Le Gentilhomme de Beauce
Comédie

Par A. J. MONT-FLEURY.

A PARIS,
Chez JEAN RIBOU, au Palais, vis-à-vis la porte de
l’Eglise de la Sainte Chapelle, à l’image S. Loüis.
M. DC. LXX.
Avec Privilège du Roy.

Édition critique établie par Élodie Bénard dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2003-2004).

Introduction §

Un gentilhomme, qui mène une vie plaisante et honorable en Beauce, avec vaches et dindons, se met en tête d’épouser sa cousine, une Parisienne entourée de galants. Le voilà donc à Paris, chez la jeune femme, décidé à conclure cette union tout à fait incongrue : la servante du logis, qui a son franc parler, ne fait-elle pas remarquer que ce vieil hobereau, jaloux et bourru, serait bien mieux assorti avec la mère de sa maîtresse ? Le Beauceron a affaire à forte partie car la belle et ses acolytes, amant et serviteurs, multiplient les fourberies pour tromper sa vigilance et ne sont guère embarrassés de se retrouver en rendez-vous amoureux. Aussi son séjour dans la capitale sera-t-il de courte durée puisque berné de la belle manière, il se résigne finalement à regagner son village, non sans avoir été soulagé, entre-temps, de vingt louis par un valet effronté et non sans exhaler aussi son indignation contre les mœurs parisiennes. Ruses, déguisements et renversements de situation, tels sont les ressorts de cette comédie que son auteur, sérieux concurrent de Molière, eut la satisfaction de voir jouée devant le roi. On retrouve les situations et les personnages conventionnels de la comédie d’intrigue mais dans la maison de la cousine, « ouverte à tous venans », défilent aussi quelques figures pittoresques du théâtre parisien : le noble campagnard, le provincial, l’étranger et le joueur invétéré. Paris et son fol engouement pour les loteries, ses ricanements sur la province, sa coquetterie, voilà ce que dramatise l’auteur. Jeu de rôle et jeu social ; acteurs et hypocrites : les personnages sont tour à tour masqués et démasqués. Il ne s’agit pas pour autant de juger les mœurs contemporaines car le dramaturge, loin de posséder la rigueur moralisatrice de son héros ridicule, préfère rire des travers de la société.

Le Gentilhomme de Beauce et son auteur §

Montfleury et le genre comique §

La carrière d’Antoine-Jacob Montfleury §

L’Avertissement de l’édition de 1739 fournit les principales indications sur la vie de Montfleury. Antoine-Jacob, fils du célèbre comédien de l’Hôtel de Bourgogne, Zacharie-Jacob, naquit à Paris en 16391. Après avoir fait ses humanités et son droit, il fut reçu avocat au Parlement en 1660. Pourtant, Victor Fournel signale que « les titres de ses premières pièces, où il se qualifie d’avocat au parlement » constituent « la seule trace qu’il ait laissée de son passage au barreau2 ». En effet, à peine âgé de vingt ans, il manifesta un goût précoce pour le théâtre, en faisant jouer le Mariage de rien, et consacra dès lors ses travaux à la scène française. Grâce à son père, l’Hôtel de Bourgogne le considéra comme étant de la famille, et ces premiers liens furent resserrés lorsqu’il épousa, en 1665, Marie-Marguerite de Soulas, fille du comédien Floridor. Le père et le fils étaient souvent confondus bien que ce dernier ne fût jamais monté sur les planches : Adrian Braakman qui édita leurs œuvres en 1697 n’en fit qu’un seul personnage, à qui il attribua les productions de tous les deux. Il fallut attendre l’édition de 1739 pour que cette méprise fût rectifiée. La carrière créatrice de Montfleury coïncida presque exactement avec celle de Molière. La rivalité sur la scène théâtrale fut attisée par une hostilité personnelle due à la représentation en novembre 1663 de L’Impromptu de Versailles, pièce dans laquelle Molière parodie le jeu pompeux de Montfleury père. Le fils riposta en faisant jouer L’Impromptu de l’Hôtel de Condé qui raille notamment le jeu tragique de Molière. Dans ces conditions, aucune pièce de Montfleury ne fut représentée par la troupe de Molière. Après 1673, Montfleury s’adressa toutefois aux comédiens de son défunt rival pour jouer L’Ambigu comique. Après avoir produit une pièce par an à peu près de 1660 à 1678, il se tourna vers la finance. En 1678, Colbert lui confia la charge de faire le recouvrement des sommes que le parlement de Provence devait au roi, mission dont il s’acquitta en contentant à la fois la cour et le parlement. Le Ministère, bien disposé pour lui, le rappela à Paris en 1684 car il lui réservait un poste de fermier général, mais il tomba malade entre-temps et mourut à Aix en 1685.

La réception de son œuvre §

La postérité a parfois jugé sévèrement les pièces de théâtre de Montfleury. N.-M. Bernardin constate que « ce qui a nui surtout dans l’esprit de la critique à Montfleury […] c’est qu’il a eu le malheur d’être le contemporain de Molière et l’imprudence de prétendre être son rival3 ». En effet, il choisit quelquefois des sujets analogues à ceux de Molière et l’imita dans ses titres à deux reprises, pour L’École des jaloux et pour L’École des filles. Pourtant, Edward Forman relativise cette influence, en suggérant que la fidélité de Montfleury au modèle du théâtre espagnol manifeste vraisemblablement son « indépendance […] vis-à-vis de ses compatriotes, et son indifférence à la nouvelle direction que Molière fit prendre au théâtre comique français pendant les années 16604 ». De plus, Jacques Truchet, en considérant le recours à la lingua franca5 dans Le Mary sans femme comme « annonciateur du Sicilien et du Bourgeois gentilhomme6 », montre que, dans certains domaines, Montfleury a devancé chronologiquement son illustre rival. C’est essentiellement sur le terrain de la comédie de caractères que la comparaison avec Molière lui est défavorable. Mais le reproche n’est pas légitime si l’on considère que son propos n’est pas de mettre en scène des caractères mais des types plaisants susceptibles d’amuser le spectateur. Quoi qu’il en soit, si la postérité a oublié son nom et réserve son admiration à Molière, l’engouement du public de l’époque est incontestable : Le Mercure galant souligna le succès « au delà de tout ce que l’on peut imaginer » de La Fille capitaine et assura que La Femme juge et partie « eut le bonheur d’être suivie et fort applaudie, pendant que tout Paris couroit à Tartuffe7 ».

Les commentateurs de Montfleury s’accordent généralement à dire que parmi les contemporains de Molière, il est le plus amusant par son esprit, sa gaieté et sa verve. Ils apprécient son dialogue vif, modelé sur la conversation et conviennent de sa bonne connaissance des règles dramatiques. Julien-Louis Geoffroy confirme que Montfleury « avait appris ce qu’on appelle le métier, […] entendait le théâtre, conduisait sagement un sujet, arrangeait et liait des scènes avec quelque adresse8 ». Le Gentilhomme de Beauce témoigne en effet de ce souci de cohérence. La hardiesse de ses pièces, que ce soit dans le choix des sujets ou dans la manière de les traiter, est ce qui a fait naître, au cours des siècles suivants, des jugements défavorables sur son théâtre. C’est sans conteste le terme « licence » qui revient le plus fréquemment sous la plume de ses détracteurs. Comme le fait remarquer Victor Fournel, « on n’attend pas de Montfleury la sévère dignité d’un moraliste ; mais on est en droit de lui reprocher des licences et des crudités de langage, un malheureux penchant aux plaisanteries inconvenantes et d’un goût équivoque, […] une raillerie systématique des sentiments et des devoirs les plus respectables9 ». Le thème de l’adultère irrigue ses comédies et l’institution du mariage y est traitée avec désinvolture. Dans Le Mary sans femme, le caractère sacré du lien conjugal est ainsi mis à mal, dans la mesure où Dom Brusquin, sous peine de bastonnade et des galères, doit consentir à l’union de Julie, qu’il vient d’épouser, et de Carlos, son amant, ce qui suppose l’annulation de son mariage. Son personnage de prédilection est le mari trompé. Il le place dans des situations souvent cocasses et insensées : ainsi Bernadille, dans La Femme juge et partie, est-il accablé de ne pas réussir à prouver qu’il est cocu. Dans Le Gentilhomme de Beauce, le dramaturge exploite le thème du cocuage et introduit également quelques allusions grivoises. Son comique cru est, malgré tout, reçu favorablement par le public de l’époque, comme l’atteste le succès de ses pièces. Le portrait de Montfleury, esquissé par Jules Lemaitre, « un pur Gaulois », « une tête naturellement joyeuse […] ; qui n’a souci que de rire10 », est emblématique de l’image caricaturale qu’a de lui la postérité, celle d’un poète léger et dénué de toute préoccupation morale.

Montfleury et le théâtre comique de son temps §

Au début de sa carrière, Montfleury donna deux comédies en un acte, Le Mariage de rien et Les Bêtes raisonnables. Ces « petites comédies » étaient très en vogue. Sorte de fabliau mis en action, elles présentent souvent un canevas schématique et des types farcesques. Par la suite, il s’illustra essentiellement dans la comédie romanesque et d’intrigue en cinq actes. Celle-ci s’intéresse moins aux personnages, toujours identiques, qu’aux situations piquantes provoquées par leurs intrigues amoureuses. Elle met en scène les stratagèmes d’un galant qui cherche à séduire une jeune femme et repose sur les effets de surprise, les renversements de situation et les méprises. Montfleury a puisé quelques-uns de ses sujets chez les auteurs espagnols. Il parlait d’ailleurs parfaitement l’espagnol, comme l’attesta l’Avertissement de l’édition de 1739 qui rapporta que « la feue Reine […] disoit que ceux même du païs ne le parloient pas si bien que lui11 ». La Femme juge et partie et La Fille capitaine ont des sources espagnoles12. Dans L’École des filles, l’action se déroule en Espagne et dans Le Mari sans femme, la scène est à Alger mais Julie, Carlos, Dom Brusquin et leurs serviteurs sont originaires d’Espagne. De surcroît, l’enlèvement de Julie, la captivité des amants fugitifs chez le gouverneur d’Alger et les multiples rebondissements prouvent que cette comédie est dans le goût espagnol. Dans les années 1670, Montfleury recourut de façon moins systématique à l’exotisme espagnol, tout en restant fidèle à la comédie d’intrigue qui persistait après 1660 malgré le succès de Molière et de ses comédies de caractères. Le public aimait encore les imbroglios, les méprises et les déguisements. Roger Guichemerre montre que l’intrigue et les situations comiques avaient encore une importance considérable dans les œuvres contemporaines de Molière. Il cite les exemples des comédies de Montfleury : l’intrigue est dominante dans Trigaudin (1674), La Dame médecin (1678) et La Dupe de soi-même (1678) ; et Crispin gentilhomme (1677) « comporte encore une substitution et une reconnaissance13 ». Néanmoins, Roger Guichemerre voit un renouvellement de la comédie dans la multiplication des pièces qui brocardaient quelques aspects des mœurs parisiennes14. Antoine Adam qualifie ces œuvres de « comédies d’observation15 » ; elles constituaient les prémices de la comédie de mœurs qui n’apparut vraiment qu’après 1680. Le fait divers récent ou le détail pittoresque de la vie contemporaine reste un prétexte et ces comédies ne se conçoivent pas en dehors d’un cadre romanesque qui prévaut. Cette évolution se fit sentir chez Montfleury qui introduisit quelques types sociaux dans son théâtre, notamment un hobereau dans Le Gentilhomme de Beauce (1670) et des comédiens dans Le Comédien poète (1674).

LeGentilhomme de Beauce : une comédie d’intrigue §

Montfleury s’intéresse essentiellement aux situations comiques dans lesquelles se trouve son hobereau. Il exploite les scènes traditionnelles de la comédie d’intrigue, notamment lorsque le gentilhomme surprend les amants (I, 7) ou que, dissimulé, il écoute les propos offensants que son entourage tient à son sujet (IV, 5-10). Le recours au jeu de rôle et au déguisement est également caractéristique de la comédie d’intrigue : à deux reprises, le Beauceron est trompé par le Basque qui emprunte une fausse identité. On retrouve, d’autre part, les personnages codés de la comédie d’intrigue : la servante entreprenante, le valet fort en gueule, le noble de province, les jeunes amoureux et la mère autoritaire. Néanmoins, Montfleury s’efforce de nuancer leur portrait : ainsi le Beauceron, lorsqu’il fait preuve de lucidité et d’esprit, ou bien Léandre, quand il manifeste sa détermination (V, 10), surprennent-ils le spectateur. Si le souci d’observation de la société est patent, la satire des moeurs demeure superficielle et c’est l’utilisation du fait social dans le jeu de l’intrigue qui constitue l’intérêt principal. Si Montfleury distingue sa comédie de la farce, en atténuant non seulement le schématisme des personnages, mais aussi celui de l’intrigue, comme le montre le caractère inattendu de l’entretien parodique de l’acte V, il emprunte toutefois au genre quelques procédés comiques.

Les conditions de création et de représentation de la pièce §

La première représentation du Gentilhomme de Beauce eut lieu sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, au début du mois d’août 167016. Du vivant de Molière, Montfleury resta fidèle à cette troupe dont son père, Zacharie, et son beau-père, Floridor, étaient les « sociétaires les plus distingués17 », respectivement jusqu’en 1667 et 1671. La pièce ne fut jamais représentée à la Comédie Française. En revanche, elle « fut jouée à Versailles devant le Duc de Boukingham, sur un théâtre dressé dans le petit parc, par le sieur Vigarini18 ». Le duc de Buckingham19 avait été envoyé en France en juillet 1670 pour négocier le traité de Douvres20 avec Louis XVI. Une première cérémonie fut organisée en son honneur, à Versailles, le 23 août, mais c’est deux semaines plus tard, lors de la seconde fête, que la comédie de Montfleury fut présentée. Abbas Ismaïl Abou-Ghazala s’attarde sur la description de cette soirée : « Après avoir pris la collation au milieu de l’eau, toute la cour reprit le chemin du petit parc, et se rendit dans le “petit Bois vert”, à gauche du château […]. Dans ce bois, Vigarini avait fait construire un théâtre en plein air21 ». C’est sur ce théâtre que la troupe royale offrit au roi, au duc de Buckingham et à la cour, la représentation du Gentilhomme de Beauce, « accompagnée dans les Entr’Actes, de plusieurs Pièces de Musique, et de Symphonie, de la composition du Sieur Lulli22 ». Robinet y fit à son tour allusion dans une lettre en vers à Monsieur, datée du 13 septembre 1670, et se plut à décrire la magnificence du cadre de la représentation :

[la Cour est à Versailles. Samedi dernier, le 6 septembre, on avait fait une promenade dans le parc :]

On devoit, de la Comédie,
Avec Concert, et Mélodie,
Avoir le Divertissement,
Dessus un Théâtre charmant,
Coûtant grand nombre de Pistoles,
[…] l’eau tomboit, sans aucun brüit,
Dans un Bassin, exprès, constrüit,
Ou, tout au moins, rempli de mousse,
Qui rendoit sa cheute si douce,
Que l’oreille elle chatoüilloit,
Sans qu’elle interrompist l’ouye,
Dans le cours de la Comédie23.

L’auteur, dans son épître dédicatoire, rappelle avec fierté ce spectacle exceptionnel. Dans une autre lettre en vers à Monsieur, datée du 8 novembre 1670, Robinet mentionna à nouveau une « Comédie » jouée à Versailles : la comédie n’a pas été identifiée mais il s’agit peut-être du Gentilhomme de Beauce, création la plus récente de la compagnie de l’Hôtel de Bourgogne24. Suivant Lancaster, Montfleury espérait que sa pièce, après son succès à Paris, fût jouée en Allemagne par la troupe française dont Nanteuil25 faisait partie26.

La distribution du Gentilhomme de Beauce n’est pas connue. Sophie Wilma Deierkauf-Holsbœr atteste qu’à la fin de l’année 1670, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne se composait des membres suivants : Mlle Beauchâteau, Floridor, Mlle Floridor, Belleroche (Raymond Poisson), Mlle Poisson, Hauteroche, La Fleur, Brécourt, Mlle Desurlis, Mlle d’Ennebaut, Champmeslé et Mlle Champmeslé27. De Villiers, sa femme et Des Œillets quitterent l’Hôtel de Bourgogne dans le courant de l’année 1670, nous ne savons donc pas s’ils faisaient encore partie de la troupe au moment de la création de la comédie de Montfleury. Mlle Des Œillets n’est pas mentionnée non plus car Sophie Wilma Deierkauf-Holsbœr indique que sa santé était chancelante depuis longtemps et qu’elle mourut le 22 octobre 167028. Mlle Beauchâteau, Mlle d’Ennebaut, sœur de Montfleury, et Mlle Champmeslé, jeunes comédiennes de la troupe, furent sans doute sollicitées pour tenir les rôles de Climenne et de Béatrix. Henry Lyonnet signale que Mlle Beauchâteau jouait d’ordinaire les rôles d’amoureuses de comédie29. Étant donné l’âge de Floridor, de Villiers et de Hauteroche en 1670, il est probable que l’un des trois comédiens assumait le rôle de Coutreville, vieux campagnard acariâtre. À l’inverse, Léandre devait être interprété par un jeune acteur à belle allure : par exemple Brécourt, qui avait alors trente-deux ans, ou Champmeslé, qui en avait vingt-cinq. Henry Lyonnet précise d’ailleurs que le premier avait « grand et bel air30 » et que le second était « d’un physique avantageux » et avait « l’air noble31 ». Enfin, Henry Lyonnet affirme que Belleroche présentait « un talent supérieur dans les rôles comiques32 » et que La Fleur « excellait […] dans les caractères de gascons et de capitans33 » ; aussi les personnages comiques du Basque et du Gascon furent-ils peut-être réservés à ces deux comédiens.

Nous n’avons aucun détail sur le décor. L’action se déroulant dans une « Sale chez Climenne », la scène représentait sans doute la salle commune d’une maison parisienne bourgeoise. Les personnages font mention à plusieurs reprises de l’étage, où se trouvent les appartements de Climenne et de Martin. Ainsi Martin déclare-t-il : « Sortons de cette chambre & montons dans la nostre » (v. 1106). On peut imaginer que la scène figurait un escalier, menant de la salle commune aux chambres de Climenne et Martin, puisque le Beauceron fait allusion à un « autre escalier » (v. 140), qui permet d’éviter que le Gascon, après avoir déposé son argent à l’étage, ne passe de nouveau par la salle commune où se trouve Climenne. En outre, dans l’édition de 1735 des œuvres de Montfleury34, la scène 10 de l’acte IV est illustrée par la reproduction d’une gravure en taille-douce qui représente Béatrix faisant tomber la lanterne du Basque et le Beauceron dissimulé derrière un lit à baldaquin. Un lit pouvait donc également faire partie du décor. En effet, lorsque le gentilhomme espionne son entourage, il est sans doute caché dans un recoin ou bien derrière un meuble. Enfin, la scène de confrontation entre Coutreville et Climenne nécessite deux fauteuils.

La réception de la pièce §

L’auteur évoque modestement, dans son épître dédicatoire, « l’indulgence qu’on a eüe » pour sa comédie à Paris. Lancaster signale en effet que Le Gentilhomme de Beauce fut bien accueilli par le public du XVIIe siècle, mais que son succès ne dura pas longtemps puisque ni Le Mémoire de Mahelot, ni La Grange n’y font référence35. Walter Rohr affirme lui aussi, que les critiques de l’époque jugèrent très favorablement la pièce36. Il mentionne la lettre en vers du 16 août 1670 dans laquelle Robinet en fit l’éloge :

J’aurois […],
Fait un chapitre bien disant,
Sur le Gentil-Homme de Beausse,
Qui de beaucoup encore rehausse,
Le mérite de son Auteur,
Et dont j’aime de tout mon cœur,
La Scène admirable et si fine,
De Néron avec Agrippine,
Et celle aussi des Faux Abbes,
Que j’y trouve des mieux daubés37

Selon Walter Rohr, à partir du moment où le héros de la comédie était un hobereau campagnard, figure théâtrale véritablement comique, la pièce ne pouvait être qu’un succès38. Il ajoute que la parodie de Britannicus dans la scène 5 de l’acte V contribua beaucoup à cette réussite car la confrontation entre Néron et Agrippine était encore dans les esprits lorsque Le Gentilhomme de Beauce fut créé sur les planches de l’Hôtel de Bourgogne. On pensait immédiatement à la tragédie de Racine en voyant le Beauceron et Climenne, assis face à face, s’adresser des reproches cinglants. Robinet, dans l’extrait ci-dessus, confirma d’ailleurs l’enthousiasme qu’avait pu susciter cette scène. Enfin, le fait que la pièce fut représentée devant le roi et qu’une édition pirate hollandaise parut dès 1670 confirme ce succès immédiat.

Intrigue et dramaturgie §

Résumé de l’intrigue §

Acte I §

Béatrix s’indigne de l’union de sa maîtresse, Climenne, et de Monsieur de Coutreville, cousin de la jeune femme. Monsieur de Coutreville, gentilhomme beauceron, s’est rendu dans la capitale afin de conclure ce mariage. Il vit depuis quelques jours chez Climenne et espère obtenir l’assentiment de sa future belle-mère, qui considère avec bienveillance le riche hobereau. D’une jalousie féroce, il surveille Climenne de près. Celle-ci révèle à sa servante que la loterie qu’elle a organisée n’est qu’un prétexte pour permettre à son amant, Léandre, de l’approcher, sous le couvert de participer au jeu (sc. 1). Un joueur, le Gascon, souhaite acheter des billets et, tout en se renseignant sur la loterie, adresse quelques galanteries à Climenne (sc. 2). Le gentilhomme les épie un moment avant de se montrer. Le Gascon se réjouit alors de retrouver un habitant du village beauceron où il passa avec son régiment, mais son accueil enthousiaste se heurte à l’agressivité du campagnard (sc. 3). Une fois débarrassé du Gascon, le Beauceron reproche à Climenne sa coquetterie avant de se plaindre du désordre suscité par la loterie. Il a toutefois trouvé la solution pour chasser galants et joueurs : engager un Suisse. Béatrix riposte aussitôt, elle connaît un Suisse qui fera l’affaire : hargneux, il contrôlera avec zèle les allées et venues (sc. 4). La servante dévoile le subterfuge à sa maîtresse, alarmée par la résolution de son cousin : celui qu’elle envisage de présenter comme Suisse au Beauceron est son amant, le Basque, valet de Léandre (sc. 5). Léandre entre en déplorant son malheur. Rasséréné par le stratagème des jeunes femmes, il leur garantit son soutien (sc. 6). Survient le Beauceron qui observe à la dérobée Climenne et Léandre, bientôt avertis par Béatrix de la présence du rival (sc. 7). Après le départ de Léandre, le cousin sort de sa cachette. Clairvoyant sur l’amour réciproque des amants, il morigène de nouveau Climenne avant d’être interrompu par un bruit qui l’incite à la faire sortir (sc. 8). Champagne, un laquais, accoure affolé et annonce que la foule, impatiente de participer à la loterie, a forcé la porte. Le gentilhomme le somme de monter la garde devant l’appartement de Climenne et ordonne à Béatrix d’aller chercher le Suisse dont elle a parlé (sc. 9 et sc. dernière).

Acte II §

Béatrix paraît, accompagnée du Basque, en habit de Suisse. Il ne tarde pas à lui faire la cour mais celle-ci est préoccupée par la confrontation prochaine avec le gentilhomme (sc. 1). Ce dernier se montre d’abord réticent devant la corpulence du Basque, mais grâce à ses propos batailleurs, le prétendu Suisse gagne sa confiance (sc. 2). Une fois seul avec sa nouvelle recrue, le gentilhomme lui précise qu’il doit l’informer du moindre geste de sa cousine en faveur d’un galant (sc. 3). Il le présente ensuite à Climenne, avant de l’envoyer faire le guet à l’entrée (sc. 4). Las de l’agitation provoquée par les joueurs, le gentilhomme se mêle de l’organisation de la loterie afin qu’elle soit tirée au plus tôt et que le bénéfice soit conséquent (sc. 5). Béatrix se montre satisfaite de la performance du Basque, mais elle élude de nouveau ses propos amoureux, interrompus par l’arrivée de Léandre (sc. 6-7). Le jeune homme, qui s’attend à voir Climenne, est immédiatement détrompé par la servante qui lui annonce que, désormais, le Beauceron ne quitte plus sa cousine. Elle redonne cependant espoir à l’amant dépité en lui remettant un billet de Climenne, dans lequel celle-ci lui fait part du tour qu’elle a imaginé pour éloigner le gentilhomme du logis. Le Basque est de nouveau mis à contribution, aussi doit-il quitter un moment son rôle de Suisse pour interpréter un autre personnage (sc. dernière).

Acte III §

Le fâcheux hobereau enrage car l’irruption de la foule n’a pu être contenue par Champagne, qui supplée le Suisse (sc. 1-2). Le laquais annonce la visite d’un abbé (sc. 3-4). Le Basque, qui a revêtu le costume abbatial pour jouer un abbé beauceron, fait alors son entrée. Après moult cérémonies, l’abbé la Roche délivre au gentilhomme une boîte contenant les billets achetés à Oronte, organisateur d’une loterie concurrente. Le Beauceron, d’abord hostile à l’abbé, ne tarit pas d’éloges sur lui lorsqu’il découvre dans la boîte un billet gagnant d’une valeur de trois cent louis (sc. 5). Seul, l’heureux gagnant savoure sa joie et décide d’aller chercher son lot chez Oronte (sc. 6). Climenne apparaît apprêtée ; aussi subit-elle une nouvelle fois les semonces de son cousin. Néanmoins le gentilhomme abrège lui-même ce sévère discours de morale, tant il est impatient de posséder son lot (sc. 7). Il recommande au Suisse, qui a repris son poste, de dissimuler son absence et de ne laisser entrer personne, et non sans inquiétude, se résout à partir (sc. 8). Béatrix se réjouit avec Léandre et le Basque du succès de la ruse et de la liberté que leur procure l’absence du gentilhomme (sc. 9 et sc. dernière).

Acte IV §

La porte étant ouverte, le Gascon a pu s’introduire chez Climenne. Il fulmine contre le Suisse qui lui a si souvent fermé la porte au nez et qui est à présent endormi sur son lit, ivre (sc. 1). Il s’enquiert de la loterie auprès de l’organisateur, Martin : il attend en effet avec impatience le tirage car il a gagé ses dettes sur les lots. Mal en prend à Martin de le mettre en garde contre une telle folie puisque le Gascon finit par le menacer si le résultat du tirage ne lui est pas favorable (sc. 2). Aussi Martin, apeuré, se réfugie-t-il dans sa chambre (sc. 3). Le Beauceron est de retour, furieux parce que la boîte remise par l’abbé est fausse. Sa rancune contre la Roche et les aigrefins de son acabit cède bientôt la place à l’inquiétude car il a trouvé la porte ouverte et le Suisse étendu sur le lit. Afin d’éclaircir ces mystères, il se cache de façon à observer son entourage (sc. 4). Béatrix est la première qu’il surprend. Le Beauceron ne tarde pas à être édifié sur le compte de la servante, de Léandre et de Climenne, qui se révèlent être les instigateurs du piège dont il a été victime. Il apprend en outre que Léandre est auprès de Climenne et que la Roche est le valet de son rival, un dénommé le Basque, qu’il ne connaît pas (sc. 5). Après le départ de Béatrix, le gentilhomme se répand en invectives contre la soubrette, qu’il accuse de pervertir Climenne (sc. 6). Toujours dissimulé, il assiste ensuite aux adieux de Climenne et de Léandre, qui réaffirment avec Béatrix leur hostilité contre lui (sc. 7). De nouveau seul, le gentilhomme, qui pense avoir entièrement décelé ce qui se trame contre lui, calomnie l’honneur de Climenne ; le Suisse, malgré son ivresse, est le seul qui trouve encore grâce à ses yeux (sc. 8). L’annonce de la venue du Basque l’incite à demeurer en retrait afin de percer à jour l’inconnu (sc. 9). Le Basque, en qui le Beauceron reconnaît immédiatement son portier, entre en titubant. Béatrix lui reproche la négligence dont il a fait preuve pendant qu’il était censé surveiller la porte puis, exaspérée par son discours d’ivrogne, elle s’en va (sc. 10). Demeuré seul, le Beauceron s’emporte contre les comploteurs, mais il remet sa vengeance au lendemain et se retire dans sa chambre (sc. dernière).

Acte V §

Le Basque refuse obstinément de croire Béatrix qui lui répète que le gentilhomme se trouve dans le jardin (sc. 1). À la vue de ce dernier, il est finalement contraint d’admettre qu’il l’a laissé pénétrer dans la maison. Le gentilhomme envoie Béatrix chercher sa maîtresse (sc. 2). Le Basque, qui continue à jouer le Suisse en présence du Beauceron, redouble de complaisance envers son maître qui, irrité par cette hypocrisie, a tout juste le temps de le souffleter avant l’arrivée de Climenne et Béatrix (sc. 3). Après avoir congédié les deux serviteurs, il adresse à Climenne des propos injurieux. La jeune femme riposte avec la même franchise. Le Beauceron finit par couper court aux récriminations de sa cousine et part dénoncer à la mère le choix de Climenne en faveur de Léandre (sc. 4-5). La jeune femme, apparemment résignée à obéir, exprime son désarroi et demande conseil à Béatrix (sc. 6-7). Eu égard au péril que court son amour pour Léandre, elle accepte un entretien avec lui (sc. 8-9). Elle lui rapporte les dernières dispositions du gentilhomme concernant le mariage. Comme sa soumission aux exigences de sa mère et de son cousin prouve, selon le jeune homme, la faiblesse de son amour, il lui fait ses adieux (sc. 10). Il est aussitôt rappelé par le Beauceron qui déclare que la mère, mise au fait des amours de sa fille, consent à l’union de Climenne et de Léandre et que lui-même renonce à sa cousine. Son aversion pour Paris et les Parisiens ayant été confortée par son séjour dans la capitale, Coutreville se montre désormais empressé à retrouver sa Beauce natale (sc. 11). Seuls, les amants se réjouissent et annoncent le tirage de la loterie ainsi que le mariage de Béatrix et du Basque (sc. dernière).

L’intrigue du Gentilhomme de Beauce et de Monsieur de Pourceaugnac §

Louis Petit de Julleville, déplorant le pillage de l’œuvre de Molière par ses rivaux, souligne que  Monsieur de Pourceaugnac devient chez Montfleury Le Gentilhomme de Beauce39 et Victor Fournel corrobore ce jugement lorsqu’il écrit que « toutes proportions gardées, le Gentilhomme est le Pourceaugnac de Montfleury40 ». Monsieur de Pourceaugnac est créé sur le Théâtre du Palais-Royal, le 15 novembre 1669. Chez Molière, Julie aime Éraste mais son père, Oronte, la destine à Pourceaugnac, un avocat limousin. Pour empêcher ce mariage, les amants sont soutenus par deux fourbes expérimentés, Nérine et Sbrigani. La machination consiste à soumettre Pourceaugnac à une série d’épreuves : il est livré à deux médecins ; un marchand flamand fait savoir à Oronte que Pourceaugnac entend payer ses dettes avec la dot ; Sbrigani lui apprend que sa fiancée est une galante ; après quoi, une Languedocienne révèle que Pourceaugnac l’a épousée et abandonnée et une Picarde le revendique pour son mari. Menacé de pendaison, il se travestit et prend la fuite. Comme nous le verrons plus loin, des analogies sont manifestes dans le traitement du thème de la province égarée à Paris et dans le portrait du fâcheux, mais Montfleury s’inspire alors moins de Pourceaugnac que de la figure conventionnelle du provincial grotesque. En revanche, le parallèle que l’on peut établir au niveau de l’intrigue rapproche de façon plus probante les deux comédies.

De manière globale, les deux intrigues sont similaires, bien que les moyens employés pour contrarier les desseins du campagnard diffèrent. Molière et Montfleury campent tous deux un provincial désireux d’épouser une Parisienne. Ce dernier, fort de l’appui du père ou de la mère, qui a surtout égard à la rente du futur gendre, se rend dans la capitale. L’entourage de la jeune fille ne tarde pas à lui témoigner son hostilité. En effet, tout au long de la pièce, Béatrix exprime avec virulence son mécontentement : « qu’il aille en son village » (v. 8) est relayé par « qu’il s’aille faire pendre » (v. 1590) et de son côté, Nérine s’indigne : « Et une personne comme vous est-elle faite pour un Limosin ? S’il a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine et ne laisse-t-il en repos les chrétiens41 ? ». Le nouveau venu se trouve donc en butte aux fourberies des amants, secondés par leurs serviteurs ou par des intrigants. De fait, les déclarations de Nérine qui assure que le Limousin subira « niches sur niches42 » ainsi que celles de Béatrix qui certifie que le Beauceron sera berné « de la bonne maniere43 » se font pendant. Enfin, les comédies s’achèvent toutes deux par le mariage des amants et le retour du provincial dans son village.

Un des points communs entre les deux stratégies mises en œuvre pour abuser Coutreville et Pourceaugnac réside dans le changement d’identité. Le Basque et Éraste incarnent chacun un homme de province, censé être un familier de l’entourage de la dupe : le valet prétend être un abbé beauceron, cousin du vigneron employé chez le gentilhomme et neveu du curé de son village44, et l’amant de Julie se fait passer pour un ancien ami de la famille Pourceaugnac45. Les fourbes recourent au déguisement : le Basque revêt l’habit d’un Suisse, puis celui d’un abbé et Sbrigani porte un costume de marchand flamand (II, 3). Dans les deux cas, l’accent étranger fait partie intégrante du déguisement. À l’instar du Suisse, Sbrigani altère en effet de façon comique son langage : « Montsir, avec le vostre permissione, je suisse un trancher marchand flamane, qui voudrait bienne vous temantair un petit nouvel46 ». D’autre part, Coutreville et Pourceaugnac sont pareillement convaincus que ceux-là même qui les trompent sont leurs seuls amis dans la capitale : le premier ne cesse de louer l’innocence et la fidélité du Suisse et le second s’en remet entièrement à Éraste et à Sbrigani. Enfin, dans les deux comédies, les complices des amants saisissent l’occasion d’écorner la fortune du provincial. Ainsi le Beauceron offre-t-il vingt louis à l’abbé la Roche47 et Pourceaugnac est-il contraint, sur le conseil de Sbrigani, de donner de l’argent à l’exempt48.

L’influence de Molière sur Montfleury doit toutefois être relativisée car les deux pièces diffèrent sur des points essentiels de l’intrigue : on note par exemple que la critique des joueurs invétérés et des fripons qui organisent les loteries remplace la satire de la médecine, que les serviteurs s’improvisant mystificateurs se substituent aux rusés professionnels, ou que la mère est absente alors qu’Oronte subit aussi les mauvais tours joués à Pourceaugnac. La singularité du Gentilhomme de Beauce ne réside pas dans l’intrigue, conventionnelle, mais, entre autres, dans le jeu sur le masque, dans le traitement du thème de la loterie, ou dans la parodie de Britannicus au dernier acte.

Dramaturgie §

La structure de la pièce §

La composition de la comédie permet d’éviter tout risque de langueur car les deux premiers actes ainsi que le dernier ont entre 340 et 370 vers, tandis que les actes III et IV, plus courts, ont respectivement 302 et 290 vers. La pièce s’organise autour de la mystification du gentilhomme. Dans la première partie, constituée par les trois premiers actes et les trois premières scènes de l’acte IV, les personnages se coalisent contre le gentilhomme afin d’introduire Léandre auprès de Climenne. Puis, dans la deuxième partie, correspondant à l’acte IV, à partir de la scène 4, se produit la prise de conscience du Beauceron qui découvre les machinations ourdies par son entourage. Enfin, la dernière partie, autrement dit l’acte V, est consacrée à l’échange de reproches entre Climenne et son cousin, confrontation suivie d’une esquisse de rebondissement, lorsque le noble campagnard va se plaindre auprès de la mère de la jeune femme. La composition de la comédie permet de faire ressortir l’évolution du regard que le spectateur porte sur le héros ridicule. De fait, dans la seconde partie, le rôle d’observateur, commun au public et au gentilhomme, ainsi que la brutalité des révélations qui sont faites à ce dernier, créent une relation d’empathie entre le spectateur et le héros. Or, ce sentiment est complètement absent dans la première partie et considérablement amoindri dans l’acte V par la riposte efficace qu’oppose Climenne aux récriminations de Coutreville et par la lâcheté de celui-ci. D’autre part, le découpage distingue une première partie dominée par l’élaboration des stratagèmes et leur mise en œuvre ; une deuxième partie où, malgré le subterfuge du Beauceron, le jeu est moins présent puisque les intrigants ont cessé leurs mystifications ; et un dernier mouvement où le divertissement est complètement absent. Les répliques des personnages s’allongent, comme le montrent les monologues de l’acte IV et les tirades de l’acte V, ce qui confirme le fait que le discours des personnages s’impose au détriment de leurs actions ludiques à mesure que l’on progresse vers le dénouement. La pièce se dénoue d’ailleurs par le biais d’échanges, entre Climenne et Coutreville d’une part, et entre ce dernier et la mère de Climenne d’autre part.

Les actes I, II, III et V présentent chacun une scène centrale. Dans l’acte I, il s’agit de la scène 4 qui met au jour les deux soucis qui obsèdent le gentilhomme tout au long de la pièce, autrement dit, la galanterie de Climenne, abordée au début de la scène (v. 141-164), et la loterie, évoquée dans un second temps (v. 165-218). Elle marque le début des jeux de rôle puisque c’est dans cette scène qu’est élaboré le premier stratagème. Dans l’acte II, la scène 5 est mise en valeur parce qu’elle emblématise le caractère irréductible de l’antagonisme entre Climenne et Coutreville. C’est la longue scène 5 qui est essentielle dans l’acte III car elle provoque l’éloignement temporaire du Beauceron, étape nécessaire à sa démystification. Enfin, c’est assurément autour de la scène d’affrontement entre Climenne et Coutreville que s’organise l’acte V, puisqu’elle accélère le dénouement, comme le montre le tempo rapide des sept scènes suivantes. Seul l’acte IV ne présente pas de scène susceptible de prévaloir sur les autres. Cela est dû à sa structure qui consiste à répéter une même séquence, constituée d’une scène de révélation suivie d’une scène de commentaire du gentilhomme : la prise de conscience ne se fait pas en une fois ; les révélations sont au contraire distillées pour faire durer le supplice du Beauceron et renforcer le comique de la situation.

La cohérence de l’intrigue §

L’exposition est complète dès la première scène de l’acte I : deux couples, celui des maîtres et celui des valets, mènent les stratagèmes, le gentilhomme de Beauce et la mère de Climenne sont dénoncés en tant qu’obstacles aux amours des maîtres et la loterie est désignée comme un ressort de la ruse. C’est l’altercation entre le Beauceron et le Gascon qui achève de convaincre le gentilhomme de la nécessité de recruter un Suisse ; la première supercherie est alors imaginée à la hâte par Béatrix. L’adhésion rapide du gentilhomme à l’offre de la soubrette est vraisemblable dans la mesure où la présence d’un portier est urgente. Après qu’il a épié Climenne en compagnie de Léandre et que la foule a forcé la porte, Coutreville accorde d’ailleurs un surcroît de valeur à la proposition de Béatrix, ce qui facilite l’engagement du Basque, dans l’acte II. Le tempo s’accélère dans les deux dernières scènes de l’acte, afin de rendre compte du remue-ménage suscité par la loterie et de l’irritation croissante du Beauceron. Pendant l’entracte, Béatrix avise le Basque du rôle qui lui est assigné et l’habille en Suisse ; le spectateur, de son côté, attend avec impatience l’arrivée du valet déguisé ainsi que sa confrontation avec le gentilhomme.

Dans l’acte II, le stratagème élaboré par Béatrix est mis en œuvre, puis c’est au tour de Climenne d’inventer une feinte. À aucun moment le spectateur n’est inquiet pour les amoureux : la réussite de la première ruse et la confiance de Climenne écartent toute tension. La fin de l’acte II ménage un plus grand suspens que celle de l’acte I puisque les intrigants ne dévoilent pas en quoi consiste l’artifice dirigé contre le gentilhomme. L’entracte permet à Léandre de donner à son valet les détails sur le nouveau personnage qu’il doit jouer devant le Beauceron et au Basque de changer de déguisement.

Le second stratagème est mis en scène dans l’acte III et son succès conduit à l’éloignement momentané du Beauceron. Climenne, au courant de la participation du gentilhomme à la loterie d’Oronte (v. 184-185), met à profit cette information dans le tour qu’elle imagine. Le monologue euphorique du gagnant (III, 6) et la scène de réprimandes adressées à Climenne (III, 7) servent la vraisemblance : le départ de Coutreville doit être retardé pour permettre au Basque de reprendre l’apparence du Suisse avant de recevoir les dernières recommandations de son maître. Pendant l’entracte, le Beauceron court chez Oronte et chaque couple s’entretient en tête-à-tête. Malgré la bonne marche des projets menés contre le campagnard et l’insouciance des jeunes gens, le spectateur est préoccupé par le retour du gentilhomme.

L’acte IV correspond à la démystification de Coutreville. Celui-ci n’est de retour qu’à la scène 4 : en effet, comme le souligne Béatrix, Oronte « loge loin d’icy » (v. 1029). Ce sont donc Martin et le Gascon qui occupent la scène au début de l’acte (sc. 1-3). L’entrée du gentilhomme dans la maison échappe à la vigilance du Basque qui, enivré, s’est assoupi ; le Beauceron peut alors librement espionner les intrigants. Dès l’acte I, Léandre a de fait donné à entendre que l’ivrognerie de son valet risquait de compromettre le succès du subterfuge (v. 281). Les confidences inconsidérées et imprudentes de Béatrix dans la scène 5 ne sont justifiées que par le plaisir de se remémorer le bon tour joué au gentilhomme. En effet, sa prudence et sa méfiance, manifestes en particulier dans la scène 1 de l’acte II, rendent peu vraisemblables les monologues qui permettent au gentilhomme de tout apprendre. À la fin de l’acte, la menace du hobereau dupé, « mettons la partie à demain » (v. 1320), crée une tension et un suspens d’autant plus importants que ses desseins vengeurs ne sont pas divulgués. L’entracte, qui correspond à la fin de la nuit, laisse au gentilhomme le temps de réfléchir aux représailles qu’il va exercer contre Climenne.

Au début de l’acte V, l’inquiétude de Béatrix, qui comprend que le gentilhomme est entré dans la maison à l’insu du Suisse, augmente la tension. Celle-ci est maximale à la fin de l’entretien entre le Beauceron et Climenne, puisqu’il s’achève sur les menaces du gentilhomme, résolu à tout raconter à la mère de la jeune femme. La situation paraît sans issue d’autant plus que Léandre, irrité par la résignation de son amante, fait ses adieux à Climenne. Ce sont les revirements, peu vraisemblables, de la mère et du Beauceron, tous deux à l’origine du malheur des amants, qui lui apportent un dénouement inespéré. La volte-face de la mère est toutefois préparée par Béatrix, qui atténue son intransigeance en affirmant que le gentilhomme « fait dans la maison le maistre bien plus qu’elle » (v. 16), et par le Beauceron, dont les révélations sur ses anciennes frasques laissent escompter une certaine indulgence de sa part concernant les amours de sa fille.

Le traitement des unités §

L’unité de lieu est respectée dans la mesure où tout au long de la pièce, l’action se déroule à Paris, dans une salle chez Climenne.

En revanche, Montfleury déroge en partie à la règle de l’unité de temps. Lorsque l’action commence, la journée est entamée, puis à l’acte IV, la nuit est tombée, comme le constate le gentilhomme : « Il est nuit & je veux me cacher & me taire » (v. 1130). L’acte V a donc lieu le lendemain. En effet, à la fin de l’acte IV, le Beauceron fait allusion à la vengeance qu’il mettra en œuvre dans le dernier acte et décide de la remettre « à demain » (v. 1320) et au début de l’acte V, lorsque le Basque se remémore les événements de la fin de l’acte précédent, il se réfère à « hier » (v. 1331 et 1337). Enfin, lors du dénouement, la journée n’est pas achevée puisque Climenne envisage de tirer la loterie « le reste du jour » (v. 1659). L’action dure bien vingt-quatre heures mais l’unité de temps n’en est pas moins gauchie car une nuit n’est acceptable que si l’action s’y poursuit et non si toute la maisonnée dort, comme c’est le cas entre la fin de l’acte IV et le début de l’acte V dans Le Gentilhomme de Beauce.

L’action principale consiste à introduire Léandre auprès de Climenne et non à conclure leur hymen : en effet, rien n’est tenté pour fléchir la mère, dont la « dispense » est pourtant indispensable au mariage de la jeune femme. Le dénouement, c’est-à-dire l’annonce de l’union entre Climenne et Léandre, dépasse donc les intentions des personnages car il ne résulte pas des ruses imaginées par les Parisiens mais des « soins de l’amour » (v. 44), autrement dit, du revirement de la mère de Climenne au sujet du mariage de sa fille et du renoncement du gentilhomme à sa cousine. Comme les stratagèmes visent à surmonter ponctuellement les obstacles empêchant les amants de se voir et à se jouer du gentilhomme, sans pour autant être motivés par la perspective d’un mariage, l’intrigue paraît lâche et le dénouement n’est pas préparé. De surcroît, certains épisodes ne se rattachent pas à l’action principale. C’est le cas notamment des scènes où apparaît le Gascon (I, 2 ; IV, 1 et 2), qui ne sont que des prétextes à la satire des amateurs de loteries.

La présence des personnages §

Tantôt le Beauceron est au premier plan et dialogue avec les autres personnages, tantôt il est en retrait et se dissimule pour espionner les protagonistes en scène, mais c’est lui qui apparaît le plus fréquemment dans la pièce. Il figure dans trente-quatre scènes sur cinquante-quatre et dans les trois scènes les plus longues (II, 5 ; III, 5 ; V, 5). Son encombrante présence est emblématique de son comportement pesant et coercitif.

Climenne est très présente dans les actes I et V qui concernent précisément l’enjeu de ses amours. À partir de la scène 5 de l’acte II, elle apparaît moins puisque l’action est centrée sur les supercheries et qu’elle n’y joue pas un rôle capital. Sa liberté de mouvement est, en outre, restreinte à cause de la stricte surveillance que le gentilhomme exerce sur elle. Néanmoins, dans la scène 7 de l’acte III, échappant un court instant à sa vigilance, elle quitte son appartement, et dans la dernière scène de l’acte II, bien qu’absente sur scène, elle parvient à se faire entendre par le truchement d’un billet qu’elle confie à sa suivante.

Léandre ne participe pas à plus de deux scènes par acte (sauf dans l’acte V, mais la troisième scène dans laquelle il figure est courte) et il intervient généralement en fin d’acte. Sa faible présence sur scène prouve qu’à la différence de l’amoureux traditionnel entreprenant, il reste en retrait par rapport à l’action.

Béatrix est très présente tout au long de la pièce, notamment dans les actes I et II où elle apparaît respectivement dans huit scènes sur dix et dans cinq scènes sur huit : c’est effectivement dans ces deux actes qu’elle orchestre le stratagème consistant à introduire le Basque comme Suisse auprès du gentilhomme. Même lorsqu’elle est absente, elle suit le bon déroulement des opérations : dans l’acte IV, elle fait sentinelle pendant « une heure » (v. 1020) pour s’assurer du départ du gentilhomme et dans l’acte V, pas une bribe de la conversation entre Climenne et son cousin ne lui échappe (v. 1576).

Le Basque intervient comme valet de Léandre (II, 1 et 7 ; IV, 10 ; V, 1 et 2), dans le rôle du Suisse (II, 3 et 4 ; III, 10 ; V, 3) et dans celui de l’abbé la Roche (III, 5). Son entrée au début de l’acte II est d’autant plus attendue qu’il est absent de l’acte I. Ce suspens, ménagé à la fin du premier acte, est relayé de façon comique par la surprise que crée son déguisement grotesque. Le fait qu’il soit essentiellement présent dans les actes II et III montre que c’est sur lui que reposent les stratagèmes.

Le Gascon n’est présent que dans les scènes 2 et 3 de l’acte I et dans les scènes 1 et 2 de l’acte IV. De fait, il ne participe pas à l’action si ce n’est en attisant la colère et la jalousie du gentilhomme par les propos galants qu’il adresse à Climenne. Il est d’ailleurs oublié dans le dénouement : pourra-t-il rembourser ses dettes ? Nous n’en savons rien.

Martin n’apparaît que dans les scènes 2 et 3 de l’acte IV : il s’agit de confronter l’homme sensé et le Gascon, personnage le plus déraisonnable de la pièce.

Les liaisons des scènes §

L’enchaînement vif des scènes permet le maintien d’un tempo rapide, notamment après les pauses dans l’action que constituent les longues scènes centrales des actes I, II, III et V. Les nombreuses entrées de personnages dans l’acte I (arrivées du Gascon, de Léandre et de Champagne) mettent en évidence l’agitation qui règne chez Climenne. Elles sont généralement justifiées par les liaisons de vue. Toutefois, c’est le recours à la liaison par le bruit qui est la plus intéressante car elle accroît l’impression de confusion : « J’entens quelqu’un qui crie » (v. 59), déclare Béatrix, annonçant ainsi la venue du Gascon et, avant que Champagne n’accoure, apeuré, Coutreville ordonne à sa cousine : « Rentrez, j’entens du bruit » (v. 353). La spontanéité des entrées et des sorties est manifeste dans la première scène de l’acte II : Béatrix s’apprête à conduire le Basque « là haut » (v. 386) pour le présenter au gentilhomme, mais tous deux demeurent finalement sur scène car elle ajoute : « Il vient » (v. 387). L’arrivée inopinée du Beauceron, qui est dans l’impatience de voir le Suisse, montre que le dramaturge recherche la surprise et la variation dans l’enchaînement des scènes.

Les personnages §

Les personnages du Gentilhomme de Beauce correspondent aux types de la comédie d’intrigue. On distingue les jeunes gens, Climenne et Léandre ; les serviteurs complices, Béatrix et le Basque ; les opposants, la mère de Climenne et le Beauceron qui, bien qu’il ait tous les traits du tuteur, vieux, bourru, avare et apôtre des bonnes mœurs, convoite sa pupille et tente de s’introduire dans le groupe des amants galants. La présence du Gascon et de Martin est déterminée par l’organisation de la loterie et non par l’intrigue, ils sont introduits essentiellement pour amuser le spectateur.

Les amoureux §

Climenne §

Climenne correspond au type de la jeune femme hardie et entreprenante. Son amoureux paraît bien fade à côté d’elle, amante décidée et rusée. De fait, c’est Climenne qui a l’initiative d’organiser une loterie afin de rencontrer Léandre et qui élabore un artifice pour éloigner son cousin. Elle tente à plusieurs reprises de tenir tête à son censeur : elle lui répond avec une ironie audacieuse, lui coupe la parole ou encore conteste ses théories, mais c’est assurément au cours de la confrontation de l’acte V qu’elle le défie avec le plus d’aplomb. Elle n’a pas la naïveté qui caractérise certaines jeunes filles de comédie : en particulier, elle n’est dupe à aucun moment de l’orgueil de son cousin qui surestime sa fortune. Climenne est en effet reconnue comme une femme d’esprit (v. 574) et son entourage a « bonne opinion » (v. 534) d’elle. Elle fait confiance au sort, aussi manifeste-t-elle une assurance qui contraste avec l’inquiétude de son amant. Sa détermination se révèle en toute occasion, par conséquent, le fait qu’elle se résolve dans le dernier acte à obéir à sa mère et au gentilhomme est surprenant. Elle adopte alors le discours de Léandre et déplore son « malheur » (v. 1577) alors même que son amant affirme davantage sa volonté. La soumission de Climenne aux contraintes sociales rend cependant le personnage plus conforme à la réalité de l’époque.

Léandre §

Léandre est l’amant de Climenne. Sa description ne permet pas d’aller au-delà du type de l’amoureux. Qualifié d’« idole blondine » (v. 1566) par le Beauceron, il a l’allure du galant à la mode. Il exprime sa passion par un langage mêlant la plainte et les déclarations lyriques, et craint en permanence que ses souhaits sentimentaux ne soient pas réalisés. Excepté dans la scène 11 de l’acte V qui donne à voir un Beauceron apaisé, il n’affronte pas le gentilhomme. Il lui cède docilement la place dans la scène 7 de l’acte I, laissant Climenne seule face à son cousin, et dans la scène 7 de l’acte IV, s’il adopte la rhétorique vindicative de l’amant jaloux et intempestif, cela ne donne pas lieu à un duel sanglant contre son rival. Il est en retrait par rapport aux autres personnages et son intervention dans l’action est insignifiante. En effet, il désire voir Climenne mais ne prend pas part aux tours destinés à tromper la vigilance du gentilhomme. Dans la dernière scène de l’acte II, lorsqu’il déclare avec fermeté : « Beatrix, dis luy bien que je vay de ce pas ; / En suivant cet advis éloigner le fantasque » (v. 720-721), il semble prendre en charge la réalisation du piège imaginé par Climenne pour éloigner son cousin, mais la suite, « il me faut icy quelqu’un », laisse entendre qu’il n’a pas l’intention d’être l’acteur de cette nouvelle farce. Il se contente d’« instruir[e] » (v. 729) le Basque « suivant [l’]advis » de Climenne (v. 721). Toutefois, dans le dernier acte, son sursaut d’indignation face à l’attitude résignée de son amante nuance la passivité du personnage, qui présente alors un regain d’intérêt.

Les serviteurs §

Béatrix §

Servante et confidente de Climenne, Béatrix soutient sa maîtresse dans ses amours interdites. Climenne lui dévoile son amour, ses ruses pour voir Léandre et c’est à sa suivante qu’elle s’en remet lorsque la situation paraît désespérée (V, 7). Intermédiaire entre les amoureux, Béatrix recommande au gentilhomme un Suisse de son choix afin que les amants puissent se rencontrer (I, 4), règle leurs entrevues et donne espoir au soupirant transi en lui transmettant le billet de son amante (II, sc. dernière).

Conformément au type de la servante qui fait preuve d’esprit et de lucidité, elle sait mener à bien une intrigue amoureuse grâce à des initiatives hardies. Elle est rapidement à disposition pour jouer un tour : ainsi, dès que le gentilhomme propose d’engager un Suisse, elle intervient, et fait astucieusement le portrait d’un Suisse brutal et querelleur, susceptible de plaire au Beauceron (I, 4). Cette scène désigne Béatrix comme un personnage clé de l’intrigue puisque c’est elle qui relaie Climenne, prise au dépourvu par la décision du Beauceron, et qui s’impose jusqu’à la fin de l’échange. Elle a toujours un mensonge en poche, aussi invente-t-elle au Suisse une femme moribonde afin de justifier son absence au début de l’acte III. Dans la scène 1 de l’acte II, la redondance des didascalies qui la montrent occupée à vérifier qu’elle est bien seule avec le Basque met l’accent sur sa prudence. Son ingéniosité et son assurance en font la doublure ancillaire de Climenne, ce qu’emblématise leur communauté d’intérêt, illustrée par le parallélisme de la réplique de Béatrix, « Si j’en veux au valet vous en voulez au Maistre » (v. 240).

D’autre part, Béatrix possède le bon sens et le franc parler des soubrettes. L’écho entre la réplique du Beauceron, « De peur d’être berné je n’ose m’en vanter » (v. 1123) et celle de Béatrix, « Il est trop glorieux pour venir s’en vanter » (v. 1172), souligné par la reprise du terme « vanter », montre qu’elle perçoit avec acuité le tempérament du gentilhomme. Elle décèle son caractère tranché quand elle encourage sa maîtresse à dire son fait à Coutreville (v. 1590). Ce naturel franc et direct n’exclut pas une certaine coquetterie qu’elle manifeste en présence de son amant. Elle s’amuse à le faire languir, fait des « façons » (v. 383) et se montre parfois moqueuse : dans la scène 7 de l’acte II, elle feint d’entendre un bruit pour faire diversion et couper court aux lestes insinuations du Basque (v. 685). Le contraste entre ses reparties railleuses et le discours passionné de son amant participe du comique du personnage.

Le Basque §

Valet de Léandre et amant de Béatrix, le Basque est la pierre angulaire de la stratégie élaborée contre le gentilhomme. Sa physionomie prête à rire, d’autant plus qu’il est affublé à deux reprises de costumes ridicules. Son allure frêle contraste de façon comique avec la corpulence des portiers suisses, « grand[s] » et « gras » (v. 394). Il emprunte au type du valet à l’italienne le caractère ingénieux et menteur, comme l’atteste son habileté à jongler avec les différentes métamorphoses. D’autre part, il se rapproche à certains égards du gracioso. Malgré son audace lorsqu’il joue la comédie, il se montre parfois couard, comme l’atteste le ton servile qu’il adopte face au Beauceron dont il craint la colère (V, 3). Il est cupide : tout en affectant les dehors de l’abbé désintéressé, il parvient à soutirer vingt louis au Beauceron, don qu’il anticipe avec finesse, lorsqu’il joue le Suisse, en faisant allusion à « un grand pistole » (v. 427) offert par son précédent maître. Il est porté à l’ivrognerie et se montre volontiers entreprenant avec la servante de Climenne : en sa présence, la conversation du valet se transforme systématiquement en discours amoureux, ce qui est manifeste dans la scène 7 de l’acte IV où l’adversatif « mais » (v. 679) marque le brusque changement de ton du Basque. Sa mauvaise foi, patente lorsqu’il refuse d’admettre qu’il a laissé entrer le gentilhomme, contribue au comique du personnage (V, 1). Enfin, nous verrons que Montfleury complexifie la figure du joyeux drille, cantonné dans le comique farcesque, en lui prêtant à plusieurs reprises des propos ingénieux.

Les opposants §

M. de Coutreville §

C’est le personnage le plus comique de la pièce. Comme son autoportrait le laisse entendre, il n’a pas l’apparence galante de l’amoureux (III, 7). De plus, son allure pataude et son excentricité vestimentaire n’incitent pas Climenne à le compter parmi ses galants. Lui-même s’avoue « chagrin » (v. 954) et Béatrix accole d’emblée à son nom, l’adjectif « bouru » (v. 4, 700 et 1268), qui fonctionne comme une épithète de nature pour qualifier les personnages déplaisants des comédies de Montfleury49. Comme le type du vieillard décrit par La Mesnardière, c’est un « censeur rigoureux et injuste des plaisirs des jeunes gens50 ». Le gentilhomme sermonne sans cesse sa fiancée. Il dénonce notamment l’indécence de sa tenue par des formules telles que « ce sein plus découvert » (v. 894) et « ce bras qu’un gant trop court laisse voir à demy » (v. 895). Son irritation est comparable à celle de l’abbé Boileau qui, en 1675, fulminait contre les « nudités de gorge51 », siège du diable. Ainsi, Coutreville fait preuve de la même rigueur moralisatrice qu’un homme d’Église ; d’ailleurs, lorsqu’il accuse Béatrix d’encourager Climenne à la galanterie, il utilise la métaphore biblique du « serpent », symbole de la tentation (v. 1181). Quand ce n’est pas contre sa cousine, il jure contre le Gascon, Champagne ou le monde entier devenu « fou » (v. 169). La scène 7 de l’acte I s’ouvre et se clôt sur deux imprécations, « peste quelle novice » (v. 299) et « La peste quel compere » (v. 320), lancées respectivement contre Climenne et contre Léandre. L’effet de circularité induit par cette répétition illustre l’enfermement du gentilhomme dans une attitude de méfiance envers son entourage.

Son naturel jaloux contribue à le rendre soupçonneux et le rapproche de Bernadille qui, convaincu de l’adultère de sa femme, l’abandonne sur une île déserte (La Femme juge et partie). Tous deux utilisent les mêmes termes pour désigner leur rival. Aussi peut-on comparer les expressions du Beauceron, « Le drôle est familier » (v. 82) ainsi que « le blondin » (v. 340), et cette réplique de Bernadille :

Oui, ce blondin charmant
Me semble familier plus que passablement.
Le drôle sans façon s’introduit chez Constance52 ;

Le même verbe, « obseder », est utilisé par Climenne et Béatrix (v. 39 et 702), lorsqu’elles évoquent la surveillance exercée par Coutreville sur la jeune femme, et par le Gascon, quand il se réfère aux créanciers qui le poursuivent (v. 1069). La reprise du terme suggère que le gentilhomme harcèle sa cousine avec une opiniâtreté comparable à celle des créanciers qui réclament leur dû, parallèle qui montre que tout chez lui est excessif. Lorsque Champagne annonce que la porte a été forcée (I, 9), le gentilhomme réagit comme si une attaque avait lieu, et l’injonction « Deffendez-en l’entrée » (v. 363) fait de l’appartement de Climenne une forteresse à protéger. Son langage aussi est excessif, comme l’atteste la violence avec laquelle il exprime sa colère : « Quel sabat, quel fracas ! ah je suis hors de moy » (v. 748) ; sa véhémence est accentuée par l’assonance en [a] et l’expressivité du vers. De même, il n’hésite pas à qualifier de « renegats » (v. 480) les Suisses qui, en France, n’observent plus les coutumes vestimentaires de leur pays.

Coutreville fait preuve d’un autoritarisme qui se traduit par le recours fréquent à la modalité jussive, l’annonce de décisions sans appel et un ton inquisiteur. Il interrompt de façon impérieuse ses interlocuteurs, qu’il s’agisse du Gascon (v. 105, 124) ou de Climenne (v. 164). Il veut tout régenter (v. 15-18) et présume que son amour « grondeur53 » viendra à bout des vices de Climenne. Le même espoir anime Alceste qui déclare à propos de Célimène : « sans doute ma flamme / De ces vices du temps pourra purger son âme54 ». Le caractère intransigeant du Beauceron donne lieu à des discussions animées avec les autres protagonistes. Ces échanges conflictuels permettent à Montfleury d’exercer son habileté à enchaîner avec vivacité les reparties. Le désaccord entre Climenne et Coutreville à propos du tirage de la loterie, est ainsi rendu par l’enchaînement rapide des répliques et les parallélismes syntaxiques (v. 517-518 et 529-530). De même, lors de leur confrontation à l’acte III, le recours à la stichomythie met en valeur la tension entre les deux personnages (v. 937-940). Catégorique et sentencieux, Coutreville correspond au type du fat qui se pique de tout savoir : le langage du Suisse donne de la tablature à tous ses interlocuteurs, excepté au Beauceron, qui « enten[d] toute sorte de langue » (v. 420). Il prétend avoir réponse à tout :

Ah ! si sur le public j’avois quelque puissance,
Qui m’en fit ménager le bien, ou l’interest,
Le peuple deviendroit plus ménager qu’il n’est55,

Dans ce passage, il se présente comme le sauveur d’une société allant à la dérive : la répétition de « ménager » souligne l’efficacité du gentilhomme, puisque son intervention (« ménager » le bien du peuple) est immédiatement suivie du résultat escompté (le peuple devient plus « ménager »). Son sentiment de supériorité se traduit par le dédain qu’il affiche envers Léandre, dont il signale l’indigence en affirmant qu’il n’a que les « feux » de Climenne « pour resource » (v. 1485). La bonne opinion qu’il a de lui paraît à travers des expressions d’autosatisfaction telles que « Cette acquisition est fort bonne » (v. 495) et « je m’en sçais bon gré, bien loin que je m’en blâme » (v. 187), allusions à la décision judicieuse qu’il vient de prendre en engageant le Suisse et à sa participation à la loterie d’Oronte.

Enfin, son caractère lourdaud est mis en évidence par une franchise parfois déroutante, notamment dans son autoportrait (III, 7) où il avoue sans scrupule son égoïsme. Cette tirade révèle d’autre part sa conception triviale du mariage. Lorsqu’il confesse à Climenne « je vous ayme, / Trop & trop peu » (v. 945-946), la surprise créée par le rejet signale le caractère atypique de la déclaration d’amour, d’autant plus que le lexique relatif au négoce, « moitié » (v. 948 et 950), « achette » (v. 949) et « prette » (v. 950), domine dans les vers suivants. Il souhaite en effet pouvoir compter Climenne, au même titre que ses dindons, dans son patrimoine. En revanche, il réserve le terme « bon-heur » (v. 867) à la joie que lui procure le gain des trois cent louis alors que le mot, récurrent dans le discours de Léandre, appartient à la rhétorique de l’amant évoquant la femme aimée. Le Beauceron envisage le mariage comme une prise de possession, c’est ce que souligne la métaphore guerrière, filée dans les vers 128-130 à travers les termes « citadelle », « briser » et « garnison ». Sa volte-face, à l’acte V, suggère qu’il ne ressent pas pour Climenne la passion d’un amant. Il ne possède pas non plus son héroïsme. De fait, il n’affronte à aucun moment le peuple « mutin » (v. 369) mais préfère le calmer en envoyant Martin (v. 370) ; et, dans le dernier acte, il ne se venge des tromperies dont il a été victime que sur Climenne et lorsque, dans le dialogue de la scène 5, celle-ci prend l’avantage, il la menace lâchement d’informer sa mère au sujet de son amour pour Léandre.

La mère de Climenne §

La mère de Climenne n’apparaît pas mais c’est elle qui, contre toute attente, permet le mariage de sa fille et de Léandre. Elle incarne l’autorité et l’avarice parentales. « Absoluë » (v. 1617), elle impose à sa fille le gendre qui lui agrée, sacrifiant le bonheur de Climenne à des considérations d’intérêt (v. 10-11). Le personnage devient comique lorsque le Beauceron évoque ses mœurs légères, peu compatibles avec la morale rigoureuse et austère des mères de comédie.

Les acteurs de la loterie §

Le Gascon §

C’est un personnage qui est introduit avant tout pour faire rire le spectateur par sa folie et ses excès. Il incarne les deux ennemis du gentilhomme, le galant et le joueur. Son humeur gasconne le pousse à la vantardise. L’exubérance de son comportement est illustrée par son entrée bruyante dans la scène 2 de l’acte II, par son volume de parole, plus important que celui de ses interlocuteurs, sauf lorsqu’il est confronté au gentilhomme et par sa gestuelle démonstrative, dont témoigne la réitération de la didascalie « l’embrassant » dans la scène 3 de l’acte I. L’attitude galante qu’il adopte avec Climenne et qui est mise en évidence par les fleurettes qu’il lui adresse ressortit aussi à son caractère fanfaron. Son penchant pour les femmes, tout comme son goût du jeu, participent de sa frivolité.

Martin §

Martin prend en charge l’organisation de la loterie (la vente des billets, l’attribution des boîtes aux participants et le tirage). Précepteur, il représente le type de l’érudit au langage savant. Il n’échappe pas au cliché de l’homme d’esprit couard : l’agitation populaire l’impressionne (v. 1055-1058), les menaces du Gascon l’effraient (v. 1101) et la crainte d’une confrontation avec un joueur du même acabit le porte à se réfugier dans sa chambre (II, 3). À l’instar de Climenne, il souhaite que l’on procède loyalement au tirage de la loterie ; aussi s’offense-t-il du doute émis par le Gascon à propos de l’honnêteté des organisateurs du jeu (v. 1083). Il est, d’autre part, scandalisé par l’inconscience du Gascon qui imagine payer ses dettes grâce aux lots. Après que le joueur lui a exposé son projet, la modalité interrogative domine dans ses répliques, ce qui montre à quel point sa raison est ébranlée par les élucubrations du Gascon (v. 1074-1078).

Le comique §

L’injonction de Climenne à Léandre, dès l’acte I, « loin de s’en fascher il faut que l’on en rie » (v. 311), relayée dans l’acte V par « Loin de s’en allarmer il faut s’en divertir » (v. 1220), a une valeur programmatique puisque l’intrigue consiste en effet à contrevenir de façon ludique aux mesures coercitives de Coutreville. Elle est aussitôt suivie par Béatrix et Climenne qui ne peuvent contenir leur rire devant le Basque déguisé en Suisse (v. 422 et didascalie : p. 29). Par le biais de ces personnages hilares, Montfleury désigne explicitement son propos : amuser le public.

Les ressorts du comique §

Le comique de situation §

Montfleury emprunte les scènes comiques traditionnelles de la comédie d’intrigue. Il utilise, à deux reprises, le topos de l’amant caché qui observe son rival en train de courtiser celle qui lui est destinée. Dans l’acte I, le gentilhomme surprend en effet Climenne en compagnie du Gascon puis de Léandre. Ces deux scènes d’espionnage donnent sans doute lieu à une gestuelle comique du Beauceron, dont on imagine la posture inconfortable et la moue désapprobatrice. Un des ressorts essentiels de la comédie d’intrigue est la surprise ; l’auteur l’exploite par le renversement de situation. À la fin de l’acte III, le gentilhomme se laisse griser par la pensée de posséder son lot, et sûr de lui, s’adresse au Suisse et à Climenne sur un ton péremptoire ; mais son euphorie cède bientôt la place à la désillusion, lorsqu’il découvre qu’il a été berné. L’effet de surprise provoqué par la volte-face de la mère de Climenne, à la fin de l’acte V, participe aussi du comique de la pièce, puisque le Beauceron, assuré d’obtenir le soutien de cette dernière, est finalement contraint de se ranger à son avis et de favoriser les desseins amoureux de Léandre et de sa cousine. Ce comique est renforcé par son obstination à vouloir retourner la situation à son avantage ; ainsi affirme-t-il : « en voulant me nuire ils m’ont rendu service » (v. 1258). Les scènes représentant le Beauceron caché, à l’affût de la moindre révélation, sont également des topoï de la comédie d’intrigue (IV, sc. 5-10). Le fait qu’un personnage entende les propos désobligeants que son entourage tient sur lui produit un effet comique, d’autant plus que le gentilhomme ne s’attend pas à une découverte de cette ampleur. Enfin, la méprise sur l’identité d’un personnage est topique dans la comédie d’intrigue. Le Beauceron est deux fois de suite trompé par le Basque, qui se fait passer pour un Suisse puis pour un abbé. Son aveuglement est indéniable lorsqu’il déclare à la Roche : « Dans vostre cœur je sçay ce qui se passe » (v. 862).

Le comique farcesque §

Le thème du cocuage, très présent dans le discours du gentilhomme et emblématisé par le motif des cornes du mari trompé (v. 347-350 et 1311), est le sujet de prédilection de la farce. Montfleury n’hésite pas à évoquer le bas corporel dans le récit du Suisse qui reçoit un coup de pied dans le « cu » (v. 415), et à glisser dans ses vers quelques allusions grivoises. Le terme « fonds », récurrent dans la pièce, présente un sens obscène mis en évidence par le gentilhomme : il qualifie effectivement de « familier » (v. 82) le Gascon, lorsque celui-ci demande à Climenne : « Vostre fons est-il grand ? » (v. 82). Bien que ce soit dans ce vers que la signification licencieuse du mot semble la plus obvie, elle apparaît néanmoins dans chaque occurrence. Le Suisse, à son tour, se montre leste lorsqu’il fait allusion aux plaisirs de l’adultère, à travers l’expression « le ptit rechouissance » (v. 452).

D’autre part, la gestuelle farcesque fait partie intégrante de la dimension comique du Gentilhomme de Beauce. Les embrassades du Gascon (I, 3), enthousiastes et étouffantes, et les révérences renouvelées de la Roche, mouvements amples et cérémonieux (III, 5), ressortissent à la farce. Elles sont d’autant plus comiques qu’elles se heurtent à l’hostilité de Coutreville. Oppressé, celui-ci demeure sans doute immobile dans la première situation et se contente probablement, dans la seconde, de petites révérences rapides. Le contraste entre les deux attitudes renforce le caractère ostentatoire des gestuelles du joueur et de l’abbé. Le déguisement est également un ressort du comique propre à la farce. L’extravagance du costume du Suisse est d’ailleurs soulignée par les rires des personnages eux-mêmes. Montfleury emprunte à la farce un autre procédé comique : les coups de bâton. Le récit de l’altercation entre le Suisse et le rival amoureux de son ancien maître constitue une véritable scène de farce : les deux adversaires s’échangent des coups « di pié » (v. 415) et « ditrifiere » (v. 416) avant que l’un ne mette fin au combat en cassant le « musiau » (v. 418) de l’autre. La drôlerie de ce duel confinant au guignol est renforcée par le terme « Harangue » (v. 419) qui qualifie sur le mode héroï-comique la narration du Suisse. Les coups de bâton sont de nouveau convoqués lorsque le Gascon défie le Suisse (v. 1046). Le soufflet que le gentilhomme donne au Suisse (V, 3) est une variante des coups de bâton : il permet de diminuer la tension au moment où le succès des subterfuges est menacé. L’étonnement du Suisse souffleté redouble la dimension comique de la scène : une telle « recompense » (v. 1370) a de quoi le décontenancer, lui qui avait reçu de son ancien maître une toute autre « riconpans », une pistole (v. 427). Le motif du soufflet réapparaît dans un jeu comique de question-réponse entre Léandre et son valet :

LEANDRE

Par qui l’as tu donc sceu ?

LE BASQUE

Par un fort grand soufflet Monsieur que j’ai receu56,

Enfin, l’ivrogne fait partie du personnel farcesque. La démarche titubante du Basque aviné (didascalie : p. 75) ainsi que sa chute (didascalie : p. 78) ressortissent à la gestuelle bouffonne de la farce. D’autre part, Montfleury reprend les caractéristiques comiques du discours de l’ivrogne qui se délecte de son état : les répétitions, « J’ay bû neuf ou dix coups qui m’ont fait bien du bien » (v. 1272) et « Qui m’ont mort-bleu qui m’ont fait dormir » (v. 1278) ; l’éloge du vin, « admirable sirot » (v. 1275) qui fait « dormir à merveilles » (v. 1278) et l’évocation de la bouteille en termes amoureux.

La répétition §

Montfleury tire parti du comique associé à la répétition, que ce soit par la reprise d’une situation amusante, d’une gestuelle, d’une attitude ou d’un mot. À l’acte IV , la récurrence de la formule finale des monologues du gentilhomme, « Quelqu’un vient écoutons57 », montre que l’auteur fait subir à son personnage plusieurs déconvenues successives, dont le caractère répétitif accroît le comique de la démystification. Montfleury joue sur la reprise du motif de l’embrassade. Dans la scène 3 de l’acte I, le gentilhomme, étouffé par l’accolade du Gascon, doit « prendre haleine » (v. 96). Or ce jeu est inversé dans la scène 5 de l’acte III où la Roche craint de se faire écraser les côtes en recevant l’embrassade du vigoureux Beauceron (v. 846). Coutreville est essentiellement comique parce qu’il tient un discours tissu d’idées fixes et qu’il répète inlassablement les mêmes attitudes, révélatrices de ses deux vices incurables, l’avarice et la jalousie. Il suspecte constamment une tromperie de la part de Climenne. Tout au long de l’acte I, il garde en effet une attitude soupçonneuse envers le Gascon, comme l’attestent les trois reparties suivantes : « C’est un galand qui cherche à faire connoissance » (v. 100), « Et par l’autre escalier qu’on le face descendre » (v. 140) et « Il cherche à s’introduire ou j’en ay mal jugé » (v. 233). L’obsession est tenace car lors du dénouement, Coutreville, toujours persuadé que Climenne trompera son amant, quel qu’il soit, met en garde Léandre, « bien fin » (v. 1639) s’il évite cet écueil. Cependant, il n’est pas le seul à tenir « un peu beaucoup à [s]on opinion » (v. 952). Au début de l’acte V, l’entêtement comique du Basque qui nie avoir laissé entrer le gentilhomme, désamorce la tension créée par l’annonce de la vengeance de ce dernier. Sa mauvaise foi le conduit à répéter des propos absurdes, tels que « Tu l’as veu si tu veux ; mais il n’est pas ceans » (v. 1336) et l’anaphore de « que » (v. 1340-1346) montre qu’il se perd dans ses arguties.

Les langages ridicules §

Autant que par les traits psychologiques de ses personnages, Montfleury entend nous amuser par leur façon de parler. Excepté Climenne et Béatrix, dont les discours ne présentent pas de véritable spécificité, tous les protagonistes du Gentilhomme de Beauce sont moqués à travers leurs langages. Montfleury met en scène les parlures de ses personnages par le biais de leurs propres interventions mais aussi des parodies qu’en font leurs interlocuteurs.

Le parler suisse §

Le personnage du Suisse permet de railler le parler rustique et parfois inintelligible que l’on attribuait aux Suisses. Béatrix affirme en effet qu’« On n’entend presque rien de tout ce qu’il veut dire » (v. 223). Le rapprochement à la rime de « dire » (v. 223) et de « rire » (v. 224) souligne la dimension comique des répliques du Suisse. Les sonorités sifflantes et chuintantes de son langage, ses déformations phonétiques, telles que « Piatille » (v. 403) pour « Béatrix », et ses incorrections syntaxiques, au même titre que son habillement et que ses manières, participent du comique du personnage. La lourdeur de l’expression du Suisse est rendue par les redondances, « ly maison dy lochis » (v. 410), la récurrence du démonstratif « sty58 » et des formules de jurement, « mon foy » (v. 406 et 454) et « party59 », ainsi que par sa manière gauche de rapporter le dialogue, avec les incises « dir luy » (v. 413), « tiche » (v. 417) et l’accumulation des pronoms personnels, « moy », « chil », « chy ». Le récit de son altercation avec le « grand petit Monser » (v. 412), qui dénote son intempérance verbale, est d’autant plus comique qu’il est qualifié par Béatrix de « Harangue » (v. 419), terme qui désigne un discours solennel et construit. Dans La Satire des satires, Boursault prête à la Uvaltoline, Suisse d’Émilie, un récit de lutte analogue :

Pardy
Un Laquais par deux fois dit que j’avre menty :
Par mon foy, moy d’abord que luy tourne son teste,
Je tiens mon Halebarde en mon main toute preste,
Et quand il ne void rien, pardy tout à l’instant
J’en donne un coup bien fort dessus son dos qu’il tend.
Mais le Laquais, mon foy, qui n’est gueres Pagnote,
Me prend mon Halebarde, et pardy m’en tapote ;
De son Main, qu’il fait Poing, me casse tous les dens.
Mon foy, la Maison s’ouvre, et j’ay sorty dedans :
J’aime encor plus que mieux qu’il déchire mon Manche60.

La déformation phonétique n’est pas systématique comme chez le Suisse de Montfleury, mais on retrouve une syntaxe incorrecte et l’accumulation de « pardy » et de « mon foy ». Dans Monsieur de Pourceaugnac, Molière parodie également le parler suisse en faisant intervenir des Suisses qui se réjouissent à l’idée de voir Pourceaugnac pendu:

Allons, dépêchons, camarade, ly faut allair tous deux à la Crève pour regarter un peu chousticier sti Monsiu de Porcegnac, qui l’a esté contané par ortonnance à l’estre pendu par son cou61.

Cette déformation langagière est comparable à celle qui caractérise les répliques du Suisse chez Montfleury. Dans Le Gentilhomme de Beauce, la langue des provinciaux ne présente pas de telles altérations. En revanche, elle est associée à la familiarité : l’abondance des jurons et des interjections insultantes, caractérise les parlers du Beauceron, du Gascon et du Basque. Seul le Suisse malmène le français, mais les langages des autres personnages, quoique phonétiquement et grammaticalement corrects, ne sont pas exempts de tout sarcasme.

Le langage campagnard §

Ce qui est risible chez le gentilhomme ne réside ni dans la prononciation, ni dans l’utilisation d’un idiolecte beauceron, mais dans les références systématiques aux réalités triviales du monde rural. Il réprimande ainsi Climenne sur son attitude :

Venez-vous voir quittant vostre chambre si viste,
Si vous ne pourrez-point trouver un liévre au giste62

Ici, c’est la chasse qui est convoquée, l’activité cynégétique faisant généralement partie des passe-temps favoris du provincial. Dans le discours du Beauceron, la métaphore, quoique lexicalisée, n’oblitère pas le référent concret auquel elle renvoie. Ainsi, « trouver un lièvre au gîte » (v. 886), « tenir au moulin le chapitre » (v. 758) et « tirer sa poudre aux moineaux » (v. 892), outre leur sens figuré, évoquent le chasseur, le moulin et les oiseaux, composants essentiels des images d’Épinal sur la campagne. Parfois, c’est le gentilhomme lui-même qui fait apparaître la réalité rustique qui sous-tend la métaphore employée, comme le montre le reproche suivant adressé à la Roche :

Beauceron trop poly, parce que vous sçavez
Faire vingt pieds de veau, de deux que vous avez,
Voulez-vous m’insulter63 ?

La métaphore animale désignant la révérence est remotivée par le rapprochement entre le « pied de veau » et la jambe de l’abbé. Ces images relatives à la vie campagnarde tranchent avec le contexte de la vie parisienne. Elles sont d’autant plus comiques qu’elles se veulent spirituelles. Parfois, leur trivialité les rend licencieuses et outrageantes. Lorsque Coutreville déplore que sa cousine laisse « fourager le pré qu[’il] marchande » (v. 1250), il compare Climenne, recevant son amant, à un pré dont les pailles ont été consommées. Son langage est lardé de mots trahissant son origine contadine, tels que « cottes » (v. 645), dont Furetière atteste qu’« il ne se dit plus qu’à l’égard des paysannes64 » ou « metairie » (v. 1117), qui concerne le monde agricole et n’a donc pas le moindre à-propos dans un discours sur les filous parisiens.

Le discours pédant §

Montfleury tourne en ridicule le langage pédant à travers le gentilhomme, l’abbé la Roche et Martin. Afin de donner à ses interventions l’apparence d’un raisonnement construit, le Beauceron les ponctue d’articulations logiques et temporelles, parfois associées de façon redondante. Le semblant d’argumentation du Basque au début de l’acte V est d’ailleurs une imitation parodique du discours prétendument rationnel auquel le Beauceron recourt lorsqu’il fustige Climenne, les galants ou les joueurs. Dans la scène 5 de l’acte II, ce dernier expose les préceptes frauduleux de l’avis aux Thresoriers des foux  en employant des formules sentencieuses comme « Ah ! voilà bien d’un fait tirer la quintessence » (v. 603). Ces répliques grandiloquentes suggèrent qu’il fait de la loterie un art dont il se veut le théoricien. Dans cette même scène, il s’adresse à Climenne sur un ton professoral, comme en témoignent l’abondance des impératifs et le recours à la modalité déontique, et il cherche à donner de l’ampleur à ses propos par l’emploi récurrent des présentatifs « c’est », « voicy » et « voilà ». Son discours pompeux est d’autant plus comique que lui-même qualifie l’abbé la Roche, de « facheux pedant » (v. 809). Montfleury prête en effet à l’abbé un langage dont l’afféterie paraît à travers l’emploi de mots savants et de latinismes, tels que « syllogisme » (v. 808), « barbara » (v. 808), « In capite libri » (v. 816). Enfin, le langage de Martin se veut aussi savant : il évoque la loterie avec des termes abstraits tels que « uniformité » (v. 1051), « candeur » (v. 1052), « sagacité » (v. 1052), « exactitude » (v. 1053), « promptitude » (v. 1054), parle latin (« Quid vis » v. 1048) et recourt à l’autorité de théoriciens reconnus, spécificité du discours érudit raillée par le flou de la référence, « Un Auteur tres-sensé dit que » (v. 1053).

Le discours galant §

Le discours de l’amant transi tenu par Léandre est tourné en dérision. Le jeune homme déplore systématiquement sa mauvaise fortune : ses répliques sont saturées par les termes « mal-heur » (v. 257 et 1609), « desespoir » (v. 260), « maux » (v. 262), « peine » (v. 1206) et « mauvais destin » (v. 1212) et il fait même appel au lexique tragique : la fortune est « cruelle » (v. 710) ; l’adieu à Climenne, « funeste » (v. 1208) ; son déplaisir, « mortel » (v. 1209) et sa constance, « accabl[ée] » (v. 714). Son discours est redondant et emphatique : Léandre recourt volontiers aux intensifs « tant » (v. 262) et « si » (v. 713 et 1607), aux antithèses, « Je trouve en mon mal-heur quelque chose de doux » (v. 257) et aux hyperboles, « mille coups » (v. 1215). Son langage n’échappe pas aux clichés du discours amoureux, notamment à la métaphore de l’amour comme feu (v. 266, 1207 et 1609). Les répliques de Léandre sont comiques à cause de l’exagération propre à l’amant passionné. Ce comique est, en outre, renforcé par les sarcasmes du gentilhomme. Ce dernier raille le discours passionné de Léandre et sa dévotion pour Climenne, par la description emphatique de l’attitude du jeune homme face à son amante (v. 341-344) et par le recours au lexique religieux, « s’extasier » (v. 337) et « idole » (v. 344). De la même façon, le Basque singe le discours affecté de son maître en exprimant sa souffrance amoureuse avec ostentation et en parodiant le langage métaphorique de la galanterie, comme le suggèrent les expressions « je souffre nuit & jour » (v. 377) et « Tes yeux m’ont fait pour toy galerien d’amour » (v. 378). L’association des propos galants et du prosaïsme, attesté par la dévalorisation de la métaphore du galérien : « si je puis un jour ramer dans ta galere » (v. 380), renforce l’effet parodique. Par contraste avec le style contourné et ridicule de Léandre, le Basque résume avec simplicité et spontanéité sa conception de l’amour : « Puis que tu m’aimes donc, & que je t’aime aussi, / Pourquoy tant de façons ? » (v. 382-383).

Le style comique §

Le contraste §

C’est la perception d’une dissonance qui produit dans ce cas un effet comique. Lors de son entretien avec la Roche (III, 5), le gentilhomme exprime, sans ambages, son hostilité à l’abbé avant de lui témoigner la plus grande bienveillance, une fois qu’il a récupéré la boîte contenant ses billets de loterie. Ce brusque changement de ton, signe de sa cupidité, est d’autant plus drôle qu’à une agressivité excessive et injustifiée succède une complaisance tout aussi exagérée. Le contraste entre les attitudes des interlocuteurs rend l’enchaînement des répliques comique : les réponses évasives et laconiques du gentilhomme, « L’on le croit » (v. 791), « Et bien la roche soit » (v. 792), tranchent avec les propos obséquieux de l’abbé. D’autre part, lors des mystifications, Montfleury souligne la discordance entre les paroles prononcées par le Basque et son véritable caractère. En effet, la pédanterie de l’abbé la Roche s’oppose à la simplicité du valet. De même, la brutalité belliqueuse et la docilité du Suisse contrastent respectivement avec le calme désinvolte du Basque, illustré par la reprise de la formule « qu’importe » (v. 694 et 1270), et avec son irrévérence envers Léandre. L’association, dans le discours du gentilhomme, des registres noble et campagnard produit également un contraste plaisant. De fait, dans la scène 7 de l’acte III, la déclaration galante du Beauceron, dont l’emphase est rendue par le rythme et les références mythologiques, est couronnée par l’image burlesque d’« Apollon » conduisant une « broüette » (v. 970) et par le rapprochement cocasse entre « Apollon » (v. 970) et « Adonis » (v. 968), jeunes dieux d’une grande beauté, et le vieux gentilhomme. Le Beauceron produit un contraste tout aussi déconcertant lorsqu’il décrit la parure coquette de Climenne en introduisant dans sa tirade un lexique relatif à la campagne : ainsi les « moucherons » (v. 897), petits ornements mais aussi insectes disgracieux et repoussants associés à la vie rustique, se substituent-ils aux élégantes mouches, atout majeur de la jeune mondaine.

L’esprit §

Montfleury met dans la bouche de ses personnages des jeux de mots destinés à divertir de façon subtile le public, sans se soucier de la vérité psychologique des personnages puisque ce sont parfois les serviteurs qui manifestent le plus d’esprit. Lorsque Béatrix menace le gentilhomme en affirmant qu’« On lui garde des lots » (v. 1167) et qu’il « meriteroit d’avoir des cornes pour son lot » (v. 1168), eu égard au contexte de la loterie organisée par sa maîtresse, elle joue sur la superposition du sens figuré de « lot », « ce qu’on réserve à quelqu’un », et sur son sens concret, « gain d’une loterie ». Le jeu de mots est aussi savoureux lorsque le Beauceron se retrouve étouffé par l’embrassade du Gascon (v. 97) alors même qu’il vient de le menacer en jurant : « La peste vous estouffe avec vostre jargon » (v. 93). Le Basque montre à plusieurs reprises sa finesse d’esprit. Lorsqu’il joue le Suisse, son récit sur son « camarate » (v. 453), dépouillé et fait cocu par sa femme parisienne et le galant de celle-ci, a une valeur prémonitoire car c’est le sort que risque de subir le gentilhomme s’il s’obstine à vouloir épouser sa cousine (v. 453-458). De même lorsque, pour convaincre le gentilhomme de son zèle, le « Suisse Basque » (v. 670) jure qu’il ne laissera entrer « Rien point d’aut que [s]on Maistre ou pien [lu]y » (v. 1012), son serment ne sera pas démenti, même s’il laisse entrer Léandre, grâce au jeu sur l’ambiguïté de l’expression « mon Maistre » (v. 1012) qui désigne aussi bien le gentilhomme, maître du Suisse, que Léandre, maître du Basque. Climenne et Léandre jouent également sur l’équivoque lorsqu’ils utilisent un langage à double entente afin de tromper le gentilhomme qui les épie : les billets blancs renvoient à leurs malheurs amoureux (v. 307) et le « lot » que Léandre eût aimé partager avec Climenne est l’amour (v. 314). Le gentilhomme manie à plusieurs reprises l’ironie (v. 914-920) et fait de l’esprit. Il invente des termes, tels que « parqueter » (v. 898) et « decocqueter » (v. 1452), ou leur assigne un nouveau sens, comme en témoigne l’emploi de « chamarer », investi du sens de « cajoler » dans l’expression « chamare[r] les costes » (v. 160).

La verve §

Le Beauceron fait preuve d’éloquence et d’inventivité quand il s’agit de réprouver la coquetterie de sa belle. Sa tirade sur la parure de Climenne (v. 893-906), kyrielle de remarques railleuses, est un des passages les plus comiques de la pièce. L’impitoyable critique laisse percer sa colère à travers les allitérations d’occlusives (v. 900-904), jeu sonore qui illustre aussi l’absence d’harmonie du vêtement. L’assonance en [εr] dans « Ce mouchoir bas & fait d’une dantelle claire, / Ce sein plus découvert qu’il n’est à l’ordinaire » (v. 893-894) ainsi que l’allitération en [b] et l’homéotéleute en [e] dans « Ces brocarts bigarez, & leur diversité » (v. 899) contribuent aussi à la dimension sonore de la tirade. Le gentilhomme semble se laisser emporter par la griserie des mots au point que la jeune femme, par le biais de la métaphore culinaire, filée à travers les expressions « tourne-broche d’or » (v. 900) et « lardez de poinçons » (v. 904), se métamorphose en un mets qui vient d’être apprêté. Béatrix cède aussi à l’ivresse verbale quand elle décrit les plaisirs de l’amour et qu’elle revit avec délectation son entretien avec le Basque : afin de prolonger l’évocation sensuelle du « teste à teste » (v. 1148) amoureux, elle se répète volontiers, comme le montrent les formules redondantes, « on cajole on badine » (v. 1141) et « on se fait, on se dit mille sortes de choses » (v. 1146), ainsi que la dérivation sur « plaisans » (v. 1140 et 1147), « plaire » (v. 1141) et « plaisir » (v. 1150).

La parodie §

La scène 5 de l’acte V parodie une scène d’agôn de la tragédie de Racine, Britannicus (IV, 2). Montfleury ne reprend que quelques vers mais ce jeu parodique ponctuel suffit à rendre le rapprochement entre les deux scènes évident. La surprise créée par la référence à Britannicus renforce le comique d’une scène, déconcertante et drôle du fait même de la franchise des deux interlocuteurs.

Les circonstances des deux face-à-face présentent des analogies. Dans Britannicus, la confrontation entre Agrippine et Néron est attendue depuis la première scène. De même, le spectateur est impatient de découvrir la vengeance du gentilhomme, et donc l’entretien entre ce dernier et sa cousine. Les rôles sont inversés puisque Coutreville est associé à Agrippine et que les deux ingrats sont Climenne et Néron. Le Beauceron a demandé à voir Climenne pour lui adresser une série de récriminations, lui énumérer les sacrifices auxquels il a consenti afin de l’épouser et lui reprocher son ingratitude ; discours qui renvoie aux plaintes amères exprimées par Agrippine en présence de son fils. Coutreville, « plus franc que les autres » (v. 1389), se fait fort de dire à sa cousine ses « veritez » (v. 1390), comme Agrippine qui affirme : « C’est le sincère aveu que je voulais vous faire » (v. 1195). Agrippine rappelle en effet à Néron ses origines : « Vous savez combien votre naissance / Entre l’empire et vous avait mis de distance » (v. 1119-1120) et le gentilhomme dénigre Climenne d’une façon comparable : « Vous estes une gueuse, & vous le sçavez bien » (v. 1396). À l’instar d’Agrippine qui, à la fin de la scène précédant son entretien avec Néron, désire être seule et déclare : « Qu’on me laisse avec lui » (v. 1114), le gentilhomme ordonne à Béatrix : « Et vous laissez-nous seuls » (v. 1376). Agrippine et Néron sont assis, comme Coutreville et Climenne. Agrippine et le gentilhomme entament alors deux longues tirades composées respectivement de cent huit vers et de cent quatre vers. Les vers qui constituent les articulations du discours du Beauceron sont empruntés à Racine :

Approchez-vous Climenne, & prenez vostre place, […]
Je ne sçay […]
Rien ne peut m’ébranler, & ma flame vient mettre,
D’un noble Beauceron le cœur à vos genoux,
C’estoit beaucoup pour moy, ce n’estoit rien pour vous : […]
Ce n’estoit rien encor, […]
Voilà ce que j’ay fait, en voicy le salaire65 ;
Approchez-vous, Néron, et prenez votre place. […]
J’ignore […]
Le sénat fut séduit. Une loi moins sévère
Mit Claude dans mon lit et Rome à mes genoux.
C’était beaucoup pour moi, ce n’était rien pour vous. […]
Ce n’était rien encore. […]
Voilà tous mes forfaits. En voici le salaire66.

Le dramaturge rapproche de façon burlesque Agrippine, monstre féminin et Coutreville, gentilhomme campagnard, bourru mais inoffensif. L’autoritarisme du Beauceron, qui veut tout régenter chez Climenne, et son orgueil renvoient sur un mode mineur à la libido dominandi d’Agrippine, qui pervertit l’ordre politique romain, ainsi qu’à son hybris. Montfleury joue essentiellement sur le décalage comique entre la question du pouvoir impérial romain, enjeu de l’affrontement entre Agrippine et Néron, et les difficultés que pose le mariage d’un villageois beauceron et d’une parisienne coquette. Les sacrifices que le gentilhomme se pique d’avoir fait paraissent dérisoires en comparaison des exactions qu’Agrippine commit afin que son fils accédât au trône (entre autres, la corruption du sénat et la dissimulation de la mort de l’empereur Claude) et la légère blessure d’orgueil qu’il subit n’a rien de commun avec l’humiliation endurée par Agrippine, écartée du pouvoir par son propre fils.

Innocence et masque §

L’innocence paroist dans cet habillement ;
C’est celuy qu’ils devroient conserver cherement :
Et ne jamais souffrir qu’un maistre trop fantasque,
Pour les mettre chez-luy les habillast en masque67,

Ces vers illustrent la dialectique à l’œuvre dans Le Gentilhomme de Beauce. Le gentilhomme, loin d’être lui-même aussi naïf qu’il le laisse paraître, loue le Suisse pour son ingénuité, dont témoigne, selon lui, son vêtement ; or si quelqu’un est habillé « en masque » et n’est pas « innocent », c’est bien son portier, valet déguisé en Suisse. Dans la comédie, le masque est aussi bien du côté de ceux qui, désignés explicitement comme mystificateurs, jouent des tours et recourent à des procédés théâtraux, que de ceux qui, hypocrites, adoptent des attitudes mensongères en société.

Le masque de théâtre §

Les jeunes gens n’ont qu’un seul propos : tromper leur opposant. Béatrix crée un personnage, un Suisse haut en couleur qu’elle met en scène devant le Beauceron (II, 2), Climenne invente une saynète que Léandre se charge de mettre en œuvre (II, sc. dernière) et le Basque assume les fausses identités, celles du Suisse et de l’abbé la Roche. Le Beauceron, lui, suit le personnage déguisé sur le terrain choisi par celui-ci et le Gascon ne participe pas aux stratagèmes, ce qui semble les désigner d’emblée comme les laissés-pour-compte de la comédie. La dramaturgie de la moquerie, fondée sur le spectacle comique offert par la dupe, s’impose donc ; pourtant, le gentilhomme ne tarde pas à céder à son penchant pour la dissimulation et à inverser les rôles.

Les jeux de rôle §

Montfleury exploite à deux reprises un procédé de nature théâtrale : le jeu de rôle. Dirigé par Climenne, Béatrix et Léandre, le Basque se déguise et joue. La dimension théâtrale des tours élaborés contre Coutreville est mise en évidence par les personnages eux-mêmes. Climenne qualifie les pièges de « piece[s] » (v. 1222) et les identités fallacieuses qu’emprunte le Basque sont désignées par les termes « roole68 » et « personnage » (v. 726). Dans Monsieur de Pourceaugnac, on retrouve cette insistance sur la théâtralité des mystifications qu’imaginent les adjuvants des amants, comme en témoigne Éraste qui recommande à Julie de se souvenir de son « rôle » (I, 2).

Le fait de se déguiser, note Georges Forestier, est « la plus haute forme d’action » pour un personnage de théâtre dans la mesure où elle est « la plus théâtrale69 ». Le valet de Léandre est loin d’avoir la corpulence d’un Suisse, mais son déguisement suffit à tromper le Beauceron. La didascalie « vestu en Suisse » (II, 1) n’apporte aucune précision sur le costume dont la dimension comique est cependant signalée. De fait, Béatrix déclare que le Suisse qu’elle veut présenter au gentilhomme « est si plaisamment vestu qu’il en fait rire » (v. 224) et Climenne ricane lorsqu’elle découvre l’accoutrement du nouveau portier. La didascalie concernant le déguisement d’abbé est tout aussi lapidaire. L’auteur insiste cependant sur une particularité du costume, remarquée par Champagne, le « petit colet » (v. 752). Le déguisement s’appuie sur le nom d’emprunt, « Torften » (v. 433) pour le Suisse et « la roche » (v. 792) pour l’abbé. Georges Forestier montre que le nom est accessoire mais qu’il « sert à construire la personnalité fictive pour lui donner une existence théâtrale, pour que la “superpersonnalité” créée fonctionne comme un rôle de théâtre ordinaire auprès des autres personnages70 ».

Le jeu d’acteur est également essentiel pour mener à bien la mystification. L’action et le discours du valet doivent être en adéquation avec ceux d’un garde suisse et d’un abbé. Dans le premier cas, l’interprétation est facilitée par la conformité des conditions sociales de l’acteur et du rôle, tous deux domestiques, mais elle exige que le Basque prenne l’accent et la déformation verbale prêtés aux Suisses. En revanche, pour jouer l’abbé la Roche, il imite une condition supérieure et singe un langage pédant et affecté, ce qui est vraisemblable car le Basque a « un peu d’estude » (v. 280). Les expressions « nostre Suisse Basque » (v. 670) et « l’Abbé le Basque » (v. 1314) louent sa performance d’acteur, en suggérant que le valet et son rôle ne font qu’un. À une période d’aveuglement total du gentilhomme succède la découverte de l’identité du personnage déguisé : le valet est finalement percé à jour par le biais de l’espionnage du gentilhomme. Le jeu de rôle est donc un « succès partiel71 », selon Georges Forestier. La ruse du Beauceron est rendue possible grâce à la négligence du Suisse, ivre : sa chute à la fin de l’acte IV symbolise l’échec de l’artifice. Le Basque, naturellement enclin à boire, imite volontiers l’ivrognerie notoire des gardes suisses. Le paradoxe est amusant : c’est parce qu’il s’assimile pleinement à son rôle de commande qu’il fait échouer le subterfuge. Climenne fait valoir, malgré tout, l’efficacité de l’art théâtral mis en oeuvre lors des jeux de rôle : les « mille coups » (v. 1215) dont Léandre veut percer son rival paraissent dérisoires en comparaison des « coups » dont le cousin « n’a pû se garentir » (v. 1219), terme qui, repris par Climenne, représente les mystifications.

Le gentilhomme mystificateur ou le trompé trompeur §

À partir de la scène 5 de l’acte IV, il y a deux actions parallèles : Climenne, Léandre, Béatrix et le Basque évoluent au premier plan tandis que le Beauceron, dissimulé, les observe. Ce dispositif rappelle la séparation qui existe au théâtre entre l’espace scénique et le public. Pourtant, même si son regard est essentiel dans l’acte, le gentilhomme n’est pas assimilable à un spectateur qui prendrait les entretiens qu’il surprend pour une comédie. L’abondance des monologues dans l’acte IV est justifiée par le partage de la scène : les révélations faites sur le devant de la scène sont effectivement ponctuées par les commentaires du Beauceron, demeuré seul en retrait. Le gentilhomme est cette fois celui qui trompe puisqu’il tait sa présence, et la bipartition de l’espace scénique permet sa prise de conscience. L’expression « lever le masque » (v. 1266) donne l’enjeu de l’acte IV, qui consiste à ôter aux amoureux et aux serviteurs leur masque. Elle produit un effet comique car au moment où il la prononce, le gentilhomme croit qu’il est au bout de ses peines et qu’il est désormais le seul à porter un masque alors que le Suisse n’a pas encore retiré le sien. La démystification du gentilhomme est mise en évidence par la récurrence de l’adjectif « éclaircy72 » dont le sens propre est ici actualisé puisque le gentilhomme fait progressivement la lumière sur les agissements de son entourage à mesure que l’on progresse vers le lever du jour.

Le Beauceron oscille entre l’aveuglement et la lucidité. Le vocabulaire relatif à l’innocence et à la sincérité, « naïsveté » (v. 429), « naif » (v. 496), « sans artifice » (v. 431 et 496), « ingenu » (v. 1001) et « ingenuité » (v. 1262), associé au personnage du Suisse dans le discours du gentilhomme, met en évidence son erreur de jugement. Celle-ci est patente lorsqu’il interprète les exhalaisons avinées et les ronflements de son portier comme l’expression d’une culpabilité envers son maître alors qu’ils ne sont que les manifestations du plaisir de l’ivresse (v. 1193-1196). Néanmoins, le Beauceron fait parfois preuve d’une lucidité qui atténue la balourdise propre au noble provincial. Ainsi déclare-t-il à Climenne : « je voy ce que c’est la belle, vous aimez ; / Ces Messieurs à fracas » (v. 157-158), prouvant qu il voit clair dans son jeu ; lorsqu’il surprend Climenne et Léandre, il n’est pas dupe de leur langage à double entente (I, 7-8) et il pressent qu’« on fait icy des tours de passe passe » (v. 705). D’autre part, alors qu’il fait valoir sa franchise et sa simplicité, il recourt volontiers à la feinte. La première parole du gentilhomme est un aparté : en effet, au lieu de se joindre aux autres personnages dès son entrée en scène, il se cache pour espionner Climenne et le Gascon. De même, au début de la scène 7 de l’acte I, ses répliques sont prononcées « à part » car il épie l’entretien de Climenne et de Léandre et dans l’acte IV, il commente les révélations en aparté. Le recours à l’aparté est emblématique de sa défiance et de son goût de la dissimulation. À l’instar du Suisse qui, malgré une apparente ingénuité, se révèle le personnage le plus théâtral, Coutreville, tout en vantant sa sincérité, se plaît à tromper. En définitive, les mystificateurs et la dupe jouent l’innocence mais utilisent, à l’envi, détours et ruses.

Le masque de parade §

C’est le gentilhomme qui se charge de ridiculiser coquets, galants et abbés tartufes, dont le comportement relève du faux et de l’artificiel. Le vêtement factice se substitue au déguisement et les grimaces du galant et de l’hypocrite remplacent le jeu de l’acteur.

Le vêtement comme masque §

Dans la scène 7 de l’acte III, le Beauceron exerce sa verve contre Climenne en montrant le caractère grotesque de son vêtement (v. 893-906). L’accumulation d’affiquets et le mélange des couleurs participent de l’assimilation de la toilette à un déguisement, rapprochement révélateur de l’artificialité consubstantielle à la coquetterie L’abondance d’ornements est exprimée par des termes relatifs à la lourdeur, « pend » (v. 900), « fatras » (v. 901), « chargez » (v. 901), « contre-poids » (v. 902), « pendus » (v. 902), « tas » (v. 903), par les pluriels ainsi que par la répétition de « trop » (v. 895 et 896). Cette parure surchargée donne paradoxalement une impression de précarité à cause des talons « mal affermy » (v. 896) et de la coiffure « en l’air » (v. 903), fragilité qui renvoie à une artificialité dérisoire. Le plus piquant est que cette tirade est malvenue, dans la mesure où le gentilhomme est maintes fois ridiculisé du fait de l’extravagance de son accoutrement. D’ailleurs, le fait qu’il revêt son « habit de Campagne » (didascalie : p. 96) pour quitter Paris suggère qu’il portait la tenue taillée exprès pour son séjour parisien comme un déguisement. Le vêtement traditionnel suisse est également assimilé à un costume de farce. L’analogie établie entre la toilette de Climenne d’une part, et celle du Beauceron et du Suisse d’autre part, achève de priver le vêtement de la jeune femme de tout naturel et de tout raffinement. À l’inverse, le Beauceron associe les valeurs de naïveté et de simplicité à la perpétuation du vêtement ancestral, comme Sbrigani, qui afin de gagner la bienveillance de Pourceaugnac, se félicite d’avoir su rester fidèle aux modes italiennes : « je suis originaire de Naples, à votre service, et j’ai voulu conserver un peu et la manière de s’habiller, et la sincérité de mon pays73 ».

Galants et abbés : deux impostures §

Le Beauceron raille la coquetterie et la galanterie de son entourage. Il les associe systématiquement à la facticité de la vie parisienne et la récurrence des termes « cocquet », « cocquette », « galand », « galante », « galanterie » prouve qu’il s’agit chez lui d’une idée fixe. Lorsqu’il fait le bilan de son séjour parisien, il blâme la frivolité des Parisiennes :

Les filles à Paris sont pour nous trop sçavantes,
Il faut des gens galans, pour des filles galantes74,

Par un effet de chiasme, « filles galantes » renvoie à « filles à Paris », ce qui emblématise l’assimilation entre la capitale et la galanterie. La fille « sçavante » n’est pas valorisée dans les paroles du gentilhomme puisqu’il s’agit de la « femme habile75 » , qui est associée à l’artifice et qu’Arnolphe oppose à l’innocente Agnès. Le sévère Beauceron refuse de se conformer aux moeurs parisiennes et sermonne sa cousine à plusieurs reprises. C’est avec la même rigueur que, dans Le Misanthrope, la prude Arsinoé reproche à Célimène sa « galanterie, et les bruits qu’elle excite76 ».

Montfleury insiste sur la distorsion entre les valeurs des deux abbés, présentés dans les scènes 5 des actes II et III, et celles de l’Église. Dans la scène 5 de l’acte II, l’abbé est l’auteur d’un ouvrage dans lequel il donne des conseils aux organisateurs de loterie désireux de réaliser un bénéfice substantiel. Il expose ses préceptes sur un ton dogmatique comme en témoigne le recours à la modalité déontique exprimée par le verbe « devoir77 », au tour impersonnel « il faut78 », à la formule de vérité générale, « Tout homme qui voudra faire une lotterie, / Sçaura pour premiere leçon » (v. 547-548), et à la maxime, « Aussi bien le Proverbe dit, / Que qui s’acquitte s’enrichit » (v. 613-614). Le titre du livre, en désignant les organisateurs par la périphrase « Thresoriers des foux » (v. 542), met en évidence son dédain envers les joueurs. Puisque seul importe l’intérêt financier des organisateurs, son discours, saturé par les termes « profit » et « profiter79 », est incompatible avec les valeurs de l’Église, telles que le détachement des biens matériels et la charité. Le décalage entre le cynisme de l’abbé et les commandements de l’Église est souligné par Climenne lorsqu’elle affirme : « C’est un dépost sacré que l’argent du Public » (v. 569). L’emploi du lexique religieux est d’autant plus ironique qu’il renvoie à l’adjectif « divin » (v. 541), que le Beauceron choisit pour qualifier le livre de l’abbé mais qu’il utilise, lui, avec sérieux et emphase. L’abbé joue également sur la connotation religieuse du terme « scrupule ». Montfleury détourne le vocabulaire religieux pour mettre au jour la perversion des valeurs de l’Église. L’introduction de la terminologie religieuse au cœur d’un exposé théorique sur le profit ainsi que la figure de l’anti-abbé, cupide, impitoyable et dénué de toute morale, participent du comique de la scène.

Le dramaturge ne présente pas une image plus flatteuse du second personnage d’abbé. Le « fort petit colet » (v. 752) de l’abbé la Roche le désigne immédiatement, aux yeux du Beauceron, comme un faux abbé. Ce premier niveau de duplicité est redoublé par le jeu de rôle : un faux abbé est joué par un faux abbé, le Basque. La fausseté des abbés est ainsi dénoncée à travers cette surenchère de facticité. Le gentilhomme n’est pas dupe des minauderies de son visiteur, qu’il qualifie de « Beauceron trop poly » (v. 799) : la politesse ostentatoire de la Roche se manifeste par une interminable série de révérences, il témoigne son dévouement avec insistance80 et flatte la vanité du Beauceron en mettant l’accent sur sa « qualité » (v. 776). L’inefficacité de l’attitude de l’abbé est illustrée par le décalage entre ses propos flatteurs et la façon dont ils sont reçus par le gentilhomme, comme le signale le terme « insulter » (v. 801). Dans Trigaudin, Géronte manifeste la même hostilité envers ceux « qui font, étudiant toutes leurs actions, / Consister le bel air dans leurs contorsions81 » et Alceste, dans Le Misanthrope, s’emporte aussi contre ces comportements affectés :

Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d’embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles82,

Le terme « contorsions » qu’utilisent les deux personnages, est emblématique de l’attitude de la Roche : au sens figuré, il renvoie aux détours de son langage et au sens propre, à ses révérences ostentatoires. Le gentilhomme, lui, se flatte de ne pas avoir le « jaret » assez « souple » (v. 778) pour de pareilles contorsions. Par ailleurs le dramaturge introduit dans le discours de l’abbé des propos licencieux, contraires à l’image austère de la fonction abbatiale. Le fait que la Roche s’enquiert de la jeunesse et de la beauté de la fiancée du Beauceron83 et l’allusion aux « plaisirs de la vie » (v. 793) mettent au jour sa grivoiserie et sa curiosité. Dans La Comtesse d’orgueil, Thomas Corneille fait aussi référence aux abbés galants dans l’échange entre le Marquis et son valet, Carlin :

CARLIN

La Marquise, chez vous, a passé pour vous prendre,
J’ay voulu l’arrêter, mais ne vous trouvant pas…
C’est dons comme il en fait, fracas contre fracas,
M’a-t’elle dit, Dy-luy que puis qu’il me dédaigne,
L’Abbé qui lui déplaist va commencer son regne,
J’aurois pû me resoudre à ne l’écouter plus,
Mais…

LE MARQUIS

Ces diables d’Abbez la pluspart sont courus84.

La figure de l’abbé produit un effet comique par sa dimension caricaturale : la Roche réunit les principaux vices que la tradition populaire prête aux hommes d’Église, la pédanterie, la curiosité et la grivoiserie.

Le plaisir du masque §

Montfleury met l’accent sur le plaisir que procurent le jeu de rôle et le jeu social. Les personnages prennent rapidement goût aux mystifications. Dans l’acte IV, Climenne et Béatrix sont tout à fait disposées à renouveler les ruses : il s’agit de railler le Beauceron mais aussi de se « divertir » (v. 1220 et 1230). Par deux fois, Béatrix utilise l’adverbe « plaisamment » (v. 671 et 1158) pour se référer à la performance du Basque, exprimant ainsi la satisfaction de l’observateur complice, proche de celle qu’éprouve le spectateur. Le Basque, de son côté, prend plaisir à jouer la comédie. En effet, lorsqu’il assume l’identité du Suisse, il se délecte à faire, avec l’accent suisse, un récit bien campé sur ses empoignades avec les visiteurs. (v. 406-418). Dans la scène 5 de l’acte III, quand il interprète l’abbé la Roche, il fait durer la conversation, en multipliant les formules de civilité et en accumulant les questions sans intérêt85. D’autre part, le jeu de rôle détermine le recours aux apartés, tels que « Il en tient » (v. 866), qui expriment l’autosatisfaction des jeunes gens. Ces commentaires sur l’action placent les personnages dans la position de l’observateur, ce qui crée entre eux et le public une complicité, emblématisée par l’emploi de l’adjectif possessif « nostre » : « nostre cousin donne dans le panneau » (v. 438). Aussi le plaisir des mystificateurs qui regardent avec amusement leurs mises en scène renvoie-t-il à celui du public. De même, dans l’acte IV, le gentilhomme, au supplice, prolonge malgré tout l’espionnage et savoure à son tour le plaisir de tromper. Le jeu social ne séduit pas moins : Climenne avoue sans détour son goût pour la mondanité et la coquetterie, masques nécessaires pour profiter de la « compagnie » (v. 1533), terme qui dans son discours rime de façon significative avec « vie » (v. 1534), et le Beauceron lui-même a « fait de la dépense » et s’est « fait leste » (v. 1458) pour fréquenter la société parisienne.

Montfleury : juge ? §

Qu’il s’agisse des jeux de rôles, de la coquetterie ou de l’hypocrisie, c’est toujours la facticité qui est mise au jour ; néanmoins, le but de Montfleury n’est pas tant de dénoncer ces comportements trompeurs que d’exploiter des thèmes propres à l’expression de sa verve comique. Le dramaturge porte un regard indulgent et dédramatisé sur ceux qui s’adonnent à la galanterie et à la coquetterie, notamment sur Béatrix qui se délecte du badinage amoureux et de la galanterie avec simplicité (IV, 5). De surcroît, Climenne et ses galants ne sont pas plus ridicules que leur censeur qui, tout en critiquant leur attitude, cède au désir de plaire et se fait tailler un costume spécialement pour son séjour parisien (v. 24). Montfleury est plus sévère avec les abbés, mais son propos n’est pas d’en faire une satire acerbe. Lancaster suggère en effet qu’il se protège contre d’éventuelles condamnations de l’Église puisque l’abbé la Roche n’est qu’un rôle joué par le Basque devant le Beauceron et qu’il est d’emblée soupçonné par ce dernier d’être un faux abbé86. Il présume, d’autre part, que ce sont le récent succès de Tartuffe ainsi que l’allusion désobligeante aux abbés galants que Thomas Corneille insère dans La Comtesse d’orgueil qui ont donné à Montfleury assez d’audace pour amuser le public au détriment des abbés87. De plus, le jugement que le Beauceron porte sur ceux-ci perd de sa valeur car lui aussi, après avoir découvert qu’il a gagné un lot de trois cent louis, recourt à une gestuelle et à un discours emphatiques. C’est ce que suggèrent la didascalie « l’embrassant » (p. 53) ainsi que le nouveau titre qu’il confère à l’abbé, « Cousin du directeur general de [s]es vignes » (v. 826), fonction qui ne correspond à aucun avancement puisque la Roche est déjà le cousin du vigneron et que « directeur general de [s]es vignes » est une périphrase pour « vigneron » (v. 784). En outre, le caractère caricatural du portrait de l’auteur de l’avis aux Thresoriers des foux et les réserves de Climenne sur son « esprit » (v. 544), admiré seulement par le gentilhomme dont le jugement est discrédité depuis le début de la pièce, disqualifient sa pensée et désamorcent donc la portée polémique de la scène. En amoindrissant systématiquement le crédit accordé aux censeurs, Montfleury atténue la critique, destinée avant tout à faire rire le public.

Théâtre et société §

Pour satisfaire le public qui « se plaît », selon Roger Guichemerre, « à retrouver sur la scène des tableaux de la vie parisienne88 », Montfleury jongle avec les billets amoureux et les billets de loterie et confronte Parisiens et provinciaux.

Un fait de société au théâtre : la loterie §

La passion du jeu, caractéristique de l’époque, est le sujet de nombreuses comédies, centrées sur le personnage du joueur. Les loteries, en particulier, ont un grand succès à la cour, la mode s’en répand dans le public et les escrocs ne tardent pas à y voir un nouvel expédient susceptible de les enrichir facilement. Le Gentilhomme de Beauce rend compte de cette vogue mais le rôle du joueur demeure secondaire par rapport à celui des personnages traditionnels de la comédie d’intrigue. Dans la comédie de Montfleury, les deux loteries sont organisées par des particuliers. Dès la scène d’exposition, Béatrix aborde le sujet car, impatiente de découvrir ses billets, elle se renseigne sur le tirage de la loterie organisée par sa maîtresse (v. 32), ce qui suggère qu’il s’agit d’un thème essentiel de la pièce. L’auteur raille la folie des badauds qui se livrent à ce jeu mais dénonce aussi la corruption des organisateurs qui profitent de leur naïveté. La comédie de Montfleury entre en résonance avec Les Intrigues de la loterie de Donneau de Visé89, qui est représentée vers la fin de l’année 1669 et qui témoigne aussi de cette mode parisienne : la maîtresse de maison, Céliane, a fait une loterie qui doit être tirée le soir même, ce qui attire beaucoup de gens. Valère et Cléronte, amants de Clarice et de Mélisse, la première, fille et l’autre, nièce de Céliane, profitent de cette occasion pour voir leurs maîtresses. Le succès de la pièce a pu porter Montfleury à s’intéresser à ce divertissement d’actualité. Le thème de la loterie renferme une grande potentialité comique car les excès induits par la passion du jeu ou par l’appât du gain se prêtent à une critique elle-même outrée. Toutefois, dans Le Gentilhomme de Beauce, la loterie ne sert pas seulement de prétexte à la satire amusée de la société dans la mesure où Montfleury s’applique à intégrer le fait social à l’action.

Une folle passion §

La colère du noble beauceron contre les joueurs, qui vont et viennent avec frénésie pour acheter des billets, constitue un leitmotiv de la comédie. Le choix du terme « embarras », qui est récurrent dans les répliques du Beauceron90 et qui désigne la loterie, indique que le gentilhomme l’associe de façon systématique à la confusion. Dans Les Intrigues de la loterie, Florine, servante de Céliane qualifie aussi la loterie d’« embarras91 ». Dès l’acte I, la passion du jeu est vivement critiquée par le gentilhomme (v. 168-183) : le paradigme de la folie, illustré par les termes « rage » (v. 168), « fou » (v. 169), « fureur » (v. 172), « folie » (v. 183), ainsi que les expressions superlatives telles que « jamais rage ne fut grande » (v. 168), « jusques au dernier sou » (v. 170), « tres-cours d’argent » (v. 171), « si fort » (v. 173), « telle folie » (v. 183), mettent au jour la démesure des joueurs. Le comportement déraisonnable du joueur effréné est d’ailleurs comparé à celui d’un voleur (v. 173-174). Donneau de Visé insiste, comme Montfleury, sur l’irrationalité des participants que M. Gervais, domestique de Céliane (I, 1) et Clarine, femme d’intrigue (I, 6) qualifient de « fous ». L’image de la porte forcée est emblématique de la fureur avec laquelle le peuple s’adonne à cette nouvelle distraction. Elle est présente dans la plainte que le Beauceron adresse à Climenne (v. 205-212) : son discours imagé, figurant un laquais désemparé et dépenaillé, une porte enfoncée et la foule allant et venant en tous sens, donne à voir une scène de chaos, comparable à un pillage. Martin déplore, à son tour, le désordre inhérent au jeu et l’agitation du public dans un discours hyperbolique, prononcé sur un rythme accéléré, qui rend sensible l’anarchie régnant dans le logis (v. 1055-1058). De même, Champagne réprouve la violence des joueurs qui « ont le diable au corps » (v. 357) : le discours alarmé de son maître sur la « rage » des participants invite à actualiser le sens propre de cette expression, suggérant que ces derniers sont animés par une fureur démoniaque. Chez Donneau de Visé, c’est un laquais, homologue de Champagne, qui peste contre l’agitation de la foule venue retirer les boîtes (I, 4). Montfleury met en évidence l’engouement pour la loterie à travers le Beauceron, gagné lui-même par cette foucade. En effet, immédiatement après son réquisitoire contre les joueurs, il est raillé par sa cousine, qui insinue qu’il est aussi fou qu’eux puisque lui aussi a acheté des billets (v. 184-185). De plus, à partir du moment où il croit avoir gagné à la loterie d’Oronte, il fait preuve d’une précipitation analogue à celle qu’il fustige chez les joueurs : la reprise du verbe « courir », qui caractérise le peuple empressé à acheter les billets (v. 210), dans l’injonction de l’heureux gagnant « courons en diligence » (v. 977) prouve que le campagnard cède, comme tout un chacun, à la fièvre du jeu. Dans Les Intrigues de la loterie, tout le monde s’enthousiasme pour le jeu. Comme Béatrix, la cuisinière de Céliane, Michelette, et le valet de Cléronte, Du Bois, investissent dans une loterie. Les bourgeois, à l’instar de Climenne, de Céliane et d’Ergaste, se prêtent également au jeu et s’improvisent comme organisateurs.

Une figure emblématique du joueur : le Gascon §

C’est essentiellement par le truchement du Gascon, joueur impénitent et malchanceux, que le dramaturge illustre les dérives dues à la passion du jeu. Il déplore sa mauvaise fortune dès sa première apparition (v. 68-73). Étant donné la quantité de billets qu’il a achetée, l’annonce « J’ay pris tous billets blancs » (v. 73) est inattendue et témoigne de sa malchance. La formule « il faut voir jusqu’au bout » (v. 73) est d’ailleurs emblématique de sa vaine persévérance. Le procédé de répétition qui structure sa plainte ainsi que la redondance des questions sur le capital de la loterie (v. 81 et 82) indiquent que la participation au jeu revêt, chez lui, un caractère obsessionnel. Ses allées et venues chez Climenne pour s’enquérir de l’état de la loterie sont une autre manifestation de sa folie. D’autre part, à travers la figure du joueur endetté, esquissée dès l’acte I dans le discours du Beauceron qui subodore que la loterie a perdu toute dimension ludique pour ceux qui semblent avoir « aux talons tous les Prevosts de France » (v. 212), Montfleury met au jour le dévoiement du jeu. De fait, le Gascon dévoile à Martin son intention de rembourser ses dettes grâce aux gains qu’il escompte gagner (v. 1071-1072), justifiant ainsi l’impatience avec laquelle il attend le résultat du tirage. Il n’a plus le sens de la réalité puisqu’il en vient à nier la dimension aléatoire inhérente à la loterie :

MARTIN

Je voy gagnant les lots que tout ira fort bien,
Mais qui les payera si vous ne gagnez rien.

LE GASCON

Cela ne se peut pas, que diable allez vous dire92 ?

Les réserves du précepteur en ce qui concerne le succès de la stratégie du Gascon conduisent ce dernier, d’une part, à soupçonner Martin de gérer malhonnêtement la loterie, comme le suggère la rime significative entre « lotterie » (v. 1081) et « friponnerie » (v. 1082), et d’autre part, à le menacer afin que le tirage lui soit favorable. Cela donne à entendre que les tricheries étaient monnaie courante, aussi bien de la part des organisateurs que des joueurs.

La dénonciation des fraudes §

Montfleury ne fait qu’une brève allusion aux abus des joueurs dans la scène évoquée précédemment. En revanche, il insiste sur la malhonnêteté des organisateurs de loterie. Même si le dramaturge a souvent exagéré, ses données permettent de se faire une idée de la corruption qui caractérisait la gestion des loteries et qui nécessitait parfois l’intervention de la Justice. Climenne rappelle en effet que les fraudeurs étaient passibles d’une condamnation (v. 630). Dans la pièce, deux conceptions se heurtent : celle de Climenne et de Martin qui souhaitent organiser une loterie honnête et celle du gentilhomme cupide qui veut tirer profit du jeu. Cette opposition se cristallise dans la scène 5 de l’acte II, consacrée à l’exposé de préceptes frauduleux théorisés par un abbé. L’antagonisme entre Coutreville et Climenne est emblématisé par l’opposition entre les deux modes de tirage qu’ils préconisent : l’un, défendu par Climenne, réalisé « au hazard & sans choix » (v. 524) et « fidelement » (v. 528), l’autre, réclamé par le Beauceron, malhonnête, comme l’indiquent les termes « volant » (v. 517), « décacheter » (v. 529) et « supposer (v. 530). Cette dissension est en outre illustrée par les jugements antithétiques qu’ils portent sur l’abbé, qualifié par le gentilhomme d’« Abbé plein d’esprit » (v. 540) et par la jeune femme d’« esprit creux » (v. 544). Le gentilhomme fait effectivement l’éloge de l’ouvrage intitulé « avis aux Thresoriers des foux » (v. 542) tandis que Climenne soutient en vain ses principes d’honnêteté, incompatibles avec le discours de l’abbé, saturé par le lexique de la dissimulation, « à couvert » (v. 587), « de concert » (v. 588 et 593), « en secret » (v. 608), « doucement » (v. 609). L’abbé recommande expressément à l’organisateur de favoriser, suivant son intérêt, certains participants et de distribuer des lots à moindres frais, y compris son lit dont la valeur peut être triplée (v. 625-628). Les deux comédies mentionnent la variété des lots, souvent de médiocre valeur. Du Bois affirme :

On n’entend à present parler que Lotterie ;
J’en ay trouvé d’Argent, de Lits, d’Argenterie,
De Meubles, de Bijoux, de Toille, de Tableaux, […]
D’Etoffes, de beaux Poincts, de Jambons, de Pâtez93

Des exemples comparables figurent dans le discours du gentilhomme beauceron, lorsqu’il énumère les objets susceptibles de servir de lots : « meubles » (v. 620), « tableaux » (v. 620), « points » (v. 621), « bijoux » (v. 621), « vaisselle […] d’argent d’Allemagne » (v. 641), « paté » (v. 644). Une des fraudes stigmatisées à la fois par Montfleury et par Donneau de Visé consiste à décacheter les boîtes : le gentilhomme envisage de recourir à ce procédé (v. 529) et Ergaste, pressentant un tel abus, veut ouvrir sa boîte devant un juge (II, 9). L’héroïne de Donneau de Visé est gagnée, comme le Beauceron, par l’immoralité de la société car elle pervertit le fonctionnement de la loterie en ne mettant en jeu que des billets blancs. À l’inverse, celle de Montfleury regimbe devant les friponneries qui discréditent son entreprise.

La loterie et l’intrigue §

Montfleury rattache étroitement la loterie à l’intrigue tandis que chez Donneau de Visé, le jeu est surtout exploité en tant que phénomène social : celui-ci s’attarde plus longuement que Montfleury sur les abus, sur les histoires de gains ou de pertes considérables et sur les usages amusants auxquels se prêtent les joueurs et qui consistent par exemple à donner aux boîtes des noms aussi inattendus qu’« Amphitryon ». Chez les deux dramaturges, la loterie est un prétexte pour introduire un jeune homme auprès de la femme qu’il aime. Dès la première scène du Gentilhomme de Beauce, Béatrix et le spectateur apprennent que le jeu préparé par Climenne n’a d’autre destination que de réunir les amants : « Sous pretexte d’y mettre » (v. 42), Léandre peut venir voir son amante. Dans Les Intrigues de la loterie, les deux amants de Clarice et de Mélisse profitent pareillement de la loterie pour rendre visite à leurs maîtresses et Florine préconise à Clidamis de feindre de « venir mettre à la Lotterie94 » pour se rendre auprès de Clarice. Cependant, dans la pièce de Montfleury, la loterie est investie d’une autre fonction : elle est le ressort du stratagème imaginé par Climenne pour éloigner le Beauceron du logis. De fait, au moyen d’une boîte contrefaite, l’abbé la Roche convainc le gentilhomme qu’il a gagné trois cent louis à la loterie d’Oronte et qu’il doit aller retirer son lot. Le terme « embarras » emblématise le lien entre le jeu et l’action car au sens propre d’« encombrement95 », il désigne la loterie, mais son sens figuré, « ensemble de soucis inextricables, de tracas dont on a peine à sortir96 », « chagrins97 », renvoie aux obstacles destinés à empêcher l’union du gentilhomme et de Climenne et aux inquiétudes qui taraudent le Beauceron, deux composantes de l’intrigue. D’autre part, la loterie permet aux personnages d’exprimer leurs sentiments : le Gascon courtise Climenne en ayant recours au lexique du jeu (v. 88-89) et la loterie devient le support du langage amoureux des amants dans la scène 7 de l’acte I. Climenne et Léandre font un usage métaphorique des termes relatifs à la loterie pour parler de leurs sentiments en présence du gentilhomme (v. 307-319) et le Beauceron, qui assiste au dialogue, file la métaphore dans la scène suivante (v. 330 et 333-336). Pour les jeunes gens, la loterie est purement ludique ; elle ne sert que leurs desseins amoureux. Dès qu’elle cesse d’être nécessaire à l’intrigue, autrement dit, après le retour du campagnard, détrompé par sa visite à Oronte, Montfleury n’y fait plus allusion de façon significative : le dernier acte ne fait pas mention du résultat du tirage, évoqué in extremis par Climenne (v. 1662). À partir du moment où les Parisiens mettent fin à leurs ruses, le thème passe au second plan, ce qui montre qu’il est étroitement lié aux actions entreprises contre le Beauceron.

Deux types sociaux à la mode : le provincial et le hobereau §

La province à Paris §

LeGentilhomme de Beauce offre le spectacle des ridicules de la province et de l’étranger. Montfleury exploite cette veine comique après Raymond Poisson qui décrit des provinciaux grotesques dans L’Après-soupé des auberges, et Molière qui met en scène un avocat limousin dans Monsieur de Pourceaugnac. Le gentilhomme de Beauce est d’ailleurs « une espéce de Pourceaugnac98 », les deux héros étant peu singularisés par rapport au type du provincial. La comédie de Montfleury comprend presque autant de provinciaux (le Beauceron, le Gascon et le Basque) que de Parisiens (Climenne, Léandre, Béatrix et Martin). De plus, le Suisse et l’abbé la Roche, bien qu’ils aient un statut particulier puisque ce sont les deux rôles interprétés par le Basque, peuvent être assimilés aux provinciaux : la Roche est beauceron et le Suisse, en tant qu’étranger, subit les mêmes railleries que les gens de province. Enfin, les noms des laquais, « Champagne » et « la Brie », renvoient à deux régions provinciales99, comme si l’auteur avait voulu faire de son petit groupe de personnages un microcosme de la province française.

L’article d’Antoine Furetière définissant le terme province dit assez combien, à l’époque, la ville a facilement tendance à moquer la province : « se dit […] des pays esloignez de la Cour, ou de la ville capitale. C’est un homme de Province, qui n’a pas l’air du beau monde100 ». François Bluche écrit de même qu’« on croirait, à lire certains ouvrages du Grand Siècle, que la province française est située à des milliers de lieues, et n’est peuplée que de sauvages, à tout le moins de niais101 ». La première réplique de Béatrix, saturée par des termes ayant trait au monde rural, tels que « campagnard » (v. 6), « hameau » (v. 6), « Province » (v. 7), « village » (v. 8), « poulets-d’inde » (v. 9), suggère que, pour elle, le principal défaut de Coutreville est son origine beauceronne. Climenne, à son tour, fait montre de condescendance envers les non-Parisiens lorsqu’elle déclare :

Certes l’effort est grand, & je suis une beste,
Je me devois […]
Deterrer dans la Beauce un singe campagnart ;
Et prendre pour épous errante à l’adventure,
Quelque brute qui n’eust d’homme que la figure.
J’en conviens, mais les filles à Paris 
Ne sont pas à ce point avides de maris102 ;

L’homme de la campagne est caractérisé par une rusticité incompatible avec le goût raffiné des Parisiennes. Climenne insinue même qu’il est du côté de l’animalité : le jeu de mots sur « beste » (v. 1513), qui se dit au figuré d’une « personne sans esprit, qui est stupide », mais aussi au propre de l’« animal », donne à entendre que l’air de la campagne prive les individus de leur humanité puisque Climenne, vagabondant à travers les plaines de la Beauce, en quête d’un mari, devient une « beste » et son futur époux, ancré dans le terroir beauceron, un « singe campagnart » (v. 1516). Montfleury et Molière insistent sur le caractère lourdaud du provincial : le terme « épais » est employé à la fois par Climenne et par Sbrigani pour qualifier Coutreville et Pourceaugnac103. Les instigateurs des pièges constatent effectivement qu’ils sont faciles à duper104. Les deux dramaturges soulignent la brutalité de leur comportement. Le Beauceron menace de « cent coups » (v. 18) les domestiques de Climenne et Pourceaugnac manifeste un penchant comparable à la violence lorsqu’il se vante auprès d’Eraste : « Vous vîtes donc aussi la querelle que j’eus avec ce gentilhomme périgordin105 ? ».

La physionomie du provincial prête à rire, comme le suggèrent le portrait du gentilhomme esquissé par Béatrix (v. 19-22) ainsi que la réplique de Sbrigani :

Pour sa figure, je ne veux point vous en parler : vous verrez de quel air la nature l’a desseinée, et si l’ajustement qui l’accompagne y répond comme il faut106.

Les derniers mots de l’intrigant italien montrent que les quolibets des Parisiens portent également sur l’allure des provinciaux, notamment sur l’excentricité de leur tenue. Molière jouait le rôle de Pourceaugnac dans un costume aux couleurs voyantes, volontairement extravagant107, sans doute comparable à celui que porte le gentilhomme et que Béatrix ridiculise dans la scène d’exposition (v. 24-30). Le Beauceron veut conserver les coutumes vestimentaires de sa région, aussi Paris et ses modes éphémères vont-ils à l’encontre des valeurs qu’il prône. D’autre part, les Parisiens tournent en ridicule les parlers régionaux et étrangers. Le terme « jargon » (v. 225), choisi par Béatrix pour désigner le langage déformé du Suisse, rend compte du sentiment de supériorité des Parisiens. La langue française n’est pas altérée dans les interventions du gentilhomme et du Basque, et le parler du Gascon est peu singularisé si ce n’est par deux jurons gascons, « Dieu me damne » (v. 68) et « Cadedy » (v. 1088), alors que dans L’Après-soupé des auberges, Poisson déforme systématiquement le français des non-Parisiens, un Gascon, un Normand et un Flamand.

Les plaisanteries de la capitale sur le provincial et sur l’étranger sont nourries par des stéréotypes que convoque Le Gentilhomme de Beauce. D’après François Bluche, « le Dictionnaire géographique d’Expilly note qu’on “reproche aux Gascons […] de trop exalter leur bravoure, ce qui fait donner le nom de gasconnade à tout ce qui sent le fanfaron”108 ». De fait, la vantardise du Gascon est mise en évidence par le défi qu’il lance au Suisse :

Je la luy garde bonne, & devant qu’il soit peu,
Nous conterons ensemble & nous verrons beau jeu109 ;

Le choix du futur de l’indicatif et l’expression temporelle de l’imminence, « devant qu’il soit peu » (v. 1043), sont caractéristiques des fanfaronnades gasconnes. Lorsqu’il est confronté au Beauceron, loin de renchérir sur ses propos hostiles, il préfère se retirer (v. 139) et l’ivresse du Suisse profondément endormi lui fournit un motif pour différer sa vengeance (v. 1039), ce qui laisse entendre que sa forfanterie n’a d’égale que sa couardise. Au même titre que le Gascon, le Suisse fait partie intégrante de la vie parisienne. Le goût des Suisses pour la boisson est l’objet de sarcasmes. Le Gascon rend compte de cette réputation car l’ivresse est, selon lui, l’explication la plus plausible de l’état du Suisse au début de l’acte IV (v. 1037). Béatrix exploite à son tour l’image stéréotypée du Suisse ignare, fruste et querelleur, pour décrire celui qu’elle veut présenter au gentilhomme :

[Il] n’entend à le voir ny rime ny raison,
Il frape comme un sourd, ne cherche qu’à se battre,
Il est fort comme deux, & méchant comme quatre,
Avec sa mine froide il a le sang fort chaud110.

L’antithèse entre « mine froide » et « sang […] chaud » reflète son caractère haut en couleur. Dans La Satire des satires, Boursault prête à son personnage de Suisse des traits analogues à ceux qui caractérisent celui de Montfleury. Émilie met en évidence le penchant à la violence de son portier par ce cri : « Mon Dieu, comme il est fait ! Il s’est battu111 ! ». Le Suisse de Boursault décèle son ignorance lorsque, sa maîtresse lui ayant remis une liste des gens qu’il peut laisser entrer, il demande au Chevalier : « Dites-moy, l’écriture est-ce pas le noir112 ? ». De même, Montfleury fait passer son Suisse pour un idiot, incapable de comprendre les circonlocutions de son maître (v. 444 et 461). La corruption des Suisses est aussi abordée. Le Beauceron, toujours méfiant, est convaincu que le Suisse accepterait de laisser entrer un galant de Climenne en échange de  « quelque portrait d’un métail peu commun » (v. 887). De même, le Suisse d’Émilie permet la visite d’un individu ne figurant pas sur la liste, faveur qu’il n’accorde certainement pas sans contrepartie. L’hostilité des Parisiens pousse les provinciaux et les étrangers à être solidaires. Ainsi, le Gascon, lorsqu’il rencontre le Beauceron, est ravi de retrouver en lui un de ses semblables et quand Climenne rit du costume porté par le Suisse, le gentilhomme, se reconnaissant en lui, prend sa défense (v. 471-473).

Les provinciaux adressent, eux aussi, des propos peu amènes aux habitants de la capitale. Dans sa diatribe contre les faux abbés, le gentilhomme dépeint Paris comme la ville des faux-semblants. Son jugement est illustré par l’opposition entre les termes ressortissant à l’authenticité, tels que « bon » (v. 764) et « vrais » (v. 769), et ceux qui relèvent de l’apparence, tels que « nom » (v. 756 et 763), « titre » (v. 757 et 768), « qualité » (v.761) et « beaux esprits » (v. 765). La capitale est le repaire des escrocs et des imposteurs, comme en témoigne le champ lexical de la fraude qui sature le discours du Beauceron : « bibus » (v. 755), « abus » (v. 756), « faux coin » (v. 757), « vol » (v. 759), « usurpe » (v. 763), « faux » (v. 764 et 766) et « usurpateurs » (v. 768). Lorsque le Beauceron rentre de sa visite chez Oronte, furieux et conscient d’avoir été berné, il allègue immédiatement la duplicité parisienne pour justifier son aveuglement (v. 1115-1120). Enfin, c’est dans l’avant dernière scène que le campagnard exprime, de façon définitive, sa rancœur contre la capitale, ce « maudit lieu » (v. 1647) pour lequel il éprouve une « haine mortelle » (v. 1645). Pourceaugnac fait part à Sbrigani du même ressentiment en se récriant : « Quelle maudite ville113 ! ». La nécessité de préserver à tout prix leur « honneur », terme récurrent dans le discours de Coutreville et Pourceaugnac et fierté du provincial, explique leur rejet des mœurs de la capitale et leur crainte d’épouser une Parisienne. Le Beauceron ne cesse de reprocher à Climenne sa frivolité et Pourceaugnac s’alarme lorsqu’il est avisé de la coquetterie de sa fiancée (II, 4), qui se jette à son cou avec impudeur (II, 6). D’autre part, les allusions réitérées aux cornes du mari trompé illustrent leur hantise d’être cocu. Dès l’acte I, le gentilhomme y fait référence (v. 347-350) et le Limougeaud affirme avec fierté :

je ne me veux point mettre sur la tête un chapeau comme celui-là, et l’on aime à aller le front levé dans la famille des Pourceaugnac114.

La critique de Paris va de pair avec l’éloge partial et outré de la région natale et de ses habitants. Ainsi le Gascon s’enorgueillit-il de la sincérité gasconne (v. 79). Comme le Gascon, le Beauceron revendique un franc parler qu’il présente, par contraste avec l’hypocrisie parisienne, comme une caractéristique provinciale. Il manifeste son esprit chauvin lorsqu’il complimente la Roche pour son honnêteté, qui tient selon lui au seul fait d’être beauceron (v. 824).

Le Beauceron rencontre dans la capitale Parisiens et non-Parisiens et paradoxalement, il est aussi bien berné par les uns que par les autres. De fait, le Gascon fait la cour à Climenne115 et le Basque le mystifie à deux reprises116. De surcroît, lorsqu’il est confronté à l’abbé la Roche, il est doublement victime de la province car il est trompé par un provincial (l’abbé est beauceron) interprété par un provincial (le Basque).

La noblesse campagnarde §

Montfleury choisit comme héros des mésaventures burlesques de sa comédie, un gentilhomme beauceron tourmenté par des Parisiens. Pierre de Vaissière note que c’est « à dater des premières années du XVIIe siècle que le gentilhomme campagnard commence à servir de cible […] à la verve des auteurs comiques117 ». Ainsi se forme le type du noble de campagne, personnage propre à faire rire et souvent caricaturé avec outrance. Au XVIIe siècle, les nobles de province ont perdu de leur prestige, aussi ne tardent-t-ils pas à devenir un objet de risée pour les citadins118. Le sarcasme est encore plus grand lorsque ces gentilshommes campagnards s’aventurent hors de leur province et, ignorants des bonnes manières, viennent étaler à la ville leur rusticité et leur vanité. Comme nous l’avons vu, ces traits sont aussi ceux du provincial ; c’est donc essentiellement la fierté du titre et des biens qui singularise le personnage conventionnel du hobereau par rapport à l’homme de province. Dans Le Baron de la Crasse119, Poisson façonne, le premier, une figure du noble de province proche de la réalité et relance la mode du hobereau ridicule : deux nobles, un Marquis railleur et un Chevalier plus réservé, grands admirateurs de la Cour, se rendent au château du Baron pour se divertir de sa conversation. Ils ne tardent pas à obtenir le récit de sa mésaventure bouffonne à Fontainebleau. Si le Baron quitte le Languedoc dans l’espoir de voir le roi et non pour « chercher femme à la ville120 » comme le gentilhomme beauceron, le type du noble campagnard dans la comédie de Poisson présente des analogies avec celui mis en scène par Montfleury.

La noblesse campagnarde, même ruinée, reste fière de ses origines et de ses privilèges. Tout au long de la pièce, le gentilhomme s’enorgueillit de son titre nobiliaire et ne manque pas une occasion de rappeler sa qualité : celle-ci est mise en avant pour justifier les prérogatives qu’il s’arroge (v. 131-134) et il s’en vante dans sa tirade contre ceux qui imitent les vrais abbés semblables aux vrais nobles dont il se prévaut de faire partie (v. 766-769). Le Beauceron se targue du respect qui lui est témoigné dans son village (v. 1421-1422 et v. 1425). Seigneur campagnard, fidèle aux usages de la féodalité, il continue à dominer ses vassaux et imagine faire montre de la même autorité à Paris, aussi tente-t-il de s’imposer en maître chez Climenne. Béatrix dénonce en effet, dès la première scène, son humeur tyrannique, dont les serviteurs sont victimes (v. 17-18). Le hobereau vante la vie qu’il mène à la campagne, marquant ainsi son dédain pour celle des Parisiens : il évoque avec nostalgie ses « dindons » (v. 1420), son « colombier » (v. 1420) et les « Paysan[s] naïf[s] » (v. 1422) qui l’entourent. De la même façon, le Baron de la Crasse s’écrie à propos de sa campagne : « Tout m’y rit, tout m’y plaist, tout m’y paroist aimable » (v. 52).

Coutreville se rengorge également de posséder des terres et une rente substantielle121. Pourtant, la réalité de sa fortune est mise en doute à plusieurs reprises. Dans le dernier acte, Climenne conteste ouvertement le montant de sa rente (v. 1522-1526) et dès la première scène de la comédie, Béatrix relativise la fortune de Coutreville en rapprochant « il a du bien » (v. 5) et « hameau ruiné » (v. 6). La rime entre « chausse » (v. 3) et « Beauce » (v. 4), en convoquant le proverbe, « c’est un Gentilhomme de Beauce qui se tient au lit quand on refait ses chausses122 », rappelle la pauvreté notoire de la noblesse beauceronne et éveille donc immédiatement des soupçons sur la richesse du cousin. De même, dans Le Baron de la Crasse, une maladresse du valet Marin, qui demande à son maître combien il faut tuer de poulets pour le repas (v. 151), souligne que l’économie domestique du Baron est serrée. En outre, l’avarice est un trait propre aux petits hobereaux, parfois réduits à vivre chichement de revenus misérables. La récurrence du motif des vingt louis dont le gentilhomme a été délesté au cours de son entretien avec la Roche123 emblématise sa pingrerie, la perte paraissant d’autant plus dérisoire qu’il vient de gagner trois cents louis. La conclusion expéditive de sa tirade (v. 971-973) et l’accélération du tempo à la fin de la scène 7 de l’acte III trahissent sa hâte de retirer son lot : il se réjouit d’être « délivré » (v. 977) de sa cousine alors qu’il prétendait ne plus s’en éloigner, revirement comique et révélateur de sa cupidité.

Le comportement du hobereau constitue un divertissement pour son entourage. Les premières paroles de Béatrix désignent en effet le Beauceron comme la dupe dont on peut se gausser, du fait de son inadaptation foncière au monde parisien : il est « burlesque » (v. 19) et fait « rire » (v. 22). Les mœurs du Baron de la Crasse et le récit de son équipée malheureuse à la cour offrent également un spectacle plaisant au Marquis et au Chevalier. Le Marquis excite la curiosité de son compagnon en déclarant : « Crois que ce campagnard nous divertira fort. » (v. 4). Les personnages observateurs, de bon sens, font jaillir les ridicules des hobereaux. Ainsi, le Suisse fait ressortir le tempérament agressif du Beauceron, qui approuve avec insistance l’ardeur brutale du portier, tandis que l’abbé la Roche, lorsqu’il se présente au gentilhomme et qu’il lui donne la boîte, met en évidence sa méfiance et sa cupidité.

Le texte de la présente édition §

L’édition originale du Gentilhomme de Beauce fut exécutée en 1670 par Jean Ribou. Il s’agit d’un format in 12°. En voici la description :

[I] : LE / GENTIL-HOMME / DE BEAUCE, / COMEDIE. / Par A.I MONTFLEURY. / (Vignette) / A PARIS, / Chez JEAN RIBOU, au Palais, vis-à-vis la porte de / l’Eglise de la Sainte Chapelle, à l’Image S. Loüis. / filet / M. DC. LXX. / Avec Privilège du Roy.

[II] : verso blanc.

[III-X] : épître dédicatoire.

[XI] : extrait du Privilège du Roy.

[XII] : liste des acteurs.

– 98 pages : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première page (en dessous d’un bandeau).

Nous avons consulté les trois exemplaires de l’édition originale. Il y a un exemplaire conservé à la Réserve de la Bibliothèque Nationale de France (RES P-YF-445(2)), il est relié avec La Femme juge et partie et La Fille capitaine ; un exemplaire au département des Arts du Spectacle de la BNF (site Richelieu : Rf 6550, t. II), il fait partie d’un recueil factice publié en 1676 ; et un exemplaire séparé à la Bibliothèque de l’Arsenal (GD 11087). L’exemplaire de l’Arsenal présente des erreurs de pagination aux p. 3, 55, 60 et 77 et celui de la Réserve de la BNF, aux p. 16, 56, 77 et 97, tandis que la pagination est correcte dans celui du département des Arts du Spectacle de la BNF. Par ailleurs, seul ce dernier exemplaire présente la coquille os (v. 518) au lieu de los et c’est uniquement dans celui-ci que après figure avec un accent aigu dans la didascalie de la p. 98. Enfin, ce n’est que dans l’exemplaire de l’Arsenal que le v. 1649 s’achève par un point virgule et que flâme (v. 1653) porte un accent circonflexe.

Une édition pirate du Gentilhomme de Beauce fut publiée en 1670 à Amsterdam par Abraham Wolfgang, « suivant la copie imprimée à Paris ». Le texte fut ensuite édité à plusieurs reprises, dans des recueils regroupant les œuvres de Montfleury : en 1698 (t. I), 1705 (t. II), 1735 (t. I), 1739 (t. II), 1775 (t. II) et 1776 (t. II). Seule l’édition de 1739 par la Compagnie des libraires, Théâtre de messieurs de Montfleury, père et fils, comprend l’intégralité de ses pièces de théâtre.

Le texte de référence comporte de nombreuses coquilles et erreurs ; visiblement, Montfleury ne s’est pas soucié de revoir son texte, une fois imprimé. Le ſ a été modernisé en s et le u en v dans yure (v. 998) et dans Uous (v. 1433). Les accents diacritiques sur le a et le ou ont été restitués ou ôtés en fonction de la nature grammaticale du terme. La ponctuation a été respectée sauf lorsqu’elle gêne la compréhension du texte ou qu’elle résulte de coquilles manifestes. Les retraits ont été rétablis aux v. 51, 199, 320 et 345 et supprimés aux v. 529, 530, 535, 685, 693 et 866. L’alinéa du v. 1545 a été reproduit.

Les fautes d’impression et d’orthographe §

On constate beaucoup d’erreurs dans les cahiers I, L et P. Nous avons corrigé à en a aux v. 193, 207, 431, 448, 716, 888, 1078, 1136, 1196, 1536, 1544 et 1545 ; a en à aux v. 731, 1022, 1035 et 1101 ; ou en aux v. 221, 355, 526, 592, 736, 811, 1047, 1209, 1227, 1239, 1351 et 1439. D’autre part, nous avons restitué la lettre h dans l’interjection A aux v. 770, 992, 1124 et 1312.

Épître : accomplies, la, d’étruise, vacabond, &.

Privilège : fournies.

Acte I : autre (43), nom (77), j’aseront (90), dit (90), voyez vous (125), la (138), dont (141), coste (160), s’emblent (173), de poir (177), peu (191), de sur (218), tingerer (236), Devort (241), la (249), si (249), ny (250), fosters (348), la (356), tour à-tour (367).

Acte II : vous (373), la haut (386), vou (390), quelle (465), mameine (468), ils (482), par ty (484), ny (494), dentendre (503), tour (518), os (518), peut (525), décaheter (529), sciter (539), la (540), CLIMNNE (nom du personnage, p. 32), ser vir (585), an (600), rotiseur (606), ma (672), a-t-on (677), autres (680), un (683), perde (712), ny (719), la (732).

Acte III : laisser (740), jy (747), qu’elque (754), non (756), j’usqu’(762), non (763), roolie cy (772), grande reverence (didascalie p. 47), finisons (779), (782), pieds de-veau (800), de sur (807), comemer (832), s’en (835), déquité (842), bien-faisa (852), on (884), gi (886), Ces (893), cours (895), nompareille (901), l’ardez (904), jaurois (921), permettre (969), qu’elle (973), s’en (975), de hors (1018), la (1027), Viviez (1032), de sur (1034).

Acte IV : ma (1040), coup de bastons (1046), ma (1046), CASCON (nom du personnage, p. 64 et p. 66), altercations (1058), ne (1066), deux (1070), juges (1073), aux (1075), fous (1080), dont (1085), qu’elle (1090), largent (1122), la (1128), de sur (1189), aveu (1211), de voir (1238), sçauriez (1240), vas (1246), taisonner (1293), que (1313), jettois (1319).

Acte V : ma (1334), las (1336), (1357), s’en (1368), méchaufer (1389), Es (1391), voyrons (1392), fons (1418), toutes (1424), mébranler (1430), au (1438), donc (1467), ma (1498), de fous (1510), De terrer (1516), trosor (1529), en (1544), deux (1544), ose (1551), saille (1590), despoir (1608), ma (1652), la (1656).

Les obstacles à la restitution du sens §

Les éditions ultérieures du Gentilhomme de Beauce permettent de rectifier certaines fautes qui font obstacle à la compréhension du texte.

Épître : luy (p. 2, l. 9).

Acte I : t’(53), nos (95), nostre (103), te (140), le (170).

Acte II : ecrire mon païs (668).

Acte III : le (1032).

Acte IV : Le (1054), dans (1225), le (1226).

Acte V : la (1408), Et (1428), nostre (1447), Et (1601).

La ponctuation §

Nous avons corrigé la ponctuation suivante :

Acte I : vous, (143), Espoux, (144), aymez ; (157), parfumezØ (158), costesØ (160), modelles. (163), puissance : (196), m’envoye. (259), feux. (302), experience. (323).

Acte II : Non, pas (445), moy. (453), pourquoy ? (723).

Acte III : entreØ (755), réponde. (782), vie. (793), cela : (807), distribuoit : (811), approcherent ; (813), pencherØ (814), bien-faisantØ (852), retourØ (881), entretien ; (915), decide. (961), pensez, (976), reviendreØ (987), Medeçain. (987), sortit ? (1026), Feste. (1033).

Acte IV : candeurØ (1052), miens, (1070), presse; (1070), content. (1086), s’entendØ (1090), rien. (1092), pasØ (1093), dire. (1093), despit. (1112), six. (1112), friponsØ (1116), revenuØ (1118), m’inquieter. (1124), nousØ (1238).

Acte V : gré. (1384), yeux ; (1385), vous je pense, (1393), confidence, (1394), rien ; (1395), race : (1414), surprit, (1415), lotterie. (1470), aposté. (1479), Paris ; (1519), chimere : (1525), personne ; (1529), vie ; (1534), soinsØ (1549), parler ; (1552), voirØ (1554), il faut ! helasØ (1606), fin. (1639), galantes ; (1650), consanguinité, (1651).

La prosodie §

Les v. 132, 365, 688, 732, 895, 1045, 1225, 1226, 1256 et 1372 ne comportent que onze syllabes. Par conséquent, nous avons ajouté le terme manquant comme le font les éditions tardives du texte : de (132), ce (365), moy (688), je (732), gant (895), me (1045), de (1226), le (1256), le préfixe re- (1372). Le v. 644 compte une syllabe de trop, c’est pourquoi le second met a été supprimé. Enfin, toujours pour respecter la prosodie, une boëtte (v. 822) a été remplacé par ma boëtte, la correction du verbe Viviez (v. 1032) a nécessité l’ajout de Toy…, et tout autre (v. 1225) a été remplacé par tous autres.

La distribution des répliques et la présentation des scènes §

Nous avons corrigé les fautes dans la distribution des répliques et la numérotation des scènes ainsi que les erreurs figurant au début des scènes, dans la liste des personnages. Les v. 200-203 sont attribués à Climenne alors que le sens exige qu’ils soient dits par le Beauceron. Le v. 433 est isolé alors qu’il fait partie de la réplique prononcée par le Beauceron aux v. 428-432. La même erreur se produit aux v. 1015-1016, dans une réplique du Basque. À l’acte III, une scène seconde et une scène II se suivent, ce qui décale la numérotation : aussi l’acte comporte-t-il dix scènes au lieu de neuf. Dans la scène numérotée de façon erronée scène II, Champagne figure dans la liste des personnages présents alors qu’il n’arrive qu’à la scène suivante. En revanche, dans celle-ci, seul Champagne paraît dans la liste des personnages, bien que le gentilhomme n’ait pas quitté la scène. Enfin, dans la scène 8 de l’acte I, la liste des personnages présents fait défaut.

LE GENTIL-HOMME
DE BEAUCE,
COMEDIE. §

A LEURS ALTESSES SERENISSIMES
MESSEIGNEURS
LES PRINCES
DE BRUNSWIK
ET
DE LUNEBOURG124. §

MESSEIGNEURS,

Ne Vous estonnez pas de l’hommage que le Gentil-homme de Beauce125 va rendre à vos ALTESSES SERENISSIMES, ce campagnart* est tellement fier du bon-heur* qu’il eu de paroistre aux yeux de nostre Grand Monarque126, qu’il ne peut s’imaginer qu’il soit tout-à-fait indigne de paroistre aux vostres, quelque soin que je prenne à l’en détourner, je me vois contraint de l’abandonner à son opiniâtreté ; & quelque reflexion que je face sur ses défauts, je ne puis me dispenser de donner quelque chose à mon zele127 : Je me suis en vain efforcé de mettre devant ses yeux tout ce qui le devoit intimider, de luy dire qu’il alloit s’exposer aux yeux de trois Princes si éclairez, si galans* & si accomplis, que l’ouvrage le plus parfait meriteroit à peine l’honneur de leur estre offert, & que si l’indulgence qu’on a eüe pour luy à Paris, l’a fait trouver supportable ; le juste discernement que vos ALTESSES SERENISSIMES sçavent faire de toutes choses, luy devoit faire perdre l’envie de sortir de son pays. Ces considerations l’auroient peut-estre fait rentrer en luy-mesme128, si les merveilles que la renommée publie icy de vous chaque jour, ne luy avoient donné autant de curiosité que d’étonnement : Il a sceu par sa voix que l’Allemagne a produit en vos A.S. trois Princes aussi Illustres par leur merite que considerables par leur Rang, aussi redoutables par leur Valeur, que Glorieux par leurs Victoires, aussi admirables par leur Prudence, que étonnans par la vivacité de leur Esprit, & aussi remarquables par leur Magnificence qu’extraordinaires par leur generosité*. Il a sceu que la bonté vous est aussi naturelle que la justice, & n’a pû s’imaginer que la facilité que vous avez à connoistre les défauts, détruise en vos A.S. le penchant qu’elles ont à les excuser. Voilà le digne sujet* de son empressement, voilà ce qui peut justifier sa hardiesse ; & j’ose dire sans la vouloir authoriser, que la curiosité n’est pas tout-à-fait blâmable quand elle est aussi bien fondée. En effet, MESSEIGNEURS, ce n’est qu’en vostre seule Cour où la nature prodigue de Heros, fait voir en trois Illustres Freres, trois Princes dont l’union & les Vertus éclatantes donne de l’admiration à tout le reste du Monde ; ce n’est qu’en vos A.S. que le Ciel a doüé trois Freres de tout ce qui peut rendre trois Princes également parfaits, & ce n’est qu’à chacun de vous seuls en particulier, à qui le Ciel a donné deux Princes & deux Heros pour Freres. Je sçais bien que je me pouvois empécher d’avoir part à la temerité du Provincial que je vous offre, que je luy pouvois refuser mon aveu*, & que si son bon-heur* le conduisoit en Allemagne, je le pouvois laisser aller en vagabond, en une Cour où ses défauts ne peuvent avoir que vos bontez pour azile : Mais si la raison me le conseilloit, ma reconnoissance n’a pu s’y resoudre, & les biens-faits que vous avez tous si genereusement répandus sur une partie de nostre famille, vous ont tellement acquis l’autre129, que j’ayme mieux vous faire un present si peu digne de vous, que de ne pas publier par tout la passion* respectueuse avec laquelle je suis,

DE VOS ALTESSES SERENISSIMES,

MESSEIGNEURS,

Le tres-humble & tres obeissant serviteur.

MONT-FLEURY.

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace & Privilege du Roy, donné à Paris le 7. jour de Septembre 1670. Signé par le Roy en son Conseil, le Rouge : Il est permis au Sieur Mont-Fleury de faire imprimer, vendre & debiter une Piece de Theatre intitulée, Le Gentil-homme de Beauce, fait par ledit sieur de Mont-Fleury ; Et ce durant le temps de cinq ans, à commencer du jour qu’il fera achevé d’imprimer pour la premiere fois : Et deffenses sont faites à tous Libraires & Imprimeurs, d’imprimer, faire imprimer, vendre & debiter ladite Piece, sans le consentement de l’exposant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de cinq cens livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous despens*, dommages & interests, ainsi qu’il est porté plus au long par ledit Privilege.

Et ledit sieur de Mont-Fleury a cedé son droit de Privilege à Anne David Femme de Jean Ribou, suivant l’accord fait entr’eux.

Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arrest de la Cour de Parlement, le 18. Septembre 1670.

Signé, L. SEVESTRE, Syndic.

Les Exemplaires ont esté fournis.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 18. jour de Septembre 1670.

NOM DES ACTEURS. §

  • M. DE COUTRE-VILLE. Gentil-homme Beauceron, Amant* de Climenne.
  • CLIMENNE.
  • LEANDRE. Amant* de Climenne.
  • LE BASQUE. Valet de Leandre.
  • BEATRIX. Suivante de Climenne.
  • UN GASCON.
  • MARTIN.
  • CHAMPAGNE. Lacquais de Climenne.
La Scene est à Paris dans une Sale chez Climenne.

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

CLIMENNE, BEATRIX.

BEATRIX

Quoy vous espouseriez ce cousin ? ce magot* [p. 1, A]
Supplanteroit Leandre & vous ne diriez mot ?
Ce pied-plat* qui se plaint* habits, souliers & chausse,
En un mot ce bouru Gentil homme de Beauce,
5 Parce qu’il a du bien croit ce cœur destiné, [p. 2]
Au Seigneur campagnard d’un hameau ruiné ?
Qu’à le suivre en Province une fille s’engage ?
Ma foy c’est pour son nez130 ; qu’il aille en son village,
Conter131 ses poulets-d’inde* & qu’il nous laisse en paix.

CLIMENNE

10 Ma mere dans son bien a trouvé tant d’attraits,
Qu’elle veut de mon cœur forcer la repugnance,
Et luy pour m’épouzer n’attend qu’une dispense132,
Estant logé chez-nous…

BEATRIX

Il est vray qu’il est bon133,
Il est icy venu debarquer sans façon*,
15 Et depuis empaumant* nostre mere eternelle134,
Il fait dans la maison le maistre bien plus qu’elle ;
Car souvent pour un rien, il nous menace tous,
Ou de mettre dehors ou de donner cent coups,
Lors que je me remets* son burlesque visage*,
20 Sa monture, son train*, & tout son equipage*,
Et l’air* dont ce mâtin* vous vint sauter au cou,
Je ne puis m’empescher d’en rire tout mon sou.

CLIMENNE

Il s’est fait habiller.

BEATRIX

Ouy, mais ce lunatique
Avec son habit neuf sent* sa medaille* antique,
25 Son tailleur avec luy pensa perdre l’Esprit
Quand il le fit venir, & touchant* cet habit,
Ce bouru mesprisant ses avis* & les nostres,
N’a pas voulu qu’en rien il fust semblable aux autres,
Il dit que ses ayeuls estoient ainsi vestus,
30 Et qu’il veut imiter leur mode & leurs vertus,
A propos dites-moy, Madame je vous prie.

CLIMENNE

Quoy ? [p. 3]

BEATRIX

Quand pretendez*-vous tirer la lotterie ?
Vous disiez…

CLIMENNE

Pas si tost.

BEATRIX

Et pourquoy ?

CLIMENNE

Pour raison.

BEATRIX

J’ay de voir mes billets grande demangeaison,

CLIMENNE

35 Je le crois, mais apprens pour te voir satisfaite,
Pourquoy je la differe, & pourquoy je l’ay faite,
Depuis que pour mes maux135 ce cousin est chez-nous,
Je n’osois voir personne, & sous136 ce nom d’époux,
Il m’obsedoit* par tout, & pour voir compagnie*,
40 J’ay comme tu le vois fait une lotterie.
Tâche à trouver Leandre, anime son espoir,
Sous pretexte d’y mettre137 il peut me venir voir,
Qu’il mette un jour pour luy, le landemain pour d’autres,
Et les soins* de l’amour seconderont les nostres.

BEATRIX

45 Il est vray qu’à l’aspect138 du cousin, vos amis,
Ont en fort peu de temps deserté le logis,
Car vous aviez toûjours fort bonne compagnie*,
Cela vous tient au cœur, mais depuis leur sortie,
N’avez-vous rien appris du pauvre Chevalier ?
50 D’Alchante ? de Damon ? car pour le Maltostier*,
Il est mort.

CLIMENNE

Je souffrois* ces gens par bien-seance, [p. 4]
Et de Leandre seul je regrette l’absence.

BEATRIX

Si vous la regrettez, j’y perd beaucoup aussi,
Le Basque son valet n’ose venir ici,
55 Je l’aimois, & je sçais qu’il m’ayme avec tendresse*.

CLIMENNE

Dis luy si tu le vois qu’avec un peu d’adresse…

BEATRIX

J’y suis interessée139 & diray ce qu’il faut.

SCENE SECONDE. §

CLIMENNE, BEATRIX, LE GASCON.

LE GASCON

Hola, quelqu’un140, lacquais faut il monter en haut ?
Personne ne respond.

BEATRIX

J’entens quelqu’un qui crie.
60 Que vous plaist-il, Monsieur ?

LE GASCON

Et dont la lotterie,
Je porte icy d’argent141.

BEATRIX

Pour combien de billets.

LE GASCON

Pour douze, mais ou sont vos gens* ou vos valets,
Qui donne ces billets ? seroit-ce quelque fame ?

BEATRIX

Non, c’est le Precepteur du frere de Madame.

LE GASCON

65 Il s’appelle ? [p. 5]

BEATRIX

Martin.

LE GASCON

Habille ?

BEATRIX

Pas tant sot.

LE GASCON

Je voudrois qu’il m’apprit à gagner un gros lot,
Je m’en suis desja fait pour cinquante pistoles*142,
Dieu me damne143, & je dis ceci sans hiperboles,
J’avois trente billets chez Madame du Bois,
70 Chez Monsieur du Buisson, j’en avois vingt & trois
J’en avois douze, chez Madame la Fontaine,
Chez Monsieur de la Vigne encor autre douzaine :
J’ay pris tous billets blancs144 ; il faut voir jusqu’au bout145.

CLIMENNE

Vous estes mal-heureux en lotterie.

LE GASCON

En tout,
75 Si pour m’indamniser146 j’estois heureux en belles,
Je m’en consolerois.

CLIMENNE

Vous sont-elles cruelles ?

LE GASCON

Il ne tiendra qu’à vous de m’apprendre que non,
Vous riez. Vous voyez que je suis sans façon*,
Tous nous autres Gascons sommes francs.

CLIMENNE

Je l’advouë.

LE GASCON

80 Loin de nous en blâmer, un chacun nous en louë,
Vos lots seront-ils gros ?

SCENE III. §

LE GASCON, LE BEAUCERON,
CLIMENNE, BEATRIX.

LE BEAUCERON. à part

Quel est cet évelier* ? [p. 6]

LE GASCON

Vostre fons* est-il grand ?

LE BEAUCERON

Le drôle* est familier.

BEATRIX

Ouy, jusques147 à present le fonds* en est passable,
Beaucoup de gens ont mis, & la somme est notable :
85 Mais comme à la tirer on n’est pas encor prest,
Il peut avec le temps estre plus grand qu’il n’est,
Pour la fidelité148

LE GASCON

Je connois bien Madame,
Je suis vostre voisin, & j’y mettrois mon ame,
Si son cœur me pouvoit venir pour un gros lot.

LE BEAUCERON. à part

90 Ils jaseront toûjours si je ne leur dis mot.

BEATRIX. à Climenne

Voicy vostre cousin & vous aurez aubade149.

LE GASCON. l’embrassant

Ah ! Monsieur.

LE BEAUCERON

Et mort-bleu d’où vient donc l’embrassade150 ?
La peste vous estouffe avec vostre jargon*.

LE GASCON

Monsieur de Coutreville… [p. 7]

LE BEAUCERON

Il est vray c’est mon nom.

LE GASCON. l’embrassant

95 Vous ne connoissez* plus vos amis.

LE BEAUCERON

Et de grace.
Laissez-moy prendre haleine, & vous revoir en face,
Voulez-vous m’estouffer, enfin je vous connois ?

LE GASCON

Sans doute.

LE BEAUCERON

Et depuis quant ?

LE GASCON

Depuis plus de dix mois.
Vous estes Beauceron volontiers151,

LE BEAUCERON

Je le pense,
100 C’est un galand*152 qui cherche à faire connoissance153.

LE GASCON

J’estois, & vous m’allez connoistre* asseurement,
Capitaine, & Major, dans certain Regiment154,
Qui passa l’an dernier dedans155 vostre village.

LE BEAUCERON

Ah ! ouy, les grands fripons !

LE GASCON

On fit quelque ravage156,
105 J’en demeure d’accord, mais je fus des premiers…

LE BEAUCERON

Vous estes donc Monsieur de ces avanturiers ?
De ces ames de feu ? de poudre ? & de salpestre ?
De ces gens avec qui chez soy l’on n’est point maistre ?
Qui ne suivez en tout que vostre passion* ?
110 Et qui voulez par tout estre à discretion157 ?
Dont l’esprit emporté, comme vostre regarde, [p. 8]
Du noble campagnard* la femme campagnarde158 ?
Qui vous apprivoisant* des la seconde fois,
Mettez effrontement un honneur* aux abois ?
115 N’employez tous vos soins* qu’à gaster* un ménage,
Et n’estes point content que le mary n’enrage ?

LE GASCON

Espargnez vos amis.

LE BEAUCERON

Apprenez que je suis,
Ennemy capital de semblables amis ;
Mais enfin dites-nous quel motif vous amenne ?

LE GASCON

120 Je viens pour des billets, & rencontrant Climenne,
J’ay pris occasion…

LE BEAUCERON

C’est donc assez jaser,
Qui vient pour des billets ne vient pas pour causer,

LE GASCON

Mort-bleu j’ayme le sexe*, & ma joye est extrême,
Quand je trouve…

LE BEAUCERON

Tout doux.

LE GASCON

Sçachez…

LE BEAUCERON

Sçachez vous-mesme,
125 Si vous ne le sçavez, que vous voyez en nous159,
Le cousin de Climenne, & son futur Epoux ;
Que je me dois dans peu marier avec elle,
Et me voir gouverneur de cette citadelle ;
Que je veux pour briser toute autre liaison160,
130 Y mettre mon honneur* bien-tost en garnison161.
Qu’estant noble, & Seigneur d’une assez belle terre, [p. 9, B]
Mon logement doit estre exempt de gens [de] guerre,
Et qu’enfin je pretens* en cette qualité,
Que je puis faire nargue162 à la majorité.

LE GASCON

135 Suffit je vous entens*.

LE BEAUCERON

C’est ce que je demande,
Cherchez fortune163 ailleurs.

LE GASCON

La faute n’est pas grande,
Je le veux164, c’est assez m’en dire sur le point ;
Mais ce Monsieur Martin, il est là haut non point ?

LE BEAUCERON

Je le crois.

LE GASCON

Prés de luy je m’en vais donc me rendre.

LE BEAUCERON. à Beatrix

140 Et par l’autre escalier qu’on le face descendre.

SCENE IV. §

LE BEAUCERON, CLIMENNE.

LE BEAUCERON

Enfin vous voulez donc en tous lieux & toûjours,
De vostre humeur* galante* entretenir le cours ?
Voir toûjours près de vous quelque face chocquante*,
Pour moy futur Espoux de femme trop galante*165 ?
145 Et que je trouve icy toûjours malgré ce rang,
Quelque nouveau transi qui m’échaufe le sang166 ?
Quelque diseur de rien, de qui l’ame cocquette*, [p. 10]
Sçache à brûle pour-point tirer une fleurette* ?
Qui vous serre les mains, & qui pour mes pechez167,
150 Vous parle incessamment à quatre doits du nez ?

CLIMENNE

Comme je suis chez-moy, je crois par bien-seance,
Ne pouvoir me parer de168 quelque complaisance,
Et principalement, lors que je vois des gens,
De qui la mine*, & l’air*, exigent…

LE BEAUCERON

Je pretens*,
155 Qu’on peut payer* ces gens malgré la bien-seance,
D’un adieu bien succint & d’une reverence.
Mais je voy ce que c’est la belle, vous aymez
Ces Messieurs à fracas*, ces galans* parfumez ;
Vostre mondain esprit, aime avoir de ces hostes,
160 Dont les bras chamarrez vous chamarent169 les costes,
Et l’on est bien venu lors que l’on est paré,
D’un point* Venitien170 ou manufacturé,
Moy qui ne suis pas fait sur de pareils modelles…

CLIMENNE

Mais enfin…

LE BEAUCERON

Mais enfin je sçay de vos nouvelles171.

CLIMENNE

165 La lotterie attire icy beaucoup de gens,
Et la porte doit estre ouverte à tous venans,
Et vous voyez s’il est aisé qu’on s’en défende.

LE BEAUCERON

Il est vray que jamais rage ne fut plus grande,
Ouy, je croy qu’en effet le monde devient fou,
170 On se bat pour donner jusques au dernier sou ;
Je vois des gens tres-cours d’argent, & de resource,
Qui viennent en fureur* prostituer leur bourse,
Et s’empressent si fort, qu’ils semblent en effet, [p. 11]
Apporter à serrer* un larcin qu’ils ont fait.
175 J’en sçais qui ne sçauroient outre toutes ces peines*,
Payer un numero sans jeûner trois semaines,
Qui depuis le matin dînant d’un peu d’espoir,
Leur argent à la main, attendant jusqu’au soir :
Pour pouvoir emporter, sans se lasser d’attendre,
180 Un morceau de papier griffonné, qu’ils vont prendre,
Chez des gens plus fins qu’eux qu’ils croyent172 assez sots,
Pour les gratifier173 bonnement des gros lots,
A-t-on jamais parlé d’une telle folie ?

CLIMENNE

Vous avez cependant imité leur manie* :
185 Et pris quatre billets chez Oronte.

LE BEAUCERON

D’accord,
Mais celle-là n’a point aux autres de rapport ;
Et je m’en sçais bon gré174, bien-loin que je m’en blâme,
L’interest ne sçauroit toucher cette grande ame ;
C’est pour un cœur si noble un sentiment trop bas,
190 Tout s’y fera dans l’ordre & je n’en doute pas.

CLIMENNE

On peut ailleurs aussi…

LE BEAUCERON

Vostre erreur est extrême.

CLIMENNE

C’est vostre sentiment*, pour mettre ailleurs de même ;
Le peuple a ses raisons.

LE BEAUCERON

Le peuple a ses raisons ?
Et mort-bleu que fait-on des petites maisons175.

CLIMENNE

195 C’est un lieu trop petit pour tous les foux de France.

LE BEAUCERON

Ah ! si sur le public* j’avois quelque puissance, [p. 12]
Qui m’en fit ménager le bien, ou l’interest,
Le peuple deviendroit plus ménager* qu’il n’est,
Ou du moins…

CLIMENNE

Que feroit vostre humeur* prevoyante,

LE BEAUCERON

200 Moy ? je mettrois l’argent de tous ces fous en rente ;
Et je ferois donner au pere, ou bien au fils,
De vingt ans, en vingt ans, autant qu’ils auroient mis176.

CLIMENNE

Cela seroit fort beau*.

LE BEAUCERON

Mais dites-moy de grace.
Cet embarras* est grand, n’en estes-vous point lasse ?
205 A chaque instant du jour un lacquais effaré,
Monte le nez cassé, son habit déchiré :
Un autre sans chapeau, peigné de bonne sorte,
Nous vient dire en pleurant qu’on a forcé sa porte,
Les gens qui l’ont forcée entrent comme des fous,
210 Et l’on diroit enfin à les voir courir tous,
Et faire chaque jour pareille violence177,
Qu’ils auroient aux talons tous les Prevosts de France.

CLIMENNE

Mais j’y suis engagée, il faut voir jusqu’au bout,
Laisser passer la foule, & se resoudre à tout,
215 Pourrois-je l’empescher enfin, quoy que je fisse ?

LE BEAUCERON

Le Beau* doute.

CLIMENNE

Et comment ?

LE BEAUCERON

Il faut avoir un Suisse178,
Mettre en teste179 à ces gens un hardaut* sans pitié, [p. 13, C]
Qui dessus leur argent soit le premier payé.

CLIMENNE

C’est un autre embarras*, il seroit necessaire…

BEATRIX

220 Madame, j’en sçais un qui sera vostre affaire.

CLIMENNE

Où le prendre ?

BEATRIX

Il demeure à vingt pas du logis,
Il est nouvellement venu de son païs ;
On n’entend* presque rien de tout ce qu’il veut dire,
Il est si plaisamment vestu qu’il en fait rire,
225 Madame, il est mutin*, parle fort son jargon*,
Et n’entend* à le voir180 ny rime ny raison181,
Il frape comme un sourd, ne cherche qu’à se battre,
Il est fort comme deux, & méchant* comme quatre,
Avec sa mine* froide il a le sang fort chaud.

LE BEAUCERON

230 Bon, voilà justement le Suisse qu’il nous faut.

BEATRIX

Je vous le feray voir.

LE BEAUCERON

Au plûtost, sa presence…
A propos le Gascon n’est pas sorty je pense.
Il cherche à s’introduire ou j’en ay mal jugé ;
Je vais s’il ne l’est pas luy donner son congé.

SCENE V. §

CLIMENNE, BEATRIX.

CLIMENNE

235 De quoy t’es tu meslée ? est-ce pour mon supplice, [p. 14]
Que tu veux t’ingerer de nous donner un Suisse ?
Je ne puis voir Leandre, & n’est ce pas assez ?…

BEATRIX

Je me sers, & vous sers plus que vous ne pensez,

CLIMENNE

Comment ? s’il est ainsi, fais-le moy donc connoistre.

BEATRIX

240 Si j’en veux182 au valet vous en voulez au Maistre,
N’est-il pas vray ?

CLIMENNE

D’accort.

BEATRIX

Et le Basque est celuy,
Que je pretens* pour Suisse introduire aujourd’huy.

CLIMENNE

As-tu perdu l’esprit ? le grossier artifice*,
Crois-tu qu’il183 puisse prendre un Basque pour un Suisse ?
245 En le faisant parler184

BEATRIX

Il contre fait si bien
Le Suisse, que jamais on n’y connoistra* rien,
Vous jugerez bien-tost de ce que j’en puis dire,
Ce folastre ceans* m’en a cent fois fait rire,
Personne ne l’a veu qui ne s’y soit trompé,
250 Et je ne doute pas qu’il n’y soit attrapé.
Je m’en suis avisée* à propos, & Leandre, [p. 15]
Sans cela prés de vous eust eu peine à se rendre,
Si le Cousin eust pris sans nous en advertir,
Un Suisse, il eust falu se resoudre à pâtir.

CLIMENNE

255 Pour avoir le valet tasche à trouver le Maistre,
Tu luy diras.

BEATRIX

J’y cours, mais je le vois paroistre.

SCENE VI. §

LEANDRE, CLIMENNE, BEATRIX.

LEANDRE

Je trouve en mon mal-heur quelque chose de doux,
Puis qu’il permet encor que j’approche de vous,
Ce moyen de vous voir que le hazard m’envoye,
260 Suspend mon desespoir & fait place à ma joye,
Mais qu’elle est imparfaite, & qu’un cœur alarmé*,
Sent de maux quand il pert ce qu’il a tant aimé.
L’époux qu’on vous destine a peu dequoy vous plaire,
Madame, pourrez vous l’espouser & vous taire ?
265 Et sans faire éclater* luy donnant vostre foy*,
Quelque reste des feux que vous sentiez pour moy.

CLIMENNE

On veut que je l’épouse, & cet ordre me tuë,
Mais la dispense185 enfin n’est pas encor venuë ;
L’amour jusqu’à ce temps pourra faire pour nous…

LEANDRE

270 Mais s’il faut qu’elle vienne il sera vostre époux.

CLIMENNE

Ne vous alarmez* point, quoy que sa flame éclate*, [p. 16]
Et souffrez* jusques là qu’un peu d’espoir nous flate*

LEANDRE

De quel espoir helas ! flater* ma passion ?

BEATRIX. les separant

Que de discours, voicy dont186 il est question,
275 Pour empescher qu’ici la foule ne se glisse,
Le cousin Beauceron, veut que l’on prenne un Suisse,
Vous sçavez que le Basque est un original,
Qui le contre-fait bien.

LEANDRE

Il ne le fait pas mal,
Mesme de ce jargon* s’est fait une habitude,
280 Le drôle* a de l’esprit, & mesme un peu d’estude,
Il est plaisant, pourveu qu’il ne s’enyvre point,
Tout iray bien.

BEATRIX

J’auray soin de luy sur ce point ;
Trouvez-luy quelque habit de Suisse, & pour l’instruire,
Qu’il me vienne trouver je le dois introduire.

LEANDRE

285 Mais…

BEATRIX

Ne demandez point ny comment, ny pourquoy,
Despechez, & de tout reposez-vous sur moy.

LEANDRE

Je t’entens*, & je voy combien il nous importe,
De rendre mon valet le maistre de la porte ;
Je vais y donner ordre, & cet espoir m’est doux :
290 Mais puis-je me flater* en m’éloignant de vous ?

CLIMENNE

Allez, & soyez seur que malgré l’advantage
Qu’on veut me faire voir dedans ce mariage187,
Si l’amour, et le sort, secondent mes desirs, [p. 17]
De l’espoir d’estre à vous je fais tous mes plaisirs ;
295 Et que rien ne sçauroit esbranler ma constance.

LEANDRE

Que cet espoir m’est doux & que cette asseurance,
Malgré ce que je crains rend mes desirs contens.

SCENE VII. §

LE BEAUCERON, CLIMENNE,
LEANDRE, BEATRIX.

LE BEAUCERON

Le Gascon est dehors, voicy l’autre dedans,
Ils parlent d’action188, peste quelle novice189 !

CLIMENNE

300 Mon cœur vous en respond*.

LE BEAUCERON. les escoutant

Ah nous aurons un Suisse,
Le deussay-je payer à mes dépens, je veux…

LEANDRE

Que ne vous dois-je point de souffrir* que mes feux190

LE BEAUCERON. à part

Puis qu’à remercier son ardeur est si prompte ;
On peut s’imaginer que le drôle* a son compte191.

BEATRIX. bas à Climenne

305 Voicy vostre cousin.

CLIMENNE. à Leandre

Ne vous alarmez* point.
Secondez seulement ma feinte sur ce point.
Tous nos billets sont blancs, vous le voyez Leandre ;
Mais enfin ce mal-heur ne nous doit pas surprendre,
Il faut que quelqu’un perde, & le sort, aux despens : [p. 18]
310 De mille mal-heureux, fait si peu de contens ;
Que loin de s’en fascher il faut que l’on en rie.

LE BEAUCERON192

Elle deviendra folle avec sa lotterie.

BEATRIX

Ils sont blancs comme nege.

LEANDRE

Il m’eust esté bien-doux,
De pouvoir partager un lot avecque* vous,
315 Vous deviez avec vous associer193 quelqu’autre,
Je crains que mon mal-heur n’ait fait naistre le vostre,
Jamais l’évenement* ne respond à mes veux.

CLIMENNE

Peut estre une autre fois nous serons plus heureux,
Je le souhaite au moins.

LEANDRE

Madame, je l’espere,
320 Et prens congé194 de vous.

LE BEAUCERON. à part

La peste quel compere*.

SCENE VIII. §

LE BEAUCERON, CLIMENNE.

LE BEAUCERON. s’approchant de Climenne

Et deux195 cousine, & deux, parlons de bonne foy,
Il vous remercioit196, peut-on sçavoir de quoy ?

CLIMENNE

De rien.

LE BEAUCERON

Mais chacun sçait par son experience197, [p. 19]
Que qui ne reçoit rien ne donne point quittance.

CLIMENNE

325 Nous avions dix billets ensemble chez Damis,
Leandre s’y trouvant ce matin, les a pris,
Il m’apportoit ma boëtte, & nous l’avons ouverte
Et nous nous consolions tous deux de nostre perte ;
Quoy que dans mes billets il n’eust que peu de part.

LE BEAUCERON

330 Combien avoit-il mis ?

CLIMENNE

Il n’estoit que d’un quart.

LE BEAUCERON

Le detour est adroit, ah ma chere cousine !
D’un fleau de mary vous avez bien la mine*,
Dites que ce galand* avoit pour mon mal-heur ;
Un quart dans vostre boëtte, & trois dans vostre cœur ;
335 Et que ce dernier quart que je ne puis surprendre,
Venoit capituler à dessein de se rendre.
Car enfin, je l’ay veu, prest à s’extasier,
S’applaudir en secret, & vous remercier198.
J’ay veu que vos regards avec sa bonne étoile,
340 Poussoient vers le blondin* vostre cœur à plein voile199,
Que ses yeux, ne pouvant se lasser de vous voir,
Marquoient d’un air* mourant leur joye & leur espoir ;
Et que sa bouche enfin entre chaque parole,
Du vent de ses soûpirs encensoit vostre idole.
345 Je l’ay veu…

CLIMENNE

Quoy, toûjours quelque soupçon nouveau ?

LE BEAUCERON

Ah ! cousine m’amie il faut changer de peau200,
Peut estre esperez-vous si le Ciel ne m’exauce, [p. 20]
Sçachant que les forests sont rares dans la Beauce201 ;
Pourvoir à nos besoins pour une bonne fois,
350 Et me faire à Paris provision202 de bois203 ;
Mais enfin…

CLIMENNE

Ce courroux est assez legitime,
Si vous n’avez pour moy qu’une si foible estime.

LE BEAUCERON. entend du bruit

Qu’entens-je ?

CLIMENNE

Vous devez…

LE BEAUCERON

Rentrez, j’entens du bruit.

CLIMENNE

Je pretens*

LE BEAUCERON

Et mort-bleu faites ce qu’on vous dit.

SCENE IX. §

CHAMPAGNE, LE BEAUCERON.

LE BEAUCERON

355 Où cours-tu ? que fais-tu ? quel couroux te transporte,

CHAMPAGNE. fermant la porte de la sale sur luy.

Monsieur, on vient là bas de forcer nostre porte,
Avec leur lotterie ils ont le diable au corps.

LE BEAUCERON

Maudit soit l’embarras*.

CHAMPAGNE

J’ay fait tous mes efforts, [p. 21, D]
Avecque* le cocher & la presse* est si grande…

LE BEAUCERON

360 Avant que jusqu’à nous cette foule s’estende,
Prens avec toy la brie204 & courez promptement,
Prés de Climenne, elle est dans son appartement*,
Deffendez-en l’entrée, & que pas un n’en sorte,
Et taschez d’empescher qu’on ne force sa porte.
365 O Beatrix !

SCENE DERNIERE. §

LE BEAUCERON, BEATRIX.

BEATRIX

Monsieur.

LE BEAUCERON

Va chercher de [ce] pas,
Le Suisse que tu dis.

BEATRIX

J’y vais.

LE BEAUCERON

Quel embarras* !
Le peuple, & les Galans*, tour à tour font ma peine,
Ah ! je ne pretens* plus quitter d’un pas Climenne,
Rentrons, le bruit augmente, & le peuple est mutin* ;
370 Afin de l’appaiser envoyons luy martin205.

ACTE SECOND. §

SCENE PREMIERE. §

BEATRIX, LE BASQUE. vestu en Suisse.

LE BASQUE. pendant que Beatrix regarde s’il n’y a personne

Lestre dans sty lochis que sty Monser dimeure ? [p. 22]
Qu’il dir que je viendre moy ly servir tout à stheure*206 !

BEATRIX. ayant regardé par tout

Tréve de gravité personne ne nous voit.

LE BASQUE

As-tu bien regardé ? [p. 23]

BEATRIX

Ouy, nous sommes seuls.

LE BASQUE

Soit
375 Ma chere Beatrix !

BEATRIX

Ah laissons la sornette,
Suisse fait à la haste.

LE BASQUE

Ah ! charmante Soubrette,
Si tu voulois ; pour toy je souffre nuit & jour,
Tes yeux m’ont fait pour toy galerien207 d’amour,
Je ne suis mesme icy Suisse que pour te plaire,
380 Ah ! si je puis un jour ramer dans ta galere,
Ne m’aimerois tu plus208 !

BEATRIX

Ne sçais-tu pas que si.

LE BASQUE

Puis que tu m’aimes donc, & que je t’aime aussi,
Pourquoy tant de façons* ?

BEATRIX

Il n’est pas temps de rire, 
Tu vois ce qu’il faut faire & sçais ce qu’il faut dire,
385 Songe à jouër icy ton roolle209 comme il faut,
Je vais au Beauceron te conduire là haut,
Il vient, prepare toy.

SCENE SECONDE. §

LE BEAUCERON, LE BASQUE
BEATRIX.

BEATRIX

Monsieur, voilà le Suisse. [p. 24]

LE BASQUE

Monser chil viendre icy ly rendre moy serfice,
Si vous ly prendre moy je ly servir fort bien,
390 Si vous nestry content moy ly dimandi rien210.

LE BEAUCERON. aprés l’avoir regardé

On ne peut mieux parler ; tu n’as rien fait qui vaille211.

BEATRIX

Ce Suisse est vostre fait*.

LE BEAUCERON

D’un Suisse a-t-il la taille ?

BEATRIX

Quoy celuy-cy, Monsieur, n’est pas à vostre gré ?

LE BEAUCERON

Il en faloit prendre un gras, grand, joufflu, carré,
395 Barbu de deux bons pieds*, & qui fut fait de sorte,
Que de son ventre seul, il peut212 boucher la porte.
C’est un méchant* ménage, & pour un tel logis,
Il en faudroit un gros, ou du moins deux petits.

BEATRIX

Ces gros Suisses, Monsieur, avec leur barbe salle ;
400 Et leur ventre de son213, sont des Suisses de balle214.
Estant plus maigre qu’eux il sera plus dispos,
Et je l’aymerois mieux comme il est, que plus gros.
Escoutez, & voyez.

LE BASQUE

Matame Piatille [p. 25, E]
Mafre dit que Monser voudre aver un bon drille*,
405 Per garder sty maison che ly garder pien moy215.

LE BEAUCERON

En avez-vous gardé quelqu’autre-part ?

LE BASQUE

Mon foy,
Lautry chour un Monser tonner un Cometie*,
Tans son champre*, il tient la dy fort bon companie*.
Dy fort pon fiolon, ly sthom afre moy pris,
410 Per faire moy garder ly maison dy lochis,
Ly voudrois pien pescher, car il afre in bel fame,
Qu’un grand petit Monser216 parlit point à Montame,
Il vient, chil pousser luy, cocquin, dir luy, party
Chy lestre point cocquin, moy toy lafre menty ;
415 Ly donne un cou di pié dan mon cu par derriere,
Et dir qu’il donner moy bien de cou ditrifiere217,
Titrifiere, à moy tiche, avec stuy gros martiau,
Dil porte en ly fermant chil casser son musiau218.

LE BEAUCERON

Fort-bien.

BEATRIX

Entendez*-vous toute cette Harangue ?

LE BEAUCERON

420 Le beau* doute, j’entens* toute sorte de langue.
Je ris de son recit, le drôle* n’est point sot.

BEATRIX. riant aussi

Et moy Monsieur, j’en ris sans entendre* un seul mot.

LE BEAUCERON

Entra-t-il ?

LE BASQUE

Lentry don si lentry par firnaitre ;
La Matame safre ça, & ly veut que mon maistre,
425 Chasser moy, mais party mon Maistre y jur son foy, [p. 26]
Que chestre pon quarson & qu’il chasser point moy.
Y pour mon riconpans my tonne un grand pistole*219.

LE BEAUCERON

Que ce Suisse pour nous estoit en bonne escole ?
Et qu’il me fait bien voir par sa naïfveté,
430 Qu’il a servy des gens tous pleins d’honesteté,
Beatrix a raison, il est sans artifice* ;
Et ce n’est pas la taille enfin qui fait le Suisse.
Comment vous nommez-vous ?

LE BASQUE

Torften.

LE BEAUCERON

De quel Canton ?

LE BASQUE

Dy berne220 il estre bon sty Canton.

LE BEAUCERON

Ouy fort bon.
à part.
435 Faisons luy sa leçon,
à Beatrix,
allez dire à Climenne,
Que de descendre en bas elle prenne la peine,
Et qu’elle vienne voir nostre officier221 nouveau.

BEATRIX

J’y vais, nostre cousin donne dans le panneau222.

SCENE III. §

LE BEAUCERON, LE BASQUE.

LE BEAUCERON

Suisse. [p. 27]

LE BASQUE

Plaist-il Monser.

LE BEAUCERON

Il faut servir de zele223.
440 Estre exact, assidu, civil*, hardy, fidelle.

LE BASQUE

Ouy, Monser.

LE BEAUCERON

Gardez*-vous d’estre l’introducteur,
De ces certains Messieurs, comme ce grand Monsieur,
Qu’on vouloit empescher de parler à Madame.

LE BASQUE

Ouy, Monser, lafre fou dans sty maison son fame224,

LE BEAUCERON

445 Non pas, mais vous sçaurez pour ne point perdre temps,
Que je dois épouser la fille* de ceans* ;
Et que lors que je vois le galant* qui l’approche,
La coquette* toûjours a sa défaite* en poche,
Je pretens* l’empescher225 & veux que sur ce point,
450 Vous soyez…

LE BASQUE

Mais Monser tir fou ly craindre point,
Si lestre son mary…sty Matame dy France,
Ayme avec ly Monser le ptit rechouissance226.

LE BEAUCERON

Nous y donnerons ordre. [p. 28]

LE BASQUE

Un camarate à moy,
Qui lafre pris un fam dan sty Paris, mon foy,
455 Lestre riche, aure ly dans son pitit minache,
Dy pon pip, dy pon vin, pon tabac pon formache
Sty carogne* dy fame y sty Monser Calan,
Fisant sty suis cournar manchy tout son larchan227.

LE BEAUCERON

Si nostre jeune oyson prenant l’affirmative,
460 Pour quelque protestant* fait quelque tentative,
Il faudra m’advertir.

LE BASQUE

Moy lentendre* point vous.

LE BEAUCERON

Si la belle d’icy dont je dois estre époux,
Pour voir quelqu’un de ceux que son bel œil attire ;
Vous parloit pour l’un deux, il faudra me redire,
465 Tout ce qu’elle aura dit, en quel temps, & comment.

LE BASQUE

Ouy Monser, j’il tir fou moy tout caillardement228,

LE BEAUCERON

Bouche close ; il suffit, je voy venir Climenne.

SCENE IV. §

LE BEAUCERON, CLIMENNE
LE BASQUE, BEATRIX.

LE BEAUCERON

Venez, que dites-vous du Suisse qu’on m’ameine ?

CLIMENNE

Je le trouve fort bien s’il est à vostre gré. [p. 29]

LE BEAUCERON

470 Voyez.

CLIMENNE. riant

Comme il est fait ? ce Suisse est fort paré.

LE BEAUCERON

Vous riez, c’est ainsi que l’on voit dans les ruës,
Ceux qui de leur païs viennent pour des recreües229,
L’innocence paroist dans cet habillement ;
C’est celuy qu’ils devroient conserver cherement :
475 Et ne jamais souffrir* qu’un maistre trop fantasque,
Pour les mettre chez-luy les habillast en masque,
Peut on se dispenser des modes d’un païs,
Les habits qu’on leur230 voit sont-ce leurs vrais habis,
Non, & j’appelle enfin ces ames mercenaires,
480 Des Suisses renegats des modes de leurs peres.

CLIMENNE

Je veux croire avec vous qu’il est bien mieux ainsi,
Et puis qu’il vous agrée, il me plaist fort aussi,
A vostre jugement il faut que je me rende :
Mais servira-t-il bien ?

LE BASQUE

Party li pel* dimande.
485 Chil voudre moy garder si pien ly porte à vous,
Que mon Maistre estre pien content231.

LE BEAUCERON

Il est à nous.

CLIMENNE

Quand il232 sera content je seray satisfaite.

LE BEAUCERON

Par-bleu voilà pour nous la premiere fleurette*,
Elle est prise, & voit-bien qu’il faut changer de ton :
490 Le Suisse opere, il faut commencer tout de bon*233.
Suisse, allez de ce pas vous poster à la porte, [p. 30]
Le peuple est fort mutin* ; mais il faut faire en sorte,
Que sans confusion il donne son argent.

LE BASQUE

O Monser, j’y n’y fair moy point dy manquement234.

SCENE V. §

LE BEAUCERON, CLIMENNE.

LE BEAUCERON

495 Cette acquisition est fort bonne, & ce Suisse
Est comme je le veux, naif sans artifice*,
Et nous allons avoir un peu plus de repos* :
Mais pour ne point avoir la populace à dos,
Par un retardement dont déja chacun crie,
500 Il faudroit promptement fermer la lotterie,
En finir au plûtost les frais, & l’embarras* ;
Car enfin ainsi qu’eux, franchement, je suis las
De tous les sots discours qu’on est forcé d’entendre
Quant la tirerez-vous ? ne sçauroit-on l’apprendre ?

CLIMENNE

505 Je ne sçais ; mais enfin estant sans interest,
On peut rendre l’argent si cela vous déplaist ;
Mesme des à present on peut le faire dire.

LE BEAUCERON

Qu’on ne se presse point, je veux bien qu’on la tire ;
Cet espoir a pour moy quelque chose de dous,
510 Car enfin à parler franchement entre-nous ;
Cela ne se fait point sans que l’on en profite, [p. 31]
Et vous devez avoir du moins un tiers de quitte235,
Sur ce pied* qu’on la tire, autrement marché nul236,
Nous sçavons supputer*, & suivant mon calcul :
515 Ce qu’on y peut gagner, doit payer le carosse,
Les chevaux, les habits, & les frais de la nosse.

CLIMENNE

Quoy volant le public* avoir le peuple à dos ?

LE BEAUCERON

Quoy pretendre* employer tout cet argent en los ?

CLIMENNE

Comment donc ?

LE BEAUCERON

Dites-moy quelle ceremonie,
520 Pensez-vous observer tirant la lotterie ?

CLIMENNE

Je pretens* pour ne point faire de mécontens,
Méler tous les billets.

LE BEAUCERON

Quoy les noirs & les blancs ?

CLIMENNE

Sans doute, & que ce soit un lacquais qui les tire,
Au hazard, & sans choix.

LE BEAUCERON

Ma foy je vous admire*.

CLIMENNE

525 Puis faire cacheter d’un cachet peu commun,
Les boëttes où seront les billets d’un chacun :
Eviter si l’on peut le bruit & la cohuë,
Et que fidelement237 quelqu’un les distribuë.

LE BEAUCERON

Sans les décacheter.

CLIMENNE

Je le pretens* ainsi.

LE BEAUCERON

530 Et sans en supposer* ? [p. 32]

CLIMENNE

Je le pretens* aussi,
Si je sçay que quelqu’un ait une telle envie.

LE BEAUCERON

Fy vous ne sçavez pas faire une lotterie,
Et ne meritez pas, dans un employ si doux,
La bonne opinion238 que le peuple a de vous.

CLIMENNE

535 Je ne vous entens* point.

LE BEAUCERON. tirant un livre de sa poche

Voyez-vous bien ce livre ?
C’est luy qui vous devroit avoir appris à vivre,
Le voilà le Docteur* qu’il faloit consulter,
Au Palais239 tout exprés je le viens d’acheter,
Et vais vous en citer quelque petit chapitre.

CLIMENNE

540 Qui l’a fait ?

LE BEAUCERON

Un Abbé plein d’esprit.

CLIMENNE

Sous quel titre.

LE BEAUCERON

Le titre en est divin.

CLIMENNE

Montrez- le moy.

LE BEAUCERON

Tous doux,
Il l’intitule, avis aux Thresoriers des foux :
C’est comme on nomme ceux qui font des lotteries.

CLIMENNE

Ce sont d’un esprit creux quelques plaisanteries.

LE BEAUCERON

545 C’est un fort habille homme, & je vous en responds*, [p. 33, F]
Ecoutez vous verrez s’il en raisonne à fonds240.
IL LIT
Tout homme qui voudra faire une lotterie,
Sçaura pour premiere leçon,
Que de son fonds* du moins la troisiéme partie,
550 Doit demeurer dans la maison241 .
Voilà le premier point qu’il faut qu’on établisse,
Le fondement la baze

CLIMENNE

Est-il quelque justice,
A piller le public* ? & n’est-ce pas voler.

LE BEAUCERON

C’est ce qu’il faut sçavoir ou ne s’en pas méler,
555 Voilà le premier point dont il faut qu’on se serve ;
Et voicy le second qu’il faut que l’on observe.
IL LIT
Quand le fonds* grossit une fois 242 ;
Il faut dire que de trois mois,
On ne tire la lotterie ;
560 Et cependant on doit sçavoir,
Que quoyque telle ou tel en crie :
Il ne faut s’appliquer qu’à le faire valoir,
Qu’il faut & sans crainte & sans trouble,
Fermer l’oreille aux cris du peuple qui s’émeut,
565 Et faire profiter jusques au dernier double*,
Au denier* quatre si l’on peut243 :
Voilà mort-bleu, voilà raffiner sur la chose.

CLIMENNE

Quelques expediens244 que cet autheur propose, [p. 34]
C’est un dépost sacré que l’argent du Public*,
570 En feroit-on trafic.

LE BEAUCERON

Si l’on en fait trafic245.

CLIMENNE

C’est ce que j’ignorois & ne suis point capable…

LE BEAUCERON

Vous l’ignoriez ?

CLIMENNE

Sans doute.

LE BEAUCERON

Et mort-bleu dequoy diable,
Vous ingerez-vous donc si vous ne le sçavez ?
Dequoy vous sert l’esprit qu’on dit que vous avez ?
575 Il faloit donc avant que la chose fust faite
D’un livre tout pareil faire une bonne emplette,
Aprendre chaque article & n’en obmettre aucun.

CLIMENNE

Mais j’en ferois scrupule & quand j’en aurois un246 :
Je ne puis…

LE BEAUCERON

Et cela ne fait peine à personne,
580 Escoutez sur ce point comme l’auteur raisonne.
IL LIT
Le scrupulle en ce cas ne doit point s’écouter ;
Et chacun doit sçavoir touchant* les lotteries,
Que comme il est des fous pour faire des folies :
Il n’est des gens sensez que pour en profiter.

CLIMENNE

585 Je ne puis me servir de cette Politique.

LE BEAUCERON

Quand on la veut tirer voicy ce qu’on pratique : [p. 35]
IL LIT
Le tiers des billets noirs qu’on doit mettre à couvert*,
Doit estre donné de concert*,
Avec ses gens* faut s’entendre ;
590 Et leur en faire échoir exprés :
Le profit…

CLIMENNE

Quel profit en pourroit-on attendre ?

LE BEAUCERON

C’est où je vous attens vous l’allez voir après.
IL LIT
Il faut que de concert* un lot considerable,
Et non pas un lot tel que tel247 ,
595 Se délivre au Maistre d’Hostel :
Qui pour trois mois 248 du moins défraye* 249 vostre table
Il faut faire profit des moindres petits lots,
Les distribuer250 à propos ;
Et pour fermer la bouche à la plainte secrette,
600 Qui vient de ce qu’on n’a payé depuis quatre ans,
Ny portier, ny cocher, ny valet ny Soubrette,
Payer en billets noirs les gages à ses gens*.
Ah ! voilà bien d’un fait tirer la quintessence,
Autres à qui l’auteur pretend* qu’on en dispense251.
IL LIT
605 A l’égard du Marchand, du seillier, du tailleur,
Du boulanger, du rotisseur,
Il faut en sauvant l’apparence, [p. 36]
Avec tous en secret estre d’inteligence* :
Conter doucement avec eux,
610 Lors que l’on doit bien-tost tirer les lotteries,
Et mettant dans leur boette un bon billet, ou deux,
Acquitter ainsi leurs parties*252 .
Aussi* bien le Proverbe dit,
Que qui s’acquitte s’enrichit.
615 Que cet homme a d’esprit !

CLIMENNE

Il n’est pas necessaire,
Pour moy qui ne dois rien.

LE BEAUCERON

Ah ! voicy vostre affaire.
IL LIT
Quand à ceux qui n’ont point de debtes à payer,
Ny de gens mécontens, ils pourront employer ;
Pour des lots dans leurs lotteries,
620 Des meubles, des tableaux, quelques tapisseries
Des montres, des points*, des bijoux ;
Quelques flambeaux d’argent, un bassin*, une aiguere253 ;  
Et mettre pour beaucoup ce qui ne vaudra guere :
C’est pour s’en bien défaire un moyen assez doux.
625 On peut mettre de plus dedans cette occurrence254 ,
Jusqu’à son lit, sans conséquence ;
Et quoy qu’il soit de cinq ou six cens francs au plus, [p. 37, G]
Le faire effrontement valoir six cens écus*.

CLIMENNE

D’accort mais sur ce point la semaine derniere,
630 Tels eurent un procés sur semblable matiere :
On vouloit le surplus le tour est délicat.

LE BEAUCERON

Il est vray sur ce point qu’un Flandrin* d’Advocat,
De figure fort longue, & de courte éloquence,
Tira par ses cheveux Cujax à l’Audiance255 ;
635 Et vouloit qu’à le256 rendre ils fussent condamnez :
Mais qu’en arriva-t-il ? il n’eut qu’un pied de nez257.

CLIMENNE

Je craindrois du public* le reproche ou la plainte ;
Et ne pourrois…

LE BEAUCERON

Chacun en use ainsi sans crainte,
L’artisan fait ses lots d’un plat de son métier258,
640 Le bourgeois y met tout ce qu’il peut employer ;
Sa vaisselle qui n’est que d’argent d’Allemagne259 :
Le riche mal-aisé, sa maison de campagne,
Le cuisinier y met des souppes de santé ;
Le patissier chez-luy met pour lot un paté :
645 La couturiere y met des manteaux & des cottes* ;
Le cordonnier chez-luy pour gros lot, met des bottes :
Le marchand affamé, se montrant aussi fin,
Fait chez-luy le gros lot d’un garde magazin* ;
Et mesme l’autre jour chez un Apoticaire,
650 Pour un des moindres lots on mettoit un clistaire.

CLIMENNE

Mais le peuple s’en mocque260 & l’on devroit tâcher…

LE BEAUCERON

Tant mieux c’est un plaisir qui luy coûte assez cher ; [p. 38]
On peut à ses dépens luy permettre d’en rire.

CLIMENNE

Mais…

LE BEAUCERON

Contre cet Autheur vous n’avez rien à dire,
655 Quoy d’une lotterie on aura l’embarras* ;
Et celuy qui la fait n’en profiteroit pas ?
Sans cesse quelque fou qu’il faut que l’on écoute,
Vous viendra sottement proposer quelque doute ?
A chaque instant du jour il faudra pour un fat*,
660 Sur le nombre des lots subir enterrogat261 ?
Et prest à la tirer dedans ce jour de chrise262 ;
On peut avec dépens* condamner sa sottise ;
Se vanger à profit de son sot entretien*,
Se payer par ses mains263, & l’on n’en feroit rien ;
665 Il faudroit du bon sens avoir perdu l’usage,
Allez de cet Autheur parcourir chaque page ;
Et tandis qu’à loisir vous lirez ces advis,
Je vais auprés de vous écrire [à] mon païs.

CLIMENNE. à Beatrix à part

Va porter mon billet.

SCENE VI. §

BEATRIX

Pendant que ce fantasque, [p. 39]
670 Ecrit, allons parler à nostre Suisse Basque ;
Il vient de debuter plaisamment, à ce fou264,
L’a pris pour duppe, & m’a fait rire tout mon sou,
Mais je le vois venir, de me voir il petille,
Si quelqu’un…

SCENE VII. §

LE BASQUE, BEATRIX.

LE BASQUE

Pon chour fou Matame Piatille,

BEATRIX

675 Laisse-là ton jargon* nous sommes seuls.

LE BASQUE

Ma foy
J’en suis ravy, tant mieux ; mais que dis-tu de moy ?

BEATRIX

Que je crois que l’on peut dire à ton avantage,
Que tu fais mieux le fou que tu ne fais le sage.

LE BASQUE

J’en demeure d’accort, mais… [p. 40]

BEATRIX

Quoy mais…

LE BASQUE

Je voudrois,
680 T’apprendre à faire un peu la folle*.

BEATRIX

Une autre fois.

LE BASQUE

Ah ! si tu me voulois faire sans consequence,
Sur nostre Hymen futur quelque petite avance.

BEATRIX

Tu me prens pour une autre.

LE BASQUE

Ah ! point du tout ma foy,
Si je te prens265 jamais, je te prendray pour moy.

BEATRIX

685 J’entens quelqu’un.

LE BASQUE. allant brusquement à la porte

Party si toy l’est pien timeure,
Ty lafre biau cogner, chy loufre d’un cartheure
Si chil prent mon libarte ô party…quoy266 ?

BEATRIX. se mocquant de luy

Tais-toy,
Ce n’est rien.

LE BASQUE

Comment donc te mocques-tu de [moy] ?

BEATRIX

On peut dans cette sale aisement nous surprendre.

LE BASQUE

690 Viens dedans mon taudis.

BEATRIX

Non, mais je veux t’apprendre, [p. 41]
Que je voudrois parler à ton Maistre aujourd’huy.

LE BASQUE

Quelqu’un heurte à la porte & je croy que c’est luy,

BEATRIX

Ouvre luy.

LE BASQUE. cherchant la clef

Qu’ay-je fait de la clef de la porte ?
La voicy.

BEATRIX

Va donc viste il attend.

LE BASQUE

Et qu’importe.

BEATRIX

695 Preparons le billet que ma Maistresse écrit267,
A Leandre, Il verra que le tout est d’esprit ;
Mais je le voys.

SCENE DERNIERE. §

LEANDRE, BEATRIX, LE BASQUE.

LEANDRE

Et bien ne puis-je voir Climenne ?

BEATRIX

Si vous vous en flattez* vostre esperance est veine,
Et si vous m’en croyez, retournez sur vos pas,

LEANDRE

700 Pourquoy ?

BEATRIX

Nostre bouru ne l’abandonne pas, [p. 42]
Et depuis que tantost avec vous il l’a veuë,
A l’obseder* ainsi son ame est resoluë,
Ce maudit Beauceron, pour la mieux tourmenter,
A fait mille sermens de ne la plus quitter,
705 Il dit qu’on fait icy des tours de passe passe,
Qu’il veut estre témoin de tout ce qu’il se passe,
Qu’il pretend* y mettre ordre, & qu’il veut empescher
Que pas un soûpirant ne la puisse approcher ;
Il vient de s’enfermer dans sa chambre avec elle.

LEANDRE

710 Ah, que pour mon Amour la fortune* est cruelle !
Quoy donc m’estant flatté* du plaisir de la voir ;
Il faut perdre à la fois sa veuë & mon espoir ;
Voir qu’à de si beaux nœuds on face violence268 ?
Ah ! Beatrix ce coup accable ma constance.

BEATRIX. luy donnant un billet

715 Avecque* ce billet prenez un peu d’espoir,
Et jugez si Climenne a dessein de vous voir,
Et si son cœur pour vous de tendresse* est capable.

LEANDRE. après avoir leu

Je n’en sçaurois douter, le tour est admirable :
Que ne te dois-je point, je n’y manqueray pas,
720 Beatrix, dis luy bien que je vais de ce pas ;
En suivant cet advis* éloigner le fantasque ;
Mais il me faut icy quelqu’un.

BEATRIX

Prenez le Basque.

LEANDRE

Et s’il s’en apperçoit, & demande pourquoy
Il est dehors ?

BEATRIX

Allez je prens cela pour moy, [p. 43]
725 Je l’excuseray bien, c’est à quoy je m’engage.

LEANDRE

Il faut faire pour nous un autre personnage,
Basque.

BEATRIX

Et jouër encor un tour aussi subtil.

LE BASQUE

Et bien me voilà prest, mais dequoy s’agit-il ?

LEANDRE

Je t’instruiray de tout, j’engage ma parole,
730 Qu’auprés du Beauceron il jouëra bien son roole,
Et qu’il luy va donner à courre269 comme il faut :
Adieu je sors.

BEATRIX

Et moy [je] remonte là haut.

ACTE TROISIEME. §

SCENE PREMIERE. §

LE BEAUCERON. seul

Eh Suisse, Beatrix, eh Champagne la Brie, [p. 44]
La peste soit des lots & de la lotterie,
735 Quelle confusion270 !

SCENE SECONDE. §

LE BEAUCERON, BEATRIX.

BEATRIX

Monsieur, que voulez-vous ? [p. 45, H]

LE BEAUCERON

De grace dites-moy, d’où viennent tous ces fous,
Dont auprés de Martin, la chambre est toute pleine ?

BEATRIX

A donner leur argent ils ont assez de peine.

LE BEAUCERON

Quoy nostre nouveau Suisse au lieu de s’aguerir*,
740 Les laisse entrer ?

BEATRIX

Le Suisse est allé voir mourir,
Sa femme, qui dit-on est preste à rendre l’ame.

LE BEAUCERON

Elle prend bien son temps pour mourir cette femme,
Que Diable n’attend-elle au moins encor un jour,
Qui prend garde à la porte ?

BEATRIX

Attendant son retour,
745 Champagne…

LE BEAUCERON

Ce maraut* laisse entrer tout le monde ;

BEATRIX

Il est constant271 Monsieur, il faut que je l’en gronde ;
Et j’y vais de ce pas.

SCENE III. §

LE BEAUCERON

C’est fort bien fait à toy, [p. 46]
Quel sabat, quel fracas ! ah je suis hors de moy ;
Ce desordre est enfin tout ce que j’apprehende.

SCENE IV. §

LE BEAUCERON, CHAMPAGNE.

CHAMPAGNE

750 Avec empressement un homme vous demande.

LE BEAUCERON

Que veut-il ?

CHAMPAGNE

Je ne sçay.

LE BEAUCERON

Mais comment est-il fait ?

CHAMPAGNE

C’est un homme qui porte un fort petit colet*272,
Avec un habit noir, enfin c’est ce me semble,
Quelque façon d’Abbé, du moins il leur ressemble.

LE BEAUCERON

755 Qu’il entre, ce sera quelque Abbé de bibus273, [p. 47]
Ah ! que ce nom d’Abbé, fait à Paris d’abus.
Mille Abbez du faux coin274 en dérobent le titre,
Qui ne sçauroient tenir qu’au moulin leur chapitre,
Et comme c’est un vol qui n’est point corrigé,
760 On voit multiplier ces friquets* du Clergé,
C’est une qualité qu’un chacun s’administre,
Monsieur l’Abbé dit-on, il n’est pas jusqu’au cuistre*,
Qui pour estre honoré n’en usurpe le nom,
On en trouve par tout trente faux, pour un bon,
765 Qui vont en beaux esprits debiter leur science275,
On a mis au billon les faux Nobles en France276,
Ah ! si l’on y mettoit pour faire tout égal,
Tous ces usurpateurs du titre Abbatial ;
Le sort des vrais Abbez égaleroit le nostre,
770 Ah cet avis* enfin vaudroit je croy bien l’autre,
Il vient je m’en doutois & c’est un cuistre* aussi ;
Que me veut-il ?

SCENE V. §

LE BEAUCERON, LE BASQUE.vestu en Abbé

LE BASQUE. vestu en Abbé

Joüons bien nostre roole icy277,
Luy faisant de grandes reverences.
Monsieur puis qu’un hazart me donne la licence,
De vous pouvoir icy faire la reverence…

LE BEAUCERON

775 Monsieur sans compliment278 vostre civilité… [p. 48]

LE BASQUE. luy faisant la reverence

Je sçais ce que je dois à vostre qualité…

LE BEAUCERON

Tréve de reverence il suffit d’une couple279,
Monsieur en quatre mots j’ay le jaret peu souple,
Finissons

LE BASQUE. continuant

Je dois trop…

LE BEAUCERON

Vous l’avez déja dit,
780 Si vous me les devez je vous en fais credit ;
Que voulez vous de moy ? que le Ciel vous confonde,
Si vous ne répondez.

LE BASQUE

S’il faut que je réponde,
Je vous diray Monsieur que je suis Beauceron.

LE BEAUCERON

Que m’importe ?

LE BASQUE

Et cousin de vostre vigneron.

LE BEAUCERON

785 Et que me fait cela.

LE BASQUE

J’ay mesme l’avantage,
D’estre l’un des neveux du Curé du village ;
J’ay sceu depuis huit jours que vous estiez icy.

LE BEAUCERON

D’accort.

LE BASQUE

J’en suis fort aise*.

LE BEAUCERON

Et moy fort aise* aussi.

LE BASQUE

Que vous vous portez bien ! [p. 49, I]

LE BEAUCERON

Qui vous dit le contraire ?

LE BASQUE

790 Vous vous mariez280 donc ?

LE BEAUCERON

Cela se pourra faire.

LE BASQUE

Et vostre épouse est jeune et belle.

LE BEAUCERON

L’on le croit.

LE BASQUE

Je m’appelle la roche.

LE BEAUCERON

Et bien la roche soit.

LE BASQUE

Pour goûter sous l’Hymen les plaisirs de la vie,
Vous irez au pays ?

LE BEAUCERON

Ouy, s’il m’en prend envie.

LE BASQUE

795 Vous demeurez ceans* ?

LE BEAUCERON

Toûjours si je n’en sors.

LE BASQUE

Vous manque281-t-on souvent ?

LE BEAUCERON

Tant que je suis dehors.

LE BASQUE

Pour vous rendre mes soins* mon ardeur est si forte.

LE BEAUCERON

Eh mort-bleu voulez-vous finir de quelque sorte.
Beauceron trop poly, parce que vous sçavez [p. 50]
800 Faire vingt pieds de veau282, de deux que vous avez,
Voulez-vous m’insulter ? & venir par bravades,
Me payer le respect qu’on me doit en gambades283.

LE BASQUE

Mais Monsieur…

LE BEAUCERON

Mais voilà la porte, & me voicy,
Choisissez de conclure, ou de sortir d’icy,
805 Toutes vos questions lassent ma patience284.

LE BASQUE

Et bien je vais Monsieur conclure en diligence ;
Et rendre mon discours plus clair dessus cela
Qu’un syllogisme n’est, fust-il en barbara285.

LE BEAUCERON

O le facheux* pedant* ! depeschez je vous prie,

LE BASQUE

810 Chez Oronte on tira des hier286 la lotterie ;
J’estois prés d’une table où l’on distribuoit
La boëtte & les billets, de qui les demandoit,
Chacun voulant les siens, plusieurs s’en approcherent
Et la firent pencher ; quelques boëttes tomberent,
815 J’en pris une, & voulus voir sa suscription* :
In capite libri287 ; J’apperceus vostre nom,
Je la serray*, de peur qu’elle ne fut perduë ;
Et des hier sans la nuit je vous l’aurois renduë :
Trop content de pouvoir quand je le croy le moins,
820 Vous rendre ce service, & vous prouver mes soins*.

LE BEAUCERON. prenant sa boëte

Que ne vous dois-je point ? dedans cette mélée,
Sans vous ma boëtte estoit ou perduë ou volée :
Que je vous sçais bon gré de n’estre point larron ?
Ah ! je vous reconnois icy pour Beauceron ;
825 Et je vous califie à ces marques insignes, [p. 51]
Cousin du directeur general de mes vignes :
Mais puis qu’enfin pour moy, vous avez pris ce soin,
De ce qu’il en sera vous serez le témoin.

LE BASQUE

Monsieur il me suffit…

LE BEAUCERON

Ah ! Monsieur de la roche,
830 Demeurez.

LE BASQUE

J’obeys.

LE BEAUCERON. tirant des ciseaux & ouvrant la boëte & ses billets

J’ay des cizeaux en poche,
Voyons dans ce premier.

LE BASQUE

S’il pouvoit estre noir.

LE BEAUCERON

Ah ! par-bleu, je commen…

LE BASQUE

Et bien.

LE BEAUCERON

A ne rien voir,
Deux & trois tous pareils alors qu’on se propose,
De gagner…Ah ! ma foy.

LE BASQUE

Quoy ?

LE BEAUCERON

Je voy quelque chose,
835 C’est du noir ; Ouy c’en est : numero vingt-&-six.

LE BASQUE

Si c’estoit le gros lot ?

LE BEAUCERON

Voyons, trois cent Louys*288.
Mort-bleu trois cent Louys*, n’ay-je point la berluë, [p. 52]
Lisons trois cent Louys* non j’ay fort bonne veuë,
Ah ! Monsieur de la roche, honneur des Beaucerons,
840 Vigneron plus heureux* que tous les vignerons,
D’avoir pour son cousin un homme si fidelle,
Si remply d’équité, de bonne foy, de zelle.
Civil*, officieux*, & des-interessé,
Ah ! pourquoy des tantost* ne vous ay-je embrassé ?
845 Mais je pretens* enfin reparer cette faute.

LE BASQUE. se retirant

Ah ! vous m’enfoncerez, Monsieur plus d’une coste.

LE BEAUCERON. regardant son bon billet

Et vous témoin muet de tant de probité,
Digne certificat de son integrité.

LE BASQUE

Si vous me soupçonniez cecy vous desabuse.

LE BEAUCERON

850 Ah ! Monsieur mille fois je vous demande excuse ;
Oublions le passé, je vous tiens à present,
Pour un homme d’honneur & sur tout bien-faisant.

LE BASQUE

Comme je n’aspirois qu’à vous rendre service,
J’excuse le transport* qui m’a fait injustice ;
855 Et vous honore trop pour en dire un seul mot,
Si vous voulez tantost* vous aurez vostre lot :
On les doit délivrer, & mesme l’heure approche ;
Je prens congé289 de vous.

LE BEAUCERON

Ah ! Monsieur de la Roche290.
Je suis reconnoissant, & vous me faites tort,
860 De me quitter ainsi, le present n’est pas fort ;
Mais daignez accepter ces vingt Louys*.

LE BASQUE

De grace,
Croyez…

LE BEAUCERON

Dans vostre cœur je sçay ce qui se passe. [p. 53]

LE BASQUE

L’interest…

LE BEAUCERON. luy donnant une bourse

Je le sçais mais enfin je pretens291.

LE BASQUE. la prenant

C’est pour vous obliger, Monsieur que je les prens.

LE BEAUCERON. l’embrassant

865 Adieu venez me voir quelquesfois.

LE BASQUE

Je l’espere,
à part.
Il en tient292.

LE BEAUCERON. se retournant

Serviteur293.

SCENE VI. §

LE BEAUCERON. seul

Non je ne puis m’en taire ;
Je ne sçaurois assez admirer* mon bon-heur*,
Ce que c’est que d’avoir affaire aux gens d’honneur :
Un amy fait tirer chez-luy sa lotterie,
870 Pour avoir ses billets le peuple presse & crie,
Ma boëtte tombe à bas, un inconnu present,
Sans sçavoir à qui c’est la ramasse, la prent ;
Voit mon nom, le connoist*, la rapporte luy-mesme :
J’ouvre trois billets blancs, & vois au quatriéme ;
875 Numero vingt-&-six, c’est estre bien-heureux, [p. 54]
Je m’en vais recevoir cet argent ; mais je veux
En sortant que le Suisse en ait seul connoissance,
Qu’on me croye294 ceans*, de peur qu’en mon absence :
Si quelqu’un la sçavoit on ne trouvast moyen,
880 D’introduire quelqu’un sans que j’en sceusse rien :
Allons voir si le Suisse est de retour ; son zelle…
Mais Climenne paroist que Diable cherche-t-elle.

SCENE VI. §

LE BEAUCERON, CLIMENNE.

LE BEAUCERON

Est-ce pour un galand* que l’amour en argus295,
Vous poste en sentinelle ou vous met à l’affus ?
885 Venez-vous voir quittant vostre chambre si viste,
Si vous ne pourrez-point trouver un liévre au giste*
Ou si quelque portrait d’un métail296 peu commun,
Sur le ventre du Suisse a fait passer quelqu’un,
Qui puisse avecque* vous lier297 un teste-à-teste ?
890 Ouy, car je doute enfin vous connoissant peu beste :
Voyant vos yeux si guais298, si brillans & si beaux,
Que vous vouliez tirer vostre poudre aux moineaux299.
Ce mouchoir* bas & fait d’une dantelle claire,
Ce sein plus découvert qu’il n’est à l’ordinaire,
895 Ce bras qu’un [gant] trop court laisse voir à demy,
Ce pied sur les talons trop hauts mal affermy.
Ces petits moucherons300 mis en diverse place,
Dont vous sçavez si-bien parqueter301 vostre face :
Ces brocarts bigarez, & leur diversité, [p. 55]
900 Ce tourne-broche302 d’or qui vous pend au costé ;
Ce fatras de rubans chargez de nompareilles*,
Ces contre-poids303 brillans pendus à vos oreilles,
Cette coëffure en l’air, ce tas de cheveux blons,
905 Et vos façons* de plus en tout si peu communes,
Font voir que tout cela n’est pas mis pour des prunes304.

CLIMENNE

Ne voulez-vous songer qu’à me persecuter ?
Et n’estre ingenieux305 que pour me tourmenter ?
La plus rare beauté veut que l’art la seconde,
910 Il faut estre à la mode, ou renoncer au monde,
Outre que je ne voy dans mon ajustement*,
Rien que de fort modeste*, à parler franchement,
Tout vous choque, & sur tout vous voulez me contraindre.

LE BEAUCERON

Il est vray j’ay grand tort cousine de me plaindre.
915 Je devois sans troubler tantost vostre entretien*
Avec ces deux Messieurs306, passer sans dire rien
Je devois avec eux pour flater vostre attente307
Laisser agoniser vostre pudeur mourante,
Et voir d’un œil tranquille, & plus commode enfin
920 Un reste de vertu qui tiroit à la fin,
Je croy que sur ce pied* j’aurois l’heur* de vous plaire,
Mais on en diroit trop si je pouvois m’en taire,
Je suis sur ce sujet difficile à ferrer308,
Et ne fais pas façon* de vous le declarer.

CLIMENNE

925 Des discours si picquans* ont un peu trop de suite309 ;
Mais surquoy pouvez-vous censurer ma conduite ?
Ay-je dans mes habits rien qu’on puisse blamer ?

LE BEAUCERON

Non. [p. 56]

CLIMENNE

Rien dans mes discours qui vous doive alarmer* ?

LE BEAUCERON

Non.

CLIMENNE

Rien dans l’entretien* contre la bien-seance ?

LE BEAUCERON

930 Non.

CLIMENNE

Surquoy fondez-vous donc tant de défiance310 ?

LE BEAUCERON

Voyez vous les habits, les discours, l’entretien* ;
Cela c’est quelque chose, & si311 cela n’est rien ;
C’est vostre cœur qui donne entrée à la fleurette* ;
C’est entre cuir & chair312 que vous estes coquette* ;
935 Et je voudrois enfin pour voir mes feux contens,
Avec moins du dehors avoir plus du dedans.

CLIMENNE

Je vous entens toûjours plaindre de quelque chose.

LE BEAUCERON

Je trouve auprés de vous toûjours quelqu’un qui cause.

CLIMENNE

Puis-je estre auprés des gens & ne leur dire mot ?

LE BEAUCERON

940 Et puis-je l’endurer sans passer pour un sot* ?

CLIMENNE

La civilité veut…

LE BEAUCERON

Afin que sans surprise,
L’amour de nostre Hymen face un Hymen de mise313,
Qui n’ait pour compagnon jamais le repentir,
De mes infirmitez* je veux vous advertir :
945 Et vous pourrez conter là-dessus ; je vous ayme, [p. 57, K]
Trop & trop peu, deux mots expliquent cet emblême*,
Trop pour ne pas vouloir devenir vostre époux,
Trop peu pour ne vouloir que la moitié de vous ;
Et souffrir*, me donnant lors que je vous achette,
950 Qu’une moitié se donne, & que l’autre se prette :
Cette premiere regle est sans exception,
Je tiens un peu beaucoup à mon opinion314 ;
Je ne me contrains guerre, & mesme je m’en picque*.
Je suis souvent chagrin*, & quelquefois critique :
955 Je suis vieux, ombrageux*, d’assez méchante* humeur* ;
Si je ne suis pas beau, je ne fais point de peur :
Mais naturellement j’ay de la deffiance315,
Beaucoup de jalousie, & peu de complaisance ;
Enfin mon plus beau trait c’est quinze mille francs,
960 Que je mange ou je bois, s’il me plaist tous les ans316.
Cependant je pretens* si l’Hymen en decide,
Estre de vostre cœur seul pilote & seul guide :
Que dans vostre entretien* autre que moy n’ait part,
Rendre vostre air* cocquet* un peu plus campagnart ;
965 Et qu’en faveur des soins* que j’ay pris à vous plaire,
Vostre amour vagabond devienne cedentaire.
Je veux vous tenir lieu de galand*, de mary ;
D’Adonis317, de Phœbus318, de cher, de favory ;
Que ce cœur soit à nous, & jamais ne permette ;
970 Que quelqu’autre Apollon conduise ma brouëtte319.
En peu de mots voilà matiere à decider,
Vous verrez si cela vous peut accommoder,
Et me direz tantost* quelle est vostre pensée.

CLIMENNE

Sans attendre…

LE BEAUCERON

Et cela n’est pas chose pressée ;
975 Je n’ay pas le loisir320.

CLIMENNE

Mais… [p. 58]

LE BEAUCERON. la faisant rentrer321

Mais c’en est assez,
Vous me direz tantost* ce que vous en pensez.
M’en voila délivré, courons en diligence,
Recevoir cet argent, mais cachons nostre absence,
Je vais donner mon ordre, au Suisse sur ce point.
980 Le voicy.

SCENE VIII. §

LE BEAUCERON, LE BASQUE.Vestu en Suisse

LE BASQUE. dans l’entrée

Chyl tir toy party qui lentry point,
Toy ly veut voir Montam chi lestre point un peste322.

LE BEAUCERON

Qu’est-ce Canton de Berne323.

LE BASQUE

Il my rompre* mon teste,
Un Gascon pour lentrer jil jeter son chapiau,
D’un cou de mon libarte au mitan* di russiau*324.

LE BEAUCERON

985 Vous avez fort bien-fait…mais Suisse vostre fame,
A ce que l’on m’a dit est preste à rendre l’ame.

LE BASQUE

O point chi ly reviendre, un Monser Medeçain 
Tir moy qu’il estre rien, qu’il moury que timain325.

LE BEAUCERON

Le repy n’est pas grand, son sens froit326 me fait rire, [p. 59]
990 Ce n’est rien, un Monsieur Medecin vient de dire,
Que ce n’est que demain que sa femme moura,
Ah vous n’en estes pas plus emeu que cela ?

LE BASQUE

O ly connestre pien Medicain327.

LE BEAUCERON

Une affaire
M’oblige de sortir, il sera necessaire,
995 Si quelqu’un me demande, après m’avoir cherché,
De dire que je suis dans ma chambre empesché*,
Mesme à ceux du logis, à moins que de me suivre328.

LE BASQUE

Chil tir quil tormi vou pien fort & quil estre yvre329.

LE BEAUCERON

J’aymerois mieux encor que l’on me creust dehors,
1000 Qu’yvre dans le logis, je crains bien si je sors,
Que ce Suisse ingenu ne gaste* le mystere330,
Je suis un peu pressé voicy ce qu’il faut faire,
Je veux quoy que dehors, qu’on me croye331 ceans*,
Comme la lotterie attire bien des gens,
1005 Pour donner leur argent, il faut à tous leur dire,
Que l’on n’en reçoit plus, que demain on la tire,
Et pour les empescher de vous persecuter,
Il faut ne point respondre & les laisser heurter.

LE BASQUE

Ouy, Monser.

LE BEAUCERON

Et sur tout ne point ouvrir la porte,
1010 Jusques à mon retour à personne, il m’importe,
Qu’on soit exact.

LE BASQUE

Sur fou party quil lentrera, [p. 60]
Rien point d’aut que mon Maistre ou pien moy332

LE BEAUCERON

Bon cela*,
C’est assez & je sors aprés cette asseurance.
il s’en va.

LE BASQUE. à part

Il en tient333.

LE BEAUCERON. se retournant

Mais sur tout cachez bien mon absence.
1015 A tous ceux du logis.

LE BASQUE

O fou me lafre dit334.
à part.
Qu’il est duppe.

LE BEAUCERON. se retournant

Si…

LE BASQUE

Quoy Monser.

LE BEAUCERON

J’entens du bruit.
Cela suffit je sors.

LE BASQUE

Chil louvre fou sty porte335.

SCENE IX. §

BEATRIX. seule

Enfin il est dehors, que Belzebut l’emporte, [p. 61, L]
Sans oublier quiconque en aura du soucy*,
1020 Je suis depuis une heure en sentinelle icy,
Pour voir s’il sortiroit, combien il a de peine*,
À sortir, mais allons avertir Climenne,
Ne vois-je pas Leandre ?

SCENE DERNIERE. §

LEANDRE, BEATRIX, LE BASQUE.

BEATRIX

Estiez- vous à l’affus ?
Pour estre icy si-tost.

LEANDRE

Depuis une heure & plus,
1025 J’attendois sur le pas d’une porte voisine,
Qu’il sortit.

LE BASQUE

L’on336 n’a point éventé nostre mine337.

LEANDRE

Mais quand reviendra-t-il, dis moy te l’a-t-il dit ?

BEATRIX

Quoy qu’il face, il ne peut revenir qu’à la nuit, [p. 62]
Oronte loge loin d’icy, quoy qu’il se presse…

LEANDRE

1030 Tant mieux, je vais donc voir ta charmante Maistresse.

BEATRIX

Venez.

LEANDRE. à son valet

Mais souviens toy qu’il faut bien achever338.

LE BASQUE

Vivez en repos.
à Beatrix.
[Toy…]

BEATRIX

Je viens te retrouver.

LE BASQUE

D’accort, & nous pourrons nous sentant de la Feste,
Regler nostre entretien* dessus leur teste à teste.

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

LE GASCON

1035 À la fin j’ay trouvé moyen d’entrer ceans*, [p. 63]
La porte est à present ouverte à tous venans :
Grace au Suisse qui dort & qui sans doute est yvre,
C’est un fâcheux* maraut* dont le Ciel me delivre ;
S’il n’estoit endormy j’aurois pû me venger, [p. 64]
1040 Ce cocquin m’a cent fois pensé faire enrager,
Et des que je venois me montrer à la porte ;
Me la fermoit au nez tres-rudement, n’importe ;
Je la luy garde bonne339, & devant* qu’il soit peu,
Nous conterons ensemble340 & nous verrons beau jeu341 ;
1045 Je sçay qu’il ne l’a fait que pour [me] faire niche342 :
Mais de coups de baston le Ciel m’a fait peu chiche.
Où se sont donc fourrez tous les gens* du logis,
Mais n’apperçois-je pas Monsieur Martin ?

SCENE II. §

LE GASCON, MARTIN.

MARTIN

Quid vis343.

LE GASCON

Que vous parliez François344 dites franc je vous prie,
1050 Quand pretend*-t-on ceans* tirer la lotterie ?

MARTIN

Cette affaire demande une uniformité,
De candeur, de loisir & de sagacité.
Un Auteur tres-sensé dit que l’exactitude,
Se trouve rarement avec la promptitude.
1055 Le peuple cependant abordant à milliers345,
Et la foule causant des debats* journaliers,
Du contraste*, du bruit, d’autres choses fâcheuses*,
Des altercations mesme contentieuses346,
Je suscrits aujourd’huy les boëttes de ma main,
1060 Et l’on pretend* tirer les billets des demain.

LE GASCON

Dieu me damne j’en suis au comble de la joye, [p. 65]
Pour me mettre en repos* je n’ay que cette voye,
Comment à chaque jour je creve dans ma peau347,
J’ay toûjours aux talons quelque fâcheux* nouveau,
1065 Après moy sans quartier348 sans cesse quelqu’un crie,
Et si l’on ne tiroit bien-tost la lotterie…

MARTIN

Eh ! qu’importe à ces gens qu’on face cet effort ?

LE GASCON

Comment diable qu’importe, il importe tres-fort,
Les gens que je vous dis qui m’obsedent* sans cesse,
1070 Sont six creanciers miens349 ; comme chacun d’eux presse,
Je me suis à la fin resolu d’assigner,
Leurs debtes350 sur les lots que je m’en vais gagner,
Brûlant d’estre payez jugez s’il leur importe.

MARTIN

Quoy vous croyez payer vos debtes de la sorte ?
1075 Et vos creanciers foux au supresme degré,
Prennent pour hypotecque un lot mal assuré ?
C’est vouloir les berner, depuis quand l’esperance,
Pour payer des debets* a-t-elle cours en France ?
Si vous avez dessein de payer ces Messieurs,
1080 Croyez-moy cherchez leur un autre fons* ailleurs.

LE GASCON

Vous m’embarassez fort, à vostre lotterie,
Feroit-on dites-moy quelque friponnerie ?

MARTIN

Vous avez tort, Monsieur, d’avoir un tel soupçon.

LE GASCON

Veut-on favoriser quelqu’un des gros lots ?

MARTIN

Non.

LE GASCON

1085 Comment donc tous ces lots que ceans* on doit faire, [p. 66]
N’est-ce pas de l’argent content351 ?

MARTIN

La chose est claire,
Mais il faut pour avoir les gros lots de ceans*,
Les gagner.

LE GASCON

Cadedy* c’est comme je l’entens,
Je pretens* du gros lot acquitter quatre debtes,
1090 Et le gagner s’entend352 ; quelle mine* vous faites.

MARTIN

Je voy gagnant des lots que tout ira fort bien,
Mais qui les payera si vous ne gagnez rien ?

LE GASCON

Cela ne se peut pas, que diable allez vous dire ?

MARTIN

Je croy que vous n’aurez pas grand sujet d’en rire.

LE GASCON

1095 Comment vous le croyez ?

MARTIN

Ouy je vous en repons*.

LE GASCON

Je ne gagneray rien ? & bien nous le verrons :
Je vous ay franchement dit toute mon affaire,
Il me faut quatre lots tout au moins pour la faire,
Si je ne gagne rien je pretens*…Vous verrez.
1100 Ne m’en prendre qu’à vous & vous m’en respondrez353.

SCENE III. §

MARTIN. seul

À moy Monsieur à moy cet homme n’est pas sage, [p. 67]
A-t-on jamais tenu de semblable langage ;
S’il n’a pas quatre lots il s’en va prendre à moy,
Il a perdu l’esprit, mais quelqu’un vient je croy :
1105 De peur que ce n’estoit quelque fou comme l’autre ;
Sortons de cette chambre & montons dans la nostre.

SCENE IV. §

LE BEAUCERON. seul

Ouy je suis pris pour duppe & voy la fausseté
La boëtte est supposée* & le cuistre* aposté* ;
C’est un tour qu’on m’a fait j’ay receu chez Oronte ;
1110 Ma veritable boëtte & j’en ay pour mon conte354 ;
Et douze billets blancs me coûtent vingt Louys*355,
J’en creve de despit ; numero vingt & six
Est un enfant batart356 de cette lotterie,
Que l’on y desavoüe & que chacun descrie,
1115 Pouvois-je humainement me parer de tels coups,
Ah ! que Paris abonde en fripons, en filous ;
En batteurs de pavé* de qui la metairie,
Le revenu, le fonds* consiste357 en industrie*,
Et qui n’ont ny rubans ny plumes ny colet*, [p. 68]
1120 Qu’au despens du tribut qu’ils doivent au gibet358,
Ce Monsieur de la Roche est un filou ; sans doute,
Mais outre le chagrin de l’argent qui m’en couste,
De peur d’estre berné359 je n’ose m’en vanter ;
Ah ce qui doit encor icy m’inquieter*360,
1125 Plus que le déplaisir d’une semblable perte,
C’est d’avoir en entrant trouvé la porte ouverte :
Le Suisse de son long sur son lit endormy,
Peut-estre que quelqu’un l’a fermée à demy,
En sortant du logis, ou c’est quelque mistere,
1130 Il est nuit & je veux me cacher & me taire.
Si l’on me croit dehors j’en puis estre éclaircy,
Et voir sans estre veu ce qui se passe icy :
Quelqu’un vient écoutons.

SCENE V. §

BEATRIX, LE BEAUCERON.

BEATRIX

Il est nuit l’heure presse,
Et je croy qu’il est temps d’avertir ma maistresse ;
1135 Et nostre Beauceron pourroit bien revenir,
Climenne avec Leandre a pû s’entretenir,
Depuis qu’il est dehors ils n’ont bougé d’ensemble.

LE BEAUCERON. à part

Quoy Leandre est ceans* ?

BEATRIX

Quand un hazart assemble, [p. 69, M]
Deux Amans* que l’amour unit en mesme temps,
1140 Il se passe ma foy des momens bien plaisans :
On cajole* on badine, on ne songe qu’à plaire,
L’œil devient plus brillant qu’il n’est à l’ordinaire :
Un certain rouge au teint donne un nouvel esclat,
On a de l’enjouëment le sang boust le cœur bat361.
1145 On s’entretient un temps puis on fait quelques pauses ;
On se fait, on se dit mille sortes de choses :
De mille plaisans mots on larde* l’entretien* ;
Et sans le teste à teste enfin l’amour n’est rien.

LE BEAUCERON. à part

La peste qu’elle en sçait.

BEATRIX

Je juge par moy-mesme,
1150 Du plaisir que l’on a d’estre avec ce qu’on aime ;
Le Basque & moy voyïons tantost nos feux contens,
Nous avons assez bien employé nostre temps.
Enfin à sa maniere il me contoit sa peine,
Il estoit mon Leandre & j’estois sa Climenne ;
1155 L’amour dans ce logis estoit pris au collet362,
Et je disois pour lors tel Maistre tel valet363 ;
C’est un plaisant garçon & pas un n’en approche,
Qu’il a plaisemment fait le Monsieur de la roche.
Et pour faire sortir d’icy le Beauceron,
1160 Qu’il a bien contrefait son visage & son ton :
Les vingt Louïs* en sont une assez bonne marque.

LE BEAUCERON. bas

Ah ! masque* c’est donc vous qui conduisez la barque364.

BEATRIX

D’abort qu’il a trouvé numero vingt-&-six
Il a crû bonnement que les trois cent Loüis*,
1165 L’attendoient tous contez365, il est sorty sur l’heure, [p. 70]
Comme nous l’esperions, il est bon ou je meure366 ;
On luy garde des lots367 par ma foy ce magot*,
Meriteroit d’avoir des cornes368 pour son lot.

LE BEAUCERON. à part

Advis au Lecteur369.

BEATRIX

Mais il doit sçavoir je pense,
1170 Que l’on l’a pris pour duppe & j’en ris par avance,
Ce n’est qu’entre ses dents qu’on le verra pester,
Il est trop glorieux370 pour s’en venir vanter ;
Je voudrois bien avoir le plaisir de l’entendre,
Mais je ne vois venir Climenne ny Leandre ;
1175 Allons les separer dedans cet entretien*,
Ils passeront la nuit si l’on ne leur dit rien.

SCENE VI. §

LE BEAUCERON. seul

Ah ! ah ! chacun icy cajole* à tour de roole,
Leandre est seul auprés de Climene & le drôle*,
Avec ceux du logis estoit donc du complot,
1180 Pour me faire acheter l’apparence d’un lot,
Ah ! megere : ah ! serpent: ouy cette fine mouche,
De l’honneur* de Climenne est la pierre de touche371,
Et ne se deffend pas de garder le menteau372 ;
Pourveu que la traitresse ait sa part au gasteau,
1185 Maudite Beatrix peste d’une famille,
Pernicieux373 brûlot de l’honneur* d’une fille*,
Escüeil de sa pudeur c’est toy qui la seduis, [p. 71]
Qui luy donne le jour un avant goust des nuits :
Pour veiller dessus eux, je n’avois que le Suisse,
1190 Ils ont pour l’enyvrer employé l’artifice*,
Et ce pauvre garçon estendu sur son lit,
A semblé me vouloir dire qu’on me trahit.
Il sembloit exhalant une vineuse haleine,
S’excuser de sa faute & condamner Climenne ;
1195 Et vouloir en ronflant me dire à mon retour,
Que malgré luy Bachus374 a fait entrer l’amour :
Ce Monsieur de la Roche est valet de Leandre,
Il s’appelle le Basque & je le viens d’apprendre,
Je ne le connois point mais je pretens* ravoir375
1200 Quelqu’un vient écoutons sans qu’on nous puisse voir.

SCENE VII. §

LEANDRE, CLIMENNE, BEATRIX.

LEANDRE

Faut-il nous separer ? que cet ordre est severe.

BEATRIX

J’en demeure d’acort cela ne vous plaist guerre,
Pour quitter ce qu’on ayme il n’est jamais trop tart,
Cependant il est temps de faire bande à part.

LEANDRE

1205 Je vois bien qu’il me faut esloigner de Climenne, [p. 72]
Mais souffre* en la quittant que je flate* ma peine,
Laisse agir mon respect & ma flame en ce lieu,
Jusqu’au dernier moment de ce funeste adieu :
Le mortel déplaisir où cet adieu me plonge,
1210 Me fait envisager mon bon-heur comme un songe,
Un demy jour a veu sa naissance & sa fin,
Madame, & cet effet de mon mauvais destin :
Me fait apprehender de me voir plus à plaindre,
Qu’un brutal376 dont l’ardeur s’éforce à vous contraindre,
1215 Et que je percerois plûtost de mille coups,
Que de souffrir* jamais qu’il devient377 vostre espoux.

LE BEAUCERON. bas

Ah ! le facheux* rival.

CLIMENNE

Cette plainte m’offence,
Et mon amour vous doit tenir lieu d’asseurance ;
Ce cousin de nos coups n’a pû se garentir,
1220 Loin de s’en allarmer* il faut s’en divertir,
Flater* en le joüant nostre ardeur mutuelle,
Luy faire chaque jour quelque piece nouvelle,
C’est un Provincial épais* materiel*378,
Qui duppe au dernier point se croit spirituel*.
1225 De tous autres enfin son humeur* le discerne,
Et [de] pareils lourdeaux meritent qu’on les berne.

LE BEAUCERON. bas

C’est encor trop d’honneur, où m’estois-je fouré ?

BEATRIX

Si j’y puis quelque chose il doit estre asseuré ;
Que nous le bernerons de la bonne maniere,
1230 Et qu’à m’en divertir je seray la premiere.

LE BEAUCERON. bas

Je me le tiens pour dit :

LEANDRE

Et le Basque je croy, [p. 73, N]
Ne negligera pas ses soins* non plus que moy,
De ce que nous ferons vous serez advertie.

LE BEAUCERON. bas

Vous faites pour le coup fort mal vostre partie*.

CLIMENNE

1235 Je connois vostre amour vous connoissez le mien,
Il faut que nostre adieu borne nostre entretien* :
C’est perdre en vains discours les momens qui se passent,
Separons nous, la nuit & mon devoir vous chassent

LEANDRE

Quand nous reverrons-nous ?

CLIMENNE

Demain.

LEANDRE

Où ?

CLIMENNE

Dans ce lieu.

BEATRIX

1240 Vous le sçaurez du Basque.

LEANDRE

Adieu Madame.

CLIMENNE

Adieu.

SCENE VIII. §

LE BEAUCERON. seul

J’en tiens379, ils ont assez agité la matiere, [p. 74]
Je suis pris pour un sot* de plus d’une maniere380,
Je suis suffisamment esclaircy de leurs feux,
Et je seray cocu des demain si je veux :
1245 Je n’ay qu’à l’espouser c’est une affaire faite,
Cecy ne va pas mal381, ah ! petite coquette*,
Vous me donnez d’advance & ce cœur empaumé*382,
Coupe le nœud d’Hymen avant qu’il soit formé :
Sans craindre ny prevoir ma juste reprimande,
1250 Vous laissez fourager* le pré que je marchande ;
Et me croyez d’humeur* à vous donner la main383,
Quand pour moy vostre honneur* n’aura que du reguain384,
Et mon amour pour vous tiendroit encor pied-ferme ;
Allez de la vertu vous n’estes qu’un faux germe,
1255 Vous n’estes de l’honneur* qu’un indigne avorton :
Et vous n’en connoissez tout au plus que [le] nom,
Leur adresse & leurs soins* ont enyvré le Suisse,
Mais en voulant me nuire ils m’ont rendu service,
Leandre sans cela n’eust pu se rendre icy,
1260 Et mon cœur de leurs feux n’eust pû s’estre éclaircy ;
C’est dans cette maison le seul qui m’est fidelle,
De l’ingenuité385 c’est un parfait modelle ;
Et pour ce Suisse enfin ma bonté se resout,
Mais quelqu’un vient encor écoutons jusqu’au bout.

SCENE IX. §

BEATRIX, LE BEAUCERON.caché

BEATRIX

1265 Basque. [p. 75]

LE BEAUCERON

C’est Beatrix elle appelle le Basque,
Examinons-le avant que de lever le masque386.

SCENE X. §

LE BEAUCERON, BEATRIX,
LE BASQUE.

LE BASQUE. faisant des faux pas comme un homme qui a bû & tenant une lanterne

Que veux-tu.

BEATRIX

Pour dormir prens tu pas bien ton temps ?
Nostre bouru dans peu387 doit se rendre ceans*,
Il est dans ce moment prest à rentrer peut-estre.

LE BASQUE

1270 Qu’importe.

LE BEAUCERON

C’est le Suisse, ouy luy-mesme ! ah le traistre388. [p. 76]

LE BASQUE

Par ma foy finissant tantost nostre entretien*,
J’ay bû neuf ou dix coups qui m’ont fait bien du bien.

LE BEAUCERON

Il parle bon François, ah ! ah Canton de Berne,
Vous estes du complot aussi quand on me berne389.

LE BASQUE

1275 Qu’on vend dans ce quartier d’admirable sirot,

BEATRIX. jettant sa lanterne à bas

Mais veux-tu me brider le nez390 de ton falot.

LE BASQUE

A trais frequens & longs j’ay vuidé trois bouteilles,
Qui m’ont mort-bleu qui m’ont fait dormir à merveilles.

BEATRIX

Et si pendant ce temps le cousin fust venu,
1280 Ou qu’il fut mesme entré sans que tu l’eusses veu.
C’est une occasion391 qui pourroit s’estre offerte,
Et quelqu’un auroit pû laisser la porte ouverte.

LE BASQUE

Ouy-da* comme tu dis cela se pouvoit bien.
Ta raison est fort bonne & mesme… Il n’en est rien.
1285 Laissons-là le passé dis moy donc.

BEATRIX

Qu’est-ce ?

LE BASQUE

Escoute.

BEATRIX

Te voilà beau* garçon392.

LE BASQUE

N’est-il pas vray.

BEATRIX

Sans doute. [p. 77]

LE BEAUCERON

Que le cocquin est fou.

LE BASQUE

Faut-il encor long-temps,
Faire soir & matin sentinelle ceans*.

BEATRIX

Cela pourra cesser si le Ciel nous exauce.

LE BASQUE

1290 Ah ! le vilain Monsieur, que ce Monsieur de Beauce.
Je me tromperois fort s’il n’estoit pas cornart.

LE BEAUCERON. bas

Vous en aurez menty Suisse de Vaugirart393.

BEATRIX

C’est assez raisonner ne bois de la soirée,
Et tasche à ratraper ta raison égarée.
1295 Si le Beauceron vient ne luy dis que deux mots,
Il vaut mieux en moins dire & parler à propos ;
Jusques à son retour prens bien garde à la porte.
Adieu.

LE BASQUE

Quoy tu voudrois me quitter de la sorte ?

BEATRIX

Tes discours à present n’auront jamais de fin.

LE BASQUE

1300 Encor un petit mot :

BEATRIX

Ah ! que tu sens le vin.

LE BASQUE

Que j’ayme à t’embrasser.

BEATRIX

Que je hais un yvrongne394. [p. 78]

LE BASQUE. la voulant embrasser

Beatrix.

BEATRIX. se retirant, rentre395

Laisse-moy.

LE BASQUE. tombe

Peste de la carogne*.
A l’entendre on croirait ma foy que je suis sou,
Je l’aimerois encor je serois un grand fou ;
1305 Tu me quittes je vais te rendre la pareille,
Et ne veux desormais aymer que ma bouteille :
Mais en nous retirant gardons de* nous heurter.

SCENE DERNIERE. §

LE BEAUCERON. seul

Tous sont d’inteligence* & je n’en puis douter,
A traficquer d’amour chacun icy s’exerce,
1310 Par de differens soins* on fait mesme commerce* :
J’allois en l’épousant me coëffer396 comme il faut,
Ah mon honneur* je pense alloit faire un beau saut397 ;
Et vous Suisse à deux mains398 moule de plus d’un masque,
Vous estes un fripon Monsieur l’Abbé le Basque :
1315 Qui diable eust jamais pu le voyant si naïf,
Douter que ce maraut* fut un Suisse effectif :
Ou croire que Climenne auroit eu l’artifice*, [p. 79]
D’introduire un valet de son galant* pour Suisse ;
Et moy qui m’y fiois j’ettois en bonne main,
1320 Ah ! je vais…Non mettons la partie à demain :
Il est tart je pretens* en évitant sa veuë* ;
Laisser jusqu’à ce temps rassoir ma bille399 émeuë* : 
Et pour passer en paix le reste de la nuit,
Je vais me retirer dans ma chambre sans bruit.

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

BEATRIX, LE BASQUE.

BEATRIX

1325 Quoy, tu voudrois encor soûtenir le contraire ? [p. 80]
L’effronterie est grande & je ne puis m’en taire.

LE BASQUE

Ouy, je te le soûtiens, il a couché dehors, [p. 81, O]
Il n’est point revenu, j’en respons corps pour corps400.

BEATRIX

Quoy nostre Beauceron est dehors ?

LE BASQUE

Ouy, luy-mesme.

BEATRIX

1330 Il n’est point rentré?

LE BASQUE

Non.

BEATRIX

L’impudence est extréme.

LE BASQUE

Je gage contre toy que depuis hier401 au soir…

BEATRIX

L’obstiné ! je te dis que je le viens de voir :
Qu’il est dans le jardin tout seul qui se promene,
Et qu’il m’a demandé ce que faisoit Climenne.

LE BASQUE

1335 Aujourd’huy ?

BEATRIX

Ouy, depuis un cart-d’heure de temps.

LE BASQUE

Tu l’as veu si tu veux ; mais il n’est pas ceans*,
Car icy depuis hier il n’est entré personne,
Quoy que cette raison peut seule estre fort bonne :
J’adjouste pour parler cathegoriquement,
1340 Que je n’ay pas quitté la porte d’un moment,
Que j’en ay toûjours eu la clef dedans ma poche,
Qu’on ne peut justement m’en faire de reproche,
Que ce fou que tu viens dis tu de rencontrer,
Ne s’est pas seulement presenté pour entrer,
1345 Que tu m’en fais icy des plaintes inutiles, [p. 82]
Et que s’il est entré c’est par dessus les tuilles,
Tu peux dire à present tout ce que tu voudras.

BEATRIX. le menant par le bras vers le jardin

Toûjours mesme chanson ? ma foy tu le verras,
Ce n’est que par tes yeux que je veux te confondre :
1350 Le voicy qu’en dis tu.

SCENE II. §

LE BEAUCERON, BEATRIX
LE BASQUE.

LE BASQUE. le voyant

Je n’ay rien à respondre ;
Je voy qu’il est entré, mais je ne sçay par où,
Sans doute ce sera pendant que j’estois sou.

LE BEAUCERON

Allez voir si Climenne à present est visible,
Et luy dites en cas qu’elle soit accessible402 :
1355 Que je veux luy parler, & voudrois bien sçavoir,
S’il faut que je l’attende, ou si je l’iray voir ;
Le Suisse y voulant aller.
Je parle à Beatrix laissez-la faire Suisse.

SCENE III. §

LE BEAUCERON, LE BASQUE.

LE BASQUE

Chi ly veut moy tout jour rendre à vou bon service403. [p. 83]

LE BEAUCERON

Eh je m’en doute bien, ah ! l’effronté cocquin404 !

LE BASQUE

1360 Chil tir quen tiri point sty lotry que timain.
Tout que vous ly tir moy je lafre fait tout comme405 ;

LE BEAUCERON

Vous estes je le sçais un fort joly jeune-homme406.

LE BASQUE

Lentry point dy Monser mon foy dans sty maison,
Chil servir pien mon Maistre407.

LE BEAUCERON

Ouy, vous avez raison408,
1365 Fort bien, fut-il jamais une telle insolence !

LE BASQUE

Chil servir tout jour vou di mesme409.

LE BEAUCERON

Je le pense,
Il n’est pas mal-aisé je vous croy sans prier.

LE BASQUE

Chy li fair moy…

LE BEAUCERON

Mort-bleu c’en est trop endurer,
S’il ne se taist410

LE BASQUE

Chil feut fair moy vou souvenance411. [p. 84]

LE BEAUCERON. luy donnant un soufflet

1370 Tiens de tant de babil voilà la recompense ?
à part.
C’est sur mes vingt Louys* toûjours en rabatant412.

LE BASQUE

O Monser.

LE BEAUCERON

Qu’on se taise ou j’en [re]donne autant,
Mais je vois avancer Beatrix & Climenne.

SCENE IV. §

LE BEAUCERON, CLIMENNE,
LE BASQUE, BEATRIX.

LE BEAUCERON

Je ne pretendois pas vous donner tant de peine* :
1375 Mais puis que vous voilà, donnez nous deux fauteüils,
au Suisse.
Montrez-nous les talons413.
à Beatrix ;
Et vous laissez-nous seuls.

SCENE V. §

LE BEAUCERON, CLIMENNE
LE BEAUCERON.

LE BEAUCERON

Approchez-vous Climenne, & prenez vostre place, [p. 85, P]
Je pretens* vous parler, & vous voir face à face,
De ce que je diray tâchez à profiter.

CLIMENNE

1380 Parlez, vous me voyez preste à vous écouter.

LE BEAUCERON

Je ne sçay si mon air* mon humeur* ou ma mine*,
Vous forcent à vouloir n’estre que ma cousine ;
Ou si nature enfin ne m’a pas honoré,
De prendre pour me faire un moule à vostre gré ;
1385 Si trop laid à vos yeux, ou trop vieux quoy que riche,
De tendresse* pour nous vostre cœur est né chiche,
Ny mesme si j’en dois estre bien-aise* ou non.

CLIMENNE

Vous sçavez…

LE BEAUCERON

Taupe à tout414, mais vous trouverez bon,
Sans m’échaufer le sang, que plus franc que les autres,
1390 Après mes veritez je vous dise les vostres ;
Et que dans ce discours me servant de ce droit,
Nous nous voyions tous deux par nostre bel endroit415 ;
Estant vostre cousin, & presque à vous, je pense [p. 86]
Pouvoir faire avec vous entiere confidence ;
1395 Et puis qu’enfin je puis ne vous déguiser rien,
Vous estes une gueuse416, & vous le sçavez bien,
Quoy que dedans417 mon lit je veüille vous admettre,
Vous n’avez pas vallant418 l’habit qu’on vous voit mettre,
Et vous estes enfin mal-gré vostre cocquet419,
1400 Aussi pauvre en bon sens comme riche en cacquet ;
Vostre pere eust du bien, mais enfin vostre mere ;
Pour payer ses galans* ne se l’épargna guere,
Car vous n’ignorez pas qu’elle écoutoit* un peu,
Et que sur ce chapitre elle a joüé beau jeu420 ;
1405 Que cent fois sur ce point il eut bruit* avec elle,
Qu’avant que de mourir il en avoit dans l’aîle421,
Et que ce cher cousin plein d’un juste soupçon,
Doutoit que vous fussiez mesme de sa façon422.
Que plusieurs soûtenoient, & donnoient mesme preuve,
1410 Qu’encore qu’423il fust mort elle n’estoit pas veuve :
Que l’amour seul avoit l’un & l’autre424 enroolé,
Et que jamais l’Hymen ne s’en estoit mélé.
Je pourrois croire enfin qu’un cœur pour nous de glace,
A l’exemple d’autruy pourroit chasser de race425,
1415 Ou craindre avec raison que l’on ne le surprit*426 :
Ce scrupule pouvoit m’embarrasser l’esprit,
Cependant, éblouy* d’une lumiere fauce,
Mon cœur pour se donner vient du fond de la Beauce ;
J’abandonne pour vous sans me faire prier,
1420 Le soin de mes dindons, & de mon colombier :
Pour me donner à vous, je renonce à l’hommage,
Qu’un Paysan naïf me rend dans mon village ;
Le desir de vous voir, sacrifie à l’amour,
Mes vaches, mes moutons, toute ma basse-cour,
1425 Chery dans le païs, respecté comme un Prince, [p. 87]
Et plus noble dix fois qu’aucun de la Province,
Riche, propre*, galand*, bien-fait, adroit-à-tout ;
À me voir vostre époux ma bonté se resout ;
En vain pour l’empescher quelqu’un veut s’entremettre,
1430 Rien ne peut m’ébranler, & ma flame vient mettre,
D’un noble Beauceron le cœur à vos genoux,
C’estoit beaucoup pour moy, ce n’estoit rien pour vous :
Vous sçavez bien de plus nostre chere cousine,
Que depuis quatre mois la noblesse voisine,
1435 M’a mille fois parlé d’une rare beauté427,
Au diable l’un que j’ay seulement écouté ;
Ce n’estoit rien encor, je sçavois par avance,
Qu’à toute heure aux galands* vous donniez audience428 ;
Qu’avec eux vous estiez toûjours je ne sçais où,
1440 Que tantost à Boulogne, & tantost à saint Clou429 :
Ou pour courir ailleurs vous estiez preste & prompte,
Que vous en receviez des presens à bon compte430,
Qu’un certain Chevalier vous fit long-temps la cour,
Qu’il vous rendoit visite au moins trois fois par jour :
1445 Qu’aprés vous aviez fait une nouvelle intrigue*,
Avec un Financier moins puissant que prodigue,
A force de Louys* dans vostre cœur placé,
Qui depuis…Mais enfin laissons-là le passé ;
C’estoient d’honnestes* gens, ils estoient pleins de flâme,
1450 Le Financier est mort, Dieu veüille avoir son ame.
Quoy que tant de raisons deussent me rebuter,
Je me flattois* toûjours de vous decocqueter431 :
De rendre vostre humeur* à mon humeur* conforme,
D’introduire chez-vous doucement la reforme,
1455 Pour en venir à bout je n’ay rien negligé,
En argus432 prés de vous je me suis erigé,
Pour vous plaire, & pouvoir vous détacher du reste, [p. 88]
J’ay fait de la dépense & je me suis fait leste*.
J’ay voulu vous donner un espoux sans défaut,
1460 Acheter vostre cœur dix fois plus qu’il ne vaut :
Vous rendre de mes soins* le témoin oculaire,
Voilà ce que j’ay fait, en voicy le salaire ;
Esperant sous l’Hymen vous aymer but à but*,
Vous m’avez pretendu donner un substitut433 :
1465 Mittonner* un galand*, qui rendit par sa ligue,
Nostre Hymen compatible avec un peu d’intrigue* ;
Et dont l’ardeur enfin secondant vos desirs,
Peut434 doubler vostre espoux ainsi que vos plaisirs.
Ma presence troublant vostre galanterie*,
1470 Vous avez de concert* fait une lotterie,
Afin que vostre cœur pour l’amant adoucy,
Peût avoir un pretexte à l’introduire icy.
Puis poussant contre moy plus avant l’artifice*,
D’un Basque son valet, vous avez fait un Suisse,
1475 Vos pieges dans lesquels je suis presque tombé,
L’ont mis de Basque en Suisse, & de Suisse en Abbé ;
Et vous avez enfin employant toutes choses,
Comme les Dieux deffunts fait des Metamorphoses.
Par ce cuistre* aposté* me prenant pour un sot,
1480 Vous m’avez fait courir aprés l’ombre d’un lot,
Cependant que tous deux ayans l’amour pour guide,
Riez de ma sottise & preniez le solide435 :
Vous m’avez de concert* avec cet imposteur,
Escroqué vingt Louys* qui me tiennent au cœur :
1485 Par un fourbe qui n’a que vos feux pour resource,
Vous avez fait porter cette botte436 à ma bource,
Et m’avez fait enfin sans mesme balancer*,
Payer le violon437 qui vous faisoit dancer.
A-t-on jamais parlé de trahisons si noires !
1490 Parlez & dites-moy si j’ay de bons memoires438,
Et si je puis de vous m’estre informé sans fruit439. [p. 89]

CLIMENNE

Je ne sçais qui vous peut avoir si bien instruit :
Mais vous deviez enfin donner moins de creance*,
Aux bruits que contre moy seme la médisance ;
1495 Et faire en ma faveur ce que j’ay fait pour vous,
Sur tout si vous songez à vous voir mon époux :
Quand de vos ennemis la langue médisante,
M’a dit que vous estiez le fils d’une servante,
Que vostre pere avoit depuis plus de quinze ans :
1500 Que vous en aviez dix pour le moins dans le temps,
Qu’avec elle il voulut contracter mariage,
Je ne vous en ay pas méprisé davantage.
De ces traits, quoy que vrais je vous défendois bien,
Et je disois par tout que je n’en croyois rien ;
1505 Je pouvois esperer de vous la mesme chose,
Vous ne l’avez pas fait, mon mal-heur en est cause ;
Passons au grand effort que vous faites pour moy,
Vostre cœur dites-vous me destinant sa foy*,
Esblouy* de l’éclat d’une lumiere fauce,
1510 Pour se rendre à Paris vient du fond de la Beauce :
Abandonne pour moy sans se faire prier,
Le soin de ses dindons & de son colombier,
Certes l’effort est grand, & je suis une beste,
Je me devois aller jetter à vostre teste :
1515 Chercher à travers champs un époux au hazart,
Deterrer dans la Beauce un singe campagnart ;
Et prendre pour épous errante440 à l’adventure,
Quelque brute qui n’eust d’homme que la figure*.
J’en conviens, mais enfin les filles à Paris
1520 Ne sont pas à ce point avides de maris ;
Je viens à ces grands biens que sans cesse on me vante,
Les quinze mille francs que vous avez de rente,
Sont-ils en font* de terre, on sçait tout vostre bien, [p. 90]
Pour six ou sept d’accort, pour quinze il n’en est rien ;
1525 Les huit ou neuf de plus ne sont qu’une chimere,
Que pour vous faire honneur vostre esprit vous rend chere :
Car comme sur ce point mille gens nous ont dit :
Enquoy consistent-ils ? parlez ?

LE BEAUCERON

En fonds* d’esprit,
Le voilà le tresor portatif que personne
1530 Ne vous sçauroit oster, que le Ciel seul nous donne :
Qu’on doit plus que ses biens priser* avec raison ;
Et qu’on peut…

CLIMENNE

En ce cas vostre conte441 est fort bon ;
Vous vous plaigniez dequoy j’ay souffert compagnie* :
Sans la societé dequoy nous sert la vie ?
1535 Ce plaisir innocent m’a toûjours semblé doux ;
Mais personne n’en a si mal jugé que vous ;
Nostre sexe à mon sens deviendroit fort à plaindre,
S’il falloit qu’un critique eust droit de nous contraindre ;
Et qu’un nombre de sots dont il est en tout temps,
1540 Nous privast du plaisir de voir d’honnestes* gens ;
Ce seroit approuvant cette belle maxime,
De l’orgeüil des censeurs se faire la victime ;
Faire avec son repos* un divorce ennuyeux,
Et se sacrifier442 à la peur qu’on a d’eux.
1545 Aussi malgré l’effort qu’a fait la médisance,
Ses traits n’ont eu sur vous qu’une foible puissance ;
Et n’ont pû jusqu’icy dégageant vostre foy*,
Vous oster le desir de vous donner à moy ;
Ce sont là tous vos soins* ; à l’égard du salaire,
1550 Qu’ils ont eu, je pretens* aussi vous satisfaire.
Tandis que vostre amour cherche à se signaler, [p. 91]
Leandre, car c’est luy dont vous voulez parler,
Avec moy de concert*, employe443 l’artifice*,
Pour me voir, je l’écoute à vostre prejudice,
1555 S’estonne-t-on aprés les soins* qu’il m’a rendus,
S’il le mérite mieux que je l’estime plus444,
Il est respectueux, vous estes brusque & sombre,
Leandre a du bon sens, vous n’en avez que l’ombre ;
Il est discret soûmis, vous estes fier chocquant*,
1560 Il sent* son noble, & vous vostre homme de neant445 :
On le prend aux habits dont il pare sa taille,
Pour un homme du temps, vous pour une anticaille,
S’il n’a pas tant de bien ce n’est pas un défaut ;
Qui détruise…

LE BEAUCERON. se levant

En voilà tout autant qu’il en faut,
1565 Treve de paralelle, ainsi nostre cousine
Vous aymeriez donc mieux vostre idole* blondine ?

CLIMENNE

Il est vray je l’écoute, & j’approuve son feu,
Je l’ayme, & je veux bien vous en faire l’aveu.

LE BEAUCERON

Je vais puis qu’à ce point sa flame vous est chere,
1570 En dire sur le champ deux mots à vostre mere,
Luy conter vos amours, luy vanter vostre choix,
Et j’espere devant* qu’il soit trois fois les Rois446 :
Qu’il en sera parlé, donnez vous patience447.

SCENE VI. §

CLIMENNE. seule

On va tout exiger de mon obeyssance, [p. 92]
1575 Et l’on va me forcer…Ah Beatrix sçais-tu ?….

SCENE VII. §

BEATRIX, CLIMENNE.

BEATRIX

Je sçay tout comme vous car j’ay tout entendu.

CLIMENNE

Enfin mon mal-heur veut que je perde Leandre,
Au nom de mon époux il ne peut plus pretendre :
Ma mere, & ce cousin, qui me veut malgré moy,
1580 Par de nouveaux sermens vont engager ma foy*,
Il y court, & tu viens d’entendre sa menace.

BEATRIX

Je me mocquerois bien d’eux deux en vostre place :
Ouy, je me lasserois d’avoir les bras liez,
Une fois448 c’est pour vous que vous vous mariez449,
1585 Vostre mere le veut, on me la baille belle450, [p. 93, Q]
S’il est tant à son gré que ne l’espouse-t-elle.

CLIMENNE

Mais pour t’en dispenser qu’est-ce que tu ferois.

BEATRIX

En quatre mots voilà ce que je luy dirois,
Qu’on me laisse en repos*, je n’ayme que Leandre,
1590 Je hais le Beauceron, qu’il s’aille faire pendre.

SCENE VIII. §

CLIMENNE, BEATRIX
LE BASQUE.

LE BASQUE

Mon Maistre…

CLIMENNE

Que veut-il ?

LE BASQUE

Me fait vous demander,
S’il peut vous venir voir.

CLIMENNE

Dis luy qu’il peut entrer.

SCENE IX. §

CLIMENNE, BEATRIX.

CLIMENNE

En vain j’empescherois son amour de parestre, [p. 94]
C’est la derniere fois qu’il me verra peut estre ;
1595 Le plus severe honneur* peut permettre en ce jour,
De donner ce dernier moment à nostre amour.

SCENE X. §

LEANDRE, CLIMENNE, LE BASQUE
BEATRIX.

CLIMENNE

Rien ne peut plus flater* ma flame ny la vostre,
Leandre, pour espoux on m’en destine un autre :
Ce cousin pretent* l’estre ; il sçait tout aujourd’huy,
1600 Ce que nous avons fait pour nous & contre luy,
Ce sont des trahisons qu’il nomme sans exemples,
Aprés m’en avoir fait des reproches fort amples,
Et m’avoir de vos feux fait faire un libre aveu,
Il est rentré disant que devant* qu’il soit peu,
1605 Il en sera parlé, qu’il alloit voir ma mere, [p. 95]
Vous sçavez ce qu’il faut helas ! que j’en espere.

LEANDRE

Quel revers si soudain que je n’ay pu prevoir,
Peut en si peu de temps destruire tant d’espoir ?
Mon mal-heur à mes feux incessamment s’oppose.

LE BASQUE

1610 J’ay bien veu des tantost* qu’il sçavoit quelque chose.
Et j’en aurois jurez.

LEANDRE

Par qui l’as tu donc sceu ?

LE BASQUE

Par un fort grand soufflet Monsieur que j’ay receu,
J’ay bien veu qu’il cherchoit à me faire querelle.

LEANDRE

Si pour vous à ce point vostre mere est cruelle,
1615 Et s’obstine à vouloir vous donner cet espoux,
Que ferez-vous Madame, helas vous tairez-vous ?

CLIMENNE

Vous sçavez à quel point ma mere est absoluë*,
Il faudra l’espouser si la chose est concluë.

LEANDRE

Quoy jusqu’à cet effort vostre cœur peut aller ?
1620 On ose vous contraindre & vous n’osez parler ?
Madame, & tout l’espoir qui flatoit* ma constance,
Doit se voir aujourd’huy détruit par ce silence ?
Ah ! puique vostre amour est si foible pour moy,
Faites ce Campagnart* Maistre de vostre foy*,
1625 Du nom de vostre espoux favorisez un autre,
Mon amour aussi bien est trop grand pour le vostre.
Adieu vous me voyez pour la derniere fois,
Obeyssez Madame, & faites vostre choix.

SCENE XI. §

LE BEAUCERON, LEANDRE
LE BASQUE, BEATRIX
CLIMENNE.

LE BEAUCERON. en habit de Campagne451

Leandre, revenez, parlons de vostre flame, [p. 96]
à Climenne.
1630 Vous aymez ce Monsieur, vous vous aymez Madame,
Il vous ayme beaucoup, vous en estes chery,
Si le cœur vous en dit vous serez son mary ;
Sa mere ayant appris vostre ardeur mutuelle,
Veut bien que vous soyez l’espoux de cette belle ;
1635 Et pour moy qui m’estois chargé de ce soucy*,
De peur d’estre cocu je le veux bien aussi.
Je ne me picque* pas d’estre à ce point commode,
Pour Monsieur qui pretent* toûjours estre à la mode452,
Il peut tenter fortune453, & je le tiens bien fin,
1640 S’il s’en sauve.

LEANDRE

Je crains peu ce danger,

LE BEAUCERON

Enfin,
Quoy que vous en disiez elle en est la Maistresse.

LEANDRE

Quel bon-heur* aujourd’huy vous rend à ma tendresse* ? [R, 97]
Mais enfin quel motif vous fait changer d’habits.

LE BEAUCERON

C’est Monsieur que je vais partir pour mon pays ;
1645 J’ay conceu pour Paris une haine mortelle,
Et mon front vient icy de l’eschapper trop belle454,
Je fuis ce maudit lieu de cocquettes* farcy,
Et ne suis plus si sot que de rester icy :
Les filles à Paris sont pour nous trop sçavantes*,
1650 Il faut des gens galans*, pour des filles* galantes*,
Et je m’en tiens au nœud de consanguinité ;
Je vais dire au pays comme l’on m’a traité ;
Et je me trompe fort quoy qu’il sente de flame455,
Si jamais Beauceron vient icy prendre femme.

CHAMPAGNE

1655 Vostre cheval Monsieur, & vostre postillon,
Sont là bas.

LE BEAUCERON

Serviteur456.

LEANDRE

Comment c’est tout de bon* ?
Quoy vous ne verriez pas ce qu’amour nous destine ?

LE BEAUCERON

Non je vous en repons* ; jusqu’au revoir457 cousine.

SCENE DERNIERE. §

LEANDRE, CLIMENNE, LE BASQUE
BEATRIX.

LEANDRE. aprés avoir ry

Allons voir vostre mere. [p. 98]

CLIMENNE

Et le reste du jour,
1660 Puis qu’elle veut enfin approuver nostre amour,
Nous pourrons, empeschant que le peuple ne crie,
Par divertissement tirer la Lotterie.

LEANDRE

Et quand de nostre amour l’Hymen sera le prix,
Il faudra marier458 le Basque & Beatrix.

Glossaire §

Absolu
« Sans condition, sans réserve » (F.).
V. 1617
Admirer
« Regarder avec estonnement quelque chose de surprenant ou dont on ignore les causes » (F.).
V. 524, 867
Littré précise qu’il peut s’employer « par critique ou par ironie en parlant de ce qui paraît excessif, étrange ».
V. 524
Aguerir (s’)
« Se rendre habile en sa profession » (F.).
V. 739
Air
Mine, physionomie, traits du visage.
V. 154, 342, 964, 1381
« Maniere d’agir, de parler, de vivre, soit en bonne, ou en mauvaise part » (F.).
V. 21, 154, 964, 1381
Aise (être bien)
Se réjouir.
V. 788, 1387
Ajustement
« Ornement, parure » (F.).
V. 911
Alarmer
Se dit tant au propre qu’au figuré au sens de « donner ou prendre l’alarme » (F.).
L’« alarme » désigne « toutes sortes d’appréhensions bien ou mal fondées » (F.).
V. 261, 271, 305, 1220
Amant
« Celui ou celle qui aime avec passion une personne d’un autre sexe » (A, 1762).
Nom des acteurs, v. 1139
Aposter
« Attitrer quelqu’un, le mettre en avant pour espier, tromper et surprendre quelqu’un » (F.).
Appartement
« Portion d’un grand logis où une personne loge ou peut loger separément d’avec une autre » (F.).
V. 362
Apprivoiser (s’)
« Se rendre familier avec quelqu’un. On dit par reproche à un homme qui prend quelques libertés, surtout avec les femmes, Vous vous apprivoisez bientost » (F.).
V. 113
Artifice
Ruse, déguisement, mauvaise finesse.
Aussi bien
D’ailleurs, dans le fait, au reste.
V. 613
Avecque
Doublet poétique de avec. Cette forme est « bonne » selon Vaugelas (Remarques sur la Langue française, 1647), « commode aux poètes », et même aux prosateurs qui ont « quelque soin de satisfaire l’oreille ». Elle s’emploie jusqu’à la fin du siècle.
V. 314, 359, 715, 889
Aveu
« Protection, ordre ou consentement donné » (F.).
Dédicace
Avis
« Conseil » (L.).
V. 27, 721
« En termes de Palais, se dit de certains arrestés ou deliberations de ceux qui sont commis par des superieurs pour examiner une affaire, ou des faits dont ils ne peuvent être esclaircis autrement » (F.).
V. 770
Aviser (s’)
« S’imaginer quelque chose, […], s’appliquer à trouver, à inventer quelque chose pour quelque fin » (A, 1884).
V. 251
Balancer
Hésiter.
V. 1487
Bassin
Grand plat creux. « Bassin » s’applique aussi aux « grands plats à mettre sur la table pour y servir des viandes, ou des fruits en pyramide, et plusieurs assiettes de divers mets » (F.).
V. 622
Batteur de pavé
Filou, fainéant.
V. 1117
Beau
« Se dit souvent par ironie et familièrement, dans un sens fort contraire à sa signification propre » (A, 1884).
V. 203, 216, 420, 484, 1286
Blondin
« On appelle blondins les jeunes galants qui font les beaux, parce qu’ils portent d’ordinaire les perruques blondes » (A, 94).
V. 340
Bon cela
Formule d’approbation.
V. 1012
Bon-heur
« Hasard » (F.).
Dédicace, v. 867, 1642
« Événement heureux, chance favorable » (A, 1932).
Bruit
« Querelle, confusion » (F.).
V. 1405
But à but
D’une manière égale, à égalité.
V. 1463
Cadedy
« Jurement qu’on met habituellement dans la bouche des Gascons » (L.). Le terme est formé à partir de cap, tête, et de dis, Dieu.
V. 1088
Cajoler
Employer des paroles caressantes pour plaire à quelqu’un. Furetière précise qu’il se dit en particulier « à l’égard des femmes et des filles, auxquelles on fait l’amour (c’est-à-dire, que l’on courtise), et dont on tâche de surprendre les faveurs à force de leur dire des douceurs et des flatteries ».
Campagnart
« Celuy qui vit noblement à la campagne, qui n’a point hanté la Cour, ni le beau monde des villes » (F.).
Dédicace, v. 112, 1624
Carogne
Terme injurieux signifiant « femme hargneuse, méchante femme » (L.). Il est souvent utilisé dans les comédies par les hommes, en particulier les maris.
V. 457, 1302
Céans
« Terme démonstratif du lieu où on est » (F.).
Chagrin
« Qui, sans cause précise, est d’une humeur ordinairement fâcheuse » (A, 1932).
V. 954
Chambre
« Membre du logis, partie d’un appartement. C’est ordinairement le lieu où on couche, et où on reçoit compagnie » (F.).
V. 408
Chocquant
« Qui offence » (F.).
V. 143, 1559
Civil
Honnête et raisonnable.
V. 440, 843
Cocquet, ette
« Qui est galant, qui se picque de se faire aimer » (F.), qui cherche à plaire.
V. 147, 934, 964
Cocquette
« Dame qui tâche de gagner l’amour des hommes […]. Les coquettes tâchent d’engager les hommes, et ne veulent point s’engager » (F.).
Coins
« Ce sont des cheveux postiches, que les hommes mettent pour faire paroistre leurs cheveux plus longs ; et que les femmes portoient autrefois pour retrousser et enfler leurs coeffures » (F.).
V. 904
Colet
« Partie de l’habillement, qui joint le cou, qui se met autour du cou » (F.).
V. 752, 1119
Comédie
« Se prend généralement pour toutes sortes de pièces de théâtre » (A, 94).
V. 407
Commerce
Toute fréquentation, toute liaison, tout rapport social. Le mot peut être pris en mauvaise part au sens de liaison illégitime.
V. 1310
Compagnie
« Petit nombre d’amis assemblez dans un lieu pour s’entretenir, pour se divertir, pour se visiter » (F.).
V. 39, 47, 408, 1533
Compere
« Ne tarde pas à désigner, par déviation péjorative, un homme galant, et qui aime à s’amuser » (C.).
V. 320
Concert
Préparation collective d’un projet, d’une entreprise, d’un complot. « De concert » signifie « d’intelligence, en accord ».
Connoistre
Reconnaître.
V. 95, 101, 246, 873
Contraste
« Contestation, contrariété de sentiments » (F.).
V. 1057
Cotte
« Partie du vestement des femmes, qui s’attache à leur ceinture, et qui descend jusqu’en bas » (F.).
V. 645
Couvert, adv.
« Caché, à l’abri, en seureté. Il a mis à couvert tout son bien » (F.).
V. 587
Creance
Croyance.
V. 1493
Cuistre
« Valet de Pedants, ou de Prestres, ou de gens de Collège, qui leur sert à faire cuire leur viande » (F.). Par extension, « pédant encrassé » (L.).
Da
« Particule qui se joint à l’adverbe oui […] et donne plus de force à l’affirmation » (L.). Richelet spécifie qu’elle n’est utilisée que « dans le stile le plus-simple, ou dans la conversation familiere ».
V. 1283
Debat
« Contestation, altercation » (A, 1932).
V. 1056
Debet
Synonyme de « débit ».
V. 1078
Défaite
« Excuse, eschapatoire. Ce valet est un rusé menteur, qui a toûjours une deffaite en poche » (F.).
V. 448
Défrayer
« Payer la despense faite par quelqu’un au lieu de luy » (F.).
V. 596
Denier
« Intérêt d’une somme principale » (A, 1884).
V. 566
Despens
« Terme de procédure, frais que la partie qui perd doit payer à la partie qui gagne » (L.).
Privilège, v. 662
Devant
Avant. « Devant qu’il soit peu » équivaut à « avant peu de temps ».
Docteur
« Qui a passé par l’examen et par tous les degrez d’une Faculté, et qui a le pouvoir d’enseigner une science et de la pratiquer » (F.)
V. 537
Double
Très petite monnaie.
V. 565
Drille
« Fantassin, soldat à pied. Il ne se disait guère que par raillerie ». « Un bon drille » est « un bon compagnon » (L.).
V. 404
Drôle
« Bon compagnon, homme de débauche prest à tout faire, plaisant et gaillard » (F.).
V. 82, 280, 304, 421, 1178
Éblouir
« Tromper, surprendre l’esprit et les sens par de fausses raisons, de fausses lumieres » (F.).
Éclater
« Se dit figurément de ce qui se manifeste tout à coup, après avoir été quelque temps caché » (A, 1884), « se decouvrir » (F.).
V. 265, 271
Écouter
« Se laisser persuader, se rendre à quelque raison. Cette femme commence à escouter les cageolleries, les offres de ses amants, elle sera bientost perduë » (F.).
V. 1403
Écu
Pièce de monnaie valant trois francs.
V. 628
Embarras
« Encombrement, ensemble d’obstacles inextricables » (C.).
V. 204, 219, 358, 366, 501, 655
Emblême
« Espece d’énigme en tableau, qui en représentant quelque histoire connuë avec quelques paroles au bas, nous apprend quelque moralité, ou nous donne quelque autre connoissance » (F.). Le terme désigne, par extension, une formule énigmatique, sibylline.
V. 946
Émouvoir
« Esbransler pour mettre en mouvement » (F.).
V. 1322
Empaumer
Terme de jeu de paume, « recevoir la balle […] dans la paume de la main ou en pleine raquette » (L.), « serrer avec la main » (F.). Il réalise l’idée figurée, « se rendre maistre de l’esprit de quelqu’un » (F.).
V. 15, 1247
Empesché
Embarrassé, occupé.
V. 996
Empoulé
Enflé.
V. 904
Entendre
Comprendre.
V. 135, 223, 226, 287, 419, 420, 422, 461, 535
Entretien
Conversation.
Épais
« Lourd, pesant, grossier » (L.).
V. 1223
Équipage
« Manière dont une personne est vêtue » (L.), habit.
V. 20
Évelier
Variante graphique de « éveillé », « qui a de la vivacité dans le ton et de la liberté dans les manières » (L.). « On dit, qu’Une femme est fort éveillée, pour dire, qu’Elle est un peu coquette. […] Il se prend aussi quelquefois subst. C’est un éveillé » (A, 1718).
V. 81
Évenement
« Issuë, succès bon ou mauvais de quelque chose » (F.).
V. 317
Facheux, euse
« Qui donne du déplaisir, de la peine » (A, 1932).
Fâcheux
« Un importun, un homme odieux et qui déplaît » (F.).
V. 1064
Façon
« Difficultés qu’une personne fait de se déterminer à quelque chose » (A, 1932).
V. 383
« Maniere d’agir » (F.), « se dit également, au pluriel, des manières propres à une personne, de ses actions, de ses procédés » (A, 1932).
V. 905
« Manière cérémonieuse et gênante de témoigner ses égards, sa politesse, sa circonspection, sa retenue » (A, 1932).
V. 14, 78, 924
Fait
« Se dit de ce qui est propre, convenable. Voilà vostre vray fait, ce qu’il vous faut » (F.).
V. 392
Fat
Sot, impertinent.
V. 659
Figure
« Forme extérieure d’un corps, d’un être » (A, 1932).
V. 1518
Fille
« Se dit par opposition à femme mariée » (L.).
Flandrin
« Homme grand et fluet » (L.).
V. 632
Flater
« Adoucir le sentiment d’une peine par des pensées consolantes » (A, 1884), donner de l’espoir, « causer une vive satisfaction » (L.).
Fleurette
« Ne se dit qu’au figuré de certains petits ornements du langage, et des termes doucereux dont on se sert ordinairement pour cajeoller les femmes » (F.).
V. 148, 488, 933
Folle
« Nom qu’on donnait autrefois aux femmes de mauvaise vie, aux courtisanes » (L.).
V. 680
Fonds
Le sol d’un champ, d’une terre, d’un domaine.
V. 1523
Somme d’argent plus ou moins considérable destinée à quelque usage.
V. 82, 83, 549, 557, 1080, 1118
Ressources d’ordre intellectuel ou moral.
V. 1528
Fortune
Destin, sort.
V. 710
Fourager
« Ravager, désoler, piller, ruiner un pays, y mettre tout en désordre » (F.).
V. 1250
Foy
« Serment, parole qu’on donne de faire quelque chose, et qu’on promet d’executer » (F.).
Fracas
« Bruit qu’on fait dans le monde » (L).
V. 158
Friquet
« Jeune galant fort mince qui n’a que du caquet et de l’affeterie, et rien de solide » (F.).
V. 760
Fureur
Se dit « de toutes les passions qui nous font agir avec de grands emportements » (F.).
V. 172
Galand, ante (adj.)
« Vif, plein de grâce alerte, de souplesse de corps et d’esprit ; distingué, élégant, de belles manières » (C.).
Dédicace, v. 1427
« Empressé à s’amuser, avec nuance défavorable, en parlant spécialement des plaisirs de l’amour ; ami des bonnes fortunes, des intrigues amoureuses » (C.).
V. 142, 144, 1650
Galand
Prétendant, amoureux, « amant qui se donne tout entier au service d’une maistresse » (F.). Vaugelas (1647) dit que « galant » peut désigner « un amant favorisé ».
« Homme qui a l’air de la Cour, les manières agreables, qui tâche à plaire, et particulierement au beau sexe » (F.).
V. 158, 367
Homme « habile, adroit, dangereux » (F.).
V. 100
Galanterie
« Commerce amoureux » (L.).
V. 1469
Garde magazin
« Marchandises qui se vendent difficilement » (L.).
V. 648
Garder de
Prendre garde de, éviter de.
V. 441, 1307
Gaster
« Ruiner, destruire » (F.). Par atténuation, il prend le sens de « compromettre, gêner ».
V. 115, 1001
Generosité
« Grandeur d’âme, de courage, magnanimité, bravoure, libéralité » (F.).
Dédicace
Gens
« Domestiques d’un même maistre » (F.).
V. 62, 589, 602, 1047
Giste
« En termes de Chasse, […] lieu où le lievre retourne toûjours. Il faut attendre le lievre au giste » (F.).
V. 886
Hardaut
« Garçon » (Huguet).
V. 217
Heur
« Bonne fortune, chance heureuse » (L.).
V. 921
Heureux
Chanceux.
V. 840
Honneste
« Ce qui merite de l’estime, de la loüange, à cause qu’il est raisonnable, selon les bonnes mœurs. Il ne faut hanter que d’honnestes gens » (F.).
Honneur
« Considération, estime dont on jouit », « bien moral, sentiment qu’on a de sa dignité ». Dans le Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey fait le départ entre l’« honneur » d’un homme, qui est « la réputation liée au comportement de sa femme » (v. 114, 130, 1312) et l’« honneur » d’une femme, qui désigne « la réputation attachée au caractère irréprochable de ses mœurs » (v. 114, 1182, 1186, 1252, 1595).
Humeur
Caractère, au point de vue moral, « naturel » (R.). « Etre d’humeur » à signifie « être d’un tempérament à ».
Idole
« Personne qui n’a point d’esprit, qui n’a point de paroles, d’action, […] qui paroist insensible comme une statuë » (F.).
V. 1566
Industrie
Habileté, expédient.
V. 1118
Infirmité
« Foiblesse » (F.).
V. 944
Inquieter
« Chagriner l’esprit, luy donner de la peine » (F.), ôter le repos.
V. 1124
Intelligence (être d’)
« S’entendre avec, avoir concert avec » (L.).
V. 608, 1308
Intrigue
« Commerce secret de galanterie » (L.).
Jargon
Terme familier, « langage vicieux et corrompu du peuple, de paysans qu’on a de la peine à entendre » (F.).
V. 93
« Se dit aussi par extension en parlant des Langues mortes ou estrangères que nous n’entendons pas » (F.).
V. 225, 279, 675
Larder
Au sens propre, « mettre des lardons dans la viande ». Les exemples, mentionnés par Littré, « larder quelqu’un de coups d’épée, larder ses écrits de citations », mettent en évidence l’acception figurée du verbe.
V. 904, 1147
Leste
Élégant.
V. 1458
Louys
Pièce d’or qui vaut douze livres ou francs.
Magot
Au propre, « gros singe ». Au figuré, il se dit « des hommes difformes, laids comme sont les singes, des hommes mal bastis (F.). Il peut également désigner un homme « sot, ridicule ».
V. 1, 1167
Maltostier
« Celuy qui exige des droits qui ne sont point deus, ou qui sont imposez sans autorité legitime » (F.).
V. 50
Manie
« Emportement et desreglement de l’esprit » (F.).
V. 184
Maraut
« Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n’ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de laschetez » (F.), injure très fréquente dans les comédies.
 V. 745, 1038, 1316
Masque
« Terme familier d’injure dont on se sert quelquefois pour qualifier une jeune fille, une femme » (L.).
V. 1162
Materiel 
« Massif, grossier. On dit aussi d’un homme sans esprit, ou qui est fort attaché à ses sens, qu’il est fort materiel » (F.).
V. 1223
Mâtin
Au propre, « gros chien de cuisine, ou de basse-cour ». Au figuré, il « se dit aussi des hommes grossiers, mal bastis de corps, ou d’esprit (F.)
V. 21
Méchant
« Mauvais, qui est despourveu de bonnes qualitez » (F.).
V. 228, 955
« Qui est contre la raison, les loix, les bonnes mœurs » (F.).
V. 397
« Fanfaron, dangereux » (F.).
V. 228
Medaille
« Se dit […] des personnes vieilles et laides, et des figures ou bustes qui les représentent » (F.). Par extension, le terme signifie « tête, visage ».
V. 24
Ménager
Économe.
V. 198
Mine
« Physionomie, disposition de corps et sur tout du visage, qui fait juger en quelque façon l’Intérieur par l’extérieur » (F.).
Mitan
« Vieux mot qui signifie le milieu d’une chose » (F.).
V. 984
Mittonner
« Caresser, choyer une personne, la traiter favorablement, pour gagner ou pour conserver ses bonnes graces » (F.).
V. 1465
Modeste
En parlant des choses, qui est conforme à la pudeur, à la bienséance.
V. 912
Mouchoir (de col)
« Linge garni ordinairement de dentelles exquises, dont les Dames se servent pour cacher et pour parer leur gorge » (F.).
V. 893
Mutin
« Qui se revolte contre l’autorité légitime » (F.), opiniâtre, querelleur.
V. 225, 369, 492
Nompareille
« Se dit en plusieurs arts pour exprimer ce qui y est de plus petit […]. Chez les Marchands, c’est le ruban le moins large » (F.).
V. 901
Obseder
« Se dit originairement des Demons qui sans entrer dans le corps d’une personne, la tourmentent et l’assiegent au dehors » (F.). Par métaphore, il signifie « se rendre maistre de l’esprit ou de la maison d’une personne, empescher les autres d’en approcher. » (F.)
V. 39, 702
« Importuner quelqu’un par son assiduité, par ses demandes ». (F.).
V. 1069
Officieux
« Prompt à rendre service, office, courtoisie » (F.).
V. 843
Ombrageux
« On le dit ordinairement au figuré […] des hommes qui ont des soupçons, des deffiances, des ombrages malfondez » (F.).
V. 955
Partie
« Somme d’argent qui est due » (A, 94).
V. 612
« Se dit aussi en mauvaise part, d’un complot qu’on fait pour assassiner, pour perdre quelqu’un, pour le ruiner » (F.).
V. 1234
Passion
« Tout désir violent ou inclination qui nous donne de l’affection pour quelque chose. » (F.).
V. 109
« Chaleur avec laquelle on fait quelque chose » (F.).
Dédicace
Payer
« Récompenser, reconnaître » (A, 1884).
V. 155
Pedant
« Celuy qui fait un mauvais usage des sciences, qui les corrompt et altere, qui les tourne mal, qui fait de méchantes critiques et observations » (F.).
V. 809
Peine
« Obstacle, difficulté » (F.).
Picquant
Qui choque l’esprit.
V. 925
Picquer (se)
Se vanter, avoir des prétentions.
V. 953, 1637
Pied
Mesure de longueur qui vaut douze pouces (0,324 m).
V. 395
Pied-plat
Rustre, paysan qui a des souliers tout unis (et non des talons hauts comme en portent l’aristocratie et les gens de Cour), homme qui ne mérite aucune considération.
V. 3
Pistole
Monnaie d’or qui vaut dix livres.
V. 67, 427
Plaindre
« Employer, donner avec répugnance, à regret, d’une manière insuffisante. Se plaindre une chose, s’en passer par avarice » (A, 1884).
V. 3
Poinçon
« Joyau dont les femmes se servent pour parer leur teste et pour arranger leurs cheveux en se coiffant » (F.).
V. 904
Point
« Certains ouvrages de broderie ou de tapisserie à l’aiguille, distingués les uns des autres par le déterminatif qui accompagne le mot point. […] Point d’Angleterre» (L.). Le « point Venitien » est une « dentelle à l’aiguille, probablement originaire de Venise, caractérisée par des dessins à rinceaux en fort relief » (TLF).
V. 162, 621
Poulet-d’inde
Jeune dindon.
V. 9
Presse
« Foule de peuple qui veut entrer en un lieu qui ne le peut pas contenir commodément » (F.).
V. 359
Pretendre
Vouloir, « avoir intention, avoir dessein » (A, 1884).
« Soutenir affirmativement, être persuadé » (A, 1884).
V. 133, 154, 354, 1638
Priser
Estimer.
V. 1531
Propre
Convenable dans la tenue, bien ajusté, élégant.
V. 1427
Protestant
« Amant qui fait à une Dame des offres de service et d’amour et qui luy promet fidelité » (F.). Terme passablement démodé au sens de « prétendant ».
V. 460
Public
« Le général des citoyens, ou des hommes » ( F.).
V. 196, 517, 553, 569, 637
Remettre (se)
Se rappeler.
V. 19
Repos
« Quiétude d’esprit, calme de l’âme » (L.).
Respondre
Garantir. « Je vous en réponds » se dit pour « affirmer davantage une chose » (L.).
Rompre
Harceler, tarabuster. « Un Juge a la tête bien rompuë de sollicitations, il en est bien importuné » (F.).
V. 982
Ruisseau
« Eau qui coule au milieu ou sur les deux côtés de la chaussée d’une rue » (L.).
V. 984
Sçavant
Bien informé, bien instruit de quelque chose. « Cette jeune fille est trop savante, est bien savante, elle sait des choses qu’elle devrait ignorer » (L.).
V. 1649
Sentiment
« Avis, opinion » (R.).
V. 192
Sentir
« Avoir les qualités, l’air, l’apparence, indiquer, dénoter » (L.).
V. 24, 1560
Serrer
« Enfermer, arranger, mettre à couvert, en lieu seur » (F).
V. 174, 817
Sexe
« Absolument parlant, se dit des femmes. C’est un homme qui aime le sexe, c’est à dire, les femmes » (F.).
V. 123
Soins
Au pluriel, « services qu’on rend à quelqu’un, attentions qu’on a pour lui » (L.).
Sot
S’employait souvent comme substitut de cocu.
V. 940, 1242
Soucy
Chagrin, inquiétude d’esprit.
Souffrir
Permettre, tolérer.
V. 51, 272, 302, 475, 949, 1206, 1216
Spirituel
Ingénieux.
V. 1224
Sujet 
« Cause, occasion, fondement » (F.).
Dédicace
Supposer
« Mettre une chose à la place d’une autre par fraude et tromperie » (F.).
V. 530, 1108
Supputer
« Calculer, examiner par les règles d’Arithmetique, en adjoustant, soustrayant, multipliant, ou divisant » (F.).
V. 514
Sur ce pied
À ces conditions, les choses étant ainsi.
V. 513, 921
Surprendre
Tromper.
V. 1415
Suscription
« Signature au bas d’une lettre, d’un acte » (F.).
V. 815
Tantost
Il y a quelques instants.
V. 844, 1610
Bientôt, tout à l’heure.
V. 856, 973, 976
Tendresse
« Sensibilité du cœur et de l’âme […] ce mot signifie le plus souvent amour » (F.).
V. 55, 717, 1386, 1642
Touchant
« Concernant, sur le sujet de » (A, 1884).
V. 26, 582
Tout à l’heure
Aussitôt, tout de suite, sur le champ.
V. 372
Tout de bon
« Sérieusement, sans jeu ni fiction » (L.).
V. 490, 1656
Train
Se dit de « l’équipage ou de la suite d’un chef de famille, d’un Seigneur » (F.).
V. 20
Transport
Trouble ou agitation de l’âme par la violence des passions.
V. 854
Veuë
« Rencontre » (F.).
V. 1321
Visage
« Se prend quelquefois pour la personne entière » (F.), spécialement au sens de « sot, fat, misérable », quand on le dit en colère.
V. 19

Bibliographie §

Éditions du texte §

Le Gentilhomme de Beauce, Paris, Jean Ribou, 1670.
Le Gentilhomme de Beauce, Amsterdam, Abraham Wolfgang, 1670.
Les Œuvres de Montfleury, t. I, Amsterdam, Adrian Braakman, 1697.
Les Œuvres de Montfleury, t. II, Paris, Christophe David, 1705.
Les Œuvres de Montfleury, t. I, La Haye, Kieboom, Block & Dorsten, 1735.
Théâtre de messieurs de Montfleury, père et fils, t. II, Paris, la Compagnie des libraires, 1739.
Théâtre de messieurs de Montfleury, père et fils, t. II, Paris, les libraires associés, 1776.

Outils de travail §

Dictionnaires de langue de l’époque §

Furetiere Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690 ; rééd. Paris, SNL-Le Robert, 1978 (F.).
Richelet Pierre, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, Genève, Jean-Herman Widerhold, 1680 (R.).

Autres dictionnaires §

Académie Française, Dictionnaire, Paris, Coignard, 1694 (A, 94).
Académie Française, Dictionnaire, Paris, Coignard, 1718 (A, 1718).
Académie Française, Dictionnaire, Paris, Firmin-Didot, 7ème édition, 1884 (A, 1884).
Académie Française, Dictionnaire, Paris, Hachette, 8e édition, 1932 (A, 1932).
Cayrou Gaston, Dictionnaire du français classique. Lexique de la langue du XVIIe siècle, Paris, Didier, 1948 (C.).
Huguet Edmond, Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, Paris, Champion, 1925 (H.).
Littré Émile, Dictionnaire de la langue française, Chicago, Encyclopædia Britannica Inc., 1994 (L.)
Rey Alain, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1995.
Trésor de la Langue Française, Paris, CNRS, 1971 (TLF).

Ouvrages de syntaxe §

Fournier Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998.
Haase A., Syntaxe française du XVIIe siècle, nouvelle édition traduite et remaniée par M. Obert, Paris, Delagrave, 4e édition, 1935.
Sancier-Château Anne, Introduction à la langue du XVIIe siècle, t. I et II, Nathan université (coll. « 128 »), 1993.

Ouvrages encyclopédiques §

Grimal Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1990.
Moreri Louis, Le Grand Dictionnaire historique, Paris, Drouet, 1759.
Mourre Michel, Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, Paris, Bordas, 1986.

Ouvrages bibliographiques §

Cioranescu Alexandre, Bibliographie de la Littérature française du dix-septième siècle, t. II, Paris, CNRS, 1965.
Klapp Otto, Bibliographie der französischen Literatur-Wissenschaft, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann, années 1970, 1972, 1986-1988, 1994.

Comédies du XVIIe siècle §

Boursault Edme, La Satire des satires, Paris, Jean Ribou, 1669.
Claveret Jean, L’Écuyer ou Les faux nobles mis au billon, Paris, 1665.
Corneille Thomas, La Comtesse d’orgueil, Paris, G. de Luyne, 1671.
Donneau De Visé, Les Intrigues de la loterie, Paris, C. Barbin, 1670.
Molière, Œuvres complètes, t. I et II, Paris, textes établis, présentés et annotés par Georges Couton, Bibliothèque de la Pléiade, 1971 et 1983.
Théâtre du XVIIe siècle, t. I, II et III, textes établis, présentés et annotés par Jacques Scherer (t. I et II), Jacques Truchet (t. II et III) et André Blanc (t. III), Bibliothèque de la Pléiade, 1986, 1975 et 1992.

Textes critiques §

Ouvrages généraux sur la période §

Adam Antoine, Histoire de la littérature française du XVIIe siècle, t. II et III, Paris, Domat, 1948-1952 ; rééd. Albin Michel, 1997.
Babeau Albert, La Vie militaire sous l’ancien régime, t. I, Les soldats, Paris, 1889.
Bluche François, Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1990.
Gaiffe Félix, L’Envers du grand siècle, Paris, Albin Michel, 1924.
Mongrédien Georges, La Vie quotidienne sous Louis XVI, Paris, Hachette, 1948.
Vaissiere Pierre de, Gentilshommes campagnards de l’ancienne France, Étrépilly, Presses du village, 1986.

Textes antérieurs à 1900 sur le théâtre et la comédie §

Chappuzeau Samuel, Le Théâtre François, Paris, G. Monval, 1875.
Clement Jean Marie Bernard et La Porte Joseph de, Anecdotes dramatiques, t. III, Paris, chez la veuve Duchesne, 1775.
Fournel Victor, Le Théâtre au XVIIe siècle. La Comédie, Paris, Lecène, Oudin et Cie, 1892.
Fournel Victor, Les Contemporains de Molière, t. I, Genève, Slatkine, 1967.
Geoffroy Julien-Louis, Cours de littérature dramatique, t. I, Paris, P. Blanchard, 1819.
Godefroy Frédéric, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Paris, Gaume, 1877.
La Mesnardière Jules, La Poétique, Paris, Chez Antoine de Sommaville, 1640.
La Porte Joseph de, L’Observateur littéraire, t. IV, Paris, Vve Bordelet, 1760.
La Porte Joseph de, Dictionnaire dramatique, t. I et II, Paris, Lacombe, 1776.
Lemaitre Jules, La Comédie après Molière et le théâtre de Dancourt, Paris, Hachette & Cie, 1882.
Le Mercure galant, Paris, Michel Brunet, août 1705.
Le théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent : 1670-1678, Paris, Papers on French seventeenth century, coll. « Biblio 17 », 1993.
Parfaict Claude et François, Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu’à présent, t. XI, Paris, P. G. Le Mercier et Saillant, 1747.
Petit De Julleville Louis, Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900, t. V, XVIIe siècle, Deuxième partie : 1661-1700, Paris, Armand Colin, 1897.

Ouvrages contemporains sur le théâtre et la comédie §

Abou-Ghazala Abbas Ismaïl, Spectacles et divertissements à la Cour de France 1661-1680, Thèse pour le Doctorat d’État, Lille, 1988.
Corvin Michel, Lire la comédie, Paris, Dunod, 1994.
Deierkauf-Holsbœr Sophie Wilma, L’Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673, Paris, Nizet, 1960.
Deierkauf-Holsbœr Sophie Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, t. II, Le Théâtre de la troupe royale, Paris, Nizet, 1970.
Forestier Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1580-1680), Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
Guichemerre Roger, La Comédie avant Molière 1640-1660, Paris, Armand Colin, 1972.
Guichemerre Roger, La Comédie classique en France : de Jodelle à Beaumarchais, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1978.
Lancaster Henry, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Part III, t. II, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942.
Larthomas Pierre, Le langage dramatique, sa nature, ses procédés, Paris, PUF, 2001.
Lyonnet Henry, Dictionnaire des comédiens français (ceux d’hier), Genève, Bibliothèque de la Revue universelle internationale illustrée, [19-- ?].
Mongrédien Georges, Dictionnaire biographique des comédiens français du XVIIe siècle, Paris, CNRS, 1961.
Scherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Nizet, s.d. [1950].
Voltz Pierre, La Comédie, Paris, Armand Colin, 1964.

Textes sur Montfleury §

Bernardin N.-M., « Le théâtre de Montfleury. - “La Femme juge et partie” », Revue des Cours et Conférences, XI, n° 2, 20 novembre 1902.
Forman Edward, Édition critique de Le Mary sans Femme d’Antoine Jacob Montfleury, Grande-Bretagne, University of Exeter, 1985.
Gazier Augustin, « La comédie en France après Molière», Revue des Cours et Conférences, XVIII, n°5, 16 décembre 1909.
Montfleury Antoine-Jacob, Chef-d’œuvres de Montfleury, Paris, Bélin, 1787.
Rohr Walter, Leben und dramatische Werke des älteren und des jüngeren Montfleury, Leipzig, Druck von Grimme & Trömel, 1911.
Truchet Jacques, « Compte rendu : A. J. de Montfleury : Le Mary sans femme, éd. E. Forman », Revue d’Histoire Littéraire de la France, n° 6, novembre-décembre 1987.