LA FAUSSE ALARME
PASTORALE en UN ACTE

1776

Alexis PIRON

PERSONNAGES §

  • LYSIS, berger fidèle.
  • HYLAS, berger inconstant.
  • SYLVIE, amante de Lysis.
  • CHOEUR DE BERGERS et de BERGÈRES.
  • TIMARETTE, confidente, amie de Sylvie.
La scène est sur le bord du Lignon.

SCÈNE PREMIÈRE. §

UN BERGER, derrière le théâtre.

Au loup ! Au loup ! Au loup !
Le monstre en furie
Est dans la prairie
Qui ravage tout.
5 Au loup ! Au loup ! Au loup !
Venez, sortez tous
De la Bergerie,
Et rassemblons-nous !
Que chacun de vous
10 S’arme, cours et crie :
Au loup ! Au loup ! Au loup !
Que dira Sylvie ?
Ô funeste coup !
Sa brebis chérie,
15 A perdu la vie !

LE CHOEUR

Au loup ! Au loup ! Au loup !
Le monstre en furie
Est dans la prairie
Qui ravage tout;
20 Au loup ! Au loup ! Au loup !
Hallalis, aboiements, cors, cris, etc.

SCÈNE II. Hylas, Choeur de bergers. §

LE CHOEUR

Triomphe ! Victoire !
Le monstre est blessé ?
Il est renversé :
Un trait l’a percé :
25 Hylas la gloire
De l’avoir lancé.
Triomphe ! Gloire !
Hylas a la gloire
D’avoir devancé
30 Le plus empressé.
Triomphe ! Victoire !

HYLAS

Évitez la triste Sylvie :
Je le vois en pleurs s’approcher,
Toute prête à nous reprocher
35 Qu’elle a seule été mal servie.

SCÈNE III. Sylvie, Hylas. §

HYLAS

À la ville on perdrait une amante, un amant ;
Sans en être un moment
Moins gai ni moins tranquille.
Laissez, Belle Sylvie, un regret inutile.
40 Quoi ! Pour une brebis, vous pleurs daignent couler ?
N’en avez-vous pas mille
Pour vous en consoler ?
Pensons aux champs comme à la ville.
On y perd une amante, on y perd un amant,
45 Sans en être un moment
Moins gai ni moins tranquille.

SYLVIE

Léger en tout, comme en amours,
1
Hylas, portez ailleurs vos frivoles maximes,
Laissez-moi seule ici donner un libre cours
50 À mes pleurs légitimes ;
Ils me soulageront plus que tous vos discours.

HYLAS

Une ariette, une fanfare
Dissiperons cette vapeur
Et la fête qui se prépare
55 Vous rendra votre belle humeur.

SCÈNE IV. §

SYLVIE

Ô ma chère brebis, je t’ai prise à ma suite,
En venant ce matin, cueillir ici des fleurs ?
Moi-même j’ai causé ta perte et mes douleurs :
C’est moi-même qui t’ai conduite
60 Dans le lieu fatal où tu meurs !

SCÈNE V. Lysis, Sylvie. §

LYSIS

Qu’elle est heureuse, hélas ! De mériter vos larmes !
Et qui n’envierait son destin ?
Mais c’est trop se laisser accabler d’un chagrin
Qui me cause pour vous les plus vives alarmes.

SYLVIE

65 Je le tenais de votre main.

LYSIS

Ah ! Que ce peu de mots pour mon coeur a de charmes !
Ai-je bien entendu ? Répétez-les sans fin.
Pourquoi, pourquoi, belle bergère,
Cette brebis vous fut-elle si chère ?

SYLVIE

70 Je la tenais de votre main.

LYSIS

Partagez donc l’allégresse
Dont vous remplissez mon coeur !
Et montrez moins de tristesse
Pour un si petit malheur.
75 En amour est-il une peine,
Quand l’amour d’ailleurs est content,
Qu’il ne rende légère ou vaine,
Et qui dure plus d’un instant ?
Venez faire choix dans ma plaine
80 De l’agneau
Le plus beau
Du troupeau
Que je mène !
Chiens et troupeaux et bergers sont à vous.
85 Aimez, et tout vous sera doux.
En amour est-il une peine,
Quand d’ailleurs l’amour est content,
Qu’il ne rende légère et vaine,
Et qui dure plus d’un instant ?
90 Mais quoi, vous soupirez encore ?

SYLVIE

Votre coeur est tranquille, et le mien ne l’est pas.

LYSIS

Eh ! Quel autre soin le dévore ?

SYLVIE

Comment aimer, sans craindre les ingrats ?

LYSIS

Pensez-vous en avoir un, en moi qui les abhorre ?
95 Moi, qui vous aimerai par-delà le trépas ?

SYLVIE

Je vous en croirais... mais hélas !

LYSIS

Avez-vous des sujets de soupçon que j’ignore ?

SYLVIE

Non, mais si vous m’aimez...

LYSIS

Aimer ! Je vous adore.

SYLVIE

Eh bien, si vous m’aimez, rompez avec Hylas.
100 Ce berger malin, sans cesse
Rit de la fidélité,
Chante la légèreté,
Plaisante sur la tendresse ;
J’ai vu qu’avec plaisir souvent vous l’écoutiez.
105 Lorsque près de lui je vous laisse,
Je vous avouerai ma faiblesse,
Je crains de vous revoir autre que vous n’étiez.

LYSIS

Votre tranquillité fait celle de ma vie :
Je le fuirai, belle Sylvie.
110 La fête qu’il donne aujourd’hui,
Pour ce jour seulement l’un à l’autre nous lie :
Demain vous serez obéie ;
Demain, pour jamais je le fuis.

Ensemble.

Loin de nous tout volage
115 Qui nomme esclavage
Les noeuds les plus doux ?
Ramenons le bel usage
Des amours du premier âge :
Qu’on prenne exemple sur nous.
120 Loin d’ici tout volage
Qui nomme esclavage
Les noeuds les plus doux.
Sylvie sort brusquement voyant venir Hylas.

SCÈNE VI. Hylas, Lysis. §

HYLAS

Tête-à-tête avec ta Sylvie,
Tu n’as que les regards, les soupirs et la voix :
125 Et je n’interromps pas, je crois,
Des plaisirs bien dignes d’envie.

LYSIS

Est-il entre amants,
De plus doux moments
Que ceux où l’on se donne une foi mutuelle ?
130 Sylvie, avec plaisir, écoutait mes serments.
Nous nous jurions une amour éternelle.
Est-il entre amants,
De plus doux moments
Que ceux où l’on se donne une foi mutuelle ?

HYLAS

135 La bergère aime la constance,
Mais ce n’est que dans le berger :
Elle en parle souvent au moment qu’elle pense
Elle-même en changer.

LYSIS

Il est des bergères
140 Légères,
Je le sais, Hylas :
Mais je fais de même,
Que celle que j’aime
Ne l’est pas.

HYLAS

145 Tu n’as dans la tête
Que ton fol amour :
Songeons à la fête
Qui doit être prête
Pour la fin du jour.

LYSIS

150 J’y fais un mauvais personnage,
Et je l’y fais bien malgré moi.
Le rôle d’un amant volage
Devait n’être donné qu’à toi.

HYLAS

On fait ce qu’on veut de foi ;
155 Tranche moins de lamant fidèle,
Et me prends pour ton modèle.
Parlons-en de bonne foi :
Tu n’as des yeux que pour ta belle ;
Qu’une autre le soit plus qu’elle,
160 Tu passeras sous sa loi.

LYSIS

Trêve à ta morale offensante :
Donne-moi seulement et l’esprit et le ton
Des vers que tu veux que je chante.
Ici on entend un choeur de bergères qui chante.
Il n’est d’amours contents
165 Que les amours constants.

HYLAS

Dérobons-nous à la foule bruyante
Des bergères de ce canton ;
Et qui, sourdes à ma leçon,
De ta morale extravagante
170 Font retenir tout le vallon;
Ils sortent

SCÈNE VII. §

Entrée de bergères.

LE CHOEUR répète.

Il n’est d’amours contents,
Que les amours constants.

TIMARETTE

Aimons comme Sylvie,
Son bonheur y convie.
175 Il n’est d’amours contents,
Que les amours constants.

LE CHOEUR

Il n’est d’amours contents,
Que les amours constants.

TIMARETTE

La folle hirondelle
180 N’aime qu’à changer ;
Et chez l’étranger
Volez à tire d’aile.
Sans voir le danger
Qui vole autour d’elle
185 Cependant en paix, la sage tourterelle,
Près de son tourtereau fidèle,
Jouit, à l’abri des vents,
Et dans tous les temps,
Des plus doux plaisirs du printemps.

TIMARETTE et le CHOEUR

190 Il n’est d’amours contents,
Que les amours constants.

TIMARETTE, seule.

Qu’au dieu d’Amour Sylvie a de grâces à rendre !
Elle aime uniquement Lysis ;
Et Lysis, des bergers le plus beau, le plus tendre,
195 Est d’elle uniquement épris.

SYLVIE

Des bergers du hameau
Lysis est le plus beau ;
Mais il écoute Hylas ; Hylas est un volage :
Et les bergers aimés sont près d’être inconstants.
200 Ce Lysis aujourd’hui si fidèle et si sage
Le sera-t-il longtemps ?

LE CHOEUR

Il n’est d’amours contents,
Que les amours constants.

SYLVIE

Je les ai vus nous fuir : Je les vois reparaître :
205 Écoutons de ce cabinet ;
Voyons si je suis en effet
Aimée autant que je le crois être.
Elle va se mettre sous le feuillage.

SCÈNE VIII. Lysis, Hylas, et les bergères cachées. §

HYLAS

Goûte et retiens bien mes leçons,
Qu’un peu de gaîté les seconde.
210 Tâche d’avoir mon air et mes façons :
Et je te garantis tout le succès tu monde.

SCÈNE IX. LYSIS et les bergères cachées. §

LYSIS a voix basse, pas si basse pour que les bergères puissent entendre, commeelles ont entendu Hylas.

Il a raison en ce moment :
Prenons son ton, son caractère ;
Laissons-là le sentiment ;
215 Faisons valoir le talent ;
Ne songeons enfin qu’à plaire.
Il commence son rôle.
Hélas ! Hélas !
Que le suis las
D’être fidèle !
220 Est-il temps plus beau,
Que le renouveau ?
Ni rose plus belle,
Que la plus nouvelle ?
Aimer le même objet ! L’aimer jusqu’au tombeau !
225 La seule idée en est mortelle.
Ah ! Le pesant fardeau
Qu’une chaîne éternelle !
Hélas ! Hélas !
Que je suis las
230 D’être fidèle !
Il est mille sortes d’attraits
Qu’une beauté ne peut rassembler seule en elle,
Et dont on ne jouit jamais
Qu’en voltigeant de belle ne belle.
235 Hélas ! Hélas !
Que je suis las
D’être fidèle !
À part de l’autre côté de l’endroit d’où on l’écoutait, mais, assez bas pour qu’il ne puisse être entendu des bergères.
Je me fais à moi-même horreur en m’écoutant.
Ce rôle est abominable.
240 Je ne m’en sens pas capable :
Je m’en vais défaire à l’instant.

SCÈNE X. Sylvie, Timarette. §

SYLVIE

Fidèle amour, tu n’as donc plus d’asile !
Je croyais te trouver au fond de ces forêts ;
On te méprise aux champs comme à la ville,
245 Je les abandonne à jamais.
Qu’ai-je vu ? Qu’ai-je ouï ? Juste ciel ! Dois-je en croire
Mon oreille et mes yeux ?
Une infidélité si noire
A-t-elle pu fouiller ces lieux ?
250 Le perfide ! Il me jure
Qu’il m’aimera par-delà la trépas !
Ses ses serments je me rassure ;
Il me quitte, il rejoint Hylas :
Et le voilà parjure,
255 Hélas !
Fidèle amour, tu n’as donc plus d’asile !
J’ai cru te retrouver au fond de ces forêts ;
On te méprise aux champs comme à la ville,
Je les abandonne à jamais.
Elle brise sa houlette et jette au loin sa pannetière.

TIMARETTE

260 Ah ! N’abandonnez point une douce retraite
Où le calme d’un coeur souvent s’est rétabli !
Rappelez, relevez un courage affaibli,
Tous les jours on vous le répète :
L’infidèle berger, par son crime avili,
265 Fut-il d’ailleurs en tout un berger accompli,
Est peu digne qu’on le regrette,
Et ne mérite que l’oubli.

SYLVIE

Je ne dois à l’ingrat que mépris et que haine ;
Je l’en accablerai : mon coeur se le promet :
270 Mais quand on a tant pris de plaisir ou de peine
À serrer une chaîne,
Qu’on la brise à regret !

SCÈNE XI. Sylvie, Timarette, Hylas. §

HYLAS

Bergères, ma venue est peut-être indiscrète,
J’ai cru trouver ici Lysis.
275 Lui seul se fait attendre aux lieux où l’on répète
Le spectacle amusant que je vous ai promis.

SYLVIE

Sors de ma présence,
Berger odieux !

TIMARETTE

Tu blesses nos yeux ;
280 Laisse-là ta danse,
Tes chants et tes jeux.
Par eux l’inconstance
Infecte ces lieux ;
Avant leur licence
285 Nous vivions heureux
Et dans l’innocence.
Berger dangereux,
Tu blesses nos yeux.
Ensemble
Sors de ma présence ;
290 Berger odieux.

HYLAS

J’espérais de mes soins tout un autre salaire.

SCÈNE XII. Sylvie, Timaretten Lysis, Hylas. §

LYSIS, à Hylas.

Voilà ton rôle, Hylas ;
Quelque autre le peut faire :
Je ne m’en charge pas.

HYLAS

295 Autre boutade, et nouvel embarras !

LYSIS

C’est vous que je cherchais, trop heureuse Sylvie ;
Vous ne vous plaindrez plus des destins ennemis,
On a retrouvé la brebis
Que le loup vous avait ravie.

SYLVIE

300 Eh ! Je n’y songeais plus, Lysis.

LYSIS

C’est que vous la croyiez blessée ?
La dent ne l’a point offensée ;
Elle est comme elle était lorsque je vous l’offris.

SYLVIE

Telle qu’il plaît au sort de nous la rendre ;
305 N’étant plus pour moi d’aucun prix,
La prenne qui la voudra prendre.

LYSIS

J’ignore si je suis,
Et si j’entends Sylvie.
Que dites-vous ?

SYLVIE

Ce que je dis,
310 Je le dirai toute ma vie.

LYSIS

Quoi ! Cette brebis si chérie,
Que vous orniez de fleurs, que vous avez nourrie,
Qu’aujourd’hui vous pleuriez, enfin,
Par la seule raison, si j’ose vous en croire;
315 Et le répéter à ma gloire,
Que vous la teniez de ma main !

SYLVIE

Oui, je suis si peu constante,
Que cette même raisonnement
Me la rend indifférente.

LYSIS

320 Expliquez-moi cette énigme effrayante ?

SYLVIE

Les éclaircissements ne sont plus de raison.

LYSIS, à Timarette.

Ô vous, sa chère confidente !
Au nom de votre intime et tendre liaison,
De grâce, dites-moi ce qu’on veut que j’ignore !

TIMARETTE, à Sylvie.

325 Confondez-le d’un mot !

SYLVIE

Eh ! Que lui dire encore ?
Ignore-t-il sa trahison ?

LYSIS

Moi qui même ne puis la souffrir dans un autre !
Et quelle bouche a put m’en accuser ?

SYLVIE

La vôtre.

LYSIS

La mienne.

SYLVIE

Rougissez !

TIMARETTE

Berger une autre fois,
330 Quand vous vous croirez seul, élevez moins la voix.
Observez-vous avec un soin extrême.
Si vous n’êtes fidèle, au moins soyez prudent.
Pensez bas ; et que l’écho même
Ne soit pas votre confident.

LYSIS

335 Ah ! Voici déjà qui m’éclaire !

TIMARETTE

Tantôt, quand vous avez, à ce lieu solitaire,
De votre coeur léger confié les secrets,
De ces secrets Sylvie était dépositaire ;
Et dessous ce feuillage épais,
340 J’ai moi-même entendu comme elle,
Cette chanson toute nouvelle :
Hélas ! Hélas !
Que je suis las
D’être fidèle !

LYSIS

345 Enfin voilà tout le mystère !
Gloire, gloire aux tendres amours,
À Sylvie.
Je triomphe, belle bergère !
Car si je fus aimé, je le serai toujours.

SYLVIE, à Timarette.

Où tend ce discours ?
350 Qu’est ce qu’il espère ?
De quoi rit Hylas ?

HYLAS

De votre colère ;
De tout ce fracas,
Pour une chimère.

SYLVIE

355 Que me voulez-vous faire entendre ?

HYLAS

Le berger répétait ce rôle injurieux
Que, malgré lui, je lui fis prendre,
Et que tout à l’heure à vos yeux,
Il vient, malgré moi, de me rendre.

LYSIS

360 Avez-vous pu me croire infidèle un moment ?
Et comment le pourrais-je être,
Moi qui n’ai pu seulement
Me résoudre à le paraître !
L’étonnement vous arrache un souris.
365 Que votre bouche ajoute à ce sourire aimable,
Un mot, un seul mot favorable !

SYLVIE

Venez me rendre ma brebis.