s’il eût plus long temps cherché vôtre trêpas :
Peut-estre eussai-je fait ce que je ne dis pas.

POLYDAS.

1285 Entretiens*-le ma sœur ; mais sçais-tu qu’Atalante.

FLAMINIE.

Elle est dans le jardin.

POLYDAS.

Non je n’ai plus d’attente,
Elle en vient de sortir.

FLAMINIE.

[p. 92]
Elle y retourne encor.

POLYDAS

en s’en allant.
C’est assez l’y treuvant, j’y treuve un grand thresor.

FLAMINIE.

Il ne se doute point d’une si pronte ruse,
1290 Mais abusant autrui, moi-même je m’abuse.
Qui vous mene en ce lieu ?

MAINALTE.

Rien que vous et l’amour.
Mais Sicandre, Madame, est cause de ce tour,
(Elle leve la tapisserie, qui fait voir la chambre.)
Vous l’aimez, c’est ma sœur, qu’on apelle Isidore,
Tharzinte est là dedans qui l’entretient* encore.

FLAMINIE.

1295 Allons voir, ce mensonge est plus pront que le mien,
Si je le doi sçavoir, c’est par leur entretien*.
Vous nous avez esté trop long temps inconnue,
Madame montrez-nous vôtre ame toute nue,
Et malgré cette ruse avoüez franchement
1300 Que nous ne differons qu’en habit seulement.

MAINALTE.

[p. 93]
Ma sœur j’en ai trop dit.

FLAMINIE.

Dieu que vous estes rare,
Me prodiguer134 ainsi, ce n’est pas estre avare.

SICANDRE.

Ce Mainalte est mon frere, et sa discretion
Doit meriter le prix de vôtre affection.

MAINALTE.

1305 Madame vôtre estime establira ma gloire*,
Et ce bien doit durer autant que ma mémoire.
Si jamés un Hymen* succedoit à mes vœux,
Je n’attendrois plus rien, je serois trop heureux.

FLAMINIE.

Vous ne pouviez Madame estre mieux ocupée,
1310 Et c’est heureusement que je me voi trompée.
Pour vous, je vous estime, esperant desormais
De treuver avec vous une eternelle paix.

SICANDRE.

Considerez Tharzinte à qui j’offre ma vie,
C’est pour lui que je voi ma liberté ravie. [p. 94]
1315 Il faut que Polydas qui recherche ma sœur,
Et que nous abusons, s’en rende possesseur.
Voila le point qui manque, autrement il faut dire
Que nous n’aurons jamés aucun sujet de rire.

FLAMINIE.

Il suffit, suivez-moi, secondez mes desirs,
1320 Ma ruse va bien tôt assurer vos plesirs.
Duppons-le en son amour135.

MAINALTE.

Mon ame en est contente,
Mais comment le dupper, puis qu’il veut Atalante.

SICANDRE.

Il est assez duppé, croiant quelle a du bien,
Et nous sçavons pourtant qu’elle n’a du tout rien
1325 Il est encor136 duppé par ces legeres feintes,
Dont il vient de tirer tant de sujets de craintes ;
Bref nous le dupperons par cét aimable tour,
Dont nous nous servirons pour croître son amour.

FIN DU QUATRIESME ACTE.

ARGUMENT DU CINQUIESME ACTE. §

[p. 95]

A TALANTE fachée de ce dernier affront qu’elle devoit à l’imprudence de Polydas, promet à Philemon de ne songer plus à cette amour ; et lors qu’elle va querir Isidore, elle aprend la ruse dans laquelle elle commence à jouër le premier personnage. Car Polydas revenant du jardin, où il s’estoit endormi, et protestant de nouveau de n’aimer plus Atalante eut advis de Flaminie que Tharzinte qui avoit des-ja parole d’Isidore, et Mainalte qui avoit receu la foy de Flaminie en secret, se vouloient battre pour sa maitresse. Si bien que prenant son épée entre les mains de Sicandre, et pensant defendre Atalante, il la blessa legerement, pource qu’elle s’estoit advancée. Tharzinte voiant la fourbe bien commencée, pour l’achever feint de vouloir tuer Poly-[96] das avec Mianalte, qui se joint à cette entreprise. Atalante bien instruite demande sa vie qu’elle obtient et fait donner Flaminie à Mainalte, à qui Polydas croioit devoir la vie, Tharzinte qui ne vouloit qu’Isidore feignoit cependant de disputer Atalante, mais s’en estant remis au choix de cette Dame ; elle dit d’abort qu’elle estime Sicandre pour sa fidélité. Polydas se desespere en effet, et Tharzinte en apparence ; mais ce qui remet l’esprit de Polydas, et ce qui l’étonne pourtant, c’est que Sicandre se découvre ; et qu’on lui donne le choix, elle prend Tharzinte, ce qui pensa faire mourir Polydas ; en fin il épouse Atalante, dont il esperoit de grands biens, donne sa sœur, qui estoit riche à Mainalte qui estoit pauvre, voit le mariage d’Isidore et de Tharzinte, et est duppé dans le déguisement de Sicandre, dans les assignations du jardin, dans les feintes de la querelle, et dans la pluspart de ses inventions amoureuses.

ACTE V. §

[N, 97]
ATALANTE, PHILEMON, FLAMINIE, SICANDRE, THARZINTE, MAINALTE, POLYDAS.

SCENE PREMIERE. §

ATALANTE, PHIMEMON.

ATALANTE.

Monsieur j’en ay trop fait ; je ne puis plus attendre,
1330 Polydas nous resiste, on ne peut l’entreprendre,
Sçachez que nos filets sont trop foibles pour lui,
Qu’ils peuvent seulement nous donner de l’ennui*,
Que nous perdons le temps, et que tant de chimeres
En augmentant sa gloire* augmente nos miseres.

PHILEMON.

[p. 98]
1335 J’ay crû qu’il n’estoit pas d’un si facile accés,
Et que vôtre dessein n’auroit point de succés.
Qui pourroit-on dupper dans le siecle où nous sommes ?
Les filles valent moins en esprit que les hommes !
De plus ces Advocats sont tellement rusez,
1340 Que les autres par eux sont toûjours abusez.
Quand vous aurez du bien, vous serez assurée
D’avoir mille plêsirs d’une longue durée,
De recevoir ses vœux, d’ouïr ses complimens,
Et de faire par tout toutes sortes d’Amans*.
1345 Mais quoi ce point nous manque, et ce qui m’est sensible,
C’est que vôtre misere est un peu trop visible,
Et que ces courtisans qui nous faisoient la cour
Vous treuvant sans moiens se treuvent sans amour.
Où vous pouvoit porter vôtre melancolie ?
1350 Et de qui tenez-vous une telle folie ?
Sçachez que vôtre esprit n’est point si delicat
Qu’il puisse par ses tours surprendre un Advocat.
Crere tromper ces gens, dont l’ame n’est feconde
Qu’à treuver des moyens pour tromper tout le monde.
1355 Vôtre dernier procés vous a fait assez voir [p. 99]
Où consiste aujourd’hui leur gloire* et leur sçavoir :
Surprendre c’est leur but, gaigner c’est leur envie,
Pour leur seul interest ils estiment la vie ;
En un mot s’il se peut pour nôtre propre bien,
1360 Ne les recherchez plus, n’entreprenez plus rien.
Vous pouvez témoigner.

ATALANTE.

L’entreprise en est faite,
Ma franchise137 est le bien que mon ame souhaite.
Je me rendois esclave, et je voi clairement
Qu’il vaut mieux estre libre, et n’avoir point d’Amant*.
1365 J’en veux tirer ma sœur.

PHILEMON.

Sans tarder d’avantage
Allez-y prontement, et revenez plus sage.
Rabatés toutes deux de vôtre vanité,
Et vous m’aporterés moins d’incommodité.

ATALANTE.

J’y vais sans differer, et je suis assez pronte
1370 Pour treuver aujourd’hui de quoi couvrir ma honte.

ACTE V. SCENE DEUXIESME. §

[p. 100]
FLAMINIE, SICANDRE, THARZINTE, MAINALTE, ATALANTE.

FLAMINIE.

Confessez pour le moins que c’est bien mediter.

SICANDRE.

La ruse est excellente, il ne peut l’éviter.
En ceci vôtre esprit a témoigné sa force,
Il faudra qu’il se prenne à cette douce amorce,
1375 Ce piege est trop bien fait, sans doute il y doit choir,
Un autre plus rusé s’y pouroit decevoir.

THARZINTE.

Quelque bon-heur parfait que le sort* leur envoie ;
Je resve à tous moments sur l’excés de ma joie. [p. 101]
Je ne regarde point ni leur bien, ni leur mal,
1380 Pourveu que mon plesir soit desormais égal.
Le Ciel me favorise, et j’en ai tant de marques
Que je suis plus heureux que les plus grands Monarques.
Le bon acueil d’un Roy, tous les contentements,
Les perles, les rubis, l’azur, les diamans,
1385 Les grandeurs, la santé, l’honneur et l’or encore,
Me touchent moins l’esprit que vous belle Isidore.
Aussi dans cét état me tiens-je glorieux*,
Je sens que ce bon-heur m’esleve dans les Cieux,
Que ma fortune* est grande, et que ma gloire* est telle,
1390 Que ceux qui jugent bien la jugent immortelle.

MAINALTE.

Ma sœur a fait aussi des efforts pour mon bien,
Je me tiens satisfait, je ne demande rien.
Je n’importune plus les astres de mes plaintes,
J’ai bani mon soupçon, mon cœur n’a plus de craintes,
1395 Mes maux sont étoufez, et mes biens sont trop doux,
Combien que leur grandeur me fasse des jaloux [p. 102]
Une feinte a produit un bon-heur veritable,
A qui jamés pas un n’a semblé comparable.
Et je me puis vanter d’avoir plus de plêsirs,
1400 Qu’on n’en peut souhaiter par les plus grands desirs.

SICANDRE.

Mais quoi le temps nous presse, il faudroit qu’Atalante.
Elle vient à propos, nous la rendrons contente.

MAINALTE.

Ma sœur tout ira bien si Polydas vous plaist,
Maintenant vos amis plaidoient vôtre interest,
1405 Il est presque achevé, je croi qu’une journée
Suffit pour nos desseins, et pour nôtre Hymenée*.
Flaminie est à moi, Tharzinte est à ma sœur,
Montrez à Polydas une même douceur ;
Vous devez l’estimer sçachant qu’il vous adore.

ATALANTE.

1410 Ne m’en parlez jamés, je ne veux qu’Isidore,
Je ne viens en ce lieu qu’afin de l’en tirer.

FLAMINIE.

Nous voulez-vous ainsi contraindre à soûpirer.

SICANDRE.

[p. 103]
Tout ira bien pour vous, ma sœur soiez plus sage,
Et suivez mon conseil sans parler d’avantage.

ATALANTE.

1415 Dequoi me servira de suivre vos âvis,
S’ils ne servoient de rien, quand ils étoient suivis ?

FLAMINIE.

Entrons, ne craignez rien, tout nous sera prospere,
Et sçachez que la sœur vous assure du frere.

ATALANTE.

Sentons encore un coup, et voions si le sort*
1420 Nous doit faire aujourd’huy rencontrer quelque port.

ACTE V. SCENE TROISIESME. §

[p. 104]

POLYDAS

sortant du jardin.
Comment je voi des-ja le départ de l’Aurore,
Et ce nouveau Soleil ne revient point encore ?
Lors que je l’attendois le sommeil m’a surpris
Et sa lente froideur a troublé mes esprits.
1425 Sans cét empeschement peut-estre qu’Atalante
Eut bien entretenu nôtre commune attente.
Ah ! s’il étoit certain d’un legitime effort
Apres un tel sommeil, je chercherois la mort,
Et quand même le Ciel devroit m’estre contrere
1430 La sœur me sembleroit plus douce que le frere.
Mais c’est parler en vain, l’ingratte ne vient pas,
Je croi qu’elle a dessein d’avancer mon trépas.
Je me treuve abusé, je sens que la perfide
Veut prendre en mon endroit le titre d’homicide !
1435 J’ai beau te rechercher, au lieu de me guerir, [O, 105]
Je m’obstine moy-même à me faire mourir.
Mais il faut l’éviter, car ma flame* alumée
Malgré tout son pouvoir se reduit en fumée,
Mon cœur cesse de craindre en cessant de l’aimer,
1440 Et ses yeux n’ont plus rien qui puisse me charmer.

ACTE V. SCENE QUATRIÈME. §

FLAMINIE, POLYDAS.

FLAMINIE.

Et bien que songez-vous ?

POLYDAS.

Que l’amour m’est contrêre,
Mais qu’aussi la raison m’en va bien tôt distrêre :
S’en est fait ; Atalante a des attraits* puissans,
Mais juge ma raison plus forte que mes sens.
1445 Le sort* en est jetté138, la force de ses charmes
Ne me reduira plus à lui rendre les armes. [p. 106]
Elle sçait aquerir, et non pas conserver,
Et moi je me sçai perdre, et je sçai me sauver.
Tu pouras témoigner que j’ai fait mon possible,
1450 Et que j’ai tout cherché pour la rendre sensible,
Je l’ai veu preparée à soulager mes maux,
Mais je croi que depuis elle a craint mes rivaux,
Et que sa passion que je treuvois si forte,
Aussi bien que la mienne est de-ja toute morte.

FLAMINIE.

1455 Atalante est chez nous, croiez-moi seulement
Que si vous la voiez vous serez son Amant*.
Il est bien malaisé de parêtre infidelle,
Alors qu’on l’entretient*, ou qu’on la voit fidelle,
Mais combien de malheurs vont causer ses apas*,
1460 Pour elle deux amis recherchent le trépas,
Vous les avez pû voir.

POLYDAS.

O Ciel que tu m’estonnes !
Fais- moy donc par le nom connêtre ces personnes.

ACTE V. SCENE CINQUIESME ET DERNIERE. §

[p. 107]
MAINALTE, THARZINTE, FLAMINIE, ATALANTE, POLYDAS, SICANDRE.

MAINALTE

voiant Polydas dit ceci
à Tharzinte.
L’Amour à mes dépens te veut faire esperer
Un bien qu’autre que moi ne pouvoit desirer.
1465 Dy ce que tu voudras, je découvre tes ruses,
En vain pour m’adoucir tu cherches des excuses.

THARZINTE.

Que tu me connois mal ! sçache que ma valeur
A toûjours esté ferme au milieu du maleur.
Le bruit qu’on t’a donné n’est rien qu’une fumée,
1470 Car je voi que l’effet cede à la renommée.

FLAMINIE.

[p. 108]
Mon frere empeschons les.

POLYDAS.

Vous ne vous battrez pas,
Pourquoi de la façon vous causer le trépas ?

ATALANTE

en arrivant.
O Ciel qui vit jamés une telle entreprise !
Quoi suis-je pour celui que le sort* favorise ?
1475 J’aurois en cét état le destin rigoureux.
Non, non, soiez vaillans, ou soiez amoureux*,
Si vous le desirez terminez vôtre vie,
Et malgré vôtre mort conservez vôtre envie,
Vous cherchez seulement à me desobliger,
1480 Mon interest se doit autrement ménager.

SICANDRE

à Polydas lui presentant une épée.
Voici pour les tromper, soiez de la querelle,
Et s’il vous faut mourir, mourez pour cette belle.

POLYDAS.

Je la voulois hair, mais lors que je la voi
Je pers ma liberté, je ne suis plus à moi.

SICANDRE.

[p. 109]
1485 Donnez donc seulement.

POLYDAS.

Mais si je leur resiste
Le succés pour moi seul en doit estre plus triste.

SICANDRE.

Vous craignez le danger.

POLYDAS.

Et ne le crains-tu pas ?

SICANDRE.

Pour un si beau sujet j’aimerois le trépas.

THARZINTE

à Mainalte.
Ton cœur a donc manqué139 ?

MAINALTE.

Son humeur est trop pronte,
1490 Mais il faut qu’il rougisse, et de sang et de honte.

POLYDAS

tirant son épée en touche Atalante, qui se met devant lui pour continuer la feinte.
Sicandre qu’ai-je fait ?

ATALANTE

[p. 110]
feint d’estre blessée.
O Ciel quelle rigueur !

THARZINTE.

Mourons, car Polydas a blessé nôtre cœur.

MAINALTE.

Faisons plutôt qu’il meure, il nous en reste encore
Pour punir ce cruel.

FLAMINIE

dit ceci bas.
Tout va bien Isidore.

ATALANTE

voiant Polydas poursuivi.
1495 Vous l’aprochez en vain, puis que je vous retiens,
C’est avancer mes jour que d’avancer les siens.
En cessant de soufrir, je cesse aussi ma plainte,
Je n’ai point eu de mal que celui de la crainte,
Je demande sa vie.

MAINALTE.

Il faut lui pardonner,
1500 Il nous plaist de servir s’il vous plaist d’ordonner.

ATALANTE.

Je ne crerai jamés cette faveur petite.

MAINALTE.

[p. 111]
Madame esperez tout, aiant tant de merite.

POLYDAS.

Quels doux remercimens peut-on joindre à ce bien,
Hé prenez tout de nous, et ne demandez rien.

ATALANTE.

1505 Puis que ce Cavalier vous a donné la vie,
Qui possible sans moi vous eut esté ravie,
Pourveu que Flaminie apreuve son amour,
Je croi qu’il doit benir Polydas, et le jour.

FLAMINIE.

J’aime ce qui vous plaist, que mon frere commande,
1510 Lors il pourra sans pene obtenir sa demande.

POLYDAS.

Pour moi j’en suis ravi, je me tiens trop heureux
Que ma sœur ait reduit un cœur si genereux*.

MAINALTE.

Ce plesir est trop doux, mon ame est trop contente,
Je ne pouvois mieux choir en perdant Atalante.

POLYDAS

[p. 112]
à Atalante.
1515 Il est vrai, tout va bien, mais consentez aussi
Que je treuve comme eux la fin de mon souci.
Quel dessein feriez-vous de me voir miserable ?
Faites que le destin me soit plus favorable.
Vous me pouvez donner, ou la vie, ou la mort,
1520 Vous pouvez m’irriter, ou m’adoucir le sort*.
Un seul mot suffira.

THARZINTE.

C’est beaucoup entreprendre,
Ah ! si vous m’attaquez, je me sçaurai defendre
Atalante me reste, et pour la posseder
Il faut que le trépas me force à la ceder.
1525 Depuis que j’en ai fait l’objet* de mon envie,
On ne peut me l’oster qu’on ne m’oste la vie.
Tel qui cherche son lit doit treuver un tombeau,
Un autre doit bruler aupres de ce flambeau*,
Il faut m’aneantir pour éteindre ma flame*,
1530 Crêre me l’arracher, c’est arracher mon ame ;
Je ne m’y puis resoudre, et quand même le Ciel
Verseroit dessus moi tout ce qu’il a de fiel*,
Que l’air, les elemens, les enfers et la terre
Me livreroient par tout une eternelle guerre,
1535 Que tout seroit contrêre à mes justes desirs.
Que je perdois bien tôt l’usage des plesirs, [P, 113]
Que la Parque en un mot feroit voir sa colere,
Je ne perdrai jamés le souci de vous plêre,
Et ceux qui sont jaloux de mon contentement,
1540 En cherchant mon malheur cherchent leur monument*.

MAINALTE.

Chacun verra bien tôt ses attentes frivoles,
Pourveu que les effets répondent aux paroles.
Mais vôtre humeur* est douce, et si vous faites bien
Vous quitterez sans doute un semblable entretien*.
1545 « Ceux qui parlent beaucoup n’en font pas davantage,
« Les seules actions font preuve du courage.
Ce que vous avez dit ne nous etonne* pas,
Et je sçai que la mort est pour vous sans apas*.
« Un homme genereux* n’use point de harangue,
1550 « Il agit de ses mains, et non pas de sa langue ;
Et si vous nous voulez montrer vôtre vigueur,
Ce moien fera voir que vous avez du cœur140.
Je suis pour Polydas, et je n’ai point de vie
Qui dans l’extremité ne lui soit asservie.
1555 Si je fais son bon-heur je croi fere le mien,
Disputant cét objet* je dispute son bien, [p. 114]
Et lors que cette loi vous semblera trop dure,
Il vous sera permis de vanger cette injure.
Mais quoi que Polydas ait eu des-ja ma voix,
1560 Concluons qu’Atalante en doit faire le choix.

THARZINTE.

Pour moi je m’y resous.

POLYDAS.

Je m’y resous de même,
Puis qu’elle connoist bien que ma flame* est extréme.

SICANDRE.

Jurez à tout le moins que vous serez d’acord,
Quand bien elle voudroit prononcer vôtre mort.

MAINALTE.

1565 Il n’en faut plus douter, qu’elle agisse pour elle,
Car son choix seulement finira la querelle.

ATALANTE.

Puis qu’on veut m’imposer cette necessité.
Sicandre me ravit pour sa fidelité.

POLYDAS.

[p. 115]
Sicandre vous ravit ! que mon ame est confuse !
1570 Juste Ciel est-ce ainsi qu’il faut qu’on me refuse !

THARZINTE.

Seroit-il veritable ? où me voi-je reduit,
Et que puis-je esperer ! mon propre bien me fuit.

POLYDAS.

Mais quel degré si haut eut contenu ma gloire*,
Si par quelque bon-heur j’en eusse eu la victoire.
1575 Je n’y doi plus songer, j’aurois trop peu de cœur141
Pour imposer des loix à ce puissant vainqueur.

SICANDRE.

Mon habit vous abuse, et dessous cette feinte
J’aflige également Polydas et Tharzinte,
Ma sœur choisissez mieux, je ne vous puis servir
1580 Dans le contentement, dont on nous croit ravir.

POLYDAS.

Sicandre est une fille ! où portois-je la veuë !
Hé quoi m’a-t’elle esté si long-temps inconnuë ?
Que je procede mal en matieres de droit !
Mon œil malaisément créra-t’il ce qu’il voit.
1585 Mais nous sommes toûjours dans la même querelle,
Qui comme nôtre amour me semble estre immortelle. [p. 116]

ATALANTE.

Que Sicandre se donne un moment de loisir,
Qu’il parle, mon esprit apreuve son desir.

POLYDAS.

C’est agir comme il faut, je suis seur que Sicandre
1590 A trop d’amour pour moi pour ne me pas defendre.

SICANDRE.

Tharzinte me plaist fort ; j’estime sa vertu*.

MAINALTE

à Flaminie.
C’est bien mal ordonner, mon cœur142 qu’en juges-tu.

POLYDAS.

Mépriser Polydas, m’inventer ce suplice,
Quel jugement de Clerc ! quel arrest d’injustice
1595 Tharzinte vous plaist donc ? songez-vous à ma foi* ?

SICANDRE.

Oüi, vous plaidez pour vous, et je plaide pour moi,
J’estime son amour, où j’ai mis mon attente, [p. 117]
Et lors que je le prens, je vous laisse Atalante.

POLYDAS.

Combien m’avez-vous fait meriter de bon-heur !
1600 O Ciel que je vous dois, vous devant cét honneur !
Doux objet* de mon cœur que ce plêsir me touche !
Pour vous le figurer il faut plus d’une bouche,
Mais je vous treuve triste, et mon contentement
A vous voir tant resver cause vôtre tourment.

THARZINTE.

1605 Madame il faut banir cette melancolie,
(Il dit ce vers bas.)
Ne vouloir pas son bien, c’est un trait de folie.

ATALANTE.

C’est assez, je le veux, mon esprit combatu
D’une legere peur, a repris sa vertu*.
Nos parens avertis, il faut bien que je croie
1610 Que rien ne peut troubler une semblable joie.

POLYDAS.

N’aprehendons plus rien, nous serons trop contents,
Et nos plêsirs iront par delà tous les temps.

SICANDRE.

[p. 118]
Tout nous a reüssi, nôtre fortune* est belle,
Flaminie à propos a fait cette querelle,
1615 Polydas la cajolle, elle est selon son vœu,
Mais faut-il s’étonner de lui voir tant de feu* ?
Atalante est aimable, outre que la justice,
Afin de s’échaufer ne vit rien que d’épice.
Ces jeunes Advocats sont trompez bien souvant
1620 Ce n’est que leur orgueil qui les va decevant* :
Nous voions que par tout leur humeur se découvre,
Font des civilitez qu’on ne fait point au Louvre
Ils ont pour contenter cent mouvemens divers,
Ils s’ajustent le poil, ils font parfois des vers,
1625 Ils courent au miroir pour consulter leur grace,
Pour voir comment leur feu* paroist dans cette glace,
Pour pratiquer un air* qui les fasse estimer,
Et par où leur maintien se puisse faire aimer.
Pour gaigner nos esprits ils souhaitent des charmes,
1630 Ils jettent des soupirs, ils répandent des larmes,
Pour montrer leur sçavoir expliquent des rebus,
Pour paretre sçavants ils nous parlent Phoebus143,
Moralisent par fois, nous repetent des fables,
Et leur donnent un sens qui les rend veritables. [p. 119]
1635 Ils font des complimens qui n’ont point de pareils,
Nos yeux à leur âvis sont autant de Soleils :
Nôtre froideur les brule, et ne sçauroient comprendre
Comment ils sont vivants étant réduits en cendre,
Ils parlent, quoi que morts, et si nous les traitons
1640 Avec quelque douceur, nous les rescuscitons :
Ils sont dedans le Ciel, quoi qu’ils soient sur la terre ;
Mais un de nos regards est pire qu’un tonnerre,
On croist par un mépris les maux qu’ils ont soufers,
Nous les faisons tomber du Ciel dans les enfers,
1645 Veulent malgré leur sort* benir leurs entreprises ;
Et nous content toujours de semblables sottises.
Au reste on ne voit point de petit Advocat
Qui ne tranche du grand, de l’esprit delicat,
Il méprisera tout pour se mettre en estime,
1650 La vertu* chez autrui lui tiendra lieu de crime,
Les autrez n’auront rien, il sera sans defaut,
Il met bas un chacun pour s’elever plus haut ;
Je croi pour les soufrir qu’il faut estre un peu beste,
Et pour les caresser estre fort deshonneste : [p. 120]
1655 Je me treuve aujourd’hui du parti de ma sœur,
Combien que Polydas en soit le possesseur.
Mais suivons ces Amans*, dont les communes ames
Respirent maintenant de mutuelles flâmes*,
Mon esprit ne s’est pas vainement ocuppé,
1660 Car on ne vit jamais ADVOCAT mieux DUPPÉ.

FIN DE L’ADVOCAT
DUPPÉ.

Lexique §

(F.) : Furetière, 1690 – (R.) : Richelet, 1680.

Air
Manière d’agir, de parler, de vivre (F.)
V. 1627.
Amant
« Celui qui aime d’une passion violente et amoureuse » (F.)
V. 15, 28, 56, 91, 116, 125, 128, 220273293460540571, 772781824, 1048, 1123, 1344, 1364, 1456, 1657.
Amoureux
« Qui a de la passion pour quelque chose, ou quelque personne » (F.)
V. 164, 556, 584, 616, 786844, 1108, 1179, 1215, 1476.
Apas
« Charmes puissans, grans atrais, beauté, agrément, plaisir / ce qu’on emploie pour gagner, ou atraper quelqu’un » (R.)
V. 258, 564791812, 1084, 1231, 1459, 1548.
Attrait
« Se dit poëtiquement de la beauté » (F.)
V. 227, 1443.
Avantage
Grace, faveur, bienfait (R.)
V. 417, 533.
Qualité de la nature ou de la fortune (R.)
V. 437.
Avanture
Chose arrivée à une personne / amour (R.)
V. 717, 833.
Brutalité
Manque de civilité dans les manières, les paroles allant jusqu’à la grossièreté
V. 424.
Captif
« Se dit figurément et poëtiquement, des prisonniers d’amour » (F.)
V. 132, 294.
Chaine
Lien amoureux (R.)
V. 294.
Civilité
Manière honneste, douce et polie d’agir, de converser ensemble (F.)
V. 367.
Comédie
« Toute sorte de poëme dramatique, soit comédie, pastorale, ou tragédie » (R.)
V. 22.
Decevoir
Tromper (F.)
V. 735, 1620.
Ennemi
« Se dit quelque fois en galanterie par antiphrase. Un amant appelle sa maitresse, sa douce ennemie » (F.)
V. 228, 634.
Ennui
Tristesse, déplaisir, chagrin
V. 96, 140, 6081200, 1332.
Entendre
« Se dit figurément en choses spirituelles, et signifie, comprendre, penetrer dans le sens de celuy qui parle, ou qui escrit » (F.)
V. 76, 481792794809, 893.
Entretenir
« Discourir avec une ou plusieurs personnes » (F.)
V. 137651688776, 1157, 1174, 1285, 1294, 1458
Entretien, V. 123151462, 688808, 826, 1198, 1296, 1544.
Étonner
Épouvanter, surprendre d’une certaine manière qui touche (R.)
V. 108, 1547.
Étude
Application d’esprit (R.)
V. 319.
Expérience
Savoir, connaissance
V. 317, 425.
Extrémité
« État le plus fâcheux où l’on puisse être réduit par quelque coup de fortune, ou autre accident. » (R.)
V. 52, 99, 156585807, 1020.
Fâcheux
« Qui donne du déplaisir » (R.)
V. 415.
Faiblesse
Évanouissement, défaillance, syncope (R.)
V. 397.
Fameux
« Ce mot se prend en bonne et en mauvaise part, et il signifie qui est connu, qui est renommé » (R.)
V. 312431.
Feu
« Se dit figurément en choses spirituelles et morales de la vivacité de l’esprit, de l’ardeur des passions » (F.) , désigne ici l’amour
Fiel
Haine, ressentiment, aigreur, colère
V. 300, 1532.
Flambeau
Amour, « ce mot au figuré n’est guere usité que dans le style sublime, et dans la belle poésie » (R.)
V. 992, 1528.
Flamme
« Se dit communément de l’amour prophane » (F.)
Foi
Assurance, témoignage / fidélité (R.)
V. 135, 260, 480580, 831900, 963, 1112, 1595.
Fortune
« Le crédit, les biens qu’on a acquis par son mérite, ou par hasard » (F.)
V. 2, 98, 322, 362, 378, 406, 485, 516, 562837, 1198, 1613.
« Se dit de ce qui advient inopinément et contre l’opinion de la cause efficiente » (F.)
V. 209378501606741, 1049, 1389.
Funeste
« Qui cause la mort ou qui menace, ou quelque autre accident fâcheux, quelque perte considérable » . (F.)
V. 5, 449, 597.
Fureur
« Se dit (…) de toutes les passions qui nous font agir avec de grands emportements » (F.)
V. 1207.
Galant
« Amant qui se donne tout entier au service d’une maîtresse » (F.)
V. 159.
Généreux
Courageux
Gloire/Glorieux
« Orgueil » (R.)
V. 54, 78, 315493753793942957, 1093, 1142, 1209, 1305, 1334, 1356, 1389, 1573.
« Honneur acquis par de belles actions » (R.)
V. 397890.
Hazard / Hasard
Péril, risque
V. 295, 387413987, 988.
Heur
« Bonheur, mais ce mot est bas et peu usité / se prononce sans faire sentir son h » (R.)
V. 794, 1127.
Hommage
Respect, honneur (R.)
V. 725.
Honneste
« Qui a de l’honnêteté, de la civilité et de l’honneur »
V. 472.
Hospital
« Lieu pieux et charitable où on reçoit les pauvres pour les soulager en leurs necessitez » (F.)
V. 168.
Humeur
« L’humeur est une des qualités du tempérament » (R.) , elle correspond à une certaine disposition d’esprit, de fantaisie et de naturel
V. 56, 79, 89121, 124, 138, 157, 473565695, 1133, 1198, 1543.
Hymen, Hyménée
Mariage (F.)
V. 682, 1307, 1406.
Inquiétude
Chagrin, tristesse, soin, souci (R.)
V. 850.
Mal
« Déplaisir, dommage, peine » (R.)
V. 49, 154, 196, 334, 200, 240, 263, 297547558715, 720782924, 1048, 1100, 1222.
Mine
« Visage bon, ou mauvais qu’on fait paroître aux gens selon qu’ils nous plaisent, ou selon qu’on se porte bien ou mal » (R.)
V. 29, 307, 694.
Misérable
Pauvre (R.)
V. 433.
« Qui n’a nul mérite, coquin, pour qui on n’a point de consideration. » (R.)
V. 1517.
Monument
Signifie le tombeau (F.)
V. 1540
Objet
« Se dit poëtiquement des belles personnes qui donnent de l’amour » (F.)
V. 591774922, 1023, 1525, 1556, 1601.
Peine
Inquiétude, ennui, chagrin, tourment
V. 181, 293, 342, 398, 402, 878, 1017, 1234.
Difficultés
V. 443669.
Prevenir
Devancer
V. 799, 1167.
Repos
Assurance
V. 148.
Paix, tranquillité, douceur (R.)
V. 54, 352568700, 1076.
Salaire
« Prix, ou récompense du travail, des services qu’on a rendus, des bonnes actions qu’on a faites » . (F.)
V. 13, 342.
Serviteur
« Garçon qui recherche une fille en mariage » (F.)
V. 814
Soin
« Soucis, inquiétudes qui émeuvent, qui troublent l’ame » (F.)
V. 1116.
Sort
« Se dit poëtiquement de la vie et de la fortune des hommes. » (F.)
V. 3, 1172074345077878851035, 1071, 1166, 1211, 1266, 1377, 1419, 1445, 1474, 1520, 1645.
Destin (F.)
V. 235.
Sot
« Niais, dépourveu d’esprit » (F.)
V. 64, 418, 427, 1188.
Sottise
« Signifie quelquefois faute » (F.)
V. 61, 101, 341.
Soufrir
Endurer, supporter (R.)
V. 562817, 1067, 1126, 1282.
Vertu
« Force tant du corps que de l’âme » (F.)

Bibliographie §

Textes et documents d’époque §

xviie siècle §

Chevreau, Urbain, L’Advocat duppé, Paris, Toussainct Quinet, 1637.
Chevreau, Urbain, Œuvres Mêlées, La Haye, 1697.
Chevreau, Urbain, Coriolan, Paris, Augustin Courbé, 1638.
Chevreau, Urbain, Les Véritables frères rivaux, Paris, Augustin Courbé, 1641.
Chevreau, Urbain, Les Deux amis, Paris, Augustin Courbé, 1638.
Chevreau, Urbain, La Suitte et le mariage du Cid, Paris, Toussainct Quinet, 1638.

Post xviie siècle §

Ancillon, Charles, Mémoires concernant les vies et les ouvrages de plusieurs modernes célèbres dans la République des Lettres, Amsterdam, 1709.
Niceron, Jean-Pierre, Mémoires pour servir à l’Histoire des Hommes Illustres dans la République des Lettres avec un catalogue raisonné de leurs Ouvrages, Tome IX, 1730.
Parfaict, François et Claude (frères) , Histoire du théâtre françois depuis ses origines jusqu’à présent, Paris, Le Mercier et Saillant, 1745-1749.

Ouvrages de référence (dictionnaires, grammaire…) §

Furetière, Antoine, Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, A. et R. Leers, 1690.
Fournier, Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 2002.
Haase, A., Syntaxe française du xviie siècle, Paris, Delgrave, 1975.
Richelet, César-Pierre, Dictionnaire français, Genève, 1680.

Ouvrages généraux §

Adam, Antoine, L’Âge classique I, 1624-1660, Paris, B. Arthaud, 1968.
Bertrand, Dominique, Dire le rire à l’âge classique, PUP, 1995.
Conesa, Gabriel, La Comédie de l’âge classique, 1630-1715, Le Seuil, 1995.
Corvin, Michel, Lire la comédie, Paris, Dunod, 1994.
Forestier, Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre (1550-1680) : le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
Forestier, Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Armand Colin, 2008.
Lancaster, Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Part II, The Period of Corneille, 1635-1651, Paris, Les Belles Lettres, 1929-1932.
Lazard, Madeleine, La Comédie humaniste au xvie siècle et ses personnages, Paris, PUF, 1978.
Lazard, Madeleine, Le Théâtre en France au xvie siècle, Paris, PUF, 1980.
Mahelot, Le Mémoire de Mahelot, Paris, Honoré Champion, 2005 (édition critique établie et commentée par Pierre Pasquier) .
Riffaud, Alain, Répertoire du théâtre français imprimé entre 1630 et 1660, Genève, DROZ, 2009.
Scherer, Colette, Comédie et société sous Louis xiii, Paris, Nizet, 1989.
Scherer, Jacques, La Dramaturgie classique en France, Nizet, 1950.

Travaux sur Urbain Chevreau §

Boissière, Gustave, Urbain Chevreau (1613-1701) , sa vie – ses œuvres : étude bibliographique et critique accompagnée de l’analyse et de nombreux extraits des différents ouvrages de l’auteur, Niort, G. Clouzot, 1909.
Moncond'huy, Dominique, « Urbain Chevreau, une plume sans histoire » , Actualités Poitou-Charentes, nº 77, juillet 2007.
Rousseau, Henri, « Urbain Chevreau, loudunais » , dans Bulletin de la société des Antiquaires de l’Ouest et des Musées de Poitiers, Poitiers, 1952, 4e série, tome II.
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