L’ÉCOLE DES COCUS
ou LA PRÉCAUTION INUTILE
COMÉDIE

M. DC. LXI. AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PRIVILÈGE DU ROI. §

LOUIS, Par grâce et privilège du Roide France et de Navarre, à nos amés et féaux conseiller, les gens tenant nos cours de parlement, maître de requêtes ordinaires de notre hôtel, baillifs, sénéchaux, prévôts, leurs lieutenants, et à tous autres nos officiers qu’il appartiendra, SALUT. Notre cher et bien aimé le sieur DORIMOND, nous a fait remontrer qu’il désirerait faire imprimer une comédie intitulée l’Ecole des cocus, ou la précaution inutile, s’il nous plaisait lui accorder nos Lettres sur ce nécessaires, À CES CAUSES, après avoir u l’approbation du sieur Ballesdans ci-attachée sous le contre-scel de notre Chancellerie : Nous avons permis et permettons par ces présentes à l’exposant, d’imprimer ou faire imprimer, vendre et débiter en tous lieu de notre obéissance ladite comédie, en tels caractères et autant de fois qu’il voudra, conjointement ou séparément, durant le temps et espace de sept ans entiers et accomplis, à compter du jour que ladite comédie sera achevée d’imprimer pour la première fois ; et faisons très expresses défenses à toutes personnes de quelque qualité et conditions que ce soit, de les imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter en aucun lieu de note obéissance, sous prétexte d’augmentation, corrections, changements de titres, fausses marques ou autrement, en quelque sorte et manière que ce soit, sans le consentement de l’exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de quinze cent livres d’amende payables par chacun des contrevenants, et applicable le tiers à nous, le tiers à l’hôpital, et l’autre à l’exposant, et confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages et intérêts, à condition qu’il sera mis deux exemplaires de ladite comédie dans notre libraire publique, et une dns celle de notre cher et féal le sieur Séguier, Chevalier, chancelier garde des sceaux, à peine de nullité des présentes ; desquelles nous voulons que vus fassiez jouir pleinement et paisiblement l’exposant, ou ceux qui auront droit de lui, empêchant qu’il ne leur soit donné aucun trouble ni empêchement. VOULONS aussi en mettant au commencement ou à la fin de ladite comédie un extrait des présentes, elles soient tenus pour dûment signifiées, et foi soit ajoutée, et aux copies collationnées par un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires, comme à l’original : Mandons au premier notre huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l’exécution d’icelles tous exploits nécessaires sans demander aucune permission, nonobstant clameur du haro, charte normande, prise à partie et autres lettres à ce contraires. Car tel est notre plaisir. DONNÉ à Paris le 12 avril 1661, et de notre règne le 18. Signé par le Roi en son Conseil, DE FAYES.

Et le sieur Dorimond a cédé et transporté son privilège à Jean Ribou et Gabriel Quinet marchands libraires à Paris, pou en jouir suivant l’accord fait entre eux

Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arrest de la Cour.

Signé JOSSE, Syndic.

Les Exemplaires ont été fournis.

Achevé d’imprimer pour la première fois, le 6. août 1661.
À PARIS, Chez Jean RIBOU, sur le Quais des Augustins, à l’Image Saint-Louis.
À MONSEIGNEUR DE SANTIGNY

Monsieur, §

Je vous adresse la Précaution inutile, vous en appuierez la vérité, vous en ferez valoir les leçons, et ferez connaître à tout le monde qu’elle est encore plus inutile qu’on en les saurais croire. De quelque précaution dont on puisse user avec vous : il est malaisé de se défendre de vous aimer, les hommes d’esprit vous donnent une amitié solide et les belles Dames une amour parfaite ; c’est pourquoi, MONSIEUR, je me suis figuré que la Précaution inutile ne sera point mal en vos mains, et que même elle devait être :

Pour bien dire au maris des champs et de la ville
Qu’ils trouveraient toujours chez vous,
S’ils allaient devenir jaloux,
La précaution inutile.

Je pourrais ici parler de toutes vos perfections mais je sais que vous avez trop d’esprit et trop de modestie pour souffrir la louange ; l’état que vous a donné la naissance vous a fait part de tout ce qu’elle a de rare, et n’a mis dans votre âme que de beaux sentiments ; et la France dont vous avez pris le bel air, a si bien achevé l’ouvrage, qu’il est impossible de rien trouver en vous qui ne sont fort.

Vous êtes séparé du commun des humains,
Dans l’amour des vertus vous n’êtes que constant
Vous avez de la douceur et le bel air de France,
Et la force d’esprit des anciens Romains.

Mais, MONSIEUR, admirez je vous prie, comme la Précaution inutile est chose inutile avec vous, quelque connaissance que j’en aie, me voilà pris ; je m’étais défendu de vous louer, et cependant vos perfections, malgré ma Précaution, m’oblige à vous louer lorsque je n’ai que le dessein de vous prier d’accepter ma comédie, comme une marque de l’estime que j’ai pour vous. Il ne se faut donc précautionner d’aucune chose que de la manière de vous bien dire, que j’ai dessein d’être toute ma vie,

MONSIEUR,

Votre très humble et très obéissant serviteur.

D.R.

ACTEURS §

  • LE CAPITAN.
  • LE DOCTEUR.
  • LUCINDE, Amante du Capitan.
  • PHILIS, Amante du Capitan.
  • CLORIS, Femme de Capitan.
  • LÉANDRE, Amant de Cloris
La scène est à Boulogne.

SCÈNE PREMIÉRE §

LE CAPITAN, seul.

Ce siècle est si fertile en animaux connus,
1
On voit tant de coquettes, on voit tant de cocus,
Qu’il faut qu’autant hymen je me précautionne,
Pour jouer à jeu sûr avec une mignonne.
5 Je ne veux point enfin couver les oeufs d’autrui,
Quelque fol se fierait aux femmes d’aujourd’hui,
Quand un pauvre mari, s’arrête à leurs caresses
Elles lui font passer pour vertu leurs souplesses,
En leur tâtant le col, les chatouillant un peu,
10 Comme Jason faisait, les taureaux jette[nt] feu ;
Elle le rendent doux, remplis de complaisance,
Tandis que l’os frontal fleurit en abondance,
Tandis que l’on cajole, et qu’on dit le bon mot,
Et que le mari passe à peu près pour un sot,
15 On croit avoir un fils fait durant le nuit brune ;
Que quelqu’autre aura fait au beau clair de lune.
Je veux pour n’être point en danger de cela,
Ma précautionner ; mais voyons qui va là.

SCÈNE II. LE DOCTEUR vient et le Capitan continue. §

LE CAPITAN.

Docteur vous me voyez dans une grave peine,
20 Je veux me marier, et mon âme incertaine,
Craint fort la cocuage.

LE DOCTEUR.

Et bien cerveau léger,
Ne vas pas sur la mer si tu crains le danger.

LE CAPITAN.

Ainsi vous voyez bien...

LE DOCTEUR.

Oui, tu ferais naufrage,
Si tu cinglais dessus la mer du mariage.

LE CAPITAN.

25 C’est pourquoi je m’en vais faire en homme prudent,
Afin de prévenir ce fâcheux accident.

LE DOCTEUR.

Accident est ce qui peut être ou n’être pas en son sujet, sans aucunement le détruire ni corrompre, ni par sa présence, ni par son absence, il se pourrait bien dire en français, advenant ; car c’est ce qui advient aux substances sans être de leur essence, et est de deux sortes, l’un séparable de son sujet, comme la crainte, le froid et le chaud d’un corps, la blancheur d’une muraille ; l’autre séparable, comme la blancheur du cygne et de la neige, la noirceur d’un corbeau ou d’un éthiopien, la cicatrice d’une plaie fermée. Il y a d’une autre sorte d’accidents, comme qui vous donnerait du bout du gros orteil dans l’orifice du ponant et vous fracasserait l’or sacron, une décharge sur les omoplates, une autre sur les clavicules, une apostrophe sur la moitié de la face, ce sont sortes d’accidents.

LE CAPITAN.

Enfin je suis ravi, Docteur, de l’abondance
De votre bel esprit et de votre science.

LE DOCTEUR.

2

La science est, ou universelle, ou singulière ; l’une est appelée actuelle, l’autre habituelle, l’actuelle est celle qui est acquise par une seule démonstration habituelle ; est celle qui est composée d’une grand nombre de sciences actuelles, tendantes à même sujet ; ainsi qu’une habituelle résulte de plusieurs et fréquentes actions ? La science étant une certaine et infaillible connaissance, elle ne peut être singulières ; lesquelles coulant et roulant toujours par une vicissitude incertaine et immuable, et en leur être et en leurs accidents, ne peuvent fonder aucune science assurée, pour l’entière et parfaite intelligence, il faut savoir que la science est la connaissance de quelque chose par sa cause, non par les causes, d’autant qu’il y peut échoir plusieurs causes d’un même effet, comme l’efficiente, la matière, la forme, et la fin. Il y a la science naturelle, par laquelle il est aisé de voir et de connaître, que je suis un homme, et que vous êtes un âne, il y a la négromancie, par laquelle je devine que vous serez du naturelle des chevreaux, que les cornes vous croîtrons de bonne heure.

LE CAPITAN.

Quand je serai mari, pour amortir sa flamme,
30 Qui se hasardera de cajoler ma femme ;
Depuis Hector, Achille, et le grand Annibal,
Depuis Jason, Ajax, a-t-on rien vu d’égal ?
Depuis César, Hercule, Alexandre et Pompée,
A-t-on rien vu que moi d’égal à leurs épées ;
35 Mais donnez donc quelque ordre à vos raisonnements,
Pour moi, je n’entends rien à tous vos documents,
Aux coquets trop fringants je donne des entraves,
Je suis un duelliste, un avaleur de braves.

LE DOCTEUR.

Or d’autant que pour bien distinguer les choses, t les bine rapporter chacune à sa catégorie et prédicamMent, il importe de connaître si leurs noms sont anonymes, synonymes ou paronymes, suivant la méthode d’Aristote, même avant d’entrer aux catégories, nous interpréterons ces trois mots là, et jetterons quelque règle fondamentale, concernant l’intelligence des catégories de synonymes, les uns sont homonymants, les autre ssont homonymés, l’homonyme, homonymant, les autres homoniés, l’homonyme, homoninant est le mot ou le mot commun, égalemet à plusieurs choses, comme chien, ca il convient, non seulement à un animal terrestre et domestique, mais aussi à un poisson et à un astre, les synonymes synonymants, sont les mêmes choses signifiées par cet[te)] homonymie, homoninant, par exemple, souhaiter, convoiter, désirer, vouloir, sont synonymes synonymés, enfin homonymes homonymés, homoninants, synonymes, synonymés, synonymants, paronymes, paronymés, paronymants, veulent dire faire entendre, faire connaître, interpréter, concevoir, exprimer plusieurs choses.

LE CAPITAN.

Mais après tout cela, dis, que définis-tu ?

LE DOCTEUR.

40 Enfin je définis que tu seras cocu.

LE CAPITAN.

Les dames de ce temps sont donc d’étranges dames.

LE DOCTEUR.

Cela n’adviendra pas par le défaut des femmes ;
Cela t’arrivera par un noir ascendant,
D’un astre dont ton sort fut toujours dépendant
45 Par une inspection qu’as sur ta face morne,
Le bélier, la croissant, avec le capricorne,
3
Des esprits féminins le mieux m’originé
Se corrompt avec un esprit prédestiné ;
C’est le sort du mari, non celui de la femme,
50 Qui fait naître chez eux une illicite flamme,
Et bien souvent on voit un homme encore garçon
Être un sot, et par là, vous l’êtes tout de bon ;
Enfin un honnête homme est toujours honnêtes homme,
Un sot est toujours sot, c’est ainsi qu’on vous nomme.
55 Sa femme ne fait rien, qu’elle soit sage ou non,
L’un ni l’autre jamais ne peut perdre son nom.

LE CAPITAN.

Ce discours ambigu ne me contente guère.

LE DOCTEUR.

Oui l’on peut être sot du ventre de la mère.

LE CAPITAN.

Toutefois en usant de ma précaution...

LE DOCTEUR.

4
60 Toutefois, tu suivras le destin d’Actéon.

LE CAPITAN.

C’en est trop, Docteur d’Arcadie,
Ton discours me met en furie,
Et dans la Mésopotamie,
[Ou] bien dans l’Éthiopie,
65 Dans le Japon ou dans l’Indie,
[De] peur que ta langue hardie,
[Par] moi ne soit anéantie,
Va-t-en dans l’Anadalousie,
[Ou] bien du côté d’Arabie,
70 Et, pour mieux dire, en ta partie,
5
Que l’on appelle la Betinie,
[Et] bien, sot Docteur, je te prie,
Va-t’en au Diable en diablerie.

LE DOCTEUR.

Si je me mets sur ta carcasse,
6
75 Satyre, cornu, fils de bagasse,
D’un coup de pied dans la culasse,
[Te] fera faire la grimace,
D’un constipé sur ta terrasse,
D’un qui sur le bassin trépasse,
80 D’un malsain prenant de la casse,
Et sur ta tête et sur ta race,
Tant de coups rendront ta voix lasse,
[Et] t’enfonceront la cuirasse,
Que tu ne quitteras la place.

LE CAPITAN.

85 Docteur, soyons amis.

LE DOCTEUR.

Ô ! Le vaillant soldat.

SCÈNE III. Le Docteur, Lucinde, Le Capitan. §

LE CAPITAN.

Ma maîtresse paraît, regarde que d’éclat
Depuis fort peu de temps j’ai quitté ma maîtresse
À cet objet tout seul j’adresse mes caresses,
Parce que j’ai connu sa pudeur et sa foi,
90 Et qu’elle m’aime enfin, et n’aimera que vous.

LE DOCTEUR.

Ce cas est fort douteux.

LE CAPITAN.

Beauté, l’honneur des dames
Quand prendrez vous le temps de soulager mes flammes.

LUCINDE.

Je vous ai mille fois assuré que mon coeur
N’aime que vous, et n’a que vous pour son vainqueur ;
95 Mais te prends tant de soin pour me conserver pure,
Qu’un simple mot d’amour me tient lieu d’une injure,
Je suis fort sage enfin, je le dis, croyez-moi,
Mon honneur m’entretient, il me donne la loi,
En vérité l’honneur est une belle chose,
100 On a beau soupirer pour mes lys, pour ma rose,
Quand mes yeux auraient mis le feu dans l’univers,
Ma pudeur ne verrait jamais mes sens pervers ;
Mais quelle douleur me prend, à l’aide, à l’ide, à l’aide,
Ne puis-je ici trouver ni secours ni remède,
105 Laissez-moi, s’il vous plaît, un cruel mal au coeur
Me tourmente beaucoup, ah ! Dieu quelle douleur.

LE CAPITAN.

Elle est toute modeste, est est fort solitaire.

LE DOCTEUR.

Mais dans ce petit coin, qu’est ce qu’elle peut faire.

LE CAPITAN.

Elle est allée enfin prier avec chaleur
110 Les Dieux de lui vouloir conserver son honneur :
Ah ! Que je serai bine avecque cette belle !
Heureux, heureux mari.

LUCINDE, crie.

À l’aide ?

LE CAPITAN.

Que veut-elle ?
Je n’oserais entrer, n’importe il faut mourir.

LE DOCTEUR.

Qu’il est vaillant.

LE CAPITAN.

Il prend un enfant dans un berceau.
Docteur, allons la secourir
115 Hélas ! Je la croyais aussi chaste que belle.

LE DOCTEUR.

Elle a fait un poupon cette beauté fidèle,
Heureux, heureux mari ! Et bine pauvre cerveau,
Tu t’allais empêtrer de la vache et du veau.

LE CAPITAN.

Que je suis malheureux !

LE DOCTEUR.

La chose est apparente,
120 Que tu dois recueillir les fruit d’une autre plante.

LE CAPITAN.

Cependant prenons soin de ce petit poupon,
Il nous le faut dedans cette maison,
7
Sans ma précaution n’étais-je pas frelore,
Ah ! que je me veux bien précautionner encore ;
125 Docteur, cet autre objet qui vient au petit pas,
Ma voudrait engager avecque ses appas,
Elle use pour cela de haute Rhétorique ;
Mais elle est encore trop fine pour a boutique.

LE DOCTEUR.

Enfin, mon pauvre ami, le panache t’attend,
130 Comme le grand Seigneur, tu porteras croissant.

SCÈNE IV. Le Docteur, Le Capitan, Philis. §

PHILIS.

Et bien cher Capitan, votre âme est-elle encore,
Dans ce doute que le jaloux dévore ?

LE CAPITAN.

J’y suis et j’y serai tant que j’aurai des yeux,
Et tant que je verrai des fourbes sous les cieux ;
135 Docteur si celle-ci pouvait être capable,
De ne me point fourber, que je la trouve aimable !
Tâcher de la connaître.

LE DOCTEUR.

Il faut donc la sonder,
Sans cela je ne puis rien du tout décider.

LE CAPITAN.

Vous êtes si savant avec votre doctrine,
140 Vous pouvez bien savoir à quoi la belle incline.

LE DOCTEUR.

Il faut donc que je jette un oeil de Galien,
Pour cela, dans son dispotaire féminin.

PHILIS.

8
Hé bien cher Capitan, ou plutôt mon Pirame,
Quand pour votre Thisbé, serez vous tout de flamme.

LE CAPITAN.

145 Je vous aimerais bien, mais votre esprit coquet,
Me fait craindre de vous quelque fatal effet ;
Car vous en savez trop, oui, vous êtes trop fine,
Et ce n’est plus pour vous à présent que j’incline ;
Je veux me marier, mais je veux épouser
150 Une innocente, afin de la mieux maîtriser.

PHILIS.

C’est pour me divertir que je vous dis que j’aime,
Je me ris.

LE CAPITAN.

De qui donc ?

PHILIS.

Capitan, de vous-même ;
Mais je vous veux donner nue bonne leçon,
Vous voulez épouser une sotte, un oison,
155 Une beauté stupide, une pauvre ignorante,
Pour n’être point trompé, mais pour qu’elle soit constante,
Que c’est un animal méchant et dangereux
Qu’une femme ignorante, et qu’il est vicieux,
Une beauté subtile, une gentille femme,
160 En trompant son mari, saura cacher sa flamme ;
Mais la niaise enfin, en l’actheonilant,
N’aura pas au besoin l’esprit assez présent,
Ne saura pas non plus en faisant la colère,
Sortir bien à propos d’une méchante affaire,
165 Et souvent Capitan une sotte fera,
Son pauvre homme cocu, et l’en avertira.

LE DOCTEUR.

Ho ho ! Vous en savez de la bonne manière,
Je vous estime fort, ô femme singulière.

PHILIS.

Enfin j’en sais un peu, j’ai l’esprit clairvoyant,
170 Fort subtil et profond et beaucoup pénétrant.

LE DOCTEUR.

Je le vois bien, ne que case ne que cocles,
Cet homme est generis communis.

LE CAPITAN.

9
Dites, si j’épousais de ces beautés bigottes,
10
Qui ruminent toujours qui sans cesse marmottent,
175 Elle serait honnête, elle n’aurait pour but,
Que le soin de songer à faire son salut.

PHILIS.

Non, non, une bigotte en ce siècle o% nous sommes,
Tromperait Dieu, les Saints, avecque tous les hommes,
Ce n’est point mon fait, ne vous y fiez pas,
180 Car vous vous jetteriez dans quelqu’autre embarras.

LE CAPITAN.

Ainsi je ne sais plus de quel ôté me rendre.

PHILIS.

Je vous conseille.

LE CAPITAN.

Et quoi donc ?

PHILIS.

De vous aller prendre.

LE DOCTEUR.

Voilà bien conseiller.

LE CAPITAN.

Ô ! discours superflus,
J’aimerais encor mieux être au rang des cocus,
185 J’en ai grand peur pourtant, et si je me marie,
Je n’en échapperai nullement sur ma vie.

PHILIS.

Ne vous mariez point, on dit que tu ne dois,
Lorsque tu crains le feuille d’aller dans les bois.

LE DOCTEUR.

Ma foi, vous me charmez, votre beauté me pique,
190 Si je pouvais entrer dans votre République,
Et payant bine le droit que payent les bourgeois,
Comme étranger je m’y naturaliserais.

PHILIS.

Bien, bien ; dans un moment nous parlerons d’affaire.

LE DOCTEUR.

Pour votre dépositaire je quitte ma grand-mère,
195 Quoi qu’il arrive enfin je vivrai sous vos lois,
Vos yeux seront mes Dieux, mes Soleils et mes Rois ;
Capitan, si ma flamme avec elle est trompée,
Pour le moins je mourrai d’une fort belle épée.

SCÈNE V. Philis, Le Capitan, Le Docteur, Cloris. §

CLORIS.

Jadis le Capitan m’adressait tout ses voeux.

LE CAPITAN.

200 La voici la beauté qui me doit rendre heureux ;
Docteur elle n’a point ni d’esprit ni de ruse,
Elle est comme il me faut, c’est une bonne buse ;
Je vous laisse Philis. Voulez-vous m’épouser.

CLORIS.

Et qu’est-ce qu’épouser.

LE DOCTEUR.

Et c’est s’humaniser.

PHILIS.

205 Quelle niaise ! Ô Dieux !

LE CAPITAN.

Cette pauvre novice,
Sans esprit ne peut pas inventer de malice :
Allons nous marier.

CLORIS.

Mais étant mon époux ;
Dites-moi, s’il vous plaît, que demanderez-vous.

LE DOCTEUR.

Il vous demandera de faire bonne mine,
210 Et puis d’attendre au lit l’influence bénigne,
Qui donne de la joie et chatouille les sens,
Et qui fait pulluler les animaux parlants.

CLORIS.

Allons donc je le veux ; allons je suis en âge,
Et je puis aisément franchir de doux passage.

PHILIS, au docteur.

215 Allons, mon cher Docteur, et sans perdre de temps
Vous m’apprendrez le Code et le Droit des gens.

SCÈNE VI. Trapolin, Léandre. §

LÉANDRE.

Ce climat est fort doux, les dames en sont belles.

TRAPOLIN.

Et pour moi je sais bien de meilleures nouvelles.

LÉANDRE.

Que sais-tu !

TRAPOLIN.

Qu’on y voit de fort bons Cabarets,
220 Où nous pourrions aller nous rendre le teint frais.

LÉANDRE.

Ah ! Que j’ai vu passer une dame jolie.

TRAPOLIN.

Et moi je viens de voir...

LÉANDRE.

Quoi donc ?

TRAPOLIN.

L’hôtellerie.

LÉANDRE.

Que j’aimerais à voir un oeil friand à beau.

TRAPOLIN.

Que j’aimerais à voir une longue de veau.

LÉANDRE.

225 Que j’aime un sein de lys !

TRAPOLIN.

Que j’aime une mignonne,
Quand son ventre est rempli d’excellent vin de Beaune.

LÉANDRE.

Que je suis amoureux du sexe féminin.

TRAPOLIN.

Que je suis amoureux du repas et du vin !

LÉANDRE.

Lorsque je vois des dents blanches comme des perles,
230 Quand je vois des cheveux aussi noirs que des merles,
Quand j’en vois de cendrés, de châtains, et de blonds,
Sortants sur un sein blanc bouclés à gros bouillons,
Une taille bien faite, une hanche fournie,
Et pourtant déchargée ; ah mon âme est ravie !
235 Lorsque je vois des pieds bien faits et bien tournés,
Des yeux bien animés, bien émerillonnés,
Une démarche grave, une façon galante,
Alors mon coeur s’engage à chercher une amante ;
C’est dans ce grand amas de charmes innocents,
240 Que je me laisse aller au pouvoir de mes sens.

TRAPOLIN.

Et pour moi, quand je vois cette beauté divine,
Qui charme et rit toujours, qu’on appelle cuisine ;
Quand j’y vois un potage avec un gros chapon,
Des poulets, des pigeons, avec un gros dindon,
245 Un ragoût bien friand ; une table charmante,
C’est où mon coeur s’engage à chercher une amante,
C’est dans ce grand amas de charmes innocents,
Que je me laisse aller au pouvoir de mes sens.

LÉANDRE.

Tu m’interromps toujours avecque ta cuisine.

TRAPOLIN.

250 Enfin, vive l’amour, Monsieur, pourvu qu’on dîne.

LÉANDRE.

Allons viens faire un tour pour chercher l’appétit.

TRAPOLIN.

Le mien est tout trouvé, ah que j’ai de dépit.

SCÈNE VII. §

LE CAPITAN.

Enfin, je suis mari, et mari d’importance,
Avec ma femme enfin, je suis en assurance,
255 Car elle ne sait pas ce que c’est de pécher ;
Mais afin que pas un ne la puisse approcher,
Tandis que je m’en vais à ma grange hors la ville,
J’ai mis dessus son dos la cuirasse d’Achille,
11
Et le divin armet de mon cousin Hector,
12
260 Et puis dedans sa main la pertuisane encor ;
Je lui donne un bon pli les dernières journées,
Afin d’en profiter la reste des années ;
Mais la voici qui vient, ainsi l’homme de coeur
Prend soin de conserver sa gloire et son honneur.

SCÈNE VIII. Cloris armée, il continue. §

CLORIS.

265 Demeurez en ce lieu le temps de mon voyage,
Voilà de mon pays la loi du mariage,
Elle porte qu’ainsi l’on assure l’honneur,
Pour nous faire éviter un amant suborneur.

SCÈNE IX. Léandre, Trapolin, Cloris. §

CLORIS.

À ce que je puis voir c’est un sot avantage
270 Que d’être en ce pays dedans le mariage.

LÉANDRE.

Ah Dieux ! Que de beauté, que d’attraits, que d’appas,
Trapolin approchons, je crois que c’est Pallas ;
Allons la saluer, ah ! C’est un déesse.

TRAPOLIN.

Ah, je crois bien plutôt que c’est une diablesse :
275 Ma foi j’en ai grand peur.

LÉANDRE.

Vas donc.

TRAPOLIN.

Allez-y vous.

LÉANDRE.

Je veux...

TRAPOLIN.

Je ne veux pas.

LÉANDRE.

Redoute mon courroux.

TRAPOLIN.

Mais il faut pourtant voir de près sa contenance.

CLORIS, le frappe.

Au diable la figure, avec son influence.

LÉANDRE.

Beauté l’étonnement des hommes et des Dieux,
280 N’était-ce pas assez des armes de vos yeux ?
Pourquoi vous mettez-vous en ce fier équipage,
Votre visage doux aime-t-il le carnage.

CLORIS.

Monsieur, vous étonnant de l’état où je suis,
Ignorez-vous les lois de ce fâcheux pays ?
285 Les femmes de ces lieux sont en cet équipage,
Pour garder leur honneur dedans le mariage.

LÉANDRE.

Vraiment dans ce pays on fait de rudes lois
Dans le nôtre on agit d’un air bine plus courtois.
Ah si vous le saviez !...

CLORIS.

Je brûle de l’entendre.

LÉANDRE.

290 Venez avecque moi, je pourrai vous l’apprendre.
Ils sortent.

TRAPOLIN, seul.

La Donne est susceptible, elle le fuit ma foi ;
13
Voilà Pallas par terre, amour lui fait le loi.

SCÈNE X. Le Docteur, Philis. §

PHILIS.

Docteur, nous voilà bien.

LE DOCTEUR.

Tour à fait bien, ma belle.
Nous sommes mariés, soyez-moi bine fidèle.

PHILIS.

295 Voyez cette innocence, elle fuit un galant.

LE DOCTEUR.

Je l’avais bien prévu. La pauvre Capitan !

SCÈNE XI. Le Docteur, Philis, La Capitan. §

LE CAPITAN.

Je n’ai su demeurer longtemps à la campagne ;
Et je reviens trouver ma gentille compagne,
De sa simplicité je dois tout espérer.

LE DOCTEUR.

300 Capitan, nous verrons qui s’en pourra parer.

PHILIS.

Mon mari n’aura point pour moi martel en tête ;
Car je sais ménager la petite conquête.

LE CAPITAN.

Si je savais quelqu’un qui se put figurer
De cajoler ma femme et me déshonorer,
305 Il serait hors d’état de faire des caresses ;
Car je déchirerais son corps en mille pièces.

PHILIS.

Ceux qui parlent beaucoup n’ont jamais grand effet.

LE CAPITAN.

Par la mort, je ferais...

SCÈNE XII. Philis, Le Docteur, Le Capitant, Cloris, Trapolin, Léandre. §

LÉANDRE.

Adieu divin objet,
Que je baise vos mains.

PHILIS.

Capitan, faites rage.

LE CAPITAN.

310 La prudence sied bine avec le courage.

PHILIS.

Quoi ! Vous souffrez ainsi cet ouvrage à vos yeux.

LE CAPITAN.

Je fais ce que je puis pour être furieux.

LÉANDRE.

Adieu divin objet, ma reine.
Encore un coup.

TRAPOLIN.

Adieu belle Pallas.

LE CAPITAN.

Rage, fureur, feu, haine.
315 Tu mourras.
Léandre revient et de regarde fièrement.

LÉANDRE.

À qui donc parlez-vous ?
Est-ce à moi ?
Il revient encore.

LE CAPITAN.

Non, monsieur, non, ce n’est pas à vous.

PHILIS.

Vraiment vous êtes brave, et brave à tout outil.

LE CAPITAN.

Je le suis quand je veux, donnez moi patience,
Je ne l’ai pas tué le traître en ce moment.
320 Je retarde sa mort d’une heure seulement ;
Mais venez la traîtresse, où sont vos armes.

CLORIS.

Cet étranger courtois, civil, et plein de charmes,
Me les a fait quitter et m’a dit ébahi,
Que l’on exerçait point ces lois en son pays ;
325 Que les femmes avaient après le mariage,
Des armes à la main qui faisaient moins d’ouvrages ;
Qu’elles avaient des lois plus douces qu’en ces lieux,
Aussitôt mon esprit s’est montré curieux :
J’ai brûlé du désir de les pouvoir apprendre,
330 Et lui-même a voulu me les faire comprendre.

LE CAPITAN.

Ah ! Vous me disiez bien, qu’une sotte ferait
Son pauvre homme cocu e l’en avertirait :
Je vous enfermerai désormais, ignorante,
Rentrez, rentrez ici, sotte, bête, innocente.

PHILIS.

335 Adieu cher Capitan, adieu, consolez-vous.

LE DOCTEUR.

Allez vous en chanter avecque les coucous.

PHILIS.

Allez dire aux maris des champs et de la ville,
Que la précaution leur est choses inutile.