**** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_carlos *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_carlos Vous vous estes trompé Dom Pedre asseurement ! Ce que vous m'avez dit me paroist une fable. Quoy, celle qui l'habite, a soixante ans passez ? Ce mystere caché redouble mon enuie⁎. Celle qui dans ce lieu m'a de nuict appellé, Et d'une grille basse obligeamment parlé, Sans doute est jeune & belle, ailleurs je l'ay connüe, Quoy qu'elle ait dérobé son visage à ma veuë ; Son port, sa bonne mine, & son esprit charmant, Tous seuls d'un insensible auroient fait un Amant, Cependant, dittes vous D. Pedre, la Maistresse De ce logis est vieille ? Enfin ce n'est pas là le charme qui m'attire : Celle qui m'a rangé desja sous son empire A l'esprit admirable, & j'en puis juger mieux Que des attrais⁎ qu'un voile a cachez à mes yeux. Mais je suis fort trompé si ce voilé visage N'a sur l'esprit visible encor quelque advantage : Oüy, quoy qu'on m'ait D. Pedre ordonné le silence, Je veux bien vous en faire entiere confidence ; Je voy que vous m'aimez, je vous connoy discret. Oyez donc l'advanture, apprenez mon secret. Vous avez desja sceu qu'apres cette campagne, A dessein de voir Naple estant party d'Espagne, Le brave⁎ Duc d'Ossonne à qui j'ay cet honneur D'appartenir un peu, m'en a fait Gouverneur. Comme il a cet hyver avec magnificence, En faveur de Philippe estallé sa puissance Pour son avenement aux Royaumes divers Qui le font quasi voir maistre de l'Univers, J'ay receu tant de gloire en honorant la feste, Que les Pris des Tournois ont esté ma conqueste. Ces sublimes⁎ honneurs que je n'attendois pas Ont fait trouver en moy je ne sçay quels appas⁎. Les Dames à l'envy celebrant ma Victoire, Par dessus mon merite ont eslevé ma gloire ; Je me suis veu par tout honoré, carressé⁎, Mais comme en la faveur on se trouve ençensé, Jugeant que ces honneurs me venoient en partie Du sang du Viceroy, j'ay creu ma modestie. Plus on m'a veu modeste, & plus on a cherché De montrer en son jour l'esclat que j'ay caché ; Vous l'avez veu D. Pedre, & sçavez que Lucille Le plus Riche party de cette grande Ville M'est desja destinée, & que le Viceroy Veut que je luy consacre, & mon cœur & ma foy⁎. Vous soûpirez. Pourquoy ? Quoy, vous aimez Lucille ? Aimez la, cher amy ! servez la sans contrainte : Je n'y pretens plus rien, bannissez toute crainte. Oüy, oüy, je vous la cede, & ne veux aspirer Qu'à ce tresor caché qui me fait souspirer ; Quand Lucille seroit la maistresse du monde, Ce n'est pas sur ses biens que mon espoir se fonde : Si celuy qui me flatte est vain & decevant, Adorons la chimere, & paissons nous de vent ; Mais je veux mieux penser de l'aimable inconnuë, A qui j'ai descouvert mon ame toutte nuë : Si ses charmes cachez qu'aveuglement je serts Valent ceux de l'esprit qu'elle m'a descouverts, Elle est toutte divine, elle est toute adorable, Et l'Univers n'a rien qui luy soit comparable. Oyez donc, cher D. Pedre, oyez mon avanture Qui paroist une fable, un songe, une imposture. Comme la Vice-reine en ce jour solemnel Où j'acquis à mon Nom un honneur eternel, Avoit donné licence aux Dames de parestre Sous le voile du masque, & sous l'habit champestre, Pour sauver la despence, & voir en liberté Ce qui se passeroit dans la solemnité, Apres que j'eus gagné tous les prix de la feste, Glorieux des lauriers qui me couvroient la teste, Faisant partout la presse aux lieux où je passé, Je sentis d'un carrosse assez embarrassé Qu'une voix m'appelloit, je m'avancé vers elle. Une Dame en portière, & qui paroissoit belle, Quoy qu'elle fust masquée, avec un ton de voix, Qui seul au plus rebelle auroit donné des loix, Me dit, brave⁎ Espagnol, vous avez la victoire ! Le Ciel en soit loüé, vous m'en devez la gloire : J'ay fait des vœux pour vous, ces vœux sont exaucez, Vous avez tous les prix ; mais ce n'est pas assez. Madame, cet honneur m'acheve de confondre, Luy disje, & luy voulant plus amplement respondre, Je vy que tout à coup cet embarras⁎ cessa, Viste comme un esclair le carrosse passa, Et suivant avec l'œil la belle disparuë, Je demeuré confus au milieu de la ruë. Je vous jure, D. Pedre, avec sincerité, Que l'amour jusques-là ne m'avoit rien esté ; J'esprouvay de ce jour son pouvoir manifeste : Vous me croirez assez si vous oyez le reste. Cette beauté voilée en mon cœur s'imprima, Et mon amour bizarre⁎ aussi tost s'y forma : J'aimois sans connoissance une invisible Amante, Et l'aimois toutefois d'une ardeur vehemente. Les visibles objets m'estoient moins precieux, J'avois plus de creance à ma foy⁎, qu'à mes yeux ; Ainsi que sans espoir j'aimois sans apparence, Et cette foy⁎ pourtant flattoit mon esperance : Un jour sortant d'un Temple, & révant fortement A l'objet inconnu de qui j'estois amant, J'apperceus qu'une Dame estant sur mon passage J'ay D. Carlos, dit-elle, à vous faire un message : Elle en suivoit une autre en qui la majesté Marquoit une naissance esgale à sa beauté. Un vieillard la menoit superbement vestuë : Je crus voir ce mesme œil qui me charme & me tuë, Au travers de son voile, & ce brusque penser Me fit viste vers elle aussi tost avancer. Cavalier, me dit-elle, avez vous quelque idée De m'avoir veuë ailleurs ? l'ayant bien regardée, Encor que son visage en ce lieu fust voilé, Oüy, luy disje, Madame, & je vous ay parlé. Mon carrosse, dit-elle, à cette heure impreveuë M'enlevant malgré moy, vous déroba ma veuë : Mais nous pouvons icy quelque place choisir Pour nous entretenir avec plus de loisir. A ces mots je connu mon aimable inconnuë Le vieillard me quitta sa main qu'elle avoit nuë, Et je voulus porter sur ce marbre animé, Quelque marque du feu⁎ qu'elle avoit allumé, Lors qu'en la retirant : D. Carlos, me dit-elle, J'aime qu'on soit discret, mais plus qu'on soit fidelle, Aimez vous ? oüy Madame, oüy, vous m'avez charmé, Avant que de vous voir je n'avois rien aimé. Vous m'imposez, dit-elle, on sçait les bruis de ville Avant que de me voir, vous recherchiez Lucille. On m'offre ce party, le Duc l'a resolu, Mais je cede à l'Amour qui ne l'a pas voulu Luy disje, il vous a faitte icy ma Souveraine, Je vous y reconnoy dessus la Vicereine. Puisje dans vos discours, dit-elle, m'asseurer ? N'aimerez vous que moy, l'oserez vous jurer ? J'en jure tous les Dieux (luy disje) hè bien dit-elle, Je connoistray bien-tost si vous m'estes fidelle, Je n'ignore pas un des lieux où vous entrez, Meritez mon Amour, & vous me connoistrez, Adieu, dans peu de jours vous sçaurez davantage, On vous descouvrira mon nom & mon visage. En vain je la pressay ; c'est tout ce que j'en eus. Je fus cinq ou six jours sans rien apprendre d'elle, Et cela m'affligeoit d'une douleur mortelle, Quand selon ma coutume, un soir me retirant Du jeu, dans le quartier où j'estois demeurant, Passant par une ruë, où tous les soirs je passe, J'ouïs qu'on m'appelloit par une grille basse Qui donne sur la ruë en ce mesme logis, Dont, avec tant de soin, vous vous estes enquis. Carlos, me dit la voix, commandez que l'on tire Vostre flambeau plus loin, j'ay deux mots à vous dire : Je le fis donc esteindre, & m'approchant de là Je ne reconnus plus la voix qui me parla, D. Carlos, me dit-elle, ayez bonne esperance, Ma maistresse connoist vostre perseverance : On s'est avec grand soin⁎ de vos moeurs informé, On sçait que jusqu'icy vous n'avez rien aimé, Que Lucille vous est assez indifferente, Et que hors ma maistresse, il n'est rien qui vous tente : Venez demain au soir dedans ce mesme lieu Et vous la connoistrez, retirez vous Adieu ! Je voulus repartir, & ne vy plus personne. Apprenez ce qui reste : estant donc revenu Devant ce grand logis qui m'estant inconnu Appartient, dittes vous, à cette riche veuve, La mesme voix me dit qu'on vouloit faire espreuve Encor de ma constance, & que dans aujourd'huy Je verrois sans manquer la fin de mon ennuy⁎. Pressant cette suivante apres ce tesmoignage, Pour voir si j'en pourrois apprendre davantage, D. Carlos, me dit-elle, aimez en seureté, Et croiez qu'en Noblesse, en Richesse, en beauté Pas une ma maistresse à Naples ne surpasse, Se tirant, l'inconnuë aussi tost prist la place. Mais quand puis-je, luy di-je, esperer de la voir ? Si vous ne me voyez, dit-elle, au bal ce soir, Dés qu'il sera finy, quelque heure qu'il puisse estre, Revenez en ce lieu, je me feray connestre. Cependant gardez-vous de vous trop enquerir ; Car vous perdriez un bien, au lieu de l'acquerir. Oüy, j'y viendray, luy di-je, adorable inconnuë ! Mais puis-je dans le bal esperer vostre veuë ? Je marqué mes transports⁎, en termes superflus, Car elle estoit partie, & ne parosloit plus. Mais differant encor à se faire connestre, Jugez vous de ma peine ! Enfin quoy qu'il arrive il faut nous preparer Pour ce bal magnifique, Qui le descouvrira ? je ne l'ay dit qu'à vous. Je meurs d'impatience ! ah que je suis en peine, Vous avez vû comme la Vice-reine, M'a dit de luy parler apres la fin du Bal ? A ses yeux je n'ay pû dissimuler mon mal, Je manque au rendez-vous, mon aimable inconnuë En vain apres le bal attendra ma venuë, Et vous sçavez amy ! qu'il m'est tres-important, D'estre mieux esclaircy par celle qui m'attend. Non, elle m'a juré seulement par deux fois Qu'elle y viendroit cachée, & que je l'y verrois, Ce qui m'a fait penser que ce seroit possible, Celle qui m'a d'abord paru douce & sensible, Sous le nom de Julie & que j'ay fait dancer, Plus souvent que nulle autre afin de la presser : Mais enfin j'ay bien vu que ce n'estoit pas elle. Mais si Lucille enfin m'avoit joüé ce tour, Pour connestre mon cœur, pour sonder mon amour ? Quoy ! Ah vous m'aurez trahy ! Je l'ay ditte à vous seul : Ah si Lucille enfin vous a dit en courrous, Que j'allois seul de nuit chercher ce rendez-vous, C'est celle que je sers, c'est celle que j'ay veuë, C'est, je n'en doute plus, mon aimable inconnuë, Et j'ay perdu l'esprit d'aller si loin chercher42 Un bien qui s'offre icy, qui là se veut cacher. Enfin je ne sçay plus qu'en penser ny qu'en croire. Bien Madame, ah D. Pedre il faut que je demeure Dans mon aveuglement, je sens passer mon heure ; Manquant au rendez-vous je ne m'esclaircy pas, Et je me voy tousjours dans le mesme embarras. Rompons leur entretien, je meurs d'impatience. Ah si vous sçavez tout, estouffez ce courroux : Car vous connoissez bien que je n'aime que vous. Je suis trompé si d'une voix pareille, Cet objet inconnu n'a frappé mon oreille. Lors que dedans le bal j'ay cajollé ces belles, Vous devinez pourquoy je vous cherchois en elles. Si vous me reprochez encor ce rendez-vous, Vous sçavez qu'en ce lieu je ne cherchois que vous. Et devine pourquoy vous estiez là cachée. Suffit que vous voulez des preuves de ma foy⁎ ! Vous en aurez Madame ! & les aurez si belles, Qu'on ne me mettra plus au rang des infidelles. Mon sens est assez clair, on l'a bien entendu, Si nous nous explicquons, vous connoistrez mon ame. Je m'en suis bien douté, D. Pedre asseurément, C'est l'objet inconnu de qui je suis Amant. Me serois-je abusé ? Oüy, oüy, je vous la cede, & suy vostre pensée. Oüy j'y vay de ce pas. Non ne m'y suivez pas. On me demande seul. Adieu je ne crains rien, je vous rendray bon conte Demain de l'avanture, Nous entrons dans la ruë. allez vous-en Adieu. Ma flame pour Lucille estoit peu naturelle. Il est vray que je sens qu'ailleurs Amour m'apelle. A l'objet inconnu mes vœux sont attachez. Ses charmes sont plus forts quoy qu'ils soient plus cachez, Je la voy qui fait signe, Amour sois moy propice, Et ne me permets pas de luy faire injustice, Estes vous là Madame ? Voicy la mesme voix, D. Pedre, je vous croy. Vous n'avez point esté dans ce Bal conviée, Vous auriez là, Madame, esté trop enuiée⁎, Et je serois mort d'aise en voyant vos appas⁎. Ah je ne le croy pas. Je l'advoüe, En l'une de ces trois, souffrez-vous qu'on vous loüe ? Pour Lucille enfin je viens de la quitter, Madame, & sur ce point je n'ose contester. Madame, innocemment je vous cherchois en elles. Je puis sincerement vous en donner ma foy⁎. Ah traistres ! Ah monstres inhumains ! Si vous m'aviez laissé la liberté des mains, Je vous estranglerois, vous gardez le silence, On m'entraisne, & je cede à cette violence. Mais souffrez que par vous au moins je puisse apprendre Où je suis, & qui m'aime. Il ne veut pas m'entendre Il fuit, & mon esprit doublement agité, N'est pas moins que mes yeux dedans l'obscurité, La bizarre⁎ advanture ! ah si je l'avois sceuë ! Taschons de nous sauver, descouvrons quelque issuë, Je croy que j'en viendray mal-aisément à bout, Je sens de bons verrous, & des grilles par tout, Ma patience icy trouve une ample matiere, Où suis je ? enfin je voy venir de la lumiere. Mais je croy que mes yeux sont encore enchantez, Dieux ! sont-ce illusions, ou sont-ce veritez ? Puis qu'elles ont placé ces flambeaux sur la table, Voyons si cette chambre est feinte ou veritable, Si j'y suis prisonnier, ou si certainement Je m'y trouve charmé par quelque enchantement. Cette porte est ouverte, ô Dieux, j'y voy des gardes, Masquez & resolus avec leurs hallebardes, Qui ferment le passage, & qui me font trop voir Qu'icy ma liberté n'est plus en mon pouvoir. Je n'ay pas de ce mal la moindre conjecture, Attendons jusqu'au bout la fin de l'avanture. Ah que j'en ay de honte, & de confusion, Sans doute que je souffre à ton occasion ! On m'enleve à tes yeux adorable inconnuë ! On veut avec ton cœur me derober ta veuë : Mais c'est en vain qu'on cherche à me solliciter, Je mourray mille fois avant que te quitter. Mes dames, pour qui donc prepare-t'on la feste, Si ce n'est que pour moy que ce couvert s'appreste Vous le pouvez lever, ostez-le s'il vous plaist, Je ne mange jamais à telle heure qu'il est. Non mes dames, la nuit je ne mange jamais, J'avois souppé devant qu'aller à l'assemblée, bas. O dieux que cette chambre est belle, & bien meublée ! Il n'en est pas besoin, s'il vous plaist qu'on desserve. Je n'ay besoin icy que d'un peu de repos, Defaites-vous d'une amitié Qui parest bizarre⁎, & fantasque, Vostre chimere est digne de pitié, Du visage voilé le cœur a pris le masque, Je voy mon advanture en ces mistiques mots. Voyez au moins qui vous aimez, Pour conserver un feu⁎ durable, Et vous laissant charmer où vous charmez, Servez une beauté visible, & veritable. Le Vice Roy n'a point de semblable musique ; Que tout ce que je voy me paroist magnifique ! Ou ce Palais superbe est vain⁎ & enchanté, Ou par une deesse il doit-estre habité. Ce trop grand soin⁎ me charme, & je vous en rends grace Un moins sensible cœur s'en laisseroit toucher. S'il vous plaist de veiller, j'aime autant qu'on demeure. Le jour à mon advis est si prest à venir, Qu'il me sera plus doux de vous entretenir. Comme je souffre en l'ame une peine assez rude, Je ne dormirois plus qu'avec inquietude : Mais mes dames, mon mal seroit bien adoucy, Si je sçavois au moins qui me detient icy. J'ay desplaisir de voir qu'à mes yeux on se cache, On ne veut pas peut-estre encor que je le sçache, Je le demanderois s'il me l'estoit permis, Je voy bien que je suis parmy mes ennemis. On ne me respond point. Au moins si la maistresse Vouloit parestre icy, je verrois quelle hotesse La fortune me donne, & par là j'apprendrois, S'il est bon d'éviter, ou de suivre ses loix ; Pourriez-vous l'advertir qu'elle est fort desirée ? Je liray cependant, Faites moy s'il vous plaist donner une escritoire, Je porte icy sur moy de quoy m'entretenir. Puisque le sort me dérobe ta veuë, Relisons ton billet, adorable inconnuë ! Au deffaut de ton corps, admirons ton esprit, Dont le charme est si doux, que d'abord il me prit. En luy, d'un premier feu⁎, je marquay l'innnocence, Qui ne reconnoistra jamais d'autre puissance ; Meditons quelque chose, ébauchons quelques vers Sur le bizarre⁎ effet de mes destins divers, Je sens comme l'esprit la muse embarrassée : Mais je ne veux pas perdre une belle pensée. Quand ce Palais seroit la demeure des Dieux, Si c'est pour me rendre sensible, Qu'une divinité m'attire en ces beaux lieux, Qu'elle sçache que j'aime, & qu'il m'est impossible, J'adore une invisible, Et je defere plus à ma foy qu'à mes yeux. Mais insensiblement les Pavots gratieux Du sommeil qui m'abbat, se glissent dans mes yeux : Son charme tout à coup me gagne & me possede, Je luy resiste en vain, il faut que je luy cede. Mon esprit en repos n'a sceu long-temps durer, Plein d'une inquietude, & si juste, & si forte, Quelle grande lumiere esclaire cette porte, Que voy je, quelle pompe & quelle majesté ! C'est celle asseurement qui me tient arresté : Je n'en puis plus douter je sens bien que c'est elle Qui des trois que je voy me paroist la plus belle. Et qui vers moy tout droit addresse icy ses pas, Si ce qu'on void respond à ce qu'on ne void pas, Je juge par son port, & par sa bonne-mine, Que son masque me cache une beauté divine : Et tout ce que je voy, marque sa qualité, Il la faut saluer avec humilité. Souffrez ! Ah souffrez un respect Qu'un dieu mesme en ce lieu prendroit à vostre aspect. J'obeis. Ah Madame, à l'aspect de tant de puissans charmes, Je perdrois la constance, & je rendrois les armes ; Si des-ja succombant sous un autre vainqueur, Je ne l'avois pas veu disposer de mon cœur. Si c'est une chimere, une ombre qui m'emporte, Madame, confessez que sa puissance est forte, Puis qu'admirant en vous un chef d'oeuvre des Cieux, Je suy cette chimere, & cette ombre à vos yeux. Au travers de son voile elle a jetté sa flame, Des qu'elle a découvert les beautez de son ame. Comme un foudre d'abord son esprit m'a frappé, Le visage y respond, ou je suis bien trompé : Mais je serois pour elle, & constant, & sensible, Quand je n'aurois connu que son charme invisible. Madame, au nom des Dieux ! elle sort en courroux, Et je crains la fureur de cet esprit jaloux : Mais ô Dieux, si c'estoit mon aimable invisible, Qu'auroit elle à penser me voyant insensible ? Et la taille, & les yeux que j'ay veu par deux fois, Y respondent, me semble, aussi bien que la voix. Elle l'avoit pourtant plus douce, & plus aisée ; Mais ne peut-elle pas me l'avoir desguisée ? Elle pourroit enfin m'avoir joüé ce tour, Pour sonder ma constance & pour voir mon amour. Il faut que sur ce doute encor je la revoye, Et si je m'esclaircis, je doy mourir de joye. Justes Dieux qu'elle est belle ; eschapant de ces lieux Je croy que toutefois je m'esclaircirois mieux. Allant au rendez-vous, je connoistrois sans peine, Si je me suis flatté d'une creance vaine⁎, Si je ne puis sortir découvrons pour le moins, Si quelqu'un suborné suppleroit à mes soins⁎. Dittes moy si Madame est encore en colere, Pourrois-je la revoir ? Je puis donc au Jardin aller fort librement, Cet advis merite un Diamant. Recevez celuy cy, ce n'est qu'un petit gage, Si vous me servez mieux, je feray davantage. Prenons l'occasion puisqu'elle m'est offerte. Ce jardin respond bien au Palais enchanté Où j'ay si doucement perdu ma liberté. Le Soleil qui des-ja commence sa carriere, Me fait voir mille objets dignes de sa lumiere. Que leurs diversitez sont douces à mes yeux, Je croy que c'est icy la demeure des Dieux ! Mais je croy découvrir au bout de cette allée, Qui de touttes parest estre la plus foulée, Une porte qui s'ouvre : allons y promptement, Et taschons par ce lieu d'échapper brusquement ; Cette grace du Ciel ne m'est point accordée, Par quattre hommes masquez je voy qu'elle est gardée, Que me veut un d'entreux ? j'ay vû qu'il s'est baissé ? A moy ? De cet office amy tu ne te pleindras pas ; Va, de tous mes secrets je te veux faire part, Pour lire en liberté tirons nous à l'escart. C'est de mon inconnuë : ô dieux se peut-il faire, Je reconnoy sa main, voila son caractere. Ignorant vostre sort, & craignant tout pour vous Apres de vains⁎ regrets & d'inutiles larmes, Vous cherchant d'un esprit inquiet & jaloux, Mon Amour m'a forcée à recourir aux charmes. Venez de cet Amour sçavoir la verité, Je ne me cache plus, dissipez mes allarmes ; L'art magicque m'apprend qu'on vous tient arresté Que la superbe Olympe admirable en beauté, Vous a privé de vostre liberté, Et que vous estes prest à luy rendre les armes Dedans son Palais enchanté, Si vous ne vous sauvez promptement de ses charmes. Oüy si de ma prison je puis rompre les fers, J'iray chercher ces biens puisqu'ils me sont offerts, De ces tresors cachez j'auray la joüissance, Et mespriseray ceux qui sont en ma puissance. Ma geoliere est sans doute admirable en beauté ; Mais par sa violence elle m'a rebuté : Ce Palais est charmant, mais j'y souffre la gesne, Et je veux tout tenter pour sortir de ma chaine. Camarade en ces lieux as tu quelque pouvoir ? Ma maistresse m'appelle, il la faut aller voir, Ce lieu delicieux m'est un sejour funeste, Tiens, prens attendant mieux tout l'argent qui me reste Et tire moy d'icy, Tu peux me dire au moins le nom de ta maistresse, L'inconnuë à ce conte dit la verité, Et je sens qu'elle accroist mes desirs, & mes flames. C'est celle qui tantost m'a donné quelque espoir. Madame je le suis, si jamais je le fus ! Je voy de mon amour l'aveuglement extresme, Mon erreur m'est connuë aussi bien qu'à vous mesme ; Je voy quel tort je fais à vos divins appas⁎ ; Enfin j'en meurs de honte & ne m'en repens pas. Madame, au nom d'Amour, mettez-vous en ma place, Peut-on avec honneur, peut-on de bonne-grace, Au mespris de sa foy⁎ violant son serment, Apres qu'on s'est donné, courir au changement ? Mes yeux de vos beautez reconnoissent l'empire, Je ne voy pas en vous un trait que je n'admire, Le respect m'a porté jusqu'à vous adorer : Mais puis-je vous aimer, sans me deshonnorer ? S'il l'ignore, pour moy je ne l'ignore point, Oüy Madame, on suivra vos ordres de tout point, Tantost dans le Palais on sçaura qui peut-estre, Cette superbe Olympe, on doit bien la connestre. Ce trait est bien gaillard : mais je ne puis penser Que celle qui l'a fait songeast à m'offencer. Il est peu de beautez que la sienne n'efface. L'inconnuë a fondé mes premieres Amours, Et doit estre l'objet de ma derniere flame, Ce trait ne peut venir que d'une Illustre Dame, Qui m'a caché son nom avec sa qualité, Et qui n'a pas voulu me cacher sa beauté. Vous luy deviez sur tout cacher cette advanture. Je n'ay prié que vous de faire cette enqueste, Ah si Lucille a sceu l'effet d'un tel caprice, Il faut que du dessein elle ait esté complice : Ce n'est pas elle enfin puisque je la connoy, Et qu'Olympe sans masque, a paru devant moy : Mais elle est son amie & vous verrez qu'ensemble Elles m'ont fait la piece, amy que vous en semble ? Sous ce nom qu'on suppose⁎ une autre penseà nous, J'espere m'esclaircir tantost au rendez-vous. Je soupçonne qu'Olympe est la mesme inconnuë, Qui jusqu'à cette nuit m'a dérobé sa veuë, J'ay l'esprit seulement embarrassé d'un point, C'est qu'un si beau visage au Bal ne brilloit point. Si cette Dame estoit une Dame de marque, Comme elle est digne en tout de l'Amour d'un Monarque, L'auroit-on oubliée & moy qui pers mes pas, En la cherchant par tout, la connoistrois-je pas ? Je croy la reconnestre. Pourquoy fait-on de moy ce mauvais jugement ? Dom Pedre qu'est-ce cy, quelle estrange injustice ! Qui m'a rendu pres d'elle un si mauvais office ? Je vous ay seul enquis, je n'ay parlé qu'à vous, Et je voy ce secret en la bouche de tous. Considerez adorable Lucille ! Me voila balotté d'une estrange façon, Je ne m'arreste plus à mon premier soupçon ; Cette Olympe qui croid qu'on l'a deshonorée, De l'autre objet caché doit estre separée ; Mais que me veut cet homme ? De quelle part amy ? De la Dame cachée ? Oüy certes, j'ay receu ce billet obligeant, Pres de la Vice-Reine ? oüy je m'y trouveray, Et là de vostre advis je vous remerciray. Cependant asseurez vostre belle maistresse, Que jusques à la mort je tiendray ma promesse, Qu'on m'a jusqu'à cette heure en vain sollicité, Et que j'auray toûjours la mesme fermeté. Ce rendez-vous me plaist, que j'ay d'impatience, Par là je juge mieux d'elle, & de sa naissance. Que me veulent ces gens ? Lisez, & je verray s'il se peut explicquer. Si je ne parois plus, si je quitte Marcelle, Pour suivre D. Carlos. je fuy de vous, & d'elle, Il fait mon changement comme il fait vos soucis, Par son Olympe découverte, Vous allez découvrir la perte, Et la ruine d'Alexis. Quel embarras nouveau, quelle estrange advanture, Je voy bien qu'on me nomme en cette Enygme obscure : Mais à vous l'explicquer je suis fort empesché. Ce sens misterieux plus qu'à vous m'est caché, Allons nous esclaircir, c'est chez la Vice-Reine Que l'on me doit tirer d'embarras & de peine. Sçachez, si cette Olympe aime cet Alexis, Que ce n'est pas de là que naissent mes soucis. C'est me combler Madame, & de grace, & de gloire, Voicy qui sur mon cœur emporte la Victoire, Voicy mon inconnuë, & suis trop glorieux, De voir encor son cœur au travers de ses yeux. O Dieux est-il possible ? Dieux que jugerez-vous de mon extravagance ? **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_lavicereine *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lavicereine Mon cousin demeurez un moment ! De grace attendez moy dans mon appartement. Lucille d'où vous vient cette morne tristesse ? Qu'avez-vous dans l'esprit qui vous gesne & vous blesse ? Tant qu'a duré le bal j'ay jetté l'œil sur vous, Sur ce que j'ay senty qu'ils vous observoient tous. Lucille disoient-ils n'a rien qui ne luy rie, Elle est riche, elle est belle, & le Duc la marie Avec un Cavalier beau, galand⁎, accomply, Cependant de chagrin son visage est remply. D. Carlos, a-t'il dit, a-t'il fait quelque chose, Qui cause en vostre esprit cette metamorfose ? Je l'ay vû tousjours gay, d'où vient son changement ? Dans un jour de plaisir d'où vient qu'il se dement ? Il a feint galamment ces obligeantes flames, Pour attirer l'estime & l'amitié des Dames ; Et se considerant des-ja pour vostre espoux, Il promenoit un cœur qu'il n'a donné qu'à vous, Mais s'il a le cœur fixe, & que ses yeux errans Marquent de vains⁎ transports⁎ & des feux⁎ apparens, S'il m'a pour vous sa flame en secret advouée ? N'excuserez-vous pas son humeur enjoüée ? Le voicy ce volage, Approchez mon cousin, parlons en confidence, Est-il vray que Lucille ait eû lieu de penser, Que vous avez fait gloire icy de l'offenser, Affectant à ses yeux de parestre infidelle ? Il s'offroit des partis plus grands, plus dignes d'elle, Que par nostre conseil elle a tous rejettez, Est-ce pour se soumettre à vos indignitez ? Parlez. He bien, s'il a failly, souffrez le repentant, Il ne peut mieux parler, oublions le passé, S'il sert fidellement, qu'il soit recompencé. Lucille, entre nous trois il faudra qu'il s'explique. Ce tesmoin survenu veut que nous nous taisions, Et qu'avec tout loysir nous nous satisfaisions. De plus, il est si tard, qu'il faut qu'on se retire. Me promettez-vous pas, s'il vit sous vostre empire, Et vous sert avec zele, avec discretion, Que vous reconnoistrez enfin sa passion ? J'admire en verité cette bizarre⁎ histoire, Les siecles à venir auront peine à la croire. Carlos en fermeté passe tous les Amans, Et des siecles passez, & des nouveaux Romans, Et certes il merite apres tant de constance, De recevoir le prix de sa perseverance. Pour vous qui n'aspirez qu'à ma protection, Et qui la recherchez avecques passion, Faittes estat d'avoir belle Olympe avec elle Encor mon amitié qui doit estre eternelle ! Et croyez que chez moy vous avez rencontré, Contre qui que ce soit un refuge asseuré, Oüy, croyez qu'il n'est rien que pour vous je ne fasse. Voicy vostre cousine & son pere avec elle. Cedez vous pas le bien que nous cede Marcelle ? En ce cas je consens à ce juste hymenée, Et nous l'acheverons dedans cette journée. Je vous laisse à penser, Si j'ay plus que jamais lieu de l'embarrasser, Touttes remasquez-vous, hastez-vous je vous prie, Je veux avoir ma part de cette Comedie. Je sçay bien mon cousin que vous venez chercher Un objet qui vous aime & qui se veut cacher. Je sçay toute l'histoire, & la sçay de sa bouche, Et prens beaucoup de part à tout ce qui vous touche, Olympe, & l'inconnuë où s'adressent vos vœux, Pour vous embarrasser sont icy touttes deux, Vous estes bien-heureux que deux si belles Dames Viennent jusques chez moy vous témoigner leurs flames. Si parmy ces beautez vous pouvez discerner Celle qui vous a pris, je vous la veux donner. Demasquez-vous Madame, & vous rendez visible, Vous choisissez Olympe, Mais vous choisissez bien, ne vous repentez pas, Les voicy touttes deux sous les mesmes appas⁎. Oüy Carlos, dans ce jour vous serez son espoux, Sa naissance est illustre, & vous comble de gloire Venez d'elle, & des siens sçavoir toutte l'histoire. **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_lucille *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lucille Quel plaisir voulez-vous qu'ait une miserable Madame, à qui le sort est si peu favorable ? Et comment puis-je avoir icy l'esprit content ? Vous m'avez ordonné d'aimer un inconstant. Chacun void son mespris, & son indifference, L'effet aux yeux de tous respond à l'apparence. De moy, moins que de vingt il a paru l'Amant, Il ne m'a fait dancer qu'une fois seulement, D'un air vain⁎, negligé comme s'il m'eust fait croire, Que ce m'estoit encor trop de grace & de gloire, Pendant que sans me craindre à mes yeux irritez, Il a fait le galand⁎ de cent autres beautez. S'il a vû pres de moy quelque fille plus belle, Il n'a point affecté de parestre fidelle, D'abord sans se contraindre il a fait le transi, Et j'ay vû que par tout il en a fait ainsi. Quand vous pardonneriez à ses indifferences, Il faut Madame, il faut sauver les apparences ! L'amant d'un seul objet doit parestre touché, Et doit à cet objet tousjours estre attaché. Si j'approuvois la flame errante, & vagabonde, Qu'en croiriez-vous Madame, & qu'en diroit le monde ? Non, Madame, un Amant n'en use point ainsi, J'aime mieux qu'en public il face le transi, Qu'il s'attache à moy seulle & me serve avec pompe, Et s'il a le cœur faux, qu'en secret il me trompe. Ah dieux qu'il est charmant ! Que n'a-t'il trouvé l'art d'aimer plus constamment ! Que diroit il ? son silence l'accuse. Et je l'aime encor mieux qu'une meschante excuse. Ah Madame, il sçait bien que j'en ay trop appris, Laissons le dans sa haine, & dedans son mespris, Vous luy faittes chercher des defaittes trompeuses, Qui certes me seroient encore plus honteuses. Je connoy bien sa vie, il paroist inconstant : Mais un objet sur tous l'arreste icy pourtant, 46 On le suit tous les soirs, on sçait ce qui se passe Dedans certaine ruë en une grille basse. Que moy? Ah volage, imposteur, si vous n'aimiez que moy, Vous ne me lairriez pas douter de vostre foy⁎, Et vous feriez du moins cesser les bruis du monde. On connoist vostre cœur plus agité que l'onde, On void qu'aveuglément vous aimez en tous lieux, Sans vous vouloir cacher seulement à mes yeux. On void qu'à vos mespris je demeure exposée, Que je suis de la Cour la fable & la risée, Et vous me soustenez encore effrontément, Qu'avec fidelité vous estes mon Amant. Si je perds le respect, pardonnez moy Madame ! Il sçait que je connoy les deffaux de son Ame, Il sçait qu'il a paru volage aux yeux de tous, Et feint qu'il est fidelle, & discret devant vous, Comme s'il n'avoit pas ce traistre, ce parjure, Estallé devant vous toute son imposture. Madame, je ne puis le souffrir inconstant. Quoy dans ce rendez-vous, D. Carlos m'a cherchée ? Il s'extravague icy, qu'il dise donc pourquoy, Mais qu'il s'explique au moins, s'il m'ose encor pretendre Et sur ce rendez-vous se face mieux entendre. Oüy, venez-moy revoir, puis qu'il plaist à Madame. C'est pour me conserver, & le cœur & la foy⁎, Que vous avez Carlos mesprisé cette belle, Qui cherche à vous gagner d'une façon nouvelle ? Me l'oserez-vous dire, & me soustiendrez-vous Que vous dedaignez tout pour estre mon espoux ? Quoy n'avoir en Amour jamais ny paix ny tresve ? Des que l'une vous quitte, une autre vous enleve ? Vous estes bien-heureux d'estre de tous costez, L'amour & le desir des plus rares beautez. Pour moy qui n'ay pour vous qu'une beauté commune, Enfin je ne veux plus troubler vostre fortune, Ny faire obstacle aux biens qui vous sont preparez. Vous faittes le cruel dans les Palais dorez, Si l'une vous carresse⁎, une autre vous adore, Et j'oserois penser à vous pretendre encore ? Je ne suis pas si vaine⁎, il vaut bien mieux songer Comment avec honneur je puis me degager. Possedez la chimere où vostre feu⁎ s'addresse, Adorez & servez cette obscure maistresse, Et laissez desormais mon esprit en repos, Que vos legeretez troublent à tous propos, Adieu. Adieu je sçay les bruis qui courent par la ville, Et ne puis plus souffrir qu'on vienne incessament M'accabler des deffaux d'un si leger Amant. Remenez moy D. Pedre & rendez tesmoignage Que selon son merite on traitte ce volage, Je sçay vostre constance allons, je suis à vous, Croyez que dans ce jour vous serez mon espoux. Je vous mets en sa place, Vous la meritez mieux, He que pretendez-vous ? Une fille qu'Olympe aime parfaittement, M'a conté son histoire & son enlevement. Je sçay tout, il suffit, croyez mon tesmoignage, Je ne puis pour ce coup en dire davantage. **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_Pedre *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_pedre Mais j'ay fait cette enqueste assez exactement, Cette maison d'ailleurs est assez remarquable, Oüy, brave⁎ D. Carlos, on la connoist assez, Quoy qu'elle passe aux champs les deux tiers de sa vie : Oüy, mais par sa Noblesse, Par son esprit sublime⁎, & par ses grands tresors, Elle peut réparer tous les deffauts du corps. Puisque vous m'honorez de vostre affection, Rendez moy plus sçavant de cette passion. Helas ! Souffrez que je soupire. Je pers par là le seul bien où j'aspire. Oüy, je suis son Amant, Je l'aime, D. Carlos, & l'aime esperduëment, Et comme en vos faveurs je trouve un grand obstacle, Je ne puis posseder Lucille sans miracle ; Je ne veux rien cacher à ce noble vainqueur, Qui m'aime avec tendresse, & qui m'ouvre son cœur. Mais comment l'aimez vous avecques tant d'ardeur ? Qui d'un feu⁎ si bizarre⁎ a fondé la grandeur ? Comment peut on aimer une chose invisible ? Certes comme à mon feu⁎ vous paroissez sensible, Je veux ayder au vostre, & feray mon devoir, Le zele supplera peut-estre à mon pouvoir. Et ses charmes depuis vous furent ils conneus ? Certes ce procedé me surprend, & m'estonne⁎. Nous pourrons dans le bal la voir tantost parestre. Oüy, car voulant chercher Celle que vous aimez, & qui se veut cacher, Vous pourrez vous trompant, en cajoller quelqu'une Qui destruira peut-estre enfin vostre fortune. Allons donc nous parer ; Mais comme on vous observe, & sçait ce que vous faites, On pourra descouvrir peut-estre nos enquestes, Faites d'un soin⁎ exact, touchant ce rendez-vous, Pourquoy? Puisqu'elle vous attend, vous n'avez rien à craindre, Vous n'aurez que trop tost matiere de vous pleindre. Si, comme vous croyez, & que je l'ay pensé, Ce grand bal general sans elle s'est passé, Sans doute elle n'est pas ce qu'elle se dit-estre, Vous avoit elle dit qu'on l'y pourroit connestre ? Certes apres Lucille elle estoit la plus belle. Ah ne le croyez pas, je connoy bien Lucille, Elle est trop glorieuse, & n'est pas si subtile. Elle a fort bien tantost reconnu vos mespris, Et j'observois ses yeux qui m'en ont trop appris, Vous n'avez pris sa main qu'une fois à la dance. J'ay vû qu'on vous blamoit de cette negligence, Je ne vous cele pas que j'en ay profité, Et que m'ayant permis d'adorer sa beauté, J'ay sceu prendre ce temps pour luy faire connestre Que vous aimiez ailleurs ; oüy je connoy le traistre, M'a dit cette emportée, & j'ay dit hardiment Que je ne voulois plus d'un infidelle Amant. Au moment que je parle il est fort raisonable, Que sur vostre sujet la Duchesse l'accable, Et qu'elle luy dira tout ce qu'elle m'a dit. Qu'elle sçait fort bien où vous allez de nuit. D. Carlos je vous jure Qu'elle m'a raconté toute vostre avanture. Mais ne jugez vous pas Qu'elle aura pû la nuit faire suivre vos pas ? Et que dans la douleur de se voir négligée, Sur ce pretexte enfin elle s'est degagée. Ah ne le croyez pas ! vous offencez sa gloire. La voicy. Il le faut interrompre, ou bien je suis perdu, Ce qu'a fait l'inconnuë, à Lucille il l'applique. Vous me faittes pitié, D. Carlos de le croire, Je vous l'ay des-ja dit, Lucille a trop de gloire, Pour pretendre au Roy mesme elle ne voudroit pas Soubs un voile estranger desguiser ses appas⁎, Comment est-il possible Qu'à des attrais⁎ cachez vous soyez si sensible, Et qu'on ne vous ait vû qu'insensibilité Pour une si visible, & si rare beauté ? Enfin quoy qu'à ces yeux vostre cœur se desguise, Je voy qu'il aime ailleurs, vous me l'avez promise. Ou tenez moy parole, ou donnez moy la mort : Mais vous ne ferez pas sur vous un grand effort, En me cedant Lucille, il est vray qu'elle est belle : Mais puis qu'une autre ailleurs vous charme et vous apelle, Cedez moy par raison, si je vous fais pitié, Ce qu'on m'avoit des-ja cedé par amitié. Allez au rendez-vous, l'heure n'est point passée. Lucille n'y peut-estre. Je vous suivray Carlos ! J'ay peur qu'on vous affronte. Estes vous pres du lieu ? On vous a D. Carlos par ce nom abusé, Oüy, oüy, le nom d'Olympe est un nom supposé⁎. Dans Naples, sous ce nom on ne connoist personne Qu'une de peu d'eclat que pas un ne soupçonne. Ce nom si peu connu plus que vous m'embarrasse, L'avanture est bizarre⁎, & ne sçay qu'en juger : Mais quelque courtisane en vous voyant leger, Vous a-t-elle point fait cette plaisanterie ? J'en sçay, de qui l'esprit plein de galanterie, Se porteroient assez à de semblables tours, Ce trait est sceu par tout, & je voy que Lucille En seme avec plaisir le bruit parmy la ville, Vostre mespris tout seul qui l'y peut obliger, Non sans quelque raison la porte à se vanger. La peut-elle ignorer ? tout le monde en murmure, Ce bruit des le matin remplit tout le Palais, Jusques à devenir l'entretien des valets. Dés le matin Lucille avoir martel en teste, Et son esprit jaloux paroissoit allarmé, De ce bruit qui sans moy s'estoit des-ja semé : M'oyant assez pres d'elle enquerir qui peut estre Cette superbe Olympe, elle m'a fait connestre En se tournant vers moy que vostre enlevement Estoit de vostre orgueuil le juste chastiment. Je ne sçay qu'en juger, mais du moins je sçay bien Que de vostre avanture on n'ignore plus rien. Olympe s'est peut-estre elle mesme oubliée, Et l'a par ses amis au Palais publiée. Mais si la fausse Olympe, & celle qui dispose Des-ja de vostre cœur sont une mesme chose, Quelle bizarrerie⁎, & quelle nouveauté De vous voir mespriser la visible beauté, Pour ne vous attacher qu'à l'objet invisible ? Il faut donc se cacher pour vous rendre sensible ! Bon, voicy vostre fait, vous vous en estonnez⁎. Celle qui vient à nous le masque sur le nez, Vous en veut à vous seul, J'y sens quelque mistere, & l'on verra peut-estre, Lucille vient vers nous, vous allez bien connestre Qu'elle sçait le secret d'un autre que de moy, Je me jette à vos pieds. Puis-je apres cette grace, En demander une autre ? Seul, j'ay sceu son secret touchant ce rendez-vous. De qui l'avez-vous sceu, faittes le nous connestre, Vous me rejetteriez si je passois pour traistre. **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_marcelle *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_marcelle Plust au Ciel ! mais mon pere il vient pour m'abuser. He ! que me peut-il dire, après huict jours d'absence, Qui puisse avec succez marquer son innocence ? Non, non, c'est un volage, il n'a bougé d'icy Pour faire le coquet & l'amoureux transi ; Et depuis qu'il a vû la dispence arrivée, Offrant son cœur par tout, seule il m'en a privée, Cependant tel qu'il est, je n'ose le haïr ; Vous me le destinez, & je dois obeïr. D'où vient D.Alexis apres huict jours d'absence ? Aurois-je sur son ame un reste de puissance ? Prendroit-il pour me plaire encor quelque soucy⁎ ? Non, non, il est ailleurs, quand mesme il est icy ; Vous n'avez point paru tant qu'a duré la feste ? Ah ! vous cherchiez sans doute à faire une conqueste ! Ne me desguisez rien, parlez moy franchement. Ah ! vous vous desguisez encore icy, volage Et sous ce feint discours vous cachez quelque outrage. Je voy bien tout de bon que je vous ay perdu ; Quand on aime Alexis, on est plus assidu ; Quoy huict jours sans me voir, & me payer encore D'une excuse grossiere, & qui vous déhonore ? Devriez vous mal-heureux avoir autre penser Que celui de me plaire, & ne point m'offencer ? Chercher d'autres plaisirs dans la propre journée, Que pour nous joindre ensemble on avoit destinée. Quoy ! sans penser à moy, quoy ! sans penser à vous, Vous negligez le jour qui vous fait mon espoux. Quoy ! huict jours sans me voir, n'avez vous point de honte ? Ah ! d'un terme si long rendez moy meilleur conte, Ou, sans perdre le temps en discours superflus, Advoüez franchement que vous ne m'aimez plus. L'Enigme, quoy qu'obscur, marque pourtant assez, Que vers quelqu'autre objet vos yeux sont addressez. Vous soupirez, j'en devine la cause : Vous me voulez trahir, vostre cœur s'y dispose, Et sens par ce soupir qui vous vient d'eschapper, Que c'est avec regret que vous m'allez tromper. La raison me paroist injuste & criminelle, Vous me meritez trop si vous m'estes fidelle : Plust au Ciel que l'Amour & la fidelité Egallassent en vous la grace & la beauté, Et qu'à vos yeux charmans je fusse aussi parfaite Que de vos qualitez mon ame est satisfaitte, Alexis que le Ciel prit plaisir de former, N'auroit point de deffaut s'il sçavoit bien aimer : Mais de quelque air flatteur qu'il orne son langage Je voy bien qu'il m'abuse, & qu'il n'est qu'un volage. Vous excuserez bien ce mouvement jaloux ; Parlez sincerement Alexis, m'aimez-vous ? La dispence est venuë, il n'est plus temps de feindre ; M'aimez-vous Alexis ? parlez sans vous contraindre. Et vous m'aimez en soeur ? Ah ! c'est ne m'aimer point que m'aimer de la sorte. Je demande une flame & plus vive & plus forte. Non, vous ne sçavez pas aimer parfaittement Quand on n'aime qu'en frere, on est mauvais Amant. Pour moy, quoy que d'amour j'ignore le mistere, Je sens je ne sçay quoy qu'on n'a point pour un frere, Et ce tiltre me semble & trop fade, & trop doux Pour estre compatible avec celuy d'espoux, Quoy vous craignez l'Hymen ? ô la grande innocence ! Plust au Ciel, Alexis, que je n'eusse jamais, A redouter de vous, que cet aimable excez ? La flame jointe au sang est plus pure, & plus belle, Mais vous n'en avez pas au cœur une estincelle : Vous craignez vostre Amour dans cette double ardeur, Moy qui vous connoy mieux, je crains vostre froideur : Mais qu'avons nous à craindre apres nostre dispence, Qui sur ce vain scrupule emporte la balence, Qui le purgeant, destruit la peur que vous feignez, Et nous met à couvert des feux⁎ que vous creignez ? Parlez-luy. Vous me viendrez rejoindre aupres de ce boccage ; Admirez justes dieux à quel homme on m'engage. Que vous vouloit Alvare, & quelle est l'importance Du secret qu'il m'a fait d'extresme consequence ? Je ne devine pas tout ce qu'il a dans l'ame. A quoy ? Et qu'avez vous promis ? Quoy ? parler pour Alvare ? Avez-vous l'ame saine, Qu'entens-je ? Il est brave⁎, de plus il est fort dangereux, Ah lasche & vil Amant, voila toute ma crainte. Je découvre la peur dont vostre ame est atteinte, Et vous aviez tantost raison de m'advoüer, Quand j'ay si foiblement cherché de vous loüer, Que d'un si noble amour vous vous sentiez indigne, Par cette lascheté qui me paroist insigne ; Je voy le fonds d'une ame en qui j'ai vainement Cherché les sentimens d'un genereux Amant ; Ce teint effeminé, cette delicatesse Marquoient certainement en vous quelque mollesse : Mais je n'eusse pas creu qu'elle allast jusqu'au cœur, Je croyois que l'amour fit seul cette langueur, Qui forme dans vos yeux une grace nouvelle : Mais je voy qu'en vostre ame elle est plus naturelle, Et que cette foiblesse & d'esprit & de corps, Paroist mille fois plus au dedans qu'au dehors. Quoy donc vous me cedez, & parlez pour Alvare ? L'office est sans exemple & paroist assez rare. C'est pour fuir un combat que vous l'osez ceder : Mais offert par vos mains le puis-je regarder, Il est noble, il est brave⁎, & je sçay bien qu'il m'aime. Qu'il vienne sans vostre aide & s'offre de luy mesme, L'occasion est belle, il peut tout esperer. O lasche & vaine⁎ excuse ! Je voy vostre deffaitte, & connoy vostre ruse. Alvare vous querelle, & vous manquez de cœur⁎. Vous offencez mon sexe, il a plus de vigueur, C'est, mais grossierement me faire un double outrage, Que déguiser ainsi vostre peu de courage. O dieux ! Que vois-je ? Oüy, j'en ay connoissance. D. Carlos ? Eh ! comment l'avez-vous peu charmer, Comment sous cet habit a-t'il peu vous aimer ? C'est à vous d'excuser l'erreur d'une ame prompte, Mon fol emportement me fait mourir de honte, Belle & chere cousine, en me desabusant, Vous guerissez mon cœur d'un amour fort cuisant ; Mais vous le regagnez d'une façon nouvelle, Une amitié solide, immuable, eternelle Succedera sans peine à cet amour trompeur Que je sens disparestre ainsi qu'une vapeur. Vous regardez le bien avec indiference, Et moy je ne mets pas seulement en balance, Si je prendray la part dont semble vous priver Un sexe supposé⁎. Je vous la veux sauver. Oüy, s'il ne tient qu'au bien que Carlos ne soit vostre, Avec celuy d'Albert, prenez encore le nostre, Je jure, que quiconque aura dessein pour moy, S'il ne cede ce bien, n'aura jamais ma foy⁎. Comment, en ma presence ? arrestez insolent ! Alvare qu'est-ce cy, Est-ce amour ou fureur qui vous emporte ainsi ? J'ay part plus qu'Alexis à vostre extravagance, Considerez Alvare où va vostre imprudence. Sans juger qui je suis, vous osez mal penser D'un parent qui me quitte & qui peut m'embrasser, Quand nous nous separons avec un Adieu tendre Comme des criminels vous croyez nous surprendre ? Ah vous m'offencez trop dans cet emportement ! Je veux plus de respect dans le cœur d'un Amant, La jalouse fureur part d'un mauvais courage⁎, Et vous monstrez ici moins d'amour que de rage, Alexis tout de bon parloit icy pour vous, Il faut me meriter avec plus de conduitte, Adieu ! Certes je ne voy rien dans ce lieu qu'il n'efface, Comme il a merité tous les prix des Tournois, Pour les honneurs du bal je luy donne ma voix, Qu'il a l'air noble & doux, qu'il dance en honneste homme ! Quel seroit ce deffaut qu'en luy vous craignez tant ? Tant qu'a duré le bal, il a toujours révé, Il me faisoit pitié, n'en soyez point troublée. Il ne cherchoit que vous dedans cette assemblée, Comme il est amoureux d'un objet inconnu, Avec les plus charmans il s'est entretenu. Croyant que celle là qui se monstroit sensible, De moment en moment estoit son invisible ; Ignorant son destin, il cherchoit en tous lieux Un bien, qu'en vain son cœur demandoit à ses yeux, M'a-til pas cajollée aussi-bien que les autres ? N'a-til pas dans mes yeux aussi cherché les vostres ? C'est ce qui le rendoit inquiet & réveur. Vous seule avez fondé toutte cette entreprise, Et la brune & la blonde ont fait également La peine & les transports⁎ de cet aveugle Amant. Enfin il est constant qu'il vous parloit en elles, Et qu'il ne vous cherchoit que parmy les plus belles, Quand vous sentirez mieux tout ce qui brille en vous Vous perdrez aisement ces sentimens jaloux, Puisque c'est vous qu'il cherche, & que c'est vous qu'il aime, Vous estes seulement jalouse de vous mesme. C'est la Belle Julie, Dans Naple on ne voit rien de plus aimable qu'elle, Le marquis de S. Ange homme riche & puissant, N'a plus que cette fille unique, & s'il consent Que Carlos la recherche il peut estre son gendre. Avec l'appuy du Duc il la pourra pretendre, Pour coupper donc racine à ces soupçons jaloux, Belle & chere cousine enfin declarez-vous ! En vous seule Carlos bornera ses conquestes, S'il vient à découvrir une fois qui vous estes, Nulle icy ne vous passe en biens, en qualité, Et passez de bien-loin les autres en beauté. Mais n'est-il point trop tard ? L'espreuve est dangereuse. Si vous allez ailleurs, suivez vostre dessein. Vous estes bien changé ? de parestre si sage Allons je n'en veux pas apprendre davantage, Vous verrez comme en vous, en moy grand changement, Si vous perseverez dans ce beau sentiment. La Vice-reine passe, J'ay peur qu'elle m'arreste, & cela m'embarasse, Allons, il est bien tard, sortons sans luy parler, Si mes femmes sont là, qu'on les face appeller. Non mon pere, & je n'ay rien perdu, Ce cœur noble & fidelle a fait ce qu'il a deu. Alvare, plust au Ciel que ce feu⁎ si durable A celuy d'Alexis pust-estre comparable ! Je connoy mieux que vous ce cœur franc, genereux Et qui de la constance est sur tout amoureux. Montrez moy ce billet qu'on a pris sur sa table, Et je vous feray voir que je suis veritable. Oüy sa pure clairté va parestre à vos yeux : Mais jurez D. Alvare avant que je l'explicque, S'il est vray que mes yeux ont un feu⁎ qui vous picque, Et que mon pere approuve, & vos soins⁎, & vos voeux, Que vous m'accorderez une grace tous deux. Alexis ne me vole Ny le cœur qu'il m'offrit, ny l'honneur, ny la foy⁎: Mais il m'enleve un bien qui devoit estre à moy. Sans plus rien déguiser, apprenez qu'il est fille ; Ainsi le bien d'Albert rentre en nostre famille, Je ne puis estre à vous, si vous ne m'accordez Que comme je le cede, aussi vous le cedez. Icy la verité vous paroistra visible. Si je ne parois plus, si je quitte Marcelle, Pour suivre D. Carlos je fuy de vous & d'elle, Il fait mon changement comme il fait vos soucis, Par son Olympe découverte, Vous allez découvrir la perte, Et la ruine d'Alexis. Alexis est Olympe, elle aime D. Carlos, Et de nous trois depend leur bien & leur repos. Vous verrez au Palais la fin de l'avanture, Qui doit passer pour fable à la race future. Cedant le bien d'Albert, vous estes mon espoux, Si vous ne le cedez, je ne puis estre à vous, Je l'ay promis Alvare, il faut que je le tienne ! Oüy, la chose est certaine. C'est chez la Vice-Reine Qu'elle brille à present avec tous ses appas⁎, Je vous conteray⁎ tout, allons y de ce pas. **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_alvare *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_alvare Alexis ? Avec vostre licence, Madame, j'ay deux mots d'extresme consequence Qu'on ne peut differer à luy dire en secret. Quoy perfide, est-ce là ce qu'on m'avoit promis ? Nous nous quittames hyer apparement amis, Mais ce fut sur la foy⁎ que vous m'aviez donnée Que vous n'achevriez jamais vostre Hymenée ; Cependant vos discours m'ont grandement surpris, Ils m'ont montré vostre ame, & j'en ay trop appris ; Vous ne me voyez pas, j'estois en embuscade Derriere l'espesseur de cette pallissade, D'où j'ay vû que la dame en termes assez doux Vous flattoit du beau tiltre, & d'Amant, & d'Espoux ; Alexis, vous sçavez que j'adore Marcelle, Vous sçavez qu'en un mot je ne vy que pour elle, Si vous faittes dessain de me la contester, Il faut m'oster la vie avant que me l'oster, Vous faittes le railleur ? Ce jardin m'est sacré, je respecte Marcelle, Allons en autre lieu vuider cette querelle. Il faut que hors d'icy, vous me faciez raison D'un manquement de foy⁎ qui sent sa trahison. Sortons. Quoy ! lasche tu croirois apres ce mauvais tour M'oster impunément l'espoir de mon amour ? Excusez Alexis l'amour qui me transporte. Quoy ! vous me serviriez, quoy ! vous me feriez voir Encor en cet amour quelque rayon d'espoir ? Excusez Alexis, ce mouvement jaloux, Demeurez un moment Je demande pardon de ma legereté, Oüy, trop brutalement je me suis emporté. Je souffre ce reproche il est tres legitime. Ne m'abandonnez-pas, je confesse mon crime. Helas ! s'il est bien vray que vous ne bruslez pas Pour celle en qui mes yeux ont trouvé tant d'appas⁎ ; Si vous voyez Marcelle avec indifference, Pour qui j'ay tant d'amour, & de perseverance. Si je ne suis par vous trahy, ny traversé, Prenez pitié d'un cœur que ses yeux ont persé. Souffrez cher Alexis ce cœur qui s'humilie. Je me jette à vos pieds, j'accuse ma folie ; Excusez mon desordre, excusez mon transport⁎, Plus il vous paroist grand, plus mon amour est fort, Jamais pour vous fâcher je n'ouvriray la bouche. Que je baise vos pieds ! S'il me tient sa promesse ô Dieux, Dieux tout Puissans Souffrez que je partage avec luy vostre Encens. Quoy perfide, est-ce ainsi qu'on m'offre son service, Est-ce là le fidelle, & charitable office Que je devois attendre ? ah traitre il faut mourir ! Toutte ma patience enfin m'est échappée, Rien ne peut dérober ta vie à mon espée. Je n'ay plus de respect, je le perds à vos yeux, Je l'aurois perdu mesme en presence des Dieux, Madame ! Je ne puis retenir mon courage⁎, Et je ne veux plus vivre apres un tel outrage. Joindre la raillerie avec la trahison, Ah lasche ! hors d'icy tu m'en feras raison. Pour moy ? cher Alexis j'embrasse vos genoux, L'extremité Madame, où mon ame est reduitte, Cher Alexis ne m'abandonnez pas ! Mais est-ce tout de bon que vous l'avez quittée ? Venez voir mes respects, je m'en vay l'adorer. Si je suis importun, vous n'avez qu'à le dire. Qui, vous D. Alexis ? J'auray l'honneur de vous donner la main, Vous sçavez mon dessein, le seul but où j'aspire, Est de servir l'objet pour qui seul je soupire. Voyant vostre entretien, je m'estois reculé, J'attendois par respect que vous eussiez parlé. Comme de vos discours je connoy l'innocence, J'estois sans jalousie, & sans impatience ; Et n'aspirois Madame, à l'honneur de vous voir, Que pour vous tesmoigner mon zele & mon devoir. Que je baise vos pieds ! Ce billet qu'en partant Alexis a laissé, Monstre assez à quel point vous estes offencé : Je ne luy rendrois pas un si meschant office, Si je n'avois connu qu'il vous rend injustice : Mais voicy D. Carlos qui nous éclaircira. D. Carlos je vous prie, Puisqu'on vous nomme icy, de grace, explicquez nous82 Ce billet fort obscur qui nous a troublez tous. De nous, & de vous mesme il s'est voulu mocquer, Il conçoit moins que nous ce sens qui nous estonne⁎. Moy j'en suis peu surpris, des-ja cet infidelle, Sans peine & sans regret m'avoit cede Marcelle : Mais comme je vous croy bon, juste, & genereux, C'est par vous seulement que je veux estre heureux. Marcelle vient icy, Monsieur souffrirez-vous84 Que je luy rende hommage en qualité d'espoux ? Ce qu'il a deu, Madame ? Ah vous estes trop bonne, Estant si peu severe à qui vous abandonne Un cœur qui vous adore, a droit de presumer, Que vous serez fort juste à qui sçait mieux aimer. Et j'en donne la mienne, Et j'ay donné la mienne, Nous avons sans ce bien de quoy vivre contens, Ces visibles tresors sont ceux que je pretens. Et je le cede aussi. **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_leonard *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_leonard Mon neveu, vous prenez un peu trop de licence ! A la fin vous mettrez ma patience à bout Depuis huict ou dix jours on vous cherche par tout. Est-ce que vous avez quelque autre amour en teste ? Est-ce que vous cherchez à faire autre conqueste ? Ne nous desguisez rien, parlez nous franchement ; Cette bizarre⁎ humeur m'afflige infiniment, A dire vray, ma femme en est fort desgoustée, Votre cousine mesme en parest rebutée, Quelque inclination qui la puisse engager Si vous ne vous changez, vous la verrez changer ; Quoy ! ce libertinage encore continuë Depuis que vous voyez la dispence venuë ? C'est trop nous mespriser, il est d'autres espoux Qui sont aussi bien faits, aussi riches que vous, Si vous avez au cœur quelque autre fantaisie, Parlez, nous vous verrons changer sans jalousie : S'il faut nous separer, le plustost vaut le mieux. Allez doncques vers elle, & sans plus l'abuser. Si vous estes coupable, allez vous excuser ; Allez, vous la verrez la plus triste du monde, Guerissez son esprit de sa douleur profonde, Parlez à cœur ouvert ; dittes la verité Si vous avez raison de vous estre absenté, Elle est tendre, elle est bonne, & luy parlant sans ruse Vous ferez recevoir sans doute vostre excuse. Vous la connoissez bien, elle a l'esprit trop doux Elle a trop d'indulgence & de bonté pour vous. Allez donc Alexis la trouver de ce pas ! Aux jardins du Palais elle est en promenade Pour divertir l'ennuy⁎ de son esprit malade. Oüy, vous l'y conduirez. Allons viste la voir. Escoutez ses raisons, ne le condamnez pas Avant que de l'entendre, il marche sur mes pas. Ma fille, le voicy qui vient par cette allée, Quand vous l'orrez parler, vous serez consolée. Tout de bon il vous aime, & doit bien s'excuser, C'est le plus grand party qui soit dans la Province, Dedans tout ce Royaume il n'est ny Duc ny Prince Qui le surpasse en biens, ny qui puisse aujourd'huy Contester de merite & de grace avec luy. Et puis c'est nostre sang, traittez-le sans rudesse : Quand il seroit coupable, excusons sa jeunesse, Il dira les raisons qui l'ont fait absenter, S'il vient de bonne grace, il le faut escouter. Le voicy, je vous laisse, allez, allez, Marcelle, Avec luy doucement vuider vostre querelle, Libre & seul avec vous il s'expliquera mieux. Je voy son repentir escrit dedans ses yeux. S'il est vray qu'Alexis en ait si mal usé, S'il a mon alliance, & mon bien mesprisé, Il est je le confesse indigne de Marcelle, En ce cas vous l'aurez, & je vous respons d'elle. Voyons ce qu'il en pense, & ce qu'il en dira, Pouvons nous le tirer de cette réverie ? Alexis disparu l'a laissé sur sa table, D'où luy vient ce mespris qui m'est insupportable ? Je ne conçoy que trop qu'Alexis m'abandonne. Ce billet, quoy qu'obscur marque son changement, Que tout seul je regarde avec estonnement⁎. Oüy, vous serez mon gendre, & par ce mariage, Nous chastirons l'orgueil de ce jeune volage. J'avois peine à souffrir des-ja ses vanitez, Il trouve des deffaux en touttes les beautez. Ne vante que la sienne, en conte⁎ des miracles : Il trenche icy du Dieu, s'explicquant par oracles, Il veut dans son billet qu'on devine pourquoy Sans raison ny justice, il nous manque de foy⁎. Enfin je ne veux plus que jamais il me voye, S'il me perd sans regret, je le quitte avec joye. He bien, vostre Alexis enfin vous a laissée ? De ce mespris injuste estes vous point blessée Ma fille ? Pourriez-vous explicquer son sens misterieux ?85 Oüy, nous vous l'accordons j'en donne ma parole. Qu'apprens-je icy ma fille, ô Dieux est-il possible ? J'ay donné ma parole, Alexis est Olympe ? Mais dittes nous comment ? C'est l'unique sujet qui nous amene icy. Je le cede Madame, **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_ladame *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_ladame Vous pouvez toutefois manger en asseurance, Seigneur, & prendre en nous entiere confiance ! Nous ferons devant vous l'essay de tous les mets. Si vous ne voulez rien que du fruit seulement, Seigneur, on vous en va servir abondamment Compostes, massepains, la paste, et la conserve, Sous ce deshabiller coulez-la cassollette, Page, & sur cette table estendez-la toillette, Monsieur veut reposer, nous le connoissons bien. Demeurez pres de luy, qu'il ne manque de rien, Nostre presence icy peut-estre l'embarasse. Seigneur quand vous aurez dessein de vous coucher, Faittes le moindre signe, on vous quitte à mesme heure, Seigneur, elle sera peut-estre retirée : Mais sur vostre desir, il luy sera bien doux De se rendre visible, & de venir vers vous, Qui dira si Madame est encore éveillée ? Je la viens de laisser demy deshabillée. Je m'en vay l'advertir. Quels livres voulez-vous Monsieur en l'attendant ? Vous plaist-il des romans, des vers, ou quelque histoire ? La voila : dedans peu Madame va venir, Sortons. Quel plaisir prenez-vous Seigneur à luy desplaire ? Non pas de ce matin, S'il vous plaist toute-fois faire un tour de Jardin, Je vay voir de ce pas si la chose est possible. Et je reviens à vous si Madame est visible. Oüy Seigneur, Oüy je vous serviray, car vous le meritez, Et ne refuse pas vos liberalitez ; Passez donc au Jardin cette porte est ouverte, Comme Madame a sceu que vous la voulez voir, Quoy que mesmes pour nous elle fust retirée, A ce doux entretien elle s'est preparée, Et la voicy qui vient. Quand vous voudrez partir, le carrosse est tout prest : Mais souffrez que sur vous tous les rideaux on tire. De ce qui s'est passé jurez de ne rien dire, Le cocher vous va mettre à vingt pas de chez-vous, Ne luy demandez rien, il ne sçait rien de nous, Ne servant que d'hyer, il ne sçait pas encore Le nom de sa maistresse, & le reste il l'ignore. Si j'ose D. Carlos encore icy parestre, C'est pour vous accuser de vostre vanité, He quoy, de nostre Amour vous vous estes vanté ? Apres tous vos sermens, apres la foy⁎ donnée ? Olympe ma maistresse en est fort estonnée⁎, On la connoist icy mieux que vous ne pensez. Apprenez qu'elle a sceu jusqu'où vous l'offencez, D'une langue indiscrette elle est fort outragée : Mais elle m'a juré qu'elle en seroit vangée. Quoy donc m'a-t'elle dit, le plus vain⁎ des espris Ose encore adjouster l'insolence au mespris ? Il se vante au Palais, qu'il dedaigne nos charmes, Qu'il a vû d'un œil sec nos soupirs & nos larmes ? Un objet inconnu qu'il m'ose preferer, Le porte insolemment à nous deshonorer ? Qu'il sçache cet ingrat, cette ame foible & vaine⁎, Que mon amour enfin se convertit en haine, Et que je puis vanger sur celle qui l'a pris, Ces injustes dedains, ces insolens mespris. Il doit peu s'émouvoir si je luy fais outrage, Car en defigurant les trais de son visage, Son esprit dont le charme a seul gagné son cœur, Conservera toûjours sa force & sa vigueur ; Allez, annoncez-luy cette bonne nouvelle. Apres ce coup au moins je seray la plus belle. Apres avoir receu ce divin traittement, D'une Dame en merite, en beauté sans seconde, Qui pour vous aimer seul mesprisoit tout le monde ; Avoir si peu d'honneur & de discretion, Que publier par tout sa folle passion ? D'elle, & de vostre foy⁎ faire si peu de conte⁎ ? Esprit vain⁎, cœur ingrat n'avez-vous point de honte ? Attendez la vengeance, on vous fera sentir, Qu'on ne s'appaise point par un vain⁎ repentir. **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_legarde *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_legarde Ce papier est à vous & je l'ay ramassé, Quand je l'ay vû tomber. C'est une lettre Qu'un vieillard en vos mains m'a prié de remettre, Et m'a pour ce sujet donné trente Ducas. Enfin je suis à vous Seigneur & sans reserve, Ne lisez pas icy je voy qu'on nous observe. Seigneur je ne le puis, Et ne sçay que vous pleindre en l'estat où je suis. Elle se nomme Olympe, & sçay que sa Richesse, Ainsi que sa naissance esgalle sa beauté, Je voy venir vers vous quelqu'une de ses Dames, **** *creator_Boisrobert *book_Boisrobert_belle_invisible *style_verse *genre_tragedy *dist1_Boisrobert_verse_tragedy_belle_invisible *dist2_Boisrobert_verse_tragedy *id_unpage *date_1656 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_unpage Vous le verrez Madame, abattu de sommeil ! D. Carlos vient icy.