**** *creator_beaumarchais *book_beaumarchais_barbierdeseville *style_prose *genre_comedy *dist1_beaumarchais_prose_comedy_barbierdeseville *dist2_beaumarchais_prose_comedy *id_BARTHOLO *date_1775 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_bartholo Quel papier tenez-vous là ? Qu'est-ce que "La Précaution inutile" ? Quelque drame encore ! Quelque sottise d'un nouveau genre ! Euh, euh, les journaux et l'autorité nous en feront raison. Siècle barbare !... Pardon de la liberté ! Qu'a-t-il produit pour qu'on le loue ? Sottises de toute espèce : la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, L'Encyclopédie, et les drames... Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient. Où donc est-il ? Je ne vois rien. Vous me donnez là une jolie commission ! Il est donc passé quelqu'un ? Et moi qui ai la bonté de chercher !... Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami : ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir de jalousies sur la rue. Rentrez, signora ; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson ; mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. Je reviens à l'instant ; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d'être descendu ! Dès qu'elle m'en priait, je devais bien me douter... Et Bazile qui ne vient pas ! Il devait tout arranger pour que mon mariage se fît secrètement demain : et point de nouvelles ! Allons voir ce qui peut l'arrêter. Ah ! Malédiction ! L'enragé, le scélérat corsaire de Figaro ! Là, peut-on sortir un moment de chez soi sans être sûr en rentrant ?... Ce damné barbier qui vient d'écloper toute ma maison en un tour de main ; il donne un narcotique à l'Eveillé, un sternutatoire à La Jeunesse ; il saigne au pied Marceline ; il n'y a pas jusqu'à ma mule... Sur les yeux d'une pauvre bête aveugle, un cataplasme ! Parce qu'il me doit cent écus, il se presse de faire des mémoires. Ah ! Qu'il les apporte !... Et personne à l'antichambre ! On arrive à cet appartement comme à la place d'armes. J'aime mieux craindre sans sujet, que de m'exposer sans précaution. Tout est plein de gens entreprenants, d'audacieux... N'a-t-on pas, ce matin encore, ramassé lestement votre chanson pendant que j'allais la chercher ? Oh ! Je... Le vent, le premier venu !... Il n'y a point de vent, madame, point de premier venu dans le monde ; et c'est toujours quelqu'un posté là exprès qui ramasse les papiers qu'une femme a l'air de laisser tomber par mégarde. Oui, madame, a l'air. Mais tout cela n'arrivera plus ; car je vais faire sceller cette grille. Pour celles qui donnent sur la rue, ce ne serait peut-être pas si mal... Ce barbier n'est pas entré chez vous, au moins ? Tout comme un autre. Ah ! Fiez-vous à tout le monde, et vous aurez bientôt à la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler, et de bons valets pour les y aider. Qui diable entend quelque chose à la bizarrerie des femmes ? Et combien j'en ai vu, de ces vertus à principes !... Pourquoi ?... Pourquoi ?... Vous ne répondez pas à ma question sur ce barbier. Oh ! Les juifs, les chiens de valets ! La jeunesse ! L'Éveillé ! L'Éveillé maudit ! Où étais-tu, peste d'étourdi, quand ce barbier est entré ici ? À machiner quelque espièglerie, sans doute ? Et tu ne l'as pas vu ? Rien qu'en l'en-entendant !... Où donc est ce vaurien de La Jeunesse ? Droguer ce petit garçon sans mon ordonnance ! Il y a quelque friponnerie là-dessous.  Tu éternueras dimanche. Comment ! Je vous demande à tous deux s'il est entré quelqu'un chez Rosine, et vous ne me dites pas que ce barbier... Je parie que le rusé s'entend avec lui. De la justice ! C'est bon entre vous autres misérables, la justice ! Je suis votre maître, moi, pour avoir toujours raison. Quand une chose est vraie ! Si je ne veux pas qu'elle soit vraie, je prétends bien qu'elle ne soit pas vraie. Il n'y aurait qu'à permettre à tous ces faquins-là d'avoir raison, vous verriez bientôt ce que deviendrait l'autorité. Sors donc, pauvre homme de bien ! Et t'chi et t'cha ; l'un m'éternue au nez, l'autre m'y bâille. Dans quel état ce Figaro les a mis tous ! Je vois ce que c'est : le maraud voudrait me payer mes cent écus sans bourse délier... Ah ! Don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique ? J'ai passé chez vous sans vous trouver. Pour vous ? Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid ? Il n'en faut point douter, cela me regarde. Et que faire ? Oui, en s'embusquant le soir, armé, cuirassé... Singulier moyen de se défaire d'un homme ! Mais quel radotage me faites-vous donc là, Bazile ? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir à ma situation ? D'approcher ? Je prétends bien épouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce Comte existe. Et à qui tient-il, Bazile ? je vous ai chargé de tous les détails de cette affaire. Il faut en passer par où vous voulez ; mais finissons. Fiez-vous-en à moi. Viendrez-vous ce soir, Bazile ? Serviteur. Non pas. Je veux fermer sur vous la porte de la rue. Don Bazile que j'ai reconduit, et pour cause. Vous eussiez mieux aimé que c'eût été monsieur Figaro ? Je voudrais bien savoir ce que ce barbier avait de si pressé à vous dire ? Vous rendre compte ! Je vais parier qu'il était chargé de vous remettre quelque lettre. Oh ! De qui ! De quelqu'un que les femmes ne nomment jamais. Que sais-je, moi ? Peut-être la réponse au papier de la fenêtre. Cela est. Vous avez écrit. Moi ! Point du tout ; mais votre doigt est encore taché d'encre ! Hein ! Rusée signora ! Une femme se croit bien en sûreté, parce qu'elle est seule. C'est ce que vous avez fait ? Voyons donc si un second témoin confirmera la déposition du premier. C'est ce cahier de papier où je suis certain qu'il y avait six feuilles ; car je les compte tous les matins, aujourd'hui encore. Trois, quatre, cinq... Je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixième. À la petite Figaro ? Et la plume qui était toute neuve, comment est-elle devenue noire ? Est-ce en écrivant l'adresse de la petite Figaro ? Que cela est édifiant ! Pour qu'on vous crût, mon enfant, il faudrait ne pas rougir en déguisant coup sur coup la vérité, mais c'est ce que vous ne savez pas encore. Certes, j'ai tort. Se brûler le doigt, le tremper dans l'encre, faire des cornets aux bonbons de la petite Figaro, et dessiner ma veste au tambour ! quoi de plus innocent ? Mais que de mensonges entassés pour cacher un seul fait !... Je suis seule, on ne me voit point ; je pourrai mentir à mon aise. Mais le bout du doigt reste noir, la plume est tachée, le papier manque ! On ne saurait penser à tout. Bien certainement, signora, quand j'irai par la ville, un bon double tour me répondra de vous.  Mais que nous veut cet homme ? Un soldat ! Rentrez chez vous, signora. Bartholo ! Laquelle ! Vous voyez bien que c'est moi. Laquelle ! Rentrez donc, Rosine ; cet homme paraît avoir du vin. Rentrez, rentrez ; je ne suis pas timide. Qu'est-ce que c'est donc que vous cachez là dans votre poche ? Mon signalement ! Ces gens-là croient toujours parler à des soldats. Qu'est-ce que cela veut dire ? Êtes-vous ici pour m'insulter ? Délogez à l'instant. Autre question saugrenue. Comment cela ? Oser comparer un maréchal... Il vous sied bien, manipuleur ignorant, de ravaler ainsi le premier, le plus grand et le plus utile des arts ! Un art dont le soleil s'honore d'éclairer les succès ! On voit bien, malappris, que vous n'êtes habitué de parler qu'à des chevaux. Sans les guérir, n'est-ce pas ? Qui diable envoie ici ce maudit ivrogne ? Enfin, que voulez-vous ? Que demandez-vous ? Rien que cela ? Voyons. "Le docteur Bartholo recevra, nourrira, hébergera, couchera... "Pour une nuit seulement, le nommé Lindor, dit l'Ecolier, cavalier au régiment..." Qu'est-ce qu'il y a ? On dirait que cet homme se fait un malin plaisir de m'estropier de toutes les manières possibles. Allez au diable, Barbaro ! Barbe à l'eau ! Et dites à votre impertinent maréchal-des-logis que, depuis mon voyage à Madrid, je suis exempt de loger des gens de guerre. Ah ! Ah ! Notre ami, cela vous contrarie et vous dégrise un peu ! Mais n'en décampez pas moins à l'instant. Qu'à cela ne tienne. Il est dans ce bureau. Doucement, doucement, seigneur soldat ; je n'aime point qu'on regarde ma femme de si près. Eh ! Quoi donc ? "Sur les bons et fidèles témoignages qui nous ont été rendus..." Savez-vous bien, soldat, que si j'appelle mes gens, je vous fais traiter sur-le-champ comme vous le méritez ? Ah ! Ah ! Donnez, donnez. Sortez-vous enfin ? Allez toujours. Si j'avais ce crédit-là sur la mort... Il est enfin parti, Dissimulons. Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en délivrer ! Mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis ? Celui qu'il a feint de ramasser pour te le faire accepter. J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne. Qu'est-ce qu'il coûte d'y regarder ? Tu l'as mise là. Ah ! Sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie. Donne donc, mon coeur. Mais vous, quelle raison avez-vous de ne pas le montrer ? Je ne vous entends pas ! Comment, révoltée ! Vous ne m'avez jamais parlé ainsi. De quelle offense parlez-vous ? De sa femme ? Vous voulez me faire prendre le change et détourner mon attention du billet, qui sans doute est une missive de quelque amant. Mais je le verrai, je vous assure. Qui ne vous recevra point. Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes ; mais, pour vous en ôter la fantaisie, je vais fermer la porte. Ah ! J'espère maintenant la voir. Du droit le plus universellement reconnu ; celui du plus fort. Madame ! Madame !... Donnez cette lettre, ou craignez ma colère. Qu'avez-vous donc ? Rosine ! Elle se trouve mal. Dieux ! La lettre ! Lisons-la sans qu'elle en soit instruite. Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir ! L'usage des odeurs... produit ces affections spasmodiques. Ô ciel ! C'est la lettre de son cousin. Maudite inquiétude ! Comment l'apaiser maintenant ? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue. Eh bien ! Ce n'est rien, mon enfant : un petit mouvement de vapeurs, voilà tout ; car ton pouls n'a seulement pas varié. Ma chère Rosine, un peu de cette eau spiritueuse. Je conviens que j'ai montré trop de vivacité sur ce billet. Pardon : j'ai bientôt senti tous mes torts ; et tu me vois à tes pieds, prêt à les réparer. Qu'elle soit d'un autre ou de lui, je ne veux aucun éclaircissement. Cet honnête procédé dissiperait mes soupçons, si j'étais assez malheureux pour en conserver. À Dieu ne plaise que je te fasse une pareille injure ! Reçois en réparation cette marque de ma parfaite confiance. Je vais voir la pauvre Marceline, que ce Figaro a, je ne sais pourquoi, saignée du pied : n'y viens-tu pas aussi ? Puisque la paix est faite, mignonne, donne-moi ta main. Si tu pouvais m'aimer, ah ! Comme tu serais heureuse ! Je te plairai, je te plairai ; quand je te dis que je te plaira ! Quelle humeur ! Quelle humeur ! Elle paraissait apaisée... Là, qu'on me dise qui diable lui a fourré dans la tête de ne plus vouloir prendre leçon de don Bazile ! Elle sait qu'il se mêle de mon mariage... Faites tout au monde pour plaire aux femmes ; si vous omettez un seul petit point... je dis un seul... Voyons qui c'est. Jamais souhait ne vint plus à propos. Que voulez-vous ? Je n'ai pas besoin de précepteur. Bazile ! Organiste ! Qui a l'honneur !... Je le sais ; au fait. Garder le lit ! Bazile ! Il a bien fait d'envoyer ; je vais le voir à l'instant. Ne fût-il qu'incommodé ! Marchez devant, je vous suis. C'est quelque fripon... Eh non, monsieur le mystérieux ! Parlez sans vous troubler, si vous pouvez. Parlez haut, je suis sourd d'une oreille. Parlez bas ; parlez bas ! Bas ; parlez bas. Je vous prie. Lui a écrit ? Mon cher ami, parlez plus bas, je vous en conjure ! Tenez, asseyons-nous, et jasons d'amitié. Vous avez découvert, dites-vous, que Rosine... Eh ! Mon Dieu ! Je les prends bien. Mais ne vous est-il pas possible de parler plus bas ? Pardon, pardon, seigneur Alonzo, si vous m'avez trouvé méfiant et dur ; mais je suis tellement entouré d'intrigants, de pièges... et puis votre tournure, votre âge, votre air... Pardon, pardon. Eh bien ! Vous avez la lettre ? Eh ! Qui voulez-vous ? Tous mes valets sur les dents ! Rosine enfermée de fureur ! Le diable est entré chez moi. Je vais encore m'assurer... Elle est assise auprès de sa fenêtre, le dos tourné à la porte, occupée à relire une lettre de son cousin l'officier, que j'avais décachetée... Voyons donc la sienne. "Depuis que vous m'avez appris votre nom et votre état." Ah ! La perfide ! C'est bien là sa main. Quelle obligation, mon cher !... Avec un homme de loi, pour mon mariage ? Elle résistera. De la calomnie ! Mon cher ami, je vois bien maintenant que vous venez de la part de Bazile ! Mais pour que ceci n'eût pas l'air concerté, ne serait-il pas bon qu'elle vous connût d'avance ? Je dirai que vous venez en sa place. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon ? Présenté par moi, quelle apparence ? Vous avez plus l'air d'un amant déguisé que d'un ami officieux. Je le donne au plus fin à deviner. Elle est ce soir d'une humeur horrible. Mais quand elle ne ferait que vous voir... Son clavecin est dans ce cabinet. Amusez-vous en l'attendant : je vais faire l'impossible pour l'amener. Avant l'instant décisif ? Elle perdrait tout son effet. Il ne faut pas me dire deux fois les choses : il ne faut pas me les dire deux fois.   Écoute donc, mon enfant ; c'est le seigneur Alonzo, l'élève et l'ami de don Bazile, choisi par lui pour être un de nos témoins. La musique te calmera, je t'assure. Qu'avez-vous ? Elle se trouve encore mal ! Seigneur Alonzo ! Un siège, un siège. Et pas un fauteuil ici ? Tiens, mignonne, assieds-toi. - Il n'y a pas d'apparence, bachelier, qu'elle prenne de leçon ce soir ; ce sera pour un autre jour. Adieu. Oh ! Le bon petit naturel de femme ! Mais, après une pareille émotion, mon enfant, je ne souffrirai pas que tu fasses le moindre effort. Adieu, adieu, bachelier. Voilà qui est fini, mon amoureuse. Je suis si loin de chercher à te déplaire, que je veux rester là tout le temps que tu vas étudier. Je t'assure que ce soir elle m'enchantera. Toujours La Précaution inutile ! Toujours des idées romanesques en tête. Parbleu ! Moi, je crois que j'ai un peu dormi pendant le morceau charmant. J'ai mes malades. Je vas, je viens, je toupille, et sitôt que je m'assieds, mes pauvres jambes... Mais, bachelier, je l'ai déjà dit à ce vieux Bazile : est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en routant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d'enterrements ? Là, de ces petits airs qu'on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement ? J'en savais autrefois... Par exemple... Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris ?... Il y a Fanchonnette dans la chanson ; mais j'y ai substitué Rosinette pour la lui rendre plus agréable et la faire cadrer aux circonstances. Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Fort bien ! Pas vrai ? Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris ? Je ne suis point Tircis ; Mais la nuit, dans l'ombre, Je vaux encor mon prix ; Et quand il fait sombre Les plus beaux chats sont gris. Je ne suis point Tircis, etc. Ah ! Entrez, monsieur le barbier ; avancez ; vous êtes charmant ! Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison ? Votre zèle n'attend pas ! Que direz-vous, monsieur le zélé, à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé ? Et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle ! Que leur direz-vous ? Oui ! Vraiment non ; mais c'est la saignée et les médicaments qui le grossiraient, si je voulais y entendre. Est-ce par zèle aussi que vous avez empaqueté les yeux de ma mule, et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue ? Que je le trouve sur le mémoire !... On n'est pas de cette extravagance-là ! Vous feriez bien mieux, monsieur le raisonneur, de me payer mes cent écus et les intérêts sans lanterner, je vous en avertis. Et dites-moi un peu comment la petite Figaro a trouvé les bonbons que vous lui avez portés. Oui, ces bonbons, dans ce cornet fait avec cette feuille de papier à lettre, ce matin. Excellents ! Admirables ! Oui, sans doute, monsieur le barbier, revenez sur vos pas ! Vous faites là un joli métier, monsieur ! Et qui vous fera une belle réputation, monsieur ! Dites que vous la supporterez, monsieur. Vous le prenez bien haut, monsieur ! Sachez que quand je dispute avec un fat, je ne lui cède jamais. Hein ! Qu'est-ce qu'il dit donc, bachelier ? Eh ! que n'y restiez-vous, sans venir ici changer de profession ? Me mettre à votre place ! Ah ! Parbleu, je dirais de belles sottises ! Enfin, quel sujet vous amène ? Y a-t-il quelque lettre à remettre encore ce soir à madame ? Parlez, faut-il que je me retire ? Vous reviendrez tantôt. Non, monsieur ne passe point chez lui. Et mais... qui empêche qu'on ne me rase ici ? Tu te fâches ? Pardon, mon enfant, tu vas achever de prendre ta leçon ; c'est pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre. Sans doute, appelez-les ! Fatigués, harassés, moulus de votre façon, n'a-t-il pas fallu les faire coucher ! Non, non, j'y vais moi-même. Ayez les yeux sur eux, je vous prie.  Bon ! Je ne sais ce que je fais, de laisser ici ce maudit barbier. Tenez. Dans mon cabinet, sous mon bureau ; mais ne touchez à rien. C'est le drôle qui a porté la lettre au Comte. Il ne m'attrapera plus. Tout considéré, j'ai pensé qu'il était plus prudent de l'envoyer dans ma chambre que de le laisser avec elle. Qu'est-ce que j'entends donc ! Le cruel barbier aura tout laissé tomber par l'escalier, et les plus belles pièces de mon nécessaire !... Je ne m'étais pas trompé ; tout est brisé, fracassé. On prend garde à ce qu'on fait. Accrocher une clef ! L'habile homme. Ah ! Bazile, mon ami, soyez le bien rétabli. Votre accident n'a donc point eu de suites ? En vérité, le seigneur Alonzo m'avait fort effrayé sur votre état ; demandez-lui, je partais pour vous aller voir, et s'il ne m'avait point retenu... N'allez pas nous démentir, Bazile, en disant qu'il n'est pas votre élève, vous gâteriez tout. En vérité, Bazile, on n'a pas plus de talent que votre élève. Je le sais, taisez-vous. Lui, apparemment ! Eh bien, Bazile, votre homme de loi ?... Un mot ; dites-moi seulement si vous êtes content de l'homme de loi. Vous avez raison. Mais quel mal vous a donc pris si subitement ? D'honneur, il sent la fièvre d'une lieue. Allez vous coucher. À demain, toujours, si vous êtes mieux, Cet homme-là n'est pas bien du tout. Eh mais ! Il semble que vous le fassiez exprès de vous approcher, et de vous mettre devant moi pour m'empêcher de voir... Qu'est-ce que c'est ? Ne frottez donc pas. Votre déguisement inutile ! Fort bien, madame, ne vous gênez pas. Comment ! Sous mes yeux mêmes, en ma présence, on m'ose outrager de la sorte ! Perfide Alonzo ! Ah ! Qu'est-ce que j'entends ! La colère me suffoque. Comment ! Lorsque je les prends sur le fait ! Maudit barbier ! Il me prend des envies... Je suis fou ! Infâmes suborneurs, émissaires du diable, dont vous faites ici l'office, et qui puisse vous emporter tous... Je suis fou !... Je les ai vus comme je vois ce pupitre... Et me soutenir effrontément !... Ah ! Il n'y a que Bazile qui puisse m'expliquer ceci. Oui, envoyons-le chercher. Holà ! Quelqu'un... Ah ! J'oublie que je n'ai personne... Un voisin, le premier venu, n'importe. Il y a de quoi perdre l'esprit ! il y a de quoi perdre l'esprit ! Comment, Bazile, vous ne le connaissez pas ! Ce que vous dites est-il possible ? Quelle apparence ? Mais, à propos de ce présent, eh ! Pourquoi l'avez-vous reçu ? J'entends, est bon... Ah ! ah ! En ma place, Bazile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la posséder ? Vous craindriez les accidents ? Votre valet, Bazile. Il vaut mieux qu'elle pleure de m'avoir, que moi je meure de ne l'avoir pas... Aussi ferai-je, et cette nuit même. Vous avez raison. Voici la lettre de Rosine que cet Alonzo m'a remise, et il m'a montré, sans le vouloir, l'usage que j'en dois faire auprès d'elle. Pourquoi pas plus tôt ? Pour un mariage ? Sa nièce ? Il n'en a pas. Ce drôle est du complot : que diable !... Ma foi, ces gens-là sont si alertes ! Tenez, mon ami, je ne suis pas tranquille. Retournez chez le notaire. Qu'il vienne ici sur-le-champ avec vous. Je vous reconduis : n'ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro ! Je suis seul ici. Tenez, Bazile, voilà mon passe-partout. Je vous attends, je veille ; et vienne qui voudra, hors le notaire et vous, personne n'entrera de la nuit. Ah ! Rosine, puisque vous n'êtes pas encore rentrée dans votre appartement... Par le temps affreux qu'il fait, vous ne reposerez pas, et j'ai des choses très pressées à vous dire. Rosine, écoutez-moi. Un moment, de grâce ! Connaissez-vous cette lettre ? Mon intention, Rosine, n'est point de vous faire de reproches ; à votre âge, on peut s'égarer ; mais je suis votre ami ; écoutez-moi. Cette lettre que vous avez écrite au comte Almaviva... Voyez quel homme affreux est ce Comte : aussitôt qu'il l'a reçue, il en a fait trophée. Je la tiens d'une femme à qui il l'a sacrifiée Vous avez peine à vous persuader cette horreur. L'inexpérience, Rosine, rend votre sexe confiant et crédule ; mais apprenez dans quel piège on vous attirait. Cette femme m'a fait donner avis de tout, apparemment pour écarter une rivale aussi dangereuse que vous. J'en frémis ! Le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet élève supposé de Bazile qui porte un autre nom, et n'est que le vil agent du Comte, allait vous entraîner dans un abîme dont rien n'eût pu vous tirer. Ah ! C'est Lindor. Voilà ce qu'on m'a dit en me remettant votre lettre. Tu connais la vivacité de mes sentiments. Eh bien ! Le notaire viendra cette nuit même. Ah ! Les scélérats ! Mon enfant, je ne te quitte plus. Tu as raison : je perdrais ma vengeance. Monte chez Marceline ; enferme-toi chez elle à double tour. Je vais chercher main-forte, et l'attendre auprès de la maison. Arrêté comme voleur, nous aurons le plaisir d'en être à la fois vengés et délivrés ! Et compte que mon amour te dédommagera... Allons nous embusquer. À la fin je la tiens. Rosine avec ces fripons ! Arrêtez tout le monde. J'en tiens un au collet. Ah ! Don Bazile ! Eh ! Comment êtes-vous ici ? Almaviva ! Laissons cela. Partout ailleurs, monsieur le Comte, je suis le serviteur de Votre Excellence ; mais vous sentez que la supériorité du rang est ici sans force. Ayez, s'il vous plaît, la bonté de vous retirer. Que dit-il, Rosine ? Que m'importe à moi ? Plaisant mariage ! Où sont les témoins ? Comment, Bazile ! Vous avez signé ? Je me moque de ses arguments. J'userai de mon autorité. La demoiselle est mineure. Qui te parle à toi, maître fripon ? Jamais on ne l'ôtera de mes mains. Ils étaient tous contre moi ; je me suis fourré la tête dans un guêpier. Eh ! Laissez-moi donc en repos, Bazile ! Vous ne songez qu'à l'argent. Je me soucie bien de l'argent, moi ! À la bonne heure, je le garde mais croyez-vous que ce soit le motif qui me détermine ? Et moi qui leur ai enlevé l'échelle pour que le mariage fût plus sûr ! Ah ! Je me suis perdu faute de soins. **** *creator_beaumarchais *book_beaumarchais_barbierdeseville *style_prose *genre_comedy *dist1_beaumarchais_prose_comedy_barbierdeseville *dist2_beaumarchais_prose_comedy *id_ROSINE *date_1775 *sexe_masculin *age_jeune *statut_exterieur *fonction_autres *role_rosine Comme le grand air fait plaisir à respirer !... Cette jalousie s'ouvre si rarement... Ce sont des couplets de "La Précaution inutile", que mon maître à chanter m'a donnés hier. C'est une comédie nouvelle. Je n'en sais rien. Vous injuriez toujours notre pauvre siècle. Ah ! Ma chanson ! Ma chanson est tombée en vous écoutant, courez, courez donc, monsieur ! Ma chanson, elle sera perdue ! St, st ! Ramassez vite et sauvez-vous. Sous le balcon, au pied du mur. Je n'ai vu personne. Mon excuse est dans mon malheur : seule, enfermée, en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage ? Tout me dit que Lindor est charmant, Que je dois l'aimer constamment... Marceline est malade ; tous les gens sont occupés ; et personne ne me voit écrire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon argus a un génie malfaisant qui l'instruit à point nommé ; mais je ne puis dire un mot ni faire un pas, dont il ne devine sur-le-champ l'intention... Ah ! Lindor ! Fermons toujours ma lettre, quoique j'ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu à travers ma jalousie parler longtemps au barbier Figaro. C'est un bon homme qui m'a montré quelquefois de la pitié : si je pouvais l'entretenir un moment !  Ah ! Monsieur Figaro, que je suis aise de vous voir ! Pas trop bonne, monsieur Figaro. L'ennui me tue. Avec qui parliez-vous donc là-bas si vivement ? Je n'entendais pas ; mais... Oh ! Tout à fait bien, je vous assure ! Il se nomme ?... Il en trouvera, monsieur Figaro ; il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez n'est pas fait pour rester inconnu. Un défaut, monsieur Figaro ! Un défaut ! En êtes-vous bien sûr ? Il est amoureux ! Et vous appelez cela un défaut ! Ah ! Que le sort est injuste ! Et nomme-t-il la personne qu'il aime ? Je suis d'une curiosité... Pourquoi, monsieur Figaro ? Je suis discrète. Ce jeune homme vous appartient, il m'intéresse infiniment... Dites donc. Qui reste en cette ville ? Dans cette rue peut-être ? Ah ! Que c'est charmant... pour monsieur votre parent. Et cette personne est ?... C'est la seule chose que vous ayez oubliée, monsieur Figaro. Dites donc, dites donc vite ; si l'on rentrait, je ne pourrais plus savoir... La pupille ?... Ah ! Monsieur Figaro... Je ne vous crois pas, je vous assure. Vous me faites trembler, monsieur Figaro. S'il m'aime, il doit me le prouver en restant absolument tranquille. Repos sans amour... paraît... Il est certain qu'une jeune personne ne peut empêcher un honnête-homme de l'estimer. Mais s'il allait faire quelque imprudence, monsieur Figaro, il nous perdrait. Je n'ai pas le temps de recommencer celle-ci ; mais en la lui donnant, dites-lui... Dites-lui bien... Que c'est par pure amitié tout ce que je fais. Que par pure amitié, entendez-vous ? Je crains seulement que, rebuté par les difficultés... Dieux ! J'entends mon tuteur. S'il vous trouvait ici... Passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez. Je meurs d'inquiétude jusqu'à ce qu'il soit dehors... Que je l'aime, ce bon Figaro ! C'est un bien honnête homme, un bon parent ! Ah ! Voilà mon tyran ; reprenons mon ouvrage. Qui vous met donc si fort en colère, monsieur ? Eh ! Qui peut y pénétrer que vous, monsieur ? C'est bien mettre à plaisir de l'importance à tout ! Le vent peut avoir éloigné ce papier, le premier venu ; que sais-je ? À l'air, monsieur ? Oh ! Le méchant vieillard ! Faites mieux ; murez les fenêtres tout d'un coup ; d'une prison à un cachot la différence est si peu de chose ! Vous donne-t-il aussi de l'inquiétude ? Que vos répliques sont honnêtes ! Quoi ! Vous n'accordez pas même qu'on ait des principes contre la séduction de monsieur Figaro ? Mais, monsieur, s'il suffit d'être homme pour nous plaire, pourquoi donc me déplaisez-vous si fort ? Eh bien ! Oui, cet homme est entré chez moi ; je l'ai vu, je lui ai parlé. Je ne vous cache pas même que je l'ai trouvé fort aimable ; et puissiez-vous en mourir de dépit ! Quoi ! Vous êtes encore là, monsieur Figaro ? Et vous les avez écoutés monsieur Figaro ? Mais savez-vous que c'est fort mal ! Ah ! Grands dieux ! Le voici qui revient ; sortez donc par le petit escalier. Vous me faites mourir de frayeur. Vous étiez ici avec quelqu'un, monsieur ? Cela m'est fort égal, je vous assure. Faut-il parler sérieusement ? Il m'a rendu compte de l'état de Marceline, qui même n'est pas trop bien, à ce qu'il dit. Et de qui, s'il vous plaît ? Il n'en a pas manqué une seule. Vous mériteriez bien que cela fût. Il serait assez plaisant que vous eussiez le projet de m'en faire convenir. Maudit homme ! Ah ! sans doute... La belle preuve !... Finissez donc, monsieur, vous me tordez le bras. Je me suis brûlée en chiffonnant autour de cette bougie ; et l'on m'a toujours dit qu'il fallait aussitôt tremper dans l'encre : c'est ce que j'ai fait. Oh ! Imbécile ! La sixième... La sixième ? Je l'ai employée à faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyés à la petite Figaro. Cet homme a un instinct de jalousie !... Elle m'a servi à retracer une fleur effacée sur la veste que je vous brode au tambour. Eh ! Qui ne rougirait pas, monsieur, de voir tirer des conséquences aussi malignes des choses les plus innocemment faites ? Il parle de Lindor. C'est pour cela, monsieur ; vous êtes seul. Une femme en impose quelquefois. Monsieur le soldat, ne vous emportez point, de grâce ! Parlez-lui doucement, monsieur : un homme qui déraisonne... Que puis-je pour votre service, monsieur le soldat ? J'en saisirai l'esprit. C'est lui, c'est lui-même. Quoi, Lindor, c'est vous ? Prenez garde, il a les yeux sur nous. Ni ne veux en voir. Ah ! Je sais ce que c'est, monsieur le soldat. Convenez pourtant, monsieur, qu'il est bien gai, ce jeune soldat ! À travers son ivresse, on voit qu'il ne manque ni d'esprit, ni d'une certaine éducation. Quel papier ? Bon ! C'est la lettre de mon cousin l'officier, qui était tombée de ma poche. Je l'ai très bien reconnue. Je ne sais pas seulement ce que j'en ai fait. Ah ! Ah ! Par distraction. Si je ne le mets pas en colère, il n'y aura pas moyen de refuser. Mais quelle idée avez-vous en insistant, monsieur ? Est-ce encore quelque méfiance ? Je vous répète, monsieur, que ce papier n'est autre que la lettre de mon cousin, que vous m'avez rendue hier toute décachetée ; et puisqu'il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaît excessivement. Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent ? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés ? Si c'est jalousie, elle m'insulte ; s'il s'agit de l'abus d'une autorité usurpée, j'en suis plus révoltée encore. Si je me suis modérée jusqu'à ce jour, ce n'était pas pour vous donner le droit de m'offenser impunément. C'est qu'il est inouï qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un. Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la préférence d'une indignité qu'on ne fait à personne ? Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu. C'est ce qu'il faudra voir. Ah ciel ! Que faire ? Mettons vite à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu à la prendre. De quel droit, s'il vous plaît ? On me tuera plutôt que de l'obtenir de moi. Ah ! Quelle indignité !... Malheureuse Rosine ! Quel avenir affreux ! J'étouffe de fureur ! Je m'affaiblis, je meurs. Infortunée ! Ah ! Ah ! Pauvre Rosine ! Ah !... Il a remis la lettre ! Fort bien. Je ne veux rien de vous : laissez-moi. Il s'agit bien du billet ! C'est votre façon de demander les choses qui est révoltante. Oui, pardon ! Lorsque vous croyez que cette lettre ne vient pas de mon cousin. Vous voyez qu'avec de bonnes façons on obtient tout de moi. Lisez-la. Lisez-la donc, monsieur. Vous me contrariez de la refuser. J'y monterai dans un moment. Si vous pouviez me plaire, ah ! Comme je vous aimerais. Ah ! Lindor ! Il dit qu'il me plaira !... Lisons cette lettre qui a manqué de me causer tant de chagrin. Ah !... J'ai lu trop tard ; il me recommande de tenir une querelle ouverte avec mon tuteur : j'en avais une si bonne, et je l'ai laissée échapper. En recevant la lettre, j'ai senti que je rougissais jusqu'aux yeux. Ah ! Mon tuteur a raison : je suis bien loin d'avoir cet usage du monde qui, me dit-il souvent, assure le maintien des femmes en toute occasion ! Mais un homme injuste parviendrait à faire une rusée de l'innocence même. Tout ce que vous direz est inutile, monsieur. J'ai pris mon parti ; je ne veux plus entendre parler de musique. Oh ! Pour cela vous pouvez vous en détacher. Si je chante ce soir !... Où donc est-il ce maître que vous craignez de renvoyer ? Je vais, en deux mots, lui donner son compte, et celui de Bazile. Ah !... Ah ! Mon Dieu, monsieur... Ah ! Mon Dieu, monsieur... Non, je ne me trouve pas mal... mais c'est qu'en me tournant... Ah !... Ah ! Oui, le pied m'a tourné. Je me suis fait un mal horrible. Le coup m'a porté au coeur. Quelle imprudence ! Il ne nous quittera pas. Non, attendez ; ma douleur est un peu apaisée. Je sens que j'ai eu tort avec vous, monsieur : je veux vous imiter, en réparant sur-le-champ... Un moment, de grâce ! Je croirai, monsieur, que vous n'aimez pas à m'obliger, si vous m'empêchez de vous prouver mes regrets en prenant ma leçon. Non, monsieur. Je sais que la musique n'a nul attrait pour vous. Je suis au supplice. Oui, c'est un morceau très agréable de La Précaution inutile. Avec grand plaisir : un tableau du printemps me ravit ; c'est la jeunesse de la nature. Au sortir de l'hiver, il semble que le coeur acquière un plus haut degré de sensibilité : comme un esclave, enfermé depuis longtemps, goûte avec plus de plaisir le charme de la liberté qui vient de lui être offerte. Quand dans la plaine, L'amour ramène Le printemps Si chéri des amants, Tout reprend l'être, Son feu pénètre Dans les fleurs, Et dans les jeunes coeurs. On voit les troupeaux Sortir des hameaux ; Dans tous les coteaux Les cris des agneaux Retentissent ; Ils bondissent : Tout fermente, Tout augmente ; Les brebis paissent Les fleurs qui naissent, Les chiens fidèles Veillent sur elles ; Mais Lindor enflammé Ne songe guère Qu'au bonheur d'être aimé De sa bergère. Loin de sa mère Cette bergère Va chantant Où son amant l'attend. Par cette ruse, L'amour l'abuse ; Mais chanter Sauve-t-il du danger ? Les doux chalumeaux, Les chants des oiseaux, Ses charmes naissants, Ses quinze ou seize ans, Tout l'excite, Tout l'agite ; La pauvrette S'inquiète. De sa retraite, Lindor la guette ; Elle s'avance ; Lindor s'élance ; Il vient de l'embrasser : Elle, bien aise, Feint de se courroucer Pour qu'on l'apaise Les soupirs, Les soins, les promesses, Les vives tendresses, Les plaisirs, Le fin badinage, Sont mis, en usage ; Et bientôt la bergère Ne sent plus de colère. Si quelque jaloux. Trouble un bien si doux, Nos amants d'accord Ont un soin extrême... De voiler leur transport ; Mais quand on s'aime, La gêne ajoute encor Au plaisir même. Vous me flattez, seigneur ; la gloire est tout entière au maître. Figaro ne vient point ! Avez-vous eu soin au moins de les lui donner de ma part, monsieur Figaro ? Je vous l'avais recommandé. Vous êtes honnête ! Et pourquoi pas dans mon appartement ? C'est la plus neuve de toutes.  Il est bien poli, messieurs, de parler bas sans cesse ! Et ma leçon ? Ah ! Lindor ! Don Bazile !... Eh ! Taisez-vous. Est-il si difficile de vous taire ? Pourquoi donc êtes-vous sorti ? On dit que cela se gagne. Allez vous coucher. Bonsoir, monsieur Bazile. Il a les yeux égarés. Ah !... Sa femme ! Moi ! Passer mes jours auprès d'un vieux jaloux, qui, pour tout bonheur, offre à ma jeunesse un esclavage abominable ! Oui, je le dis tout haut : je donnerai mon coeur et ma main à celui qui pourra m'arracher de cette horrible prison, où ma personne et mon bien sont retenus contre toute justice.   Il me semblait avoir entendu parler. Il est minuit sonné ; Lindor ne vient point ! Ce mauvais temps même était propre à le favoriser. Sûr de ne rencontrer personne... Ah ! Lindor ! Si vous m'aviez trompée !... Quel bruit entends-je ?... Dieux ! C'est mon tuteur. Rentrons.  Je vais me retirer. Que voulez-vous, monsieur ? N'est-ce donc pas assez d'être tourmentée le jour ? Demain je vous entendrai. S'il allait venir ! Ah ! Grands dieux ! Je n'en puis plus. Au comte Almaviva ! Le comte Almaviva ! Quelle horreur !... Quoi ! Lindor !... Quoi ! Ce jeune homme ! C'est pour le comte Almaviva... C'est pour un autre... Ah ! Quelle indignité ! Il en sera puni. Monsieur, vous avez désiré de m'épouser ? S'il peut vous en rester encore, je suis à vous. Ce n'est pas tout. Ô ciel ! Suis-je assez humiliée !... Apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie, dont ils ont eu l'art de vous dérober la clef. Ah ! Monsieur ! Et s'ils sont armés ? Oubliez seulement mon erreur. Ah ! Je m'en punis assez. Son amour me dédommagera !... Malheureuse !... Que faire ?... Il va venir. Je veux rester et feindre avec lui, pour le contempler un moment dans toute sa noirceur. La bassesse de son procédé sera mon préservatif... Ah ! J'en ai grand besoin. Figure noble, air doux, une voix si tendre !... Et ce n'est que le vil agent d'un corrupteur ! Ah ! Malheureuse ! Malheureuse ! Ciel !... On ouvre la jalousie ! Je commençais, monsieur, à craindre que vous ne vinssiez pas. Monsieur, si le don de ma main n'avait pas dû suivre à l'instant celui de mon coeur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d'irrégulier. La naissance, la fortune ! Laissons là les jeux du hasard, et si vous m'assurez que vos intentions sont pures... Arrêtez, malheureux !... Vous osez profaner !... Tu m'adores !... Va ! Tu n'es plus dangereux pour moi ; j'attendais ce mot pour te détester. Mais avant de t'abandonner au remords qui t'attend... Apprends que je t'aimais ; apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor ! J'allais tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l'indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre ? Oui, je lui en ai l'obligation. Monseigneur !... Que dit-il ? Ah !... Ah ! Lindor !... Ah ! Monsieur ! Que je suis coupable ! J'allais me donner cette nuit même à mon tuteur. Ne voyez que ma punition ! J'aurais passé ma vie à vous détester. Ah ! Lindor ! Le plus affreux supplice n'est-il pas de haïr, quand on sent qu'on est faite pour aimer ? Oui, c'est moi... C'est le docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m'a trompée. J'ai tout avoué, tout trahi : il sait que vous êtes ici, et va venir avec main-forte. Ah ! Lindor !... Non, non ; grâce pour lui, cher Lindor ! Mon coeur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place.  Il dit vrai. D'où naît votre étonnement ? Ne devais-je pas, cette nuit même, être vengée d'un trompeur ? Je le suis. **** *creator_beaumarchais *book_beaumarchais_barbierdeseville *style_prose *genre_comedy *dist1_beaumarchais_prose_comedy_barbierdeseville *dist2_beaumarchais_prose_comedy *id_FIGARO *date_1775 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_figaro Bannissons le chagrin, Il nous consume : Sans le feu du bon vin Qui nous rallume, Réduit à languir, L'homme sans plaisir Vivrait comme un sot, Et mourrait bientôt. Jusque-là ceci ne va pas mal, hein, hein. ... Et mourrait bientôt. Le vin et la paresse Se disputent mon coeur. Eh non ! Ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble... Se partagent... mon coeur. Dit-on se partagent ?... Eh ! Mon Dieu, nos faiseurs d'opéras-comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur. Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée. Se partagent mon coeur. Si l'une a ma tendresse... L'autre fait mon bonheur. Fi donc ! C'est plat. Ce n'est pas ça... Il me faut une opposition, une antithèse : Si l'une... est ma maîtresse L'autre... Eh ! Parbleu, j'y suis... L'autre est mon serviteur. Fort bien, Figaro !... Le vin et la paresse Se partagent mon coeur ; Si l'une est ma maîtresse, L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. Hen, hen, quand il y aura des accompagnements là-dessous, nous verrons encore, messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis... J'ai vu cet abbé-là quelque part. Eh non, ce n'est pas un abbé ! Cet air altier et noble... Je ne me trompe point ; c'est le comte Almaviva. C'est lui-même, Monseigneur. Oui, je vous reconnais ; voilà les bontés familières dont vous m'avez toujours honoré. Que voulez-vous, Monseigneur, c'est la misère. Je l'ai obtenu, Monseigneur ; et ma reconnaissance... Je me retire. Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire. Non ; dans les haras d'Andalousie. Le poste n'était pas mauvais ; parce qu'ayant le district des pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval... Ah ! Ah ! Il n'y a point de remède universel ; mais qui n'ont pas laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats. Quitté ? C'est bien lui-même ; on m'a desservi auprès des puissances. L'envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide... Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Cloris ; que j'envoyais des énigmes aux journaux, qu'il courait des madrigaux de ma façon ; en un mot, quand il a su que j'étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des lettres est incompatible avec l'esprit des affaires. Je me crus trop heureux d'en être oublié, persuadé qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. Eh ! Mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut. Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ? Non, pas tout de suite. De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires ; et le théâtre me parut un champ d'honneur... En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs ; des mains... comme des battoirs ; j'avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds ; et d'honneur, avant la pièce, le café m'avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale... Tout comme un autre : pourquoi pas ? Ils m'ont sifflé ; mais si jamais je puis les rassembler... Ah ! Comme je leur en garde, morbleu ! On a vingt-quatre ans au théâtre ; la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment. C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maître. Voyant à Madrid que la république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d'argent ; à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid ; et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-Morena, l'Andalousie ; accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur aux événements ; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le mauvais ; me moquant des sots, bravant les méchants, riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde ; vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner. L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté ? Pourquoi ? Il demandait ce que c'est que la Précaution inutile ! Ma chanson, ma chanson est tombée ; courez, courez donc ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Oh ! Ces femmes ! Voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue ? Enfermez-la. Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade ; vous faites ici l'amour en perspective. Moi, jaser ! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévouement dont on abuse à la journée ; je n'ai qu'un mot : mon intérêt vous répond de moi ; pesez tout à cette balance, et... Joli oiseau, ma foi ! Difficile à dénicher ! Mais qui vous a dit qu'elle était femme du docteur ? C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid pour donner le change aux galants et les écarter ; elle n'est encore que sa pupille, mais bientôt... Comme ma mère. C'est un beau, gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette, et furette, et gronde, et geint tout à la fois. Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort. Nuls. Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point pendu. C'est faire à la fois le bien public et particulier : chef-d'oeuvre de morale, en vérité, Monseigneur ! À tout le monde ; s'il pouvait la calfeutrer... Si j'en ai ! Primo, la maison que j'occupe appartient au docteur, qui m'y loge gratis... Et moi, en reconnaissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi... De plus, son barbier, son chirurgien, son apothicaire ; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur. Peste ! Comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances ! Parlez-moi des gens passionnés ! C'est bien là un propos d'amant ! Est-ce que je l'adore, moi ? Puissiez-vous prendre ma place ! C'est à quoi je rêvais. En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l'intérêt d'autrui. Je cherche dans ma tête si la pharmacie ne fournirait pas quelques petits moyens innocents... Est-ce que je veux leur nuire ? Ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s'agit que de les traiter ensemble. Il faut marcher si vite que le soupçon n'ait pas le temps de naître. Il me vient une idée : le régiment de Royal-Infant arrive en cette ville. Bon. Présentez-vous chez le docteur en habit de cavalier, avec un billet de logement ; il faudra bien qu'il vous héberge ; et moi, je me charge du reste. Il ne serait même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins... Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable. Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui. Ah ! Oui, moi ! Nous serons bien heureux s'il ne vous reconnaît pas, vous qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire après ? C'est que vous ne pouvez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier... pris de vin... Pas mal, en vérité ; vos jambes seulement un peu plus avinées. (D'un ton plus ivre.) N'est-ce pas ici la maison... C'est la bonne, c'est celle du plaisir C'est notre homme : éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti. Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre. Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau, besogneux, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur... La v'là, la v'là. Derrière sa jalousie, la voilà, la voilà. Ne regardez pas, ne regardez donc pas ! Ne vous écrit-elle pas : Chantez indifféremment ? c'est-à-dire, chantez comme si vous chantiez... seulement pour chanter. Oh ! La v'là, la v'là. Tout ce qui vous viendra, Monseigneur, est excellent : en amour, le coeur n'est pas difficile sur les productions de l'esprit... Et prenez ma guitare. Est-ce qu'un homme comme vous ignore quelque chose ? Avec le dos de la main ; from, from, from... Chanter sans guitare à Séville ! Vous seriez bientôt reconnu, ma foi, bientôt dépisté. Fort bien, parbleu ! Courage, Monseigneur ! Eh comment diable ! Je ne ferais pas mieux, moi qui m'en pique. Oh ! Ma foi, pour celui-ci !... Excellence ? Croyez-vous qu'on vous ait entendu, cette fois ? Ah ! La pauvre petite ! comme elle tremble en chantant ! Elle est prise, Monseigneur. Que de ruse ! Que d'amour ! Elle passera plutôt à travers cette jalousie que d'y manquer. Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend plus. Je me rends. Allons, Figaro, vole à la fortune, mon fils. Moi, j'entre ici, où, par la force de mon art, je vais, d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue, et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, l'habit de soldat, le billet de logement, et de l'or dans vos poches. De l'or, mon Dieu, de l'or : c'est le nerf de l'intrigue. Je vous rejoins dans peu. Qu'est-ce que c'est ? J'oublie ma guitare, moi ! Je suis donc fou ! Ah ! Réellement je suis frappé ! Ma boutique à quatre pas d'ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l'air, l'oeil dans la main, Consilio manuque, FIGARO. Votre santé, madame ? Je le crois ; il n'engraisse que les sots. Avec un jeune bachelier de mes parents, de la plus grande espérance ; plein d'esprit, de sentiments, de talents, et d'une figure fort revenante. Lindor. Il n'a rien ; mais s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvait y trouver quelque bonne place. Fort bien. Mais il a un grand défaut qui nuira toujours à son avancement. Il est amoureux. À la vérité, ce n'en est un que relativement à sa mauvaise fortune. Vous êtes la dernière, madame, à qui je voudrais faire une confidence de cette nature. Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraîche, agaçant l'appétit ; pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus, bouche rosée, et des mains ! Des joues ! Des dents ! Ses yeux !... En ce quartier. à deux pas de moi. Je ne l'ai pas nommée ? Vous le voulez absolument, madame ? Eh bien, cette personne est... la pupille de votre tuteur. Du docteur Bartholo ; oui, madame. Et c'est ce qu'il brûle de venir vous persuader lui-même. Fi donc, trembler ! Mauvais calcul, madame. Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. D'ailleurs je viens de vous débarrasser de tous vos surveillants jusqu'à demain. Eh ! Madame ! Amour et repos peuvent-ils habiter en même coeur ? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix : amour sans repos, ou repos sans amour. Ah ! Bien languissant. Il me semble, en effet, qu'amour sans repos se présente de meilleure grâce : et pour moi, si j'étais femme... Aussi mon parent vous estime-t-il infiniment. Il nous perdrait ! Si vous le lui défendiez expressément par une petite lettre... Une lettre a bien du pouvoir. Personne, madame. Cela parle de soi. Tudieu ! L'amour a bien une autre allure ! Oui, quelque feu follet. Souvenez-vous, madame, que le vent qui éteint une lumière allume un brasier, et que nous sommes ce brasier-là. D'en parler seulement, il exhale un tel feu qu'il m'a presque enfiévré de sa passion, moi qui n'y ai que voir ! Soyez tranquille. Voici, qui vaut mieux que mes observations. Oh ! La bonne précaution ! Ferme, ferme la porte de la rue, et moi je vais la rouvrir au Comte en sortant. C'est un grand maraud que ce Bazile ! Heureusement il est encore plus sot. Il faut un état, une famille, un nom, un rang, de la consistance enfin, pour faire sensation dans le monde en calomniant. Mais un Bazile ! Il médirait, qu'on ne le croirait pas.  Très heureusement pour vous, mademoiselle. Votre tuteur et votre maître de musique, se croyant seuls ici viennent de parler à coeur ouvert... D'écouter ? C'est pourtant ce qu'il y a de mieux pour bien entendre. Apprenez que votre tuteur se dispose à vous épouser demain. Ne craignez rien ; nous lui donnerons tant d'ouvrage, qu'il n'aura pas le temps de songer à celui-là. Monsieur, il est vrai que ma mère me l'a dit autrefois ; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là. Bravo, Monseigneur ! Monsieur, il n'est pas tous les jours fête ; mais sans compter les soins quotidiens, monsieur a pu voir que, lorsqu'ils en ont besoin, mon zèle n'attend pas qu'on lui commande... Ce que je leur dirai ? Je leur dirai... Eh ! Parbleu ! Je dirai à celui qui éternue : Dieu vous bénisse, et va te coucher, à celui qui bâille. Ce n'est pas cela, monsieur, qui grossira le mémoire. S'il ne lui rend pas la vue, ce n'est pas cela non plus qui l'empêchera d'y voir. Ma foi, monsieur, les hommes n'ayant guère à choisir qu'entre la sottise et la folie, où je ne vois pas de profit je veux au moins du plaisir ; et vive la joie ! Qui sait si le monde durera encore trois semaines ! Doutez-vous de ma probité, monsieur ? Vos cent écus ! J'aimerais mieux vous les devoir toute ma vie, que de les nier un seul instant. Quels bonbons ? Que voulez-vous dire ? Diable emporte si... Ah ! Ah ! Les bonbons de ce matin ? Que je suis bête, moi ! J'avais perdu tout cela de vue... Oh ! Excellents, madame, admirables ! Qu'est-ce qu'il a donc, monsieur ? Je la soutiendrai, monsieur. Comme il vous plaira, monsieur. Nous différons en cela, monsieur ; moi, je lui cède toujours. C'est que vous croyez avoir affaire à quelque barbier de village, et qui ne sait manier que le rasoir ? Apprenez, monsieur, que j'ai travaillé de la plume à Madrid, et que sans les envieux... On fait comme on peut. Mettez-vous à ma place. Monsieur, vous ne commencez pas trop mal ; je m'en rapporte à votre confrère qui est là rêvassant. Non ? Vous voyant ici à consulter, j'ai pensé que vous poursuiviez le même objet. Comme vous rudoyez le pauvre monde ! Eh ! Parbleu, monsieur, je viens vous raser, voilà tout ; n'est-ce pas aujourd'hui votre jour ? Ah ! Oui, revenir ! Toute la garnison prend médecine demain matin, j'en ai obtenu l'entreprise par mes protections. Jugez donc comme j'ai du temps à perdre ! Monsieur passe-t-il chez lui ? On ne le tirera pas d'ici ! Allons, L'Eveillé ! La jeunesse ! Le bassin, de l'eau, tout ce qu'il faut à monsieur. Eh bien ! J'irai tout chercher. N'est-ce pas dans votre chambre ? Je vais l'attirer dehors. Ah ! Que nous l'avons manqué belle ! Il allait me donner le trousseau. La clef de la jalousie n'y est-elle pas ? La peste ! Il y ferait bon, méfiant comme vous êtes ! Voyez comme le ciel protège l'innocence ! Voyez le grand malheur pour tant de train ! On ne voit goutte sur l'escalier. Moi, en montant j'ai accroché une clef... Ma foi, monsieur, cherchez-en un plus subtil.  C'est le diable ! Eh quoi ! Toujours des accrocs ? Deux heures pour une méchante barbe... Chienne de pratique ! Vous lui parlerez quand je serai parti. Hum ! Grand escogriffe ! Il est sourd ! Vous avez toute la soirée pour parler de l'homme de loi. Il est pâle comme un mort ! Il a la physionomie toute renversée. Allez vous coucher, Croyez-moi, tenez-vous bien chaudement dans votre lit. Avez-vous vu comme il parlait tout seul ? Ce que c'est que de nous ! Ah çà, vous décidez-vous, cette fois ? Je ne sais ce qui m'est entré dans l'oeil. C'est le gauche. Voudriez-vous me faire le plaisir d'y souffler un peu fort ? Hem !... Hem !... Oui, une jeune femme et un grand âge, voilà ce qui trouble la tête d'un vieillard. Je me retire, il est fou. Il est fou, il est fou. Quelqu'un s'enfuit : entrerai-je ? Non. Ma foi, je le crois... Nous voici enfin arrivés, malgré la pluie, la foudre et les éclairs. Nous sommes tout percés. Charmant temps, pour aller en bonne fortune ! Monseigneur, comment trouvez-vous cette nuit ? Oui, mais pour un confident ?... Et si quelqu'un allait nous surprendre ici ? Vous avez pour vous trois passions toutes-puissantes sur le beau sexe : l'amour, la haine et la crainte. Si elle vous nomme audacieux, vous l'appellerez cruelle. Les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles. Au surplus, si son amour est tel que vous le désirez, vous lui direz qui vous êtes ; elle ne doutera plus de vos sentiments. Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même... Point d'inquiétude, Monseigneur : la douce émotion de la joie n'a jamais de suites fâcheuses ; la voilà, la voilà qui reprend ses sens. Morbleu ! Qu'elle est belle ! Monseigneur, le retour est fermé ; l'échelle est enlevée. Monseigneur ! On ouvre la porte de la rue. Monseigneur, c'est notre notaire. Eh ! Par quel hasard, notre ami ?... Précisément. Où donc est la difficulté de signer ? Heure indue ? Monsieur voit bien qu'il est aussi près du matin que du soir. D'ailleurs, je suis de la compagnie de Son Excellence monseigneur le comte Almaviva. Elle vient de s'émanciper. Que la quittance de mes cent écus : ne perdons pas la tête. Ah ! Ah ! Ah ! Monseigneur ! Ils sont de la même famille. Non, monsieur, elles ne sont qu'une. Faute de sens. Mais soyons vrais, docteur quand la jeunesse et l'amour sont d'accord pour tromper un vieillard, tout ce qu'il fait pour l'empêcher peut bien s'appeler à bon droit la Précaution inutile. **** *creator_beaumarchais *book_beaumarchais_barbierdeseville *style_prose *genre_comedy *dist1_beaumarchais_prose_comedy_barbierdeseville *dist2_beaumarchais_prose_comedy *id_LAJEUNESSE *date_1775 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_lajeunesse Voilà plus de cinquante... Cinquante fois... dans un moment ! Je suis brisé. Eh ! Mais, monsieur, y a-t-il... y a-t-il de la justice ?... Mais, pardi, quand une chose est vraie... J'aime autant recevoir mon congé. Un service terrible, et toujours un train d'enfer ! Ah ! Monsieur, je vous jure que, sans mademoiselle, il n'y aurait... Il n'y aurait pas moyen de rester dans la maison. **** *creator_beaumarchais *book_beaumarchais_barbierdeseville *style_prose *genre_comedy *dist1_beaumarchais_prose_comedy_barbierdeseville *dist2_beaumarchais_prose_comedy *id_LEVEILLE *date_1775 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leveille Aah, aah, ah, ah... Monsieur j'étais... Ah, ah, ah... Sûrement je l'ai vu, puisqu'il m'a trouvé tout malade, à ce qu'il dit ; et faut bien que ça soit vrai, car j'ai commencé à me douloir dans tous les membres, rien qu'en l'en-entendant parler... Ah, ah, aah... La Jeunesse ? Est-ce que c'est quelqu'un donc, monsieur Figaro ? Aah ! ah... Moi... je m'entends !... Un pauvre homme de bien est traité comme un misérable.