Les Fausses Véritez
Comédie

PAR Mr. DOUVILLE.

A PARIS,
Chez TOUSSAINCT QUINET, au
Palais dans la petite Salle, sous la montée
de la Cour des Aydes.
M. DC. XLIII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY

Édition critique établie par Farida María Höfer y Tuñón dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (1999-2000)

Introduction §

Bien que nous ayons franchi le seuil d’un nouveau millénaire, pour entrer désormais dans une époque souvent dite de la « globalisation », comment pourrions-nous être certains que l’échange culturel entre régions, pays et continents est déjà arrivé à son comble, et que nous ne sommes pas uniquement au point de départ d’une nouvelle identité culturelle, commune à tous les pays et aux citoyens du monde entier ? On devrait même se demander si un tel développement serait souhaitable, voire s’il ne serait pas déplorable surtout en Europe, si l’on considère qu’il y a toujours existé un échange interculturel et cela sous une forme très active qui enrichissait chaque peuple en même temps qu’elle respectait et garantissait leur diversité. Pensons à la vogue du baroque, née en Italie, du classicisme, apparu en France, ou du romantisme, qui commença en Allemagne et en Grande-Bretagne – mouvements qui parvinrent à influencer la littérature, les arts plastiques et la musique du reste de l’Europe. Pourtant les créations qui en résultèrent étaient d’une grande variété : grâce à la personnalité que chaque pays ou région gardait, le résultat d’une même influence a donné lieu à des créations très diverses, car fondées sur une identité particulière à la société respective.

Un tel échange eut aussi lieu au XVIIe siècle dans l’histoire du théâtre français, lorsque Antoine Le Métel d’Ouville, grand connaisseur de la langue et de la littérature espagnole, importa en France une nouvelle forme de comédie. Il traduisit des comedias espagnoles d’auteurs célèbres du Siècle d’Or, tels que Lope de Vega, Calderón de la Barca ou Montalván, les adapta aux règles du théâtre français, en préservant toujours leur originalité, et lança de cette manière un nouveau art d’écrire des comédies. Cette nouvelle mode de la « comédie à l’espagnole » attira aussi l’intérêt d’autres auteurs contemporains de d’Ouville, tels que Scarron et les frères Corneille, qui réussirent à perfectionner et à styliser cette forme importée de pièce de théâtre. Il en résulte un genre comique qui se distingue de son modèle original espagnol aussi bien que de tous les genres comiques français antérieurs. N'est-ce pas là une forme idéale d’échange culturel ?

Les Fausses Véritez est la deuxième comédie que d’Ouville adapta d’un modèle espagnol, et qu’il fit représenter en 1642. Nous nous proposons maintenant de présenter et d’étudier cette pièce de théâtre, qui n’atteint certes pas la perfection des comédies « à l’espagnole » de Pierre Corneille, exactement contemporaines, mais dans laquelle le lien avec le modèle espagnol demeure très présent et perceptible.

Antoine Le Métel sieur d’Ouville §

Sa vie §

La reconstitution de la vie d’Antoine Le Métel, sieur d’Ouville est difficile voire impossible à réaliser. Les sources dont nous disposons étant rares et quelquefois même contradictoires, nous ne pouvons en extraire que la trame de sa vie qui, dans son ensemble, restera enveloppée de mystères.

Déjà en ce qui concerne la date et le lieu de naissance du Sieur d’Ouville les informations qui nous sont parvenues sont très divergentes : il serait né en 1587 ou en 1588 à Caen ou à Rouen et mourut vraisemblablement entre 1655 et 1657 au Mans1. Il était le frère aîné de François Le Métel de Boisrobert et était issu d’une lignée d’avocats – ce qui permet de supposer qu’il poursuivit, lui aussi, au tout début une carrière de droit comme l’avait fait son frère. Puis il devint hydrographe, ingénieur et géographe et, selon James Wilson Coke, travailla à partir de 1621 au sein du gouvernement de Louis XIII où il devint plus tard « ingénieur et géographe du Roy ». Cependant, cette information n’est pas certifiée, car les recherches de Frederick de Armas sur les séjours de d’Ouville à l’étranger, concluent au fait que l’auteur semble avoir habité pendant cette période à l’étranger : sept ans à la cour d’Espagne, de 1615 à 1622, puis quatorze ans en Italie, de 1622 à 1636. En tous cas, les sept ans en Espagne sont attestés dans toutes les sources qui concernent sa biographie ; l’incertitude règne seulement concernant la date à laquelle ce voyage a été entrepris : Coke, pour sa part, le place entre 1630 et 16372, tandis qu’Henri Chardon propose les années 1640 à 1646, étant donné que c’est pendant cette époque que le comte de Dognon, avec lequel d’Ouville a été mis en relation, fit ses exploits navals autour de la Péninsule Ibérique3 – mais on y reviendra plus tard.

Il n’existe point de doute non plus sur le fait que d’Ouville ait été un passionné des langues étrangères et qu’il les maîtrisait parfaitement. Ce remarquable talent a même été mentionné dans une préface de son frère, qui le considéra comme :

l’homme de toute la France, qui parloit le mieux Espagnol, & qui connoissoit le plus parfaitement toutes les graces de cette Langue.4

Ainsi s’explique aussi le rôle de premier plan que d’Ouville a joué dans la diffusion en France de la littérature espagnole qu’il connaissait parfaitement. C'est surtout dans les années 1638 à 1650 qu’il faut situer la période pendant laquelle d’Ouville se dédia à la littérature, adaptant des pièces de théâtre de sources espagnole et italienne et traduisant des contes.

Grâce à son frère l’abbé de Boisrobert, qui maintenait de bonnes relations avec le Cardinal de Richelieu, d’Ouville entra au service de Louis Foucault, Comte de Dognon, qui devint un personnage d’importance pendant les années de la Fronde. Etant donné qu’il fit aussi de nombreuses campagnes navales entre 1640 et 1646 dans la Méditerranée en tant que vice-amiral, Henri Chardon situe à cette époque le séjour de d’Ouville en Espagne – comme on l’avait déjà mentionné plus en haut – précisant que le Comte a su sans doute profiter du talent d’Antoine dans son métier d’ingénieur-hydrographe aussi bien que des vastes connaissances de la langue espagnole de celui-ci5. Le fait de savoir si d’Ouville accompagna vraiment le Comte de Dognon dans cette campagne navale ou s’il n’avait pas plutôt effectué son séjour en Espagne auparavant demeure un mystère. En fait, les dates proposées par Armas et Coke semblent être plus justes que celles de Chardon étant donné que dans les années 1640 à 1646 notre dramaturge était déjà âgé de 53-60 ans – un âge peut-être trop avancé à l’époque pour participer à des batailles maritimes. Cependant rien n’exclut non plus l’hypothèse que d’Ouville ait effectué un deuxième séjour en Espagne pendant la période susmentionnée.

Selon Chardon, en tout cas, le Comte ne le récompensa pas de ses sept ans de service, ce qui contribua, entre autres, à ce que d’Ouville finisse ses jours dans une grande pauvreté et dépende de l’appui financier de son frère, qui dans une lettre à l’abbé Fouquet commenta :

Le pauvre Douville est mon frère.....
Il porte le titre d’Hydrographe,
D'Ingénieur, de Géographe ;
Mais, avec ces trois qualités,
Il est gueux de tous les côtés.
Bref, il n’a plus d’autre ressource,
Que celle qu’il trouve en ma bourse. 6

Il mourut entre 1655 et 1657 au Mans, ce qui confirme une notice de Tallemant de Réaux : « Il est mort au Mans et enterré aux Jardins de cette ville.7 »

Son œuvre §

Dans sa carrière littéraire, on peut considérer Antoine Le Métel d’Ouville comme dramaturge et conteur, mais surtout comme traducteur. Il débuta en 1637 avec sa tragi-comédie Les Trahisons d’Arbiran. Ensuite il se mit à adapter des pièces de théâtre de modèles espagnols à grand succès en Espagne, tels que Lope de Vega, Calderón de la Barca et Montalván, et il initia ainsi sur le théâtre français cette vogue de « comédie à l’espagnole », qui va atteindre son comble dans les années 1640.

Ses premières adaptations, L'Esprit follet [1638 / 1642] et Les Fausses Véritez [1641 / 1643], pour lesquelles deux pièces de Calderón de la Barca – La dama duende et Casa con dos puertas mala es de guardar – lui servirent comme sources, eurent un grand succès à Paris8. L'Absent chez soy [1643], imitation de El ausente en su lugar, de Lope de Vega, fut en revanche un grand échec, compensé cependant, un an plus tard, par La Dame suivante, pièce charmante qui enchanta le public de Paris autant que son modèle espagnol La doncella de labor de Montalván avait ravi auparavant le public d’au-delà des Pyrénées.

En 1646 d’Ouville se servit une dernière fois d’une comédie de Calderón, El astrólogo fingido, pour créer son Jodelet astrologue [1646] qui lui procura un grand succès à Paris. Les Frères Parfaict la considérèrent comme « plaisante » par ses situations mais lui reprochèrent une « expression assez froide »9.

Dans la même année parurent encore trois autres comédies de d’Ouville : La Coiffeuse à la mode [1646] – une comédie de mœurs à verve espagnole – présentait une action assez compliquée, mais selon Coke elle était considérée à l’époque comme une pièce très ingénieuse et elle eut un certain succès. Cependant les Frères Parfaict mentionnent : « elle [...] aurait eu d’avantage [de succès], si cette idée avoit été exécutée par un Poëte qui eût mieux connu le Théâtre que Monsieur d’Ouville10 ».

Profitant aussi de sa connaissance de la langue italienne, d’Ouville s’inspira également du théâtre italien. Ainsi la comédie Hortensio de Piccolomini lui fournit le sujet pour écrire Aymer sans savoir qui [1646] et la pièce Morti vivi du poète d’Oddi l’inspira pour créer Les Morts vivants [1646]. Les deux pièces furent accueillis avec un succès assez médiocre, d’une part parce que leurs intrigues étaient très difficiles à suivre pour le spectateur, et d’autre part parce que les caractères représentés manquaient de traits vraiment humains : le public ne pouvait pas s’y identifier. Les Frères Parfaict ajoutèrent aussi, en analysant ces pièces, qu’elles étaient très mal versifiées. Cela semble avoir été une faiblesse particulière à d’Ouville, car déjà dans un autre passage de leur Histoire du théâtre français ils remarquent que : « d’Ouville versifioit encore plus mal que son frère l’abbé », même s’ils ajoutent aussi qu’« il entendoit mieux la marche du théâtre & répandoit plus de comique dans son dialogue 11».

En 1650 parut la dernière pièce de d’Ouville, Les Soupçons sur les apparences. Cette tragi-comédie qui aborde des problèmes moraux, entraîna des jugements très divergents à l’époque et encore aujourd’hui. Ainsi les Frères Parfaict considéraient le sujet de la pièce comme très médiocre, et en comparant son intrigue avec celles des autres pièces du même auteur, ils osaient même se demander, si l’on pouvait vraiment attribuer cette tragi-comédie à d’Ouville12. En revanche James Wilson Coke parle d’une intrigue toute absorbante et de caractères très humains, et il classe cette pièce parmi les plus fortes de d’Ouville.

Outre son travail comme dramaturge, d’Ouville est aussi à considérer comme conteur. Ainsi parut en 1641 la première édition de ses Contes que Quinet éditera deux ans plus tard sous le titre Contes aux heures perdues du sieur d’Ouville, ou le Recueil de tous les bons Mots, Reparties, Equivoques, Brocards, Simplicitez, Naïfvetez, Gasconnades, et autres Contes facétieux non encore imprimez. Cet ouvrage, qui a été réimprimé plusieurs fois, fut souvent mis en rapport avec les contes de l’Italien Boccace, ce qui fait que les deux noms ont été associés dans diverses impressions postérieures telles que : Nouveaux contes en vers et en prose tirés de Boccace et d’Ouville [1678] et Nouveaux contes à rire de Boccace, de d’Ouville et autres personnes enjouées [1692].

A la fin de sa carrière littéraire, d’Ouville se dédia à la traduction de six novelas – des romans espagnols attribués à María de Zayas y Sotomayor. Elles parurent en plusieurs éditions sous le titre de Nouvelles amoureuses et exemplaires par cette merveille de son siècle doña María de Zayas y Sotomayor, traduites de l’Espagnol par Antoine de Methel, escuier, sieur d’Ouville, ingénieur et géographe du roy13.

Restent encore à mentionner les Nouvelles héroïques et amoureuses qui parurent après la mort de d’Ouville, en 1657, tout comme des traductions de Boisrobert qui, selon les historiens, devraient cependant être plutôt attribuées à son frère Antoine.

Une nouvelle mode : la comédie « à l’espagnole » §

Le développement de la comédie §

Après une renaissance de la comédie au XVIe siècle pendant laquelle des ouvrages de l’antiquité furent redécouverts, puis traduits et imités, ce genre disparut ensuite, faute d’un public adéquat14. Aussi la situation de la comédie en France aux alentours de 1600 est-elle caractérisée par le faible nombre d’œuvres écrites et représentées. Ce n’est qu’à partir de 1630 que la comédie parvient à renaître en attirant un nouveau public. En effet, si le théâtre avait été considéré jusqu’alors comme un divertissement populaire, indigne d’être fréquenté par la haute société qui préférait s’amuser en conversations et en bals, il attirait maintenant l’attention de cette couche sociale. Cette attention de la haute société s’est développée surtout grâce à l’intérêt déclaré par le Cardinal de Richelieu pour le théâtre. Celui-ci y voyait surtout un instrument de propagande, apte à transmettre sa stratégie politique. L'influence de Richelieu fut telle, qu’il réussit même à enthousiasmer le roi Louis XIII pour le théâtre, ce qui donna évidemment un prestige particulier à cette nouvelle forme de culture15.

Les premières pièces de Pierre Corneille ont joué certainement un rôle décisif dans la métamorphose que subit le théâtre et particulièrement la comédie à cette époque ; leur vivacité dans le dialogue, leur ironie et leurs intrigues ont diverti un public qui jusqu’alors avait décrié ce genre de théâtre, le considérant comme vulgaire. De même, les comédies sentimentales de Rotrou, caractérisées par des intrigues compliquées et rendues invraisemblables par de nombreux déguisements, plurent aux spectateurs. En effet, ces derniers étaient attirés précisément par l’ingéniosité de l’intrigue, qui engendrait des situations piquantes. Aussi, afin de renouveler les situations comiques, les dramaturges commencèrent à chercher leur inspiration dans le théâtre étranger, particulièrement d’au delà des Pyrénées16.

Antoine Le Métel d’Ouville fut le premier à en prendre l’initiative, lorsqu’il fit représenter en 1638 L'Esprit follet, adaptation d’une comedia de Pedro Calderón de la Barca, déclenchant ainsi la nouvelle mode de la « comédie à l’espagnole ». À partir de ce moment la comédie subit une grande évolution, qui aboutit à la composition de pièces de plus en plus régulières, d’intrigues mieux construites, qui ne manquaient pas d’ingéniosité et qui respectaient en même temps les bienséances, de dialogues amusants par leur invention verbale, et de personnages plus vifs et comiques. En conclusion l’influence espagnole aida la comédie à se développer pour devenir lentement un grand genre dans l’histoire du théâtre français.

La comedia en Espagne §

Le théâtre espagnol du Siècle d’Or se distingue de celui des autres pays européens par une richesse incomparable de textes : entre 10 000 et 30 000 pièces ont été écrites et représentées au cours du XVIe et XVIIe siècle – une production énorme17 !

À la fin du Moyen Age existaient deux formes primitives d’art théâtral – une forme religieuse et une forme mondaine – à partir desquelles se développèrent ensuite les deux genres principaux du théâtre du Siècle d’Or espagnol : d’une part les autos sacramentales, un théâtre religieux qu’on représentait à l’occasion de la Fête-Dieu, et d’autre part les comedias18 avec tous les sous-genres qui les accompagnaient sur scène19.

Le schéma fondamental des comedias est une histoire d’amour qui commence par une rencontre des couples potentiels, les lance dans une phase de confusion et débouche sur une fin heureuse avec un ou plusieurs mariages. Les protagonistes principaux sont les jeunes et nobles galanes, aussi bien que les belles damas, qui ont tendance à contrevenir aux règles de la société. Ces personnages contrastent avec les pères, qui incarnent le principe de l’autorité et de l’ordre. Cette couche sociale supérieure est complétée par les représentants du peuple : les criados et criadas (les valets) parmi lesquels se distingue surtout le gracioso. Celui-ci, héritier des traits de Sancho Pança, est auprès de son maître l’incarnation de la lâcheté, de la gourmandise et représente un certain bon sens égoïste et timoré.

Au contraire de la situation en France, où commençait à naître un intérêt pour le théâtre, afin de former une nouvelle institution de passe-temps culturel pour la cour et la haute société, l’Espagne était habituée depuis longtemps au théâtre, qui faisait partie de sa culture nationale. En outre, son public ne provenait pas d’une élite sociale ou culturelle distinguée, il s’agissait plutôt du simple peuple – du vulgo ignorante, comme le désignait Lope de Vega – qui cherchait dans le théâtre une distraction, un divertissement, et non pas une profonde réflexion sur la condition humaine.

Or, le théâtre en Espagne était fréquenté par tout le monde et tous les jours, dès lors l’usure des comédies était rapide et la demande de nouvelles pièces énorme20. Évidemment les auteurs étaient obligés de satisfaire les attentes du public et d’écrire constamment de nouvelles pièces. Et même si dans la plupart des comedias la structure est semblable, elles amusèrent toute l’Espagne pendant une longue période.

Les pièces adaptées §

La comédie « à l’espagnole » devint en France un genre reconnu pour lequel le public développa pendant une dizaine d’années un grand enthousiasme. En effet, après d’Ouville, un petit groupe d’auteurs se spécialisa dans l’adaptation de pièces d’origine espagnole, réussissant – chacun à sa manière – à créer des pièces d’une originalité particulière. Ainsi, Pierre Corneille s’inspira des comédies d’Alarcón et de Lope de Vega pour écrire Le Menteur et La Suite du Menteur, Scarron composa la quasi totalité de ses pièces à partir de modèles espagnols, et Boisrobert et Thomas Corneille trouvèrent également dans les ouvrages des auteurs d’outre-monts des sujets dignes d’être empruntés.

Grâce à la multitude de pièces dont disposait l’Espagne, la source d’inspirations était inépuisable pour les auteurs français. Cet avantage leur permettait le libre choix d’un sujet et une création facile et rapide21. Même la combinaison d’éléments de différentes pièces était possible et permettait une création plus personnelle22.

Il peut paraître étonnant de constater que les hommes de lettres français n’ont à aucun moment essayé de dissimuler ni les sources de leurs pièces ni les emprunts qu’ils avaient effectués en adaptant les comédies espagnoles en français. Au contraire, ils exposaient avec un certain orgueil ce qu’ils avaient réussi à créer d’un modèle à leur avis médiocre23. Surtout la technique de l’assimilation classique qui prétendait imposer à la comedia le schéma des unités, était très répandue.

Pourtant il ne s’agissait pas seulement de refaire une pièce espagnole en la soumettant à toutes les règles du théâtre français, mais de satisfaire aussi aux demandes du public, qui avait alors un faible pour l’exotisme qu’il attachait à l’Espagne et à ses mœurs. Pour cette raison un grand nombre de comédies adaptées conservent le titre exactement traduit de la pièce espagnole24, les personnages gardent leurs noms espagnols et l’action se déroule à Madrid ou à Tolède.

Certainement la comédie « à l’espagnole » fut une mode passagère qui, après avoir charmé tout un public pendant quelques années, disparut, laissant sa place à d’autres nouveautés et influences qui intervinrent dans l’histoire de la comédie française au XVIIe siècle. Pourtant il est curieux de constater comment la comedia, soupçonnée d’extravagance et d’irrégularité, a contribué néanmoins à définir et à former ce genre littéraire, qui, loin encore du comble de la gloire qu’il atteindra sous Molière, était alors devenu plus régulier et raisonnable qu’il ne l’avait été jamais auparavant.

La comédie Les Fausses Veritez et sa source espagnole §

La pièce de Calderón de la Barca §

En créant sa troisième pièce de théâtre après Les Trahisons d’Arbiran, tragi-comédie de 1637, et L'Esprit follet, comédie de 1642, Antoine Le Métel d’Ouville enrichit encore une fois ses idées en se basant pour sa nouvelle comédie sur une pièce de Pedro Calderón de la Barca. Il s’agit de Casa con dos puertas mala es de guardar25, œuvre de théâtre datant de 1629. Mais avant de comparer la pièce française avec sa source espagnole, il sera indispensable de mettre la pièce de Calderón dans son contexte historique et dramatique.

Les caractéristiques et les particularités du théâtre de Calderón §

Le développement que suivit la comedia en Espagne pour arriver à sa perfection – moment d’inspiration des dramaturges françaises – se fit en plusieurs étapes.

Ainsi, la première dizaine d’années du XVIIe siècle marque une spontanéité désordonnée dans la comedia qui reflétait de cette manière la licence des mœurs dans le « tout jeune Madrid ». Jusqu’en 1621, elle traite souvent des problèmes politiques contemporains sous forme historique, c’est-à-dire en référence à la manière dont ils furent jadis résolus . Dans les années 1620, la comedia abordait plutôt des questions morales et idéologiques pour se spécialiser à partir de 1630 dans des drames d’honneur, de jalousie, dans des comédies de saints, de magies, de caractères, de cape et d’épée...

C'est pendant cette époque que commença la première période de création de Calderón de la Barca26 et dans laquelle il se consacra surtout à cultiver des comédies divertissantes d’intrigue (enredo) ou de cape et d’épée (de capa y espada)27, un genre de comédie qu’il réussit à porter à sa perfection.

La mécanique des actions est ce qui caractérisait surtout l’œuvre de Calderón, le faisant aboutir de la sorte à une beauté parfaite : le dramaturge, partant d’une situation et d’un dénouement, crée entre ces deux pôles une intrigue pleine de logique, et ce sans manquer à l’élégance et au lyrisme. Ainsi, l’action semble évidente et ses péripéties vraisemblables et nécessaires. Cependant, Calderón ne s’arrête pas à la seule création extérieure de ses œuvres. On constate que dans le fond de tout sujet qu’il aborde, aussi superficiel et amusant qu’il puisse paraître à première vue, le poète traite des thèmes d’une profondeur qu’on n’aurait jamais soupçonnée.

Ainsi, lorsqu’il évoque dans ses comedias les vrais rapports entre les sexes, le fossé entre les générations, les relations ambiguës entre frère et sœur, entre père et fils, entre les amis..., Calderón révèle des problèmes propres à la société espagnole de l’époque : c’est-à-dire, la mise en question de la frontière entre l’autorité et la tyrannie, et plus concrètement la limitation de la liberté humaine qui en résulte.

On verra bien que Casa con dos puertas mala es de guardar correspond exactement à la problématique mentionnée : une fille, rigoureusement gardée par son frère aîné et renfermée dans des interdits qu’il lui a imposés, arrive à tourner ceux-ci de telle manière qu’elle réussit non seulement à se faire aimer par l’homme qui lui était interdit, mais aussi à bouleverser la vie amoureuse de son frère et son amie – à leur insu –, en créant des quiproquos et des malentendus.

Même si le sujet en soi attire plutôt l’attention sur la hardiesse, l’audace et l’astuce avec lesquelles la jeune fille mène le fil de l’intrigue – causant de nombreuses méprises – le problème de base posé reste la limitation de la liberté des jeunes filles de cette époque. En effet, l’honneur de leurs familles dépendait en partie de cette limitation.

L'intrigue dans Casa con dos puertas mala es de guardar §

Première journée §

Marcela est une jeune demoiselle d’Ocaña, sœur cadette de don Félix qui loge, chez lui, son ami don Lisardo, jeune homme d’Aranjuez. Par des raisons d’honneur28, don Félix se devait d’interdire à sa sœur tout contact avec cet ami. Mais attirée par sa curiosité, Marcela a su croiser son chemin et attirer son attention, de sorte que le jeune homme est tombé amoureux de cette femme voilée dont il ignore complètement l’identité et surtout sa parenté avec Félix.

Cependant un jour, au cours d’un rendez-vous, il demande à savoir qui elle est. Elle lui refuse tout renseignement et lui interdit de chercher son identité. Elle lui promet pourtant de se dévoiler à condition qu’il n’engage pas de recherches de son côté.

À sa rentrée Félix et Lisardo se racontent réciproquement leurs histoires d’amour. Marcela, qui se trouve en ce moment dans la chambre à côté, entend toute la conversation et craint que son frère devine son identité par les descriptions de Lisardo. C'est à ce moment-là que Celia arrive, interrompant de cette manière la conversation que Félix avait engagée avec Lisardo, pour lui demander de s’entretenir avec elle. Marcela, soulagée, décide de retrouver Lisardo pour le prévenir.

Celia, prétextant être venue pour s’informer sur l’état d’esprit de Félix, le convainc de rendre visite à sa maîtresse, Laura, pour taire ses soupçons au sujet de sa jalousie – source de leur querelle. En fait, Félix suit le conseil de Celia et une fois chez sa maîtresse, il essaie d’éclaircir la situation. Mais avant de pouvoir convaincre Laura définitivement de son innocence et de son amour fidèle, Fabio, le père de Laura arrive, ce qui fait que Félix est obligé de sortir par une deuxième porte, fixant un prochain rendez-vous pour le soir.

Deuxième journée §

Marcela rend visite à son amie Laura pour lui raconter ses sentiments à l’égard de Lisardo, mais aussi ses craintes par rapport aux possibles soupçons de son frère. Pour mettre Lisardo en garde, elle veut lui parler, ayant déjà organisé un rendez-vous avec lui dans la maison de Laura. Celle-ci voit de nombreux inconvénients, mais lorsque l’arrivée du jeune homme est annoncée, elle accepte à contrecœur la demande de son amie.

Marcela et Lisardo ont une brève conversation au cours de laquelle elle lui reproche d’avoir failli dévoiler leur secret. Lisardo, étonné de la voir au courant de cette conversation, la soupçonne d’être la maîtresse de son ami. Mais avant que Marcela ne puisse vérifier cette fausse impression, s’annonce l’arrivée de Fabio, le père de Laura, incident qui l’oblige à cacher Lisardo dans une chambre au fond de l’appartement. Sous le prétexte d’être venue rendre visite à Laura, Marcela se fait accompagner volontairement par Fabio chez elle, pour ainsi donner à Laura l’occasion de faire sortir son amant. Mais justement à ce moment arrive Félix pour son rendez-vous avec Laura. Celle-ci le presse de s’en aller en lui objectant la proche rentrée de son père ; en outre elle lui fait croire que la deuxième porte était fermée. Cependant, le père arrive avant que Félix ne puisse sortir. Coincé, il cherche à se dissimuler dans la chambre où l’on tient déjà Lisardo caché ; avant que Laura puisse réagir, il aperçoit un homme en entrouvrant la porte. Mais Félix est un homme qui respecte l’honneur d’une femme, c’est pourquoi il ne dit rien à son père et il s’en va plein de jalousie.

Alors que Fabio parle avec sa fille, Celia fait sortir Lisardo par la deuxième porte. Entre-temps, Félix, impatient de connaître l’identité de son « rival », rentre dans l’appartement de Laura et la surprend appelant cet homme qu’elle croyait encore dans sa maison. Cela cause une vive discussion entre les deux amoureux, discussion à l’issue de laquelle Félix quitte Laura.

Lisardo craignant, après cette étrange aventure, d’aimer la même femme que son ami, décide de quitter Ocaña et il charge son valet de tous les préparatifs pour le départ.

Parallèlement Marcela a appris par sa suivante l’intention de Lisardo et elle entre pleine d’indignation dans sa chambre. Celui-ci est très étonné de la voir au courant de ses projets et il avoue que c’est son identité méconnue qui l’oblige à quitter la ville. Pendant leur conversation, Félix fait son apparition, Marcela cherche alors rapidement à se cacher, ce qui confirme d’avantage les soupçons de son ami.

Cependant, Lisardo réalise le malentendu de la situation avec l’arrivée de Laura. Celle-ci vient pour convaincre Félix de sa fidélité en voulant éclaircir la confusion qu’il y avait eu chez elle. Marcela, qui est encore cachée dans la chambre à côté, suit la conversation ; craignant que son amie ne révèle son secret, elle traverse la salle voilée, causant ainsi l’étonnement de Félix et la jalousie de Laura, qui l’accuse maintenant de la trahir.

Troisième journée §

Félix vient parler à sa sœur. Lui révélant son problème, il lui demande de passer quelques jours chez Laura lui servant ainsi d’espion. Ensuite, elle reçoit la visite de Laura, qui, elle aussi, lui raconte son malheur et demande de pouvoir rester quelques jours dans sa maison pour contrôler les visites que reçoit Félix. Etant donné la convergence des deux demandes, Marcela propose à son amie de changer de maison et de suivante, et elle envoie rapidement la sienne annoncer le prochain rendez-vous à Lisardo pour le soir.

Lorsque la nuit approche, Lisardo va rencontrer sa maîtresse. Comme il vient d’une promenade avec Félix, celui-ci reconnaît la maison de Laura et pense maintenant que son ami est son rival. Entre-temps Lisardo et Marcela sont interrompus par la rentrée inespérée de Fabio, incident qui les oblige à s’enfuir rapidement. Lisardo confie sa maîtresse à Félix, sachant qu’il était resté dans la rue, tandis qu’il décide de rester avec son valet pour empêcher toute poursuite.

Une fois arrivé à sa maison, Félix fait de grands reproches à celle qu’il croyait être sa maîtresse, mais qu’il ne reconnaît pas dans l’ombre. Or, un instant avant que le valet amène la chandelle, Marcela réussit à se libérer des bras de son frère et à lui échapper, tandis que Laura, attirée par les voix qu’elle entendait à côté, entre en ce moment dans la chambre avec l’intention de surprendre Félix avec une autre femme. Ainsi, une fois la lumière allumée, chacun pense avoir découvert la trahison de l’autre. Mais le malentendu se dévoile lorsque Lisardo arrive et réclame sa maîtresse absente. C'est à ce moment que Laura éclaircit la situation cherchant Marcela, que Lisardo reconnaît immédiatement comme étant sa maîtresse. Or, Félix, soucieux de préserver l’honneur de la famille, décide alors de tuer sa sœur. C'est à ce moment que Lisardo demande à l’épouser – demande à laquelle Félix, enchanté, consent.

Le père de Laura arrive, en colère contre le ravisseur de sa fille, mais Félix apaise sa fureur lui demandant sa fille en mariage – une demande à laquelle il donne son consentement.

Traduction ou inspiration : une analyse de l’adaptation §

La reprise du sujet par d’Ouville §

La lecture de la pièce espagnole montre que d’Ouville a suivi avec une grande précision l’intrigue représentée dans Casa con dos puertas mala es de guardar. N'ayant fait à aucun moment appel à son imagination, soit pour créer de nouvelles situations, soit pour ajouter des idées personnelles au sujet de l’action, d’Ouville n’a, de ce fait, pas modifié le corps intérieur de la pièce espagnole. Peut-être lui paraissait-elle « parfaite » ?

Sa propre intervention se limite à la seule adaptation de la pièce au goût particulier du public français en substituant les noms espagnols des personnages par des noms français et en transposant le lieu de l’action des alentours de Madrid à Paris29. En outre, d’Ouville s’est certainement vu contraint de respecter les exigences dramatiques qui régnaient sur la scène française et qui l’obligeaient à supprimer quelques passages, afin d’alléger le fil de l’action.

La comparaison des intrigues : le fil général §

Le premier acte des Fausses Véritez – de la même façon que la première journée dans Casa son dos puertas mala es de guardar – est consacré à la présentation des personnages principaux, de leurs sentiments, leurs intérêts et intentions, permettant de cette façon au spectateur de reconnaître la particularité marquée de certains caractères. Dans le deuxième acte l’action commence vraiment : le stratagème organisé par Florimonde, de recevoir son galant dans la maison de son amie Orasie, provoque toute une cascade d’incidents et de quiproquos, enchaînés les uns aux autres et causant à la fin la séparation de Léandre et Orasie. Le troisième acte nous fait assister à une reprise de la situation de l’acte précédent, mais cette fois-ci sous forme inverse : les rôles trompeur-trompé se confondent et c’est encore une fois à cause de l’intervention de Florimonde, qui ne cherche qu’à agir conformément à ses intérêts, que toutes ces situations de méprise et de jalousie sont créées. Le quatrième acte consomme le dernier stratagème : le changement de maison et de suivante entre Florimonde et Orasie, qui culminera dans la confusion complète de leurs identités dans le cinquième acte, évoquant chez leurs galants, Lidamant et Léandre, des moments d’étonnement et d’angoisse, de désespoir et de jalousie. Ce n’est que dans les toutes dernières scènes, lors du rassemblement de tous les personnages, que la vérité se révélera, permettant enfin l’aboutissement d’un double mariage.

L'intrigue dans cette comédie est formée de deux « fils » d’action qui se croisent à plusieurs reprises et qui s’influenceront réciproquement au cours de la pièce.

Un « fil » se compose des démarches de Florimonde, qui rencontre à l’insu de son frère l’ami de celui-ci, et ce bien que le contact lui était interdit. Mais étant donné que Lidamant, qui ignore complètement la parenté entre son ami et sa maîtresse, a failli raconter l’histoire à Léandre, Florimonde se voit obligée de chercher un moyen pour rencontrer son amant et le prévenir de garder leur relation en secret.

Le deuxième fil d’action concerne le frère de Florimonde et sa maîtresse Orasie. Celle-ci, jalouse d’une ancienne maîtresse de Léandre, et surtout blessée dans son orgueil, avait fait venir son galant chez elle, et ce seulement dans le but d’obtenir satisfaction en recevant ses excuses. Cette dernière, attendrie par ses déclarations d’amour, finit par se réconcilier avec son galant. C'est à ce moment que les deux fils se croiseront pour la première fois pour continuer ensuite une influence réciproque et perpétuelle.

En fait, Florimonde, se voyant obligée de poursuivre son rôle d’« inconnue », reconnaît que sa maison est un lieu trop révélateur de son identité. Ainsi, elle trouve le moyen de dissimuler cet indice si manifeste de sa personnalité, en rapportant le rendez-vous à la maison de son amie Orasie. Celle-ci hésite évidemment, craignant une révélation fautive de la part de son père ou de Léandre, et c’est plutôt parce que Florimonde la met devant le fait accompli, qu’elle est contrainte de consentir à la demande de son amie. Pourtant elle ne s’imagine pas encore jusqu’à quel point elle sera impliquée dans cette intrigue. Elle y participera involontairement à partir du moment où Florimonde « usurpera » en quelque manière sa personnalité pour cacher la sienne.

Ainsi, Orasie ne sera pas seulement obligée de se sortir toute seule de l’embarras dans lequel son amie l’abandonne – car celle-ci lui laisse la tâche de faire sortir son amant de sa cachette sans être aperçu de personne –, mais en outre c’est la même Orasie qui portera aussi les conséquences des initiatives de son amie, lorsque ce galant sera aperçu par Léandre. La méprise qui en résulte bouleversera toute la vie sentimentale d’Orasie, qui, désespérée, cherchera dès lors à convaincre son propre amant d’une fausse apparence.

Plus tard Florimonde troublera aussi la vie et les intérêts de son frère : en traversant voilée et inconnue la salle où il discutait avec Orasie, elle provoque la jalousie de cette dernière et la fausse impression que Léandre la trompe. Par conséquent, on pourra constater que l’intervention de Florimonde, suivant ses intérêts à elle, a causé dans la relation d’amour entre Léandre et Orasie deux grandes méprises – méprises déclenchées par un « obstacle extérieur » qui leur reste inconnu. Or, il est d’autant plus amusant de remarquer que les deux amants se dirigent précisément vers Florimonde pour chercher à confirmer leurs soupçons : on pourrait parler, en quelques sorte, de « victimes » qui cherchent inconsciemment la « cause » de leur mal pour résoudre leur problème.

Quant à Lidamant, qui est en effet à l’origine des initiatives de Florimonde, il est à son tour victime de ses actions, mais cette fois-ci sur un plan moral. Craignant d’aimer la maîtresse de son ami, ses soucis se situent dans la mise en question de ses propres valeurs de courtoisie, et ce à l’égard d’un ami d’une part, par rapport à la femme qu’il aime d’autre part. En revanche, Léandre et Orasie s’interrogeaient concernant leurs comportements par rapport à leur relation.

Finalement, ce n’est qu’à partir du moment où la vérité resurgit, dévoilant de cette manière ce qu’on s’était évertué à dissimuler, que les autres personnages atteignent le même niveau de connaissances que celui de Florimonde, et par là même du public.

En effet, une lecture attentive de la pièce, permet de remarquer que celle qui détient la clé de toute l’action et le savoir sur tous les autres caractères, c’est Florimonde. Elle connaît, en tant que sœur, les relations amoureuses de son frère Léandre, elle connaît également, en tant que confidente, les sentiments de son amie Orasie, et enfin, grâce à la porte secrète qui unit sa chambre avec celle de Lidamant, elle est au courant de tout ce qui remplit la vie de ce dernier. Ainsi, son contrôle sur le système de relations entre les différents caractères de la pièce est total, ce qui lui donne un pouvoir d’intervention, et par là, même de contrôle sur le cours des événements.

En revanche, l’identité de Florimonde est plurielle dans la mesure où elle diffère suivant le point de vue de chaque personne. Ainsi, Lidamant sait seulement qu’elle est la femme inconnue qu’il aime, et que momentanément il associe avec la maîtresse de son ami. Pour Orasie, Florimonde est la confidente à laquelle elle rend un service risqué et à qui elle confie ses malheurs cherchant du secours. Mais elle confond son amie aussi avec sa « rivale » Iris, lorsque Florimonde sort voilée du cabinet de Lidamant et traverse la salle (III, 3). Enfin, Florimonde reste la petite sœur, sage et bien gardée, selon le point de vue de Léandre qui est convaincu de son innocence quand Orasie l’accuse d’être engagée dans toute l’histoire de malentendus. Cependant, il ne la reconnaît pas non plus en traversant la salle et l’associe avec une maîtresse quelconque de son ami Lidamant. Connue et méconnue – Florimonde est projetée dans des identités imaginaires qui contribuent à compliquer l’intrigue et à rendre sa compréhension difficile aux autres acteurs qui ne connaissent qu’un fragment de ce puzzle qu’est l’identité de Florimonde.

En revanche, le public est bien au courant des usurpations auxquelles Florimonde a recours. Dès le premier acte où il est témoin des premiers projets de cette héroïne, le spectateur devient complice de Florimonde : il a les mêmes connaissances qu’elle et il peut reconnaître évidemment ce que les autre personnages ignorent.

La comparaison des personnages §

Florimonde correspond au stéréotype de la fille bien gardée et surveillée sous l’autorité de son frère, mais qui au fur et à mesure a appris à développer une étonnante hardiesse et audace pour surmonter les interdits et réaliser ses intentions. Curieuse de savoir qui est l’homme dont le contact lui était interdit, elle tombe aussitôt amoureuse de ce galant ami de son frère et manifeste rapidement une violente passion :

C'est dans ce lieu charmant que sont nais nos amours
Et cette passion est si grande & si forte
Que c’est chere Nerine un torrent qui m’emporte.30

Ensuite, c’est son caractère entreprenant et aventureux, ainsi que sa profonde passion qui l’incitent à conquérir cet homme, même en employant des stratagèmes téméraires. Mais ce qui marque surtout le caractère de Florimonde, c’est son indignation contre tout ce qui va à l’encontre de ses intentions. Cette attitude la rend en quelque sorte très égoïste – ce n’est pas par hasard que le mot « intérêt » sort à plusieurs reprises de sa bouche. En outre son comportement à l’égard de sa son amie, qui a du mal à maintenir en secret son histoire, ne fait pas preuve d’une grande courtoisie.

Cependant, Florimonde est un personnage qui reste dans la faveur du public: son égoïsme n’est pas conçu comme un défaut qui doit être puni ou ridiculisé à la fin de la comédie – comme ce sera le cas dans les comédies de Molière –, mais plutôt comme une révolte féminine qui surprend par son énergie et son astuce, et qui éveille la sympathie du spectateur vers la finesse d’une telle jeune fille.

De même que Florimonde, Orasie correspond également à ce genre de jeunes filles rusées dont l’amour inspire des résolutions bien audacieuses. Se faisant cruelle, elle ne veut pas avouer son désir de revoir Léandre ; c’est pour cette raison qu’elle se sert d’un stratagème pour le faire venir chez elle (I, 4-5 et 7). Cependant, cette attitude prouve en même temps que sa personnalité se caractérise par un amour-propre et une fierté assez     marqués : céder ne fait pas partie de son vocabulaire. C'est ce qu’on pourra constater dans son entretien avec Léandre, qui a du mal à l’attendrir et à la convaincre quant à son innocence et à son amour (I, 7). Cette caractéristique était pourtant plus affirmée dans le personnage de la pièce espagnole, où Laura raisonne :

Yo no he de hablarle ; porque es triste cosa, es indigna acción darle yo a torcermis celos.31

Mais ce qui distingue surtout les deux héroïnes de la pièce de d’Ouville, c’est la responsabilité et la courtoisie dont Orasie fait preuve à l’égard de Florimonde. Jusqu’à la dernière minute elle respecte et dissimule le secret de son amie, même en dépit de sa propre relation amoureuse qui souffre fortement de ce malentendu provoqué par les initiatives de Florimonde.

En outre, Orasie ne représente pas seulement la femme passionnée et enflammée – elle montre aussi la facette de sa terrible jalousie et sa violente colère lorsqu’elle se croit trompée par son amant (III, 5-6). Cette « capacité » de violence dans l’amour la distingue de son amie et lui donne ainsi plus de maturité et d’expérience d’un point de vue sentimental.

Quant aux deux suivantes et en même temps confidentes de ces jeunes filles si audacieuses et entreprenantes, Nérine et Julie, leur rôle ne se limite pas seulement à leur prêter l’oreille lorsqu’elles racontent leurs histoires d’amour ou leurs malheurs.

Ainsi, Julie fait preuve d’un caractère très habile et rusé lorsqu’elle introduit Léandre chez sa maîtresse feignant avoir réalisé cette action à son insu – en effet Orasie ne désirait pas autre chose que de revoir son amant. En outre, elle est consciencieuse et rapide, profitant du bon moment pour faire sortir le galant de Florimonde de l’appartement d’Orasie. Cette sorte de scènes souligne que les suivantes dans les comedias espagnoles avaient une plus grande liberté d’agir et d’intervenir dans la vie de leurs maîtresses. Cette relation moins distante et basée sur une confiance plus étroite se manifeste aussi dans le fait que les servantes et les valets des comedias tutoyaient leurs maîtres au lieu de les voussoyer. D'Ouville changera évidemment cette habitude trop libérale en adaptant la pièce aux normes françaises.

Quant à Nérine, conformément à sa maîtresse, qui a moins de sens de responsabilité et qui est plus aventureuse et hardie qu’Orasie, elle représente alors la catégorie de suivante qui, ayant du bon sens, met sa maîtresse en garde contre les dangers qu’elle ne voit pas (III,2), qui lui donne des conseils lorsque celle-ci est désespérée ou préoccupée (I,1) et qui freine une euphorie trop audacieuse (IV,1).

Le personnage de Léandre représente le typique caballero espagnol : galant passionné il assure ses sentiments à Orasie dans des déclarations lyriques qui abondent en hyperboles poétiques (I,7 et II,8). Mais une fois qu’il se sent trahi – ayant aperçu un homme caché dans l’appartement de sa maîtresse – il succombe à une grande angoisse et à un profond désespoir (II,10), avant de manifester sa jalousie par une extrême colère devant Orasie (II,14).

En outre, Léandre attache – conformément à l’homme modèle espagnol qu’il incarne – une très grande importance à l’honneur – honneur qu’il faut à tout prix respecter et préserver, que ce soit l’honneur à l’égard de sa famille, de la renommée ou de l’amitié. C'est pourquoi il n’est pas concevable que cet honneur soit compromis par qui que ce soit.

Le personnage de Lidamant sort du même registre chevaleresque que son ami : il est un galant passionné et s’enflamme facilement. Deux mots d’une inconnue suffisent pour qu’il tombe amoureux d’elle et qu’il lui fasse les plus belles déclarations d’amour32, même en ignorant son identité (I,2). Cela prouve également un caractère très aventureux qui se laisse entraîner par la curiosité de l’autre.

Pourtant Lidamant – lui aussi – respecte bien les obligations que lui dicte l’honneur. Ainsi, lorsqu’il croit aimer la maîtresse de Léandre, il exprime clairement sa position :

Je vous responds assez vous me pouvez entendre,
Avant que d’estre à vous j’estois tout à Leandre,
Et je mourrois plustost qu’en cette occasion,
J'entreprinse jamais sur son affection.33

Et plus tard il préférera partir plutôt que de trahir son ami (III,1).

En revanche, il y a toute une dimension héroïque que d’Ouville a ôtée à ce personnage. En effet, par les récits de Lisardo dans la pièce espagnole, on apprend qu’il a participé à plusieurs batailles en tant que soldat, et, en outre, que cette relation avec l’inconnue est sa première, de sorte que son étonnement et ses hésitations sont mieux fondés dans la comédie de Calderón de la Barca.

Quant au valet Fabrice, il est le typique « gracioso » conventionnel de la comedia espagnole et il représente l’envers caricatural du « caballero », qu’il met ainsi en valeur34.

À l’opposé de son maître, Fabrice se montre lâche et peureux, tout en étant dépeint comme plus sincère et plus réaliste que son maître. Ainsi, disposé à prêter l’oreille, il voit les choses d’un point de vue moins passionné et sans sentimentalisme, conseillant à Lidamant de quitter ce pays :

Quittons donc ce pays puis qu’il vous importune,
Ne sçauriez-vous ailleurs trouver vostre fortune ?
Arrachez-vous, Monsieur, cette espine du sein.35

En outre, on reconnaît aussi cette typique veine superstitieuse, caractéristique des « graciosos », qui lui fait penser que « quelque demon » sert de valet à Florimonde ; et plus loin il mettra son maître en garde contre cette jeune fille qu’il considère comme :

[...] quelque Creature
Qui par inventions cherche de vous tromper.36

Cependant, Fabrice exprime aussi son indignation lorsqu’il se sent abandonné et négligé par son maître, dès lors qu’il ne l’accompagne plus37.

En comparant la pièce source et Les Fausses Véritez, on peut constater que d’Ouville donne à Fabrice plus de respect envers son maître que son homologue Calabazas. Celui-ci n’hésite pas à faire des reproches à Lisardo lorsque celui-ci rentre trop tard à la maison38 ni à lui énumérer tous les maîtres qui lui seraient préférables seulement pour ne pas se sentir abandonné et superflu39.

Enfin le rôle de Tomire véhicule, en tant que père, une image d’autorité un peu tyrannique. Cependant dans cette comédie il incarne plutôt un personnage respectueux dont on craint l’arrivée dans les moments culminants (I,7 et II,1, 4-5, 8). Evidemment il se montre furieux lorsqu’il voit son honneur outragé par le ravisseur de celle qu’il croit être sa fille Orasie. Pour cette raison il apparaît chez Léandre, l’épée à la main, pour se venger du séducteur de sa fille (V,8). Pourtant, d’Ouville a omis dans sa pièce une scène du modèle espagnol qui montrait aussi la tendresse et la préoccupation paternelles que Fabio exprimait pour sa fille, la voyant dans un préoccupant état de tristesse et de mélancolie40. Cet aspect manque complètement dans la pièce française.

Les suppressions par rapport à la pièce espagnole §

Étant donné que d’Ouville a suivi linéairement l’intrigue de Casa con dos puertas mala es de guardar, il n’y a aucun changement particulier dans le sens ou le déroulement de l’action à constater.

Cependant, la suppression de nombreux passages, surtout lyriques, de la pièce espagnole fait disparaître des aspects importants des sentiments et de la psychologie des personnages.

Ainsi, en éliminant dans la pièce française les déclarations d’amour que Lisardo fait à Marcela au début de la comédie espagnole, ce galant perd une grande partie de son charme romantique qu’il exprimait dans une belle métaphore triple :

Difícilmente pudiera
conseguir, señora, el sol
que la flor del girasol
su esplendor no siguiera ;
difícilmente quisiera
el norte, fija luz clara ;
que el imán no le mirara ;
y el imán difícilmente
intentara que obediente
el acero lo dejara.
Si sol es vuestro esplendor,
girasol la dicha mía ;
si norte vuestra porfía,
piedra imán es mi dolor ;
si es imán vuestro rigor,
acero mi amor severo ;
pues ¿cómo quedarme espero,
cuando veo que se van
mi sol, mi norte y mi imán,
siendo flor, piedra y acero ? 41

Malheureusement ce procédé de séduction est complètement omis dans le personnage de Lidamant.

L'aspect passionné du récit de Félix à son ami, concernant sa première rencontre avec Laura, est résumé par d’Ouville en deux simples vers :

[...] Une beauté divine,
Un object plus qu’humain m’a desrobé le cœur42

Il est évident que la force d’expression est complètement réduite, et en deux lignes il est impossible d’exprimer toute l’émotion que son modèle espagnol ressentait et révélait.

En fait, cette vague de romantisme et de galanterie qui se manifeste dans les personnages masculins de la pièce espagnole forme aussi un contrepoids avec les attitudes des jeunes filles, plutôt fondées sur la finesse et l’audace aventureuse. Dans la pièce française cette opposition est forcément beaucoup plus attenuée.

Certes, ces longues tirades lyriques de la pièce espagnole auraient pu paraître à notre auteur trop poétiques pour être prononcées de façon vraisemblable sur le théâtre français43, cependant il faut mettre en considération que cette comédie compte d’innombrables situations invraisemblables que d’Ouville a bien repris sans avoir vu la nécessité d’effectuer quelque changement. Et c’est là la raison pour laquelle ses comédies sont considérées comme des traductions sèches et privées de leur essence en comparaison avec les œuvres de Corneille ou de Scarron qui introduisaient dans leurs adaptations des créations originales.

Ainsi, Ernest Martinenche remarque avec indignation, en parlant des auteurs comme d’Ouville, qu’« ils ne regardent leurs modèles qu’à la surface et n’en voient ni la couleur ni la force44 », et il en conclut :

Le sort commun à tous les copistes médiocres du drame espagnol est le fait de vouloir mettre plus d’ordre et de clarté dans son modèle en appliquant le moule étroit des unités et en le travestissant misérablement dans la gravité terne et monotone de leurs alexandrins. [...] Dépouillée de sa poésie et de son âme la « comedia » n’offre plus qu’une intrigue compliquée et romanesque et fait retomber notre théâtre dans l’ornière même à laquelle elle avait d’abord contribué à l’arracher.45

D'une manière très franche on apprend donc, que les espagnols observaient avec déception ce que les auteurs français faisaient de leurs œuvres, considérant leurs adaptations comme des reculs du progrès qu’ils avaient essayé d’engendrer dans le domaine du théâtre.

La dramaturgie externe de la pièce §

Les unités §

Le public français était habitué depuis plusieurs années à voir des pièces de théâtre « régulières », c’est-à-dire, respectant les unités, la liaison des scènes et la vraisemblance. Cependant, les comédies espagnoles ne répondaient plus, depuis Lope de Vega, à ces exigences. Les auteurs français étaient donc forcément obligés d’adapter l’intrigue aux exigences que la dramaturgie française leur imposait. Cette tâche n’était pas toujours facile à réaliser.

L'unité de temps §

Dans la comedia espagnole la conception du temps était différente de celle qui existait en France au XVIIe siècle. Lope de Vega, qui avait établi dans son Arte nuevo de hacer Comedias en este Tiempo les bases de l’art dramatique de son temps, explique au sujet de l’unité de temps :

No hay que advertir que passe en el Período
De un sol, aunque es consejo de Aristóteles,
Porque ya le perdimos el respeto
quando mezclamos la sentencia Trágica
A la humildad de la baxaza Cómica ;
Passe en el menos tiempo que se pueda,46

Ce passage montre alors que les principes étaient établis avec beaucoup plus de liberté et de flexibilité, permettant ainsi aux dramaturges espagnols de développer leur sujet dans le temps qui leur paraissait nécessaire. Cette liberté s’explique par le concept de « vraisemblance psychologique » : selon les dramaturges espagnols, il fallait disposer d’assez de temps pour faire naître et évoluer les passions de façon à ce qu’elles soient crédibles aux yeux du public47. Ainsi, on peut constater que dans la pièce de Calderón l’intrigue se déroule en deux jours48. Cependant, en adaptant cette pièce d’Ouville s’est efforcé de respecter les règles de la dramaturgie française. Restreignant l’action, il a réussi à ce que toute l’intrigue se déroule dans un délai de 24 heures : la pièce commence tôt le matin après le rendez-vous de Florimonde et Lidamant au Jardin des Tuileries et elle se termine tard le soir avec l’annonce d’un double mariage. En outre le texte souligne à plusieurs reprises que tous les événements se passent le même jour ; ainsi, Florimonde remarque devant Nérine :

Il faut trouver moyen si je puis aujour'huy
De revoir Lidamant & de parler à luy.49

Puis dans la scène suivante son frère lui raconte qu’il relatait son martyre à sa maîtresse « ce matin50 ».

L'unité de lieu §

En ce qui concerne l’unité de lieu, elle était impossible à réaliser en adaptant Casa con dos puertas mala es de guardar au théâtre français, car déjà le sujet de l’intrigue obligeait à maintenir deux lieux différents – la maison de Florimonde et celle d’Orasie. Pourtant d’Ouville a fait un gros effort de concentration de l’espace. Il a diminué de cinq à trois les lieux contenus dans la pièce espagnole. Ainsi, il a supprimé au début de la comédie le rendez-vous entre Marcela et don Lisardo à l’extérieur de la ville51 en la remplaçant par un récit rétrospectif de Florimonde à sa suivante dans sa chambre. En outre, il a transposé le dialogue entre Fabio, le père de Laura, et son valet dans la rue proche de sa maison52, lieu que d’Ouville était obligé de maintenir, puisque la fin du quatrième acte et le début du cinquième acte s’y déroulent.

L'unité d’action §

En adaptant les comedias espagnoles pour un public français, les dramaturges étaient aussi obligés de simplifier et de concentrer l’action dans leurs pièces pour que la cohérence de l’intrigue soit plus évidente et bien compréhensible pour le spectateur.

On remarquera donc que d’Ouville a aussi allégé l’action de Casa con dos puertas mala es de guardar en supprimant quelques scènes qui lui paraissaient superflues. Ainsi il a réduit, tout au début de la pièce, les deux récits de Félix et Lisardo, où ils se racontent leurs aventures depuis qu’ils s’étaient quittés à Salamanca à la fin de leurs études53. Dans Les Fausses Véritez on ne trouvera que la narration de leurs histoires d’amour actuelles54.

En outre, d’Ouville a supprimé les récits dans lesquels un personnage raconte à un autre le déroulement d’une scène à laquelle le spectateur a assisté si la réaction de l’autre personnage n’était pas d’importance pour le fil de l’intrigue55. C'est le cas lorsque Julie rentre chez Orasie et amène Léandre avec elle56 ; dans le texte espagnol, Celia raconte encore à sa maîtresse tous les détails de la conversation qui, cependant, n’attirent pas l’intérêt de cette dernière57.

En dernier lieu, on peut remarquer que d’Ouville a ôté tous les récits qui n’avaient aucun rapport avec les cours de l’action, comme c’est le cas du passage dans lequel le valet Calabazas – en rôle de « gracioso » – est ravi d’avoir reçu de son maître un habit : il lui mime la scène qu’il aurait dû jouer s’il avait été obligé d’aller chez un tailleur pour se faire faire un habit. C'est une scène qui a certainement amusé le public espagnol, mais qui peut parfaitement être omise58.

La liaison des scènes et l’équilibre des actes §

En ce qui concerne la liaison des scènes qui était de règle dans le théâtre français, d’Ouville n’a pas eu besoin de la rétablir particulièrement, car la pièce espagnole lui fournissait déjà un réseau d’intrigue suffisamment étroit. On serait tenté de dire que cette liaison des scènes est interrompue de temps en temps lorsqu’il y a un changement de lieu et de personnages dans un même acte. Mais étant donné que ces changements de lieu se limitaient normalement à deux endroits très proches l’un de l’autre – quelquefois il s’agit même de chambres contiguës dans une seule maison – et que les deux actions représentées se déroulent presque parallèlement, on ne peut pas considérer ces changements comme de véritables ruptures de liaison. En effet, telles séquences de scènes préparent normalement les retrouvailles de personnages qui auparavant n’étaient séparés que par un mur. Or, ce procédé permet de faire connaître au spectateur les sentiments et les idées respectives des acteurs et d’augmenter de cette manière la tension avant d’arriver à une péripétie dans l’action59.

En fait, les seuls changements que d’Ouville a effectués avaient plutôt fonction de créer cinq actes équilibrés60 et de définir les scènes conformément aux entrées et sorties des personnages, celles-ci figurant déjà dans le texte espagnol61.

Pourtant on remarquera que l’équilibre des actes ne se traduit que dans l’harmonie intérieure qui règne dans la répartition de l’action et de ses péripéties tout au long de la pièce. Quant à la forme extérieure de distribution des scènes, elle manifeste une disproportion étonnante. Ainsi, des trente-trois scènes que compte la pièce, quinze se trouvent concentrées au deuxième acte – autrement dit, presque la moitié ! Mais la longueur très réduite de ces quinze scènes62 révèle en même temps qu’il s’agit ici d’un acte dans lequel l’action se déroule à un rythme très rapide, ce que montre les nombreuses entrées et sorties des personnages dont les apparitions courtes et fréquentes font supposer une grande agitation et beaucoup de confusion.

En outre on constatera que bien que d’Ouville se soit efforcé de distinguer visiblement les actes par un changement de personnages (celui-ci coïncidant quelquefois aussi avec un changement de lieu), conformément aux exigences dramatiques de l’époque, cette impression n’est pas donnée pendant le passage du premier au deuxième acte. En effet, il y a un changement de personnages et de lieu après les premières quatre scènes – ce qui provoque forcément un grand décalage – mais l’acte continue avec l’introduction du personnage d’Orasie, qui restera jusqu’à la fin du premier acte sur scène et qui ouvrira aussi le deuxième acte. D'une part il est évident que d’Ouville était obligé d’intégrer le personnage d’Orasie pour compléter l’exposition, étant donné que celle-ci devait être composée d’un seul acte dans lequel tous les acteurs principaux apparaissent, présentant leurs caractères, leurs sentiments et leurs intérêts au public63. D'autre part, ce procédé contredisait complètement les règles de dramaturgie, que d’Ouville s’efforce pourtant de respecter. Ainsi, la réapparition d’Orasie au début du deuxième acte ne peut donc être justifiée que par une action que ce personnage aurait réalisé pendant l’entr'acte. Celle-ci pourrait être dans ce cas le fait d’avoir reçu son père, dont l’arrivée s’annonçait à la fin du premier acte, même s’il n’y a aucune indication dans le texte qui puisse soutenir cette hypothèse.

La reconstitution du décor §

Le Mémoire de Mahelot et Laurent est considéré normalement comme une bonne source pour obtenir des informations sur les pièces de théâtre du répertoire de l’Hôtel de Bourgogne et leur mise en scène. Cependant, on sait que le manuscrit de Mahelot ne dépasse pas l’année 1634 et que l’auteur inconnu qui a repris ce travail, avant Laurent, ne donne qu’une énumération des titres sans fournir des précisions concernant la mise en scène des pièces jouées à cette époque, c’est-à-dire, entre 1634 et 1647.

Malheureusement notre pièce de d’Ouville coïncide justement avec cette période lacunaire, de sorte que les conditions de représentation des Fausses Véritez nous restent inconnues. Ce fait nous oblige donc à supposer un décor dont l’authenticité ne peut évidemment pas être garantie.

Etant donné que Les Fausses Véritez comptent trois lieux différents : la maison de Florimonde et Léandre, la maison d’Orasie et la rue, il est certain que le décor a dû être conçu en compartiments. Ainsi, on pourrait s’imaginer d’un côté de la scène trois chambres : la chambre de Florimonde et celle de Lidamant – les deux liées par une porte qui permettrait, au début de la pièce, que Florimonde écoute les conversations dans la chambre de Lidamant64, puis qu’elle y puisse entrer65 – en plus une autre petite chambre servant de cachette à Florimonde lorsqu’elle parlait à Lidamant dans son cabinet et que son frère arriva66.

De l’autre côté de la scène on pourrait s’imaginer l’emplacement de la maison d’Orasie comportant, quant à elle, une seule salle, mais nécessaire-ment trois portes : la porte d’entrée principale donnant à la rue, une deuxième porte justement à l’autre côté de la chambre et répondant sur une autre rue supposée67, et, au fond de la chambre, une troisième porte à laquelle répondrait le cabinet où se tient Lidamant caché pendant une grande partie du deuxième acte68.

Finalement, on peut supposer que la rue, le troisième lieu, était placée justement entre les deux maisons.

On remarquera par la distribution si précise des lieux de l’action qu’elle était d’une très grande importance pour une bonne représentation de la pièce. Cependant cette dépendance de l’action et du lieu suppose certainement un problème. Sachant que les dimensions de la scène de l’Hôtel de Bourgogne étaient réduites, les compartiments devaient être par conséquent assez étroits, causant ainsi aux acteurs une grande limitation de leurs mouvements. Certes, l’on sait que les acteurs à l’époque avaient l’habitude de jouer la plupart du temps au milieu de la scène, renseignant le spectateur sur le lieu de l’action seulement par leur première apparition dans le compartiment concerné. Pourtant ce procédé ne semble pas avoir été facile à réaliser dans notre pièce de théâtre, étant donné que les scènes se suivent à un rythme rapide provoquant des changements de lieu fréquents.

Ainsi, à l’exception des scènes un peu plus longues – qui sont généralement les scènes de discussion entre deux personnages – la pièce a dû être jouée dans les petits compartiments.

Traitement thématique §

La hardiesse des jeunes filles §

Orasie et Florimonde ressortissent à ce type de jeunes filles qui étaient jalousement surveillées par leur père ou leur frère. Ceux-ci se voyaient chargés de garder une jeune fille de tout danger afin de maintenir leur vertu et leur renommée impeccables avant d’être données en mariage. Par conséquent, ils contrôlaient attentivement l’ambiance qui les entourait, prévenant de cette façon toute tentation qui pourrait se présenter.

Ainsi, Tomire s’étonne dans sa première apparition que la deuxième porte soit ouverte :

Depuis quand Orasie ouvre t’on cette porte,
Qu'on tient tousjours fermée.69

Et plus loin, Orasie met Léandre en garde contre la stricte surveillance de son père, qui, comme elle dit,

[...] a tantost fermé tant il est soubçonneux
La porte de derriere, ô qu’il est ombrageux,
Il emporte la clef, montrant de cette sorte
Asseuré le passage à l’autre afin qu’il sorte.
Il ne fait tous les jours qu’entrer & que sortir...70

On apprend également de la part de Florimonde que son frère aussi la garde très attentivement et qu’il s’inquiète de tout soupçon qui puisse naître (I,1). En outre, le fait qu’il interdise à Florimonde de voir Lidamant pendant sa visite dans leur maison souligne aussi son obsession de ne vouloir tacher ni l’honneur de la famille ni celui de sa sœur.

Cependant, cette haute surveillance ne fait que développer dans l’esprit des jeunes filles une ingéniosité qui les rend capables de contourner les interdictions sans être aperçues. Florimonde réussit à échapper à cette rigide surveillance en se levant tôt le matin, et elle arrive à multiplier les rendez-vous avec Lidamant à l’insu de son frère (I, 1). Grâce à son astuce elle sait profiter des avantages qu’une situation peut présenter : ainsi, elle se montre très volontaire à servir son frère en tant qu’espionne (IV, 2), organisant en même temps un deuxième rendez-vous dans la maison de son amie (IV, 3).

Orasie, quant à elle, jouit d’une plus grande confiance de la part de son père ; ainsi, son absence lui offre l’occasion idéale pour dissiper le malentendu précédent avec Léandre (III, 5-6), ou pour s’installer dans l’appartement de Florimonde afin de contrôler les visites que son amant reçoit (IV, 3).

En conclusion, la rigide surveillance à laquelle ces deux jeunes filles sont soumises, ne fait qu’éveiller en elles un sens de l’autonomie qui les rend audacieuses et entreprenantes.

La jalousie §

Les nombreux malentendus qui se développent dans la suite de la pièce sont l’une des conséquences qu’entraîne le stratagème initial de Florimonde. Et c’est de ces malentendus que naît la jalousie, donnant lieu à la méprise, l’amertume et la violence. Cependant la jalousie ne concerne que Léandre et Orasie ; elle sera le moteur d’action pour ces deux personnages, dont la motivation ne consiste que dans le désir de détromper le partenaire de sa fausse impression.

Le point de départ pour les problèmes de ce couple est la jalousie qu’un témoignage d’Iris – l’ancienne maîtresse de Léandre – a causée à Orasie. Pressé de détromper Orasie de ce faux témoignage et de la convaincre de son amour et de sa fidélité, le jeune homme lui rend visite. Pourtant, la présence de l’amant de Florimonde dans la maison d’Orasie renverse la situation, entraînant le mépris et la jalousie de Léandre. Et la situation changera encore une fois, lorsqu’Orasie rend visite à son amant pour se justifier et pour éclaircir le malentendu, et que Florimonde, en tant que femme inconnue et masquée, traversera la salle.

On ne s’étonnera pas de constater que les moments de jalousie proviennent des interventions de Florimonde qui pourtant contribuent à augmenter la tension dans la pièce avec les scènes piquantes qui en résultent. En revanche Saint-Marc Girardin, qui analysa profondément Les Fausses Véritez, arrive à la conclusion que :

[...] la jalousie n’a pas le temps de se développer, gênée et étouffée qu’elle est par la multiplicité des incidents.71

Effectivement la combinaison des deux fils de l’action qui décrivent les deux relations oblige d’Ouville à changer à plusieurs reprises de lieu pour assurer l’enchaînement rapide et plaisant qui donne son mouvement à cette comédie. C'est pour cette raison que Léandre et Orasie doivent exprimer leurs sentiments dans un moment précis et limité. Mais le fait que la jalousie puisse paraître « étouffée » résulte plutôt de la limite de temps à laquelle cette pièce était soumise en suivant la règle de l’unité de temps72. En revanche la jalousie est un élément qui accompagne l’action jusqu’à la fin, et même si elle n’a pas l’occasion de se dégager dans sa plénitude, comme c’était le cas dans la comédie de Calderón, elle s’enflamme avec une grande facilité à de nombreux reprises. C'est bien la puissance de ce sentiment qui fournit une grande part du comique de cette pièce.

L'honneur et l’amitié §

Le phénomène de l’honneur et de l’amitié représentant les valeurs suprêmes de la société du XVIIe siècle, se manifeste aussi dans cette comédie. Le respect et l’importance attachés à ces valeurs se reflète à plusieurs reprises dans le texte.

La problématique initiale est elle-même basée sur l’obéissance au code de l’honneur : afin de pouvoir recevoir son ami sans tacher l’honneur familial, Léandre interdit à sa sœur tout contact avec son hôte. Cependant, Florimonde transgresse cette interdiction par curiosité et ses rendez-vous avec l’ami de son frère, qui ignore complètement cette parenté, ont fait naître un amour passionné entre ces deux jeunes gens. En effet, Florimonde se sait aimée par Lidamant, mais elle craint en même temps que la révélation de toute la vérité puisse détruire sa relation, comme elle dit à Nérine :

Tu ne sçais pas encor, & c’est ce qui m’afflige
Jusqu’à quel point d’honneur l’amitié nous oblige.
C'est un lien trop fort, je sçay que Lidamant
Est plus parfaict Amy qu’il n’est fidelle Amant.
Son amitié Nerine est pure & trop sincere
Pour me vouloir servir au deceu de mon frere [...]73

Effectivement, l’amitié l’emporte sur l’amour, et Lidamant confirme cette hiérarchie des valeurs en disant clairement à Florimonde :

Je vous responds assez vous me pouvez entendre,
Avant que d’estre à vous j’estois tout à Leandre,
Et je mourrois plustost qu’en cette occasion,
J'entreprinse jamais sur son affection... 74

Ainsi les sentiments d’amour sont considérés comme émotionnels et irrationnels, surtout lorsqu’ils précèdent le mariage ; en revanche l’honneur et l’amitié sont des valeurs constantes. C'est pour cette raison aussi que Léandre les défend jusqu’à la dernière instance : il est prêt à verser du sang en tuant sa sœur, qui par sa coquetterie et son inconduite avait taché cet honneur. Selon sa conception : « Il faut oster la vie, à qui m’oste l’honneur.75 »

Cette conviction pouvait probablement surprendre un public qui n’était pas familiarisé avec les mœurs espagnoles et les violences auxquelles un honneur sourcilleux pouvait porter les héros de la comedia. Heureusement l’initiative de Lidamant, qui, étant amoureux de Florimonde, la demande en mariage, peut sauver l’honneur familial.

De même l’on attachait une haute considération à l’amitié. Elle était un lien très fort qui unissait deux amis jusqu’au point de se mettre l’un à la disposition de l’autre, et de s’exposer même à des dangers et à la mort. C'est pour cette raison que Léandre, après avoir appris les aventures qui sont arrivées à son ami dans la maison de sa bien aimée, insiste pour l’accompagner, lui assurant son appui en tant qu’ami :

On n’abuse jamais d’un veritable Amy
Celuy là ne l’est point qui ne l’est qu’à demy.
Quoy qu’il puisse arriver durant cette entreveue,
Sçachez que vous aurez un Amy dans la rue,
Qui pour vous seconder a le cœur assez fort,
Et qui vous defendra mesme jusqu’à la mort.76

Cependant, Léandre n’est pas non plus un personnage infaillible. Même s’il semble être celui qui respecte et garde le plus les valeurs de la société, il se trouve – lui aussi – face à une situation dans laquelle ses sentiments risquent de l’emporter sur ses convictions : convaincu que sa maîtresse le trahit et que Lidamant est son rival, il n’est plus capable de contrôler sa jalousie et la violence de ses sentiments. Désespéré, il met en question toutes les valeurs auxquelles il avait attaché une grande importance auparavant :

Que fais-je justes Dieux ? la colere m’emporte
Viens-je pas de donner parole à Lidamant ?
Mais qu’importe l’honneur, qu’importe le serment
Quand on brusle d’amour, qu’on meurt de jalousie,
Non non, je veux tout perdre en perdant Orasie,
La perdre ? justes Dieux le pourrai-je souffrir...77

Ce n’est que Fabrice et la suite des événements qui détournent Léandre de ce moment de faiblesse, empêchant ainsi qu’il commette une faute. En effet, de cette façon d’Ouville a repris un point de satire que Calderón de la Barca avait déjà abordé dans sa comédie, montrant que l’homme n’est pas toujours infaillible face aux règles que la société lui impose, et qu’il est quelquefois victime de ses propres sentiments.

Comique et style de la pièce §

Le comique §

La source du comique dans cette pièce se trouve surtout dans l’influence de l’élément romanesque sur l’intrigue. Une intrigue compliquée et singulière, une action remplie d’aventures imprévues, des fausses portes, des changements de logements afin de déconcerter les prétendants – on reconnaît là les ressorts ordinaires de l’école romanesque qui régnait en souveraine dans la comédie espagnole, et qui était capable de créer les situations les plus amusantes et extraordinaires.

Nous nous limiterons à mentionner les situations les plus représentatives du comique de cette pièce. Parmi elles figure la scène dans laquelle Florimonde, cachée dans une chambre à côté, entend la conversation entre Lidamant et son frère. Le comique de cette scène résulte de l’impuissance croissante qu’exprime l’héroïne à l’égard du développement de cette conversation dans laquelle elle ne peut pas intervenir. Son désespoir ne se manifeste pas seulement par son commentaire à part :

Justes Dieux qui pourroit advertir Lidamant.
Ah ! qu’il m’obligeroit à present de se taire,
Il pourroit bien donner du soubson à mon frere.78

mais aussi par ses gestes79.

Une autre sorte de comique résulte des confidences qu’un des personnages fait à un autre évoquant chez celui-ci des fausses conclusions. Or, lorsque Léandre raconte à Lidamant comment il a aperçu un rival dans la maison de sa maîtresse, celui-ci reconnaît sa propre aventure et en déduit être le supposé « rival » de son ami (III,4). Mais plus tard il est assuré d’aimer une autre femme que la maîtresse de Léandre, c’est pour cette raison qu’il raconte son histoire d’amour à son ami et lui montre aussi la maison de sa bien-aimée, sans rien craindre. Évidemment l’ami sait très bien que c’est la maison de sa propre maîtresse, de sorte que son désespoir ne provoque que le rire d’un public omniscient, qui connaît l’erreur et le malentendu dont le personnage est la victime.

Le principal caractère comique de cette pièce provient donc du sujet même : les stratagèmes et les malentendus qui en résultent, et dont le spectateur est au courant. Pour cette raison, il rit de la dupe, en appréciant également l’ingéniosité du trompeur.

Pour autant il ne faut pas oublier le personnage de Fabrice, qui réincarne le typique « gracioso » de la comédie espagnole. Celui-ci, après avoir justifié à son maître l’importance que sa présence peut avoir dans une situation de danger (IV, 4), doit être détrompé d’une manière burlesque. En effet, sa réaction peureuse face au danger et le désespoir auquel il succombe montrent son incapacité dans le combat, dévoilant qu’il n’est pas le chevalier qu’il prétendait être80. Cependant, le comique de ce personnage se trouve aussi dans sa simplicité, provoquant un peu de compassion de la part du spectateur.

Le style §

La rapidité du rythme de l’action est une des caractéristiques des Fausses Véritez81. La précipitation des événements oblige les personnages à agir conformément à leur intuition et sans réflexion aucune82. Ce phénomène favorise certainement les invraisemblances latentes de la pièce, qui échappent ainsi à l’attention des spectateurs : peu importe que Florimonde ne soit pas reconnue ni par son amie ni par son propre frère lorsqu’elle traverse la salle (III, 6).

Les quelques longues tirades se limitent au début de la pièce et ce sont des récits des personnages qui apportent des informations antérieures à l’action présentée, et qui sont indispensables pour que le spectateur puisse comprendre l’intrigue de la pièce83. C'est surtout dans ces passages que les métaphores et les paraboles abondent.

En revanche, les situations de jalousie et de colère se caractérisent par des répliques très brèves, des ripostes du tac au tac :

ORASIE.

Aurez-vous bien le front de me nier aussi
Qu'une femme masquée estoit n’aguere icy ?

LEANDRE.

Je ne la cognoy point.

ORASIE.

J'ay moins de cognoissance
De cét homme cent fois.

LEANDRE.

Ah l’extreme impudence ?
Vous le sçavez tres bien, car vous l’alliez nommer.

ORASIE.

Adieu, perfide, adieu, n’osez pas presumer
Que jamais je vous parle, ou que je vous regarde.

LEANDRE.

Prenez garde Orasie.

ORASIE.

A quoy prendray-je garde.

LEANDRE.

Ah ! c’est trop mal traiter un homme comme moy,
Dont la plainte est si juste...84

Cette forme de répliques en quasi stichomythie augmente la tension et provoque en même temps l’amusement du spectateur qui sait que la jalousie des deux personnages n’est pas fondée.

Un pareil moment d’amusement se produit à nouveau lorsque la scène de jalousie de Léandre est reprise plus tard avec les rôles inversés : Orasie reprend textuellement les reproches que lui avait fait Léandre un moment auparavant :

Que veut dire cela, Leandre ? quelle honte ?
Le beau raisonnement, l’excuse à vostre conte
Est en ce que j’ignore, où je ne comprens rien,
Et la faute consiste en ce que je sçai bien.
Quoy doncques voulez vous que le bien que j’ignore
Vainque ce que je sçais & voulez vous encore,
Que mon bien soit douteux, & mon mal asseuré ?85

La symétrie dans le double emploi de ce passage accompagné de l’inversion des rôles ne fait que traduire sous forme stylistique le ridicule de l’accusation qu’Orasie et Léandre se font réciproquement.

Les influences de la comédie de d’Ouville sur des oeuvres postérieures §

Il est curieux de constater que le sujet de Casa con dos puertas mala es de guardar, que d’Ouville avait mis sur la scène française, ne fut pas oublié. En effet, on compte plusieurs influences sur des œuvres postérieures à celle de d’Ouville : d’une part, son frère reprit le même sujet quelques années plus tard dans sa comédie L'Inconnue, et d’autre part Thomas Corneille créa une pièce de théâtre, Les Engagemens du hazard, suivant partiellement le même thème. En outre, des influences sur L'Ecole des femmes de Molière ont été observées – même si elles restent contestées.

L'Inconnue de Boisrobert §

Les Fausses Véritez furent représentées pendant la saison 1641/164286. À peine 5 ans plus tard, en 1646, apparut sur la scène française la version très semblable de l’abbé de Boisrobert87. Celle-ci fut d’ailleurs tirée de la même source espagnole. Considérant l’intrigue dans la comédie de son frère comme profitable, Boisrobert décida d’en faire sa propre version. En effet, il justifie son choix dans la dédicace de sa pièce, qu’il destina au Cardinal Mazarin, en disant :

je me hazardois de vous présenter ce dernier Ouvrage, qui est tout plein de surprises agréables, & qui a fait tant de bruit sous un autre titre, sur tous les Théatres d’Espagne & d’Italie.88

Certainement Boisrobert prit comme base d’écriture le texte espagnol de Calderón de la Barca, dont il conserve quelques passages que d’Ouville avait supprimés dans son adaptation – telle que la scène d’ouverture représentant le rendez-vous de Lisardo et Marcela, ou une autre scène dans laquelle le père de Marcela se montre préoccupé voyant l’état de tristesse de sa fille89.

D'ailleurs, il est évident que Boisrobert se servit aussi de la pièce de son frère – en tant que traduction – puisqu’on peut remarquer quelques similitudes avec cette dernière90.

En outre, L'Inconnue compte aussi quelques créations propres à l’imagination et à la plume de l’auteur. Celui-ci semble avoir développé avec soin le personnage du valet Filipin : en fait, il le rapproche dans ses attitudes et caractéristiques plus de l’image de son prototype Sancho Pança que Calderón de la Barca et d’Ouville ne l’avaient fait auparavant91. De même la suivante Lise représente ici un caractère encore plus fort et plus autonome92. En revanche, les personnages principaux ne sont pas aussi vifs et spontanés que dans les deux autres comédies93.

En outre, en lisant L'Inconnue, on remarque que l’intrigue et ses péripéties manquent de cohérence et de logique. L'omission de quelques petits détails et surtout la compression trop étroite du sujet crée d’une part des difficultés de compréhension pour le spectateur, et empêche d’autre part un développement convenable des situations de confusion et de jalousie, aussi bien que de passion. Par conséquent, la pièce abonde d’invraisemblances flagrantes.

En revanche, la versification de la pièce de Boisrobert manifeste une plus grande maîtrise de l’auteur dans ce domaine, en effet, les vers sont plus fluides et les expressions plus élégantes et correctes qu’ils ne l’étaient dans la comédie de d’Ouville94.

Sur le succès de L'Inconnue on ne sait rien de précis95. Les frères Parfaict, un siècle plus tard, n’en savent pas plus que nous, ils se limitent à dire que :

Cette Comédie est comique par le fond, mais froide par la façon dont l’Auteur l’a rendue. Au reste, il y a un rôle de valet qui ne seroit pas sans mérite, si l’Auteur lui avoit donné plus d’étendue.96

Les Engagemens du hazard de Thomas Corneille §

Presque en même temps que Boisrobert, en 1647, Thomas Corneille écrit sa comédie Les Engagemens du hazard97, qu’il prétend avoir composée sans avoir connaissance de L'Inconnue.

En fait, Corneille s’était inspiré tout d’abord d’une autre pièce de Calderón de la Barca, Los Empeños de un acaso, qui lui avait fourni aussi le titre pour sa comédie. Cependant, une première représentation par la troupe de l’Hôtel de Bourgogne montra que le sujet n’arriva pas vraiment à intéresser le public, de sorte que Corneille – lui aussi insatisfait de son œuvre, la considérant comme « peu consistante » – ne la fit pas imprimer. Il la retoucha pourtant en rajoutant à l’intrigue déjà construite celle de Casa con dos puertas mala es de guardar, lui paraissant très semblable à celle de Los Empeños de un acaso. De cette manière, Corneille créa une combinaison des deux œuvres : l’action resta celle de sa première pièce d’inspiration avec la seule différence que les deux personnages principaux, Elvire et don Fadrique, vivent aussi les aventures relatées dans Casa con dos puertas mala es de guardar, avec toutes ses complications, avant que la pièce ne se termine, comme dans la pièce d’origine, par un mariage.

Or, même si les frères Parfaict écrivirent curieusement à propos de cette comédie :

Le sujet de l’Inconnue de l’Abbé de Boisrobert, & celui des Fausses vérités de d’Ouville, sont rassemblés dans la Piéce des Engagemens du hazard. Cette double intrigue en forme une dans celle-ci.98

on pourra seulement constater, en lisant cette pièce, quelques similitudes avec les comédies de d’Ouville et de Boisrobert, qui se limitent d’ailleurs à l’acte quatre. À vrai dire, le fil de l’action est complètement différent. On peut même dire que la combinaison des deux pièces de Calderón de la Barca et de leurs intrigues respectives, déjà pleines de quiproquos, donne un résultat un peu confus. Les événements et les coïncidences si nombreux, rassemblés en une seule pièce, rendent la compréhension quelquefois difficile et l’action assez invraisemblable.

Pourtant cette deuxième version des Engagemens du hazard eut plus de succès que la première. Selon Lancaster l’attention qu’on porta à cette pièce doit être attribuée à sa ressemblance avec L'Inconnue de Boisrobert, qu’on avait jouée presque à la même époque99. Les frères Parfaict considérèrent cette comédie comme :

très-passable, & peut-être la meilleure de son temps. On y trouve de la conduite, des situations, de l’intérêt, & un comique, qui sans être du burlesque de celui [de] Scarron, n’en est que plus agréable au goût des personnes qui sçavent mettre le prix aux Ouvrages Dramatiques.100

Effectivement, Corneille développa un personnage de valet amusant, avec beaucoup de verve et de franc-parler, et cela sans négliger pour autant une caractérisation convenable des autres personnages principaux.

Les parallèles avec L'École des femmes de Molière §

Le rôle que Les Fausses Véritez auraient pu jouer en tant que source d’inspiration pour la création de L'École des femmes de Molière est très contesté.

D'un côté Roger Guichemerre croit voir dans la comédie de d’Ouville « une source non négligeable du théâtre de Molière101 », et il justifie son hypothèse à partir de trois situations extraites des Fausses Véritez qui montrent des similitudes avec cette première grande comédie de Molière102.

En premier lieu, il relève la confidence que Lidamant fait de sa bonne fortune à son ami Léandre, l’homme auquel il ne devrait précisément rien dire, puisqu’il s’agit du frère de la jeune Florimonde sur laquelle celui-ci veille jalousement (I,2). Cette scène est comparable à celle où Horace raconte ses succès galants à Arnolphe (I,4).

En deuxième lieu, il note la révélation par Lidamant de la rue et de la maison de sa bien-aimée : elle déclenche chez Léandre une grande confusion et un grand trouble puisqu’il reconnaît la maison comme étant celle de sa propre bien-aimée et en déduit que son ami est son rival. De même, Horace révèle à Arnolphe la maison dans laquelle habite sa maîtresse et qui est celle de son interlocuteur même.

Finalement, Guichemerre renvoie à la même péripétie amusante qui amène le dénouement dans les deux pièces : Lidamant, ainsi qu’Horace, est surpris pendant le rendez-vous avec sa maîtresse. Il l’enlève et la confie à son ami – son apparent « rival » – qui l’attend dans la rue. Celui-ci, croyant avoir en son pouvoir sa propre maîtresse, lui fait des reproches et l’accuse d’infidélité (V, 4 et 6). Une situation analogue se trouve dans L'École des femmes où Horace, après avoir été surpris avec Agnès chez elle, la confie à Arnolphe, qui fait des reproches à celle-ci (V, 2 et 4).

Ces situations analogues amènent Guichemerre à en déduire que leur similitude ne peut pas être une seule coïncidence et que Molière a dû s’inspirer de la pièce de d’Ouville en l’imitant consciemment.

En revanche, Claude Bourqui, qui étudia profondément les possibles inspirations de Molière dans son œuvre, Les Sources de Molière, rejette pourtant, dans son travail, Les Fausses Véritez comme source possible pour L'École des femmes.

Ainsi, il justifie cette exclusion en montrant que dans la première situation proposée par Guichemerre le frère de Florimonde ignore complètement l’identité de la bien-aimée de son ami et qu’il n’oserait jamais penser qu’il puisse s’agir de sa propre sœur. En revanche, dans la pièce de Molière, Arnolphe sait très bien qu’il s’agit d’Agnès, et le comique de la scène repose précisément sur ses réactions immédiates.

Concernant le deuxième cas, Bourqui souligne que le trouble d’Arnolphe se justifie par le fait que la maison en question est vraiment la sienne et que la femme dont on lui parle est également la sienne. Dans Les Fausses Véritez la situation est différente : Léandre constate que son ami rend visite à sa maîtresse dans la maison qu’il reconnaît comme étant celle de sa propre maîtresse, de sorte qu’il soupçonne que son ami est son rival.

Et dans la troisième situation on confie à Léandre une femme qu’il croit être sa maîtresse, tandis qu’Arnolphe sait avec assurance qu’il est en possession d’Agnès.

Par conséquent, Claude Bourqui conclut concernant le point de vue de Roger Guichemerre :

[...] au-delà de son manque de fondement, l’hypothèse de Guichemerre doit être récusée par les impasses dans lesquelles elle nous amène. [...] Les péripéties qui, selon Guichemerre, auraient été tirées des Fausses Véritez consistent en des détails d’intrigue malaisément détachables de l’appareil complexe dont elles font partie et encore plus malaisément greffables sur d’autres appareils complexes.103

En effet, une lecture attentive respectant le contexte des passages respectifs proposés, montre que les similitudes entre Les Fausses Véritez et L'École des femmes ne sont que des situations voisines, trop faibles pour maintenir l’hypothèse établie par Roger Guichemerre.

Le texte de la présente édition §

Il n’existe qu’une seule édition des Fausses Véritez, exécutée en 1643 par Toussainct Quinet. En voici la description :

In-4°, 2 ff. non chiffrés, 131 pages.

[I]LES / FAVSSES / VERITEZ / COMEDIE. / PAR Mr DOVVILLE. / [feuilleton du libraire] / A PARIS, / Chez TOVSSAINCT QVINET, au / Palais dans la petite Salle, sous la montée / de la Cour des Aydes. / M. DC. XLIII. / AVEC PRIVILEGE DV ROY.

[II][Verso blanc]

[III]Extraict du Priuilege du Roy.

[IV]PERSONNAGES,

– 131 pages : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première page.

L'achevé d’imprimer est daté du 28 janvier 1643.

Bibliothèque nationale de France : Yf 645, Rés. Yf 316, 545, 1343.

Bibliothèque de l’Arsenal – département des Arts du spectacle : Rf 6610, Bl 3485 [format in-4°], et Gd 459, 41706 [format in-8°].

Établissement du texte §

En règle générale nous avons conservé l’orthographe de l’édition originale, à quelques réserves près :

– nous avons modernisé «∫ » en « s » et « ß » en « ss ».

– nous avons distingué « i » et « u » voyelles de « j » et « v » consonnes, conformément à l’usage moderne.

– nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en un groupe voyelle – consonne.

– nous avons introduit les accents diacritiques chaque fois qu’il était nécessaire afin de distinguer « où », adverbe de lieu, de « ou », conjonction de coordination, et « à », préposition, de « a », verbe.

– nous avons corrigé quelques erreurs manifestes (cf. liste de rectifications ci-dessous).

– nous avons respecté la ponctuation d’origine, sauf lorsqu’elle nous paraissait évidemment erronée (cf. liste de rectifications).

On peut constater que la liste des corrections effectuées est très longue. En effet, le texte de l’édition originale présentait non seulement des fautes d’orthographe, mais surtout des fautes d’impression, se manifestant, entre autres, dans l’apparition d’apostrophes fautives et dans l’omission de deux vers. Ces négligences dans la présentation imprimée de la pièce confirment certainement le moindre cas que l’on faisait de la comédie par rapport avec la tragédie. Le statut de celle-ci étant considéré comme supérieur, elle fut traitée avec beaucoup plus de respect par les imprimeurs. Dans ce sens Les Fausses Vérités reflètent à nouveau la hiérarchisation.

De cette unique édition existent au moins deux différentes émissions, mais elles ne se distinguent que dans l’orthographe de seureté au vers 1635 et dans la ponctuation du vers 1641.

Cette comédie est entièrement en alexandrins à l’exception du vers 39 qui ne possède qu’onze syllabes ; nous avons corrigé afin de rétablir le rythme métrique, nous renvoyons à la note correspondante.

En outre, on constatera qu’en deux occasions un vers a été omis : les vers 247 et 570 manquent d’un vers correspondant qui ferme leur rime. Il s’agit apparemment d’une faute d’impression présente dans toutes les émissions de l’édition originale.

En ce qui concerne le style d’écriture de d’Ouville, il ne peut pas être considéré comme très brillant. Un grand nombre de passages est difficile à comprendre à cause d’une syntaxe imprécise et très lourde, et que l’auteur peine à ajuster avec le cadre de l’alexandrin – un tel passage se trouve aux vers 1267-1276 :

Il brusle comme vous de desir de sçavoir
Quel est ce Cavalier qu’il croit qu’il vous vient voir, [...]
Feignant que nous avons eu quelque pique ensemble,
J'entends mon frere & moy, tellement qu’il me semble
Qu'il seroit à propos, si vous venez icy
Que pour vous y servir, je m’y trouvasse aussy.

De même des corrections apparemment effectuées par l’imprimeur sont fautives et rendent la compréhension du texte difficile (cf. vers 81-83).

Les passages « identiques » à ceux de la source de cette pièce, la comédie de Calderón de la Barca Casa con dos puertas mala es de guardar, sont très abondants. Dans l’annotation qui accompagne le texte nous nous sommes bornés à faire les rapprochements qui s’imposaient.

Le problème de la dédicace §

Bien que d’Ouville ait annoncé dans l’épître de sa pièce précédente, L'Esprit follet, son intention de dédier sa comédie des Fausses Véritez à une dame, dont l’identité n’est pourtant pas précisée, cette épître n’est pas apparue. Néanmoins Lancaster propose – conformément aux informations d’Yvonne Green – Madame de Saincte Marie, Suzanne d’Espinay comme dédicataire104.

Rectifications §

Nous donnons ci-dessous la liste des erreurs et coquilles qui ont été corrigées dans le texte que nous proposons :

Privilège du roy §

ligne 4:ntitulée

ligne 6: d imprimer

ligne10:qu il

Pièce §

Nous avons corrigé « ou » en « où » dans les vers : 14, 96, 169, 276, 330, 444, 477, 496, 532, 601 (didascalie), 684, 699, 751, 752, 755, 784, 820, 852, 872, 963, 986, 1035, 1079, 1246, 1315, 1358, 1359, 1360, 1364, 1462, 1464, 1466, 1503, 1569, 1570, 1723.

Nous avons corrigé « à » en « a » dans les vers : 42, 113, 412, 590, 727, 801, 843, 862, 921, 932, 1215, 1232, 1234, 1235, 1401, 1464, 1674, 1682.

Nous avons corrigé « a » en « à » dans les vers : 27, 260, 354, 434, 702, 811, 914, 937, 1195, 1210, 1489 (2e didascalie), 1492 (didascalie), 1526, 1541, 1733, 1760, 1779.

Acte I : Vers 22 qu’el / 36 charmãt / 38 m’en porte / 44 ny / 45 curiositê / 47 Cy / 48 laict / 49 dont / 54 l’evé / 61 tout / 82 qué j’eu / 85 quelle / 106 Ma / 114 Converty / 115 ma / 118 Me s’entant / 122 aimãt / 140 j’ettant / 144 s’en / 164 N'y / 169 adroitté / 174 plusieursfois / 175 je m’ettois / 177 Lidamañt / 186 l’istoire / 189 t’enmeine / 194 maistresse souvent, / 204 Sçache-lé, ennuits / 209 offencee / 210 pensee / 211 Où, advenir / 216 n’y / 221 donne / 231 j’asprehendois / 242 se / 247 d’y / 252 surprếndre / 253 t’on / 254 l’anguy / 255 là / 271 j’ais / 275 dont / 277 Qu'elle / 279 & / 295 voulez vous / 299 dont / 304 abusèe / 305 ma / 307 surprit / 313 au / 325 l’angage / 336 cõfondre / 339 n’aist / 342 à par soy / 343 qui / 345 offrãdes / 346 Possons / 355 Jl / 356 dés / 366 j’adore / 385 joy

Acte II : Vers 390 (didascalie) d’orasie / 394 t’elle / 396 j’euse / 402 la bas / 417 s’eust / 420 voulu / 425 A lors / 426 je fu / 428 ly / 431 ma / 439 afin / 450 Je / 459 cõme / 464 des / 484 roproche / 509 nõ / 518 la / 539 tãtost / 566 J'euse / 568 n’y / 595 touts / 606 la / 624 la / 627 la haut / 629 m’estõne / 635 hair / 645 asseurãce / 650 ausquels / 654 dicy / 658 n’oseroiẽt, l’entreprẽder / 667 ma / 669 pusse / 670 mescraser / 691 meschãt / 704 m’on d’eceu / 710 mõ / 727 dont / 731 mẽtir / 741 je vient

Acte III : Vers 753 Qu'elle / 755 D'ou, n’aist / 758 tu regarde / 770 capricè / 780 Ma / 782 entẽder / 784 Venoiẽt, chãbre / 787 n’y / 789 troublee / 804 sur touts / 805 n’aist / 810 N'y / 812 dãs / 828 bijarre / 839 Au / 845 la / 849 d’estourner / 851 ma / 853 (didascalie) reñtre / 909 Commẽt / 915 qu’avez vous / 920 dõner / 921 cõmet / 923 la / 932 quelle / 934 visité / 934 J'i / 942 ilz / 943 t’eu / 962 suprenant / 974 vueille / 977 hõme / 979 peut-estre / 980 la / 988 chãgons / 989 my, cõtraindre / 991 dont / 992 la bas / 995 emmeyne / 997 ouir / 1009     laudace / 1021 tous / 1037 biẽ / 1040 considerer / 1065 cõmuns / 1072 Vueilleis-je / 1081 qui / 1085 prefidie / 1094 A / 1114 (didascalie) voñt

Acte IV : Acte IIII / vers 1115 c’est / 1117 estõnez / 1127 poussee / 1128 ma / 1139 ny / 1141 men hardi / 1159 la bas / 1170 la / 1171 longs, la dessus / 1192 quelle / 1193 La / 1197 biẽ, cét / 1200 des / 1205 amãte / 1206 quelle / 1213 qu’y / 1222 raisõ / 1230 Quelle / 1234 allors / 1237 La dessus / 1243 cõtents / 1273 feignãt / 1274 sẽble / 1276 my / 1279 des / 1288 lé / 1291 ma / 1303 & / 1306 demãder, mõ / 1311 viẽt / 1314 touts / 1316 m’anqueroit / 1362 la dedans / 1363 asseuerment / 1366 N'y / 1414 celle / 1418 Quãd / 1420 Carfour.

Acte V : Vers 1422 circonstance / 1424 seul / 1429 sui / 1448 marchõs / 1449 la / 1454 Toubeau / 1456 lé / 1471 dãs / 1473 la / 1475 outré / 1489 Toubeau / 1492 (didascalie) bas a leandre / 1497 (didascalie) en entrañt / 1518 dõnez / 1520 cõme / 1525 meschãt, affrõte / 1536 viẽt / 1561 serace, Garnds / 1577 r'en / 1582 Est-tu / 1594 lé / 1602 Qu'elle / 1613 ouir / 1637 (didascalie) à / 1649 trõpe / 1656 mõ / 1661 pẽsiez / 1667 pers / 1685 m’enti / 1688 des / 1689 emmenee / 1699 venir / 1703 faut / 1711 qu’elle / 1712 intherest / 1737 rõprons / 1747 touts / 1756 intherest / 1757 Vueilley-je / 1758 dedãs / 1762 commẽt, Leãdre / 1770 Qu'elle / 1784 dont / 1787 touts, d’eux / 1788 cõble

Rectifications dans la ponctuation §

[ .  , ] – vers 165, 295, 363, 369, 1104, 1383, 1565, 1566, 1607, 1725

[ .  ø ] – vers 312, 350, 605, 698, 948, 976, 1144, 1161, 1183, 1210, 1270, 1298, 1400, 1435, 1451, 1492, 1519, 1655, 1746 (didascalie)

[ .  ? ] – vers 49, 959, 1030

[ ,  . ] – vers 148, 164, 179, 192, 244, 365, 417, 419, 668, 760, 810,1036, 1152, 1203, 1291, 1382, 1423, 1470, 1544, 1606

[ ,  ø ] – vers 781, 839, 1217, 1380, 1667

[ ,   ? ] – vers 1362

[ ø  . ] – vers 35, 44, 53, 58, 61, 141, 156, 299, 304, 314, 345, 535, 550, 587, 599, 641, 816, 865, 867, 869, 950, 995, 1029, 1033, 1041, 1051, 1075, 1110, 1115, 1124, 1130, 1192, 1255, 1376, 1401, 1432, 1436, 1492, 1546, 1723

[ ø  , ] – vers 78, 131, 140, 167, 177, 207, 228, 254, 274, 283, 286, 287, 288, 296 (2x), 306, 318, 319 (au 1er hémistiche), 328, 392 (au 1er hémistiche), 436, 455, 500, 516, 530, 539, 547, 557, 558 ( au 1er hémistiche), 595, 606, 624, 635, 669, 673, 715, 721, 782, 819 (au 1er hémistiche), 824, 988, 1033, 1057 (didascalie), 1142, 1157, 1214, 1284, 1322, 1379, 1474, 1521, 1580, 1622, 1735, 1746 (didascalie)

[ ø   ;] – vers 1017 (au 1er hémistiche)

[ ø  ? ] – vers 1154, 1283, 1284, 1675

[ ø   ! ] – vers 1425

[ ?  . ] – vers 430, 1031, 1155, 1363

[ ?  , ] – vers 958, 1288

[ ?  ø ] – vers 48, 70, 1488, 1659

[ ?  ! ] – vers 956, 1236

[ !   ?] – vers 1582

Les Fausses Vérités
Comédie. §

Extraict du Privilege du Roy. §

PAR grace & Privilege du Roy donné à Paris le 21. de Juillet 1642. Signé par le Roy en son Conseil, LE BRUN, Il est permis à Toussaincts Quinet, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer vendre & distribuer une piece de Theatre intitulée Les Fausses Veritez, Comedie du sieur Douville, & ce durant le temps de cinq ans, à compter du jour que ladite piece sera achevée d’imprimer, & deffenses sont faites à tous Imprimeurs & Libraires d’en imprimer vendre & distribuer d’autre impression que de celle dudit Quinet, ou ses ayans causes, sur peine aux contrevenans de trois mille livres d’amende, confiscation des exemplaires & de tous despens dommages & interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites lettres qui sont en vertu du present extraict tenus pour bien & deuement signifiées.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le vingt-

huictiesme Janvier 1643.

PERSONNAGES. §

  • FLORIMONDE. Damoiselle Parisienne, Amoureuse de Lidamant, & sœur de Leandre.
  • NERINE. Suivante de Florimonde.
  • LIDAMANT. Gentilhomme de Languedoc, amy de Leandre, Amoureux de Florimonde.
  • LEANDRE. Amy de Lidamant, frere de Florimonde, & Amoureux d’Orasie.
  • ORASIE. Damoiselle Parisienne, fille de Tomire, & Amoureuse de Leandre.
  • JULIE. Suivante d’Orasie.
  • TOMIRE. Vieillard, Pere d’Orasie.
  • FABRICE. Serviteur de Lidamant.
  • LISIS. Serviteur de Tomire.
La SCENE est à Paris.
[p. 1]

ACTE I. §

Scene première §

FLORIMONDE, NERINE, dans leur Chambre qui viennent de dehors.

FLORIMONDE.

Je n’en puis plus Nerine, Ah Dieux que je suis lasse
Laisse moy reposer.

NERINE.

Mais dites-moy de grace
Quel plaisir vous prenez à vous lasser ainsi.
Ce que vous cherchez loin l’avez vous pas icy105,
5 Pourquoy tous les matins resver106 aux Tuilleries [p. 2]
Ne sçauriez vous passer ailleurs vos resveries ?
Encor venir à pied.

FLORIMONDE.

Demandes tu pourquoy ?
En sçais tu pas la cause aussi bien comme moy ?
Nerine ignores tu le suject de ma flamme ?

NERINE.

10 Non vous m’avez ouvert le secret de vostre ame.
Vous aimez Lidamant, mais Dieux qu’est-il besoin
L'ayant logé chez vous de le chercher si loin
Il a chez vostre frere estably sa demeure,
Où vous pouvez vous voir & parler à toute heure.

FLORIMONDE.

15 Las si j’en suis connuë, il faut absolument
Me resoudre à mesme heure107 à perdre cét Amant,

NERINE.

Parlez luy franchement, & luy faites entendre108
Que vous estes la sœur de son Amy Leandre,
Quand vous luy deffendrez109 je le tiens si discret,
20 Qu'il ne voudra pour rien reveler ce secret.

FLORIMONDE.

[p. 3]
Tu ne sçais pas encor, & c’est ce qui m’afflige
Jusqu’à quel point d’honneur110 l’amitié nous oblige.
C'est un lien trop fort, je sçay que Lidamant
Est plus parfaict Amy qu’il n’est fidelle Amant.
25 Son amitié Nerine est pure & trop sincere
Pour me vouloir servir au deceu de mon frere111 ;

NERINE.

Il ne vous aime point, ou n’aime qu’à demy
S'il veut à son amour preferer son Amy,
Pourquoy Leandre encor vous deffend il sa veuë ?

FLORIMONDE.

30 Je n’en sçay rien Nerine, & c’est ce qui me tuë,
Il dit pour s’excuser qu’il y va de l’honneur,
Mais j’en donne la cause à sa jalouse humeur,
La moindre opinion cause ces resveries112,
Je le voy cependant tousjours aux Tuilleries,
35 Et là nous nous donnons rendez vous tout les jours.
C'est dans ce lieu charmant que sont nais nos amours
Et cette passion est si grande & si forte
Que c’est chere Nerine un torrent qui m’emporte.

NERINE.

Madame il m’a semblé que jusques à ce jour113
40 Avec plus de respect il a traitté l’amour,
Je ne vous suivois point de peur de vous deplaire, [p. 4]
Mais il a ce matin paru plus temeraire,
Tous vos commandemens ont esté superflus.

FLORIMONDE.

Je le puniray bien en n’y retournant plus.
45 Sa curiosité me cousteroit la vie,
Il meurt de me connoistre, & m’a tantost suivie
Si prez de mon logis que peu s’en est falu
Qu'il ne l’aict descouvert.

NERINE.

Vous avez resolu
De ne le voir donc plus ?

FLORIMONDE.

Ah chere confidente
50 Mon amour est trop grand, ma flame est trop ardante,
Quoy ! que je peusse vivre, & jamais ne le voir ?
Crois tu qu’en le voulant j’en eusse le pouvoir,
Non il est trop aimable, il a trop de merite.
Mais mon frere est levé, tachons par ma visite,
55 D'empescher le soupçon qu’il pourroit bien avoir,
Que je viens de dehors.

NERINE.

Quelqu’un vient pour le voir
Il entre j’oy du bruit.

FLORIMONDE.

[p. 5]
Dieux j’estois attrapée,
C'est Lidamant sans doute, ou je suis bien trompée.
Cette porte respond dans son appartement
60 Comme tu le sçais bien, & fort facilement
J'entends tous leurs discours quand ils parlent ensemble.
Escoutons les Nerine, Aujourd’huy ce me semble,
Ou je me trompe fort, on parlera de nous.

Scene II. §

LIDAMANT, LEANDRE, dans la Chambre de Lidamant, & Florimonde & Nerine dans la leur les escoutant.

LIDAMANT.

Comment ? desja levé ?

LEANDRE.

Vous en estonnez vous ?
65 Estonnez vous plustost qu’avec tant de tristesse
Je ne succombe point au tourment qui m’oppresse
Comme je puis durer un quart d’heure en repos,
Voyant que mon esprit s’esgare à tout propos 114,
Mais vous libre d’humeur quel suject vous oblige,
70 D'estre si matinal ?

LIDAMANT.

[p. 6]
Un tourment qui m’afflige
Une rare beauté me met en tel soucy
Que je n’en puis dormir115.

LEANDRE.

Quoy vous aymez aussy ?

LIDAMANT.

C'est trop peu dire aymer, j’adore une merveille.

LEANDRE.

Pour recevoir de vous une faveur pareille,
75 Je vous veux raconter comme je vous ay dit,
Le suject qui me rend tellement interdit.

LIDAMANT.

Vous m’obligerez fort.

FLORIMONDE bas à Nerine.

Escoute icy Nerine
On parlera de nous.

LEANDRE.

Une beauté divine,
Un object plus qu’humain m’a desrobé le cœur,
80 Je ne vous diray point le nom de mon vainqueur.
Je vous veux taire aussi qu’en servant cette belle,
Moins Amoureux qu’aymé, les faveurs* que j’eus d’elle116,
Et tout ce que l’honneur m’en pouvoit obtenir ; [p. 7]
Car je veux les perdant perdre le souvenir.
85 Je diray seulement qu’elle estoit satisfaite,
Que pour elle j’avois une amour117 tres parfaite,
Et qu’ainsi j’esperois sans trop de vanité
En possedant un jour cette rare beauté
De jouir des douceurs que donne l’Hymenée ;
90 Mais comme* j’attendois cette heureuse journée
Ayant le vent en pouppe en cette mer d’Amour,
Un orage survint qui troubla ce beau jour,
Et me mit au danger d’un perilleux nauffrage,
Au milieu de mon ayse, une peste, une rage,
95 Une jalouse humeur pour me combler d’ennuis*
M'a reduit miserable, en l’estat où je suis.
Ne croyez pas pourtant parlant de jalousie,
Que mon ame jamais en ait esté saisie ;
Non de ce trait perçant mon cœur n’est point blessé
100 C'est moy qui l’ay donnée118, Ah Dieux qui l’eust pensé,
Que cette passion fust cent fois plus aysée
A souffrir quand on l’a que quand on l’a causée.
Une certaine Iris, à qui j’ay faict la Cour,
Croyant que je l’aymois d’un veritable Amour,
105 Que pour tout autre object mon cœur estoit de glace,
M'a causé depuis peu cette estrange disgrace,
Ayant sçeu par malheur cette inclination,
Voyant que je bravois ainsi sa passion,
Pour se vanger de moy cette Iris trop cruelle [p. 8]
110 M'a peint à ma maistresse inconstant infidelle,
Et par quelques escrits qu’elle a montrez de moy,
Elle a faict qu’Orasie a douté de ma foy,
Et dedans cette erreur a faict que l’inhumaine
A pour moy converty tout son amour en haine,
115 Et m’a par ces mespris mis en tel desespoir
Que je n’ose esperer seulement de la voir,
Pour la desabuser de sa creance veine,
Me sentant innocent jugez qu’elle est ma peine119.

LIDAMANT.

Je plaindrois vostre mal si vous estiez jaloux,
120 Mais non pas de sçavoir que l’on le soit de vous,
Trouvant entre les deux la difference mesme120
Qu'endurer en aimant, ou souffrir qu’on nous aime.
Oyant nommer ce mot, vous m’avez faict trembler
Et ne sçavois comment vous pouvoir consoler121,
125 Mais de cette façon vous estes consolable,
Il n’est point entre Amants de passetemps semblable
Que de faire parfois la guerre tout expres,
Afin d’avoir sujet de s’accorder apres.
Allez voir cette Dame en effect trop credulle,
130 Et tenez pour certain quoy qu’elle dissimule,
Puis que vous tesmoignez qu’elle a l’esprit jaloux,
Qu'elle est sans doute en peine encore plus que vous.

LEANDRE.

[p. 9]
Je ne crois en cecy que ce que j’en doy faire122,
Parlez à vostre tour, contez moy vostre histoire.

LIDAMANT.

135 J'ayme, & je ne sçay qui, C'est vous dire en deux mots,
Le suject qui me trouble, & m’oste le repos.
Le jour que j’arrivé123, remply de resveries
Je m’allé promener dedans les Tuilleries,
Là de tous les objects je vy le plus charmant,
140 Qui jettant l’œil sur moy, Lidamant Lidamant,
Dit elle approchez vous, j’ay deux mots à vous dire.
Jugez de ma surprise, ah beauté que j’admire,
Luy dis-je, trop heureux est vrayment l’estranger,
Qui par un tel object se sent tant obliger,
145 Dont le nom est cogneu d’une telle merveille :
Elle se mit à rire, & me dit à l’oreille :
Un tel homme que vous, (si j’en sçay bien juger)
Ne peut en aucun lieu passer pour estranger.
Je ne vous diray point son accueil, ses caresses,
150 Qui marquerent sa flamme avec mille tendresses,
Je vous tay par respect l’honneur qu’elle me fit,
Et vous doy taire aussy tout ce qu’elle me dit,
Car un homme est trop vain, & merite du blame,
De vanter124 les faveurs* qu’il reçoit d’une Dame125.

NERINE bas à Florimonde.

[p. 10]
155 Madame, c’est de nous qu’il parle asseurement.

FLORIMONDE bas.

Justes Dieux qui pourroit advertir Lidamant.
Ah ! qu’il m’obligeroit à present de se taire,
Il pourroit bien donner du soubson à mon frere.

LEANDRE.

Le succez* est estrange.

LIDAMANT.

Enfin nous nous donnons
160 Rendez vous au lieu mesme, & nous nous y trouvons,
Tous les jours au matin, & ce qui plus m’estonne,
C'est qu’elle me deffend de le dire à personne,
Et mesme ne veut pas que je sçache son nom,
Ny que j’aille apres elle apprendre sa maison.
165 Aujourd’huy toutesfois, il m’en a pris envie,
Et rompant tout respect je l’ay tantost suivie,
Nonobstant sa deffence & malgré mon devoir,
Mais un salut forcé m’a privé de la voir126,
En gagnant cette ruë où cette belle adroitte
170 A mon œil curieux c’est finement soustraitte.

LEANDRE.

Comment en cette rue.

LIDAMANT.

[p. 11]
Ouy tout proche d’icy.

LEANDRE.

Cét accident* m’estonne, & me met en soucy
Ne pouvant soubsonner du tout qui ce peut estre.

LIDAMANT.

M'ayant dit plusieurs fois qu’en la voulant cognoistre,
175 Je mettois en hazard127 sa vie & mon honneur128.

Scene III. §

Julie, Leandre, Florimonde, Lidamant,

JULIE à Leandre.

Une fille en secret pourra-t’elle Monsieur
Vous dire icy deux mots ?

LEANDRE bas à Lidamant.

Que j’ay l’ame contente,
Escoute cher Amy, c’est icy la suivante,
De ce charmant object dont je vous discourois.
180 Nous pourrons escouter le reste une autre fois,
Vous me permetrez bien de parler avec elle,
Sans doute elle m’apporte une heureuse nouvelle.

FLORIMONDE bas.

[p. 12]
Femme qui que tu sois, que tu viens à propos,
Mais un Ange plustost129 venu pour mon repos.130

LIDAMANT.

185 Voyez si vous devez une autre fois me croire131 ?
Nous avons trop de temps pour achever l’histoire,
Regardez si j’ay tort de vouloir presumer
Que je suis bien sçavant en matiere d’aimer.

Scene IV. §

LEANDRE, JULIE,

LEANDRE.

Qui t’amène132 Julie ? As tu quelque nouvelle ?
190 Respons moy promptement que faict cette cruelle ?
M'apportes tu la vie, ou l’arrest de ma mort ?

JULIE.

Vous ne sçauriez vous plaindre, ou vous auriez grand tort.
Leandre si j’osois prendre la hardiesse
Je vous verrois souvent, mais quoy si ma maistresse
195 Sçavoit que j’en eusse eu seulement le dessein, [p. 13]
Je crois que je mourrois à l’heure133 de sa main.

LEANDRE.

Rien ne peut donc fleschir l’excez de sa colere ?

JULIE.

M'envoyant icy pres pour un certain affaire134
Je n’ay peu m’empescher de venir m’informer,
200 Comment vous vous portez135.

LEANDRE.

Oses-tu presumer,
Que je me porte bien dans le mal-heur extréme
Où m’a reduit l’orgueil de l’ingrate que j’ayme,
Va, si tu veux sçavoir en quel estat je suis,
Sçache-le du suject qui cause mes ennuis* ;
205 Mais que fait cét object de mon inquietude ?

JULIE.

Sans cesse elle se plaint de vostre ingratitude.

LEANDRE.

De mon ingratitude ? Ah Julie entens-moy,
Si j’ay manqué pour elle, ou d’Amour ou de Foy,
Si l’on me peut prouver que je l’aye offencée,
210 D'effect ce seroit trop, de la moindre pensée 136,
Que je sois execrable aux races à venir, [p. 14]
Et que la foudre éclatte icy pour me punir.

JULIE.

Si vous avez desir que ce discours la touche
Que ne luy dites-vous137 ?

LEANDRE.

Dieux, elle est si farouche
215 Que ce seroit en vain à moy de le tenter
Puis qu’elle ne veut pas me voir, ny m’escouter.

JULIE.

Si vous estiez secret, je pourrois entreprendre
De vous mener chez elle & de vous faire entendre,
Mais j’apprehende trop.

LEANDRE.

Je te jure & promets
220 De te tenir parole, & n’en parler jamais,
Faisant cela pour moy, tu me donnes la vie.

JULIE.

Je puis bien contenter vostre Amoureuse envie,
Je crains mais je vous veux servir138 en ce besoing,
Sur tout dissimulez, & me suivez de loing
225 Attendez à la porte, & je vous feray signe
Si son pere est sorty. [p. 15]

LEANDRE.

Cette faveur insigne,
Ne sçauroit se payer qu’en expirant pour toy.

JULIE.

Ne tardez pas, venez tout à l’heure apres moy.

LEANDRE.

Va, marche, je te suis.

JULIE.

Il faut bien peu d’adresse,
230 Pour tromper un amant espris d’une maistresse139.
[p. 16]

Scene V. §

FLORIMONDE, NERINE dans leur Chambre.

FLORIMONDE,

Dieux que j’apprehendois qu’en contant ses Amours
Lidamant ne poussast trop avant un discours,
Qui sans doute eust donné du soubson à mon frere.

NERINE.

Quand ils se reverront ne se peut-il pas faire
235 Qu'ils paracheveront le discours commencé ?

FLORIMONDE.

S'il m’arrive en effect comme je l’ay pensé
J'y remedieray bien, il me luy faut escrire,
Que je luy veux parler, je sçay qu’il le desire,
Mais il faut sans manquer que ce soit au jourd’huy.

NERINE.

240 Le moyen de le voir, & de parler à luy ?

FLORIMONDE.

[p. 17]
Amour m’en fournira je vay voir Orazie,
Qui peut sur ce suject seconder mon envie,
Je sçay bien qu’elle m’aime, il faut au pis aller
Luy descouvrir le feu dont je me sens brusler,
245 Nerine par un art le plus joly du monde
Je faindray qui je suis : mais tay toy Florimonde,
N'en dy pas davantage, allons n’en parlons plus140.

Scene VI. §

ORASIE seule dans sa Chambre.
Dieux, peux tu vivre encor, Miserable Orazie ?
Quand verray je la fin de cette jalousie,
250 Qui fait dessus mon cœur de si cruels efforts
Que je sens sans mourir tous les jours mille morts ?
Que n’ai-je avant le jour que tu me vins surprendre141
Recogneu ton Esprit142 infidelle Leandre ?
Va cherir ton Iris, languy dans ses appas*,
255 Adore la cruel, mais ne me brave pas,
Ne peux tu sur mon cœur emporter la victoire
Sans t’en vanter ingrat, & sans en faire gloire ?
Ma Julie as tu veu cét infidelle Amant !

Scene VII. §

[p. 18]
Julie, Leandre, Orazie.

JULIE.

Ouy j’ay jouë mon rolle assez adroittement.
260 Leandre m’a suivie, il attend à la porte
Madame, entrera-t’il.

ORAZIE.143

Mais que ce soit en sorte
Qu'il ne soubsonne pas.

JULIE

Je vous entends fort bien.
Ay-je si peu d’esprit ? n’ayez crainte de rien,
Je sçay fort bien conduire une Amoureuse ruze.

ORAZIE seule.

265 Va tost. Voyons comment ce volage s’excuse,
Encore qu’on* nous mente en telles actions,
Nous desirons avoir des satisfactions.
Qu'elle soit vraye, ou fausse, elle aura de la grace,
Et j’auray le plaisir du moins qu’il me la face144.
270 Pourveu que je le voye & soumis, & rendu,
Je croiray tout gagner quoy que j’aie tout perdu145.

JULIE à la porte avec Leandre.

[p. 19]
Elle est seulle au logis l’occasion est belle.

LEANDRE.

Va, je recognoistray* ce service fidelle.

JULIE.

Madame nous entend & pourroit m’accuser,
275 Aidez moy donc à feindre afin de m’excuser,
Quoy malgré moy me suivre ? he Dieux où va Leandre,
Quelle temeritê, qu’allez vous entreprendre.

ORAZIE.

Quel bruit entens-je icy, quoy Leandre chez moy,
Tu l’introduits Julie, je ne m’en prens qu’à toy146.

JULIE.

280 Madame, il m’a contrainte.

LEANDRE.

A moy seul est l’offence.
N'accusez pas encore à tort son innocence.

ORAZIE.

J'ay fait tort à la vostre, & mon cœur s’est mespris
Aux soubsons de l’Amour & des faveurs* d’Iris,
Vous n’avez jamais eu cheveux ny lettres d’elle,
285 Vous estes demeuré pour moy tousjours fidelle,
Vous n’avez jamais fait le vain147 de mes faveurs*, [p. 20]
Vos visites jamais n’ont marqué vos ferveurs,
Vous n’avez point écrit à cette belle Dame
Je suis cruelle, injuste à grand tort je vous blasme148.
290 Leandre est-il pas vray que je me trompe fort
Et que je persecute un innocent à tort,
Vous n’avez contre moy commis aucune offence,
Et je me prens encore à la mesme innocence149,
Me mesprisant ainsi, pourquoy me cherchez vous ?
295 Que voulez vous de moy.

LEANDRE.

Moderez ce courroux*,
Et je vous feray voir, adorable Orazie,
L'injuste fondement de vostre jalousie,
Que vos soupsons sont faux.

ORAZIE.

Dieux quelle vanité,
Moy jalouse de vous !

LEANDRE.

Qu'avez vous donc esté150.

ORAZIE.

300 En colere de voir une inconstance telle
En un151 qui fait pour moy l’Amant & le fidelle,
Puis qu’Iris en effect vous plaisoit plus que moy
Qui vous portoit perfide à m’engager la foy,
Quelle gloire avez vous de m’avoir abusée.
305 Amour ne m’a peu voir plus long-temps mesprisée,
Il m’a tout faict cognoistre, ingrat j’ay trop appris. [p. 21]
Comme il faict l’interdit, comme il faict le surpris,
Sortez d’icy perfide, allez esprit volage.
Je ne puis vous aimer ny vous voir davantage.

LEANDRE.

310 Pour me justifier je ne veux qu’un moment.
Madame escoutez moy.

ORAZIE,

Vois tu des-ja comment
Avant que de parler & former son excuse
Son sang monté du cœur au visage l’accuse.

LEANDRE.

Escoutez moy de grace.

ORAZIE.

He bien que direz vous.

LEANDRE.

315 Ce qui de vostre esprit calmera le courroux*.

ORAZIE.

Parlez.

LEANDRE.

Je passerois pour un menteur infame
Si je vous soustenois d’avoir esté sans flame
Pour les beautez d’Iris.

ORAZIE.

Leandre c’est assez,
Vous n’en dites que trop, quoy vous le confessez,
320 Apres un tel discours aurez vous bien l’audace [p. 22]
De vous justifier.

LEANDRE.

Escoutez moy de grace,
Si j’ay peu pour Iris souspirer quelque jour
Ce n’estoit point Madame, un veritable Amour,
Ce n’estoit qu’un essay, qu’un pur apprentissage,
325 Pour sçavoir adorer vostre parfaict langage152.
Pour aimer Orazie il est vray que j’ay pris
Des leçons pour m’instruire en l’Escole d’Iris.

ORAZIE.

Dieux, que cette raison est absurde et frivole,
L'Amour pour estre instruit ne va point à l’escole,
330 Car où les volontez luy prescrivent la loy,
Il est docte en naissant, il n’apprend que de soy153.
Il resveille l’esprit du plus stupide mesme,
On peut instruire autruy, si tost que l’on dit j’ayme,
L'Ecolier est le maistre, & qui prend tant de soins,
335 D'estre instruit comme vous, sans doute en sçait le moins.

LEANDRE.

Puis que par mes raisons vous me voulez confondre
Au moins permettés moy de vous pouvoir respondre,
En me donnant loisir je m’expliqueray mieux. [p. 23]
Je donne un autre exemple, un homme naist sans yeux.
340 Il entend faire cas de cét Astre qui dore
L'Univers de ses rais, que precede l’Aurore,
Quand il peut raisonner, il discourt à part soy,
Quel est cét œil brillant qu’il cognoit par la foy154,
Il oit de sa beauté des loüanges si grandes
345 Qu'il l’admire en155 son cœur & luy faict des offrandes.
Posons qu’en une nuict pleine d’obscurité
Il ait l’heur* de jouir du bien de la Clarté,
Que le premier object qui paroist à sa véuë,
Soit une belle estoille en l’ayant apperceuë,
350 Il croit asseurement que ce brillant esclat
Est celuy dont chacun luy faisoit tant d’estat156.
Mais lors que le Soleil vient en sortant de l’onde
De ses rayons dorez illuminer le Monde,
Chassant à son abord les ombres de la nuit,
355 Il voit comme aussi tost cette estoille s’enfuit
Ce qui dès là l’oblige à n’en plus faire conte,
Une estoille qui cede, & qui s’en fuit de honte,
Aussi tost que paroist un Astre plus puissant,
Peut-elle faire tort à ce Soleil naissant ?
360 Je suis en cét estat, j’estois privé de veuë,
Avant que d’avoir veu ce bel œil qui me tue,
Et comme* je cherchois si je pourrois un jour
Cognoistre quel estoit ce veritable Amour,
Je vy paroistre Iris, & je dis en moy mesme, [p. 24]
365 Voicy ce que je cherche, & ce qu’il faut que j’aime.
J'adoré sur le champ la beauté que je vy,
Je ne vy qu’une estoille, & si j’en fus ravy,
D'autre admiration mon Ame fut saisie
Quand parut à mes yeux l’adorable Orazie,
370 Qui d’un brillant esclat à cét Astre pareil
Chassa loing cette estoille au lever du Soleil157.

ORAZIE.

Iris est le Soleil, moy l’estoille à ce conte
Qui paslis devant elle, & qui m’en fuy de honte,
Car vos lettres font foy que vous faites la Cour
375 A ce brillant Soleil à toute heure du jour
Et de nuit seulement vous voiez Orazie.

LEANDRE.

Madame donnez trefve à cette jalousie.
Si depuis que sur moy vous avez du pouvoir,
Je l’ay veue, ou taché seulement de la voir,
380 Que le Ciel me punisse, elle ne s’est servie
De cette trahyson que pour m’oster la vie,
Que mon cœur soit en butte à toutes vos rigueurs158
Si je me suis jamais vanté de vos faveurs*
Si jamais.

ORAZIE

Taisez vous, je sçay bien le contraire,
385 On entre j’oy du bruit.

JULIE.

[p. 25]
He Dieux ! c’est vostre Pere.

ORAZIE.

Va Julie ouvre luy par l’autre appartement
Qui respond sur la ruë, Adieu parfaict Amant.
Allez voir ce Soleil qui chasse la nuict sombre
Pres duquel je ne suis qu’une estoille & qu’une ombre.

Fin du premier Acte.

[p. 26]

ACTE II. §

Scene première. §

ORASIE, FLORIMONDE, JULIE, dans la chambre d’Orasie.

ORASIE.

390 Vous me rendez Madame, aujourd’huy glorieuse,
Vous m’honorez par trop.

FLORIMONDE.

Dieux que je suis heureuse
De vous trouver icy, comment va la santé ?

ORAZIE.

Je me dois bien porter, puis que j’ay merité
De recevoir l’honneur d’une telle visite.

FLORIMONDE.

395 Trefve de complimens, avant que je vous quitte
Vous direz que de vous j’use trop librement.

ORASIE.

Vous avez tout pouvoir, parlez moy franchement.
Mais seyons nous devant*.

FLORIMONDE.

[p. 27]
Oyez doncques Madame,
Je vous veux descouvrir tout ce que j’ay dans l’ame
400 Vous estes genereuse, & je puis que je croy*
Vous fier un secret,

ORASIE.

Reposez vous sur moy.

FLORIMONDE.

Sommes nous seules ?

ORASIE.

Ouy, va t’en là-bas Julie.

FLORIMONDE la retenant.

Non demeurez icy.

ORASIE.

Parlez je vous supplie,

FLORIMONDE.

J'aime, & du trait159 d’Amour mon cœur est si touché
405 A ce mot je rougis, mais quoy je l’ay laché,

ORASIE.

Vous en dites assez, je vous plains, sans vous plaindre,
Avec tant de merite avez vous rien à craindre ?
Est-il homme icy bas qui ne soit glorieux,
De souspirer pour vous, en servant vos beaux yeux.
410 Mais me ferez vous point la faveur de me dire [p. 28]
Quel est ce doux vainqueur, qui vous tient en martyre ?

FLORIMONDE.

Mon frere a faict venir depuis cinq ou six jours
Chez luy ce cher object de mes chastes Amours.
Mais il me fit sur l’heure une expresse deffence,
415 De paroistre chez luy du tout en sa presence,
Disant qu’il importoit pour certaine raison
Qu'il seust qu’il se tenoit tout seul dans sa maison160.
Avec cette deffence il m’augmenta l’envie,
De le voir fusse mesme aux despens de ma vie.
420 Apres que je l’eus veu, je luy voulus parler,
Ayant sçeu son dessein, & qu’il devoit aller
Se divertir161 sur l’heure en une promenade,
J'y fus, & le trouvant prés d’une pallissade
Je rendy de tout point confuse sa raison,
425 Alors qu’il s’entendit apeller par son nom,
Bref de son entretien je fus si satisfaitte,
Que cela de tout point acheva ma deffaitte.
Je l’y voy tous les jours, mais il est en soucy,
De cognoistre mon nom & mon logis aussi.
430 N'ayant peu162 jusqu’icy refrener163 cette envie.
En dépit que j’en eusse, il m’a tantost suivie
Et me suis finement derobée à ses yeux164 ,
Au point qu’il165 contentoit son desir curieux,
Mais comme à tous momens il est avec mon frere [p. 29]
435 J'ay peur qu’il ne descouvre à la fin ce mistere,
Aydez moy chere amie en cette extremité,
J'ay bien dans mon esprit un moyen inventé,
Qui de ma defiance est l’asseuré remede
Mais quoy je ne le puis mettre à fin166 sans vostre àide,
440 Ils ne peuvent manquer de se voir aujourd’huy,
Mais il faut que je parle auparavant à luy,
Pour y parvenir donc, j’ay trouvé la finesse
De le faire conduire en ce lieu par adresse,
Où je luy parleray si vous le trouvez bon,
445 Nous pouvons aysement & sans aucun soubson
Nous voir en asseurance, & discourir ensemble.

ORASIE,

Avant qu’en venir là167, vous devez ce me semble,
Peser plus meurement & considerer mieux
Qu'il en peut arriver du scandale en ces lieux.

FLORIMONDE.

450 J'ay tout consideré n’en soyez point en peine,

ORASIE.

Cette precaution sans doute sera vayne
Car s’il vient à sçavoir.

FLORIMONDE.

Non de cette façon,
Il n’en sçauroit jamais avoir aucun soubson, [p. 30]
Quand nous serons ceans* vous & moy separées,
455 Dedans cette maison on vient par deux entrées,
Lidamant peut venir assez facillement,
Par celle de derriere en cét appartement,
Il croira ce logis estre le mien de sorte
Qu'ignorant comme il faict qu’il ait une autre porte,
460 Il ne pensera pas qu’il puisse avoir aussi
D'autre maistre que moy.

ORASIE.

Quel sera mon soucy
Si mon pere survient.

FLORIMONDE.

Vous estes bien peureuse,
Il faudroit en effect estre bien mal-heureuse,
Si l’on nous surprenoit dès le premier larcin168,

ORASIE

465 Je ne vous celle* point que j’en crains bien la fin.

FLORIMONDE.

Sortant par cette porte, il ne le peut surprendre,

ORASIE bas.

Dieux ! j’ay bien plus de peur encore de Leandre,
Elle ne sçait pas tout.

FLORIMONDE.

[p. 31]
Parlez moy franchement,

ORASIE.

Je voudrois vous servir mais je ne sçai comment.

Scene II. §

Nerine, Florimonde, Orasie, Julie.

NERINE,

470 J'emmeyne Lidamant, il attend à la porte.

FLORIMONDE.

Puis que vous n’avez point de raison assez forte,
Aydez nous chere amie & gardez le secret.

ORASIE.

En cette occasion je vous sers à regret.

FLORIMONDE.

Faites luy donc ouvrir la porte de derriere,
475 Vous pardonnerez bien cette injuste priere.

ORASIE.

Vous avez tout pouvoir, je vous laisse en ce lieu,
Où vous estes Maistresse. Adieu ma Dame.

FLORIMONDE.

Adieu.

Scene III. §

Nerine, Lidamant, Florimonde,
[p. 32]

NERINE.

Voicy cette maison que vous brusliez d’envie
De cognoistre Monsieur.

LIDAMANT.

Mon Ame en est ravie.

FLORIMONDE.

480 Et bien qu’en dites vous ? vous a t’on point surpris,

LIDAMANT.

Ouy, l’excez de ma gloire estonne mes espris,
Car je ne croyois pas que mon heur169 fust si proche.

FLORIMONDE.

Sçavez vous bien que c’est pour vous faire un reproche ?

LIDAMANT.

Un reproche Madame ?

FLORIMONDE.

Ouy tres asseurement.
485 Je me plains fort de vous, dites moy Lidamant,
A qui commenciez vous à conter vostre histoire [p. 33]
Qu'une fille arrivant si j’ay bonne memoire,
Vous empescha tous deux : Vous de la raconter,
Et l’autre en mesme temps de pouvoir l’escouter ;
490 Parlez respondez moy.

LIDAMANT.

Dieux que puis-je respondre.
Ce discours seulement suffit pour me confondre,
O bel object aimable & beaucoup plus aymé
Je ne sçay que vous dire, helas je suis charmé,
Je pourrois sur ce point vostre esprit satisfaire,
495 Mais je ne le veux pas j’aime bien mieux me taire.
Dans cette grande ville où tout nouveau venu
Je ne me croiois pas d’aucune170 ame conneu,
Voir d’abord une Dame avoir la connoissance
De mon nom, de mon bien, du lieu de ma naissance,
500 Qui171 lit dans ma pensee & dans mes sentiments,
Qui connoit de mon cœur les secrets mouvements,
Je vous responds assez vous me pouvez entendre,
Avant que d’estre à vous j’estois tout à Leandre,
Et je mourrois plustost qu’en cette occasion,
505 J'entreprinse172 jamais sur son affection,

FLORIMONDE.

Vous pensez Lidamant que je sois sa Maistresse,
Mais vous vous trompez fort.

LIDAMANT.

[p. 34]
Mais donc par quelle adresse
Avez vous peu sçavoir que je loge chez luy ?
Mon nom, mes qualitez ? & tout ce qu’aujourd’huy
510 Mais depuis un moment nous avons dit ensemble ?
Cela ne se peut pas autrement ce me semble.
Je croy que j’ay raison173.

FLORIMONDE.

Il est tres à propos
De vous tirer d’erreur, & vous mettre en repos,
Sçachez donc Lidamant, que je possede l’Ame
515 D'une jeune beauté, d’une certaine Dame,
Que Leandre cherit, qui vient souvent chez nous,
Qui me parlant de luy m’a fort parlé de vous.
C'est cette Dame là qui peut seule m’apprendre,
Ce que je sçay de vous & mesme de Leandre
520 Et quoy que vostre amy soit homme tres discret
A qui l’on peut fier tout important secret,
Cachez luy nostre amour gardez qu’il ne le sçache,
Pour certaine raison qu’à present je vous cache,
Il y va de ma vie, avec plus de loisir
525 Je pourray satisfaire un jour vostre desir.

LIDAMANT.

Vous voulez m’esclarcir sur cette defiance,
Et vous m’en augmentez encor plus la croyance, [p. 35]
Car si vous n’estes pas.

Scene IV. §

Julie, Florimonde, Lidamant,

JULIE bas à Florimonde.

Monsieur vient, le voicy.

FLORIMONDE bas à Julie.

Justes Dieux Lidamant peut il sortir d’icy ?

JULIE.

530 Non Madame il ne peut, & ne faut pas qu’il sorte174
Car Monsieur vient d’entrer par cette mesme porte,
Par où j’ay tantost faict entrer cét amoureux,
Et de sortir par l’autre il seroit dangereux
Comme vous le sçavez qu’il en eust cognoissance,
535 Depeschez. Le voicy, Madame qui s’avance.

LIDAMANT.

Que feray-je Madame ?

FLORIMONDE.

Ah Lidamant Adieu.

JULIE le metant dans une Chambre.

[p. 36]
Entrez, & vous cachez promptement en ce lieu.

LIDAMANT se cachant.

Ah Dieux ? je suis perdu.

FLORIMONDE.

Que je suis malheureuse.

Scene V. §

Orasie, Florimonde, Julie, Nerine.

ORASIE.

He bien vous m’accusiés tantost d’estre peureuse,
540 Helas ma deffiance estoit juste en effect.
Voyés qu’on nous surprend & mesme sur le fait.

FLORIMONDE.

Eust on jamais pensé !

ORASIE.

Je voudrois estre morte.
[p. 37]

Scene VI. §

Tomire, Orasie, Julie, Nerine, Florimonde,

TOMIRE.

Depuis quand Orasie ouvre t’on cette porte,
Qu'on tient tousjours fermée.

ORASIE.

En voicy la raison,
545 Florimonde auroit fait le tour de la maison
Si l’on n’eust pas ouvert la porte de deriere.

TOMIRE.

Je ne vous voyois point, une telle lumiere,
Madame excusez moy, m’ebloüissoit les yeux175.

JULIE bas.

Quelle confusion.

ORASIE.

Quel desordre grands Dieux.

FLORIMONDE.

550 Vous m’obligez Monsieur plus que je ne merite.
Adieu belle Orasie, il faut que je vous quitte.

ORASIE bas à Florimonde.

[p. 38]
Quoy je patiray176 donc pour la faute d’autruy ?
Laissant ce Cavalier, que ferai-je de luy ?

FLORIMONDE.

Vous avez bon esprit, je n’ay rien à vous dire.

TOMIRE à Florimonde.

555 Vous me permettrez bien de vous aller conduire*.

FLORIMONDE.

Je vous baise les mains.

TOMIRE.

Vous resistez en vain.

ORASIE bas à Florimonde.

Justes Dieux c’est avoir le jugement mal sain
Souffrez son compliment, s’il s’en va de la sorte,
Cét homme en liberté pourra gaigner la porte.

TOMIRE.

560 Faites moy cét honneur, ne me refusez point.

FLORIMONDE.

Puis que vous desirez m’obliger à ce point,
J'accepte cét honneur.
[p. 39]

Scene VII. §

ORASIE, JULIE,

ORASIE.

Est-il vray que je veille !
Fut-il jamais de peine à la mienne pareille ?
Puis-je en cét accident* conserver ma raison ?
565 Car qui croiroit jamais que dedans ma maison
J'eusse un homme caché qui ne m’a jamais veuë

JULIE.

Je puis fort aisement le mettre dans la ruë,
Sans qu’il soit veu d’aucun, ny qu’il vous voye aussi.

ORASIE.

Despéche toy Julie, oste moy ce soucy,
570 Ouvre luy je m’en vay, Dieux de crainte je tremble177.

JULIE ouvre & dit bas.

C'est Leandre, Madame, ah Dieux tout est perdu,
Il entre.
[p. 40]

Scene VIII. §

LEANDRE, ORASIE, JULIE.

LEANDRE.

Ayant long temps en la ruë attendu,
J'ay rencontré ma sœur que conduit vostre pere,
Voyant l’occasion, j’ay creu sans vous desplaire
575 Que je pourrois venir vous rendre ce devoir178,
Et donner à mes yeux le plaisir de vous voir.

ORAZIE.

Que faites-vous grands Dieux ? où songez-vous Leandre,
Quel sanglant desplaisir179 desirez-vous me rendre ?
Quoy voulez vous me perdre ? à peine vous m’ostez
580 D'un abysme d’ennuis*, & vous m’y remettez,
J'attens dans un moment le retour de mon pere,
Qui vous peut obliger d’estre si temeraire.
Prenez mieux vostre temps180 quand vous me voudrez voir,

LEANDRE.

Ah beauté dont mon ame adore le pouvoir,
585 Souffrez qu’un seul moment je repaisse ma veuë, [p. 41]
Des celestes appas* dont vous estes pourveuë,

ORASIE.

Sortez donc promptement quand181 vous aurés parlé.
Est-ce assez182 voila prés d’un quard d’heure escoulé.
Dieux ne me tenés pas en suspens davantage
590 Mon pere asseurement a conçeu quelque ombrage,
Il a tantost fermé tant il est soubçonneux
La porte de derriere, ô qu’il est ombrageux,
Il emporte la clef, montrant de cette sorte183
Asseuré le passage à l’autre afin qu’il sorte.
595 Il ne fait tous les jours qu’entrer & que sortir,
Dieux je tremble de peur.

LEANDRE.

Pour vous en garantir
Je m’en vay de ce pas.

ORASIE.

Allez je vous supplie,
J'entends fraper quelqu’un.

TOMIRE derriere le Theatre.

Ouvrez moy tost Julie.

ORASIE.

C'est luy mesme je meurs.

LEANDRE.

Que deviendray-je ? ô Dieux !
600 Puis que cette autre porte est fermée il vaut mieux [p. 42]
Que je me cache icy.
Comme* il veut entrer dans la Chambre où est Lidamant Orasie le retient.

ORASIE

Grands Dieux je desespere,
N'entrez pas là dedans.

LEANDRE

Pourquoy ?

ORASIE.

Tousjours mon pere,
En entrant se retire, en cette Chambre là.
Sans doute il vous verroit.

LEANDRE.

Ce n’est point pour cela.
605 J'ay veu je le proteste un homme ce me semble
Enfermé là dedans.

ORASIE bas,

Dieux de crainte je tremble,
Leandre resvez vous.

LEANDRE.

Non je ne resve point,
Et je veux en effect m’esclarcir sur ce point.

ORASIE l’empeschant d’entrer.

N'entrez pas.

LEANDRE,

[p. 43]
Desloyalle est ce ainsi qu’on me traitte ?

ORAZIE bas.

610 Dieux qui peut reparer la faute que j’ay faite ?
Leandre au nom des Dieux, ayez pitié de moy,
Quoy ! me voulez vous perdre !

LEANDRE

Ame ingratte, & sans foy
Vous me trahissez donc, vous m’estes infidelle.

ORASIE.

Me ferez vous rougir d’une honte eternelle ?
615 Mon pere monte.

LEANDRE en luy mesme.

O Dieux que dois je faire icy ?
Car si dessus ce point je veux estre esclarcy,
Je fay voir clairement l’infamie à son pere,
Mais si je ne veux pas aussi me satisfaire,
Je souffre en mon honneur un notable interest.

ORASIE.

620 Au nom de nostre Amour.

LEANDRE.

Bien bien puis qu’il vous plaist
Je dissimuleray cette offence cogneue.

Scene IX. §

Tomire, Orasie, Leandre, Julie,
[p. 44]

TOMIRE.

Quoy ! Leandre ?

LEANDRE.

Ma sœur estant icy venue,
Je l’y venois chercher.

ORASIE bas,

Tout va bien jusqu’icy.

TOMIRE.

Je viens de la conduire*.

LEANDRE.

On me l’a dit ainsi,
625 Je rends graces à vos soins, Cette faveur insigne
M'oblige estroittement, ma sœur n’en est pas digne
Je m’en vay la trouver.
Ils s’entresaluent, & Leandre sort.

TOMIRE.

Ma fille allons là-haut.
Je veux parler à vous.

ORASIE bas.

[p. 45]
Ah Dieux le cœur me faut184.
Mais que veut-il de moy ? Que ce discours m’estonne
630 Endurons constamment185 puis que le Ciel l’ordonne.

Scene X. §

LEANDRE seul en la rue.

Que dois-je faire icy : Comment Leandre as tu
En cette occasion le courage abatu186 ?
Mais en faisant du bruit j’offencerois ma Dame,
Dois-je donner ce nom encor à cette infame ?
635 Ouy, je ne puis haïr ce que j’ay tant aimé,
Mais, laisserais-je icy ce Rival enfermé,
C'est par icy qu’il faut que le perfide sorte,
Car le derriere est clos, il n’a point d’autre porte,
Il le faut voir sortir, & sçavoir quel il est,
640 Endurons cét affront Amour puis qu’il te plaist
Et que tu veux ainsi t’opposer à ma joye.
Escartons nous, il faut aujourd’huy que je voye,
S'il est vray que le sort qu’on fait capricieux
Se plaist de seconder les cœurs audacieux.
[p. 46]

Scene XI. §

JULIE, LIDAMANT.

JULIE seule.

645 Puis qu’ilz sont tous sortis, je puis en asseurance
Tirer ce Cavalier. Usons de diligence,
Ouvrons. Sortez Monsieur : A vostre occasion
Il est bien arrivé de la confusion,
Nous avons eu bien peur.

LIDAMANT.

Je pouvois bien entendre
650 Quelques bruits sourds auxquels je n’ay peu rien comprendre.
Mais je comprens assez le bien que j’en recoy,
En ce que vous avez aujourd’huy fait pour moy
Je le recognoistray* sans doute avec usure187.

JULIE.

Sortons d’icy.

LIDAMANT.

Le puis-je.

JULIE

Ouy.

LIDAMANT.

Je vous en conjure.

JULIE bas.

[p. 47]
655 Qu'il sorte seulement, quand il sera dehors
Qu'il arrive en la rue apres dix mille morts188.

Scene XII. §

LEANDRE seul en la rue.

Mais elles tardent bien à le faire descendre :
Elles n’oseroient pas que je croy l’entreprendre
Car on se doute bien que je l’attens icy,
660 J'en veux estre pourtant amplement esclarcy,
Ne craignons rien, montons. Dieux je cours à ma perte,
Il entre dans la Chambre & ferme la porte sur luy.
Personne n’est icy je voy la porte ouverte.
Appellons le, feignons estre de la maison189,
Cavalier suivez moy, n’avez aucun soubçon
665 Vous ne respondez point ? Ah volage, ah parjure ?
Entrons voyons la fin d’une telle aventure.

Scene XIII. §

ORASIE seule.

Mon pere seulement m’a dit qu’il s’en alloit
Pour quatre jours aux champs. Ah si le Ciel vouloit
Que je puisse eviter la foudre toute preste, [p. 48]
670 La foudre sur mon chef à m’escraser ma teste ?
Julie ? Elle est sortie, & je suis en soucy.
Comment je tireray ce Cavalier d’icy.
S'il me voit il verra que je suis la maistresse,
Que Florimonde excuse au malheur qui me presse,
675 Il me faut preferer mon interest au sein
Elle apelle à la porte pensant parler a Lidamant.
Sortez d’icy Monsieur, & ne redoutez rien,
Ne vous estonnez point de me voir je vous prie190.

Scene XIIII. §

LEANDRE, ORASIE,

LEANDRE.

Leandre sort de la Chambre.
Quoy ? ne m’estonner pas de cette effonterie ?
Quoy ? ne m’estonner pas de vous voir ?

ORASIE surprise bas.

Justes Dieux.

LEANDRE.

680 Me faire cette injure ?

ORASIE bas.

Helas.

LEANDRE.

Mesme à mes yeux !
Quoy ne m’estonner pas de vous voir si coupable ?

ORASIE bas.

[p. 49]
Que dois-je devenir.

LEANDRE.

Si lache.

ORASIE bas,

Ah miserable.

LEANDRE.

Et si perfide ?

ORASIE bas.

Helas, quel malheur me poursuit191 ?

LEANDRE.

Voyez le desespoir où mon sort me reduit,
685 Direz vous point encore infidelle Orasie,
Que je me plains à tort que c’est ma jalousie ?
Que la cause est certaine, & les effects sont faux ?
Que j’ay grand tort encor d’acuser ces defaux ?

ORASIE.

Je suis morte mon cœur, je ne sçay que respondre.

LEANDRE.

690 Cela suffit il point encor pour vous confondre ?
Lasche & meschant esprit, que voulez vous de moy ?

ORASIE.

Je veux que vous n’ayez nul doute de ma foy.

LEANDRE se promenant.

[p. 50]
Non vous ne m’avez fait jamais aucune injure.
J'ay veu chez vous un homme ? oh l’estrange imposture,
695 J'ay grand tort d’accuser vostre fidelité,
Quoy ? vous m’auriez trahi ? c’est une fausseté,
Je n’ay point de raison de vous avoir blasmée,
Vous ne m’avez point dit la porte estre fermée192
De l’autre appartement, par où s’est eschapé
700 Cét incogneu rival ? Ouy je me suis trompé ?
Sy j’ay creu qu’à present vous parliez à moy mesme
Pensant parler à luy, c’est un mensonge extresme,
D'avoir veu, rien du tout, non non je n’ay rien veu193,
Je me trompe Madame, & mes yeux m’ont deceu194,
705 Vous n’avez contre moy commis aucune offence,
Et je me prens à tort à la mesme innocence195.

ORASIE.

Laissons là ce discours Leandre escoutez moy
Et je vous feray voir que j’ay gardé ma foy,
Ouy j’atteste les Dieux,

LEANDRE.

Ah l’impudence extresme

ORASIE.

710 Si je ments que les Dieux punissent mon blaspheme.

LEANDRE.

[p. 51]
Infidelle avez vous encor assez de front
De vous justifier apres un tel affront.
Quoy tout ce que j’ay veu n’est-il pas infaillible,
Un homme dites-vous il n’est pas impossible.

ORASIE.

715 Ouy Leandre, peut-estre avez vous eu raison,
Vous aurez veu sortir quelqu’un de la maison.

Scene XV. §

Julie, Leandre, Orasie.

JULIE.

Julie dit sans prendre garde à Leandre.
Je l’ay mis en lieu seur.

LEANDRE.

Qu'en dites vous Madame ?
Pourois-je avoir encor quelque scrupule en l’ame ?
C'estoit un domestique, ouy c’est la verité.

JULIE bas.

720 Qu'ais je dit malheureuse, helas j’ay tout gasté.

ORASIE.

Dans ma confusion je demeure muette,
Justes Dieux vous sçavez la faute que j’ay faite,
Que des Dieux irritez j’esprouve le courroux*, [p. 52]
Si j’ay peché Leandre aujourd’huy contre vous.

LEANDRE,

725 Ouy vous avez raison, c’est moy qui suis coupable.

ORASIE.

Non non je ne ments point je suis tres veritable.

LEANDRE.

Mais qui donc a failly.

ORASIE.

Je vous estime tant
Que sçachant que le fait, vous est tres important,
J'aymerois mieux cent fois mourir que de le dire,
730 Car vous retomberiez en un tourment bien pire.

LEANDRE.

Quand on n’a rien à dire, & lors qu’on veut mentir
C'est ainsi que l’on parle, & qu’on sçait repartir*,
Mais adieu pour jamais infidelle Orasie,
Suivez les mouvemens de vostre frenesie,
735 Vous ne me causerez jamais aucun soucy.

ORASIE le retenant.

Non, non, je ne veux pas que vous partiez ainsi.

LEANDRE.

[p. 53]
J'atteste tous les Dieux à qui je rends hommage
Que si vous me pressez encore davantage,
Je vous perdray Madame, & que j’obligeray
740 Vostre pere à descendre à qui je conteray
Ce que je viens de voir, ce que je viens d’apprendre.

ORASIE

Escoutez moy mon cœur, arrestez cher Leandre,
Mon Amour je le jure à tort vous est suspect.

LEANDRE

Ayant perdu l’amour, j’ay perdu le respect,
745 Non je n’escoute plus.
Il s’en va.

ORASIE.

Arreste-le Julie.

JULIE bas.

Moy ? l’arrester Madame ? ah Dieux quelle folie.

ORASIE.

Va va, perfide ingrat, va si tu fuis de moy,
Je sçay bien les moyens de te trouver chez toy.
Florimonde faut-il que pour t’avoir servie
750 Je perde en mesme temps & l’honneur & la vie ?

Fin du second Acte.

[p. 54]

ACTE III. §

Scene première. §

FABRICE, LIDAMANT. dans leur Chambre.

[FABRICE.]

D'où venez vous Monsieur ? qu’avez vous ?

LIDAMANT.

Je ne sçay,
Fabrice, d’où je viens, moins encor ce que j’ay,
Ne m’importunes point.

FABRICE.

Quelle douleur extresme
Vous a troublé l’esprit, & mis hors de vous mesme ?
755 D'où vous naist ce chagrin cette mauvaise humeur ?

LIDAMANT.

Tay toy n’augmente pas encore ma douleur,
Ne t’en informe pas. Accommode mes hardes196,
Appreste mes chevaux. Qu'est ce que tu regardes ?
Je veux sortir d’icy plus vite que le vent,
760 Va tost, despesche toy. Regarde auparavant, [p. 55]
Si Leandre est icy, j’ay deux mots à luy dire.

FABRICE

Il n’est pas au logis.
bas 197
Sa fureur devient pire,
Que veut dire cela ?

LIDAMANT.

Leandre asseurement
Est au comble de l’heur* & du contentement,
765 Il est entre les bras de sa chere maistresse
Il a refait sa paix. Mais Dieux en ma tristesse,
Au malheur qui m’accable, au facheux souvenir
De tant de maux presents que dois-je devenir ?

FABRICE.

Que j’en sçache la cause.

LIDAMANT.

Ouy je le veux Fabrice,
770 Escoute, & de mon sort admire le caprice,
La Dame que tu sçais m’a tantost fait sçavoir
Par un certain billet que je l’allasse voir,
Une fille à l’instant m’a mené droit chez elle,
J'entre dans un logis dont l’apparence est belle,
775 Les meubles precieux, mais ce qui plus l’ornoit,
C'estoit cette beauté de qui l’œil me charmoit.
Elle m’a fait d’abord quelque plainte legere, [p. 56]
Comme* je m’excusois elle a sceu que son pere
Arrivoit au logis & tremblante de peur
780 M'a fait incontinent198 retirer en lieu seur,
Ils parloient assez haut mais je n’ay peu comprendre
Leurs discours que j’oyois, sans les pouvoir entendre,
La porte estoit fermee, & leurs confuses voix
Venoient bien jusqu’à moy dans la chambre où j’ettois,
785 Un homme ouvre la porte & moy je me tins ferme,
Et sans passer plus outre199 une fille la ferme.
Sans avoir discerné la forme ny les traicts
Ny de l’un ny de l’autre, un peu de temps apres,
Une fille confuse & troublée est venue
790 Qui m’a pris par la main, & m’a mis en la rue.
Tesmoignant avoir peur que Leandre le sceust
Non seulement de moy mais qu’il s’en aperceust
De sorte que confus d’avoir veu ce mystere
Je ne puis me resoudre à ce que je dois faire,
795 Et me faut estre enfin de moy mesme ennemy,
Offencer ma Maistresse, ou trahir mon Amy,
Si de ce cher amy cette Dame est maistresse,
Je la dois accuser comme lasche & traistesse,
Mais si ce ne l’est pas200 j’emploirois sans raison,
800 Contre elle une si lasche & noire trahison
Contre elle qui m’adore. Elle a raison peut-estre
De ne le vouloir pas encor faire connoistre
Peut-estre qu’un suject que j’ignore, peut bien, [p. 57]
Empescher que surtout, Leandre en sache rien.
805 Dans la confusion qui naist de ce mystere,
Je ne sçay, si je dois ou parler ou me taire,
Puis que de tous costez je me voy malheureux
Le meilleur est je croy de les quitter tous deux,
Mon Amy n’aura point de suject de se plaindre,
810 Ny ma maistresse aussi201, ny moy plus rien à craindre.
Apreste tout mon fait202, donne ordre à mon depart,
Car je m’en veux aller dans une heure au plus tart203
Quand204 je devrois cent fois courir à ma ruine,
Et mourir en quittant cette beauté Divine.

FABRICE.

815 Ce dessein est louable, & d’un cœur genereux
Je vay vous obeyr.
Fabrice sort.

LIDAMANT seul.

Que je suis malheureux.
Quelle confusion à la mienne est esgale ?
Adieu Paris Adieu, sortons de ce Dedale,
De cette Babilon205, de ces lieux enchantez,
820 Où les illusions passent pour veritez.
Femme qui que tu sois avec ton artifice,
Et tes precautions que le Ciel te benisse.
Va je te dis adieu, je vay t’abandonner.

FABRICE rentre.

[p. 58]
Vostre habit est tout prest, on me le va donner,
825 J'ay dit que nous montons à cheval dans une heure.

LIDAMANT.

Le sort en est jetté ! Mais faut-il que je meure ?
Faut-il que le caprice, & les inventions
D'une femme bigearre206 en ses precautions
Me chasse de Paris en quittant mes affaires207 ?
830 Ouy, va tost preparer les choses necessaires.
J'entre en mon cabinet & reviens à l’instant.

Scene II. §

NERINE, FLORIMONDE. dans leur Chambre.

NERINE.

Madame pensez y, ne vous hastez pas tant,
Et considerez mieux ce que vous voulez faire,
Si vous entrez chez luy, pensez que vostre frere
835 Y pourra survenir, & vous surprendre là.

FLORIMONDE.

Tay toy, te dis je, il faut se resoudre à cela,
Ne me replique point. Ne viens tu pas de dire, [p. 59]
Qu'il est prest à partir.

NERINE.

Ouy Madame, il desire
S'en aller dans une heure, au moins à ce que dit
840 Son homme qui m’a fait demander son habit.

FLORIMONDE.

Peux tu donc t’estonner, si mon Amour m’oblige
A vouloir divertir* ce depart qui m’afflige ?
Il a sçeu qui je suis, il n’en faut point douter,
Et c’est ce qui l’oblige à me vouloir quitter,
845 Il l’a sçeu d’Orasie, il aime trop mon frere,
Et ne voudroit pour rien en m’aimant luy deplaire,
C'en est là le suject.

NERINE.

Mais s’il s’en veut aller,
L'en empescherez vous ?

FLORIMONDE.

Ouy, je luy veux parler.
Je veux si je le puis destourner cette envie,
850 Et l’empescher aussi de m’arracher la vie,
Et d’emporter un cœur que l’ingrat m’a volé.
Atten moy.
Elle sort.
[p. 60]

Scene III. §

Lidamant, Fabrice, Florimonde, dans la Chambre de Lidamant.

LIDAMANT.

Va sçavoir où Leandre est allé,
Je luy veux dire Adieu.
Fabrice sort & rentre à l’instant.

[FABRICE.]

Monsieur je vous aporte
Pour nouvelle, que j’ay rencontré sur la porte
855 Celle que vous sçavez.

LIDAMANT.

Que dis tu ?

FABRICE.

La voicy
Florimonde entre.
C'est elle.

FLORIMONDE.

Lidamant que veut dire cecy ?
Est-ce le procedé d’un homme Magnanime,
D'un brave Cavalier tel que je vous estime,
De partir de la sorte, & de quitter ce lieu,
860 Sans m’en faire advertir, & sans me dire Adieu ? [p. 61]
Vous qui dites m’aimer & m’ettre si fidelle ?

LIDAMANT.

Qui vous a fait sçavoir si tost cette nouvelle ?
Ce dessein de partir m’a pris en un moment,

FLORIMONDE.

La mauvaise nouvelle en Amour, Lidamant
865 Ne va pas comme on dit, promptement elle vole.

FABRICE.

Il n’en faut point douter, je vous donne parole
Qu'elle a quelque Demon qui luy sert de valet.
Seroit elle point sœur de nostre Esprit Folet208 ?

FLORIMONDE.

Il est donc bien certain, & ma peur n’est point vaine.

LIDAMANT.

870 Ouy, je m’en veux aller, la chose est tres certaine,
Vous en estes la cause, & je m’en fuy209 de vous210.

FLORIMONDE.

Ah je sçai Lidamant d’où vous naist ce courroux*,
Vous sçavez qui je suis (je me sens si confuse
Que je ne puis parler) si c’est là vostre excuse,
875 Si cette cognoissance, & ce ressentiment, [p. 62]
Vous fait abandonner Paris si promptement,
Encor que* ce depart ne tend qu’à me destruire
Je conjure les Dieux qu’ils vous vueillent conduire.
Si j’ay teu qui j’estois, & mon extraction211,
880 Il estoit important à nostre affection,
Mais pour plusieurs raisons, & sans vostre dommage212
Vous ne pouviez alors en sçavoir davantage.

LIDAMANT.

Je ne vous entends point, Non, car je vous cognois
Aussi peu maintenant que je vous cognoissois,
885 Qui213 me fait vous quitter, n’est que la meffiance
Que vous avez de moy214, car par quelle apparence
Croiray-je d’estre aymé, Puis qu’en toutes façons
Vous avez refusé d’esclarcir mes soubçons ?

FABRICE

Leandre vient icy.

FLORIMONDE.

Grands Dieux je suis perdue.

LIDAMANT,

890 Mais pourquoy ? que vous peut importer cette veue
Vous vous desesperez & je ne sçay pourquoy.
Leandre est mon Amy, vous estes avec moy
De quoy vous fachez vous.

FLORIMONDE.

[p. 63]
Que je suis miserable,
Mais puis que le malheur de tous costez m’accable,
895 Et qu’il faut succomber à la fin au tourment,
Je ne me veux plus taire, Escoutez Lidamant,
Je suis. Je ne puis pas en dire davantage,
Il entre, le voicy. Dieux je perds le courage,
Ma vie est en vos mains, je me jette en vos bras.
900 Secourez moy de grace, & ne me perdez pas.
J'entre en ce cabinet.
Elle se cache.

LIDAMANT en luy mesme.

En la peur qui la presse
Il faut asseurement que ce soit sa maistresse.
Je n’en sçaurois douter.

Scene IV. §

Leandre, Lidamant, Fabrice & Florimonde cachée.

LEANDRE.

Ah ! mon cher Lidamant.

LIDAMANT.

Leandre, qu’avez vous ?

LEANDRE.

[p. 64]
Un excez de tourment,
905 Une gesne, une rage, un despit si sensible
Que de vous l’exprimer il ne m’est pas possible,
Ah l’estrange accident* qui me vient d’arriver,
C'est pour m’en divertir* que je vous viens trouver.

LIDAMANT.

Comment ? Ayant les Dieux à vos vœux si propices,
910 Je vous croyois nager au milieu des delices,
Et j’enviois quasi vostre felicité
Quoy ! n’avez vous pas veu cette jeune beauté ?
N'avez vous pas encor fait vostre paix ensemble,
Pour moy je le croyois, mais à ce qu’il me semble,
915 Vous en estes bien loing ? qu’avez-vous !

LEANDRE.

Ah voicy.
Le plus grand de mes maux.

LIDAMANT.

Fabrice sors d’icy.
Fabrice s’en va.

LEANDRE

Vous disiez bien tantost parlant de jalousie,
Cher amy, qu’aussy tost qu’une ame en est saisie
C'est le plus grand malheur qu’on puisse recevoir,
920 Qu'il vaut mieux la donner cent fois que de l’avoir.

LIDAMANT.

[p. 65]
Mais en si peu de temps, comment vous a peu naistre
Ce soubçon si facheux que vous faites paroistre ?
Sans doute il l’a215 suivie, & ce soubçon je croy,
Ou je me trompe fort, luy vient d’elle & de moy216.

LEANDRE.

925 Escoutez cher Amy, cette histoire est estrange,
Elle vous surprendra. J'ay tantost veu cét Ange,
J'appelle de ce nom celle qui m’a charmé,
Dont l’œil quoy que divin vaut moins qu’il n’est aymé.
Je ne vous diray point combien devant ses charmes,
930 J'ay jetté de souspirs & respandu de larmes,
Afin de l’asseurer de ma fidelité
De qui ses vains soubçons ont fait qu’elle a douté
M'estant justifié fort content je la quitte,
J'y suis venu apres faire une autre visite
935 Mais son pere arrivant il m’a falu cacher217,
En trouvant une Chambre (Ah Dieux comme un rocher
Je demeure immobile à ce discours funeste)
J'ay veu l’ombre d’un homme,

LIDAMANT bas.

Ah grands Dieux je proteste
Que voila de tout point, ce qui m’est survenu.

LEANDRE.

[p. 66]
940 Ah cher Amy, pourquoy me suis-je retenu ?
Et pourquoy le respect, & d’elle & de son pere
Ont ils en ce besoin fait calmer ma colere ?
Mais quoy je me suis teu, j’ay fait la lacheté,
De me monstrer discret en cette extremité.
945 Et l’ingratte m’a veu tesmoigner plus d’envie
De garder son honneur que de sauver ma vie,
Enfin sans dire mot je me suis retiré,
Et me suis resolu triste, & desesperé
De l’attendre à la rue, afin de le cognoistre.

LIDAMANT.

950 Et bien quel homme estoit-ce ?

LEANDRE.

Il s’en est fuy le traistre.
Une fille l’avoit sur l’heure mis dehors,
Dieux c’est une douleur pire que mille morts
De craindre, & ne sçavoir qui je crains,

LIDAMANT bas.

C'est la mesme
Il n’en faut point douter, c’est la Dame que j’ayme,
955 Ouy c’est elle en effect de qui je suis aymé,
C'est moy qu’elle a tenu dans sa Chambre enfermé !
Mais puis qu’il n’en sçait rien, il faut que mon absence [p. 67]
Termine tant de maux.

LEANDRE.

Dieux quelle extravagance,
Vous resvez est-ce ainsi qu’il me faut consoler ?

LIDAMANT bas.

960 La chose est resoluë, Ouy je m’en veux aller,
Ne vous estonnez point cher amy je vous prie,
Ce surprenant discours cause ma resverie.
J'en ay bien du suject en l’estat où je suis.

LEANDRE.

Que me conseillez vous ?

LIDAMANT.

Oubliez.

LEANDRE.

Je ne puis.
[p. 68]

Scene V. §

Fabrice, Leandre, Lidamant, Orasie,

FABRICE.

965 Une Dame est là-bas qui demande Leandre.

LEANDRE.

C'est elle, je ne veux ny la voir ny l’entendre.

LIDAMANT,

Ce n’est peut-estre pas celle que vous pensez,
Vous vous pourriez tromper.

LEANDRE.

Je la cognois assez
Ouy c’est elle, qui croit qu’aysement on m’abuse,
970 Elle vient me donner quelque mauvaise excuse,
Pour me faire passer pour une fausseté
Ce que je sçay fort bien estre une verité.
Orasie entre.

LIDAMANT en luy mesme.

Quelle confusion à la mienne est pareille ?
Est-ce une illusion ? Est-il vray que je veille ?
975 Si c’est elle qu’il ayme, avec quelle raison,
Me dit-il qu’il a veu cacher dans sa maison
Certain homme inconnu puis que c’estoit moy mesme ? [p. 69]
D'ailleurs si c’est icy la maistresse qu’il ayme,
Qui peut estre (grands Dieux, je perds icy les sens)
980 Cette autre qui se vient d’enfermer là dedans ?

ORASIE à Lidamant.

Lidamant permetez que je parle à Leandre,

LEANDRE.

Mais quoy ! Sçavez vous bien s’il voudra vous entendre ?

ORASIE au mesme.

De grace obligez moy, laissez nous seuls icy.

LIDAMANT bas en s’allant.

Madame je m’en vay. Je suis bien en soucy,
985 Je suis bien empesché218 de ce que je doy faire.
Dieux où doit aboutir la fin de cette affaire ?
Comment cét autre icy pourra t’elle sortir ?
Changeons, changeons d’avis je ne veux plus partir,
Mon doute est esclarcy, rien ne m’y peut contraindre,
990 Et je n’ay plus icy desormais rien à craindre.
Sa maistresse est icy, l’autre donc ne l’est pas.
Laissons les, descendons & j’attendray là-bas.
[p. 70]

Scene VI. §

Orasie, Leandre, Florimonde cachée.

ORASIE

Puis que nous sommes seuls escoutez moy Leandre.

LEANDRE

Pourquoy vous escouter ?

ORASIE.

Je vous veux faire entendre
995 Le suject qui m’amène.

LEANDRE,

Il n’en est pas besoin,
Non Madame je veux vous espargner ce soin.
Si je vous veux ouïr, vous conterez merveilles.
Ouy, vous dementirez mes yeux & mes oreilles,
Si c’est là le suject qui vous ameine icy,
1000 Vous pouvez bien vous taire, & me laisser aussi.

ORASIE.

Je vous veux faire voir à clair219 mon innocence,
De grace escoutez moy.

LEANDRE.

Ce seul mot là m’offence.
Il est vray je l’ay veu, j’en atteste les Dieux, [p. 71]
Ou bien les veritez sont fausses à mes yeux.

ORASIE.

1005 Sans doute je serois de raison despourveuë,
De vouloir en ce point dementir vostre veuë
Ouy je tenois un homme enfermé.

LEANDRE.

C'est assez.
Vous n’en dites que trop. Quoy ! vous le confessez ?
Apres un tel adveu prendrez vous bien l’audace
1010 De vous justifier.

ORASIE.

Escoutez moy de grace.

LEANDRE.

Il valloit Orasie, il valoit beaucoup mieux
Me cacher vostre honte, & dementir mes yeux.
C'est bien estre en effect de vous mesme ennemie,
D'avouer franchement ainsi vostre infamie,
1015 O la fidelle Dame, O la constante foy.

ORASIE.

Mais jusques à la fin de grace escoutez-moy,
Je ne veux qu’un moment ; j’aurois grand tort Leandre
De desmentir vos yeux, je ne m’en puis deffendre.
Ils ne vous trompoient point, je ne sçaurois nier [p. 72]
1020 Qu'on a caché chez moy tantost un Cavalier.
Mais j’ateste les Dieux & sur tout Hymenée,
Que j’ay gardé la foy que je vous ay donnée,
Que je n’ay peu commestre un parjure pareil,
Que mon honneur est pur autant que le Soleil,
1025 Que c’est vous seulement que je cheris au monde,
Si je mens d’un seul mot que le Ciel me confonde.

LEANDRE.

Quel est cet homme là ?

ORASIE.

Je ne le cognoy point.

LEANDRE.

Faut-il qu’à vostre crime un mensonge soit joint ?
Mais que faisoit-il là ?

ORASIE,

Je ne vous le puis dire220.

LEANDRE.

1030 Pourquoy ?

ORASIE.

Je n’en sçay rien.

LEANDRE.

Est-ce pas pour en rire ?
Me voila bien sçavant, je suis fort satisfait.

ORASIE.

La satisfaction la plus grande en effect
Est de n’en rien sçavoir221.

LEANDRE.

[p. 73]
Je rougis de sa honte222.
Le beau resonnement, l’excuse à vostre conte
1035 Est en ce que j’ignore, où je ne comprens rien,
Et la faute consiste en ce que je sçay bien.
Quoy doncques voulez vous que le bien que j’ignore
Vainque ce que je sçais, & voulez vous encore,
Que mon bien soit douteux, & mon mal asseuré ?
1040 Je n’ay plus rien à craindre & tout consideré,
La satisfaction est certes excellente.
Croiez vous en effect que cela me contente,
Je voy que vous m’aimez & me gardez la foy.
Je n’en sçaurois douter,

ORASIE.

Leandre croiez moy
1045 Il y va trop du vostre, & si vous estes sage,
Vous ne chercherez pas d’en sçavoir davantage.

LEANDRE.

Vous m’avez dit tantost de pareilles raisons,
Qui ne font qu’augmenter encor plus mes soubsons223.
C'est le dernier ressort quand on ne sçait que dire,
1050 Quelque mal que ce soit il ne peut estre pire,
Car ce que j’ay veu marque assez vostre peché.
Pourquoy chez vous un homme à quel dessein caché.
Si vous ne contentez en ce point mon envie [p. 74]
Je ne vous veux ny voir ni parler de ma vie.

ORASIE.

1055 Que feray-je grands Dieux ? bien je vous le diray.
Florimonde avec sa coiffe & son masque passe au travers de la Chambre derriere eux & gagne la porte, descend & dit tout bas
Non ferez224, si je puis, je vous en garderay

LEANDRE.

Quelle femme est ce là ?

ORASIE.

Quoy vous avez l’audace
De faire l’ignorant.
Il veut courir apres, Orasie le retient.

LEANDRE.

Permettez-moy de grace,
Madame au nom des Dieux que je suive ses pas
1060 Je veux sçavoir qui c’est.

ORASIE le retenant.

Non non, vous n’irez pas
Vous bruslez de desir de courir apres elle
Pour luy faire une excuse ame ingratte infidelle,
Je vous entens desja, Madame j’ai quitté225
Pour courir apres vous cette moindre beauté
1065 Dont les attraits* communs me causent peu de peine226.

LEANDRE.

Tenez pour verité, mais verité certaine,
Que je ne sçai qui c’est j’en atteste les Dieux.

ORASIE.

[p. 75]
Ne jurez point Leandre, & desmentez mes yeux.
Vous le sçavez tres bien, C'est Iris je l’ay veuë,
1070 Et croyez qu’en passant je l’ay bien recognue.

LEANDRE.

Madame croyez moy, non, ce n’est point Iris
Veillais-je ou si je songe227 ha que je suis surpris,

ORASIE.

Je ne m’estonne plus de ce qu’à ma venuë
Vous aviez tant de peine à soutenir ma veue,
1075 Vous possediez chez vous des attrais* plus puissans
Pensez-vous m’abuser, & surprendre mes sens,
Que veut dire cela, Leandre ? quelle honte ?
Le beau raisonnement, l’excuse à vostre conte
Est en ce que j’ignore, où je ne comprens rien,
1080 Et la faute consiste en ce que je sçai bien.
Quoy doncques voulez vous que le bien que j’ignore
Vainque ce que je sçais & voulez vous encore,
Que mon bien soit douteux, & mon mal asseuré228 ?

LEANDRE.

Je ne sçay ce que c’est, je vous en ay juré
1085 Par là vous vous sauvez de vostre perfidie ?

ORASIE.

[p. 76]
Ce que je dis est vray, suffit que je le die,
Je suis plus veritable en ce point là que vous.

LEANDRE.

C'est jusqu’au dernier point exciter mon courroux*.
Vous ne meritez pas seulement qu’on vous nomme229
1090 N'ay-je pas tantost veu dans vostre Chambre un homme ?

ORASIE.

Aurez-vous bien le front de me nier aussi
Qu'une femme masquée estoit n’aguere icy ?

LEANDRE.

Je ne la cognoy point.

ORASIE.

J'ay moins de cognoissance
De cét homme cent fois.

LEANDRE.

Ah l’extreme impudence ?
1095 Vous le sçavez tres bien, car vous l’alliez nommer.

ORASIE.

Adieu, perfide, adieu, n’osez pas presumer
Que jamais je vous parle, ou que je vous regarde.

LEANDRE.

[p. 77]
Prenez garde Orasie.

ORASIE.

A quoy prendray-je garde.

LEANDRE.

Ah ! c’est trop mal traiter un homme comme moy,
1100 Dont la plainte est si juste.

ORASIE.

Ame ingratte, & sans foy,
Est-ce à tort ? direz vous que je me l’imagine ?
Je voy qu’on me trahit, je voy qu’on m’assassine.

LEANDRE.

Le Ciel lit dans mon cœur, & voit que j’ay raison.

ORASIE.

Je suis sans crime aucun, vous plain de trahison,
1105 Qui recognoissez mal le feu qui me consomme230.

LEANDRE.

N'ay-je pas tantost veu dans vostre chambre un homme ?

ORASIE.

Ne viens-je pas de voir une femme en ce lieu ?
Je vais à la Campagne, Adieu perfide, Adieu,
Ne vous attendez pas de me voir de ma vie.

LEANDRE.

[p. 78]
1110 Apres ce que j’ay veu j’en ay fort peu d’envie.
Allés vous promener aveque ce rival,
A qui ce fer icy bien tost sera fatal,
A qui par mille endroits je feray vomir l’ame231.

ORASIE.

Et moy j’arracheray les yeux à cette infame.
Ils s’en vont l’un par un costé & l’autre par l’autre.

Fin du troisiesme Acte.

[p. 79]

ACTE IV. §

Scene première. §

FLORIMONDE, NERINE. dans leur Chambre.

FLORIMONDE.

1115 Tout s’est passé Nerine ainsi que je le dy.

NERINE.

Ce procedé Madame est un peu trop hardy
Dieux que vous m’estonnez, & que je suis surprise,

FLORIMONDE.

C'est à n’en point mentir une haute entreprise,
Mais tout consideré j’ay fait ce que j’ay deu,
1120 Car voiant aussi bien que tout estoit perdu,
Et que mon frere alloit apprendre d’Orasie,
Ce que je crains le plus il m’a pris fantaisie,
De rompre leurs discours & par cette action
Je suis venue à bout de mon intention.
1125 Il faut aux maux pressants hazarder toute chose,
Et pour dire en effect la principale cause,
Qui m’a le plus poussée à ne redouter rien, [p. 80]
Qui m’a plus enhardie est que je sçavois bien
Qu'en tout cas Lidamant estoit pour me deffendre
1130 Qui n’avoit garde en bas de manquer à m’attendre232.
Mais mieux que je n’ay creu le tout m’a reussy,
Je me trouve en ma Chambre exempte de soucy,
Ma presence sans doute aura fait qu’Orasie
Aura mis à son tour un peu de jalousie,
1135 Lidamant n’a risqué rien pour l’amour de moy,
J'ay fait taire Orasie ainsi que je le croy,
Et mon frere de plus ne m’a point recognue,
J'ay coulé doucement à peine m’a t’il veue.

NERINE.

La chose a succedé233 mais n’y retournez plus.

FLORIMONDE.

1140 Nerine tes conseils sont icy superflus,
Le dessein m’enhardit & me donne l’envie
D'en entreprendre un autre au peril de ma vie.
Il faut trouver moyen si je puis aujourd’huy
De revoir Lidamant & de parler à luy.

NERINE.

1145 Quelqu’un entre,

FLORIMONDE.

Voyez234.

NERINE.

C'est Monsieur vostre frere,
[p. 81]

Scene II. §

Florimonde, Leandre, Nerine.

FLORIMONDE.

Je voy bien qu’il n’a pas la fortune* prospere,
Mon frere qu’avés vous qui vous gesne235 si fort.

LEANDRE.

Helas ma chere sœur je voudrois estre mort.
J'ayme une fille ingratte, en deux mots c’est vous dire
1150 La douleur que je sens, mais ce n’est pas le pire,
J'ay veu qu’on me trahit enfin je suis jaloux,
Et loge dans mon cœur un Dieu plein de courroux*.
Comme* je luy236 contois ce matin mon martyre
J'ay veu.

FLORIMONDE.

Qu'avez vous veu ?

LEANDRE.

Dieux le pourray-je dire ?
1155 Un homme qu’elle avoit dans sa chambre enfermé.

FLORIMONDE.

Est-il possible ô Dieux.

LEANDRE.

[p. 82]
Lors de rage enflamé
Je sors hors de sa Chambre & l’attends à la ruë,
Mais il ne paroist point, Orasie est venue,
Me voir comme* j’estois là-bas chez Lidamant.
1160 Comme* nous discourions en son appartement
Et comme* elle taschoit avec toutes ses ruses
De colorer son fait par de foibles excuses
Pleurant pour m’appaiser & souspirant en vain,
Une femme cachée au cabinet prochain*
1165 Passe au travers de nous & descend.

FLORIMONDE.

Une femme ?
Dieux que me dites vous ?

LEANDRE.

Je croy que cette infame
Estoit là par un ordre exprez de Lidamant
A qui j’en ay parlé mais fort modestement,
Il a sur ce sujet eu peine à me respondre
1170 Il l’a nié mais moy de peur de le confondre,
Je ne l’ay pas pressé fort long temps là-dessus,
Enfin quoy qu’il en soit, escoutez le surplus,
Croyant que c’est Iris, la cruelle Orasie
Est de nouveau rentrée en telle jalousie,
1175 Qu'elle fuit ma rencontre, & moy d’autre costé,
Qui suis de cette ingratte indignement traitté [p. 83]
Je brusle de colere, & brusle aussy d’envie,
De revoir cét object de qui despend ma vie.
Mais avant que la voir ma sœur je voudrois bien,
1180 Esclaircir mon soubson, & par vostre moyen,
Ne me refusez pas chere sœur je vous prie.

FLORIMONDE

Mais que puis je pour vous.

LEANDRE,

Par certaine industrie
Qui vient de mon esprit vous me pourrez guerir.

FLORIMONDE.

J'y feray mon effort quand j’en devrois mourir.

LEANDRE

1185 Il faut qu’un de ces jours vous l’alliez voir chez elle,
Et que vous luy disiez que pour une querelle,
Qu'à tort je vous ay faitte, & vous faindrez pour quoy,
Vous ne desirez point demeurer avec moy,
Que ma mauvaise humeur ne soit du tout changée.
1190 Et la conjurerez de vous tenir logée
Pour quelque peu de jours dans son appartement,
Ce qu’elle accordera sans doute librement.
Là vous me servirés d’un espion fidelle, [p. 84]
Vous sçaurés qui luy parle & qui hante chez elle,
1195 Vous sçaurés quel rival la porte à me trahir237.

FLORIMONDE.

La chose est bien aisée, il vous faut obeir
Quand bien238 dans ce project je verrois mille obstacles
Amour estant un Dieu peut faire des miracles,
Vous connoistrês par là mon zele & mon devoir,
1200 Reposez vous sur moy je vous sers dès ce soir.
Je vous diray pourquoy l’ingrate vous dedaigne.

LEANDRE.

Elle est allé vomir son fiel à la Campagne,
Et ne doit estre icy de trois jours de retour.

FLORIMONDE.

Bien j’iray dans trois jours.

LEANDRE.

Seconde nous Amour
1205 Fay tant par ton pouvoir que cette ingrate amante
Recognoisse sa faute & qu’elle s’en repente,
Fay tant que de ses yeux son ame ait la douceur,
Vous me donnez la vie adieu ma chere sœur.
Il s’en va.

FLORIMONDE.

Au dela de mes vœux je trouve Amour propice,
1210 Voyez comme il me presse à luy rendre un office [p. 85]
Que cent fois plus que luy j’ay lieu de souhaiter.
Nerine j’oy du bruit, j’entens quelqu’un monter
Va regarde qui c’est.

Scene III. §

Florimonde, Orasie, Julie, Nerine.

FLORIMONDE.

Est-ce vous ? chere amie.

ORASIE.

Ah ! vous m’avez comblé de honte & d’infamie,
1215 Vostre frere a chez moy tantost veu Lidamant
Enfermé dans ma chambre.

FLORIMONDE,

Ah Madame & comment ?

ORASIE.

Il n’importe comment, il est tout en colere
Sorty hors de chez moy, qui pour le satisfaire
L'ay cherché jusqu’icy, les yeux baignez de pleurs
1220 Qui tesmoignoient assez l’excez de mes douleurs,
Qui ne justifioient que trop mon innocence,
Mais quoy quelque raison que j’eusse en ma deffence,
Je n’ay peu faire entendre à ce cœur irrité [p. 86]
Rien qui peust l’esclarcir de ma fidelité,
1225 Je n’ay pourtant rien dit de tout ce qui vous touche,
Ma discrette amitié m’avoit fermé la bouche,
Une femme enfermée en quelque lieu prochain*,
Sort, passe devant nous sans parler & soudain
En gaignant le degré monstre à sa contenance
1230 Qu'elle prend du martel239 de nostre conference,
Je croy que c’est Iris, ou je me trompe fort,
Car elle a ce me semble, & sa taille, & son port.

FLORIMONDE.

Il n’en faut point douter, voyez l’effronterie,
Qu'a fait mon frere alors.

ORASIE.

Je ne vy de ma vie,
1235 Un homme plus surpris, il a fait l’estonné,
Voulant courir apres je l’en ay detourné !
Là-dessus j’ay vomy ce que j’avois dans l’ame,
Et contre ce volage & contre cette infame,
Voyant qu’on outrageoit jusque là mon Amour
1240 Croyez que j’ay bien fait la cruelle à mon tour,
Comme il m’avoit nommée & perfide & parjure,
Contre luy justement j’ay repoussé l’injure,
Nous nous sommes quittez enfin fort mal contents
Et pour le mieux piquer j’ay faint aller aux champs,
1245 Mais c’est pour avoir lieu d’user d’un stratageme, [p. 87]
Où personne ne peut me servir que vous mesme,
Je brusle de desir maintenant de sçavoir
Si c’est Iris qui vient à toute heure le voir.
Car cette Iris sur tout trouble ma fantaisie240,
1250 Et cause les effetz de cette jalousie,
Vous m’avez dit tantost qu’en son appartement,
Une porte respond au vostre tellement
Que par là, puis qu’enfin la chose est evidente
Je pourrois découvrir quelle est cette impudente,
1255 Et guerir les soubsons de mon esprit jaloux.
Si je pouvois passer deux ou trois nuits chez vous,
Car pour autant de jours mon pere est en campagne
Ne me refusez pas chere & belle compagne,
Je vous ay tantost fait un service important,
1260 Qui vaut bien qu’aujourd’huy vous m’en faciez autant
Et que vous respondiez à cette courtoisie.

FLORIMONDE.

Vous m’offenseriez trop d’en douter Orasie,
Un obstacle pourtant s’oppose à ce dessein,
Mais j’y remediray.

ORASIE

Quel peut-il estre ?

FLORIMONDE.

En vain
1265 Je voudrois vous celer* le soubson de mon frere,
Estant fort mal fondé241, n’estant qu’immaginaire, [p. 88]
Il brusle comme vous de desir de sçavoir
Quel est ce Cavalier qu’il croit qu’il vous vient voir,
Et pour y parvenir, sçachez qu’il se propose,
1270 Le mesme expedient toute la mesme chose
Que vous me proposez, voulant pareillement
Que je sois ces trois nuits dans vostre apartement,
Feignant que nous avons eu quelque pique ensemble,
J'entends mon frere & moy242, tellement qu’il me semble
1275 Qu'il seroit à propos, si vous venez icy
Que243 pour vous y servir, je m’y trouvasse aussy.
Et n’allant pas chez vous il diroit

ORASIE.

Au contraire.
Pour plus commodement terminer cette affaire,
Il faut que vous feigniez m’avoir dit dès ce soir
1280 Toute vostre dispute & luy faire sçavoir244,
Et puis nous changerons de logis tout à l’heure245,
Cette voye en effect me semble la meilleure.

FLORIMONDE.

Comment donc ferons nous ?

ORASIE.

Demandez vous comment ?
Pourquoy tant consulter ? Nerine promptement,
1285 Qu'on luy donne sa coiffe, & son masque, une affaire [p. 89]
Se perd le plus souvent alors qu’on la differe,
Allons, nous n’en avons des-ja que trop parlé ?

FLORIMONDE,

En quelque part que soit Lidamant trouve le,
Entens tu bien Nerine, & luy dy que s’il m’aime,
1290 Il me vienne trouver ce soir au logis mesme
Où tantost il m’a veuë. Apres reviens icy
Pour servir Orasie, il est meilleur ainsi,
Qu'en changeant de logis, nous changions de suivante.
Viens donc suy moy Julie.

ORASIE.

Aux affaires pressantes
1295 Il faut agir ainsi,

FLORIMONDE.

Je le trouve tres bon.

ORASIE.

Madame, soyez donc Maistresse en ma maison.
Comme si vous estiez chez vous, je vous supplie.

FLORIMONDE.

Faites de mesme icy.

ORASIE.

Toy pren garde Julie
De luy bien obeyr.

JULIE.

[p. 90]
Je n’y manqueray pas.

FLORIMONDE.

1300 Despeschons nous Julie.

JULIE.

Allons je suis vos pas.

Scene IV. §

Lidamant dans sa Chambre, & Fabrice avec un papier.

LIDAMANT.

Quel papier est ce là Fabrice ?

FABRICE.

C'est un conte246
De l’argent que j’ay mis.

LIDAMANT.

Que dis tu ?

FABRICE.

Qui se monte
A sept livres huit sols, en memoire du temps
Que je vous ay servy, qui sont pres de cinq ans
1305 Moins quatre mois, six jours.

LIDAMANT.

[p. 91]
Qui247 t’oblige à ce faire ?

FABRICE.

C'est pour vous demander s’il vous plaist mon salaire.

LIDAMANT.

Encor pour quel suject ?

FABRICE,

Parce que je cognoy
Que248 vous n’avez Monsieur plus affaire de moy,
Vous ne voulez jamais que je vous accompagne,
1310 Si ce n’est quelque fois encor à la Campagne,
Si quelqu’un vous vient voir, vous me faites sortir
Et vous allez dehors sans m’en faire advertir.
De cette façon là je ne sçaurois pas vivre,
Pourquoy m’empeschez vous tous les jours de vous suivre ?
1315 Vous allez en des lieux où peut-estre mon bras
Dans les occasions ne vous manqueroit pas.
A ne vous point mentir, ce procedé me fasche
Il faut qu’auprez de vous je passe pour un lasche,
Ou pour quelque causeur. Je suis assez discret
1320 Et croy meriter bien qu’on me fie un secret.

LIDAMANT.

N'impute ce silence & cette solitude
Qu'à mon esprit chagrin tout plein d’inquietude,
Je t’aime, cher Fabrice, autant que je le doy, [p. 92]
Si tu sçavois mon mal tu pleurerois pour moy.

FABRICE

1325 Quittons donc ce pays puis qu’il vous importune,
Ne sçauriez vous ailleurs trouver vostre fortune* ?
Arrachez vous, Monsieur, cette espine du sein.

LIDAMANT.

Fabrice, je ne puis, j’ay changé de dessein
Je suis trop enchanté des yeux de cette belle,
1330 Pour pouvoir seulement vivre un moment sans elle
Puis voyant mon soubçon de tout point esclaircy,
Rien ne m’oblige plus à m’en aller d’icy,
Il reste encor un poinct que je ne puis comprendre,
Je pensois qu’elle fust Maistresse de Leandre
1335 Et je ne regardois que son seul interest.
Je suis hors de ce doute, & je ne sçay qui c’est.

FABRICE.

Qui c’est ? je le sçay bien moy,

LIDAMANT.

Toy ?

FABRICE.

Moy je le jure.

LIDAMANT,

Que ne le dis tu donc ?

FABRICE.

[p. 93]
C'est quelque Creature
Qui par inventions cherche de vous tromper,
1340 Croyez que les plus fins s’y laissent attraper.

LIDAMANT.

Je suis trop glorieux de l’estre de la sorte,
Mais pren garde, j’entends quelqu’un à cette porte

Scene V. §

Nerine, Fabrice, Lidamant.

NERINE.

Escoutez Lidamant, celle que vous sçavez.

FABRICE.

Femme, d’où tombes-tu ?

NERINE

Que t’importe ?

LIDAMANT.

Achevez.

NERINE.

1345 Veut avoir cette nuit l’honneur de vostre veuë,
Venez y sans manquer, vous sçavez bien la ruë,
Et le logis aussi, c’est dans le mesme lieu,
Il n’est point de besoing de vous conduire Adieu. [p. 94]
Elle sort.

FABRICE,

A t’on jamais parlé d’un succez* plus estrange ?

LIDAMANT.

1350 Courage, cette nuit, je m’en vay voir mon Ange.

FABRICE.

Cet Ange est bien obscur, mais que n’est-ce en plain jour249.

LIDAMANT.

En attendant la nuit, je m’en vay faire un tour.
Et toy ne manque pas en ce lieu de m’attendre,
Et si je tarde trop, fais advertir Leandre
1355 Qu'il souppe en arrivant, qu’il ne m’attende point.

FABRICE.

C'est me desesperer jusques au dernier point
Vous laisser aller seul ? je n’en ay nulle envie,
Où vous avez couru danger de vostre vie,
Où vous craignez un pere aussi bien qu’un rival,
1360 Où sans doute il vous peut arriver quelque mal,
Vous n’irez point tout seul si vous me voulez croire.

LIDAMANT.

Sçaurois-je estre en peril lors que je suis en gloire250 ?
Je ne puis là-dedans, estre qu’asseurement251.
[p. 95]

Scene VI. §

Leandre, Lidamant, Fabrice,

LEANDRE.

Où s’adressent vos pas ? vous sortez Lidamant !

LIDAMANT.

1365 Leandre, je ne sçay comme je vous puis taire
Ny comme j’ose aussi vous conter ce mystere ?
Un respect bien puissant me deffend de parler,
Mais mon bon-heur m’oblige à ne vous rien celer*
Aurez vous bien le temps pour ce soir ?

LEANDRE.

Ouy la flame
1370 Qui m’embraze le cœur, & me consomme l’ame,
Et l’ingrate beauté qui me donne des lois
Me donnent du loisir plus que je ne voudrois
Je suis à vous ce soir, & toute la nuict mesme

LIDAMANT.

Scachez donc, cher amy, que la beauté que j’ayme,
1375 M'a fait sçavoir icy que tout seul, & sans bruit,
Je ne manquasse pas de la voir cette nuict.
C'est celle dont tantost si vous avez memoire
Je commençois chez vous à vous conter l’histoire, [p. 96]
Qu'une fille arrivant en empescha le cours,
1380 Si je ne vous ay point achevé ce discours
C'est que je redoutois, veu mesme l’apparence,
De commettre en ce poinct contre vous une offence.
Mais esclaircy qu’à tort j’avois eu ce soubçon,
Que ce fait ne vous touche en aucune façon,
1385 Il faut absolument que je vous entretienne ;
Il n’est pas encor nuict, attendant qu’elle vienne,
Allons nous promener, je surprendray vos sens
Par le nombre infiny des rares accidents*
Qui me sont survenus, que vous croirez à peine.

LEANDRE.

1390 Encor de quel costé ?

LIDAMANT.

Tyrons devers la Seyne252.
Allons sur le Pont-neuf.

LEANDRE

En cette occasion
Je pourray divertir* un peu ma passion.

LIDAMANT à Fabrice.

Toy, va-t’en au logis.

FABRICE bas.

Non, je n’en veux rien faire,
Je les suivray tous deux leur deusse-je desplaire;
1395 Mais de peur d’estre veu, je les suivray de loing,
Je ne desire pas leur manquer au besoing253.
[p. 97]

Scene VII. §

LISIS, TOMIRE dans la ruë.

Lisis soustenant Tomire sous les bras.

Reposez-vous sur moy Monsieur, à l’heure mesme
Nous serons au logis.

TOMIRE.

Ma douleur est extreme.
Je ne puis resister à la force du mal.

LISIS.

1400 Qu'au diable soit donné le maudit animal
Qui vous a fait tomber, mettez vous à vostre aise.
Encor si nous pouvions rencontrer une chaise,

TOMIRE.

Je le voudrois Lisis, Ah Dieux je n’en puis plus.

LISIS.

Voyez cét escalier, reposez vous dessus
1405 Je vay voir si je puis en rencontrer quelqu’une.

TOMIRE.

Je plains ma fille helas sçachant mon infortune
J'ay peur que le regret ne la face mourir.

LISIS.

[p. 98]
Ayez soin seulement de bien tost vous guerir
Vous serez mieux pensé254 chez vous qu’à la Campagne.

TOMIRE.

1410 Je croy que le malheur de tout point m’acompagne,
Il est tard, ils seront tous retirez255 chez moy.

LISIS.

Il n’en faut point douter, Ouy Monsieur je le croy,
Il n’est pas encor nuit, mais Madame Orazie
N'est pas de celles là dont la coquetterie
1415 Les porte jour & nuit à vouloir cajoler.

TOMIRE.

Lisis en arrivant j’ay peur de l’esveiller.

LISIS.

Songez à vous Monsieur, je reviens tout à l’heure,
Quand vous l’esveilleriez craignez vous qu’elle meure.

TOMIRE.

Ah la jambe.

LISIS.

Attendez, je m’en vay de ce pas
1420 Au prochain Carrefour je ne tarderay pas.

Fin du quatriesme Acte.

[p. 99]

ACTE V. §

Scene première. §

Leandre, Lidamant, Fabrice caché.

LEANDRE de nuit.

L'Histoire me surprend.

LIDAMANT.

Dedans ces dependances256
Je laisse à vous conter beaucoup de circonstances
Qui la rendroient plus belle. A present qu’il est nuit
Et qu’elle m’attend seule, retirez vous sans bruit,
1425 Et me laissez aller.

LEANDRE.

Moy que je vous delaisse !
Me soubçonneriez vous de si grande foiblesse,
Vous estant veu chez elle en un si grand danger
Y retourner sans moy ce n’est pas m’obliger,
Non non, je suis vos pas, disposez de ma vie,
1430 Ne croyez pas pourtant que ce soit par envie,
De sçavoir vos secrets, ny troubler vostre Amour,
J'attendray dans la ruë & jusqu’au poinct du jour.
Ouy, je veux s’il le faut toute la nuit attendre.

LIDAMANT.

[p. 100]
Ce seroit abuser de vous, mon cher Leandre,

LEANDRE.

1435 On n’abuse jamais d’un veritable Amy
Celuy là ne l’est point qui ne l’est qu’à demy.
Quoy qu’il puisse arriver durant cette entreveue,
Sçachez que vous aurez un Amy dans la rue,
Qui pour vous seconder a le cœur assez fort,
1440 Et qui vous defendra mesme jusqu’à la mort.

LIDAMANT.

Puis-je douter de vous, & de vostre courage,
En voyant cette preuve ? & ce grand tesmoignage
Qu'il vous plaist me donner de vostre affection ?
J'accepte la faveur, mais à condition
1445 Que vous me traiteréz avec mesme franchise.

LEANDRE

Ne perdez point de temps suivez vostre entreprise

FABRICE bas caché derriere eux.

Je les voy, mais d’icy je ne les entends pas.
Approchons de plus pres, & marchons sur leurs pas.
Il s’approche.

LIDAMANT.

J'oy du bruit.

LEANDRE

[p. 101]
Qui va là ?

FABRICE.

Nul ne va, je demeure.

LEANDRE.

1450 Passez vostre chemin, viste mais tout à l’heure257.

FABRICE,

Et pourquoy ?

LIDAMANT.

Passez outre.

FABRICE.

Il n’est pas de besoin258
De passer plus avant, je ne vay pas plus loing.

LIDAMANT.

Amy que cherchez vous ?

FABRICE,

A vous rendre service.

LEANDRE l’espée à la main.

Passez, ou je.

FABRICE

Tout beau Monsieur, je suis Fabrice.

LIDAMANT.

1455 Que fais tu là ?

FABRICE.

Je viens.

LEANDRE.

[p. 102]
Retourne t’en maraut
Ou je te,

LIDAMANT.

Laissez le ne parlez pas si haut,
Ne faites point de bruit icy mon cher Leandre,
Celle que je viens voir nous pourroit bien entendre,
Son logis n’est pas loing.

LEANDRE.

Est-ce proche d’icy ?

LIDAMANT.

1460 Nous sommes arrivez peu s’en faut le voicy.

LEANDRE.

Quoy ! c’est là son logis ?

LIDAMANT,

Ouy c’est le logis mesme,
Que je cherche où se tient cette beauté que j’ayme,

LEANDRE.

A t’elle un pere ?

LIDAMANT.

Ouy259.

LEANDRE.

Quoy ! c’est cette maison,
Où l’on vous a tenu pres d’une heure en prison ?

LIDAMANT.

[p. 103]
1465 C'est la mesme maison & la mesme personne.

LEANDRE.

Où son pere.

LIDAMANT.

Arriva.

LEANDRE bas.

Que ce discours m’estonne.
Qui vous surprit chez elle, & qui vous obligea,
A vous cacher ainsi.

LIDAMANT.

Je vous l’ay dit desja,
C'est là que m’arriva cette belle adventure,

LEANDRE

1470 Amy, songez y mieux. La nuit estant obscure,
Vous nouveau dans Paris vous pourriez que je croy*,
Vous estre un peu mespris ?

LIDAMANT.

Vous mocquez vous de moy ?
Asseurement c’est là.

LEANDRE.

Cela ne peut pas estre.

LIDAMANT.

[p. 104]
Voila, je le sçay bien, sa porte & sa fenestre,
1475 Ne passez pas plus outre, Amy demeurez-là,
Je m’en vais apeler.

LEANDRE.

Que veut dire cela ?
Cette maison sans doute est celle d’Orazie
De quel estonnement est mon ame saisie ?
Quoy ! mon meilleur Amy seroit-il mon rival260

LIDAMANT.

1480 Retirez vous, je vay luy faire le signal,
Car je ne voudrois pas,

LEANDRE.

Vous m’avez ce me semble,
Conté lors que tantost nous discourions ensemble,
Que celle maintenant qui vous attend icy
Est la mesme qui m’a tant causé de soucy,
1485 Troublant de ma Maistresse encor la fantaisie.

LIDAMANT.

Ouy c’est la mesme.

LEANDRE bas.

Donc ce n’est pas Orazie,
Car nous estions ensemble, il n’en faut point douter,
Et que l’autre qui vint261

LIDAMANT.

[p. 105]
Je ne puis escouter.

LEANDRE.

Estoit.

LIDAMANT.

Tout beau l’on ouvre.

JULIE à la fenestre.

Est-ce vous.

LIDAMANT à Leandre.

On m’appelle.

JULIE.

1490 Est-ce vous Lidamant ?

LIDAMANT.

Ouy c’est moy.

LEANDRE bas.

L'infidelle.
C'est Julie. Ah grands Dieux, je suis tout interdit.

JULIE.

Attendez je descends.

LIDAMANT bas à Leandre,

La servante m’a dit
Qu'elle s’en va m’ouvrir.

LEANDRE.

Oyez je vous supplie.

LIDAMANT.

Je ne le puis.

LEANDRE bas.

[p. 106]
Ah perfide Julie,
1495 Si c’est.

LIDAMANT.

Elle m’attend.

LEANDRE.

La Dame.

JULIE à la porte.

Lidamant.

LIDAMANT.

Me voila.

LEANDRE.

Qui tantost.

JULIE.

Entrez donc promptement

LIDAMANT en entrant.

Nous nous verrons apres.
[p. 107]

Scene II. §

Comme* Lidamant entre Leandre veut entrer aprez luy, & Julie luy ferme la porte au nez.
LEANDRE, FABRICE

LEANDRE.

Me traitter de la sorte ?
Julie effrontément fermer sur moy la porte ?
Peut on voir justes Dieux un Amant plein de foy
1500 Plus troublé, plus confus, & plus trahi que moy ?
Comment ? je viens chercher au logis d’Orasie
Celle qui luy causoit tantost sa jalousie ?
Qui passant au travers de la Chambre où j’estois
Nous a si fort surpris, pendant que je parlois
1505 A la mesme Orasie ? ô l’estrange imposture,
Cherchons la verité, mais qui soit toute pure,
Elle a menti l’ingrate, icy tout m’est suspect,
Ne croyons que nos yeux, oublions tout respect.
Rompons tout, brisons tout, renversons cette porte.
1510 Que fais-je justes Dieux ? la colere m’emporte
Viens-je pas de donner parole à Lidamant ?
Mais qu’importe l’honneur, qu’importe le serment
Quand on brusle d’amour, qu’on meurt de jalousie,
Non non, je veux tout perdre en perdant Orasie, [p. 108]
1515 La perdre ? justes Dieux le pourrai-je souffrir262,
Rompons.

FABRICE.

Que faites vous Monsieur ?

LEANDRE.

Je veux mourir.
M'en peut-on empescher ? qu’est-ce qui me retarde ?

FABRICE.

Mourir ? que dites vous ? donnez vous en bien garde263.
On entend frapper de grands coups à la porte de devant.

LEANDRE.

Mais quel bruit est-ce là ?

FABRICE.

C'est quelque autre jaloux
1520 Qui frappe à quelque porte, aussy bien comme vous.

Scene III. §

Tomire, Julie, Leandre, Lidamant, Florimonde, Fabrice.

TOMIRE derriere le Theatre.

Ouvrez Julie, ouvrez.

JULIE derriere le Theatre.

[p. 109]
Grands Dieux je desespere,
C'est Monsieur.

LEANDRE

Je me trompe, ou c’est la voix du pere.
On entend des bruits d’espee derriere le Theatre.

FABRICE,

Quel bruit,

Tomire derriere le Theatre.

Penses tu donc eviter mon courroux*.

Lidamant sort avec Florimonde entre ses bras dans l’obscurité.

Ne vous estonnez point Madame asseurez vous.

TOMIRE.

1525 Dieux cruels qui souffrez ce meschant qui m’affronte
Comment me laissez vous survivre à cette honte.

LIDAMANT.

Puis que je suis dehors, je vous deffendray bien.

FLORIMONDE.

Menez moy droit chez vous, & je ne crains plus rien.

LIDAMANT.

[p. 110]
Cherchons un mien amy qui m’attend à la rue.

FLORIMONDE.

1530 Est-ce Leandre ?

LIDAMANT.

Ouy.

FLORIMONDE.

Grands Dieux je suis perduë,

LIDAMANT.

De quoy vous troublez vous ?

FLORIMONDE.

Lidamant escoutez,
Leandre est.

LIDAMANT.

C'est en vain que vous le redoutez,
Leandre est mon Amy, ne craignez rien Madame,
Il n’est plus temps icy de vous cacher.

FLORIMONDE.

Je pasme,
1535 Je suis morte autant vaut264.

LIDAMANT.

Leandre.

LEANDRE.

[p. 111]
Me voicy,

LIDAMANT.

Ah grands Dieux quel malheur vient d’arriver icy.

LEANDRE.

Ne le puis-je sçavoir ?

LIDAMANT.

Admirez mon adresse,
Comme* je discourois avecque ma maistresse,
Son pere est arrivé, qui frappe, & nous surprend,
1540 Personne ne respond, & sur l’heure on entend,
Que cedant à l’excez du courroux* qui l’emporte
Aydé de son valet, il rompt du pied la porte.
Et l’espée à la main, le bon homme est venu,
M'attaquer furieux. De peur d’estre cognu,
1545 N'ayant autre moyen, j’ay tué la chandelle,
Et dans l’obscurité, j’ay sauvé cette belle.
De peur qu’on n’ait dessein de courir apres nous
Je fay le guet icy, conduisez là chez vous.

LEANDRE.

Fabrice le peut faire avec plus d’asseurance
1550 Et nous demeurerons icy pour sa deffence.

LIDAMANT.

Seulle avec un valet & dans ce lieu suspect !
Non ce seroit par trop luy manquer de respect.
Moy de peur d’accident* je garderay la ruë,
Lidamant s’en va.
[p. 112]

Scene IV. §

Leandre, Florimonde, qui croit estre Orasie.265

LEANDRE en l’obscurité dans la rue.

A la fin Orasie.

FLORIMONDE bas.

Ah Dieux je suis perdue.

LEANDRE.

1555 A la fin je vous tiens, vous n’eschaperez pas.

FLORIMONDE bas.

Que dois-je devenir ?

LEANDRE.

Est-il homme icy bas,
Qui m’esgale en malheur ? ne craignez rien cruelle,
Encor que* vous soyez inconstante, infidelle,
Et que vous m’outragez jusqu’au dernier point266,
1560 Je vous garantiray, non non, ne craignez point.

FLORIMONDE bas.

Que sera-ce de moy ?

LEANDRE,

Grands Dieux est-il possible,
Que vous me reservez un tourment si sensible267 ?
[p. 113]

Scene V. §

Tomire, Lisis, Fabrice, Lidamant,
Tomire, & Lisis l’espée à la main.

TOMIRE dans la rue.

Si les forces du corps, me manquent, j’ay du cœur*,
& plus qu’il ne m’en faut pour venger mon honneur.

LIDAMANT l’espée à la main.

1565 Nul ne passe, arrestez.

TOMIRE.

Attend moy de pié ferme,
Infame, car ta vie est à son dernier terme,
Il faut que je te tuë.

FABRICE.

Ah je tremble de peur.

LIDAMANT.

Rejoignons nostre amy qui doit estre en lieu seur.

FABRICE.

Où diable suis-je allé ? j’estois bien las de vivre ?

TOMIRE.

[p. 114]
1570 Où vas-tu traistre ? Ah Dieux, je ne le sçaurois suivre,
Lisis mon mal me presse & ne puis advancer.

LISIS prend Fabrice.

Voicy quelqu’un des siens.

FABRICE pris.

Eusse je peu penser
Que mon maistre jamais m’eust delaissé ?

TOMIRE.

Qu'il meure,
Le traistre, le pendart, que ce soit tout à l’heure.

FABRICE.

1575 Monsieur, au nom des Dieux ayez pitié de moy.

TOMIRE.

Ton nom ?

FABRICE.

Le Curieux Impertinent268, je croy
Si la peur ne me trompe.

TOMIRE.

Infame rend l’espée.

FABRICE presentant son espée.

[p. 115]
Elle ne fut jamais aux combats occupée,
C'est trop peu de l’espée. Ah prenez mon chapeau,
1580 Mon poignard, mon pourpoint269, mes chausses270, mon manteau,
Et s’il en est besoin, jusques à ma chemise271.

TOMIRE.

Es-tu pas le valet ?

FABRICE.

Je parle sans faintise.

TOMIRE.

Du traistre qui ravit, l’honneur de ma maison,

FABRICE.

Ouy Monsieur je le suis, & vous avez raison.

TOMIRE.

1585 Son nom !

FABRICE,

C'est Lidamant qui loge chez Leandre.

TOMIRE.

Je ne te turay pas, mais je te feray pendre,

FABRICE.

Il faut en quelque lieu qu’il soit l’aller chercher272.

TOMIRE.

[p. 116]
Mais Lisis soustiens moy, je ne sçaurois marcher
Je periray plustost que l’affront m’en demeure.

Scene VI. §

Leandre, Florimonde, un valet, Orasie & Nerine, au logis de Leandre, dans l’obscurité.
Leandre vient chez luy avec Florimonde qu’iltient par la main, pensant tenir Orasie, ouvre avec la clef la porte, & Orasie &Nerine, escoutent dans la Chambre de Florimonde, en obscurité.

LEANDRE

1590 De la chandelle hola.

Un valet derriere le Theatre.

Bien Monsieur tout à l’heure.

Orasie dans la Chambre de Florimonde

bas à Nerine.
Escoutons ce que c’est, j’entends du bruit icy.

LEANDRE à Florimonde.

Me voila belle ingratte à la fin esclaircy ?
Pourriez vous soustenir.

Orasie à Nerine,

[p. 117]
C'est avec une femme
Qu'il parle, escoutons le ?

LEANDRE à Florimonde.

N'estre pas une infame ?
1595 Ingratte, desloyalle, inconstante, & sans foy ?
Que me respondrez vous ?

FLORIMONDE bas.

Justes Dieux sauvez moy.

LEANDRE à Florimonde.

Est-ce pour ce suject que vous estes venue
Tantost à mon logis ?

ORASIE à Nerine.

C'est celle que j’ay veue
Chez luy, c’est elle mesme.

LEANDRE à Florimonde.

Ay-je autre chose à voir ?
1600 Vous voila maintenant ingrate en mon pouvoir.
Voions si vous pourrez rencontrer quelque ruse
Quelle fourbe à present vous servira d’excuse273 ?
Aurez vous bien le front d’oser me maintenir
Que je me suis trompé ? pourrez vous soustenir
1605 Que cette verité soit fausse comme l’autre ?
Parlez donc respondez car il y va du vostre274. [p. 118]
Mais que pourrez vous dire ? ha miserable jour,
Qui premier alluma le feu de mon Amour.

ORASIE bas à Nerine.

Nerine escoute un peu de quelle hardiesse
1610 Il soustient son amour, & comme il le confesse.
Elle entre en l’obscurité par la porte qui respond dans la Chambre de Leandre.

NERINE,

Que faictes vous Madame ?

ORASIE bas à Nerine.

Ah Nerine je veux
Entrer dans cette Chambre afin d’approcher d’eux
Pour ouïr de plus pres ma sentence derniere.

LEANDRE.

Veut-on pas promptement apporter la lumière ?

Un valet derriere le Theatre.

1615 Je la cherche Monsieur, je m’en vay de ce pas.

FLORIMONDE bas.

S'il l’apporte grands Dieux, que ne dira t’il pas ?
Voyons si je pourrois de ses mains me deffaire.

LEANDRE.

[p. 119]
Respondez, n’ayant rien à dire, il se faut taire.

Florimonde s’eschappe de ses mains & dit bas.

Courage tout va bien, je suis hors de ses mains.
Leandre pensant reprendre Florimonde prend Orasie par le bras, qui se trouve au pres de luy dans la mesme Chambre.

LEANDRE.

1620 Vous pensez eschaper mais vos efforts sont vains.

FLORIMONDE bas.

Ah Dieux, si je pouvois trouver la porte ouverte.

LEANDRE.

Mais que gagneriez vous ? la fourbe est decouverte,
Non non, ne craignez rien, je seray trop vangé
Quand je vous convaincray de m’avoir outragé,
1625 La chandelle venant vous n’aurez plus d’excuse,
Je veux que vous soyez entierement confuse,
Et que vous n’ayez rien du tout à repartir*.
Et mesme vous oster le pouvoir de mentir.

ORASIE bas.

Je ne veux dire mot, il m’a prise pour elle,
1630 Quand on apportera tantost de la chandelle,
Et qu’il me cognoistra, Dieux qu’il sera surpris, [p. 120]
Voyant qu’il parle à moy.

FLORIMONDE bas.

J'ay repris mes esprits,
Quel heur* pour moy d’avoir trouvé la porte ouverte.
Sans cela j’estois morte, & courois à ma perte.
Elle entre dans sa Chambre & ferme la porte.
1635 Me voicy maintenant en lieu de seureté275.

LEANDRE.

Seray-je encor long temps en cette obscurité ?
De la chandelle hola.
Un valet apporte de la chandelle.
Monsieur, je vous l’apporte.

LEANDRE.

Sors promptement d’icy. Je vay fermer la porte.
Le valet sort & Leandre va fermer la porte.

ORASIE bas.

Dieux qu’il sera surpris à l’heure qu’il verra
1640 Que c’est à moy qu’il parle, & qu’il me cognoistra.

LEANDRE.

Et bien perfide, & bien desloyalle Orazie276 !
Est-ce une illusion que cette jalousie ?
Vous estes innocente, & vous avez raison.
Non, vous n’avez commis aucune trahison ?
1645 Vous n’avez point trompé Leandre qui vous ayme,
Mais peut-estre ay-je tort, & ce n’est pas vous mesme [p. 121]
Non, non, c’estoit un autre277 à qui je m’adressois,
Je me suis abusé Madame cette fois
Je me trompe sans doute & vous pren pour un autre.

ORASIE.

1650 Dieux ! c’est un procedé merveilleux que le vostre.
Quoy ! ne vous troubler point en cette occasion ?
Me voir d’un sens rassis, & sans confusion ?
Parler avec ce front, avec cette impudence ?

LEANDRE.

Ouy je me prens à tort à la mesme innocence278 ?
1655 Vous devez me blasmer. Car j’y procede mal
De vous livrer moy mesme aux mains de mon rival.

ORASIE.

Je devois en effect me plaindre la premiere
Leandre, cette ruse est un peu trop grossiere,
Vous voyant convaincu, dites moy de quel front
1660 Osez vous maintenant paslier cet affront ?
Vous voir entre mes bras lors que vous pensiez estre
Entre les bras d’un autre, & me faire paroistre
Que c’est illusion, & que c’est en effect
Moy que vous surprenez à present sur le fait ?
1665 Et ce qui fonde mieux cette surprise extresme [p. 122]
Feindre parler à moy comme* estant elle mesme279.

LEANDRE.

Voyez avec quel front cette infidelle ment.
Ah je perds de tout point icy le jugement,
J'estois avec un autre impudente effrontée ?

ORASIE.

1670 A quoy bon ce discours ? la mine est esventée280,
Mon oreille & mes yeux m’ont dit la verité.

LEANDRE.

Voyez la trahison, voyez la lacheté,
Mais cette femme encor qu’est elle devenue ?
Comment a t’elle peu disparoistre à ma veue.

ORASIE

1675 Pourquoy demandez vous ce que vous sçavez bien ?

LEANDRE

Cette fourbe est grossiere, & ne vous sert de rien.
Parlons avec raison, dites moy je vous prie,
Avez vous bien encor assez d’effronterie,
De vouloir devant moy nier impudemment,
1680 Que comme* vous estiez avecque Lidamant,
Vostre pere arrivant, vous a traittez de sorte
Qu'à tous deux il a fait soudain gaigner la porte ? [p. 123]
Que Lidamant n’a pas luy mesme eu le soucy
De vous mettre en mes mains pour vous conduire* icy ?
1685 Dites que j’ay menti, que j’ay peu me mesprendre
Qu'il est faux que je sois,

ORASIE.

Vous me raillez Leandre !
Quels contes fabuleux icy me faites vous ?
A moy qui dès ce soir n’a point esté chez nous ?
Dire que vous m’avez en ces lieux amenée,
1690 Moy qui chez vostre sœur ay passé la journée,
Exprez pour m’esclaircir, & voir ce que je voy.

LEANDRE frappe à la porte de sa sœur.

Nous le sçaurons bien tost, Florimonde ouvrez moy.

FLORIMONDE, ouvre, entre, & dit bas.

Il faut dissimuler,

LEANDRE.

Est-il vray qu’Orasie
Estoit avecque vous ?

FLORIMONDE.

Dieux quelle frenesie281,
1695 Orasie avec moy ! mais pour quelle raison ?
Je devois dans deux jours aller à sa maison,
Comme vous m’avez dit tantost pour cette affaire [p. 124]
Dont vous m’avés parlé, mais elle pour quoy faire,
Venir en mon logis.

ORASIE.

Quoy pouvez vous nier
1700 Que je sois arrivée icy pour vous prier
De demeurer ceans* ? & que vous ?

FLORIMONDE l’interrompant.

Ces paroles
Mon frere, ne sont rien que des contes frivoles.
Tout ce qu’elle vous dit est faux asseurement.

LEANDRE.

Et bien que dites vous, voyez vous pas comment
1705 On vous manque à present, Icy de garantie ?
Voyons si vous avez aucune repartie,
Ma sœur ne songe à vous en aucune façon,
Et d’elle vous voulez me donner du soubson,
Et par un procedé qui n’est pas legitime,
1710 Vous la faites tremper mesme dans vostre crime,
Mais je la cognoist bien je sçay bien quelle elle est.

FLORIMONDE bas à Orasie.

Pardonnez chere Amy, icy mon interest,
Doit marcher le premier282.

ORASIE.

[p. 125]
Je commence à comprendre
L'affaire comme elle est. Escoutez moy Leandre.
1715 Madame asseurez vous, que je n’oubliray rien,
Gardez vostre interest je garderay le mien.
Puisque la verité se depeint toute nuë,
Il faut qu’en cét estat elle vous soit cognuë,
Je veux declarer tout, & parler franchement.

NERINE.

1720 Quelqu’un frappe à la porte.

LIDAMANT derriere le Theatre.

Ouvrez.

LEANDRE.

C'est Lidamant
Nous sçaurons maintenant le nœu de cette affaire

FLORIMONDE bas.

Tout est perdu l’on va descouvrir le mistere,
Qui pourroit l’advertir du danger où je suis.
Rentrons, Dieux je retombe en un gouffre d’ennuis*.
Elle entre dans sa Chambre.
[p. 126]

Scene VII. §

Lidamant, Leandre, Orasie, Florimonde.

LIDAMANT.

1725 De crainte que quelqu’un vous suivist dans la ruë,
J'ay demeuré derriere, & bien qu’est devenue
La beauté que je viens de mettre entre vos mains.

LEANDRE luy montrant Orasie qui se cache.

Lidamant la voila, mais vos projets sont vains,
Si vous la pretendés. Car je perdray la vie,
1730 Avant que de souffrir qu’elle me soit ravie,
Elle est entre mes mains & j’en suis possesseur.

LIDAMANT.

Ce procedé Leandre est-il d’homme d’honneur ?
Voyez à quel amy justes Dieux, je me fie ?
M'user d’une si lasche, & noire perfidie ?
1735 Si vous ne me rendez, mais je dis au plustost,
La Dame que je viens de vous mettre en depost,
Nous romprons je vous jure, & nous aurons querelle.

LEANDRE luy monstrant Orasie.

Est-ce cette beauté.

LIDAMANT.

[p. 127]
Non non, ce n’est point elle,
Gardez bien celle-là, je ne la cognoy point283.

LEANDRE

1740 Mes sens sont à ce coup interdis de tout point,
Je suis tout hors de moy.

LIDAMANT.

Comme avez vous l’audace,
De vouloir supposer* cette Dame en sa place ?
Dites qui vous oblige à me traitter ainsi ?
Sy c’est que vous ayez d’autre dessein icy,
1745 Parlez moy clairement Leandre je vous prie,
Ce procedé vers moy passe la raillerie.
Comme* Florimonde escoute à la porte de sa chambre ce qu’on dit, Orazie la surprend & l’emmeine.

ORASIE prenant Florimonde par le bras.

Je m’en vais à tous deux remettre les esprits284,
Est-ce pas là l’object dont vous estes espris ?
Lidamant respondez.

LIDAMANT.

Vous mocquez vous Leandre ?
1750 Qui vous peut obliger à me vouloir surprendre ?
Pourquoy supposez* vous la Dame que voicy,
Si celle que je cherche & que j’aime est icy ?
Car en effect voila la beauté que j’adore. [p. 128]

ORASIE à Leandre.

Et bien Leandre, & bien, me direz vous encore,
1755 Qu'elle ne songe à rien, qu’elle ne sçait que c’est,
Je fais ici premier marcher mon interest285.

LEANDRE l’espée à la main.

Veilley-je ! ou si je dors ? infame cette espée
Au deffaut d’un poignard dedans ton sang trempée,
Me vengera bien tost, d’une perfide sœur,
1760 Il faut oster la vie, à qui m’oste l’honneur.

FLORIMONDE en fuyant.

Sauvez moy Lidamant.

LIDAMANT retenant Leandre.

Dieux ? que viens-je d’entendre ?
Comment donc ? cette Dame est vostre sœur Leandre ?

LEANDRE.

Ouy qui me doit payer un si sanglant affront,

LIDAMANT l’espée à la main.

Moderez vous un peu ne soyez pas si pront
1765 Je la sers, & je doy m’armer pour sa deffense.

LEANDRE.

[p. 129]
Son sang, ou je mouray, lavera cette offence
Sçachant bien qui je suis, vous imaginez vous,
Qu'aucun la serve à moins que d’estre son espoux ?

LIDAMANT.

Me l’accorderez vous si je vous la demande,
1770 En cette qualité286 ?

LEANDRE.

Quelle faveur plus grande
Pourois-je recevoir au monde, justes Dieux ?
Ma sœur seroit heureuse, & moy trop glorieux.

LIDAMANT à Florimonde.

Donnez moy vostre main puis qu’il plaist à Leandre.

FLORIMONDE.

Mon frere y consentant je ne m’en puis deffendre.
[p. 130]

Scene VIII. §

Tomire, Leandre, Fabrice, Lidamant, Orasie,Florimonde, Nerine, Lisis.

TOMIRE.

1775 Pardonnez si de nuit j’entre ainsi librement,
Je suis trop offencé, monstrez moy Lidamant.

LIDAMANT.

C'est moy, que voulez vous ?

TOMIRE l’espée à la main.

Je veux avoir ta vie
Traistre.

LEANDRE le retenant.

Moderez vous, calmez cette furie
Vous l’attaquez à tort, vous n’avez pas raison.

TOMIRE.

1780 Quoy ! je me plains à tort de cette trahison !
On m’a ravy l’honneur, & je me pourray taire287 ?

LEANDRE.

Si c’est pour vostre fille, il vous faut satisfaire.
Ce n’est point Lidamant, il espouse ma sœur.

TOMIRE.

[p. 131]
Qui de ma fille est donc l’infame ravisseur ?

LEANDRE.

1785 Il faut dessus ce point que je vous satisface.
Mais si je puis de vous obtenir cette grace
Qu'un glorieux Hymen nous unisse tous deux,
Vous me mettez, Monsieur au comble de mes vœux.

TOMIRE.

C'est vous qui comblez d’heur* toute nostre famille.
1790 Donnez luy vostre main, approchez vous ma fille.

ORASIE à Leandre.

Enfin je suis à vous.

NERINE.

O desplaisirs charmans,
O desordre agreable, ô bien heureux Amans.

LEANDRE.

Ne tardons pas Messieurs en ce lieu davantage,
Songeons à terminer ce double mariage.

Fin de la Comedie des Fausses veritez de Monsieur Douville.

Glossaire §

Accident
Hasard, coup de fortune.
V. 172, 564, 907, 1388, 1553.
Appas
Attrait, charme.
V. 254, 586.
Attraits
La beauté, le charme, la grâce d’une femme.
V. 1065, 1075.
Ceans
Ici.
V. 454, 1701.
Celer
Cacher, taire.
V. 465, 1265, 1368.
Cœur
Courage.
V. 1563.
Comme
Lorsque.
V. 90, 362, didascalie v. 601, v. 778, 1153, 1159, 1160, 1161, didascalie v. 1497, v. 1538, 1666, 1680, didascalie v. 1746.
Conduire
Accompagner quelqu’un par civilité, par honneur.
V. 555, 624, 1684.
Courroux
Colère, fureur.
Devant
Avant.
V. 398, 1494.
Divertir
Éviter, empêcher, détourner (d’une préoccupation).
V. 842, 908, 1392.
Encor que
Bien que, quoique.
V. 266, 877, 1558.
Ennui
Chagrin, souffrance.
V. 95, 204, 580, 1724.
Faveurs
Ce qu’une maîtresse accorde à celui qu’elle aime, il s’agit aussi de petits cadeaux qu’elles leur font.
V. 82, 154, 283, 286, 383.
Fortune
Le hasard, la chance, le destin.
V. 1146, 1326.
L’heur
le bonheur.
V. 347, 764, 1633, 1789.
Que je croy
À ce que je crois, à mon avis.
V. 400, 1471.
Prochain
Qui n’est pas loin, qui est proche.
V. 1164, 1227.
Recognoistre
Témoigner par de la gratitude que l’on est redevable envers quelqu’un de quelque chose.
V. 273, 653.
Répartir
Répliquer.
V. 732, 1627.
Supposer
Substituer.
V. 1742, 1751.
Succez
Au XVIIe siècle ce mot n’avait pas un sens exclusivement positif comme c’est le cas dans la langue actuelle. Furetière donne la définition suivante : « reüssite, issuë d’une affaire. Il se dit en bonne et en mauvaise part. »
V. 159, 1349.

Bibliographie §

Textes de référence §

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