**** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_marie-stuard *date_1691 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_mariestuard Ah ! Duc que j'apprehende De vous rendre funeste une bonté si grande ! Si la Reine en secret fait observer nos pas, En voulant me sauver ne vous perdez-vous pas ? Quelle disgrace⁎ ! Ah Duc, vostre perte est certaine. Qui, moy, vostre ennemie ! Eh, Madame... Songez-vous aux remors que vous vous preparez ? He bien, Duc, vos bontez augmentent mes malheurs. Quelle fatalité vous inspira l'envie De prodiguer vos jours pour conserver ma vie ? J'ay fait ce que j'ay pû pour vous en empêcher ; Et tout ce que j'ay fait ne vous a pû toucher. Si le Ciel équitable à ma fuite s'oppose De son juste courroux je suis la seule cause : Innocente à vos yeux de meurtres, d'attentats, Il est d'autres forfaits dont je ne le suis pas . Pour vous, qui renoncez au rang le plus auguste Lors qu'il faut y monter par une voye injuste ; Vous, qui de la faveur si long-temps revétu N'eûtes pour ennemis que ceux de la vertu ; Qui de tous les bienfaits dispensateur fidele, Des Ministres d'Etat devinstes le modele ; Et laissâtes à tous l'exemple genereux De répandre les dons qu'ils retiennent pour eux : Vous, enfin, qui sans fraude ayant esté mon Juge Vouliez à l'innocence asseurer un refuge, Quel crime avez-vous fait pour souffrir le trépas ? Moy des mépris ! Ah Duc, qu'un tel soupçon m'offence ! Je puis manquer de tout, hors de reconnoissance. C'est moy qui vous expose aux mouvemens jaloux... O Ciel ! A quelque ignominie où l'on m'ait condamnée Je n'ay point oublié de quel sang je suis née : Pour en trouver la source en mes premiers Ayeux Il faudroit remonter jusqu'au temps des faux Dieux. Et le reste d'un Sang dont la source feconde A depuis deux mille ans donné des Rois au monde, Au rang le plus sublime a d'assez justes droits Pour devoir n'écouter que les soûpirs des Rois. Je ne m'attendois pas, pour surcroît de misere, Au surprenant aveu que vous venez de faire : Pour essuyer du sort les plus rigoureux coups Il ne me restoit plus qu'à me plaindre de vous. Si vostre coeur sensible au malheur qui m'opprime A pris en ma faveur des sentiments d'estime ; Si des attraits proscrits vous ont fait soûpirer ; Quel moment prenez-vous pour me le declarer ! Si d'un feu qui me perd j'eusse esté mieux instruite Me serois-je avec vous exposée à la fuite ? Ce que la médisance osera publier Chez tous les Rois voisins va me calomnier. On dira que le Juge épris de la Coupable A l'objet de ses feux s'est montré favorable ; Et que dans un Arrest qu'un tel Juge a dicté L' Amour eut plus de part que n'en eut l'Equité. Ah Duc, qui dans mes maux avez veu ma constance, Quel indice⁎ cruel contre mon innocence ! Quelque juste envers moy qu'ait esté vostre Arrest L'amour auprés d'un Juge est un grand interest. Que ne chassiez-vous, Duc, cet amour de vostre ame ? Que ne bannissiez-vous... Puisse du juste Ciel la sagesse profonde Qui vous oste avant moy des miseres du monde , Pour remplir mon attente, & mes voeux les plus doux, M'appeller à la mort un moment aprés vous. Quand il faudra partir je n'ay rien qui m'arreste. Allez dire à vos Pairs que leur Victime est preste , Et qu'à leur premier ordre ils seront obeïs ; Quoy que par mon trépas tous les droits soient trahis. Le Comte de Morray viendra-t-il ? Vostre zele, Melvin, est gravé dans mon ame. Vous avez de mon sort partagé le courroux, Et je vais au trépas sans rien faire pour vous. Je meurs, vous le sçavez, Femme, Sœur, Fille & Mere Des plus augustes Rois que l'Europe revere ; Et dans ce rang suprême il ne m'est pas resté Dequoy recompenser vostre fidelité. Victime d'un Arrest qu'a dicté l'injustice, L'état où je vous laisse augmente mon supplice : Aprés un sort si rude il m'eût esté bien doux De combler de bienfaits…Et quoy, vous pleurez tous ! Témoins infortunez des malheurs de ma vie, En voyez-vous la fin avec un œil d'envie ? Dans un si long orage ay-je trop peu souffert ? Faut-il verser des pleurs quand un port m'est offert ? Si vous aimez ma gloire épargnez ma foiblesse, Et ne m'accablez point à force de tendresse. Quelqu'un vient. Contraignez vos douleurs. Approche, ingrat Sujet, dont la haine m'accable, Viens me dire du moins dequoy je suis coupable. Apprens-moy quel outrage & quels maux je t'ay faits. Cruel, mon souvenir n'est plein que de bienfaits. Quoy que l'on doute encor de qui tu receus l'estre, Pour Enfant du feu Roy je t'ay fait reconnoistre ; Et sans approfondir si tu sors de son sang Je t'ay fait dans ma Cour tenir le premier rang. Tu ne fais que trop voir que tu n'es pas mon Frere Par les soins que tu prends à m'estre si contraire. Si le sang qui t'anime estoit le sang d'un Roy, Serois-tu sans honneur, sans tendresse, sans foy ? Elevé dans ma Cour, ta criminelle audace Entre le Trône & toy ne put souffrir d'espace : Pour m'en faire tomber par de sanglans effets⁎ La mort de mon Epoux fut un de tes forfaits : Mais, ce qui de l'Enfer est le plus noir ouvrage, Tu me fis imputer ce qu'avoit fait ta rage ; Et par des trahisons, conduites avec art, J'expire pour un crime où je n'ay point de part. Tu sçais, toy qui l'as fait, que j'en suis innocente. Si ta Religion t'acquiert le privilege D'estre envers une Sœur perfide & sacrilege, La mienne, si contraire à celle où tu t'es mis, M'apprend à pardonner à tous mes ennemis. On me vient avertir qu'il faut quitter la vie. Separons-nous en paix, c'est moy qui t'en convie. Insensible aux affrons où l'on m'expose icy, Je pardonne à la Reine , & te pardonne aussi. Puisse mon sang versé par vos brigues⁎ secrettes Vous retirer bien-tost de l'erreur où vous estes ! Si par le juste Ciel mes vœux sont écoutez J'en vais faire pour vous qui me persecutez. Adieu. **** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_elisabeth *date_1691 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_elisabeth Auriez-vous jamais crû qu'insensible à mes graces, De tant de Conjurez il eût suivy les traces ? Luy que j'ay tant de fois comblé d'honneurs, de biens, Prodigue de ses jours, attente sur les miens ! En quelque rang qu'il soit je luy feray connoistre Que je sçay de plus haut precipiter un Traistre ; Que jamais un Sujet qui viole sa foy Ne dérobe sa vie aux rigueurs de la loy ; Que plus à mes bontez il estoit redevable Plus son crime est énorme & ma haine équitable : Et qu'aprés l'injustice où l'Ingrat se resout, Ma tendresse irritée est capable de tout. Ses amours ! Juste Ciel, que m'apprend-on encore ? Et pour qui ? L'aime-t'il ? Il l'adore ! Qu'entens-je ? Quoy, pour mon Ennemie il a l'ame obsedée ! Eh faut-il que si tard j'en sois persuadée⁎ ! Depuis plus de six mois confus, sombre, interdit, Son infidele coeur m'en avoit assez dit : Mais le mien, trop facile à se laisser surprendre⁎, A ce langage obscur ne vouloit rien comprendre. Enfin, voyant l'Ingrat m'éviter tous les jours, De ma faveur pour luy j'interrompis le cours. Si d'un coup si cruel il eût senti l'atteinte, Il l'auroit recouvrée à sa premiere plainte. A ceux qui la briguoient ne pouvant l'accorder, Je luy laissois le temps de la redemander. Dans la crainte où j'estois de le trouver coupable Tout ce qui l'excusoit me sembloit veritable ; Et mon coeur de concert⁎ avec sa trahison Du party de mes sens avoit mis ma raison. A moins que cette nuit sa fureur me previenne Je jure que sa mort devancera la mienne ; Et que pour luy porter de plus sensibles coups Mes yeux se repaistront d'un spectacle si doux. J'auray plus de rigueur qu'il n'eut d'ingratitude. Et les Rois sçavent-ils quand on leur est fidele ? Environnez par tout de gens interessez Ils n'ont point de deffauts qui ne soient encensez : A tous leurs mouvemens une foule importune D'un pas precipité court aprés la fortune ; Et ceux qui devant eux se presentent le plus Le font moins pour les voir que pour en estre vûs. Si je choisis quelqu'un j'éprouveray⁎ peut-estre Qu'au lieu du plus zelé ce sera le plus traistre. De ce devoir, vous-même, acquittez-vous si bien Que de la part du Duc il ne m'arrive rien. Je vous en donne l'ordre, & ce soin vous regarde. Hola. Euric, pour commander ma Garde Du Comte de Morray je viens de faire choix : Ayez soin cette nuit d'obeïr à sa voix. Je l'ordonne. Comte, pour cet Ingrat la mort aura des charmes, Des yeux qui l'ont seduit il obtiendra des larmes. Pour luy faire un destin qui soit plus rigoureux Ne donnons le trépas qu'à l'objet de ses feux. Ce sera pour ce Traistre une douleur mortelle D'adorer vostre Soeur & de vivre sans elle : Et ce qu'aura d'horrible un si funeste sort, Luy seul de ce qu'il aime aura hasté la mort. Ainsi, ma cruauté, sans permettre qu'il meure, Forcera le perfide à mourir à toute heure. Et je l'accableray par l'horreur de me voir Joüir de ma vengeance & de son desespoir . He bien, Lancastre, hé bien, tu vois ce qui se passe : Diroit-on que le Duc eût une ame si basse ? Parle sans me flatter ; je te fais le témoin Si mes bontez pour luy pouvoient aller plus loin. Je croyois sur son coeur ma puissance absoluë. Le Traistre ! A quoy, Lancastre ? Apprens que plus j'eus de bonté, Plus je luy dois de haine & de severité. Je ne luy devois pas tant de marques d'estime, Qui sans doute en secret luy reprochent son crime ; Et plus de mes bienfaits il fut favorisé, Plus il est criminel d'en avoir abusé. Je sçay quelle justice à ses forfaits est deuë ; Je la luy rendray mieux qu'il ne me l'a renduë ; Et doublement coupable il me fera raison De son ingratitude & de sa trahison. Non, Lancastre, ma haine est deuë à son outrage. Il fait de ma tendresse un trop mauvais usage. Plus je luy fais de bien, plus je m'en fais haïr ; Et ce qu'il tient de moy luy sert à me trahir. Te representes-tu combien de fois le Traistre Que de mon lâche⁎ coeur j'avois rendu le maistre, S'est avec ma Rivale insolemment joüé De l'indiscret amour que j'avois avoüé ? Combien d'heureux momens, dont je leur tiendray compte, Ont-ils passé tous deux à joüir de ma honte⁎ ? Et tous deux de concert abusant de ma foy, Combien de fois le jour triomphoient-ils de moy ? Mais je merite assez le tourment qui me gesne : J'ay moy seule en ces lieux attiré cette Reine ; Chacun pour la sauver faisant des voeux secrets, Je la voulus moy-même observer de plus prés : Je la fis amener, seure d'en mieux répondre Plûtost dans ce Palais que dans la Tour de Londre ; Et c'est là que le Duc la voyant chaque jour, Pour ses yeux criminels a conceu tant d'amour. Prisonniere, c'est peu : coupable, condamnée, Qui croiroit que pour elle on m'eût abandonnée ? Et qui, Lancastre, & qui ? Tu le sçais, un Ingrat, Preferé par moy-même à plus d'un Potentat. Arreste. Mes charmes ne font point de honteuse conqueste... S'il osoit me tenir les discours que tu tiens Je luy vendrois bien cher de pareils entretiens. Ton soupçon est injuste, & cela ne peut estre. Il sçait trop quel il est pour s'oser méconnoistre. Voicy le Duc. Euric, demeurez avec moy. Ma vie aux mains d'un Traistre est trop mal asseurée. L'interest de l'Etat m'impose cette loy. Je me dois toute à luy puis qu'il est tout à moy. Quelque soin que je prenne, il est toûjours des Traistres Qui suivent à grands pas leurs coupables Ancêtres. Vous qui ne craignez point qu'on vous manque de foy, Sans avoir mes raisons, vous veillez comme moy. Avez-vous eu du Ciel un plus grand privilege ? C'est assez, Duc. Vostre zele est si grand Qu'on ne peut resister à ce qu'il entreprend. Je viens de reconnoistre à ce conseil sincere Que malgré mes soupçons je vous suis toûjours chere : Et que je ne pouvois pour mon propre bon-heur En de plus dignes mains déposer ma faveur. Je vous la rends. Demain, pour joüir de ma grace Reprenez au Conseil la principale place. Je vous fais aprés moy le premier en tout lieu. Meritez mes bienfaits par vostre zele. Adieu. Le Perfide est contraint, ma presence le gesne⁎. Quel desordre, si tard, ose-t-on faire icy ? C'est vous Duc ! Juste Ciel ! mon Ennemie aussi ! Ah le Traistre ! Enfin, Ingrat, enfin, tu t'es donc fait connoistre ? A démentir mes yeux ose appliquer tes soins. Ce sont, pour ton malheur, de fideles témoins. Ils ont veu ton faux zele ; & combien ma presence Coûtoit d'inquietude à ton impatience : Ces yeux qui pour les tiens n'ont jamais eu d'appas, Ont veu ta perfidie, & verront ton trépas. Je t'avois averty que je sçavois des Traistres Qui suivoient à grands pas leurs coupables Ancêtres : Et c'en estoit assez pour te faire sentir Que je voulois ta mort moins que ton repentir. Gardes, sans balancer, entraînez ce Perfide. Il faut que de son sort ma vengeance decide. Qu'on les mette tous deux en des lieux separez. Ces coupables Amans trouveroient trop de charmes A pouvoir l'un de l'autre adoucir les alarmes : Jusqu'au moment fatal où l'on doit les punir Laissons au desespoir à les entretenir. Vous, dont le zele ardent vient icy de paroistre, Qui pour m'estre fidele avez trahy ce Traistre, Ayez soin d'assembler demain à mon réveil Les Pairs accoûtumez à tenir mon Conseil. A-t-on donné mon Ordre ? Amene-t-on le Traistre ? Et les Comtes ? Pour immoler le Duc je veux m'asseurer d'eux. Ils ont pour ce Perfide une haine mortelle . Comtes, depuis long-temps je connois vostre zele. Vos voeux les plus ardents vont au bien de l'Etat ; Et d'un ingrat Sujet vous sçavez l'attentat. Contente de vos soins, & Princesse équitable, Je vous fais tous deux Pairs, & Juges du Coupable. Il vient. Souvenez-vous que ce Billet fatal L'accuse, le convainc⁎ d'un crime capital : Et que Traistre, une fois, il est de la justice D'empêcher desormais que l'Ingrat me trahisse. Allez. Approchez, Duc. Si le Ciel l'eût permis Vous alliez contre nous servir nos Ennemis. Si le Duc de Norfolc nous declaroit la guerre, Contre un Heros si grand que feroit l'Angleterre ? Qui prendroit son party dans un pareil malheur, La voyant attaquée avec tant de valeur ? Le Ciel, qui des Etats prend toûjours la conduite, A veu trop de peril à souffrir vostre fuite. Il a mis un obstacle avec juste raison... Et qu'as-tu fait, Ingrat, qu'un autre n'eût pû faire ? Quel autre encor plus loin n'eût porté ses exploits Si je l'eusse honoré de tes mêmes Emplois ? Ne me reproche point quelque foible Victoire Dont je faisois du bruit pour te combler de gloire, Tant je goûtois de joye à trouver un moyen De t'acquerir un nom qui fut digne du mien. Tout autre que toy, lâche, auroit plus fait, peut-estre ; Et n'auroit pas acquis l'infame nom de Traistre. Et quand d'une Princesse odieuse, coupable, Je te nommay le Juge, & te crûs équitable, Séduit par le pouvoir de ses honteux appas ; Pour luy sauver le jour ne me trahis-tu pas ? Les Pairs qui depuis toy l'ont mieux examinée ; D'une commune voix l'ont d'abord condamnée. En donnant cet Arrest n'ont-ils pas consulté... Va, tu noircis en vain des Juges équitables. Jamais de perfidie ils n'ont esté coupables. Animez d'un pur zele ils periroient pour moy Si j'avois fait pour eux ce que j'ay fait pour toy. Est-il quelque grandeur que je t'aye interdite ? Jusques dans tes deffauts je trouvois du merite. Si le Trône à tes yeux eût offert des appas Pour t'y faire monter je te tendois les bras. Mon coeur que tu charmois, avide de te plaire, Te montroit le chemin qui te restoit à faire. Je t'aimay : Je fis plus, je t'en fis un aveu Qui me coûta beaucoup, & qui te toucha peu. Voy maintenant, voy, lâche, où tu te precipites : Voy quel estoit ton choix, & voy ce tu quittes : Envisage de prés, pour t'accabler d'ennuis, L'Echaffaut qui t'attend & le Trône où je suis. Quelle indigne Beauté vient de te rendre traistre ! Proscrite, abandonnée... Laisse-là mon devoir & songe au tien, Perfide : Ton trépas... Du plus énorme crime avoir esté capable C'est donc envers l'Etat ne pas estre coupable ? Et de mon coeur tranquile avoir troublé la paix, Ce n'est pas à ton gré le plus noir des forfaits ? De ton sang odieux tu me vois plus avide Que tu ne fus Ingrat, que tu ne fus Perfide ; Deux fois digne de mort que n'est-il à mon choix De te faire à mes yeux mourir autant de fois ! Au moins ma volonté, qu'il faut qu'on accomplisse, Est que pour chaque crime on invente un suplice ; Et que par des tourmens dont tu n'expires pas Tu sentes à loisir les horreurs du trépas. C'est tout ce qu'à ta foy je puis reprocher, Traître ! Voy cette Lettre, voy. Peux-tu la meconnoistre? Sauvez le sang de tant de Rois Que s'appreste à répandre une main odieuse : Pour s'immortaliser on ne peut faire choix D'une action plus glorieuse. Resolus de prester la main A vostre genereux dessein, De nos meilleurs Vaisseaux la mer sera couverte : Et s'il faut dans la suite un plus puissant secours, Nous finirons la paix, & ferons guerre ouverte, Pour asseurer de si beaux jours . Tu pâlis, malheureux, & ton crime t'allarme Cette coupable Lettre est du Prince de Parme. Ridolf, ce Confident par toy-même choisi, Arresté de ma part s'en est trouvé saisi. Que peux-tu m'opposer pour détruire ce crime ? Les Pairs l'examineront mieux : Ils doivent s'assembler dans la Salle prochaine. Comme ta trahison ma vangeance est certaine. Pour en joüir plûtost je veux dés ce moment Exposer ma Rivale au plus cruel tourment. Hola ? Faites venir la Reine prisonniere. Ma joye en t'accablant ne seroit pas entiere Si le même courroux qui termine ton sort Luy laissoit ignorer ma vangeance & ta mort. C'est un plaisir pour moy qu'aucun autre n'égale De trouver cette voye à punir ma Rivale ; Et puis qu'on ne peut rompre un si honteux lien, De te percer le coeur pour mieux trouver le sien. Je sçay que ton malheur luy va coûter des larmes ; Que c'est à ton amour offrir de nouveaux charmes ; Mais de ma cruauté ce sont les derniers traits : Plus tu seras sensible à ce qu'elle a d'attraits, Plus au gré de mes voeux la mort qui t'en separe A ton coeur attendry va paroistre barbare. Voicy cette Beauté si digne de ton choix : Montre-luy ton amour pour la derniere fois. Gardes, laissez-les seuls ; & maistres de la porte, Empêchez seulement qu'aucun n'entre ou ne sorte. Il y va de vos jours à répondre des leurs . Ne vous opposez pas au penchant qui m'entraîne, Comtes. Quelque fierté que m'inspire mon sang Le repos de mon coeur m'est plus cher que mon rang. Pour éteindre une ardeur que j'ay laissé trop croître, A de nouveaux mépris je veux forcer un Traistre. Faites venir le Duc, Gardes. Obeïssez, ou craignez mon courroux. S'il l'obtient, vous sçaurez à quel prix, Et peut-estre tous deux en serez-vous surpris. Jamais contre l'ingrat je ne fus plus émeuë. Je demande à le voir, & j'abhorre sa veuë. Tantôt à ma douleur ne pouvant resister De son coupable amour je cherchois à douter : Je l'ay joint à l'objet pour qui son coeur soûpire, Dans l'espoir que la mort l'alloit faire dédire ; Ou que dans un Palais plein d'un nom redouté, L'Infidelle, du moins, craindroit d'estre écouté. Mais, méprisant la mort, & bravant ma puissance, Rien n'a pû le contraindre à garder le silence. De l'air tendre & touchant dont il s'est exprimé , Jamais de plus d'amour on ne fut enflâmé. L'Ingrat, qui me prefere une indigne Rivale, Trouvoit-il dans ses fers une fortune égale ? Elle le fait mourir : & je l'aurois fait Roy, Si ce qu'il sent pour elle il l'eût senty pour moy. Le voicy . Demeurez. Quoy que son air menace, Je veux de ce Perfide humilier l'audace : Et pour peu qu'il s'échape à braver mon courroux, Pour me vanger de luy j'auray besoin de vous. Un reste de bonté dont s'indigne mon ame, Me fait faire des pas⁎ que j'ay peur qu'on ne blâme. Ceux que noircit le crime, & qu'ont proscrit les loix Soüillent de leur aspect la Majesté des Rois. Je passe en ta faveur pardessus ces maximes, Quelque horreur que pour toy m'ayent inspiré tes crimes : Et pour recompenser d'assez foibles Exploits Je veux fermer les yeux sur ce que je me dois. Conçois-tu, malheureux, une infamie égale A l'ardeur criminelle où ton coeur se ravale ? Comblé par mes bontez & de gloire & de biens Pouvois-tu te choisir de plus honteux liens ? Depuis deux mois entiers que des loix legitimes Dans la Reine d'Ecosse ont puny tant de crimes, Qu'offroit-elle à tes yeux que d'indignes attraits ? Le jour qu'elle respire est un de mes bienfaits. J'ay pû deux mois plûtost trancher sa destinée ; Et tu n'ignores pas qu'elle estoit condamnée. D'avoir fait lâchement massacrer son Epoux. D'avoir dans mes Etats, où tout estoit tranquile, Attenté sur mes jours, violé son azile, Attiré l'Etranger, corrompu mes Sujets. Voila quelle est ma plainte, & quels sont ses forfaits. C'est un desesperé qui ne sçait où se prendre. Pour se vanger de vous, qui l'avez condamné, Il voudroit avec luy vous avoir entraîné. Effrayé du peril que son crime luy montre Il s'attache en coupable à tout ce qu'il rencontre ; Et loin que le Perfide implore ma pitié Il croit par un mensonge estre justifié. Je les veux suivre, Traistre, & mépriser les tiens. Si je prends leur conseil, j'en connois la justice. Ils m'animent⁎ tous deux à haster ton supplice : Leur zele impatient en presse l'appareil ; Et je n'hesite point à suivre ce conseil. Va, lâche, va perir par une main infame : Va prouver ta constance à l'objet qui t'enflâme ; Et te precipitant du degré le plus haut, Va de ton sang impur rougir un Echaffaut. Ce sang qu'en divers temps ont noircy tant de crimes, Ce sang toûjours rebelle à ses Rois legitimes, S'est veu pour ses forfaits par l'acier d'un Bourreau Privé plus d'une fois des honneurs du Tombeau Tu serois le premier de ta race odieuse Qu'eût rendu memorable une mort glorieuse : Ton Pere & ton Ayeul, dont tu sçais le destin, De la honte où tu cours t'ont frayé le chemin : C'est sur un Echaffaut qu'ils ont cessé de vîvre ; Tu degenererois en manquant à les suivre ; Et le remors vangeur qui suit la trahison Fut toûjours insensible à ceux de ta Maison. Oüy, Traistre : Et tu ne peux jamais Faire aller plus avant ma haine & tes forfaits. Je ne sçay rien en moy susceptible d'outrage Qui de ton lâche coeur n'ait éprouvé la rage. Quand j'aurois oublié tes autres attentats, Ta derniere insolence est digne du trépas : Mais, Perfide, ta Reine est assez magnanime Pour porter sa clemence aussi loin que ton crime : T'en laisser malgré toy le honteux souvenir C'est le tourment affreux dont je veux te punir. Ma bonté fatiguée autant qu'elle doit l'estre, Pour la derniere fois va parler, va paroistre ; Si tu peux concevoir quel effort je me fais Par un effort pareil merite mes bienfaits. Prest à voir par ta mort ma vengeance assouvie, Veux-tu ta grace ? Et qui me répondra que tu me sois fidelle ? Pour me justifier que ton zele soit gran Une foy violée est un mauvais garent. C'est par un grand effort qu'un grand crime s'efface ; Et j'en veux un de toy qui merite ta grace ; Je ne te la promets qu'à ce prix. Les Pairs, dont l'Equité s'est acquis tant d'estime, Eux, qui dans aucun rang n'autorisent le crime, Pour rendre à l'Angleterre un plus tranquile sort De la Reine d'Ecosse ont tous signé la mort. Ton nom manque à l'Arrest qu'on a donné contr'elle : Et je ne croiray point que tu me sois fidelle Qu'en qualité de Pair, zelé pour mes Etats, Tu ne signes comme eux l'Arrest de son trépas. Un refus échapé⁎ rend ta perte certaine. Reponds, sans balancer. Ah Ciel ! l'Ingrat n'hesite pas ! Ma Rivale à la mort va devancer tes pas, Traistre. Dés ce moment pour contenter ma haine Allez y preparer cette coupable Reine. Tant que ma lâcheté luy laissera le jour L'Ingrat qu'elle a charmé gardera son amour. Dût sa Teste en tombant armer toute la terre Pour venir à grands pas fondre sur l'Angleterre, Comte de Neucastel, ne me revoyez pas Que vous n'ayez esté témoin de son trépas. Comte, j'allois vous voir. Malgré toute ma haine Je ne puis resister au remors qui me gêne⁎. En vain ma politique en veut rompre le cours : Quelque effort que je fasse il me revient toûjours. Je croy de toutes parts entendre le tonnerre ; Je croy voir contre moy tous les Rois de la terre ; De qui la Majesté, violée à mes yeux, Rendroit mon Nom infame, & mon Regne odieux. Quoy qu'ait fait vostre Sœur je luy donne sa grace. Et peut-on approuver l'implacable fureur Qui vous fait avec joye immoler vostre Sœur ? Est-ce l'injuste espoir de regner aprés elle Qui vous rend Frere ingrat, & Sujet infidele ? Quand j'impose silence à mon juste courroux Si je suis à blâmer, devroit-ce estre par vous ? Comte, je me suis dit tout ce que vous me dites. Si ma main secourable ose briser ses fers Sa haine pour me perdre armera l'Univers : Mais pour vanger sa mort, honteuse aux Diadêmes, Tous les Rois offencez m'accableront eux-mêmes ; Et pour le bien commun oubliant leurs debats⁎ Viendront d'intelligence envahir mes Etats. Vos dernieres raisons ont dissipé ma crainte. Qu'elle meure. Et pouquoy me ferois-je un effort Pour conserver la vie à qui cherche ma mort ? Qu'elle meure. Le Duc, qui me fut si fidele, Si je luy rends le jour me rendra tout son zele. Tout coupable qu'il est, Il est assez puny de sçavoir son Arrest : Et s'il faut m'expliquer, quoy qu'ait fait son audace, Ce qu'a fait sa valeur sollicite sa grace. Un pardon genereux me l'acquiert pour jamais. Insolent ! Vous sçauriez jusqu'où va mon courroux Si je pouvois sans honte éclater contre vous. Si je laisse impuni l'affront que vous me faites, Comte, remerciez la bassesse où vous estes : L'intervale est plus grand, quoy qu'il manque de foy, Entre vous & le Duc, qu'entre le Duc & moy. Pour joindre à ce mépris de plus sensibles peines, D'un Criminel si cher allez rompre les chaines : Je luy cause des maux où je prends trop de part. Portez-luy le pardon… Il est mort ! Ah, perfide, qu'entens-je ! Hay ! Ah Traistre ! Dans mon cœur tu sçais ce qui se passe. A la Reine d'Ecosse allez porter sa grace, Lancastre. Ce Perfide, ennemy de sa Sœur, M'a peut-estre engagée à servir sa fureur. Qu'on la ramene. Et toy je veux que tu perisses. Quel sujet vous anime à tenir ce discours ? Vous, ô Ciel ! Hola, Gardes. Asseurez-vous de luy. Traistre, qui de mon Trône as fait tomber l'appuy, Ton sang, pour le vanger, répandu goute à goute… Qu'on le suive, & que l'on m'en réponde. He bien, sens-tu, méchant, que ton cœur te confonde ? Te sens-tu dans le crime assez bien affermy, Monstre, que dans ces lieux les Enfers ont vomy ? De tes lâches projets la fortune se jouë. Faites tous vos efforts pour tromper⁎ ses projets. Il est trop peu puny pour de si grands forfaits. Il merite, le Traistre, une plus longue peine. Juste Ciel ! quelle suite de crimes ! Que la haine & l'amour ont d'injustes maximes⁎ ! Et qu'un cœur déreglé, qui suit leurs mouvemens Se condamne soy-même à de cruels tourmens ! Heros trop malheureux ! trop malheureuse Reine ! Victimes tout ensemble & d'amour & de haine, Ne me reprochez point vostre injuste trépas : Vous goûtez un repos dont je ne joüis pas. **** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_le-duc-de-norfolc *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leducdenorfolc Comte. De grace employez tous vos soins A voir si dans ce lieu nous sommes sans témoins. Haï d'Elizabeth, je ne fais point de doute Que je ne sois perdu si quelqu'un nous écoute. Déja depuis long-temps ce Palais malheureux⁎ Pour les gens de ma sorte est un lieu dangereux. Il faut prés de la Reine estre flateur & traistre : Jusqu'icy tout mon crime est de n'avoir pû l'estre ; Mais puis que de mon zele⁎ on s'ose défier Il faut l'estre une fois pour me justifier. D'un effort genereux vous sentez-vous capable ? Avant que de répondre interrogez-vous bien, Et si vous hesitez ne me promettez rien. Pour peu que la fortune à mes voeux soit contraire Vos jours sont en danger, je ne puis vous le taire : Et pour tout privilege, en un degré⁎ si haut, Je vous traîne avec moy sur un même Echaffaut. Un coeur tel que le mien n'a point l'art de surprendre. Puis-je me reposer sur ce que vous me dites ? C'est assez. Comte de Neucastel, je vous ouvre mon ame. Je suis las d'obeïr aux ordres d'une femme. Depuis qu'Elizabeth regne sur les Anglois L'injustice triomphe, & fait taire les loix. Pembroc, qui le premier la fit proclamer Reine, Ne fut pas à couvert de son injuste haine : Dés qu'il l'eut affermie en cet auguste rang Pour le prix de son zele elle eut soif de son sang ; Et d'un si ferme appuy priva son Diadême, Si tost que sur sa teste il l'eut posé luy-même. J'aurois moins tardé, Comte, à luy montrer mon zele Si j'avois crû trouver un Amy si fidelle : Mais dans une occurrence⁎ où tout doit m'effrayer, A quel homme à la Cour pouvois-je me fier ? Pour m'y rendre coupable on met tout en usage : Il n'est point là d'amy qui n'ait plus d'un visage : Tel qui m'offroit son sang me refuse son bras ; Et mes plus grands bienfaits n'ont fait que des ingrats. Non, non, je ne veux point meriter ma disgrace. Les plus heureux forfaits ne sçauroient me tenter. Si de vostre secours j'ose icy me flatter, Dans l'Auguste Stuard j'aime la Vertu même, Et tout semble d'accord pour perdre ce que j'aime. Son Frere (si ce nom luy doit estre permis) Est le plus dangereux de tous ses ennemis. Pour ne pas offenser la beauté que j'adore Mon coeur n'exhale point le feu qui le devore : Quoy qu'il porte en tous lieux les traits qui l'ont frappé, Jamais de mon amour rien ne m'est échapé : Entre une Reine & moy le Ciel met tant d'espace, Que je n'ose à ses yeux étaler mon audace ; Et n'estoit le secours que j'attends de vos soins Jamais un feu si pur n'auroit eu de témoins. Gouverneur des Cinq-ports, vous en estes le maître. De l'Illustre Stuard j'ay corrompu la Garde. Et seur du prompt secours que vous m'avez offert J'attends que pour sa fuite un Port me soit ouvert. Ma vie est enchaînée à cette confidence : Mais avec tant de zele & de reconnoissance, Avec tant de bonté, tant d'ardeur, tant de foy, Mes déplorables jours vous sont plus chers qu'à moy. Je ne les risque point quand je vous les confie. Helas! Tout est perdu pour moy si je ne me perds pas. Des Juges dévoüez, sans honneur, sans naissance, D'une Reine adorable ont proscrit l'innocence : L'injuste Elizabeth, maistresse de son sort, Dans ses cruelles mains tient l'Arrest de sa mort. Dés demain la clarté luy peut estre ravie : Le temps presse. Un moment decide de sa vie. Qu'il m'est doux D'avoir dans mon malheur un amy tel que vous ! Comte, puis que pour moy vostre ardeur est si grande, L'effort dont j'ay besoin, & que je vous demande, C'est d'aider à mon zele à mettre en liberté La plus haute Vertu qui jamais ait esté. C'est d'aider à mon zele à sauver une Reine Qui par les droits du sang est vostre Souveraine. Celle qui sur son Trône ose imposer des loix A la force pour titre, & ses crimes pour droits. Si je sors d'Angleterre, & qu'on vous y retienne, Je sçay que vostre teste y répond de la mienne ; Mais sous un Ciel plus doux accompagnez nos pas : Suivez nostre fortune en de meilleurs Climats⁎ : Vous ne laissez icy ny Maîtresse ny Femme ; Et si l'Ambition est sensible à vostre ame Quel rang n'aurez-vous point dans la paisible Cour De l'adorable Objet qui vous devra le jour ? A la sombre clarté qui tombe des étoilles De ce Port cette nuit doivent sortir vingt voiles ; Et sans doute le Ciel nous offre ce secours Pour mettre en seureté de si precieux jours. Pendant l'obscurité, le calme & le silence, Du Comte de Morray trompons la vigilance : Pour estre de l'Ecosse injuste possesseur A son ambition il immole sa sœur. Le criminel amour dont il a receu l'estre Le condamne... Quoy, Madame, si tard n'estre pas retirée ? Pendant qu'un plein repos regne dans vos Etats, Vous qui le procurez, vous n'en joüissez pas ! Donnez quelque relâche au soin⁎ qui vous devore. Vous exposez des jours que l'Univers adore. Aux rigueurs du destin quelle vie exposay-je, Madame ? Et que m'importe, enfin, par quel secours, Du malheur qui me suit je termine le cours ? A qui depuis six mois mes jours sont-ils utiles ? Je ne donne à l'Etat que des desirs steriles. Depuis que ma conduite est suspecte à vos yeux, Par tout où je me voy je me trouve odieux : Et pousuivy par tout du remors qui me gesne⁎ De ne plus meriter les bontez de ma Reine, On doit peu s'étonner, quand tout m'ose trahir, S'il n'est point de repos dont je puisse joüir. Pour vous, de qui les jours tout rayonnans de gloire, De tant d'heureux succez embelliront l'Histoire, Vous ne pouvez, Madame, en avoir trop de soin ; Conservez-les long-temps, le Trône en a besoin. Plus un Regne si doux nous étale de charmes, Plus à nostre tendresse il en coûte d'allarmes. Le mal le plus leger que vous puissiez avoir Sur nos fronts desolez peint nostre desespoir. Preferez le repos à vos soins politiques. Demain vous vous rendrez aux affaires publiques. Demain… Me trompez-vous mes sens ! Ay-je entendu la Reine ! Quelle profusion⁎ fait-elle en ma faveur ! Et que luy reste-t-il à m'offrir que son cœur ? Pour prix de ses bienfaits faut-il estre infidele ? Pardon, belle Stuard, si mon ame chancelle : Et si pour un moment, ébloüy d'un faux jour, Le devoir dans mon coeur a fait taire l'amour. Eh ! n'ay-je pas juré que je perdrois la vie Avant que de souffrir qu'elle vous fût ravie ? Je vous tiendray parole, ou mon sang répandu Aura fait pour le moins tout ce qu'il aura dû. Heureux si par ma mort la vostre differée... De la Reine captive allez haster les pas. Je vous attends. O Ciel ! voy pour qui je t'implore. Avant que dans ce lieu tu rameines l'aurore Attends qu'un long espace entre la Reine & nous Ait mis ce que j'adore à couvert de ses coups. Sauve de sa fureur une Reine si belle. Je suis trahy, sans doute, Euric revient sans elle. A la Reine d'Ecosse a-t-on manqué de foy ? Parlez, Euric. Venez, venez, Madame... Vos jours en seureté, quoy que je puisse craindre, Mon sort sera trop beau pour chercher à m'en plaindre. Profitons du secours que nous offre la nuit. Sortons, Madame...O Ciel ! d'où vient un si grand bruit ? Ouvre les yeux, de grace, & voy ce que tu fais. Le bras que tu saisis t'a comblé de bienfaits. C'est le Duc de Norfolc, qui cent fois... Madame, un tel discours n'est guere de saison. Cette foible valeur dont je voy qu'on se jouë N'a rien fait jusqu'icy que la gloire n'avouë ; Et pour nous épargner des discours superflus, Vostre Etat chancelloit, & ne chancelle plus. La mort qu'on me prepare est le digne salaire... Au gré de vostre haine avancez mon trépas ; Mais de noms odieux ne me noircissez pas. En quelque lieu du monde où l'on m'ait veu paroître Jamais à mon devoir on ne m'a trouvé Traître : C'est un crime trop bas au rang où je me voy, Pour tenter la vertu d'un homme tel que moy. Oüy, Madame, vos vœux, & non pas l'Equité. Pour moy qui ne cherchois qu'à vous montrer mon zele Dans le funeste employ que je receus contr'elle, Et qui par vos discours instruit de sa fureur, Avois conceu pour elle une invincible horreur : Contre tous ses appas m'étant mis en deffence Sa beauté sur mon coeur n'eut aucune puissance Et ma severité repoussant tous ses traits Envisageoit son crime & non pas ses attraits. Pour le mieux découvrir, vous le sçavez, Madame, Je voulus penetrer dans le fond de son ame : Mes souhaits sur ce point furent tous accomplis : Et j'en developpay jusqu'aux moindres replis. Qu'y trouvay-je ? Parlons, la Verité l'ordonne. Loin d'aucun attentat contre vostre Couronne ; Loin d'une avidité de verser vostre sang Pour s'ouvrir une voye à vostre auguste rang ; Je trouvay dans l'opprobre une Reine incapable De former un desir qui pût estre coupable. Je trouvay la Vertu que l'on tyrannisoit Sans se plaindre un moment des maux qu'on luy faisoit. Je vis la cruauté, le mensonge, la haine, Poursuivre le trépas d'une innocente Reine, Qui préferant la gloire à de fragiles biens, Pour conserver vos jours eût donné tous les siens : Enfin, je fus surpris, dans cette conjoncture, De voir tant d'injustice, & si peu de murmure⁎ ; Et mon coeur de retour de sa prévention Ne put se refuser à la compassion. Je ne présumois pas qu'une Princesse Illustre M'eût confié son Nom pour en ternir le lustre, Et par quelle raison l'aurois-je présumé ? A flatter l'injustice estois-je accoûtumé  ? J'ay tâché, les effets⁎ ont dû vous en instruire, D'augmenter vostre gloire, & non de la détruire. Mon corps percé de coups vous est un seur garent Qu' entre vos Pairs & moy le zele est different. Ces Pairs, qui vers le crime ont des pentes rapides, De vostre sang, peut-estre, un jour seront avides. Quel exemple, Madame, allez-vous essayer ? Et quel affreux chemin leur faites-vous frayer ? Assassins d'une Reine, à la moindre querelle, Ils feront contre vous ce qu'ils ont fait contr'elle : Et ce crime impuni va suffire aux Anglois Pour les autoriser à proscrire leurs Rois. Et devroit-elle l'estre ? Quel spectacle à nos yeux allez-vous étaller, Madame ? Et que de droits faites-vous violer ? De quelles Nations obtiendrez-vous l'estime ? On opprime une Reine, & vous souffrez ce crime ! D' une injuste poursuite on n'est pas à couvert Dans l'Azile sacré que vous avez offert ! Lors qu'à quitter son Trône elle se vit réduite, Estoit-ce en Angleterre où l'addressoit sa fuite ? Pour l'attirer à vous ne jurâtes-vous pas De la rendre paisible au sein de ses Etats ; Et de faire à l'Ecosse une guerre immortelle Si jamais à sa Reine elle estoit infidelle ? Qui de vostre injustice auroit eu du soupçon ? Vous avez oublié cette auguste Leçon Que si la Verité si souvent violée, Pour le malheur du monde en estoit exilée, Il faudroit qu'en tout temps par un glorieux choix Elle se retrouvât dans la bouche des Rois. Son aspect⁎ n'a rien qui m'intimide : Souvent pour vostre gloire ou pour vos interests Contre vos Ennemis je l'ay veu d'assez prés ; Et pour la Verité, qui m'est cent fois plus chere, Quelque honteux qu'il soit il ne m'allarme guere C'est elle qui m'oblige à jurer à vos yeux Que sans trahir l'Etat j'abandonnois ces lieux. Arracher au suplice une Reine innocente Ce n'est pas un forfait dont mon coeur se repente. Je jure que tranquile en son funeste sort Sans se plaindre de vous elle attendoit la mort : Que touché du malheur où vous l'avez réduite, Sans avoir son aveu je menageay sa fuite ; Qu'à ce dessein fatal, que le Ciel a rompu Elle s'est opposée autant qu'elle l'a pû : Que jamais de mon coeur un desir temeraire N'a fait connoistre au sien qu'il cherchât à luy plaire : Que mon respect pour elle égale ses appas ; Et qu'enfin si je l'aime elle ne le sçait pas . Hé bien, assouvissez vostre cruelle envie. Au lieu des tourmens laissez durer ma vie. Par l'espoir du salaire animez vos Bourreaux A me faire éprouver des supplices nouveaux. Je n'ay pas attendu que ma mort fût si proche Pour m'avoüer Ingrat & m'en faire un reproche : Mais né vostre Sujet, nourry dans vostre Cour, Mon respect, malgré moy, m'interdisoit l'amour. Tandis que de mon sang j'ay pû payer vos graces Par tout où l'on m'a veu j'en ay laissé des traces : Et ma reconnoissance écrite en tant de lieux Asseure à ma memoire un destin glorieux. Si mon coeur qu'avec soin vous cherchez à confondre, A vos tendres bontez n'a pû si bien répondre ; Si par d'autres attraits il s'est laissé toucher, C'est tout ce qu'à ma foy vous pouvez reprocher. Rien. Ce Billet surpris rend ma mort legitime. Non que prest à mourir en Victime d'Etat Je puisse estre accusé d'aucun autre attentat Que d'avoir essayé d'obtenir un azile Où la Reine d'Ecosse eût un abry tranquile ; Examinez l'Ecrit qui paroît à vos yeux : Examinez... J'attendrois le trepas, l'ame ferme & tranquile, Si mon sang répandu vous devenoit utile ; Mais tel est de mon sort⁎ l'inflexible courroux Que je me sacrifie, & ne fais rien pour vous. Que dis-je ? c'est moy seul dont le secours funeste Fait que dans ce moment nul espoir ne vous reste. Si jamais de vos jours je n'avois pris le soin Peut-estre vostre mort seroit-elle encor loin. Le Ciel qui dans nos coeurs voit tout ce qui se passe, Du zele qui m'anime a condamné l'audace ; Et n'a pû consentir que vous dûssiez vos jours Aux efforts impuissans d'un si foible secours. Madame, j'en sçais un que je ne vous dis pas. Si vous aviez appris ce crime qui vous touche Il seroit condamné de vostre propre bouche : Et j'ay peur qu'avec moy vous ne fussiez d'accord Que l'on me rend justice en me donnant la mort. Tant que vostre bonté présume qu'on m'opprime Je me flatte en mourant d'emporter vostre estime ; Et si j'avois parlé, vos mépris éclatans Joindroient trop d'amertume au trépas que j'attens. Et qu'est-il de plus beau que de mourir pour vous, Madame ? A quelque affront qu'Elisabeth me livre, Pour un plus grand Sujet puis-je cesser de vivre ? Des Peuples à venir vostre Nom respecté Va mettre pour jamais le mien en seureté. Heureux si le destin qu'il faut que je subisse Quand de mes tristes jours je fais un sacrifice, Me peut faire expier par un trépas si doux Le crime que j'ay fait de soûpirer pour vous. Vous jugez bien qu'il m'eût esté facile De supprimer l'aveu d'une ardeur inutile, Si je n'eusse esperé que d'un crime si grand J'obtiendrois le pardon, au moins en expirant. Le temps que je choisis pour parler de ma flâme Montre qu'aucun dessein n'est entré dans mon ame, Et que de vos appas le pouvoir absolu A fait aller mon coeur plus loin qu'il n'a voulu. J'ay brûlé, j'ay languy ; j'ay plus fait, j'ay sceu taire Cet amour malheureux, ce crime involontaire ; Et j'attens par respect à vous le faire voir Qu'un trépas asseuré m'interdise l'espoir. Et l'ay-je pû, Madame ? Si les hautes vertus ont droit de tout charmer Estoit-il à mon choix de ne pas vous aimer ? Tant que j'ay de la Reine ignoré l'injustice De sa haine pour vous on m'a veu le complice : Ennemy des forfaits qu'on vous ose imputer Je trouvois de la gloire à vous persecuter. Enfin, Madame, enfin, s'il faut parler sans feindre, D'un Juge prévenu vous aviez tout à craindre ; Et pour estre Innocente à des yeux corrompus Il ne faloit pas moins que toutes vos vertus. D'abord que leur éclat eut desillé⁎ ma veuë D'une secrette horreur j'eus long-temps l'ame émeuë ; Et contre Elisabeth un violent courroux Me déguisa l'ardeur que je sentois pour vous. Plus entre vous & moy le Ciel mit de distance Moins à vous offenser je voyois d'apparence : Sur la foy d'un respect qui ne me quittoit pas, J'adorois vos vertus, j'admirois vos appas : Si j'eusse osé prévoir qu'ils pouvoient me surprendre, En fuyant le peril j'aurois sceu m'en deffendre ; Mais vostre auguste Rang, & mon cruel devoir Sembloient me dispenser de craindre & de prévoir. Je croyois estre seur en cherchant à vous plaire, Que mon zele tout seul m'obligeoit à le faire ; Et j'ignorois, Madame, en prenant ce party, L'amour le plus puissant qu'on ait jamais senty. Tout pur qu'est cet amour mes desirs ne prétendent... Adieu, Madame. Une autre destinée Termine de vos jours la course infortunée. Quels que soient les tourmens qui me sont preparez Mes maux les plus cruels sont ceux que vous aurez, Que la mort qui m'attend seroit digne d'envie Si le jour que je perds vous conservoit la vie ! Mais du sort le plus rude éprouvant le courroux Pour tout fruit de mes soins je meurs hay de vous. Ne me condamnez pas au plus grand des suplices : Vos vertus de mon crime ont esté les complices : En vain à mon respect je m'estois confié ; Séduit par leur pouvoir je me suis oublié. Peut-estre que la Reine aprés mon sort funeste De vos jours precieux épargnera le reste. Puisse le juste Ciel en finissant les miens Vous affranchir de maux & vous combler de biens. D'un homme tel que toy la pitié me fait honte. Retire-toy. Mon sort est d'obeïr, le sien de commander. Pour en faire un present que l'avenir abhorre, De cette illustre Marque il faut qu'elle t'honore : Ton zele pour l'Etat la rend digne de toy : Tu luy viens d'immoler ton honneur & ta foy : Aprés ce coup d'essay, ton penchant vers le crime Te peut faire prétendre au rang le plus sublime ; Toy qui né dans la boüe y serois demeuré Si ma compassion ne t'en eût retiré. Tien, reporte à la Reine un present, qui sans doute, Devoit m'appartenir par le sang qu'il me coûte : Et pour joüir en paix de ton malheureux sort Haste, si tu le peux, les momens de ma mort. Tout méchant que tu sois, quelque effort que tu fasses, Tu ne peux en un jour oublier tant de graces : De mes bienfaits passez le souvenir present Est un bourreau secret dont tu n'es pas exemt. Encor un coup, croy-moy, fais haster mon supplice. Je t'en cause un trop grand si tu te rends justice : Des crimes de ta vie acheve le plus noir ; Et ne m'expose plus à l'horreur de te voir. Gardes, je voudrois bien dans mon malheur extreme, Pouvoir quelques momens refléchir sur moy-même. Dans un lieu plus tranquile accompagnez mes pas. Sa presence est pour moy pire que le trépas. Condamnée ! Eh Madame, ayez soin de⁎ vos droits ; Ce mot injurieux n'est point fait pour les Rois. Dans la gloire suprême où le Ciel les fait naistre, Maistre de tous le monde ils n'ont que Dieu pour Maistre. La Reine qu'on opprime, & dont il est l'appuy, De tout ce qu'elle a fait n'est comptable qu'à luy. Mais fût-elle Sujette, & non Reine absoluë, De quels crimes, Madame, est-elle convaincuë ? Pour noircir sa memoire apprenez-les-moy tous. On vous trompe, Madame, elle a l'ame trop belle : Son plus austere⁎ Juge est plus coupable qu'elle. Vous souffrez, cependant, qu'on l'envoye au trépas Pour des crimes forgez, que vous ne croyez pas. A des Pairs corrompus dont la veuë épouvante Vous livrez sans scrupule une Reine innocente Vostre haine obstinée à finir ses destins Erige un Tribunal d'un amas d'assassins. Il en est un, Madame, où regne un autre Juge Qui donne à l'Innocence un éternel refuge : Le plus grand Roy du monde y paroit sans appuy ; Et s'il n'a des vertus, rien n'y parle pour luy. Comme il est de son Dieu la plus parfaite Image, Dans ce degré sublime il luy doit davantage ; Et devient responsable, aprés tant de bienfaits, Et des crimes qu'il souffre, & de ceux qu'il a faits. Si vous pouviez, Madame, oublier vostre haine, Et voir sans passion une adorable Reine, A de lâches Sujets sous le vice abbatus, Devenuë odieuse à force de vertus : Si par vos propres yeux vous vouliez la connoîstre, Et non sur le rapport que vous en fait un Traistre, Qui pour essay de crime a conceu sans effroy L'execrable dessein d'assassiner son Roy... Et de quelle pitié vous croiray-je capable En faveur d'un Sujet que vous trouvez coupable, Si d'une Reine auguste, à qui le sang vous joint, L'innocence est connuë, & ne vous touche point ? Prest à perdre le jour, si je parle pour elle Ce n'est point en Amant, c'est en Sujet fidele, Qui voudroit en mourant vous pouvoir dérober Au crime où malgré vous on vous force à tomber. Jusqu'icy vostre Regne heureux à l'Angleterre, A porté vostre Nom aux deux bouts de la Terre ; De l'Aurore au Couchant les plus augustes Rois Briguent vostre Alliance, ou craignent vos Exploits : Pour rendre desormais vostre gloire immortelle D'une Reine opprimée embrassez la querelle⁎ : Elle est de même rang, de même autorité, Enfin, de même sang que vostre Majesté. De vos sacrez Ayeux laissez en paix la cendre : C'est leur sang le plus pur qu'on s'appreste à répandre : Du fonds de leur Cercueil ils empruntent ma voix Pour vous representer⁎ qu'on viole leurs droits. Méprisez les conseils de ces petites Ames Que le courroux du Ciel a voulu rendre Infames : Le soin de s'aggrandir⁎ par d'injustes moyens... Madame, je ne puis, à ce torrent d'injures , De mon coeur qu'on déchire étouffer les murmures : Tant que vostre courroux m'a pris seul pour objet Je ne suis point sorty du devoir d'un Sujet : Mais quand de mes Ayeux on ternit la memoire ; Quand de leur destinée on déguise⁎ la gloire ; Leur sang qui sans opprobre est venu jusqu'à moy, Me deffend de manquer à ce que je leur doy. Mon Pere & mon Ayeul, dont vous taisez les crimes, De leur Religion volontaires Victimes, Prefererent les fers, la torture, la mort, Aux appas seducteurs dont on flatoit leur sort. Voila les grands forfaits dont ils furent coupables. Voila les trahisons dont nous sommes capables. Voila pour quel sujet le glaive d'un Bourreau A privé mes Ayeux des honneurs du Tombeau. Qui voudroit d'aussi prés examiner les choses Trouveroit des Proscrits pour de plus justes causes. Vous m'entendez. Je ne hais point la vie. Si vous me la laissez il me sera bien doux De pouvoir de nouveau la prodiguer pour vous. D'un fidele Sujet l'infatigable zele... Commandez. Je puis faire encor plus que vous ne demandez. Rien ne m'est impossible, où je voy de la gloire. (Car par respect pour vous j'ay de la peine à croire Que vous me commandiez pour éprouver ma foy Rien d'indigne de vous, ny d'indigne de moy.) Gardes, qu'on me rameine. C'est ma réponse. **** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_le-comte-de-morray *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lecomtedemorray Souffrez que mon coeur se déploye, Et que j'étale icy la grandeur de ma joye. Rien ne s'oppose plus au succez de mes feux : Mon plus grand Ennemy met le comble à mes vœux. A l'Hymen où j'aspire une voye est ouverte : Et mon Rival luy-même aide à hâter sa perte. Un sincere temoin de tout ce qu'il a dit En va faire à la Reine un fidele recit. Nous triomphons. Moy des remors ! moy, Comte ! D'un soupçon qui m'outrage épargnez-moy la honte. Quelle peur vous allarme ? Et par quel sort fatal Ay-je pû meriter qu'on me traite si mal ? Depuis qu'à mes desseins j'ay veu le crime utile J'ay secoüé le joug de la vertu sterile. Pour acquerir un Trône il n'est point de forfaits Qui ne changent de nom, quand ils ont du succez. Tant qu'un lâche devoir a reglé ma conduite En quel rang ma fortune a-t-elle esté réduite ? Et lors que sans effroy je m'en suis écarté A quel degré d'honneur suis-je d'abord monté ? Pour m'exclure à jamais de la Toute-puissance, Ma Soeur m'oppose en vain les droits de sa naissance. L' Angleterre exceptée en tous les autres lieux Le regne d'une femme est un regne odieux : La plus ferme Couronne un moment sur sa teste Dans l'Estat le plus calme excite une tempeste : Un Sceptre ne sied bien que dans la main des Rois ; Et le Trône chancelle à moins qu'il n'ait son poids. Et quels deffauts ? Allez, ce n'est qu'une manie⁎. Il y manque, il est vray, quelque ceremonie ; Mais un Roy m'a fait naistre ; & pour l'estre aujourd'huy Il suffit que je sois, & que je sois de luy. De quelque doux espoir dont ma Soeur s'entretienne S'il épousa sa mere, il adoroit la mienne ; Et par l'ordre du Ciel il nous donna le jour A l'une par devoir, à l'autre par amour. Qui ? Ma valeur, mon audace : Mon ardeur de regner & de remplir sa place : Si le Ciel m'eût fait naistre en un degré plus bas, De si beaux mouvemens ne me dureroient pas. Pour m'en convaincre mieux, s'il faut encor plus faire, J'en croy jusqu'à l'amour que je n'ay pû vous taire : Si j'estois né d'un sang qui fût moins glorieux Aurois-je sur la Reine osé porter les yeux ? Non que vers ses appas un fol amour m'entraîne ; Ce qui m'est plus sensible Elisabeth est Reine ; A tous les Rois voisins elle impose des loix ; Etonne⁎ l'Univers du bruit de ses Exploits ; L'Ecosse où je commande, unie à l'Angleterre, Je ne craindrois au plus qu'un éclat du Tonnerre, Et lors que sur le Trône on se trouve monté Qui ne craint que la Foudre est bien en seureté. Vos fideles conseils à qui je m'abandonne, Ne peuvent balancer l'amour qu'elle me donne : Et je ne répons pas qu'avant la fin du jour Je ne trouve le temps d'expliquer mon amour. Ne m'en détournez point si vous me voulez plaire. Et pourquoy plus long-temps differer mon espoir ? Si l'union des coeurs naist de la ressemblance Quel party sous le Ciel a moins de difference ? Elle n'épargna rien dans l'espoir de regner ; Et qu'est-ce qu'à mon tour on me voit épargner ? Pour affermir son Trosne, & luy donner du lustre, Elle le cimenta du sang le plus illustre ; Moy du Sceptre d'Ecosse avide Ravisseur, Je cherche à l'acquerir par la mort de ma Sœur. Outre l'appas flateur de cette ressemblance, Pour rendre necessaire une telle Alliance Le sort d'intelligence⁎ avec nos attentats A déja pris le soin de joindre nos Etats. Quel Prince dans l'Europe a le même aventage ? Et si je perds la mere auray-je soin du fils ? Je luy laisse le jour tant qu'il m'est necessaire ; Mais enfin, ce fut moy qui m'immolay son pere : Et lors qu'au premier crime on s'est autorisé Un second à commettre est beaucoup plus aisé. On va plus hardiment affronter l'infamie : La main déja coupable en est plus affermie ; Et je n'ignore pas ce precepte si beau Que l'azile d'un crime est un crime nouveau. Et quelle ame assez basse ose estre encor rebelle? Vous a-t'-on dit le nom du coupable ? Qui trouble son repos est indigne de vivre. Voila mon sentiment que rien ne peut changer. De quelque part qu'il vienne écartons le danger. Allons trouver la Reine, & luy faisons entendre Qu'il faut executer l'Arrest qu'elle a fait rendre. La nature outragée a beau s'en émouvoir, Sa voix est impuissante où parle mon devoir. Madame, quelque horreur que le Duc vous imprime, Elle n'égale pas la grandeur de son crime. Il vouloit, le perfide, attenter à vos jours Pour faire réüssir ses nouvelles amours. Pour ma Sœur. Il l'adore. Et quel autre motif D'un Ministre d'Estat feroit un fugitif ? On ne peut luy trouver un supplice trop rude. Par un crime si grand il viole à la fois Tout ce qu'ont de plus saint les plus augustes loix. Il trahit son devoir, vos bien-faits, sa naissance ; Il est sans foy, sans zele, & sans reconnoissance : Et l'on ne peut, Madame, en cette occasion Prendre contre un ingrat trop de précaution. Ne souffrez prés de vous que ceux dont le pur zele... Charmé de cette confiance Je jure que vos jours sont en pleine asseurance, Et que vos ennemis n'iront point jusqu'à vous Qu'on ne m'ait veu, Madame, expirer sous leurs coups. Si l'on ne m'a trompé, nous touchons presqu'à l'heure Que pour sa trahison le Duc croit la meilleure. Pour flatter ses desirs Neucastel est d'accord De luy faire en secret ouvrir le premier Port ; Et moy, pour découvrir ses injustes pratiques, Je me dois asseurer de tous ses Domestiques. Je vais pourvoir à tout. Pour vous, qui tant de fois Parûtes consommée⁎ en l'étude des Rois ; Qui dés vos jeunes ans réduite à vous contraindre, Avec tant de succez apprîtes l'art de feindre ; Jusqu'à ce que du Duc le sort soit éclaircy Songez que le silence est necessaire icy. A languir dans la honte on pourroit le contraindre Si de sa perfidie on n'avoit rien à craindre. Pour nous rendre le joug & le culte Romain La Flandre est toute preste à luy tendre la main. Peut-estre est-ce pour luy que le Prince de Parme Aux rivages d'Ostende a cent Voiles qu'on arme : Et vous n'ignorez pas que pendant une nuit Un peu de vent en poupe en ce lieu les conduit. Pour éteindre en son sang la fureur qui l'anime Laissez-moy le surprendre en commettant son crime : Vous n'hesiterez plus à vouloir son trépas Quand de sa trahison vous ne douterez pas. A prevenir⁎ nos voeux la Reine se dispose. Tantôt dans la chaleur d'un aveugle courroux, Pour condamner le Duc elle a fait choix de nous : Seure que nostre voix à ses desirs propice Suivroit sa passion plûtost que la justice. Quatre austeres Vieillards, consommez dans les Loix, Dont jamais la faveur n'a corrompu la voix, Auroient pû le soustraire à ce destin funeste Si je n'avois eu l'art de seduire le reste ; Et de leur arracher leurs suffrages douteux Par de legers bienfaits que j'ay versé sur eux. Quelle indigne pitié vous émeut, vous allarme ? Quoy dés le premier crime un remors vous desarme ! Est-ce un prix trop abject pour vous encourager Que l'espoir glorieux d'un Trône à partager ? Ne donnons pas le temps à l'amour de la Reine D'examiner l'Arrest qu'a fait rendre sa haine . Pendant que son courroux l'aveugle, & la séduit, Asseurons nostre crime, & cueïllons-en le fruit. Pour immoler le Duc la hache est déja preste. Allez secrettement faire tomber sa teste ; Pendant que de ma Sœur, sujette aux mêmes loix, J'iray sonder l'esprit pour la derniere fois. Quand je perds mon Rival, une fureur égale Semble animer la Reine à perdre sa Rivale ; Et peut-estre ce jour ne se passera pas Sans estre signalé par un double trépas. J'ay déja fait... Que faites-vous, Madame ? Vous fremissez pour luy du sort qui le menace : Et s'il pousse un soûpir il obtiendra sa grace, Madame. Imposteur ! Le respect qu'icy vous devez rendre... O Ciel ! Ses ordres sont précis pour perdre sa Rivale, Mais sa haine pour l'autre en paroles s'exhale : Elle veut faire grace à l'objet de ses feux ; Et s'il rentre en faveur il nous perdra tous deux. Un amour sans espoir dure peu dans une ame : Sa Maistresse en mourrant fera mourir sa flâme ; Et l'ayant condamné, s'il échappe au trépas A son ressentiment nous n'échapperons pas. Ah ! perdons-les, vous dis-je, ou nous sommes perdus. Aprés de tels affronts, quelque effort qu'on se fasse, Il en reste une horreur qui jamais ne s'efface : C'est par des flots de sang que l'on doit s'en laver ; Et nous avons trop fait pour ne pas achever. Puis qu'au Trône où j'aspire une voye est ouverte De la Reine d'Ecosse allez haster la perte ; Et laissez-moy le soin, dût-il m'estre fatal, D'aller secretement immoler mon Rival. Que la Reine en courroux tonne, éclate, foudroye, Il faut que de ma haine il devienne la proye ; Et dût-elle sur moy le vanger aujourd'huy, Je mourray sans regret si je meurs aprés luy. Un Trône prest à choir n'offre rien qui me tente. Du Ciel qui le foudroye appuyant le courroux C'est son interest seul que je prends contre vous. Pour détruire une Erreur dont j'abhorre le Culte Les liens les plus doux n'ont rien que je consulte : Et ce que vostre haine appelle ambition Est un zele épuré pour la Religion. Je sens mon cœur qui s'émeut, qui chancelle : La voix de la nature au repentir m'appelle. Silence, indigne voix, qui me veux attendrir : Qu'importe pour regner qui je fasse perir ? Un Prince ambitieux que la raison éclaire Doit faire une vertu d'un crime necessaire ; Et preferer toûjours, sans en estre confus, Les utiles forfaits aux ingrates vertus. La clemence sied bien à qui tient vostre place. Cette grande vertu, la plus digne des Rois, Est le plus glorieux, le plus saint de leurs droits. Mais je doute, Madame, & ne puis vous le taire, Qu'on approuve jamais ce que vous allez faire. Pour peu qu'à mon devoir je demeure fidele Quels sacrileges vœux puis-je faire pour elle ? C'est ma Sœur, il est vray ; mais perisse ma Sœur Si sa vie en ces lieux fait revivre l'Erreur⁎. Si de vos jours sacrez le Ciel bornoit la course D'un deluge de maux elle ouvriroit la source : Vos Sujets qu'elle hait, devenus ses Sujets, Seroient de sa fureur les funestes objets. Ce Trône qu'avec soin vos vertus affermissent, Où vous donnez des loix dont les méchants fremissent, Deviendroit par son ordre un lieu d'impunité Où l'Erreur⁎ pour jamais seroit en seureté. On verroit sous ses loix par des mains étrangeres Arracher les enfans du tendre sein des meres, Pour leur faire succer, éloignez de ces murs, Avec un lait moins cher des preceptes moins purs. En vous parlant ainsi je trahis la nature ; Mon sang qui se revolte en soupire, en murmure ; Je me sens comme vous accablé de remors ; Et pour les étouffer je fais de vains efforts. A luy sauver le jour je trouverois des charmes. Sa mort que je poursuis me coûtera des larmes : Mais si de ses desseins elle venoit à bout Le carnage & l'horreur triompheroient par tout. Je prevoy des malheurs qui seroient sans limites. Ma crainte sur ce point égaleroit la vostre, Si les Princes voisins se fioient l'un à l'autre. Un Roy qui s'affoiblit offre une occasion Qui de ses ennemis tente l'ambition. De peur de la flatter par de telles amorces Pour ses propres Etats chacun garde ses forces ; Et vous verrez de loin leur impuissant courroux Borner sa violence à se plaindre de vous. Quoy qu'il en soit, Madame, il est temps de resoudre Si vous voulez lancer ou retenir la foudre. Ma Sœur touche à son terme, & dans quelques instans On voudroit la sauver qu'il ne seroit plus temps. Suivez vostre panchant sans aucune contrainte. Le Duc, Madame ? O Ciel ! Madame, croyez-moy, placez mieux vos bienfaits. Plus fidele que luy, s'il faut prendre les armes, Je mettray vostre Trône à l'abry des allarmes. Le Duc dont vos bontez ont voulu faire un Roy, Ingrat à vostre amour vous a manqué de foy. Que tout autre que luy vous eût montré de zele ! Aimé comme il l'estoit, que j'eusse esté fidele ! Madame, il est trop tard. Il est mort. Un si juste trépas le punit & vous vange. Coupable envers l'Etat si lâchement trahy, Condamné par les Pairs, hay de vous… On ne vous a rien dit que mon cœur desavouë. A qui veut que le crime éternise ses ans Les forfaits les plus noirs sont les plus éclatans. Le Roy que fit ma Sœur par son hymen funeste, A pery par mon bras, & vous sçavez le reste. Fier de ce premier crime, & seur de vostre appuy, Je n'ay rien oublié pour la perdre aprés luy. La mort qu'elle a soufferte est mon dernier ouvrage ; Et son Fils, à son tour eût assouvy ma rage : J'en avois donné l'ordre, & j'allois estre Roy Si le sort inconstant ne m'eust manqué de foy. Vos droits à l'Angleterre estant peu legitimes, Et les miens à l'Ecosse estant crimes sur crimes, Pour les mieux affermir je cherchois les moyens D'unir mon Sceptre au vostre, & vos crimes aux miens. Le Ciel cruel aux uns, & favorable aux autres S'oppose à mes desseins, & seconde les vostres : Tous deux enfans de Rois par un semblable sort Il vous éleve au Trône, & me livre à la mort. Mais s'il croit la choisir son attente est trompée. Quoy qu'on m'ait par son ordre arraché mon épée, Son aveugle colere a manqué de prévoir Que j'avois, malgré luy, ma mort en mon pouvoir. Lors qu'on tombe d'un Trône où l'on a dû pretendre, Voila sans balancer le party qu'on doit prendre. L'endroit où j'ay frappé rend vostre attente vaine : Et j'ay la gloire, au moins dans un sort si fatal, De mourir autrement que n'est mort mon Rival. J'expire. **** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_le-comte-de-neucastel *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lecomtedeneucastel Euric, dans ce Palais ne m'accompagnez pas. Un Ordre exprés⁎ du Duc conduit icy mes pas. Son coeur brûle en secret d'une nouvelle flâme ; Ou quelque grand dessein doit roûler dans son ame. Pour me le confier il m'a mandé⁎ trois fois : Mais toûjours quelque obstacle a retenu sa voix. Quoy que l'Ambition ou l'Amour entreprenne Ce secret de son coeur n'échape qu'avec peine. Il me rappelle encor avec empressement ; Et je veux profiter de cet heureux moment. S'il me parle en ce lieu, quoy qu'il puisse m'apprendre, Le Comte de Morray peut aisément l'entendre : Dans l'endroit concerté⁎ j'ay déja pris le soin De conduire moy-même un fidele témoin. Pour le bien de l'Etat le Comte y devroit estre. Je me fie à sa foy⁎. Qu'il se fie à mon zele⁎. Vaincu par ses raisons⁎, je luy seray fidelle. Un serment solemnel, aprés de grands combats⁎, Vient de m'associer à tous ses attentats. Je vous l'ay déja dit, c'est avec violence Que j'embrasse le crime, & quitte l'innocence : Mais en vain ma vertu revolte⁎ ma raison ; Les remors desormais ne sont plus de saison. Le Duc dont la conduite est suspecte à la Reine, Se creuse un precipice où j'ay peur qu'il m'entraîne : Quoy que de ma fortune il ait esté l'appuy J'aime mieux l'y pousser qu'y tomber avec luy. Pour essay⁎ d'injustice, insensible à la gloire, Déja de cent bien faits j'ay perdu la memoire ; Et lors qu'on est ingrat, ne sçavez-vous pas bien Que les autres forfaits ne coutent presque rien ? Quelqu'un vient : C'est le Duc. Soit qu'il aime ou conspire Allez prester l'oreille à ce qu'il va me dire. Seigneur ? Seigneur, nous sommes seuls. Tout paroist favorable... Seigneur, me voila prest. Que faut-il entreprendre ? Quel que soit le péril où je dois m'exposer Mon zele, & vos bienfaits me le font mépriser. Que le sort à son gré vous flate ou vous outrage, Je n'oubliray jamais que je suis vostre ouvrage ; Et que par vos bontez je me voy dans un rang Digne d'un plus grand homme, & d'un plus noble sang. Je n'examine point quelle main vous opprime : Pour deffendre vos droits je croy tout legitime : Rien ne m'est plus sacré que ce que je vous doy ; Et la reconnoissance est ma premiere loy. Ainsi que vos bontez mon zele est sans limites. Oüy, Seigneur : Et bien-tost par mes soins empressez Vous connoistrez vous-même à quel point... Seigneur, des maux passez perdons le souvenir ; Il en est de presens, & qu'il faut prevenir⁎. Depuis combien de temps une Reine innocente Dans les fers, dans l'opprobre est-elle gemissante ? Verrons-nous sans horreur un ouvrage⁎ si beau Achever ses destins par la main d'un Bourreau ? La fiere Elisabeth, Princesse illegitime, Qui n'eût point veu le jour sans le secours d'un crime, Peut-elle assujetir la Majesté des Rois A l'indigne rigueur de ses injustes loix ? Que dira l'Avenir d'une audace si grande ? Donnons à la Vertu l'appuy qu'elle demande. Des maux dont on l'accable interrompons le cours. C'est de nostre valeur qu'elle attend du secours. Suivons les mouvemens⁎ que le Ciel nous inspire. D'une Reine odieuse il veut finir l'Empire. Injuste aux Etrangers, cruelle à ses Sujets, Elle est d'intelligence⁎ à remplir nos projets : Et pour nous dérober au joug qui nous opprime S'il faut que malgré nous il nous échape un crime, De quoy que nostre esprit puisse estre combattu, C'est un crime forcé qu'approuve la Vertu. S'il vous manque, Seigneur, un bras pour le commettre, Pour le bien de l'Etat je puis tout me permettre ; Ne laissez point languir mon zele impatient. L'esprit d'Elizabeth, inquiet, défiant, Tend des pieges secrets que jamais on n'évite A moins qu'on n'entreprenne aussi-tost qu'on médite⁎ . En de plus dignes mains transmettons son pouvoir, Avant qu'elle ait le temps de s'en apercevoir. Enfin prescrivez-moy ce qu'il faut que je fasse. Vous ne pouviez, Seigneur, dans un sein plus fidèle Deposer le secret d'une flâme si belle. Tout mon sang répandu pour vous prouver ma foy Ne m'acquiteroit pas de ce que je vous doy. Offrez-moy le moyen de vous faire paroistre… Oüy, Seigneur, je le suis ; Et c'est par vostre choix Que la Mer Britânique obéït à mes loix. Que puis-je ? Commandez. Et quoy que je hazarde... Je ne puis condamner une si noble envie : Mais de ce grand dessein l'évenement⁎ douteux⁎ Expose vostre teste au sort le plus honteux. Souvent de tels projets ont des suites cruelles ; Des Soldats corrompus sont rarement fideles ; Et vous n'ignorez pas, Seigneur, que sur ce point La Reine est inflexible & ne pardonne point. A la Cour, où la foy⁎ n'ose presque paroistre, L'espoir de s'agrandir⁎ fait aisément un traitre. Si vous estes surpris vous vous perdez. Seigneur, à ces raisons⁎ je n'ose m'opposer : La grandeur du peril les doit autoriser. Pour dérober sa vie au sort qui la menace Dites-moy quel effort vous voulez que je fasse. Encor un coup, Seigneur, je suis prest... Seigneur, je croy le voir paroistre : Laissez-moy de son coeur penetrer les secrets. Pour remplir vos desirs je vous suivray de prés. He bien, Seigneur... Seigneur, j'ay toûjours même zele : Mais prestez de la force à mon coeur qui chancelle ; Et puisque le silence est encor à mon choix, Laissez-moy vous parler pour la derniere fois. J'entreprens une route où j'ay peu d'habitude : J'y marcheray, Seigneur, avec incertitude. Au milieu du chemin que vous m'avez tracé Je puis me repentir de l'avoir commencé. Quand je songe à l'horreur qui suit le nom de Traistre, Des retours de vertu me font craindre de l'estre. Quoy que par vos conseils vous m'ayez inspiré J'ay peur d'avoir promis plus que je ne feray. Mon ame chancelante, incertaine, confuse, Tantost s'offre à la honte, & tantost s'y refuse ; Et je voy trop de risque à vous y confier Si je n'ay vostre appuy pour me fortifier. Avez-vous vers le crime un penchant si rapide Que rien ne vous arreste, ou ne vous intimide ? Vostre Soeur immolée il ne sera plus temps D'honorer sa vertu de regrets impuissans. Quoy que de sa rigueur Elisabeth l'accable, Nous sçavons, vous & moy, qu'elle n'est point coupable ; Et si quelque tendresse excitoit vos remors Jugez en quel peril je me verrois alors. Il faudroit que mon sang... Seigneur, d'Elle & de Vous la naissance inégale Decide en sa faveur de la grandeur Royale : Et si j'ose, entre-nous, vous le dire tout bas La vostre a des deffauts que la sienne n'a pas. Il est vray : Mais, Seigneur, par une loy severe Aucun de vos pareils ne succede à son pere. Et d'ailleurs, le feu Roy, quoy qu'on ait entrepris, N'a jamais avoüé que vous fussiez son fils. Qui justifiera... Et concevez-vous bien ce que vous allez faire ? D'un amour qui luy plut son coeur encor frappé, Pour écouter le vostre est trop préoccupé. Pour faire de son Trône une heureuse conqueste Attendez que du Duc elle ait proscrit la teste ; Et gardez-vous, Seigneur, de laisser entre-voir... Mais l'Ecosse, Seigneur, n'est pas vostre heritage. Le Roy, vostre Neveu, quoy que jeune & soumis... Seigneur, c'en est assez. Surpris de vous entendre Je ne consulte plus quel party je dois prendre. Quoy que fasse le sang, il faudra peu d'efforts Pour mettre un si grand coeur au dessus des remors. Je vais trouver le Duc, & servir vostre haine. Vous, pour haster sa perte allez trouver la Reine : Et faites avec art entrer dans vos discours Que de ses jours sacrez il veut borner le cours. Enfin, pour la contraindre à la reconnoissance Du zele le plus pur empruntez l'apparence. Accoûtumez son cœur… Oüy, Seigneur, je vous plains, une cheute si prompte... La Reine attend l'Ordre sacré Dont sa main autrefois vous avoit honoré. Cette pompeuse Marque, en ce lieu si cherie, Sous le fer d'un Bourreau luy sembleroit flétrie. Elle m'envoye exprés pour vous la demander. O Ciel ! à quelle honte aujourd'huy je m'expose ! Je ne puis plus, Seigneur, faire un pas en arriere Il faut que malgré moy j'acheve ma carriere. Aprés mille bienfaits honteusement déceus⁎, J'assassine un Heros dont je les ay receus. Avant que de vous voir je détestois le crime ; Vous m'avez fait braver la honte qu'il imprime ; Un appas de grandeur a corrompu ma foy : Et si vous l'oubliez lors que vous serez Roy, De Mechant à Mechant, quoy que l'on se promette, L'union la plus forte est toûjours imparfaite ; Et jusques sur le Trône où vous serez assis Vous me feriez raison de mes forfaits trahis. Une belle action offre au moins pour salaire A celuy qui la fait, le plaisir de la faire : Mais des crimes perdus ne laissent aprés eux A qui les a commis qu'un desespoir affreux. Seigneur, je voy venir la Reine. Ainsi, Seigneur, ainsi pour toute recompense Nous aurons la douleur d'opprimer l'Innocence. Ne vaudroit-il pas mieux faire un plus noble effort, Et chercher des moyens pour détourner leur mort ? Le Duc avec plaisir épouseroit la Reine S'il voyoit vostre Sœur à couvert de sa haine : Et dans leurs interests les nostres confondus… Madame, à mes forfaits preparez des supplices. Interdit, penetré d'une juste douleur, Je ne parois icy que pour vous faire horreur. Je ne m'offre à vos yeux que pour grossir la foudre Dont il faut vous armer pour me reduire en poudre. Je me serois puny, mais mon sang répandu, L'exemple que je dois auroit esté perdu ; Et pour voir avec fruit ma trahison punie, Il faut que je perisse avec ignominie. D'une Reine innocente on a tranché les jours. Par les crimes d'autruy la vertu malheureuse A de toutes les morts souffert la plus affreuse. J'ay veu ce que le Ciel avoit fait de plus beau Tendre sa Teste auguste à l'acier d'un Bourreau : Et mes remors trop lents n'ont point formé d'obstacle Au barbare succez d'un si triste spectacle. Eussay-je pour tout crime approuvé son trépas Ma main à m'en punir ne balanceroit pas : Jugez, par cette loy que l'équité m'impose, Ce que je dois souffrir puis que j'en suis la cause. Moy, Madame. Un aveu si honteux Vous anime à ma perte ; & c'est ce que je veux. J'offre à vostre justice une digne matiere. Ne la trahissez point, faites-la toute entiere. Ce Monstre dont la veuë infecte vos regards, Cet ennemy public, hay de toutes parts, Qui jusqu'à vous aimer a porté son audace, Plus coupable que moy merite moins de grace. C'est luy qui par l'appas d'un criminel espoir A seduit ma vertu, corrompu mon devoir, Imprimé dans mon cœur l'effroyable maxime Qu'un crime couronné perdoit le nom de crime. Assassin de son Roy, sa rapide fureur A par une autre voye assassiné sa Sœur ; Et si l'on ne previent sa detestable envie Leur Fils en son pouvoir doit trembler pour sa vie. Pour commencer sa peine ordonnez qu'il m'écoute. La douloureuse mort de son auguste Sœur, Tout barbare qu'il est, va luy percer le cœur. Si de mes trahisons le repentir extrême Peut vous autoriser à m'écouter vous-même, Vous n'avez plus à craindre aucun trouble intestin ; Tout cede à l'ascendant⁎ de vostre heureux destin⁎. Faites que la pitié succede à vostre haine : Des larmes d'une Reine honorez une Reine : L'adorable Stuard vient de finir son sort ; Et vous allez fremir au recit de sa mort. Au funeste appareil⁎ de son cruel supplice Elle atteste le Ciel qu'on luy fait injustice : Que pendant sa prison, quoy qu'elle ait enduré, Jamais contre vos jours elle n'a conspiré ; Et que du fond des cœurs ayant seul connoissance Dieu, qu'on ne trompe point, sçavoit son innocence. Là, de tendres soûpirs s'estans joints à sa voix, Seigneur, écoutez-moy pour la derniere fois, Dit-elle. Je suis mere, & mon cœur qui soupire Croit que pour vous toucher ce nom seul doit suffire. Un Fils que de mes pleurs j'ay souvent arrosé, Au plus grand des malheurs est peut-estre exposé : Ce sang de tant de Rois le déplorable reste, Est peut-estre élevé dans un Culte funeste. Dans un peril si grand devenez son appuy. Contre ses ennemis declarez-vous pour luy. Montrez-vous-en le pere ; & pour faveur insigne Avant que de regner faites qu'il en soit digne. J'implore pour tous deux vostre divin secours : Et je vous recommande & mon Ame & ses jours. Pendant que de son cœur la tendresse s'explique⁎, L'abominable Objet de la haine publique, Par une indignité qu'elle n'attendoit pas, Ose se presenter pour luy lier les bras. Sensible à cet opprobre, une modeste plainte A trahy la douleur qu'elle tenoit contrainte : Reserve, a-t-elle dit, cet infame lien Pour flétrir quelque nom moins fameux que le mien : Quoy que jusqu'au tombeau la fortune me brave Je veux mourir en Reine & non pas en Esclave ; Et malgré le silence où s'obstinent les Rois Jusqu'au dernier soûpir je soûtiendray leurs droits. Ses Filles, cependant, les yeux baignez de larmes, De son pudique sein font entrevoir les charmes, Pour ouvrir un passage à l'Acier criminel Dont la Reine innocente attend le coup mortel. Par un cruel devoir, dont la rigueur les tuë, Quelques momens aprés elles voilent sa veuë ; Et cachent pour jamais les malheureux appas Qui sans l'aveu du cœur ont fait tant d'attentats. Leur zele consommé par ce dernier service, Et la Victime preste à ce grand Sacrifice, Plus on est attentif à ce lugubre aspect, Plus on sent de pitié, de terreur, de respect. Tous les cœurs sont touchez ; tous les yeux sont humides ; On mesle à des soûpirs des murmures timides ; Et tous les gens de bien plaignans son triste sort D'un Eloge funebre accompagnent sa mort. Enfin, Madame, enfin, humblement prosternée Je pardonne, dit-elle, à qui m'a condamnée : Fasse le juste Ciel que ces Juges pervers Ayent le cœur plus austere, & les yeux mieux ouverts ; Et que leur cruauté sur moy seule épuisée, L'Innocence à la mort ne soit plus exposée. Pendant ces derniers mots le Ministre inhumain Qui d'un glaive funeste avoit armé sa main, Fidele executeur de vostre injuste haine, A tranché le destin de cette grande Reine. Mais, ô prodige affreux ! qui me vient de troubler ! Prodige, dont vous-même avez lieu de trembler ! Deux fois sur l'Echaffaut sa Teste bondissante A repeté deux fois qu'elle estoit innocente ; Et dans tous les esprits répandu tant d'effroy Que tous les Spectateurs ont fremy comme moy. Pour vanger son trépas l'ardeur qui les anime A choisi son Bourreau pour premiere victime ; Et si vostre pouvoir n'arreste ce transport, Tous ses Juges, sans doute, auront un même sort. Pour moy qui desormais aurois honte de vivre, Il faut qu'à leur fureur mon desespoir me livre ; Et pour mieux me punir, s'ils épargnent mes jours, C'est à vostre justice où sera mon recours. Je l'attends. **** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_lancastre *date_1691 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_lancastre Ah, Seigneur, hâtez-vous, Et venez de la Reine appaiser le courroux. Je ne puis deviner qui conspire contr'elle ; Mais elle est resoluë à punir un rebelle, Un perfide, un ingrat digne de sa fureur, Et pour qui son estime est changée en horreur. Venez par vos conseils dissiper les allarmes Qui d'un si beau destin empoisonnent les charmes : Pour détourner l'orage, ou pour le prévenir, Elle vous fait chercher pour vous entretenir. Dans cette occasion montrez-luy vostre zele. Seigneur, Je n'ose en soupçonner la Reine vostre Sœur. Mais un des Officiers qui doit répondre d'elle A sans doute à la Reine appris quelque nouvelle. Il l'a veüe en secret ; & même en ce moment Elle luy parle encor en son Appartement. Vostre avis est le seul que la Reine veut suivre. A quoy, Madame, estes-vous resoluë ? Croyez-vous de vostre ame estre assez la maistresse, Pour en bannir d'abord ce qu'elle eut de tendresse ? Et pour peu qu'il en reste à vous parler pour luy, Pour fléchir vostre coeur est-ce trop foible appuy ? Quand vous la sentirez vous demander sa grace, Prompte à le garentir du sort qui le menace, La main qui l'éleva le soûtiendra toûjours : Il vous doit sa fortune, & vous devra les jours. Si le Duc de Norfolc, que peut-estre on opprime, N'est coupable envers vous que de ce dernier crime, Jamais aucune loy n'a fixé de tourmens Dont on ait veu punir les crimes des Amans. Cependant pour sa mort j'apperçoy qu'on affecte Une si grande ardeur qu'elle est un peu suspecte. Quand d'un crime d'Etat on se croit asseuré, On a fait son devoir dés qu'on l'a declaré : Empescher qu'au coupable on ne laisse la vie C'est trop montrer, Madame, ou de haine ou d'envie ; Et pour sauver le Duc si les remors sont vains, Vous verrez que le Comte a de plus hauts desseins. Il est jeune & sensible : & vos charmes... Madame, pardonnez si j'ay crû que sa foy... Non, Madame, les Pairs ne viennent point encore. Vous vous estes levée aussi-tost que l'Aurore. Tant qu'a duré la nuit vostre esprit agité N'a laissé nul repos à vostre Majesté. Oüy, Madame, à l'instant vous l'allez voir paroître. Madame, ils vont entrer tous deux. **** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_melvin *date_1691 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_melvin Oüy, Madame. Madame, vos bontez, mon devoir, vostre rang, Ne demandent icy que des larmes de sang. Plût au Ciel que le mien, plus ardent que tout autre, A vos Persecuteurs pût arracher le vostre ! Que vostre injuste mort nous va coûter de pleurs ! Et qu'un jour… **** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_killegre *date_1691 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_killegre Hola, Gardes ? A moy : l'on veut trahir la Reine. Il n'importe. Je suis Sujet, Seigneur, & ce devoir l'emporte. Les Pairs sont assemblez, Seigneur, & vous attendent. On me vient d'ordonner dans le même moment De vous faire rentrer dans vostre Appartement, Madame. **** *creator_boursault *book_boursault_mariestuard *style_verse *genre_tragedy *dist1_boursault_verse_tragedy_mariestuard *dist2_boursault_verse_tragedy *id_euric *date_1691 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_euric Seigneur, en ce moment il nous entend peut-estre. Je viens vous repeter les sermens qu'il a faits De porter⁎ vostre sort plus loin que vos souhaits. Si jusqu'à son hymen Elizabeth l'éleve, Si par la mort du Duc cette union s'acheve, Sans cesse de son Trône infatigable appuy Vous douterez qui regne ou de vous ou de luy. Madame ? Dans son Appartement la Reine est retirée, Seigneur ; & tout conspire à remplir vos souhaits. Nous sommes asseurez des portes du Palais. D' Ecossois genereux une Troupe intrepide Doit servir à sa Reine & d'escorte & de guide. Ces momens fortunez ne se retrouvent pas. Seigneur, elle vient aprés moy. Touché de la frayeur dont son ame est atteinte, Je devance ses pas pour dissiper sa crainte. Un peu d'émotion meslée à ses attraits Vous la va faire voir plus belle que jamais. Madame.