**** *creator_bouilly *book_bouilly_descartes *style_prose *genre_trait historique *dist1_bouilly_prose_trait historique_descartes *dist2_bouilly_prose_trait historique *id_AMINTUS *date_1796 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_amintus Ô mon cher maître ! Que le fanatisme a d'empire sur les âmes faibles, et qu'il sait bien les faire mouvoir à son gré ! Le jugement n'est pas encore prononcé. Les magistrats balançant entre la justice qui vous est due, et la crainte de déplaire au parti puissant qui vous opprime, se sont retirés pour délibérer en secret : jamais cause ne fut plaidée avec plus de chaleur, et n'attira un plus nombreux auditoire. Falmar, votre défenseur, a déployé une force !... A fait briller une éloquence Oh ! Qu'il était séduisant et sublime, en peignant vos moeurs, votre caractère ; en retraçant les services rendus par vous aux sciences, et surtout à l'humanité !... La beauié de sa cause, la douceur de sa voix ont fait sur l'assemblée entière l'impression la plus profonde. Tous les coeurs étaient émus, tous les yeux mouillés de larmes... J'ai vu... Tant il est vrai qu'on résiste avec peine à la vérité qu'embellit le sentiment... J'ai vu l'instant où les juges allaient unanimement prononcer votre innocence, lorsque Voëtius étincelant de rage et suivi de ses docteurs fanatiques s'est élancé dans le prétoire, et a semé tous les poisons de l'imposture. Il a présenté votre doute méthodique, comme la subversion de toute certitude ; vos lois du mouvement comme opposées à l'action continuelle de Dieu. Il vous a peint tantôt comme un innovateur, qui ne cherchait qu'à renverser le gouvernement ; tantôt comme un athée qui n'avait d'autre but que de détruire la religion. Il vous a peint enfin comme un espion des puissances étrangères, qui bientôt devait opérer dans Utrecht, la guerre civile et la misère publique... À ces mots, l'étonnement et le silence ont succédé à l'intérêt le plus touchant ; les âmes se sont resserrées ; et ces spectateurs insensés qui venaient d'applaudir avec enthousiasme au tableau fidèle de vos vertus, ont fini par crier vengeance et demander votre condamnation. Les magistrats intimidés se sont alors retirés, annonçant qu'ils allaient délibérer sur cette affaire importante ; et moi, détestant plus que jamais le fanatisme, et gémissant sur la faiblesse du peuple que sans cesse il égare, je suis venu vous instruire de toutes ces horreurs, et vous préparer, mon cher maitre, au coup affreux qui vous menace. C'est de la reine de Suède. Cette reine philosophe instruite de vos malheurs, vous offre sans doute... Voyons donc sa lettre. « Le bruit de tes persécutions est parvenu jusqu'à moi. Je suis souveraine ; tu es phllosophe : faisons ensemble un traité. Tu annonceras la vérite aux hommes ; moi, je te défendrai contre tes ennemis... Viens ; je t'offre pour remparts mes États, mon palais et mon coeur. CHRISTINE. Que ces offres sont flatteuses et séduisantes ! Un inconnu serait dévoué à votre cause ! Cela m'etonne. Il est donc des tems où l'innocence du grand homme est abandonnée et où l'on n'a pas même le courage d'élever en sa faveur la voix de la pitié. Je voudrais bien ne pas vous quitter ; mais il faut que je retourne au prétoire entendre votre jugement. Aussitôt qu'on l'aura prononcé, je viendrai vous en instruire... Surtout, mon cher maître, de la prudence avec cet inconnu : n'oubliez pas que vous êtes entouré de méchants qui ne cherchent que l'occasion de vous perdre. Je l'avais bien prévu ; la crainte et la superstition ont étouffé la voix de la justice... Vous êtes condamné. Vos lettres contre Voëtius sont déclarées libelles et injurieuses, attentatoires à la religion dans la personne d'un de ses principaux pasteurs ; tous vos écrits sont déclarés nouveautés dangereuses ; et défenses vous sont faites de les répandre, sous peine d'être regardé comme perturbateur impie, et comme tel, comdamné au supplice indiqué par la loi. Ah ce n'est encore là que la moitié de l'outrage... Si vous saviez !... À peine ce jugement inique a-t-il été prononcé que le peuple excité par Voëtius et toute sa suite a demandé qu'on s'assurât de votre personne, et que vous fussiez traduit au tribunal des crimes. Le grand juge a balancé quelque temps ; mais craignant la fureur d'un peuple égaré qui déjà menaçait de fondre sur cette maison, et de la réduire en cendres, il a prononcé contre vous le décret fatal, ... et dans quelques instans, peut-être, on va venir vous arracher de cet asile. Il en est temps encore ; dérobez-vous à leurs recherches fuyez une terre qui n'est pas digne de vous posséder. Eh bien, mon cher maître, votre âme est-elle reposée de la secousse de ce matin ? Que vous fûtes bien inspiré, quand vous vintes habiter cette maison ! Ainsi, votre dessein est d'y fixer votre demeure ? Je ferai ce voyage avec le plus grand plaisir. Mais, parlons de Maurice de Nassau. Avec quelle chaleur, quelle magnanimité il a pris ce matin votre défense ! Vous ne l'y trouverez pas ; en venant ici je l'ai vu entrer avec toute sa suite à l'université. Justement. Ce prix est de mille florins et d'une courorne d'immortelles... On dit que le nombre des concurrents est immense. C'est Maurice de Nassau qui, moins comme gouverneur de nos provinces, que comme ami des arts, doit nommer lui-même le vainqueur... Vous le seriez, mon cher maître, si vous aviez voulu concourir et céder à mes sollicitations. Eh ! Qui pourrait l'emporter sur celui à qui nous devons déjà tant de grandes découvertes ?... Je suis entré dans la salle d'assemblée : tous nos savants y sont réunis ; un peuple immense remplit les portiques ; jamais spectacle ne fut plus imposant... Mais voici l'instant où l'on va décerner la couronne ; l'université n'est qu'à deux pas d'ici : n'êtes vous pas curieux d'y venir avec moi ? Tout ce qui s'est passé ne peut que tourner à votre gloire ; venez... Nous nous isolerons obscurément dans la foule ; vous êtes si solitaire, que peu de gens ici connaissent votre figure. Venez, Descartes... Venez ! N'auriez-vous pas vu Descartes ? Vous ne savez donc pas ce qui s'est passé à l'université ? On vient d'y donner le prix de ce fameux problème dont vous nous avez entendu parler quelquefois... J'y étais avec notre ami... Tous les deux retirés dans un coin de la salle et mêlés parmi le peuple... « Voici, dit Maurice de Nassau qui présidait l'assemblée, voici l'ouvrage qui, d'après l'examen le plus sévère, a réuni la majorité des suffrages.... » Aussitôt on lit dans tous les yeux la plus curieuse impatience : chaque concurrent annonce sur sa figure le battement de son coeur ; le silence le plus majestueux règne dans tout l'auditoire... Enfin, Maurice rompt le cachet qui, selon l'usage, couvre le nom du vainqueur, et nomme... René-Descartes. À peine a-t-il prononcé ces mots, que je m'écrie à mon tour : « Le voici ! le voici !...» Le voila ! répetent sur-lechamp ceux qui nous entourent ; et de bras en bras notre ami se trouve bientôt entre ceux de Maurice qui l'embrasse et lui remet une bourse remplie de mille florins. C'était le prix annoncé par le concours. Il y avait en outre une couronne de fleurs, que le recteur de l'université devait déposer sur la tête de Descartes ; Voëtius pour ne pas honorer celui dont il était le persécuteur, avait disparu : Maurice ordonne qu'il vienne remplir son devoir ; mais tandis qu'on est à la recherche de ce traître, Descartes, les yeux baissés et le front toujours modeste, rentre dans la foule et s'enfuit, trop grand pour s'enivrer de l'admiration publique, trop généreux pour céder aux attraits de la vengeance. Il est sûrement rentré ici. Le voici ! Ah ! Si son génie le met au rang des grands hommes ses actions le mettront également à cElui des bons coeurs. **** *creator_bouilly *book_bouilly_descartes *style_prose *genre_trait historique *dist1_bouilly_prose_trait historique_descartes *dist2_bouilly_prose_trait historique *id_MARCK *date_1796 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_marck Eh enfin !... L'on peut prendre haleine... J'ai cru que nons n'achèverions jamais ce maudit chariot. Comment cela va-t-il ? Nous vons avons fait du bruit ce matin : nous étions à l'ouvrage dès le point du jour ; et peut-être avons-nous troublé votre sommeil ? C'est que vous avez si grand besoin de repos. Elle ne doit être à craindre que pour les méchants... Il faut convenir qu'on n'en manque pas dans le siècle où nous sommes. Voilà trois mois au plus que vous demeurez dans ma maison, où vous vous êtes retiré pour vivre plus tranquille ; eh bien ! Il ne se passe pas de jour ou l'on ne cherche à m'effrayer, à m'indisposer contre vous. « Tu es bien bon, me dit l'un de retirer chez toi cet étranger, qu'on dit si savant, et qui n'est autre chose qu'un aventurier qui t'ensorcelera toi et toute ta faniille »... Savez-vous, me dit un autre, d'un ton sombre et cafard, « savez-vous, mon ami, à quoi vous vous exposez en logeant chez vous cet homme qui fait tant de bruit dans Utrecht ? C'est un hérêtique, un impie qui n'a ni foi, ni dieu, et qui tôt ou tard fera tomber sur votre tête le feu vengeur du ciel ». Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !... Je ne finirais pas vous disais tout ce qu'on me dégoise sur votre compte... Mais ils ont beau faire ; allez, je sais vous connaître, et vous êtes là. Oui, là, tout au fond, d'où jamais l'on ne pourra vous arracher. Que vous fait l'inimitié de quelques fanatiques ambitieux et jaloux ? N'avez-vous pas pour braver leurs intrigues votre renommée, et surtout le témoignage de votre conscience ? S'il est des gens qui conspirent contre vous dans Utrecht, il en est aussi qui vous respectent, vous aiment... Et tenez pas plus tard qu'hier... j'étais à travailler dans ma boutique, lorsqu'un homme que je ne connais pas, mais dont je remettrais aisément la figure, vint aussi me faire sur vous mille questions. Moi, le prenant encore pour un des espions de vos persécuteurs, je le traitai brusquement, et finis par lui dire que ma maison était la vôtre, que j'étais heureux et fier de vous y posséder, et qu'on ne vous y troublerait qu'après m'avoir ôté la vie... À peine ces mots furent-ils sortis de ma bouche, que je vis mon homme tressaillir, ses yeux se mouillèrent de larmes, il me prit la main, la serra, et me dit en s'en allant : « Bien, brave homme bien ; je vois qu'il est encore ici quelques bons coeurs ». Il doit avoir trente à trente-cinq ans, taille élevée, maintien noble et fier ; la voix sonore et pleine de douceur ; des yeux étincelants et déterminés ; un air enfin qui inspire à la fois le respect et la confiance... Oh ! Je suis bien trompé si ce n'est pas quelque grand personnage. Non, non ; il peut commencer. Eh bien ? 'Volontiers. Il l'a parbleu bien gagné. C'est assez naturel, Et je n'en suis pas fâché. Sans doute. Ah ! Ah ! Ma fille est encore bien jeune... Au reste, cela déprend d'eux. Je m'en vais vous conter ça. Peu de temps après que Félicio fut entré chez moi, je m'aperçus qu'il ne déplaisait pas à ma fille. Je voulus prévenir le coup ; mais il n'était plus temps, le feu était pris. L'éteindre, impossible ! Le détourner, folie ! Je m'avisai donc d'un moyen qui en satisfaisant nos amoureux, m'a donné le temps de les éprouver, et de connaître s'ils étaient véritablement faits l'un pour l'autre... « Tu n'as rien dis-je à Félicio ; mais le coeur de ma Florina te tient lieu de tout à mes yeux ; passons. Moi, je n'ai que cette petite maison, nos outils et mes bras : je commence à grisonner ; le peu que j'ai amassé m'est nécessaire pour vivre ; c'est donc à vous, mes enfants, à vous doter vous-mêmes. Or, comme je ne veux pas qu'on entre en ménage sans avoir quelque chose, vous ne serez mariés, c'est là mon mot, qu'après avoir amassé mille florins ; et pour vous aider à faire cette somme, je vous associe dès ce moment à ma boutique, et vous accorde la moitié des profits »... Ma proposition fut goûtée, accueillie avec transport ; et en me débarrassant par là de sollicitations, toujours pénibles pour un père, j'ai fait naître de l'amour le plus tendre, l'habitude du travail et de l'économie. Ma foi, environ la moitié de la somme et cependant il n'y a pas tout-à-fait un an qu'ils ont commencé... Oh ! Vous ririez de les voir s'élancer mutuellement à l'ouvrage épargner sur toute chose. La moindre dépense reculerait l'instant tant desiré ; aussi a-t-on fait une cassette à double serrure dont chacun garde une clef, afin que l'un ne puisse pas l'ouvrit sans l'autre. C'est là que l'on dépose tous les soirs le gain de la journée et que chaque premier jour du mois, on compte le chemin qu'on a déjà fait, et celui qui reste encore à faire. Le scélérat !... Il ne s'est fait nommer recteur de l'université que pour vous tourmenter plus à son aise... Et l'on veut que nous respections ces docteurs hypocrites ! Que je l'aime, ce jeune Amintus ! Il est d'une franchise, d'une douceur et surtout d'un courage !... Il ne fera pas comme tant d'autres, lui il n'abandonnera pas lâchement votre parti. Les voilà bien les traîtres ! Et c'est là un méchant qu'on oserait condamner ! Et que deviendrions-nous, nous autres, à qui vous avez donné l'habitude de vous voir et de vous aimer ? Pour moi, je ne peux plus me passer de vous d'ahord;' arrangez-vcus là-dessus. Au diable l'importun ! Je ne peux pas être ici un instant, sans qu'on ne vienne aussitôt. Oh ! Oh !... Serait-ce cet inconnu qui m'a témoigné tant d'intérêt pour vous ? Justement, c'est notre homme il demande lui-même à vous, parler. Écoutez, monsieur, entrez. Oh ! Si j'eusse été là ! Est-il bien possible ! Que dites-vous ! Eh ! Qu'importe ? Fuyez ! Fuyez !... Vos persécuteurs peuvent bien me faire périr ; mais je les défie de me faire jamais repentir de vous avoir connu. Le premier qui lui touche est broyé dans mes mains. Eh ben, enfants ?... Vous ne dites rien... On dirait, Florina, que tu n'es pas encore revenue... de ta peur de tantôt. À voir ces gardes, ces gens de justice, on aurait pris ma maison pour un repaire de brigands... Oh ! Si l'on ne m'eût pas retenu !... C'est un homme, celui-là !... Il fallait le voir devant le grand juge défendre notre ami ! Oui ; mais sans le gouverneur... Il aurait eu bien de la peine à se tirer de là. À mort ; rien que ça... Ces vieux hypocrites... ça vous a le coeur plus dur... Il fait un effort. Heum !... Que ce moyeu que je ne puis venir à bout de percer... Mais n'en parlons plus : notre ami nous est rendu... Ne songeons qu'au bonheur de le posséder. Vois donc ce qu'il fait dans le jardin. Parbleu ! Je le crois bien ; il y passe toutes ses soirées, et il travaille comme s'il était payé pour ça. Ouf ! Voilà enfin qui est achevé... Je suis tout en eau. Ce maudit bois-la n'est pas facile à manier. Il fait une chaleur !... À quoi nous mettrons-nous maintenant ? N'est-ce pas du carrosse du grand-prieur ? À propos : je la lui ai promise pour ce soir... Il faudra nous y mettre tous les deux. Eh qu'importe ?... Il vaut mieux que le grand-prieur fasse quelques tours de moins dans sa voiture, et que le pauvre Guillaume puisse faire quelques sillons de plus. Comme vous voilà chargé ! Rien de perdu avec vous. Mais comment peut-il se faire que, savant comme vous êtes, vous vous amusiez à tous ces riens-là? S'amuser à cultiver des fleurs, à ratisser un bosquet, à la bonne heure... Mais vous... Non, c'est que vous êtes réellement jardinier ; vous vous en faites-là.... une occupation séreuse. Eh non ; vous pouvez rester : nous avons à travailler au dehors. Il faut rentrer ces nouvelles pièces de bois, qui nous sont nécessaires pour la charrue du père Guillaume ; viens. Fort ben !... Ne vous gênez pas. Vous vous amusez donc, vous autres, à prendre des acomptes ? Eh oui, mon père... Il y en a qui feraient au moins quelques façons mais non : mam'selle vous avance elle-même son petit col innocent, et reçoit ça de la meilleure grace. À le rafraîchir par un baiser n'est-ce pas ?... Le remède est nouveau par exemple... J'ai parbleu tout aussi chaud que lui... Eh bien puisque tes baisers sont si rafraîchissants, viens donc me baiser aussi, moi. Cela viendra, mes enfants cela viendra... À propos, c'est aujourd'hui le premier du mois ; vous allez surement compter votre petit trésor attendez-moi un instant ; je vais chez ce riche négociant, notre voisin, chercher le montant de nos derniers ouvrages dont il me demanda l'autre jour le mémoire. Il s'éloigne et revient. Vous, pendant ce temps-là, mettez rafraîchir un pot de cette bierre blanche que Monsieur Descartes aime tant, vous savez bien. S'il rentre avant moi, vous aurez soin de lui en offrir... Surtout n'attendez pas qu'il vous eu demande ; car il n'oserait... Je puis compter sur vous, hein ? Eh bien où êtes-vous donc, vous autres ? Monsieur Descartes est-il rentré ? Il n'a pas coutume de s'absenter ainsi ; mais il est avec son ami ; je suis tranquille. Oui, il n'a pas rabattu la moindre chose sur notre mémoire et cela m'a fait plus de plaisir, à moi, que tout l'argent qu'il m'a donné... Il se montait comme vous savez, à quatre-vingts florins ; ce qui fait pour vous quarante que voici... Quarante florins à la fois ; cela ne laisse pas que de l'engraisser. Comment donc ? Mille dis-tu ?... Je gagerais moi, pour plus de quinze ou seize cents. Allons donc vous me faites rire, vous autres, avec votre surprise... Oh ! Que vous savez bien d'où cela vient! Le tour n'est pas mal imaginé, j'en conviens mais vous avez beau être aussi fins, on ne m'en fait point accroire, entendez-vous ; et je ne serai votre dupe que quand je le voudrais bien. Qu'impatients d'être mariés et ne pouvant encore avoir amassé la somme convenue entre vous, vous l'avez empruntée à quelqu'un, rien n'est plus clair ; mais ce n'est pas là mon compte... J'entends et le prétends que les mille florins soient à vous appartenants... Sans cela point de mariage ; ce sont nos conditions, vous le savez, et je n'en démordrai pas ; vous aurez beau faire et beau dire, non je n'en démordrai pas. Eh bien parlez ; je n'empêche pas que vous parliez, mais vous aurez beau parler... Quoi tout de bon ? Oh ! Oh !... Je n'y conçois plus rien. Lui serait-il arrivé quelque chose ? Comment ? Eh bien ? Qui donc ? Ah !... Que cela fait de bien ! Mille florins, dites-vous ! Et vous ne savez pas ce qu'il est devenu ? Justement, il en aura profité pour verser dans cette cassette... Ne vous y fiez pas : ces gens-là ne pardonnent jamais. Si vous saviez ce qu'il a fait des mille florins !... De tout mon coeur. **** *creator_bouilly *book_bouilly_descartes *style_prose *genre_trait historique *dist1_bouilly_prose_trait historique_descartes *dist2_bouilly_prose_trait historique *id_FELICIO *date_1796 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_felicio Vous l'allez voir, vous dis-je ; mais sachez le respecter. Il est vrai que la scène de ce matin l'a effrayée, à un point !... Comme il parlait de lui avec respect ! Comme il le pressait dans ses bras ! Comment, vous croyez qu'on autoit osé le condamner... C'est singulier, comme il se plaît au travail de la terre. J'ai fini d'assembler aussi toutes ces pièces. Il faut que j'achève cette roue. Justement. Mais on attend cette roue avec impatience. Ton père apporte le reste. Florina ! Que tes soins sont doux et caressants ! Il faut bien qu'il s'accoutume à tout cela. Ouand pourrai-je à mon tour vous donner ce doux nom ? Soyez tranquille. Tu as raison. Nous ne sommes cependant pas encore à la moitié de ce qu'il nous faut ; mais avec du courage ou vient à bout de tout. Combien as-tu vendu ta coiffe de dentelle ? Que cela ? Qu'as-tu donc encore là ? Que tous ces sacrifices augmentent mon amour ! Vas, laisse faire, une fois unis, je te parerai de manière à ne rien regretter. Mais aussi il ne te reste plus rien à vendre. J'ai bien cette médaille d'argent qui fut donnée à mon père pour avoir sauvé lui seul trois personnes qui se noyaient dans le canal ; mais elle honore la mémoire de celui qui m'a donné le jour ; elle m'offre sans cesse un bel exemple à suivre... M'en séparer... Oh ! M'en séparer est au-dessus de mes forces. Je travaille autant que mes forces peuvent le permettre ; mais notre état est si borné ! Ce que c'est pourtant que la fortune ! On voit des gens qui pour satisfaire un désir, un seul caprice, sèment l'or à pleines mains ; et nous ! Cinq cents florins de plus, et demain, nous serions l'un à l'autre ; et demain !... Ma Florina ! Pendant que tu vas tirer le pot de bière, moi, je vais puiser de l'eau fraîche. Va, ça sera bientôt prêt. Nous ne l'avons pas vu. C'est singulier, comme cette cassette est pesante ! Ah ! Mon dieu ! Elle est presque remplie. Il n'y a qu'un instant encore... Que pouvez-vous donc penser ? Je vous assure. Mais laissez-nous donc parler à notre tour. D'abord je commence paravouer, avec vous, que les deux tiers de cet argent ne peuvent nous appartenir ; j'ajouterai qu'ils n'étaient pas dans cette cassette il y a quelques instants, qu'à ce moyen je ne veux en faire aucun usage ; je terminerai enfin en vous assurant, par tout ce qu'il y a de plus sacré, que Florina et moi nous en ignorons absolument la source. Ô mon dieu serait-ce lui... Ah ! Monsieur, que ne vous dois-je pas ! **** *creator_bouilly *book_bouilly_descartes *style_prose *genre_trait historique *dist1_bouilly_prose_trait historique_descartes *dist2_bouilly_prose_trait historique *id_FLORINA *date_1796 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_florina C'est moi, Monsieur Descartes... Je vous apporte votre thé. Si je n'avais pas craint de vous distraire, je vous l'aurais apporté plutôt. Il se fait déjà tard. Il ne tardera siirement pas à monter. Il est dans la boutique avec Félicio qu'il aide à finir quelque chose. N'est-il pas vrai, monsieur ? Elle n'est pas trompeuse, je vous assure. Il vaut à lui seul trois ouvriers au travail. Aussi passe-t-il dans le quartier pour le premier charron d'Utrecht. Oh ! Je ne m'en défends pas ; je l'aime bien... Une autre à ma place ne vous répondrait qu'eu rougissant, en baissant les yeux ; eh ben ! moi, tout le contraire. Je suis trop heureuse d'aimer Félicio, et surtout d'en être aimée, pour ne pas l'avouer avec franchise ; et si je rougissais en faisant cet aveu, ce ne serait que de plaisir, Monsieur Descartes ; non, ce ne serait que de plaisir. Oh ! Dam... Il est bon, mon père ; oh ! de ça bien bon... Mais quand une fois il s'est mis quelque chose en tête... Ce n'est pas qu'il ne m'ait bien promise à Félicio : déjà même il le regarde, le traite comme son fils; et s'il retarde ainsi notre mariage, c'est qu'il veut qu'auparavant... Mais, moi, qui vais vous conter ça, comme si ça pouvait vous intéresser. Le voilà qui vient : vous pourrez l'interroger vous-même, surtout que ça ne soit pas devant moi ; car il pourrait croire... Et malgré qu'il soit bien cruel d'attendre, j'aime encore mieux souffrir que de le fâcher, voyez-vous. Mon père, faut-il que Félicio vous attende pour déjeûner ? Comme il est un peu fatigué... Si vous vouliez le permettre... Je lui donnerais une goutte de ce bon vin vieux, dont il nous reste encore quelques bouteilles. Ah ! Je vous remercie. Le facteur vient d'apporter trois lettres que voici. Mon père, il y a là bas quelqu'un qui voudrait vous parler. C'est cet homme en manteau brun qui vint hier matin et avec qui vous causâtes si longtemps. Ah mon père !... Ah monsieur ! C'est fait de nous... Des gardes... Des gens de justice... Il y en a plein la boutique... Ils vous cherchent. ils vous demandent. Les voilà sur mes pas, Comme ils ont été surpris, quand le gouverneur s'est fait reconnaître ! Aussi, Monsieur Descartes a-t-il bien vite été reconnu innocent. Il bêche toujours auprès du grand berceau. Depuis qu'il est ici, notre jardin n'est pas reconnaissable. Et la charrue que Guillaume vous a tant recommandée ? Donnez ; ça me regarde, moi. Comme vous ayez chaud, monsieur Descartes. Et moi, pendant ce temps-là, je vais serrer ce qui est dans ce panier. Que le travail est ennuyeux, quand ou est seule !... On fait tout de travers ; on n'a de coeur à rien. Ô mon cher Félicio ! Quand me sera-t-il permis d'être toujours avec toi ! Mon ami, tu dois être bien fatigué ! Comme la sueur coule sur ton visage ! Ah ! Mon dieu ! Mon père nous a vus. Mon père... C'est que... Félicio.... a bien chaud.... et je cherchois... Mon père ! Oui, mon père. Profitons du moment où nous sommes seuls pour verser dans notre cassette l'argent que nous avons fait à l'insu de mon père. Elle commence à peser au moins. Voyons. Six florins. Elle était si vieille ! Ma mère l'avait héritée de sa mère qui la tenait de sa grand-tante. Un, deux. et six. C'est, puisqu'il faut te l'avouer, le prix de mon collier de nacre et de mes petits anneaux d'or... Je me suis décidée à les vendre, parce que j'ai pensé que je n'avais pas besoin de tout cela pour plaire à mon Félicio. Dix et six font. Seize... Avec ce que mon père va nous apporter, nous devons approcher aujourd'hui de nos cinq cens florins. Mon dieu non... Et toi, n'aurais-tu pas aussi quelque chose dont tu pourrais te défaire ? Garde-la, mon ami ; oh ! Garde-la bien... C'est comme ce coeur d'or... Dont ce voyageur fit présent à ma mère ; qui avait trouvé sa bourse... Il ne sortira de là, que quand je ne serai plus... Cependant quand je songe qu'il nous faut encore une année toute entière pour amasser notre somme... Et mon père aime tant à faire crédit ! Oh ! Il est terrible pour ça, mon père. Finis donc, mon ami... Tu me serres si fort !... Et mon coeur bat si vîte Mais nous oublions ce que mon père nous a tant recommandé. S'il revenait il nous ferait un train !... Nous voilà, mon père. Eh bien, mon père, avez-vous réglé avec ce négociant ? Comme cela va bien faire à notre petit trésor !... Il faut... Cela est vrai. Que vois-je ! Il y a, je suis sûre, plus de mille florins. Mais comment cela peut-il se faire ? Je vous jure, mon père... Mais écoutez donc. Vrai. Comme nous nous aimons, mon père. Mon dieu, non. Nous n'avons cependant quitté cet atelier qu'un seul instant. Nous re l'oublierons jamais.