NOSTRADAMUS
PARODIE DE ZOROSATRE

M. DCC. LVI. AVEC APPROBATION et PRIVILÈGE DU ROI.

Par M. T......

EN NORMANDIE ; Et se trouve, À PARIS, Chez Cuissart, Libraire, dans le milieu du Quai de Gevres.

ACTEURS §

  • LAENSBERGH.
  • GAILLARDIN.
  • AIGREFINE.
  • FOLLETTE.
  • COLPORTEURS.
  • NOSTRADAMUS.
  • DE LA PIERRE.
  • BERGERS.
  • BERGÈRES.
  • ALIX.
La Scène est au Mans.

ACTE I §

Le théâtre représente, la campagne du côté de l’Observatoire s que l’on voit dans le fond.

SCÈNE PREMIÈRE. Laensbergh, Gaillardin. §

GAILLARDIN.

Air : Damon, calmez, votre colère.
Qu’elle nouvelle prophétie
Vous brouille avec Nostradamus ?
Qui de vous, fuit la jalousie ?
Vos almanachs sont bien vendus :
5 L’un et l’autre fait des merveilles.
Qui sait lequel ment de vous deux ?
Votre nom vole jusqu’aux Cieux :
Il ne manque au fruit de vos veilles
Que d’être d’accord.

LAENSBERGH.

10 Vois donc si j’ai tort.
Air : Du haut en bas.
Du bas en haut,
Il met toute l’année entière?
Du bas en haut.
Il promet du froid pour du chauds
15 Mais la faute la plus grossière,
C’est qu’il a placé le tonnerre
Du bas en haut.
Air : Des trembleurs.
C’est pour en tirer vengeance
Que dans ces lieux par avance
20 Je te fais la confidence
Du piège que je lui tends.
Oui, je prétends satisfaire
Les transports de ma colère ;
Pour l’accabler je vais faire
25 Et la pluie et le beau temps.

GAILLARDIN.

Air : Le Seigneur Turc a raison.
Je ressens au fond du coeur
Des douceurs parfaites.
On ne peut pour notre honneur,
S’arranger mieux que vous faites.

LAENSBERGH.

30 Je connais un procureur,
Capable dans sa fureur,“
D’assigner les planètes.
Air : Je vous prêterai mon manchon, etc.
Tu dois servir mon stratagème :
La gloire est commune entre nous.
35 La nouvelle année, elle-même,
Doit sentir le poids de nos coups.
L’ingrate aussi s’arme contre mon style :
Après l’avoir fait bissextile,
Elle a changé
40 Et dérangé
Mon Méridien.
Je fuis Mathématicien ;
Mais je n’y comprends rien.

GAILLARDIN.

Air de Monsieur de Grimaudin.
Faisons pleuvoir à tasse pleine,
45 Toute la nuit,
Afin que demain on la prenne
Au saut du lit :
Et nous l’enfermerons soudain
Dans mon château de Gaillardin.

LAENSBERGH.

Air : Voulez vous être heureux amants ?
50 La dernière année en ces lieux,
Ce matin m’a donné parole.

GAILLARDIN.

Elle vient demeurez tous deux ;
Car je n’ai plus rien dans mon rôle.
Il sort.

SCÈNE II. Laensbergh, Aigrefine. §

LAENSBERGH.

Air Des Fraises.
Ma chère vous connaissez
55 L’embarras où nous sommes.
Les astres mal dispersés,
Verront les beaux jours passés
Sans pommes, sans pommes, etc.

AIGREFINE.

Air : Cet Oracle est plus fur, etc.
Je sens comme vous nos alarmes.
60 La nouvelle année a des charmes.
Mais à mon tour il faut que je cède le pas.
Ce qui me rassure et me venge,
C’est que dans neuf mois on la change.
1
Cet Oracle est plus sûr que celui de Calcas.

LAENSBERGH.

Air Du Mirliton.
65 Nostradamus seul m’inspire
Un jaloux ressentiment.
En tous lieux il me déchire
Et me prend apparemment
2
Pour un mirmidon,
70 Mirmidaine,
Pour un mirmidon dondon.

AIGREFINE.

Air : Valet chez une fermière.
Jalouse de l’avantage
Que ma rivale a sur moi,
La haine me dicte sa loi.
75 Qu’un astrologue est volage !
Nostradamus inconstant,
Comble Follette de beau temps.
Déjà le retour de Flore
L’embellit et la décore
3
80 L’hiver est au berniquet :
La fleur s’empresse d’éclore
Dans son joli jardinet.

LAENSBERGH.

Air De l’Anonyme.
Bientôt vous les verrez à mains jointes,
Implorer en vain notre pitié.
85 Mon compas eût toujours quatre pointes ;
Partageons tous €deux par la moitié.
Pour servir dans l’occasion.
Je vous laisse le porte-crayon.
Bientôt vous les verrez à mains jointes,
90 Implorer en vain notre pitié.

ENSEMBLE.

Air : Ziste, zeste, zon, zon, etc.
Par l’espoir mon âme entraînée,
Aux soins ne se refuse plus :
Vengeons-nous de Nostradamus,
Et de toute l’année.
95 Qu’il fasse du beau temps on non,
N’approfondissons point le reste.
Ziste, zeste, zon, zon zon,
Moquons-nous du quand dira-t-on ?

AIGREFINE.

Air : Réveillez-vous, belle endormie.
Mais la nouvelle année avance
100 Sur les pas des sots compliments,
Et ne fait plus la différence
Des ennemis et des parents.

LAENSBERGH.

Air : Vous m’entendez bien.
Évitons de fâcheux témoins,
Qui pourraient nuire à tous nos soins.
105 Je saurai la surprendre.

AIGREFINE.

Fort bien,
Quand on se fait entendre,
J’entends toujours bien.
Ils sortent.

SCÈNE III. §

FOLLETTE, seule.

Air : Dans ma cabane obscure.
Je ne suis plus la même,
110 Depuis que dans ce lieu,
Le seul objet que j’aime,
Vint pour me dire adieu.
Le Soleil m’importune,
Quand je ne te vois plus :
115 Reviens avant la Lune,
Mon cher Nostradamus.
Air •: Votre cour, aimable Aurore.
Je n’entends plus sur la branche,
Le chant des tendres oiseaux.
Il a plu depuis Dimanche ;
120 Pour mon amant quels travaux,
S’il faut qu’il paye la planche,
Pour passer les grands ruisseaux !
Air : À quoi s’occupe Magdelon ?
Que l’année a peu de beaux jours !
Quand on espère sans cesse,
125 Que l’année a peu de beaux jours !
Quand on espère toujours.
Je ne puis passer les instants,
Sans l’objet de ma tendresse,
Je ne puis palier les instants.
130 Sans dire de temps en temps,
Que l’année a peu de beaux jours,
La nuit annonce une éclipse de Soleil.
Air : Voici les Dragons qui viennent.
Mais quelle éclipse à la ronde !
Non, rien n’est pareil.
135 Que faut-il que je réponde?
J’ai promis à tout le monde,
Un beau Soleil, un beau Soleil.

SCÈNE IV. Follette, Aigrefine. §

AIGREFINE.

Air : Ciel ! L’Univers !
C’est trop longtemps épargner ma rivale :
N’écoutons plus que mes transports jaloux.
140 Qu’au moins la vengeance égale
Le mépris qu’on fait de nous.
Mais, je n’étale
Que du courroux.
Depuis plus de deux mois,
145 J’en veux sans cesse
À la traîtresse,
Et je la laisse
Jouir de mes droits.

FOLLETTE.

Air : Je viens devant vous.
Quel est mon forfait ?
150 Et qu’ai-je fait ?
Qui vous outrage ?
Que puis-je sitôt ?
Je ne suis encore qu’en maillot.

AIGREFINE.

•C’est assez pour armer mon courage.
155 On manque à tout âge.
De Nostradamus
N’espère plus
Voir l’avantage.
Il me pousse à bout :
160 Mais je vais lui river son cloud

FOLLETTE, à part.

Air : Réformez ma musette.
O Ciel ! Prends sa défense,
Tu connais sa science :
Donne pour les combats,
Le fil à son compas.
Air De Joconde.
165 N’avez-vous pas eu votre tour
Avec plus d’avantage ?
4
Un Prince vient de voir le jour.
Quel plus heureux partage.
Si lorsqu’on reçoit cet honneur,
170 Chacun nous porte envie :
Je souhaite de tout mon coeur,
Causer la jalousie.

AIGREFINE.

Air De Monsieur de Casinas.
Perfide, il te sied bien de me braver ici.
On est sûr de sa grâce, en s’excusant ainsi,
175 Si je me plains de toi, c’est dans tes trahisons ;
Que ne m’as-tu toujours donné de ces raisons ?
Air : Entre l’Amour et la Raison.
Mais il n’est point dans ton logis,
Jusqu’à votre servante Alix,
Qui ne se mêle de médire
180 Sur l’almanach de l’an passé.
Si mon coeur paraît courroucé,
Je crois que cela doit suffire.

FOLLETTE.

Air : L’occasion fait le larron.
Malgré l’orgueil de vos mathématiques,
Nostradamus est bien au-dessus d’eux :
185 Leur plus haut volv c’est l’appui des boutiques ;
Le lien s’élève jusqu’aux Cieux.

AIGREFINE.

Air De Polichinel.
Me répondre avec cette audace !
Je dois m’en venger dès ce jour.
On n’a pour moi que de la glace ;
190 Je veux que tu gèlz à ton tour.
Air : Ramonez-ci, etc.
Venez servir ma vengeance,
Victimes de l’indigence,
Que l’année offre au destin,
Saisissez-la,
195 Conduisez-la,
Enfermez-la,
Dans la cave à Gaillardin.

SCÈNE V. Gaillardin, Choeur de Colporteurs, Follette, Aigrefine. §

COLPORTEURS.

Air : De la Turque.
Nous obéissons,
Car la misère nous assomme,
200 Nous obéissons,
Et sommes pis que des démons.
Nous ne vendons pas
La valeur d’un coup de rogome,
Nous ne vendons pas
205 La moitié de nos almanachs.
Et en, et en, et
Enfin il est temps
Que nous nous vengions,
Car la misère nous assomme,
210 Que nous nous vengions
Nous sommes pis que des démons.

FOLLETTE, qu’on emporte.

Air : De la béquille.
Au secours ! Au secours !
À l’aide ! L’on m’emporte.

AIGREFIN, aux Colporteurs.

Enlevez-la toujours :
215 Et fermez bien la porte.
Sans fenêtre ni grille,
Elle ne pourra pas
Retrouver la béquille
Du père Barnabas.
Elle sort.
Le théâtre change et représente une place publique. On voit dans le fond, les dehors du château de Gaillardin.

SCÈNE VI. §

NOSTRADAMUS, tenant une lunette d’approche.

Air : Dans le bel âge.
220 De mon étoile,
J’ai lieu d’être content.
Tout se dévoile
À mon art pénétrant.
Qu’on apprenne en ces lieux
225 Quel bon vent jusqu’aux Cieux,
M’a conduit à la voile.
Éblouissons les yeux
De mon étoile.
Air : Attendez-moi sous l’Orme.
Cependant quand j’y pense,
230 Mon cour ne craint pas moins
Que pendant mon absence
On ait trahi mes foins.
L’Année est bien folâtre
Dans ses premiers désirs :
235 On en est idolâtre
Jusqu’aux derniers soupirs.
De la Pierre fait claquer son fouet dans la coulisse.

SCÈNE VII. Nostradamus, De La Pierre. §

NOSTRADAMUS.

Air : Babet, que t’es gentille.
Quel est ce bruit confus ?
Mon cher de la Pierre.

DE LA PIERRE.

C’est pour Nostradamus,
240 Que je mets pied à terre.
D’où diable viens-tu ?
Depuis qu’on t’a vu,
Une année est passée.

NOSTRADAMUS.

J’avais affaire aux Éléments :
245 Et pour vouloir avec le temps,
Faire entendre raison aux vents,
J’ai la tête cassée. (bis)

DE LA PIERRE.

Air De tous les Capucins.
5
Le temps que tu fus chez Borée
Fit du tort à ta chicorée.
250 Mais j’ai le remède à tes maux.
A ton honneur, le mein se borne.
J’ai monté sur mes grands chevaux
Pour comabttre le Capricorne.

NOSTRADAMUS.

Air De la chaîne, contredanse.
Par quelque nouvel outrage,
255 Veut-on me pousser à bout ?

DE LA PIERRE.

Ne faisons point de tapage
Et je te réponds du tout.
Il faut déloger sans tambour ni trompette.
Viens, et te jette
6
260 Sur ma mazette.
Courrons au plutôt
Tirer du cachot,
Notre innocente Follette.

NOSTRADAMUS.

Air : Ahi ! aji ! ahi ! Jeannette.
Que viens-tu m’apprendre là ?
265 Ah ? Malheureuse planète !
Puis-je encore après cela,
Fixer vers toi ma lunette.
Ahi ! ahi ! ahi !
Ahi ! ahi ! ahi ! Follette,
270 Follette, ahi ! ahi ! ahi !

DE LA PIERRE.

Air : Un inconnu.
Rassure-toi, je ferai ton affaire :
Des ennemis, je saurai disposer.
Leur ton sévère
Va s’apaiser.
275 Contre un bourgeois, ils pourraient s’opposer,
Un Gentilhomme est un autre adversaire.

NOSTRADAMUS.

Air : Manon dormait.
Dans mon malheur,
J’aurai trouvé main forte,
Un Procureur
280 Demeure à cette porte :
Mais je n’ose ma foi...

DE LA PIERRE.

Pourquoi ? Pourquoi ?

NOSTRADAMUS.

Je n’ai pas un denier sur moi.

DE LA PIERRE.

Air : De Saint Cloud.
J’ai dans ma malle une échelle
285 Pour sortir de l’embarras.
Va te mettre en sentinelle :
Bientôt je suivrai tes pas.
Prends garde qu’on ne t’écoute.
Aujourd’hui chez Gaillardin,
290 Je veux t’ouvrir une route,
Pour pouvoir goûter son vin.

NOSTRADAMUS, l’embrassant.

Air : De la Magnotte.
Pour reconnaître amplement,
L’amitié qui te lie :
Je ne veux pas seulement
295 Te remplir de génie,
Mais de ta pro, mais de la pro,
Mais de la prophétie.

DE LA PIERRE.

Air Du Confiteor.
Sans intérêt je prends ces soins.
Mais sortons car l’heure s’avance.
300 Pour le machiniste du moins,
Ayons un peu de complaisance.
Pour mieux nous prêter au sujet,
Attendons le coup de sifflet.
Ils partent d’un côté, Nostradamus rentre seul de l’autre.

SCÈNE VIII. §

NOSTRADAMUS, seul.

Air : Quel désespoir !
Qu’un tendre cour,
305 Quand il craint tout pour ce qu’il aime,
Qu’un tendre cour,
Éprouve un fort plein de rigueur.
Mon pouvoir suprême
Dispose du soleil même :
310 Mais l’amour extrême
Ici me fait trembler de peur.
Qu’un tendre, etc.

SCÈNE IX. Nostradamus, De La Pierre. §

DE LA PIERRE apporte une échelle de corde.

Air Lafarira dondaine, gai !
Avec ce gradin y
Je monte à la lune :
315 Pour notre dessein,
C’est une fortune.

NOSTRADAMUS.

Bon,
Lafarira dondaine gai
Lafarira dondé.

DE LA PIERRE.

Air : Pour voir un peu comment ça fra.
320 Lâche l’échelle et la tiens bien ;
Ce soupirail nous est utile.

NOSTRADAMUS.

Lâcher t tenir ? Le moyen
Me paraît un peu difficile.

DE LA PIERRE.

Fais toujours ce qu’on te dira,
325 Pour voir un peu comment ça f’ra,

NOSTRADAMUS, lâchant l’échelle par le soupirail.

Air : Enfants de Paris, etc.
Toi, qui cause tout mon souci,
Es-tu là-bas ? Je suis ici.
Follette ? Follette ?

FOLLETTE, dans la cave.

Air : Mon joli petit etc.
Mais ? Qui m’appelle dans la rue ?

NOSTRADAMUS.

330 Méconnais-tu la voix de ton amant ?
Ma Follette, as-tu la berlue ?
Vois cette échelle, et monte promptement.

FOLLETTE.

Je vous obéis de bon cour,
Mon joli petit, mon petit joli,
335 Mon joli petit protecteur.
Elle sort par le soupirail.

SCÈNE X. Nostradamus, De la Pierre, Follette. §

FOLLETTE.

Air : Ah ! Maman, que je l’échappai belle !
Ah ! Pour le coup, je l’échappai belle !
Par votre secours,
Je dois mes jours
À cette échelle.
340 Ah pour le coup je l’échappai belle !
Une heure plus tard,
Les rats me prenaient pour du lard.

NOSTRADAMUS.

Air : Ça que je mette, etc.
Viens çà qu’on te mette,
Charmante Follette,
345 Viens çà qu’on te mette
Plus en sûreté.
De ta liberté,
Tu nous dois la conquête.
Viens çà, etc.

FOLLETTE.

Air : Sans le savoir.
350 Je ne reviens point de la crainte
Que me cause ce labyrinthe.
Si vous saviez comme il est noir
Pour un instant, je vous en prie,
Descendez, vous pourrez le voir.

DE LA PIERRE.

355 Nous nous passerons bien, ma mie,
De le savoir.

FOLLETTE, à Nostradamus en le caressant.

Air : Pour passer doucement la vie.
Malgré l’excès de ma tristesse,
Je parlais de vous nuit et jour.

NOSTRADAMUS, à De La Pierre.

L’oreille me connaît sans cesse :
360 C’est la preuve de son amour.

DE LA PIERRE.

Air De Lustucru.
Oui d’une tendresse extrême,
C’est une preuve en effet.
Le mot de corne pourrait
Renfermer plus d’une emblème :
365 Mais si l’un de nous connaît,
C’était Follette à merveille:
Mais si l’un de nous connaît,
C’était Follette au guichet.

FOLLETTE.

Air : Vous avez raison, la Plante.
J’aime assez qu’on me badine :
370 Il est bon sur ce ton-là, larira.

AIGREFINE, dans la coulisse.

Arrête ! Arrête ! Ah ! Coquine,
Bientôt l’on te rejoindra,
Tu verras.

DE LA PIERRE.

Sauvons-nous : c’est Aigrefine.
375 M’attrapera qui pourra.
De la Pierre s’enfuit en faisant claquer son fouet. Nostradamus et Follette le suivent.

SCÈNE XI. Laensbergh, Aigrefine, Les Colporteurs. §

LES COLPORTEURS, ensemble.

Air : tampons, tampons.
Voyons partout avec soin. (bis)
Mais ils sont déjà bien loin. (bis)
Quelque détour me les cache :
Qu’à les trouver on s’attache.
380 Cherchons, cherchons,
Camarades, cherchons.
Les Colporteurs sortent.

LAENSBERGH, à Aigrefine.

Air : Nous autres, bons villageois.
Mais ne vous trompez-vous point ?
Était-ce bien notre Follette ?

AIGREFINE.

Soyez d’accord sur ce point,
385 Qu’on ne peut mieux voir sans lunette.
Je n’eus pas besoin de chercher
De quoi me les rapprocher.
Comme j’ai vu tous les objets,
On ne peut les voir de plus près. (bis)
Gaillardin rit avec éclat, en montant par le soupirail, une chandelle à la main.

LAENSBERGH, à Aigrefine.

Air : Adieu paniers.
390 Cette joie est des plus parfaites,
Mais n’a point de charmes pour moi.
Apercevant Gaillardin appuyé sur le soupirail.
Mon cher Gaillardin est-ce toi ?

GAILLARDIN, sortant du soupirail, riant.

Adieu, paniers vendanges sont faites.

SCÈNE XII. Laensbergh, Aigrefine, Gallardin. §

GAILLARDIN.

Air : Turelurelure flon flon.
J’ai trouvé le nid,
395 Mais tout dégarni.
On peut déloger de la sorte,
Sans forcer ni fenêtre ni porte.
Pour se tirer d’un mauvais pas.
On trouve l’esprit qu’on n’a pas.
400 Jeune fille avec des appas,
Sait toujours sortir d’embarras,
Turelurelure flon, flon, flon,
Chacun à son tour et son allure.

LAENSBERGH.

Air : Des Pierrots.
Ah ! Que n’ai-je aperçu plutôt
405 Cette ouverture !
J’aurais, je vous jure,
Bien su prévenir le complot,
Qui me fait passer pour un sot.
Pour rendre la cave plus sûre,
410 Je n’aurais point pris celle de devant :
Et voilà comme, et voilà justement,
Comme elle a son élargissement.

AIGREFINE.

Air: Pour héritage.
Dans sa retraite,
Je ne m’en prends qu’à vous.
415 Si la Follette
Échappe à mon courroux,
Vous, qui n’osiez
Faire la sentinelle :
Mais je prétends sur cette échelle,
420 Que vous me vengiez.
Air : Ma commère, quand je danse.
Je veux qu’en notre présence,
Le feu n’en laisse plus rien.
L’un, par ici, l’autre par là,
La, la, la, la, la, la, la, la, la, la.
Elle apporte l’échelle au milieu du théâtre, et y met le feu, en prenant Gaillardin d’un coté et Laensbergh de l’autre : ils dansent en rond.

TOUS TROIS.

425 Ma commère, quand je danse,
Mon cotillon va-t-il bien ?

LAENSBERGH.

Air : Maman qu’est-ce qu’ils faisaient donc ?
Pour vous prouver combien je prends
Intérêt à votre vengeance
Des astres les plus malfaisants
430 Je vais emprunter la puissance.

AIGREFINE.

Pour les démons,
Je t’en réponds,
Ainsi que des furies
Les voisines des environs,
435 Sont mes bonnes amies.
Ils sortent.
Le théâtre change et représente comme au commencement de la pièce.

SCÈNE XIII. Nostradamus, Follette, bergers et bergères, qui se réjouissent du retour de la nouvelle année. §

NOSTRADAMUS.

Air : Mon père, aussi ma mère.
Tu vois, chère Follette,
Ces Bergers te chérir,
Et courir
Au son de la musette ;
440 Faire pour ton plaisir,
Coussi, coussa, asterla,
Les bons amis que voilà.
Une Bergère danse un Berger chante.

UN BERGER.

Air : Dan mes hameaux, la paix. etc.
On peint l’Amour dénué de es charmes,
Quand on nous dit qu’il est trop dangereux.
445 Tel qui nous croit épargner bien des larmes,
Conduit nos pas vers les soins amoureux.
Les yeux charmants d’un objet qu’on adore,
Des plus beaux jours présente la clarté :
Et l’année est toujours à son aurore,
450 Quand on la passe auprès de la beauté.
Le tonnerre et la grêle annoncent une orage ; les Bergers se sauvent.

NOSTRADAMUS.

Air : Ne v’là t’il pas que j’aime !
Le temps se plaît à me trahir :
Et le diable s’en mêle.
C’est assez qu’on veuille sortir,
Ne v’là-t-il pas qu’il grêle !
Air : Tes beaux jeux, ma Nicole.
455 Il faut, chère Follette,
Changer notre logis.
Fais porter ta cassette
Par ma servante Alix;
Va dans l’Observatoire,
460 Goûter la liberté :
Ici, je ne puis croire
Tes jours en sûreté.

FOLLETTE.

Air : Je veux être son époux.
J’y consens quoiqu’à regret. •
C’en est fait,
465 Je vais faire mon paquet :
Oui, cher amant, je te quitte,
Mais suis-moi tout au plus vite.
Ils s’embrassent. Elle fort.

SCÈNE XIV. §

NOSTRADAMUS, seul.

Air : Quel voile importun, etc.
Quel fâcheux rival me gêne !
Ne puis-je, grands Dieux !
470 L’éclipser de ces lieux ?
Mais, toi, l’objet de ma peine,
Chère année, au moins
Profite de mes soins
Pour te rendre utile à la terre.
475 Du Soleil je fixe le cours,
Malgré les vents et le tonnerre,
C’est moi, qui prends le soin de tes jours.
Quel fâcheux, etc.
Nostradamus t’ordonne
480 De choisir un autre séjour :
Tu nous inspire trop d’amour,
Pour que l’on t’abandonne.
Quel fâcheux, etc.

FOLLETTE, derrière le Théâtre.

Air : L’Amour me fait lon, lan, là.
La peur me fait lon, lan, là,
485 La peur me fait mourir.

NOSTRADAMUS.

N’entends-je pas Follette,
Dans ces lieux revenir ?
Dans quel trouble me jette
Ce nouveau déplaisir ?

FOLLETTE, entre, soutenue par Alix.

490 La peur me fait, etc.

SCÈNE XV. Nostradamus, Follette, Alix. §

NOSTRADAMUS.

Air : La jeune bergère.
Quel sujet, ma chère,
Vous a mis comme vous voilà ?
Ma petite mère,
Contez-moi çà.

ALIX.

495 Mais à la moutarde,
Je vois que vous vous amusez :
Plus le secours tarde,
Plus vous l’exposez.
Air : Sous un Ormeau.
Dans ce flacon,
500 J’ai de quoi mettre à la raison
Les plus obstinés.
Avalez-en par le nez :
Elle jette tout au visage de Follette.
T’nez.
Il faut pour plus d’effet,
505 Lui délasser un peu son corset.
Mais elle ouvre les yeux.

FOLLETTE.

Air : Ah ! Je sens que je suit un peu mieux.
Je n’étais plus,
Sans vous, mon cher Nostradamus,
Mon cour s’éteignait,
510 Et c’en était tout-à-fait
Fait.

NOSTRADAMUS.

Air : Voilà la différence.
Je vous croyais loin d’ici ;
Et j’allais partir aussi
Voilà la ressemblance.

ALIX.

515 Oui, mais sur le grand chemin >
On nous enleva fort bien :
Voilà la différence.
Air : Tout roule aujourd’hui dans le monde.
À peine le pas de la porte
Était-il loin de nos talons,
520 Qu’on nous arrête et qu’on nous porte,
La tête dans nos cotillons.
En vain on voudrait à la piste,
Pouvoir nous suivre d’un peu près :
Et sans un accident plus triste,
525 C’était fait de nous pour jamais.
Air : Voulez-vous savoir l’histoire, etc.
J’étions près de la rivière
Et quasi dedans ,
Quand le cheval en colère,
Prit le mort aux dents :
530 Puis frappant contre une butte ;
Près du parapet
Je vis faire la culbute
Au cabriolet.

NOSTRADAMUS, à Folette.

Air : Je ferai mon devoir.
Tombant avec nos ennemis,
535 N’as-tu rien de démis ? (bis)

FOLLETTE.

Non par bonheur ils vont sans nous
Aux filets de Saint-Cloud. (bis)

ALIX.

Air : La bonne aventure, ô gai ?
Chacun voyant le danger,
Cherche à s’en exclure :
540 Mais le sort pour vous venger ,
Les empêcha de nager.

TOUS TROIS.

la bonne aventure, ô gai !
La bonne aventure.

NOSTRADAMUS.

Air : Le Démon malicieux.
Quel éclat se répand dans ces lieux ?
545 Je crois voir descendre tous les Dieux,
J’aperçois par un signe céleste,
Le temps lui-même embellir les saisons,
Et sa faux bien loin d’être funeste,
Va nous servir aux fécondes moissons.

SCÈNE XVI. Nostradamus, Follette, Alix. §

ALIX.

Air : Va, va, Fanchon, J’irai en salle.
550 Ma foi, le temps est un bon diable,
De nous protéger jusques là.
Oh ne voit rien de plus affable
Parmi les choeurs de l’Opéra.

FOLLETTE.

Air : Quand la mer rouge apparut.
Goûtons des amants heureux,
555 Les flammes nouvelles.
L’année est un jour pour eux,
Quand ils font fidèles.

NOSTRADAMUS.

Oui, je veux pour tes appas
Laisser lunette et compas.
560 Je suis vo, vo, vo : je suis lon, lon lon ;
Je suis vo, je suis lon ;
Je suis volontaire
Du Dieu de Cythere.

DIVERTISSEMENT. §

BALLET DES QUATRE SAISONS. L’Hiver une Ravaudeuse, un chaudron à la main. LE PRINTEMS, une Bouquetière. L’ÉTÉ, un Savetier, un tranchet à la main au lieu de faucille. L’AUTOMNE, un Colporteur de chansons, jouant du violon ; ayant des bouteilles d’osier autour de lui, en forme de ceinture, pour faire boire tous ceux qui lui achètent.