**** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_achille *date_1636 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_achille Je ne sçay, mon cher coeur, ce qui doit m'arriver, Mais depuis quelque temps je ne fay que resver, J'ay tousjours dedans l'ame un soucy qui me ronge, Tousjours l'esprit troublé de quelque horrible songe, Je ne voy qu'en tremblant l'ombre qui suit mes pas, Enfin je crains un mal que je ne cognoy pas. Soit une illusion, soit phantosme, ou vapeur, Les prodiges sont grands, puis qu'Achille en a peur. Patrocle m'aparoist, & me fait voir sa playe, Au milieu de la nuict son phantosme sanglant S'approche de mon lict d'un pas affreux, & lent : Et quand je l'aperçois, ou que je l'entends plaindre, J'aymois tant cet amy que j'ay peur de le craindre. Il m'appelle, il me presse, & me comblant d'effroy. Me dit d'un triste accent, tu m'as vangé, suy moy. Là ma bouche est sans voix quelque effort qu'elle fasse, Je me la sens fermer par une main de glace, Un pesant faix m'abat quand je me veux lever, Je le sens qui m'estouffe, & ne le puis trouver. La nuict a beau finir, tousjours mon dueïl persiste : Avecque mes amis malgré moy je suis triste, Je pers de jour en jour l'usage des plaisirs, Et ne respire plus qu'avecque des soupirs. “ Nostre vie est un bien difficille à garder, “ Afin de la deffendre on la doit hazarder. Je m'en croirois indigne au destin qui nous presse Si je ne l'exposois pour le bien de la Grece. La mort dans le peril ne m'espouvante pas, Je la crains dans la paix, & la cherche aux combas. Qu'elle ne vienne à moy que par la noble voye, Je ne la craindray point pourveu que je la voye, Je l'ay veuë effroyable, & la verrois encor, Sans pallir je l'ay veuë au front du grand Hector Mais la fine qu'elle est fait son coup dans le calme, Souvent elle se cache à l'ombre d'une palme, Et c'est là le sujet de ma timidité, Je me fie au danger, & crains la seureté. Tu n'es pas toute seule objet de mon soucy, La gloire est ma maistresse, & je l'adore aussy : Pourtant à quelque effect que mon courage monte, Mes jours sont à toy seule, & je t'en rendray conte. Mais que veut Alcimede ? un homme si discret N'interrompt pas pour peu nostre entretien secret. Si c'est pour ce dessein qu'ils ont quitté la ville, Je plains un tel travail qui leur est inutille, Ils devroyent pour leur bien encore y sejourner, Puis qu'ils ne sont venus que pour s'en retourner. Je ne doy pas aussi m'abaisser devant eux. Qu'il vienne, je suis prest d'entendre sa requeste : Oüy, je respecteray ce qu'il a sur la teste, Et je m'efforceray sans le rendre confus, De faire un compliment d'un honneste refus. Car de rendre ce corps à la douleur d'un pere, Il eut trop d'arrogance, & j'ay trop de cholere. Mon cher amy Patrocle en fut trop outragé, Et je l'offencerois apres l'avoir vangé. Certes mes ennemis sont trop officieux, Vous me faictes rougir de venir en ces lieux, Je respecte dans vous, & l'âge, & le merite, Et sçay ce que je dois à cette belle suitte. Que me demandez-vous ? O Dieux, que faictes-vous ! Des Reynes, & des Roys embrasser mes genoux ! Je ne souffriray point que vous vous abaissiez. Levez vous, & priez. J'ay pitié de vos jours que la misere suit, Et je plains l'infortune où je vous voy reduit, Peussay-je vous monstrer comme j'en suis sensible ! Mais vous me demandez une chose impossible : Vous voulez par des cris en obtenir le don, Et contre la justice, & contre la raison ; Que vostre fils Hector en ait abatu mille, Ait combatu pour vous, ait deffendu sa ville, Et poussé contre nous par un courage ardent N'ait pas mesme espargné mon plus cher confident, A qui d'un coup de pique il fit mordre la terre, Je sçavois sa valeur, & les loix de la guerre ; Mais de le despoüiller apres l'avoir tué, Que ce lasche projet se soit effectué, Le rendre apres cela c'est une faute insigne, Il auroit les honneurs dont il est trop indigne, Et l'on diroit de moy l'autheur de son trespas, Achille fait mourir, mais il ne punit pas. Son aspect ne feroit qu'augmenter vos douleurs. Rien sur ma volonté ne peut estre absolu : Ils ne l'auront jamais, j'y suis trop resolu. Vostre infortune est grande, Et je m'accorderois à ce qu'elle demande. Mais quoy ? je ne vous puis livrer ce bien fatal Sans la permission de nostre General. Dans l'armée où je suis on n'excepte personne, Rien de ce corps n'agit que le chef ne l'ordonne. Je me rends, & le rends ; Vos larmes ont esteint ma vengeance enflammee, Ce que n'auroit pas fait le pouvoir d'une armée, “ Une simple douceur calme nos passions, “ Et des humilitez ont vaincu les lions. Madame, l'equité veut que je vous le rende, Oüy, vous avez de moy plus que vostre demande, Essuyez donc ces pleurs qui font un tel effort, Il n'en falloit pas tant pour obtenir un mort : Je recognois ma faute, & je voudrois, Madame, En vous rendant ce corps l'animer de mon ame. Que n'ay-je le pouvoir de le remettre au monde ? J'estimois sa valeur, elle estoit sans seconde, Et combien que je sois l'autheur de son trespas, Mon coeur, je vous le jure, en veut mal à mon bras. Mais quand dedans son corps l'ame seroit remise, (Souffrez que je vous parle avec toute franchise) Quand mesme il paroistroit comme il parut un jour Quand il fit à nos gens souhaitter le retour, Et qu'il vint furieux deffendant vos Pergames Jetter dans nos vaisseaux la frayeur, & des flames, A quoy vous serviroit la force de ses coups ? Vous avez la justice, & les dieux contre vous : “ Que l'on soit plus qu'un Mars, & puissant, & robuste, “ Il n'est rien de si fort qu'une querelle juste, “ L'ennemy vigoureux combat moins vaillament “ Que le foible ennemy qui combat justement, “ Et l'on voit bien souvent où la force perfide, “ Un pigmée innocent vaincre un coupable Alcide. Que ne nous rendez-vous cette infame beauté Qui nous fait tant de peine, & vous a tant cousté ? C'est elle plus que moy qui fait rougir vos fleuves, Qui dépeuple Ilion, & qui fait tant de veufves, Qui perdant vos enfans vous fait perdre un thresor, Et qui porta ma pique à la gorge d'Hector. Je voudrois vous servir avec un zele extresme Mais comment vous servir ? vous vous nuisez vous-mesme, J'ay pitié de vous voir en ce fascheux estat, Et je ne marche plus qu'à regret au combat. Vos affaires vont mal. Entrons. Pour vos presens, Avec le corps d'Hector de bon coeur je les rens, Il faut nous visiter tant que la tresve dure, Vous serez plus heureux, Achille vous le jure. Je ne recherche point d'accroistre mon mal-heur, Ma douleur me suffit sans une autre douleur, Mon esprit souffre assez au mal qu'il se propose, Sans voir ce triste effect dont mon bras est la cause, “ Nostre felicité n'est pas d'estre Vainqueur, “ Et souvent la victoire est triste dans le coeur. Le sujet de vos maux ne l'est pas de ma joye, Je ne serois heureux quand j'aurois conquis Troye, Qu'en ce poinct que j'aurois loin de vous affliger, L'honneur de vous la rendre, & de vous obliger ; Car où j'en suis reduit, mon plaisir, ny ma gloire Ne me sçauroient venir du fruict d'une victoire. Mais souffrez que tout haut je vous proteste icy, Que si vous endurez, Achille endure aussy. J'ignore qui de nous a plus sujet de craindre, Encor vous plaignez-vous, moy je ne m'ose plaindre. Helas ! vous le pouvez. Que vostre Majesté m'accorde une requeste, Je vous offre mon bras, je vous offre ma teste, Si vostre courroux veut, ou ne veut s'assouvir, Il s'en pourra vanger, ou s'en pourra servir : Nos vaisseaux reverront les rives de Mycene, Je feray subsister la paix avecque Helene, Si le Grec orgueilleux ne veut pas l'accorder, Nous le mettrons au poinct de vous la demander. Troye apres ce refus me verra, je le jure, Soustenir sa querelle, & vanger son injure, Tournant contre les miens ma colere, & ce fer, L'on verra par Achille Ilion triompher, Et mieux que quand Hector par tout se faisoit voye, Vous verrez refleurir vostre premiere Troye, Achille estant Troyen ne demordra jamais. Ha ! je vous le promets. Mais devant qu'à vos yeux mon mal soit exposé, Pardonnez-moy celuy que je vous ay causé, Je n'obtiens que par là ceste faveur insigne, Et par là seulement mon espoir s'en rend digne : Dois-je helas ! me flatter de l'honneur que j'espere ? “ Qui tremble pour la peine est bien loin du salaire. Aussy suis-je bien loing d'impetrer ce beau don, Si je ne fais encor que demander pardon, Ces sentimens d'orgueil enfin se sont perdus, Je vous rends les devoirs que vous m'avez rendus, Par vos mesmes sanglots où j'adjouste la flamme, Vos souspirs arrachez du plus profond de l'ame, Par cette voix qui triste, & touchant ma rigueur Me demandoit un corps, je vous demande un coeur, C'est ce grand coeur dont mesme une fille est maistresse, Polixene a forcé le bouclier de la Grece : Mais qu'au lieu de le rendre il puisse estre accepté, Et que ce pauvre coeur n'en soit point rebuté, Qu'un hymen des souspirs fasse naistre la joye, Et pour un commun bien sauvez Achille, & Troye. Ha ce doux mot ranime un coeur reduit en cendre ! Vous me donnez la paix, & je vous la veux rendre. Achille qui joüist d'un bon-heur sans esgal, Vous fera plus de bien qu'il ne vous fit de mal, Et si de vostre sang il rougit plus qu'un autre, Il vous offre le sien en eschange du vostre, J'acheveray pour vous ce qu'Hector projettoit. Je ne merite pas cét honneur que j'espere, Je fus son homicide, & je seray son frere. Ouy, Pâris, en faveur des beaux yeux de ma Reyne Ce bras qui poursuivoit deffendra ton Helene, Je ressens les transports dont tu fus possedé, “ Et sçay qu'un beau thresor doit bien estre gardé. Mais, Sire, permettez qu'en ce lieu je m'acquitte Des devoirs d'un amant devant que je vous quitte, Souffrez qu'auparavant que d'aller au conseil, J'offre un premier hommage à ce jeune Soleil. Non, Madame, achevez mon destin miserable, Vangez-vous, perdez-moy par un coup favorable, Qui retarde l'effort de vostre belle main ? Est-ce pitié, foiblesse, injustice, ou desdain ? J'ay choisi ce supplice, en songez-vous un autre ? Espargnez-vous mon sang ? j'ay tant versé du vostre. Si vous m'estiez bon juge en cognoissant mon crime, Vous le feriez passer pour acte legitime. Mais vous estes severe, & je suis criminel A cause que je sçay que vous me croirez tel. Ouy je vous faschay moins meurtrissant vostre frere, Je ne fus que hardy, mais je suis temeraire. Tous mes faits ne sont rien, je m'esleve au dessus, J'ay beaucoup fait, Madame, & j'ose encore plus, Mon audace merite une cheute pompeuse, Et cette vanité rend ma honte fameuse. Qu'elle perisse donc sans me faire parler, Que l'ambition creve à force de s'enfler : Je peche contre vous sans remors, & sans blasme. Je vous ayme, Madame, C'est ma temerité, ma gloire, mon forfait, Et voilà ce que j'ose apres ce que j'ay fait : Mon coeur s'ose flatter de l'espoir de vous plaire, Et qui peut tout ailleurs est icy temeraire. Vous m'avez commandé de ne le point celer, Si ce sont deux pechez que souffrir, & parler, Le premier est de moy, le dernier est le vostre, Punissez-moy de l'un, accusez-vous de l'autre. J'ay cessé d'estre libre afin d'estre captif, Afin d'estre amoureux d'estre vindicatif : Ma colere a donné la gésne à la Nature, Je n'ay point eu pitié de sa triste aventure, Qu'un pere ait souspiré, qu'une mere ait gemy, Je n'ay point pour cela cessé d'estre ennemy : Mais vos yeux ont flechy mon courage farouche, Et m'ont persuadé bien mieux que vostre bouche, Je pensois resister, mais il a bien fallu Rendre Hector, & mon coeur quand vos yeux l'ont voulu : Je les veux adorer, contentons mon envie, Et que je sçache d'eux à quel point est ma vie. Orgueilleux Souverains, dont j'adore les loix, Espoir ambitieux de plus de mille Roys ! Doutez-vous que mon mal ne soit pas violent ? Pour voir mon coeur bruslé, vous l'allez voir sanglant, Ce fer. Vous m'aymez ? Ha mal-heur de mes jours ! mais finissez ma peine. Faut-il qu'à ses grands maux mon foible esprit resiste ? Que le plus affligé console le moins triste ! Ne moüillez plus vos yeux mes aymables vainqueurs, N'esteignez pas ainsi le beau bucher des coeurs ; Adorable Princesse, en mon ardeur extresme, Helas vous fay-je tort de dire, je vous ayme ? Un ennemy mourant offence-t'il beaucoup, S'il dit à son vainqueur, voy ma playe, & ton coup ? Blasmez, si je vous ayme avecque violence, Vostre commandement, non pas mon insolence, Ne m'avez-vous pas dit me demandant Hector, Pour vous fleschir mes pleurs peuvent couler encor ? Perdez cette rigueur où peu de gloire brille, Et qu'Achille une fois soit vaincu d'une fille. Eussay-je apres cela combatu vos appas ? Souffrés que j'obeïsse ; ou ne commandés pas. Que n'ay-je pour vous vaincre avec vos propres armes, Vos cheveux arrachés, vos sanglots, & vos larmes ! Vous en avez fléchy mon furieux couroux, Et je n'ay jusqu'icy rien obtenu de vous : Je ne puis empescher que ma douleur n'esclatte, Vous estes pour mon bien trop belle, & trop ingratte ; Je sçay bien, que par moy Troye a souvent gémy, Mais je n'ay pas tousjours esté vostre ennemy : Vos chefs, & vos soldats mesme vantent ma gloire, Je n'ay point de leur sang fait rougir ma victoire, Je croy que le bien-fait a l'offence esgalé, J'ay fait mourir Hector, mais vous l'avez bruslé. Souffrez que je me plaigne, & vous nomme cruelle, “ Sous le pied qui l'escrase un ver est bien rebelle. Si ces discours sont vrais, si le coeur les avoüe, La fortune m'esleve au dessus de sa roüe, Et je ne voy si haut par mon amour ardant, Que je ne puis aller au Ciel qu'en descendant. Si les moins valeureux dedans vostre memoire Sont les plus caressez, je renonce à la gloire, Et ne recherche plus l'honneur dans les hazars, J'ayme mieux estre aymé de Venus que de Mars. Mais pour m'en assurer, que je laisse, Madame, Sur cette belle main la moitié de mon ame. Voyons leurs Majestés devant que mon conseil Applique sur vos maux un premier appareil. Non, je n'en feray rien, vous perdez vôtre peine, Vous écrivez sur l'onde, & semez sur l'arene. Ulysse, vos discours sont icy superflus, Ajax, nostre amitié ne peut rien là dessus ; Des interests d'autruy j'ay l'ame dépouïllée, On ne me trompe plus, ma veuë est défillée, Et je voy bien apres tant de nobles efforts “ Qu'obliger des ingrats c'est embaumer des morts. Qu'ils me viennent conter que je ternis ma gloire, Puis qu'on ne me croit plus, je ne les veux plus croire : Je ne doy plus pour eux à la guerre estre ardant, Et vous me trahissez me le persuadant. Je me veux conserver, le repos dans mes Tentes Rendra mes passions tranquilles & contentes. Je les verray perir mes lasches, mes ingras, Et me vangeray d'eux en ne les vangeant pas. J'espargne icy mon sang, va prodiguer le tien, Ton bras pour triompher n'a que faire du mien. Si tous les autres chefs lasches, & plains de vices Devenoient des Ajaxs, devenoient des Ulysses, Que chacun eust en soy la force de vos bras, Je m'en vangerois mal en ne combattant pas. Je veux que ces ingras Usent de mon conseil comme ils font de mon bras. Il n'est pas plus utile au Phrygien qu'au Grec. Autant, ou plus que Troye, Argos est affligee. Troye a bien de la force, & son pouvoir est grand. Ses murs facilement ne se peuvent abbatre. Ses temples sont remplis d'enseignes, & d'escus. Plutost je tombe vif dans l'Erebe effroyable, Plutost. Comment, on me soupçonne ? on me fait cette injure ? Et ma fidelité trouve qui la censure ? Apres cette asseurance où mon bras les a mis, On croit que je m'entends avec nos ennemis : Voilà ma recompense, & c'est là le salaire Des belles actions qu'Ilion m'a veu faire ? Ha que l'ingratitude est un vice odieux ! Mes lauriers sont flétris devant que d'estre vieux, Et la Grece oubliant sa misere ancienne Tasche à perdre ma gloire, & j'ay sauvé la sienne ? Tout ce qui reste à Troye alors que l'on se bat, Que le sexe, ou que l'âge exempte du combat, Vieillards, femmes, enfans, vains fardeaux de la guerre, Contre moy dans un temple invoquent le tonnerre, Parce qu'à des ingrats mon coeur maintient sa foy, Et j'attire pour eux tous ces voeux contre moy. “ De combien d'accidens est la vertu suivie, “ Et qu'elle évite peu les pieges de l'envie ! “ Comme elle est mescognuë, & comme l'innocent “ Passe pour criminel alors qu'il est absent ! Si la tresve permet qu'Achille se promene, Il veut du bien à Troye, il ayme Polixene : Et si durant le temps que l'on prend du repos, Il parle aux ennemis, Achille vend Argos. Vous m'accusez à tort. Ne croy point, mon soucy, que je change de flame, Et qu'un objet nouveau te chasse de mon ame. Que voulez-vous, jalouze ! ha que mal à propos Je pris cette importune au siege de Lesbos Pour acroistre l'ennuy de la guerre de Troye, Et pour persecuter mon repos, & ma joye ! Il est vray, Polixene occupe mon soucy, Vous éclatez, la belle, & moy j'éclate aussi : Je ne veux plus souffrir que vôtre orgueil me brave, Polixene est maistresse, & vous estes esclave, Je luy rends par devoir, & d'inclination Ce que je ne vous rends que par affection, On vous aime, on vous sert, vous estes reveree, Mais c'est vous captiver d'une chaine doree. Adieu, ne pensez plus que l'on vous fasse tort, Et ne regardez point plus haut que vostre sort. Ha c'est trop, Alcimede, à ma gloire estre lent, Il faut que je responde à ce jeune insolent, Que je me satisface, & que je le contente, Puis qu'il nous vient braver jusques dans nôtre Tente, Par ce coup mes desseins ne seront plus suspects, Il finira ma honte, & le soupçon des Grecs. ô Dieux ! Je l'adore. Ce n'est pas le conseil qu'Achille voudroit suivre, Ou ne la voyez plus ? sans la voir puis-je vivre ? Non, non, sois assuré (fidelle confident) Que je ne les perdray jamais qu'en me perdant, En frapant les Troyens je luy veux rendre hommage, Et je sçay le secret de vaincre sans dommage, Je n'attaqueray point qui me vient d'affronter, Mais en me deffendant je le veux surmonter. Allons, je vay gagner une telle victoire Que mesme les vaincus auront part à ma gloire. Mais je suis innocent puisque j'ay combatu Pour vaincre le soupçon que l'armee avoit eu, Ma reputation n'eust aquis que du blame, Et j'eusse trahy mesme Ilion, & ma flame, Ce naufrage dernier les approche du port, Je travaille à leur paix, Sa temerité seule est cause qu'il succombe, Je me deffens, il meurt, je me soutiens, il tombe. Foible, & trop lâche esprit à la frayeur ouvert, Me puis-je pas sauver, si le Ciel ne me perd S'il veut qu'avec mes jours ma gloire se consomme, Le Ciel n'est-il pas Ciel, & ne suis-je pas homme ? Si tu m'as veu saigner, tu me peux voir mourir, La mort est un danger que je dois encourir, “ Tout l'effort des humains contre elle est ridicule, C'est le destin d'Achille, & ce le fut d'Hercule. Mais quel presage as-tu de ce mal que tu crains ? Achille concevroit une sotte terreur ? “ Ha qui fait tout trembler ne doit pas avoir peur ! Il faut, quoy qu'Ilion contre luy s'évertuë, Que pour le voir mourir Polixene le tuë, Si tu pleures sa vie en de si belles mains, Il te dira mourant, je te hay, tu me plains ; L'arrest de mon destin sortira de sa bouche, Et puis pour me fraper il faut qu'elle me touche, Entre les plus heureux qui le fut jamais tant ? Elle vivra vangee, & je mourray content. Mais je n'espere pas des punitions d'elle, Je suis trop peu coupable, elle est trop peu cruelle, Et puis pour me punir avec plus de rigueur, Ses beaux yeux sçavent bien le chemin de mon coeur. Pour toy si ton repos n'est pas icy tranquille Pour vivre seurement éloigne toy d'Achille, Tant de lasches discours sont vains & superflus. Crains-tu quelque ennemy quand ton oeil me contemple ? Mars n'oseroit tonner sur moy, ny sur les miens. “ Qui dans son entreprise “ Voit tousjours le danger à la fin le mesprise : Mais je n'ay pas sujet de craindre en ce lieu-cy, Je ne me vis jamais plus seurement qu'icy, Une tréve sacree est ma juste deffence, Et par elle s'endort la haine, & la vengeance, Je goute le repos des plus lasches humains, Loin des coups, dans un Temple. Qui se prendroit à moy ? qui seroit l'insensé Qui viendroit m'attaquer ? mais Dieux ! je suis blessé. Je vengeray ma mort, infames, detestables, Mais Achille succombe à l'effort de vos coups, Percez, percez ce coeur, il se fioit à vous. Apres ce lasche coup, malheureux, vous fuyez. Je souffre ce trespas, dy moy qui me l'envoye, Et qui l'a conspiré ? Sçachez, vous qui tremblez aux actions hardies, Qu'il est des chastimens, s'il est des perfidies, Les Dieux me vangeront, non pas ces foibles Dieux, Ilion les adore, ils sont pernicieux, Vous desirez ma mort, eux aussi la souhaittent, Et traistres, comme vous, meritent ce qu'ils jettent. Ha ! que je souffre bien ce que j'ay merité Ayant fait une tache à ma fidelité, J'ay combatu trop peu, j'ay trop espargné Troye, Si je l'eusse frappee elle eust esté ma proye, J'eusse à mes volontez asservy son destin, Et qui m'a fait esclave eust esté mon butin. Coulle, mon sang, Polixene le veut. Deux mots vous apprendront mon infortune extreme, Mon amour vous trahit, & m'a trahy moy-mesme, Priam veut mon trespas, & Paris l'entreprend, Une main si debile a fait un coup si grand, Ces lasches ont rompu la tréve, & leur promesse : Mais quoy que mon amour ait offencé la Grece, Faites-les ressentir du tort que j'en reçoy, Et ne vous vangez pas de moy, mais vangez moy. Que de vives douleurs ! Parque, acheve ton coup, Je ne veux pas me plaindre, & j'endure beaucoup. Il est vray, mais je meurs. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_briseide *date_1636 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_briseide Si vous n'estiez Achille, ou si je n'estois femme, Je voudrois vous oster cette frayeur de l'ame. Hé quoy vous laisser vaincre à des illusions ! Que fait vostre courage en ces occasions ? Ne voyant dans ces lieux que meurtres, & que pestes, Quels songes feriez-vous que des songes funestes ? Encore, beau Vainqueur, qu'est-ce qui vous effraye ? “ C'est ainsi que le Ciel advertit ceux qu'il ayme, “ Et qu'il voit s'engager dans un peril extresme. Croyez pour l'esviter ce que vous avez veu, “ Le plus certain presage est menteur estant creu. Achille, autant d'objects qui troublent vostre joye, Sont autant de conseils que le Ciel vous envoye. Evitez les dangers où l'on vous voit courir, “ Un grand coeur comme vous peut tuër, & mourir. Un malheur peut ternir l'esclat qui vous renomme, Achille est redoutable, il est vaillant, mais homme. Cet instinct qui confond nos deux ames ensemble, Confond nos passions, vous craignez, & je tremble. Achille, au nom des Dieux tesmoins de nostre amour, Par mes yeux, par mes pleurs, conservez-moy le jour, Refroidissez un peu cette chaleur extresme, Et ne meurtrissez point l'innocent qui vous ayme, Mon coeur où comme un Dieu vous estes adoré, A qui vostre peril est un mal asseuré : Assez de vostre sang honore la Phrygie, La vague du Scamandre en est assez rougie. Quel honneur maintenant pouvez vous aquerir ? Hector, & Sarpedon ne sçauroient plus mourir. Ilion n'en peut plus, qu'il soit pris par un autre, La gloire qu'il en reste est moindre que la vostre. Helas ! n'adjoustez rien à leur triste fortune, Voyez les, & souffrez leur priere importune, Admirez dans ces gens les divers coups du Sort, Monstre capricieux qui vous baise, & les mord. Faittes reflexion sur la misere extresme D'un pere sans enfans, d'un Roy sans diadesme : Car le trespas d'Hector met Priam à ce point, Il est pere, il est Prince, & pourtant ne l'est point. Quant à moy je ne plains que cette pauvre mere. Ha ! combien sa douleur luy doit sembler amere, De voir que son fils mort est en vostre pouvoir, Et de n'esperer pas peut-estre de le voir ! D'un favorable accueil consolez leur tristesse, “ C'est une cruauté d'oprimer qui s'abaisse. Priam est tousjours Roy bien qu'il soit malheureux, Vous le devez traicter comme on traicte un Monarque, Bien qu'un Roy soit tout nu, jamais il n'est sans marque : “ Bien qu'il ait despoüillé tout ce que les Roys ont, “ La majesté luy reste encore sur le front. “ Cette pompe invisible, & ce rayon celeste “ Est de tous ses honneurs le dernier qui luy reste. “ Le Sort dont l'inconstance, & l'eleve, & l'abat “ Peut tout sur sa couronne, & rien sur cet éclat. Quoy dédaignerez-vous, & le prix & les larmes Qu'ils offrent pour un fils triste object de vos armes ? Voyez à quel mal-heur les a reduits le Sort, De l'avoir eu vivant, & de l'acheter mort. Les voicy, ce vieux Roy monstre plus que personne Que tousjours le bon-heur n'est pas sous la couronne. Tenir pour un fils mort cette lasche posture ! A quoy ne nous réduit le sang, & la nature ? Ce nouveau changement Me donne de la crainte, & de l'estonnement. C'est ce que le devoir m'a commandé d'écrire Quand la timidité m'empeschoit de le dire, Ulysse, & tous les chefs ont cette opinion Que vous favorisez le party d'Ilion, Et que vous avez fait, charmé de Polixene L'objet d'une amitié de l'objet d'une hayne : Voyant par ce soupçon vostre honneur se flestrir, Je n'osay vous le dire, & ne le pus souffrir, Si bien qu'en ce billet je vous ay fait apprendre Qu'on pensoit qu'aux Troyens vostre foy s'alloit rendre, Qu'une jeune beauté changoit vos passions, Et qu'elle avoit gaigné vos inclinations. J'ay peur que l'inconstance ait terny vostre gloire. Hé bien je le veux croire Que tousjours sur vostre ame un mesme amour agit, “ Mais on peut accuser l'innocent qui rougit. Briseide en beauté le cede à Polixene, Souffrez, souffrez pour elle une amoureuse peine, Preferez ses attraits à ma fidelité, Mais aimez vostre honneur autant que sa beauté. Je ne demande pas (beau, mais cruel Achille) Que vous n'aymiez que moy, je serois incivile, Ny que vous vous teniez à mes foibles appas, Ny que vous me gardiez ce que vous n'avez pas, Je ne veux point forcer vostre humeur desloyale, Non, non, mais seulement cognoissez ma rivalle, Songez que de vos faicts elle a souvent gemy, “ Et qu'il est dangereux d'aymer son ennemy. Perfide, ces doux mots ne sont plus de saison, A quoy sert le baiser apres la trahison ? Eclatez mes douleurs, puis que je suis sortie Des bornes du respect, & de la modestie. Inconstant, infidelle, est-ce là cette foy Que tu m'avois juré qui ne seroit qu'à moy ? Quoy te verray-je donc entre les bras d'une autre De qui l'affection n'égalle point la nôtre ? Qui te suscitera les fureurs de l'enfer, Et ne t'embrassera qu'afin de t'étouffer ? Qu'Amour te fasse voir ma rivale plus belle, Tu peux bien t'assurer qu'elle t'est moins fidelle : Donc sans changer l'object de ton contentement, Vis avec moins de joye, & vis plus seurement : Auray-je cet affront moy qui fus glorieuse ? Non, non, vivons aymee, ou mourons odieuse. Taisons-nous, il le faut, & mon maistre l'ordonne, “ Heureux qui n'a de loy que celle qu'il se donne, “ Dont toujours la fortune est en un mesme point, “ Qui ne fut jamais haut, ou qui ne tombe point ! Pourquoy faut-il servir deux puissances pour une, Esclave de l'Amour comme de la Fortune ? Cruel commandement de l'ingrat que je sers ! Je n'ose témoigner que je cheris mes fers, Quoy que j'en sois jalouse en une telle sorte Que je ne puis souffrir qu'autre que moy les porte : Bien, mon coeur, qu'il s'engage à de nouveaux apas, Crains pour luy seulement, mais ne murmure pas, Songe qu'il se ruine, & non pas qu'il t'offence, Ne plains que son malheur, souffre son inconstance Il n'est point de malheur qui soit égal au mien, Je crains plus toutefois les presages du sien, Aux sacrez intestins des victimes plus pures Je voy d'un accident les sinistres augures, Ciel destourne ce mal, j'ayme mieux au surplus Voir Achille inconstant que de ne le voir plus, Je luy témoigneray que ma flame est extrême, Et je me veux haïr pour montrer que je l'aime, S'il faut souffrir sa mort, son change ou mon trépas, Qu'il vive, que je meure, & qu'il ne m'ayme pas. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_alcimede *date_1636 *sexe_masculin *age_jeune *statut_serviteur *fonction_valet *role_alcimede Le souverain de Troye, & des femmes dolentes En faveur de la treve arrivent dans vos tentes, Avecque des presens, de l'argent, & de l'or, Afin de racheter le cadavre d'Hector. Où va ce pauvre aveugle ? il court au precipice, “ Ha je voy bien qu'Achille est foible sans Ulisse, “ Que la force ne peut divertir un mal-heur, “ Et qu'il faut la prudence avecque la valeur. Priam se voit superbe, & tout d'un temps sa ville Vange Hector, tient Helene, & triomphe d'Achille. Comme sa passion se change incontinent, Tantost il estoit froid, il brusle maintenant, Il songeoit à Patrocle, il songe à Polixene, Il regrettoit sa mort, il souffre une autre peine, Il arrousoit de pleurs son triste monument, Nous le vismes amy, nous le voyons amant : Une jeune ennemie est sa chere maistresse, Tu t'en plains (Briseide) & moy je plains la Grece, Affligeons nous tous deux privez de tout bon-heur, Et de son inconstance, & de son des-honneur ; Une fille sur luy remporte la victoire ! Il perd en un seul jour plus de neuf ans de gloire, Et s'abaisse, vaincu par de simples regars, Jusqu'à rendre à l'Amour ce qu'il a pris à Mars ? De plus son mal s'aigrit en telle violence, Que qui le veut guerir se ruyne, & l'offence, Et l'on doit pour complaire à ses feux dissolus Dire qu'il est bien sain quand il souffre le plus. Je ne luy diray mot, mais aussy cette lettre Qu'en partant Briseide en mes mains vient de mettre, Où peut-estre elle tasche à l'attirer à soy, Luy parlera sans doute, & pour elle, & pour moy : Par là je l'advertis du danger qui le presse, C'est la voix d'Alcimède, & la voix de la Grece ! Je le desgageray de ces foibles appas, Et luy remonstreray mesme en ne parlant pas. Mais Polixene ? Vous l'aimez ? N'allez point au combat, si vous l'aymez encore, Obeïssez aux Loix que l'Amour vous enjoint, Ou ne la voyez plus, ou ne combattez point. Ouy, mais Troile est mort. Hé bien, Achille est juste, il n'a point offencé, Mais qu'attend l'innocent d'un Juge interessé ? Priam est vôtre Juge, il est vostre partie, Vous venez à l'Autel de mesme que l'Hostie, Ce sont des ennemis qui flattent pour tromper, Qui ne vous ont paré qu'afin de vous frapper, Vous estes menacé d'une affreuse tempeste, Et le Ciel, & l'Enfer grondent sur vostre teste. Que faittes-vous icy ? qu'esperez-vous de bon Pres du tombeau d'Hector, & des Dieux d'Ilion ? Hecube, & Polixene auront un front severe, Les pourrez-vous fléchir ? l'une est soeur, l'autre est mere, Tant de fiers ennemis vous pourront outrager, Et s'ils ayment leur sang ils voudront le vanger : Empeschez, juste Ciel, que ce malheur arrive, Meurs, ô pieté sainte ! afin qu'Achille vive. “ Où le malheur se voit les presages sont vains, Quoy pour vous avertir du danger où vous estes, Est-il besoin qu'en l'air s'allument des cometes ? Que la terre ait pour vous d'horribles tremblemens, Que le Ciel soit en trouble avec les elemens, Et vous voyant tomber dans un indigne gouffre Que la Nature éclate à cause qu'elle souffre ? Je sçay dans quel desordre autrefois elle fût, Combien elle sua quand Alcmene conçût, Tout fut ensevely dans une nuit profonde, Alcide en se formant couta trois jours au monde, Le monde sans dommage aussi vit son trépas, Le Soleil l'aperceût, & ne s'en émeût pas, L'air fut sans aucun vent, le Ciel fut sans tonnerre, Sans orage la mer, sans abisme la terre, Le cours de ces flambeaux ne fut point déreglé, Luy seul perdit le jour, rien n'en fut aveuglé. Briseide, & ses pleurs, vos songes, ma tristesse, Vous devroient faire craindre, ils m'agitent sans cesse, Ces augures encor seroient indifferens, Si vos fatalitez n'en avoient de plus grands C'est Hector, c'est Troïle, Hecube, & Polixene, Je crains la mort des uns, & des autres la haine, Vous ostez à la mere un nom qui luy fut doux, Et vous aymez la Soeur qui ne l'est plus par vous, Vous leur ajoustez foy, n'est-ce pas un presage Du peril evident où le sort vous engage ? Perissons, j'y consens, & je n'en parle plus. Mais vous estes mortel. Vostre danger est grand. Et c'est pourquoy je crains. Assassins execrables ! Quoy, je ne mourray pas pour deffendre sa vie ? Pour vous faire éviter ce funeste accident, Alcimede vivoit, il meurt vous deffendant. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_priam *date_1636 *sexe_masculin *age_veteran *statut_maitre *fonction_autres *role_priam Ma suitte n'attend point de respect, ny d'honneur, Elle est bien moins qu'esclave, & vous estes Seigneur, De moy je ne croy pas, en l'estat desplorable, Où m'ont reduit les Dieux, estre considerable, Ny pouvoir exiger un hommage contraint, Et par ces cheveux blancs, & par ce qui les ceint. Non, nous ne venons point l'ame triste, & saisie, Tirer des complimens de vostre courtoisie, Ny de ces vains honneurs, brave sang de Thetis. Nous demandons mon fils, Par nos cris, par nos pleurs, par l'ennuy qui nous presse, Par une langoureuse, & trop longue vieillesse, Par vos mains que je baise. Elle s'évanoüist cette Majesté haute, Nostre malheur, Achille, & vostre bras nous l'oste. Tous mes enfans, Achille, ont tombé sous vos coups, Et je n'en ay jamais murmuré contre vous. Je vous croy de mes maux l'instrument, non la cause : Aussy parlant de vous, je n'ay dit autre chose. Quand sur moy la fortune a vomy tout son fiel, Sinon, la main d'Achille est le glaive du Ciel : Mes enfans les plus chers ont esté ses victimes, Et dans mon propre sang il a lavé mes crimes : Par vous il m'a puny, son foudre est vostre fer, Et les Dieux par vos bras ont voulu m'estouffer. Ils n'ont pas assouvy leur hayne insatiable, Troye est plus mal-heureuse, ou je suis plus coupable. Tout ce que j'ay souffert ne les contente pas, Achille, par vos mains ils veulent mon trespas, Finissez donc ma vie en achevant mes peines, Tirez ce peu de sang qui reste dans mes veines, Ou rendez-moy ce fils qui me touche si fort, Je seray chastié quand je le verray mort : Si je le demandois avec l'ame, & la vie Qu'il ne peut plus avoir, que vous avez ravie, J'attendrois un refus, mais helas il me plaist Tout pasle, tout sanglant, tout massacré qu'il est ! Ha ! si vous cognoissiez les mouvemens d'un pere Qui sent mon infortune, & souffre ma misère ! Le vostre ( brave Achille ) est plus heureux que moy, Cependant sa vieillesse est tousjours dans l'effroy, Aprehende pour vous, ne cesse de se plaindre, Et craint ce qu'autrefois j'eus le bon-heur de craindre. Hélas je le souhaitte exempt de mes malheurs ! Que jamais vostre sang n'attire de ses pleurs, Soyez tousjours heureux, & que jamais Pelée N'ait les tristes ennuys dont mon ame est troublee. N'estoit-il pas puny, s'il vous parut coupable, Lors que mort, & vaincu, ce Prince desplorable Traisné par vos chevaux, percé de part en part Faisoit le tour des murs dont il fut le rempart ? Quand on voyoit sa teste en si triste esquipage Bondir sur les cailloux sanglante, & sans visage, Et que de tout cela nous estions les tesmoins, Patrocle, & sa vengeance en vouloient un peu moins. A quel ressouvenir vostre rigueur m'oblige ! Pour vous persuader faut-il que je m'afflige ? Que mon fils soit du moins arrousé de mes pleurs. Quoy vous ne voulez pas mesme que je le voye ? O Prince miserable ! ô Troye, autrefois Troye ! Esprouve si son coeur s'amolira pour toy, Peut-estre la pitié n'est morte que pour moy. “ Ainsi des justes Dieux l'adorable pouvoir “ Fait naistre le bon-heur au tombeau de l'espoir. Achille, vos faveurs monstrent ce que vous estes, Ces presens sont le prix du bien que vous nous faites. Avec quelle rigueur suis-je traicté du Sort ? Que je m'estime heureux de revoir mon fils mort ? En l'estat où nous sommes, Nous n'avons du secours ny des Dieux, ny des hommes. Nous avons sous les maux mille fois succombé : Le superbe Ilion seroit desjà tombé, N'estoit qu'il doute encore en son destin supresme S'il faut ou qu'il se perde, & s'accable soy-mesme, Ou tombe du costé d'où la foudre luy vient : Et cette incertitude est ce qui le maintient. Deiphobe, Pâris, & le jeune Troile Dignes freres d'Hector, sont l'appuy de ma ville : C'est où j'en suis reduit. Mais est-il bien possible, & le devons-nous croire, Que sur luy Polixene ait aquis cette gloire ? Que cette passion ait calmé son courroux, Et qu'il ayme estant Grec quelque chose de nous ? Si ma fille devoit vous attirer à nous, Achille, ha que plutost ne l'apperceustes vous ! On ne vous eust point veu si fatal à ma joye, Derriere vostre char traisner Hector, & Troye . Tu vivrois mon enfant, l'appuy de mes citez, Et le retardement de nos fatalitez. Travaillez donc pour vous, Hector, & ma vieillesse N'accroistront point l'honneur des pompes de la Grece, Il est mort, & je meurs, attendez vostre fin, Et poussez jusqu'au bout vostre jeune destin, Car c'est pour vous, Pâris, que Mars se rassasie, Et du sang de l'Europe, & du sang de l'Asie, Nos mal-heurs sont de vous, vous les avez produits, Et vostre seule pomme a fait naistre ces fruits. Nous venons de pleurer sur les cendres d'Hector, Et de ses os bruslez le bucher fume encor, Depuis que nous menons cette vie affligée, Neuf fois j'ay veu jaunir nos plaines de Sigée, Et desja par neuf fois Ide le Sacré mont De neige, & de frimas s'est couronné le front. Nous n'abandonnons point ceux qui cessent de vivre, On nous voit tous les jours les bruler, ou les suivre, Et la fatalité de nos communs malheurs Nous fait tousjours respandre ou du sang, ou des pleurs. Que ne vous trouviez-vous parmy la compagnie Pour estre spectateur de la ceremonie. Quel que soit vostre mal, je le souffre avec vous, Et j'ay pitié de ceux qui n'en ont point de nous. Contraire à l'ennemy qui nuit alors qu'il aide, J'y voudrois aporter un diligent remede, Et je soulagerois les maux que vous avez, Pourveu que je le peusse. Vous nous le promettez ? Demandez hardiment, asseuré que ma vie, Si vous la demandez se donne à vostre envie “ Celuy certes n'est pas mal-heureux à demy “ Qui n'attend des bien-faicts que de son ennemy : Un mortel craint des Dieux, aymé de la victoire Se laisse donc surprendre au milieu de sa gloire ? Et vostre grand courage est donc reduit au point D'esperer en ma grace, ou de n'esperer point ? Quoy ma fille aymeroit nos plus grands adversaires ? Elle seroit le prix du meurtre de ses freres ? Et je vous pourrois faire un traittement si doux Apres les maux sanglans que j'ay receu de vous ? Je ne veux point pourtant tromper vostre esperance, Ny faire qu'un refus me serve de vengeance, Nous procurant la paix sous ces conditions, Que ma fille responde à vos affections. A recevoir vos voeux ma fille est preparée, Mais que vos entretiens soient de peu de durée, Vous n'estes pas encore au point de vous unir, Et la tresve accordée est preste de finir. Hastez-vous, & pensez que toute vostre joye Ne depend seulement que du respos de Troye, Et qu'il faut pour son bien qu'Achille desormais Change une courte tresve en une longue paix. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_hecube *date_1636 *sexe_feminin *age_veteran *statut_maitre *fonction_autres *role_hecube Nous sommes comme il faut. Que les pleurs d'une mere attendrissent vostre ame, Donnez à la nature un bien qu'elle reclame ; Celuy de qui le bras vous resistoit jadis N'est plus vostre ennemy, mais c'est tousjours mon fils : Estre vindicatif mesme apres la victoire, C'est vostre deshonneur plutost que vostre gloire. Dequoy murmurez-vous ? “ Le plus chetif soldat a droict sur son butin, Et la valeur d'Achille auroit pire destin ? A genoux devant luy (ma chere Polixene.) Adresse ta priere à l'honneur des humains, Et tends devers le Ciel tes innocentes mains. O genereux Guerrier ! Mais est-il bien possible, & le devons nous croire Qu'une voix sans visage ait aquis cette gloire ? Ou que sur ce grand coeur une grande beauté Ait eu tant de pouvoir sans l'avoir surmonté ? Que n'avons-nous pas fait ? la jeune Polixene L'a moins prié que nous, n'a pas eu tant de peine. A quoy donc si ses yeux n'avoient eu quelque droit, Auroit-il accordé ce qu'il nous refusoit ? Que l'amour la finisse, & que le coeur d'Achille En aymant Polixene ayme aussi nostre ville, Nous le pourrons gagner, jamais selon nos voeux Plus belle occasion ne monstra ses cheveux. Le voicy, cet oeil doux, & ce front peu severe Ne s'accordent point mal à ce que j'en espere. Ha ne vous plaignez point : tout vous rit sur la terre, Jamais sur vos lauriers n'est tombé le tonnerre, Vous rompez, terracez tout ce qui nous deffend, Tousjours victorieux, & tousjours triomphant. Helas ! soyez nous donc ce qu'Hector nous estoit. Mon Dieu ! qu'il est parfaict, qu'il est remply de charmes, Quand je ne le voy point mettre la main aux armes ! J'ay regret que son bras qui nous estoit fatal, M'ait si long-temps forcée à luy vouloir du mal, Combien pour cette paix il est opiniâtre, N'ayant pû l'obtenir l'aperçoit-on combatre ? Qui de cette meslée est aussi le témoin, Juge facilement qu'Achille en est bien loin : C'est la meilleure preuve, & je n'en veux point d'autres Que le mal-heur des Grecs, & le bon-heur des nôtres. Nous sommes les vaincus quand il est animé, …................................................................... Vous avez bien pû voir de dessus la muraille, Ceux à qui Mars promet l'honneur de la bataille. Le Troyen par son sang commence à s'enflamer, S'il en pert une goute, il en tire une mer. Qu'il fait beau veoir Pâris, Deiphôbe, & Troïle, Et que leur force éclate en l'absence d'Achille ! Caressez-le pourtant, faictes-en de l'estime, Si ce n'est par amour, que ce soit par maxime, Songeons au bien present, le mal soit oublié, Il nous perd ennemy, qu'il nous serve allié, Que son affection repare nôtre perte, Et qu'il ferme la playe apres l'avoir ouverte : Nourrissez son espoir d'un favorable acueil, Quoy que vous ayez peine à le voir de bon oeil, Et qu'il vous soit à charge en sa flame amoureuse, Il fut nôtre ennemy, vous estes genereuse, Et vous vous souvenez qu'il nous a fait pastir, Mais sommes-nous au temps de nous en ressentir, Nous qui n'avons plus rien de ce pouvoir antique ? Non, flattons le serpent de peur qu'il nous repique, Ne nous ressentons point de tant d'affreux combas, Sauvons seulement Troye, & ne la vangeons pas. Que nous serons heureux ! que vous serez contente ! Vous avez en cela de faciles moyens De faire triompher la valeur des Troyens, Vous regnerez, les Dieux vous en feront la grace, Quels seront vos enfans, cette superbe race, Estant fils d'un Achille, & neveux d'un Hector ? N'estimerez-vous pas un si riche thresor ? Achille est un époux que le Ciel vous envoye, Et l'aymant vous aymez Priam, Hecube, & Troye. Mais le jeune Pâris ayant quitté son rang Vient couvert de sueur, de poussiere, & de sang. Sommes-nous les vaincus, ou les victorieux ? Comment va le combat ? Nos gens, comme on les voit de la tour d'Ilion, Ont bien de l'advantage à mon opinion. Et vos freres, Pâris ? Nous n'avons desormais pour nostre commun bien Qu'à suplier les Dieux qu'ils ne nous ostent rien. Quel accident voilà, Dieux ! mais pourquoy le craindre ? ils n'en viendront pas là, En faveur de l'objet du feu qui le consomme, Achille excusera cette ardeur de jeune homme. Voudroit-il ruyner ses amoureux desseins ? Pour voir de nos esprits cette crainte soustraitte, Persuadez au Roy qu'on sonne la retraitte, Qu'aux ennemis battus on daigne pardonner. Aussy bien c'est trop vaincre, il faut se couronner. Qu'avant qu'on la demande il accorde la tresve, Et que par la pitié sa victoire s'acheve, Afin que Mars respire apres avoir fremy, Et que nous puissions voir nostre cher ennemy. Courez, tandis qu'au temple avec un sacrifice Nous allons à nos voeux rendre le Ciel propice. O Dieux ! Severes Dieux, contre nous mutinez, Vous avez bâty Troye, & vous la ruinez ! Vous faillez comme nous tous parfaits que vous estes, Vostre ouvrage est mauvais puisque vous le deffaites, Mais j'ay tort, je blaspheme, & vous n'estes point tels, Vous estes justes Dieux, nous coupables mortels, Ilion justement souffre ce qu'il endure, Et c'est un chastiment, & non pas une injure. Toy sous qui l'Univers autrefois a tremblé, Grande ville deserte, & Grand tombeau peuplé, Aide contre toy-mesme à la fureur celeste, Couvre ce qui n'est plus, opprime ce qui reste, Ce coup apaisera la colere des Dieux, Et s'il est volontaire, il sera glorieux. Des respects (Polixene) & la mort de Troile Sont enfin les doux fruits de l'amitié d'Achille ? Voilà des traits d'un coeur qui n'adore que vous, Voila comme il vous aime, & comme il est pour nous. Aussi je m'estonnois que cet inexorable Vous eust veu malheureuse, & vous eust crûe aymable, Eust cogneu des attraits parmy tant de malheurs, Et qu'il eust veu vostre oeil au travers de ses pleurs. Quoy vous tonnez si peu contre un si grand forfait ? Qui le blasme à demy l'excuse tout à fait, Vostre frere eust raison de deffendre sa ville, Il aymoit un Hector, nous aymions un Achille, S'oposoit bravement à ses pretentions, Il vouloit le punir, nous le récompensions, Le traistre fit mourir & son frere, & le vôtre, Il detestoit sa main, elle touchoit la nôstre. Que n'eus-je mesme sort, mesme dessein que luy, Je n'aurois pas ailleurs recherché de l'apuy, Et loin d'une action si lasche, & si honteuse, J'aurois vescu sans crime, & mourrois glorieuse. Hé quoy veut-on si tost faire des funerailles ? Tentons auparavant un genereux effort, Tout ce qui doit mourir n'est pas encore mort, Nous devons des sujets à l'infernal Empire, Troïle ne vit plus, mais Achille respire : Mon superbe dessein veut estre effectué, Attendons à bruler que nous ayons tué, Et pour bien assouvir ma vangeance, & la vôtre, Preparons un bucher devant qu'allumer l'autre. Si jamais (Polixene) un si perfide Amant Regna dans vostre esprit, changez de sentimant, Si jamais il y fut, ostez-le de vostre ame, De peur qu'on ne vous blesse en frapant cét infame, Plus que ce traitre objet mon vouloir vous fut doux, Vous l'aymastes pour moy, detestez-le pour vous. Detestable, & perfide, ennemy de ma joye, Tigre qui dans mon sang as presque noyé Troye, Que ne tiens-je ton coeur sous mes avides dents, Et que ne puis-je faire en mes desirs ardens, En te le devorant, & rongeant tes entrailles, A ton corps demy-vif de longues funerailles ! Soyez les instrumens de mon juste couroux, Perdez-vous pour le perdre, & qu'il tombe sur vous : Ne peut-on pas punir ce cruel adversaire ? Quoy, n'est-il pas vivant, n'a-t'il pas une mere Qui craint de voir trop tost ses beaux jours abregez, Qu'il meure, qu'elle pleure, & nous sommes vangez. Pour Hector, & Troïle animez vos coleres, Car vous ne m'estes rien, si vous n'estes leurs freres. Dans ce noble dessein vous ne pouvez perir, Et le jour est venu qu'Achille peut mourir, Le perfide qu'il est, ce detestable Achille Demande Polixene en me rendant Troïle, Il pense qu'il m'oblige, & croit le ranimer, Nous faisant obtenir le temps de l'inhumer. Son Escuyer m'a dit qu'il me prioit de croire Qu'il n'avoit point commis une action si noire, Qu'à regret son serment avoit esté faussé, Mais qu'il n'avoit rien fait qu'il ne s'y vit forcé, Qu'il me prioit d'aller feignant un sacrifice Au Temple d'Apollon afin que je le visse, Et là qu'il esperoit de se rendre inocent, Et digne des regars de son Soleil absent, Moy cachant ma douleur qui taschoit de paraistre, Ouy j'iray, ç'ay-je dit, parler à vostre maistre. Vous pouvez aux cheveux prendre l'ocasion De faire maintenant une belle action, Une belle action sous l'image d'un crime Au Temple où vous attend cette noire victime Que vous immolerez sur la tombe d'Hector. “ Qu'un desir de vangeance est doux à ceux qu'il presse, Ha que j'en suis ravie ! une seule tristesse Rend en quelque façon mon plaisir alteré, C'est qu'il a moins de sang qu'il ne m'en a tiré. Le Ciel guide vos pas, l'infortuné Troile N'aura point les devoirs devant la mort d'Achille, Je veux qu'il soit vangé devant que d'estre plaint, Donc, ô brave Paris, si fort, & si peu craint, Rens deux divers transports satisfaits à mesme heure, Sois lent, que je me vange, haste-toy, que je pleure. Ha ! si vous le pouvez apportez moy son coeur. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_polixene *date_1636 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_autres *role_polixene La mere n'y peut rien, la soeur perdra sa peine. Je n'ose (grand Herôs) esperer que mes larmes Pour vous toucher le coeur soient d'assez fortes armes, Car j'ay trop peu de grace à pleurer un malheur Pour faire la pitié fille de ma douleur. Mais si vostre bonté me donne l'asseurance Qu'elles esbranleront cette rude constance, Ces pleurs dont j'entretiens la memoire d'Hector, Ces deux fleuves taris pourront couler encor ; Perdez cette rigueur où peu de vertu brille, Et qu'Achille une fois soit vaincu d'une fille, Que l'animosité mette les armes bas, “ C'est gloire de se rendre aux injustes combas. Que vostre passion ne vous soit plus contraire, Que vostre ennemy mort, ce miserable frere Ait un sepulchre ailleurs qu'au sein de ses parens, Helas voyez mes pleurs ! Quelle grace au coupable enfin puis-je donner Puis que c'est le punir que de luy pardonner ? Pourquoy desirez-vous que cette main vous tuë ? Quoy depuis la faveur que de vous j'ay receuë, Depuis qu'à ma priere on vous a veu changer, M'avez-vous obligée à vous desobliger ? Mais quel est ce peché ? Vous dont le bras nourrit l'ennuy qui me devore, M'affligez-vous desja ? la tresve dure encore, Quand vous vous reposez, laissez-moy respirer, Attendez le combat pour me faire pleurer, “ Ce n'est pas desirer un plaisir agreable “ Que de chercher à rire avec un miserable. Je vous veux croire, hé bien Achille m'ayme, Il me veut quelque bien, j'en fais aussi de mesme. Il est vray, je vous le dis encor, Comme je puis aymer l'homicide d'Hector. Mais vous estes Achille, & je suis Polixene, Vostre coeur ayme-t'il ceux que vostre bras hait, Contre qui tous les jours vous suez sous l'armet ? Et comment voulez-vous que de bon oeil je voye L'homicide d'Hector, & l'ennemy de Troye ? Ha triste souvenir de mes derniers mal-heurs ! Las ! esteignez vos feux, laissez couler mes pleurs. Quoy l'Amour n'a pour vous que de rudes appas ? Si l'on ne vous embrasse, on ne vous ayme pas ? “ Le soldat ancien de son sang ne s'effraye, “ Et le jeune pâlit au soupçon d'une playe : “ L'un ignore comment un laurier est gagné, “ L'autre a vaincu cent fois apres avoir saigné. “ Celuy qui dans l'Amour a consommé son âge “ Pour un simple desdain ne perd pas le courage, “ Et le jeune au contraire aussitost qu'on le void “ Pense qu'on le deteste alors qu'on luy fait froid, “ L'un cognoist les desdains, & sçait qu'Amour en use, “ L'autre ignore qu'il donne aussi-tost qu'il refuse. Esperez, je veux suivre au point où je me vois, Ce que leurs Majestés me prescriront de lois. Vous aurez ce bon-heur, si le Ciel vous l'octroye : Cependant épargnez le plus pur sang de Troye, N'ayez plus aux combas un coeur trop enflammé, Et soiez moins vaillant pour estre plus aymé. “ Ainsi loin du Soleil tous les arbres sont beaux, “ Ainsi pres du Soleil il n'est plus de flambeaux : Aussi l'aspect d'Achille horrible à ma memoire, Change en fatalité le sort de la victoire, Et ce jeune guerrier ne sort point du combat Qu'il n'ait couché par terre un pillier de l'Estat. Suivant vos loix, Madame, on n'est jamais blâmable, Vous voulez que je l'ayme, hé bien il est aymable, Je prefere à mes voeux le commun interest, Et le trouve charmant à cause qu'il vous plaist, Je rendray mon desir conforme à vôtre attente. De quelque horreur que soit la bataille comblée, Il se démelle bien tousjours de la meslée. Mais mon frere, Troile ? Où va-t'il s'engager ? Nous luy devions ravir d'une puissante amorce Avec l'inimitié le pouvoir, & la force, “ C'est ainsi qu'on s'assure, & c'est estre imprudens “ Qu'aprivoiser un Tigre, & luy laisser des dents. Vostre commandement ne m'est pas beaucoup rude, Je reprens aysément cette douce habitude : Si pour un desloyal je parus m'enflamer, Ce fut vous obeïr, ce ne fut pas l'aymer : S'il estoit dans mon coeur, ce qu'on ne doit pas craindre, Je me le percerois pour tascher de l'atteindre, Cet amour fut de vous, il estoit tout nouveau, Vous avez estouffé vostre enfant au berceau. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_paris *date_1636 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_autres *role_paris Que n'estois-je avec vous ? j'eusse veu sa pensée, De quelle affection elle estoit traversée, Et d'où venoit en luy ce mouvement si prompt, Car je cognoy le coeur dés que je voy le front, Des feux les plus cachez je voy des estincelles, Et juge de l'amour aussy bien que des belles. Achille inexorable, & puis humilié, C'est ensemble un effect d'amour, & de pitié, Ce double mouvement qui tient l'ame engagée, Peut naistre des appas d'une belle affligée, “ Rien n'est plus eloquent que de beaux yeux moüillez, “ Par eux sont de fureur les Tygres despoüillez. Sans doute que ma soeur est dans l'esprit d'Achille, Et cette affection nous est beaucoup utille. Que vostre majesté ne perde point courage, Et sauvons, s'il se peut, les restes du naufrage. L'Amour nous donne Achille, & s'il est diverty, Nous pourrons voir Ajax entrer dans son party. Je sçay que j'ay causé nos plus tristes journees, Et ce juste reproche a plus de neuf annees. Mais quoy que cette guerre offre à mon souvenir, L'amour la commença, l'honneur la doit finir. Il faut rompre les loix de la civilité, Et que je vous embrasse en cette qualité. Tout va bien grace aux Dieux, L'armee est en deroutte, elle a pris l'espouvante, La bataille nous est glorieuse, & sanglante. Oüy, mais une victoire est-elle si parfaicte “ Qu'elle ne coute rien ? qui la gaigne l'achette, “ Sur sa felicité le vainqueur s'appuyant “ Tresbuche, & l'ennemy se retourne en fuyant : Tousjours quelque Troyen que son courage incite Poursuivant un Gregeois trouve ce qu'il évite, A tous deux le combat apporte du renom, Et mesme le vaincu fait gloire de son nom. L'on ne cueillit jamais de palme moins facile, Quoy, dans chaque Gregeois se trouve un coeur d'Achille, Tous Chefs, & tous soldats qui ne redoutent rien, Ils occupent sa place, & la remplissent bien. Nous triomphons pourtant, & le champ nous demeure. Ils combattent sur l'heure, Mille escadrons vaincus rendent l'ame à leurs pieds, Pour moy j'en suis sorty comme vous me voyez, Je ne compare point mes faits à ceux d'Alcide, Mais je reviens sanglant, & mon carquois est vuide. Il est comme une foudre, Qui brise, qui sacage, & qui met tout en poudre, Ses regards menaçans sont des éclairs d'horreur, Et son front est un ciel ou tonne la terreur, Il a trop de furie, & gagne plus de gloire Dans l'ardeur d'un combat que dans une victoire, Son couroux devroit estre un peu moins violent, Il est brave, il est fort, mais il est insolent, Comme il a du courage, & comme il hait Achille, Il croit que la dépouïlle en est assez facille, Pense l'épouvanter, & croit que ce vainqueur Aprehende le frere, & n'ayme pas la soeur, Sa vaillance deffie un qui vous idolâtre, Qui nous permet de vaincre, & nous laisse combatre, Et sa temerité le porte aveuglement, Une pique à la main, jusqu'au retranchement, Viens, lasche, viens, poltron, parois devant Troïle, (Ce sont ses propres mots) es-tu ce brave Achille ? Sois-le contre celuy qui s'opose a tes veux, Viens me donner la mort plutost que des Neveux. A quoy que sa promesse, & son amour l'engage, Achille n'est pas homme à souffrir un outrage. Mais je croy ce mal-heur, parce que je le crains. Quand j'aperceus Troile aveuglé par sa gloire, Je commençay dés lors à craindre la victoire ; Je vis où se romproit son insolent effort, Il portoit sur le front nos malheurs, & sa mort ; Achille eust bien voulu pardonner à mon frere, Il fut impatient, l'autre fut temeraire. Bien loin de l'excuser, je voudrois que ma main Luy mit pour nous vanger un poignard dans le sein, Je me ressentiray de cette offence extrême. Ouy, nous luy ferons voir mourant en braves hommes Ce qu'Hector nous estoit, & ce que nous luy sommes. Il perira par moy, sa mort est assuree, Les Dieux me l'ont promise, & ce bras l'a juree, De son perfide sang mes fleches rougiront, Et je feray pallir son crime sur son front, Il verra que ma main, quoy qu'il soit plus qu'un homme, Sçait aussi bien donner le trespas qu'une pomme, Qu'un nombre de Troyens pour en estre témoin Environne le Temple & nous suive de loin, Si nous le surprenons ce n'est point chose estrange, “ Car qui trahit un traitre est digne de loüange. On me r'aporte mort, ou je reviens vainqueur. Nos gens ne sont pas loin ? Le voicy, je te tiens. Je sçay l'endroit fatal où je dois faire breche, Juste Ciel, vange Troye, & conduis cette fleche. A nous, Troyens, à nous. C'est comme nous traittons nos mauvais alliez. Moy, Polixene, & Troye. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_deiphobe *date_1636 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_deiphobe Je suis bien resolu d'en faire aussi de mesme, Quand nous aurons passé le jour de nostre dueil, Et que mon frere aura sa pompe, & son cercueil ; Pour la voir tout le peuple est dessus les murailles. Nous ferons voir, Madame, à vostre majesté Que nous tenons beaucoup de ce qu'ils ont esté. Ha ! qu'il meure, ou mourons, consultons-nous encor ? “ Quand on sçait bien choisir & le temps, & le lieu, “ On peut venir à bout de la force d'un Dieu. A la porte du Temple. Elle sera dans peu de la tienne suivie. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_ajax *date_1636 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ajax Mais tu pardonnerois, si tu me voulois croire, A cette ingratitude, à cause de ta gloire. Exerce pour ton bien ce bras si valeureux, Fais pour toy (cher Amy) ce que tu fis pour eux : Quoy tu veux estre oysif au siege d'une ville ? Parce qu'ils sont ingrats, tu cesses d'estre Achille ? Tu te prives d'honneur ? non, non, qu'ils soient ingras, Qu'ils ne t'escoutent point, qu'ils pechent, & combas, Que des fleuves de sang rougissent la campagne, Va (genereux Achille) & qu'Ajax t'accompagne. Je n'en suis pas du nombre, & l'orgueil des Pergames M'a veu luy resister, & destourner ses flames : Ce bouclier d'un vainqueur ne fut jamais le prix, On me l'a bien faussé, mais on ne l'a point pris, Et tout rompu qu'il est, avecque mon adresse, Il pare bien des traits qu'on descoche à la Grece : Mais contre les Troyens nos trouppes sont aux champs, Desja l'on voit à nû mille glaives trenchans, Rejoignons le soldat que nostre absence effraye, Peut-estre la patrie a receu quelque playe, Allons la secourir, allons vaincre, ou mourons, Irons-nous seuls, Achille, ou si nous te suivrons ? Allons, Ulysse, il est inexorable, Ce mouvement cruël en luy n'est pas nouveau, Il verroit tout en feu qu'il plaindroit un peu d'eau ; Allons où la valeur esclate, & se renomme, Et ne perdons pas tout pour gaigner un seul homme. Il nous a tesmoigné que son feu s'est éteint. Je veux que cela soit, mais apres tout Achille Pour plaire à Polixene eust espargné Troïle. “ Aussi le plus vaillant est le plus aveuglé. “ Dans la chaleur des coups un bras n'est point reglé, “ Il frappe ce qu'il flatte, & l'ardente Bellonne “ Couvre les siens de sang, & ne cognoist personne. Nous servirons la Grece, & cognoistrons Achille, Moy pour en faire apres un utille rapport, Je verray de la ville, & le foible & le fort, Tu pourras découvrir tout ce qu'Achille brasse, Et nous recognoistrons, toy son coeur, moy sa place. Entrons effrontément, c'est trop de patience, Et je crains les effets d'une telle alliance. Nous sommes ruinez s'il fait tout ce qu'il peut. Par quelle perfidie, ou par quelle valeur Te voy-je, nostre Amy, reduit à ce malheur ? Ouy, j'useray contre eux de ta valeur extréme, Et je m'efforceray d'heriter de toy-mesme. Perdons-nous pour jamais un si rare thresor ? Que nous sert sans ce bras le conseil de Nestor ? Meschans, qui violez au mespris du tonnerre, Et les loix de la paix, & les loix de la guerre, Ce bras jusqu'aux enfers vous ira poursuivant, Achille n'est pas mort puis qu'Ajax est vivant : Souvenez-vous qu'Ajax est le vangeur d'Achille, Que bien-tost de sa cendre il en renaistra mille, Ces Dieux, vos protecteurs, vous verront trébucher, Et vostre ville un jour sera vostre bucher. Mais que veut ce Gregeois ? Mais sans mettre du temps à s'affliger ainsi, Puis que nous sommes trois enlevons-le d'icy, Devant qu'il ait reçeu ses honneurs, & nos larmes L'on verra qui de nous remportera ses armes, Un superbe tombeau luy doit estre erigé, Aussi-tost mis en cendre, apres plaint, puis vangé. Quoy grands Dieux ! qu'un debat aujourd'huy s'acomplisse, Et devant nos vaisseaux, & d'Ajax contre Ulisse ? Moy qui les preservay lors que Mars furieux Y mit le fer, la flame, Hector, Troye, & ses Dieux, Je soutins tout cela, luy n'osa les deffendre, A ce que je merite il ose bien pretendre. Combattons-nous de langue, & d'un parler subtil ? Je luy cede, & me rends, couronnez son babil, Il a de l'eloquence, & sa voix a des charmes, Mais combattons demain en demandant des armes, Cognoissons leur usage, & si Vulcan les fit, Ou pour un bon soldat, ou pour un bon esprit. Il n'est pas necessaire (illustres Capitaines) Que de mes actions vos oreilles soient plaines, Vous en fustes témoins, tout le monde les sçait, Et la nuit seule a veu tout ce qu'Ulisse a fait. La gloire que je veux me doit estre assuree, Elle est grande, il est vray, mais elle est mesuree, Et puis à mon merite Ulisse la debat, Et cette concurrence en avilit l'éclat : Sa plus superbe gloire est un honneur frivolle, Et d'où s'éleve Ajax, c'est là qu'Ulisse volle. Quand il n'obtiendra pas les armes qu'il pretend, Il a des-ja son prix en me les disputant : Et quand j'auray sur luy remporté la victoire, Nous aurons combatu, ce sera là sa gloire. Si j'estois sans l'éclat dont je suis revestu, La Noblesse chez moy tiendrait lieu de vertu, Les Dieux, Achille, & moy, sommes de mesme race, Et j'obtiendrois ce bien de naissance, ou de grace. Mais je le haïrois, je le veux meriter, Et l'avoir comme un prix, non pas en heriter. Je sçay l'humeur d'Ulisse, & voy qu'il apprehende D'obtenir sur le champ les armes qu'il demande : Quand pour luy plaire Ajax s'en voudroit départir, Il feroit l'insensé pour ne les pas vestir, Comme autrefois charmé de sa natalle terre Une feinte fureur l'exempta de la guerre, Quand son esprit touché d'une ordinaire peur Fuioit ce qu'il recherche avecque tant d'ardeur : Il sera preferable à tant d'autres personnes, Et qui n'en voulut point en aura de si bonnes ? Le merite éclattant ne sera point cognu ? Il fuira tout armé, je combatray tout nu ? Ha que si la fureur dont il eut l'ame esmuë Eust esté veritable, ou qu'elle eust esté cruë, Il nous en seroit mieux, nous aurions de l'apuy, Et nous n'aurions point veu ny ses crimes, ny luy ; Tu serois avec nous, malheureux Philoctete, Lemnos ne seroit pas ton affreuse retraitte, Et tu n'y perdrois point par occupation Les traits qui ne sont deubs qu'au destin d'Ilion, C'est là que tu languis dans une maladie, Que tu te plains d'Ulisse, & de sa perfidie, Implorant contre luy le Ciel à ton secours ; (Voeux qui seront ouys, si les Dieux ne sont sours) Palamede vivroit, ou seroit mort sans crime, Sans qu'à tort l'avarice eust taché son estime. Il affoiblit ainsi les forces d'un Estat, C'est comme on le doit craindre, & c'est comme il combat : Ailleurs il prend la fuitte en toute diligence, Lors que Nestor blessé reclame sa deffence ; Diomede le sçait qui mesme s'en facha, Qui rougit de sa honte & la luy reprocha : Cette action des Dieux ne fut pas oubliée, Mais en un mesme temps fut veuë & chastiée, Tout aussi-tost luy-mesme a besoin de secours, M'implore, & se r'assure aussi-tost que j'accours, J'empeschay qu'à son corps l'ame ne fut ravie, C'est la seule action qu'on reproche à ma vie. Ingrat, si tu me veux disputer cét honneur, Retourne aux ennemis, à ta playe, à ta peur, Que je t'aille assurer lors que ton ame tremble, Et que sous ce bouclier nous querellions ensemble. Tout fuit, Hector paraist, il amene avec soy Pour vaincre sans combattre, & la crainte, & l'effroy, Se dispose à brûler nos voilles, & nos rames, Mon bras seul repoussant Hector, ses dieux, ses flames, Couvre toute la Grece avec ce large écu, Nous en venons aux mains, je n'en suis pas vaincu, Nous nous craignons tous deux, quel honneur, quelle gloire, Ne triomphois-je pas empeschant sa victoire ? Et quand tout furieux sous les murs d'Ilion Je repoussois l'effort de ce jeune lion, Que faisoit lors Ulisse avec sa Rhetorique ? Qui vous servoit le mieux ou sa langue, ou ma pique ? Quels estoient nos vaisseaux en ce triste accident ? N'alloient-ils pas sans moy faire un naufrage ardent ? Par les feux nostre flotte eust esté consommee, Et l'espoir du retour s'en alloit en fumee, Songez quels nous estions quand Hector arriva. Vos vaisseaux sont entiers, armez qui les sauva. Ces armes dont jadis la gloire fut si grande, Vous demandent Ajax, comme Ajax les demande, Qui si vostre Justice honore ma valeur, J'en augmente mon lustre, & je maintiens le leur. Voyons qui les merite, & que ce brave Ulisse Compare à ma vertu son infame artifice, Qu'il compare à ces faits glorieux à mon nom, Et les chevaux de Rhese, & la mort de Dolon : Il n'a rien fait de jour, & rien sans Diomede, Qu'il en ait la moitié, si l'autre les possede. Mais qu'Ulisse n'ait rien puis qu'il est sans vertu, Il a bien dérobé, mais j'ay bien combatu. Ha certes sa folie est digne de nos larmes, Il demande sa perte en demandant ces armes, L'éclat de cét armet de qui l'oeil est touché, Le pourroit descouvrir quand il se tient caché : Ses lueurs trahiroient ses ruses, & sa gloire, La nuit sa confidente en paroistroit moins noire ; Acheveroit-il mieux ses illustres desseins ? Que feroit cette espee en ses debiles mains ? Au lieu de récompence il recherche un suplice, Ne fust-ce rien qu'un bras que tout le corps d'Ulisse, Ce grand, & large écu que j'ay seul merité, Qui porte tout le monde, en seroit-il porté ? Si vostre jugement à cet honneur le nomme, Vous ruinez la Grece, & perdez ce grand homme, Comme dans un cercueil ce sera l'enfermer, Et vous l'étouferez en le pensant armer. Ce prix de la valeur, ces armes deffenduës Par un si foible corps, seront bien-tost perduës, J'ay donné de moy-mesme une assez ample preuve, Ma cuirasse est usee, il m'en faut une neuve, Qu'est-il besoin qu'Ulisse ait un autre bouclier ? Le mien est tout percé, le sien est tout entier. Mais c'est trop discourir, ces armes disputees Entre les ennemis doivent estre jettees, Meritons par le sang un si glorieux prix, Et qu'enfin il demeure à qui l'aura repris. Le vice, & la vertu tendent à mesme fin, Je montre nos vaisseaux, il montre son larcin, A personne (Gregeois) ne soyez favorables, Je vous ay bien servis, vous estes équitables, Des effects d'un causeur ne soyez point charmez, Escoutez-le, je pers, voyez-moy, vous m'armez, Ce prix à l'eloquence est un prix inutille, Ornez-en vostre Ajax, il sera vostre Achille. Ulisse est mon Rival, & vous deliberez ? Soyons seulement veus, & non pas comparez. Souvenez-vous d'Ajax. Vous avez pour ce fer des mains assez robustes, Ajax est moins qu'Ulisse, & mes juges sont justes. Je ne m'irrite point de vos arrests augustes, Ma cause estoit mauvaise, & mes Juges sont justes. Qu'espererois-je, ingrats, quelle faveur, quel bien, Puis que du grand Achille il ne reste plus rien ? Il est vray, ce salaire estoit digne d'Ulisse, Je vous l'ay demandé, j'ay fait une injustice, Comme pour vous j'eus tort d'exercer ce bras cy En me recompençant vous auriez tort aussi, Et puis mon esperance estoit illegitime, Qu'attendrois-je de vous n'ayant point fait de crime ? Vous, dis-je, dont l'esprit laschement abatu Recompence le vice, & punit la vertu ? Ne soyez point ingrats, c'est assez d'estre iniques, R'appellez du passé vos miseres publiques, Remettez vostre flotte en son premier malheur, Ressuscitez Hector, sa force, & vostre peur, Fuiez bien loin des murs d'une superbe ville, Implorez mon secours, qu'il vous soit inutille, Empeschez que mon corps n'ait reçeu tant de coups, Rendez-moy tout le sang que j'ay versé pour vous, Et qu'apres, s'il le faut, Ulisse me surmonte, Et qu'il demeure apres glorieux de ma honte, Coeurs sans recognoissance ! il vous faut un tel bras, Vous voulez qu'il vous serve, & vous ne l'armez pas, On me prefere Ulisse ! Mais sçachez que ma cause est tousjours la plus forte, Ce fer au lieu de vous me recompensera, Et d'Ajax seulement Ajax triomphera, L'honorable secours de ma fidelle espee Qu'au sang des ennemis j'ay trop souvent trempee Me rendra glorieux par le reste du mien, Ulisse, elle est à moy, vous n'y pretendez rien ? Qu'on ne m'aproche pas, ou je me vangeray Dy moy, mon desespoir, quel chemin je suivray, Que feray-je vaincu ? Voicy mes ennemis, voilà Troye, & ma mort, Nous vangerons nous d'eux ? j'aurois trop peu de gloire, Feray-je qu'Ilion ait sur eux la victoire ? Je ne leur veux point faire un si sensible affront, Tous lâches, tous meschans, & tous ingrats qu'ils sont, Mais leur faux jugement m'a traité de la sorte, Ajax est sans deffence, Ulysse armé, n'importe, Cela sentiroit trop son courage abatu, Laissons-les dans le vice, & suivons la Vertu, Mourons, c'est le dernier, & le plus seur remede Que je doive appliquer au mal qui me possede. Mourons, ha qu'aujourd'huy ma mort Affoiblit, & r'enforce, est utille, & fait tort ! Mais dans mon sang ma vie, & ma honte se noye, Puis qu'Ajax est tombé, subsiste, heureuse Troye. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_ulisse *date_1636 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ulisse Si je combas sans vous, ma foiblesse est extresme, Et les plus valeureux sans doute en sont de mesme, Vostre seule presence anime nostre coeur, Et nous sommes vaincus, si vous n'estes vainqueur. Venez donc comme un foudre au milieu des allarmes, Que je vous recognoisse encore par les armes, Vous perdites Patrocle en un pareil courroux, Si vous ne nous menez combien en perdrez vous ? Si jusques à la fin le malheur nous travaille, Sans avoir combattu vous perdrez la bataille, Et les Troyens ravis se vanteront apres D'avoir bien profité des querelles des Grecs. “ Une dissention rompt la plus forte armee, “ Et de tant de projets fait un peu de fumee : “ Sa malice affoiblit ce corps le demembrant, “ Et fait mille ruisseaux d'un vaste, & fier torrent. Quoy vous voir à la paix ardent plus que personne, Que pouvez-vous penser que l'armee en soupçonne ? Vous offencez la Grece, & sur tout Menelas, Vous le pouvez vanger, & ne le faites pas ; Vous voulez tout avoir de puissance absoluë, Et ne combattrez plus si la paix n'est concluë, Et l'accord estant fait des Troyens, & de nous, En quelle occasion nous obligerez-vous ? Ce n'est pas qu'en la paix vous ne soyez utille, Mais c'est par la valeur que vous estes Achille. Je dis sans vous flatter quel est mon sentiment, Et parlant en amy je parle hardiment, Et dis que ce demon qui trouble nostre joye A de l'intelligence avec celuy de Troye. Hé quoy pouvons nous faire une honorable paix Avec des ennemis que nous avons deffaits ? Doit-on ainsi traiter l'ennemy qu'on terrasse ? Ils sont dessous nos pieds, demanderons nous grace ? Pourquoy finirons-nous la vieille inimitié ? Nous ne les craignons pas, en avons-nous pitié ? Voyons nous quelque chose en cette ville infame, Qui nous doive empescher d'y jetter de la flame ? Que pretendez-vous donc ? Si vous ne donnez pas un conseil salutaire, Faut-il qu'on se ruyne afin de vous complaire ? A l'un il est utile, à l'autre il est suspec. L'une pourtant assiege, & l'autre est assiegee. Elle est forte, il est vray, puis qu'Achille s'y rend, “ Où l'on resiste mieux, c'est là qu'il faut combattre. Ha qu'on ne cognoist pas tous ceux qu'elle a vaincus ! “ Achille, un ennemy ne se doit frequenter, “ C'est gloire de le perdre, & non de le hanter. Ouy sans doute il persiste en ses flames impures, Et je n'en tire point de foibles conjectures. Et c'est par où je voy qu'il est encore atteint : Il monstroit son amour estant opiniâtre, La Grece en murmuroit, il falloit bien combattre. Mais ses coups n'ont esté que de subtils moyens Pour vaincre nos soupçons plutost que les Troyens. Son bras se deschargeoit sur le simple soldat, Attribuez le reste à l'ardeur du combat, Il eut une fureur à soy-mesme contraire, Et nous voulut tromper, & non pas les deffaire. Quoy qu'à tant de Troyens il ait rougy le flanc, Il pleure dans le coeur sa victoire, & leur sang, Sa fureur n'estoit rien qu'une pitié cachee, Et nous avons de luy cette palme arrachee. Elle n'est pas entiere, Achille en ce beau jour Fait trop peu pour la Grece, & trop pour son amour. La tréve qu'aussy tost il leur a procuree, M'est de sa passion une preuve assuree, Il veut les consoler des travaux qu'ils ont eus, Et se veut excuser de les avoir vaincus. Un temple est icy prés que mon esprit soupçonne, Le lieu du rendez-vous que cette amour se donne, Couvrons nostre dessein du service des Dieux, La tréve nous permet de visiter ces lieux, Ou plustost demeurons pres des murs de la ville. O Ciel ! Que voy-je ? Achille meurt, son propre sang le noye, Sa mort est ton forfait, triste, & perfide Troye. Juge quelle est ta faute, Achille, par ta peine, Voilà ce que te vaut l'amour de Polixene, Ce sont de l'ennemy les plus douces humeurs, Voilà comme il nous flatte. D'une eternelle nuit sa paupiere est couverte, Ris de ton crime, ô Troye ! Argos, pleure ta perte ! Chacun doit ressentir la mort du grand Achille, Le corps qui pert ce bras doit bien estre debile. Sy le Ciel m'eust ouy (justes, & braves hommes) On ne nous verroit pas en la peine où nous sommes, Je me tairois, Ajax seroit moins animé, Car tu vivrois (Achille) & tu serois armé. Mais puis que le trespas qui se rit de nos larmes En nous l'ayant osté n'en laisse que les armes, Qui par ses actions les peut mieux meriter Que celuy d'entre nous qui les luy fit porter ? N'estimez point qu'Ajax ait obmis quelque chose Dont le ressouvenir soit utille à sa cause. Que si de ses raisons le poids n'est pas trop grand, Croyez qu'il est injuste encore plus qu'ignorant, Pour en venir au point où son audace aspire Il a dit, quoy que mal, tout ce qu'il pouvoit dire. Si j'ay de l'éloquence, au jugement de tous, Souffrez que je m'en serve, elle a parlé pour vous. Je m'en puis bien ayder en cette procedure, Et me servir d'un don que m'a fait la Nature. Je ne veux point briller de l'éclat d'un ayeul, Et je ne vante icy que mon merite seul, Mes peres dans le Ciel ont pourtant une place, Le crime, ny l'exil ne sont point dans ma race, Mais quelques grands honneurs qu'ayent reçeu mes ayeux, Ulysse rougiroit s'il n'estoit pas comme eux, Et si vos jugemens rendant ses voeux prosperes Recompensoient en luy la vertu de ses peres. Ses gestes sont presens, leurs gestes sont passez, Honorez leur memoire, & le recompensez. Je voudrois en ce lieu tous mes faits vous déduire, Mais j'en ay bien plus fait que je n'en sçaurois dire. Parlons-en toutesfois. Quand l'esprit de Thetis, Eut lû dans les secrets du destin de son fils, Par le conseil rusé d'une crainte subtille Sous l'habit d'une femme elle déguise Achille, Et cette invention la tire de soucy, Tous les yeux sont trompez, & ceux d'Ajax aussi ; Que fera mon esprit pour le bien de la Grece ? S'il ne trompe une mere, & mesme une Deesse ? Pour estre mieux Ulisse il faut ne l'estre point, A mon déguisement l'artifice se joint, J'étalle ce qui rend les filles mieux parees, Et parmy tout cela quelques armes dorees, La curiosité fait que je les cognois. L'une orne ses cheveux, l'autre pare ses doits, L'une prend des habits qui relevent ses charmes, L'autre prend des joyaux, Achille prend des armes. Je le voy, je l'amene, & luy dis à l'instant, Marche contre Ilion, sa ruïne t'attend. Tous ses faits sont les miens, par moy Thebes fut prise, Et Lesbos sacagee, & Tenede conquise, Troye en la mort d'Hector commença de perir, Je ne l'ay pas tué, mais je l'ay fait mourir ; Enfin par le secours de mon sage artifice Tout ce qu'a fait Achille est ce qu'a fait Ulisse. A ses armes (Seigneurs) puis-je pretendre à tort ? Vif, il en eut de moy, qu'il me les rende mort. Et quand le port d'Aulide envieux de nos palmes Retenoit nos vaisseaux sur des ondes trop calmes, Que Neptune craignoit nos glorieux combas, Qu'Eole estoit Troyen, & ne nous souffloit pas, Qu'il falloit par la voix d'un severe Genie Mesme acheter les vens du sang d'Iphigenie, Qui pût jamais resoudre Agamemnon que moy ? Il estoit pere, & Roy, mais il demeura Roy. Si seulement Ajax eust par la mesme voye Tenté ce que je fis, nous n'aurions pas veu Troye, Je croy que son discours eust esté sans pareil, Et qu'il eust bien émû Priam, & son conseil, Si ce grand Orateur s'exposant à la haine Eust esté chez Pâris redemander Helene, Il eût bien évité de si forts ennemis, C'est le premier danger où nous nous sommes mis. Je voudrois bien sçavoir à quel utile ouvrage S'est tousjours exercé ton valeureux courage, Il s'est passé des jours qu'on n'a point combatu, Toy qui n'as que ton bras, à quoy t'ocupois-tu ? Quel estoit ton travail ? car si tu me demandes Mes occupations, elles sont tousjours grandes, Je veille quand tu dors, je ne pers point de tems, Ou je te fortifie, ou bien je te deffens, Tu n'és point asseuré, si mon esprit sommeille, Et si je ne combas, il faut que je conseille, Je n'ay jamais perdu mes discours, ny mes pas, Je creuse des fossez, j'exhorte nos soldats, Mon esprit pour objet n'a que de grandes choses, Sans cesse je travaille, & souvent tu reposes. Et lors que le Gregeois d'un songe espouvanté Quittoit ce qu'en neuf ans son bras avoit tenté, Qu'on voyoit de nos gens le courage s'abatre, Que ne combatois-tu pour les faire combatre, Mais tu fuiois toy-mesme, & tu te disposois A ce retour honteux au Gendarme Gregeois, Ma remontrance utille à la gloire des nostres Te fit tourner visage aussi bien comme aux autres. Voilà ce que j'ay fait pour nostre commun bien, Je le dis pour ma cause, & ne reproche rien. Me refuserez-vous ce que je vous demande ? Quoy ? qu'un autre qu'Ulisse à cet honneur pretende ? Il n'est point de dangers qu'Ulisse n'ait tentez, Vous le sçavez (Gregeois) ou si vous en doutez, J'en porte dans le sein des assurances vrayes, Et nous avons aussi de glorieuses playes, Regardez-les, de grace, au point où je me voy, Ces bouches sans parler harenguent mieux que moy. Qu'a de plus cét Ajax ? Quoy m'est-il preferable, A cause que sa main par un coup favorable A couvert nos vaisseaux de son large bouclier ? Il fit bien ce jour là, je ne le puis nier, Et je ne suis pas homme à luy ravir sa gloire, Mais bien d'autres qu'Ajax ont part à la victoire. Un mystere secret à ces armes est joint, Quoy possederoit-il ce qu'il ne cognoist point ? Les Cieux, les eaux, les champs, & les villes gravees, Ouvrage de Vulcan, seroient mal observees, Cet écu pour Ajax a-t'il esté formé ? Un soldat ignorant n'en doit pas estre armé. Je me suis feint, dit-il, de la guerre incapable, Si ma feinte est un crime, Achille fut coupable, Deux femmes sur nous deux l'emporterent jadis, Nous n'en rougirons point, je fus mary, luy fils, Elles ont obtenu par un pouvoir celeste, Un peu de nostre temps, vous avez eu le reste. Mais sans toy, poursuit-il, Palamede eust vescu, Car tu l'as accusé sans l'avoir convaincu, Ailleurs son innocence eust trouvé des refuges, Vous l'avez condamné, deffendez-vous, mes Juges ; Non, non, vos jugemens ne sont point éblouys, Ses crimes furent veus devant que d'estre ouys, Et je n'ay point causé les maux de Philoctete, Ny voulu que Lemnos luy servist de retraite. Mais malgré son couroux qui contre nous s'émeut, Il faut pourtant qu'il vienne, & le destin le veut, Qu'Ajax l'aille trouver, & qu'il le persuade, Si vous luy commettez une telle ambassade : Le superbe Ilion sera long-temps debout, Fust-il plus animé, j'en viendray bien à bout, Ses fleches, & sa main déjà vous sont aquises, Et cela n'est qu'au rang des moindres entreprises, Ulisse a bien sué par de plus grands travaux, Dolon en est témoin, & Rhese, & ses chevaux, Et sur tout, & sur tout l'image de Minerve Où la fatalité d'Ilion se conserve ; Ma genereuse main l'arracha de l'autel, Avecque ta vaillance as-tu rien fait de tel ? Troye estoit invincible en estant deffenduë, J'ay fait qu'on la peut vaincre, ainsi je l'ay vaincuë, J'ay vollé ce thresor, le Ciel m'apercevant, Le jour, dans Troye, au Temple, & mesme Hector vivant. A quelque haut dessein où ta vaillance butte, Oserois-tu tenter ce qu'Ulisse execute ? Tu fais ce que tu peux alors que tu combas, Mais j'ay le jugement aussi bien que le bras. Accordez-moy (Gregeois) une faveur si grande, J'ay merité ce prix, & je vous le demande, Souvenez-vous d'Ulisse, & de ce qu'il a fait, Ses services de vous exigent cét effet, Pour les recompencer, qu'il se puisse deffendre, Par ceux qu'il vous rendit, par ceux qu'il vous peut rendre, Par ses conseils suivis, par ses soins vigilans, Par Troye à demy prise, & par ses murs branlans, Que les armes d'Achille animent mon courage, Au moins honorez-en Ulysse, ou cette image. La Grece a par mes soins la fortune prospere, Elle cognoist Ulisse, elle est juste, j'espere. Oublieriez-vous (Gregeois) mes services passez ? J'attens ma recompence, & vous en jouïssez. Comme vous le sçavez, mes parolles sont vrayes, Voyez cette Pallas, vous avez veu mes playes, Quoy qu'Ulisse ait ravy par de nobles moyens Tout ce qui soustenoit l'Empire des Troyens, Il vous peut rendre encore un fidelle service. Souvenez-vous d'Ulisse. Pour ces armes mon coeur a fait des voeux ardens, Assurez-vous (Gregeois) que je mourray dedans. J'y consens, j'ay mon prix. Que veux-tu, cher Amy ? Ces armes ne t'auroient satisfait qu'à demy, C'est trop peu pour Ajax, c'est assez pour Ulisse, Si tu crois que par là ta gloire s'accomplisse, Accepte-les, j'eus tort de te les disputer, Et personne que toy ne les sçauroit porter. C'est enflamer ce feu que le vouloir esteindre, Empeschons seulement qu'il ne se fasse tort. Je goute peu l'honneur de ce prix obtenu, Pleust aux Dieux qu'il fust vif, & que je fusse nu ! Mais puis que c'est un mal qui n'a point de remede ; Dissimulons au moins le dueïl qui nous possede. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_agamemnon *date_1636 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_agamemnon Que ne suis-je privé du Sceptre, & du pouvoir Que malgré mes desirs le Ciel m'a fait avoir, Je n'obeïrois pas à cette loy severe Qui tout Roy que je suis veut que je la revere, Et veut que je prononce un arrest importun Qui de deux concurrens n'en peut obliger qu'un. Ma fille par ma voix servit au sacrifice, Parce que je commande il faut que j'obeïsse, Que si l'un de vous deux se voit des-obligé, Je parle seulement, les autres ont jugé, Qu'il tesmoigne pourtant une constance insigne, Et s'il n'a pas ce prix qu'il en paroisse digne, Supportant ce refus sans en estre estonné Il est plus glorieux vaincu que couronné, Ces armes qu'on luy nie apres luy seront deuës, Ou ne les gagnant pas il les aura perduës. Ulysse, on vous cognoist, & non pas d'aujourd'huy, Pour Ajax, tout salaire est au dessous de luy. Ouy, brave, & fort Ajax, j'ay charge de vous dire Que la Grece vous doit l'honneur de son Empire, Contre Hector, & pour nous parut vostre vertu, Vous l'avez repoussé, vous l'avez combatu, Enfin vous meritez agissant de la sorte, Au dessus de ce prix, mais Ulisse l'emporte. Ses yeux, & son silence expliquent bien sa rage, Ulysse, adoucissons ce violent courage. Ne vous irritez point d'un jugement forcé, Esperez d'estre ailleurs bien mieux recompencé. Ha ! sa fureur l'emporte. Estouffez, brave Ajax, cette fureur extresme, Vous aurez tout vaincu vous surmontant vous-mesme. Son courage est à craindre. Hé, de grace ! O Ciel ! de sa main propre il s'est ouvert le flanc, Et son couroux éteint fume encor dans son sang ; Cette mort de nos Dieux est donc veuë, & soufferte ? Ha que nous faisons bien une seconde perte ! Il est vray qu'Ilion, s'il sçait cet accident, S'animera bien mieux, deviendra plus ardent. N'encourageons pas tant cette orgueilleuse ville, Soupirons pour Ajax, éclatons pour Achille ; Brulons l'un en public, brulons l'autre en secret, Et de tant de regrets ne montrons qu'un regret, Affin que le Troyen n'y puisse rien comprendre, Nous en pleurerons deux sur une mesme cendre. **** *creator_benserade *book_benserade_mortachille *style_verse *genre_tragedy *dist1_benserade_verse_tragedy_mortachille *dist2_benserade_verse_tragedy *id_soldat *date_1636 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_soldat Funestes aventures ! Je voy ce qu'ont predit tant de tristes augures, Le camp sans les sçavoir commence à s'attrister, Et Briseide vient de se precipiter.