**** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_ARGANTE *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_argante Enfin j'en ai donné ma parole pour gage, Dorotée est promise, et l'Hymen arrêté Doit bientôt sous ses lois ranger sa liberté. Il semble cependant que vous brûliez pour elle, Dans la rue à tous coups vous faites sentinelle, Un voisin le remarque, un voisin en discourt ; Sur un amour si vain, Oronte, tranchez court, Je tiendrais à bonheur de vous avoir pour Gendre, Mais l'affaire d'accord vous n'y pouvez prétendre. Je sais qu'on parle encor de vous et de Lucie, Mais comme elle est voisine, et l'honneur délicat, Ne me contraignez point à faire plus d'éclat, Et cessant pour huit jours seulement d'y paraître, Étouffer un bruit sourd qui commence de naître. Adieu, songez, de grâce, à me rendre content. À la porte, Lycante, ou nous sommes volés. Que vois-je ? C'est Oronte. Ô Fille dont l'amour me couvrira de honte ! Meurs, lâche suborneur. Quelle excuse jamais... Il est vrai qu'on a fait du bruit dans le jardin, Et qu'ayant mis soudain la tête à la fenêtre, J'ai vu marcher quelqu'un que je n'ai pu connaître ; Mais quoique cette excuse ait assez de couleur, Il ne me suffit pas dans un si grand malheur. J'en veux, pour l'intérêt de toute ma famille, Lire la vérité sur le front de ma fille, Son trouble ou son repos me la feront sa voir. Je reviens. Demeurez-là de grâce. Vous m'aviez bien dit vrai, sortez vite, et sans bruit, Votre ennemi... J'en tremble. Il vous poursuit. Le demandez-vous ? Éraste. Lui-même, Je l'ai vu là-dedans. Vous nous perdez tous deux si vous restez ici, Hâtez-vous de sortir. Enfin d'un grand malheur j'ai su me garantir, Appelons ici l'autre, et le faisons sortir. Éraste. Je pardonne à l'ardeur qui chez moi vous conduit ; Mais si vous m'en croyez, ne faites point de bruit. De pareils accidents demandent le silence. Je sais ce qu'il faut que je pense. Non, non, je suis assez discret. De ma part, soyez sûr du secret, Adieu. Il est temps que chacun se retire, Sortez. M'en voici dégagé, j'en tremble encor d'effroi, Je les ai découverts bien à propos pour moi. Qu'à présent dans la rue ils chamaillent à l'aise, Ils s'y battront longtemps avant qu'il m'en déplaise, Et si d'autres que moi ne les vont séparer, Ils auront tout loisir de bien s'entre-bourrer. Vous espérez en vain M'obliger par prière à changer de dessein, Je vois quel est le vôtre, et je lis dans votre âme. J'ai donné ma parole au Père de Florame, Il faut que je la tienne, il m'en presse, et je veux, Que dès demain l'Hymen vous unisse tous deux. C'est l'effet du bruit qui court d'Oronte. On dit qu'il vous en veut, et Florame alarmé Semble craindre aujourd'hui de n'être pas aimé, Je le remarque trop à son inquiétude ; Et comme ce faux bruit lui porte un coup bien rude, Pour le faire avorter et le voir satisfait, De cet heureux Hymen je dois presser l'effet. Songez-y donc, adieu, je vais trouver son Père, Pour aviser ensemble à ce qu'il faudra faire. Je répons de sa foi, Je suis père. Enfin de vos froideurs j'ai sujet de me plaindre. Si certains bruits confus vous mettent en souci Jusqu'à vous alarmer de voir Oronte ici, Sachez ce qui l'amène, et qu'aimé de Lucie... Que veux dire ceci ? Lucie aimer Florame ! Et quoi n'est-elle pas l'objet de votre flamme, Et surpris cette nuit dans un doux entretien, N'avez-vous pas sauté de son jardin au mien ? Quoi, voir de nuit ma Fille, et tous deux tant oser... À moins que l'épouser... **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_ORONTE *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_oronte As-tu fait mon message ? Et ma lettre, Aux mains de Dorothée as-tu su la remettre ? D'abord elle aura refusé D'y voir peint le tourment que ses yeux m'ont causé, Te l'aura voulu rendre, et feignant... À ce coup le succès a passé mon espoir. Elle ne me hait pas, à ce que je puis voir ? Je n'espérais pas tant. Tu sais à quels revers ma fortune est sujette. Qu'est-ce ? Elle m'a fait réponse ? Ouvrons, il m'apprendra quel espoir m'est permis. Pour prix de votre amour que vous peignez extrême... J'avais écrit en vers, elle répond de même, Il n'est rien dont sans peine elle ne vienne à bout. Pour prix de votre amour que vous peignez extrême, Oronte, vous osez me demander le mien ; Quelquefois par bonté j'endure que l'on m'aime, Mais je prétends aussi qu'il ne m'en coûte rien. Vous donner coeur pour coeur serait un avantage Où le plus grand mérite à peine ose aspirer. Voyez ce que je vaux ; mais m'offrez votre hommage, Je le souffre, de quoi pouvez-vous murmurer ? Serait-ce qu'en effet votre amour fut si forte Qu'on le dût estimer digne d'un plus grand prix ? Faisons un compte exact, et supputons de sorte Que l'un ni l'autre enfin n'y puisse être surpris. Si ces brûlants soupirs, qui vous sont ordinaires, Vous donnent quelque espoir de me mettre à retour, Croyez-moi, cent soupirs souvent ne pèsent guères, Et n'emportent qu'à peine un demi grain d'amour. On peut pour en juger, en prenant la balance, Leur opposer l'honneur de vous voir dans mes fers. Si vous êtes d'accord de cette expérience, J'offre de vous donner mon coeur, si je le perds. Sa réponse est adroite autant qu'elle est galante, J'aime tous ces dehors d'une humeur arrogante, Et ce charmant orgueil à m'écrire affecté N'a pas moins de pouvoir sur moi que sa beauté. Sa lettre aussi pour moi, Cliton, n'a rien d'étrange, Si le style en est fier, il imite le mien, Je vantais mon mérite, elle vante le sien. Pour surprendre mon coeur c'est la plus sûre voie. Cette présomption qu'elle étale à son tour, Ne fut jamais défaut en matière d'amour, Une belle âme seule en peut être capable, Ou si c'est un défaut, c'est un défaut aimable. Quelque superbe humeur que je témoigne avoir, J'aime qu'un bel objet se fasse un peu valoir, Qu'il voie avec dédain qu'à l'aimer on s'apprête, Et mettre à bien haut prix l'espoir de sa conquête. Ne montrer dès l'abord ni mépris, ni rigueur, Bien loin de l'acquérir, c'est mendier un coeur, Et ce coeur qui se rend quand on l'en sollicite, Se donne à la pitié bien plutôt qu'au mérite. Le mien à ces appas se laisse peu toucher, J'estime seulement ce qui me coûte cher, Et pour te dire tout, la faveur la plus grande N'est point pour moi faveur, à moins qu'on me la vende. Son règne est achevé, Mon âme à ses rigueurs à la fin s'est soustraite. Oui, pourvu qu'un Rival ne soit pas mieux traité, Et qu'on me fasse voir une noble fierté, Qui semblant s'indigner de mon peu de mérite, Loin d'amortir mon feu, l'entretienne et l'irrite. Mais enfin Dorotée a beau dissimuler, D'une flamme secrète elle se sent brûler, Et son coeur à l'amour jusqu'ici peu sensible Veut perdre en ma faveur le titre d'invincible. J'ose en juger par moi qui cède à ses appas. Moi ? C'est en dire un peu trop. Pour le moins aujourd'hui n'en aimai-je que trois. Et même de ces trois dont mon âme est charmée, Comme la plus aimable, elle est la plus aimée. Éraste vient à nous, Tais-toi. Il le faut aborder. Ami, je vous vois rire, La joie est dans vos yeux. Quoi ? Vous aimiez, Éraste, et m'en faisiez secret ? Notre amitié s'en plaint. Ainsi donc votre amour a tout ce qu'il souhaite ? Mes soins vous sont acquis, parlez-moi librement. Le passé vous fait foi Que j'ai toujours été bien plus à vous qu'à moi, Je ferai mes efforts pour remplir votre attente. Après ce premier pas j'ose espérer qu'un jour Il me priera pour lui d'aller traiter l'amour ; Au moins avec raison puis-je tout m'en promettre, S'il lui faut mon secours pour écrire une lettre. Que t'en semble ? Tu parles franchement. J'ai pu m'en exempter, il m'était fort aisé, Et tout autre qu'Éraste eût été refusé ; Mais si ce même Éraste est frère de Lucie, L'une des trois Beautés dont mon âme est ravie, Et si par un effet de son heureux destin De Dorotée encore il est proche Voisin, Puis-je rien refuser à qui m'est nécessaire, Tantôt comme voisin, et tantôt comme frère. Il n'est si sot Ami qu'on n'emploie au besoin, De ma facilité c'est la raison secrète. Mais il faut voir enfin de quel air on le traite. C'est comme je l'entends, Ou s'il est régalé, que c'est à ses dépens. Pour prix de votre amour que vous peignez extrême, Éraste, vous osez me demandez le mien ; Quelquefois par bonté j'endure que l'on m'aime, Mais je prétends aussi qu'il ne m'en coûte rien. Vous donner coeur pour coeur... Ai-je pris l'un pour l'autre ? Jamais telle surprise à mes sens ne s'offrit, C'est ici mot pour mot tout ce que l'on m'écrit, Et je reconnais trop, plus je les étudie, Si j' j'ai l'Original, qu'Éraste a la Copie. L'écriture est semblable, et ne diffère point. . Non, je ne prétends point, Cliton, t'en empêcher ; Ris, j'en rirai moi-même au lieu de m'en fâcher. La pièce est délicate, et je ne cèle pas Qu'un Sot en ce rencontre eût poussé force hélas, Et contre ces assauts manquant d'expérience, De sa maligne étoile accuse l'influence ; Mais pour moi qui connais ce que c'est que d'aimer, De semblables revers ne peuvent m'alarmer : Si chaque Objet me plaît, c'est sans inquiétude, Jamais de préférence, et point de servitude, Toujours prêt de le perdre, et de m'en détacher Au moindre événement qui me pourrait fâcher. Ainsi quelque beau feu que je fasse paraître, Pour ne rien hasarder, j'en suis toujours le maître ; Ainsi divers Objets m'engageant chaque jour Je me regarde seul dans ce trafic d'Amour, Et chassant de mon coeur celui qui m'incommode, Si je sais mal aimer, du moins j'aime à la mode. Mon déplaisir, Cliton, ne va jamais plus loin ; Si l'une me trahit, l'autre me tient parole, Et j'ai dans mon malheur toujours qui m'en console. C'est là l'utilité d'aimer en divers lieux. Son humeur et la mienne ont quelque différence, J'aime tant que l'on m'aime, et n'ai point d'inconstance ; Mais quand par un caprice on songe à me quitter, Je suis trop mon ami pour m'en inquiéter, Je vois ce changement sans que mon coeur s'irrite, Et remplace aisément la part qu'on m'en racquitte, Ainsi je vis heureux, tant payé que tenu. Tel qu'il est, de beaucoup il attire l'envie ; Mais j'en dois la moitié tout au moins à Lucie. Je n'ai pas lieu d'en craindre un pareil traitement, Lucie agit toujours avecque jugement, Sa conduite est réglée, elle est modeste et sage, Et le plus défiant n'en prendrait pas ombrage. Je trouve seulement en elle un grand défaut. Elle m'aime un peu plus qu'il ne faut. Il est des plus notables ; Les querelles d'Amour sont querelles aimables. Il est beau que l'Objet qui nous tient sous sa loi Quelque fois à dessein soupçonne notre foi, C'est par là qu'en nos coeurs l'Amour se fortifie, Il semble qu'il renaît quand il se justifie. Quelque désordre en nous qu'un reproche ait produit, Il trouve un doux remède au pardon qui le suit. Quelque faveur nouvelle aussitôt l'accompagne, Et jamais l'Accusé n'y perd tant qu'il y gagne : Mais lorsque d'un Amant on remplit les souhaits, Comme l'on vit sans guerre, on ne fait point de paix, L'Amour triste et pensif va son train ordinaire, Servant par habitude on perd tout soin de plaire, Point de délicatesse, et pour qui vit ainsi, C'est toujours, Vous m'aimez et je vous aime aussi : Qui ne haïrait point ces grossières pratiques ? Que veut de moi Florame ? C'est intrigue d'Amour ? Lucie ! Sans doute que d'Éraste il lèvera l'obstacle, Il fait de grands coups. Oui, je vous le promets, Pour servir un ami je n'en manque jamais. Tu vas tout de nouveau débiter cent sottises. À quel sujet ? Leur perte à mon humeur offre un jeu tout nouveau, Et dès que je verrai Dorotée ou Lucie... Oui, j'en brûle d'envie. C'est là que je prétends étaler à leurs yeux Ce que l'art de se plaindre a de plus curieux, Les soupirs seuls alors auront pour moi des charmes, S'ils font trop peu d'effet, j'aurai recours aux larmes, Mille sanglots confus feront mon entretien, Mais j'aurai beau gémir, mon coeur n'en saura rien, Et feignant qu'en la mort j'espère un prompt remède, Je verrai sans douleur qu'un autre les possède. Un peu de patience, et tu me connaîtras. Cependant ce quartier ne m'est pas si funeste Que je n'y sache encor où jouer de mon reste. Oui, Cliton, avec joie, et quand il me plaira. Certaine Brune hier trouvée aux Tuileries Servit longtemps d'objet à mes galanteries ; Nous fîmes connaissance, où je fus assez sot D'offrir un diamant dont on me prit au mot, Et toute la faveur que j'obtins de la Belle, Fut d'agréer ma main pour la mener chez elle. Non ; par certaine raison Je dus me contenter d'avoir su sa maison. Mais aujourd'hui, Cliton, elle attend ma visite, Et me voudra du mal si je ne m'en acquitte. Viens, suis-moi, ce détour nous cache son logis. À ravir. Lisette. Maraud. Pourquoi ? Mais elle m'a promis qu'aujourd'hui... Tu la connais donc bien ? Elle est vêtue en Dame ! Chez qui ? Malgré le rude coup que ce succès lui porte ; Tu le verras bientôt brigué de bonne sorte. Il ne faut pas toujours juger sur l'apparence. J'aurais grand tort, Cliton, de n'y pas recourir, Puisque pour regagner Dorotée et Lucie Il est et du soupçon et de la jalousie, Et que pour mettre aussi Lisette à la raison, Un diamant éclate, et que l'or a du son ; Ces remèdes souvent font plus qu'on ne désire, Mais chez moi pour Éraste il faut aller écrite, Viens. Laisse faire le temps, et ne jure de rien. Si dans votre quartier on me voit chaque jour, J'y connais cent Beautés à qui parler d'amour, Et ce serait en vain que votre âme éclaircie... La remontrance est belle et l'avis important. Combien de visions accompagnent cet âge ! Qui m'appelle ? Un nuage importun me cache vos appas, Et pour moi cette coiffe est un supplice extrême. Est-ce ainsi que l'on doit agir lorsque l'on s'aime ? Il n'en faut point douter. Je suis moi-même encor à m'en apercevoir, Mais on tient que l'Amour par sa toute-puissance Se glisse dans nos coeurs sans que même on y pense. Et si cette maxime est valable, en ce cas Nous pouvons nous aimer, et ne le savoir pas. Ah, c'est toi ; l'agréable surprise ! Lisette, qu'aujourd'hui le Ciel me favorise ! Te revoir est un bien que j'estime... Un message. Et de qui ? Ce sera donc de toi. Il suffit, j'entends fort bien cela. Non, non, je vois le sujet de ta plainte. Pour elle assurément tu me crois l'âme atteinte, Mais ne t'alarme point ; quoi que l'on t'en ait dit, Je lui trouve assez peu de beauté que d'esprit, Ses grâces la plupart sont grâces empruntées, Et tu vaux à mes yeux cinquante Dorotées. Je meure si tes yeux n'ont sur moi tant d'empire Que... Ta gaie humeur soutient ta bonne mine. Qu'as-tu ? Qui ? Et de qui ? J'y cours, Un moment me ramène. Viens donc vite, Cliton, et marchons sur leurs pas. Viens. Maraud, me veux-tu suivre ? Maraud, s'il t'arrive jamais... Il n'est ni si, ni mais. Pourquoi n'attendre pas ? Tais-toi, demeure-là. D'un zèle trop aveugle excuse la chaleur, Notre alarme était fausse, et je reviens encore Te jurer que je meurs pour toi, que je t'adore, Qu'en vain de Dorotée on m'ose croire épris, Qu'elle n'est à mes yeux qu'un objet de mépris. C'est une beauté fade, et pour moi, je confesse Que j'ai peine à la voir sans tomber en faiblesse. Ton obstiné silence à la fin me confond, Et sans trop de rigueur tu ne peux davantage Tenir ainsi caché l'éclat de ton visage. Dussent mes faibles yeux s'en laisser éblouir, Il faut... Quoi, Madame, c'est vous ? Le Ciel sait... Je pourrais appeler de votre jugement, Mais si quelques effets démentent nos paroles, Nous n'en apprenons l'art qu'à hanter vos écoles. Peut-être dirions-nous tous deux des vérités ; Mais n'écoutez point tant l'ardeur qui vous emporte. Vous savez ce que vaut un homme de ma sorte ; Sans parler de pardon ni de crimes commis, Demeurons quitte à quitte, et vivons bons Amis. Vous courrez le hasard d'y perdre davantage, Et refusant l'accord que j'ai su proposer, Vous aurez de la peine après à m'apaiser. Mais je vous offre ici la pais de bonne grâce. Ce n'est pas sans raison que je me plains de vous. Témoin ce qu'aujourd'hui vous avez su m'écrire. Vous, d'une double lettre avoir le passe-temps ? Et je vous porté d'abord de rudes coups ; Non que j'aie ignoré que je parlais à vous, Mais je l'ai fait exprès pour vous faire connaître Qu'en fourbant, quelquefois on se joue à son maître, Et que si vous songez jamais à me duper, Je saurai bien encor par où vous attraper. Examinez la vôtre. Il faudra se résoudre à ce bannissement, Mais perdant un Sujet de si haute importance, Je prévois votre Empire en grande décadence. Votre seul intérêt me fait parler ainsi. Croyez-le, je vous aime, et n'ai point d'autre envie Que de suivre vos lois tout le temps de ma vie. Vous, si vous m'écoutez. L'innocence jamais n'est assez manifeste Que quand... Cette retraite est bizarre et bien prompte. Vous savez qui je suis. Je vais tout de ce pas y faire mon pouvoir. Non, mais de voir Florame, et de lui faire peur De ce qu'Éraste croit qu'il brûle pour sa Soeur. Ce soir, dis-tu, je suis attendu de Lucie ; Et s'il craint une fois qu'Éraste ne l'épie, Manquant au rendez-vous de peur de tout gâter, Je serai libre alors d'aller lui protester. Laisse-moi faire. Tu me verras, Cliton, mettre bon ordre à tout, Quand j'en aurais un cent, j'en viendrais bien à bout. Tu ne dis mot, Cliton ; quelle mélancolie Fait qu'avec moi ce soir ta belle humeur s'oublie, Je t'entends soupirer, et te plaindre à tous coups. Il est vrai qu'affranchi d'accompagner Florame, Qui manque au rendez-vous où l'appelait sa flamme, J'y vais de mon côté l'esprit assez content. De quel mal ? Je te crois ; mais Cliton, confesse-moi la dette, Tu te fâches de voir que je serve Lisette ? Simple, ne vois-tu pas que c'est ton avantage Qu'à ses perfections je daigne rendre hommage, Que par là son mérite est en son plus beau jour, Et que ma passion ennoblit ton amour ? C'est fort mal reconnaître une faveur si grande. Va, ne te fâche point, avant qu'il soit huit jours Je pourrai te laisser paisible en tes amours ; Ce temps en ma faveur fera bien des miracles, Et de ma part alors tu n'auras plus d'obstacles. Plus que tu ne peux croire. Cliton, sans la flatter, Lisette a des appas Dont, quelque effort qu'on fasse, on ne se défend pas ; À toute autre Beauté mon amour la préfère, Et comme elle me plaît autant qu'elle peut faire, Crois que c'est en user modestement Que de te l'emprunter pour huit jours seulement. Quoi, Maraud, est-ce là le respect que tu dois À celle dont mon coeur pour aimer a fait choix ? Alors tu pourras prendre avis de ton courroux ; Mais c'est ici le lieu de mes deux rendez-vous, Et je suis fort trompé si je ne vois paraître, Malgré l'obscurité, Lucie à sa fenêtre. Cliton, qu'elle me plaît ! Non pas, quant à présent. Encor moins que Lisette. Vois-tu ? Dans mon affection Je me repais fort peu d'imagination. La Beauté la plus vive et la plus élégante Ne me chatouille plus sitôt qu'elle est absente. Mille attraits surprenants pourront m'avoir blessé, Qu'à trente pas de là c'est autant d'effacé ; D'un moindre éclat présent mon âme possédée Ne conserve aucun trait de sa première idée, Et comme, quelque Objet dont je suive la loi, Je ne l'aime jamais que pour l'amour de moi, Mon coeur prend aisément une forme nouvelle, Et celle que je vois est toujours la plus belle. Celles que je verrais me plairaient beaucoup mieux. Mais il faut s'avancer, et la voix adoucie, Montrer un coeur soumis aux charmes de Lucie. Tu me fais à propos souvenir de mon rôle, Je vais sur le plaintif accorder ma parole. Êtes-vous là, Madame ? Oui, c'est moi, Qui vous reprocherais votre manque de foi, Si je ne vous croyais trop juste et raisonnable Pour perdre un malheureux s'il n'était pas coupable. Ah, ne présumez pas que je m'en ose plaindre, Ma douleur par respect saura mieux se contraindre, Pour grands que soient les maux dont je reçois les coups, Ils me sont précieux puisqu'ils viennent de vous. Posséder votre coeur m'était un bien insigne, Vous m'en voulez priver, je n'en étais pas digne. Je viens de votre bouche en écouter l'Arrêt, Et lui sacrifier mon plus cher intérêt, Heureux, si mon malheur ayant fait tout mon crime, Vous m'ôtez votre amour sans m'ôter votre estime. Vous souffrez qu'en secret un Rival vous adore, Mon malheur, le voilà ; mon crime, je l'ignore ; Mais je ne me puis voir sitôt abandonné Sans m'estimer coupable autant qu'infortuné. En effet, je croirais mériter mon supplice Si je vous soupçonnais de la moindre injustice ; De votre changement je n'accuse que moi, Vous m'avez dû punir, mais je ne sais pourquoi. Ah, c'est trop différer à perdre un misérable, Chercher à l'adoucir, c'est redoubler mon mal. Dites qu'on me préfère un plus digne Rival, Que c'est par mes défauts qu'éclate son mérite, Que de vos premiers feux votre gloire s'irrite, Qu'afin de m'avertir de votre nouveau choix, Vous me souffrez ici pour la dernière fois, Et que loin de vos yeux, pour plaire à votre envie, Je dois aller traîner ma déplorable vie. Ce coup à mon amour sera rude, il est vrai, Mais dussé-je en mourir, je vous obéirai, Avec tant de respect, que ma triste présence Ne vous reprochera jamais votre inconstance. Jouai-je bien mon rôle ? Vus contraindrez longtemps les secrets de votre âme Si pour les découvrir vous attendez Florame, Quoiqu'il montre pour vous beaucoup de passion, Il manquera ce soir à l'assignation ; Quelque obstacle imprévu l'empêche de s'y rendre, Et c'est ce que demain il viendra vous apprendre. Je l'en ai vu tantôt dans une joie extrême. De lui-même. Mais hélas ! Jusqu'où va votre aveugle rigueur ! Vous vouliez devant moi lui donner votre coeur. C'est peu que votre amour comble le sien de joie, Pour mourir de douleur il faut que je le voie. Quel contretemps ! Pour en trouver la cause en vain je m'examine. Tais-toi, j'entends quelqu'un. Tant pis, ce n'est pas là mon compte. Quoi, vous ici ? Tantôt nous avions concerté Que... Oui. L'ardeur de voir Éraste avecque diligence, Et de vous soulager dans votre impatience ; Sûr que quelques soupçons qu'il ait de votre amour, Pour l'en guérir sur l'heure il ne faut qu'un détour. Ma peine cependant s'est trouvée inutile, Et j'apprends de sa Soeur qu'il est encore en ville. Quels ? Cliton, vois-tu bien que j'en tiens ? Lucie aime Florame, et pour le satisfaire, Le voyant, elle a feint qu je cherchais son frère. Qu'il fait bon se fier à ce sexe changeant ! Qu'espérez-vous par là ? Est-ce elle dont pour vous on traite d'Hyménée ? Ami, de chez Lucie on peut nous écouter. Éloignons-nous, ailleurs vous saurez ma pensée. N'en sois point en souci Je saurai m'en défaire à trente pas d'ici. Demeure-là, Cliton. Quoi, tout est disparu ? Certes cela m'étonne, J'oyais ici du bruit, et n'y vois plus personne. En user de la sorte est fort mal procéder, Je ne suis pas venu pour vous incommoder. Mon humeur est d'agir toujours avec franchise, Et j'ai peine à souffrir qu'avecque tant de soin Vous vous cachiez de moi sans qu'il en soit besoin. Quel que soit cet amant, qu'il paraisse, n'importe, Ma passion pour vous n'en sera pas moins forte. Ce serait mal répondre à ce que vous valez, Que ne vous pas aimer comme vous le voulez. Le change a des attraits capables de vous plaire ? Je vous dois adorer inconstante et légère, Autrement m'opposant à l'humeur qui vous plaît, Je ne regarderais que mon seul intérêt, Et confondant l'amour, par un abus extrême, Bien loin de vous aimer, je m'aimerais moi-même. Un reproche si doux ne vous fait point de honte. Mais je vous vois agir comme vous le devez. Il est vrai, parmi nous il n'est point de mérite Qui d'un plus ferme amour ne vous confesse quitte, De tous côtés en foule on vous offre des voeux, Il n'appartient qu'à vous de faire des heureux, Et je tiens qu'en effet vos grâces sont perdues Quand sur un seul Objet elles sont répandues. Un trésor si charmant, d'un prix si relevé, Ne fut jamais un bien pour un seul réservé. Pour moi, dont vos beautés ont captivé l'hommage, J'aspire à votre coeur, mais ce n'est qu'au partage, Je ne prétends point posséder tout entier, Et me contenterai de servir par quartier. Qu'un Rival avant moi vous contait son martyre, Et que si vous avez ensemble à conférer, Je n'y mets point d'obstacle, et vais me retirer. J'ai l'oreille assez bonne, Et discerne aisément dans la voix que j'entends Si... Pour satisfaire à tous vous avez trop d'adresse, Et par un seul billet qui sait répondre à deux, Peut d'un seul rendez-vous exaucer bien des voeux. Non, non, j'en parle encor sur d'autres apparences. En frappant, certain bruit m'a fait juger d'abord Que ce serait hasard si je vous plaisais fort ; On marchait, on parlait, et si je ne m'abuse, J'ai pu entr'ouïr dans une voix confuse, Le voilà, je l'entends, qu'est-ce qu'on en fera ? Je n'en croirai pourtant que ce qu'il vous plaira. Dieux, qu'est-ce que je vois ? Lisette sert ici ! Voici mes amours éventées. Où t'en vas-tu si vite ? Dis. Arrête ta folie. Console-toi, Cliton, la chance en est commune. Oui, si vous le voulez. Il y va de ma gloire De voir... Modérez ce courroux. La mienne est trop valable, Pour être malheureux, je ne suis point coupable. Des Beautés de Lucie éperdument épris, Cette nuit avec elle Éraste m'a surpris, Et ne pouvant alors mieux faire ni l'un ni l'autre, Des murs de son jardin j'ai sauté dans le vôtre. As-tu peur ? Écoute, on parle ici. Et bien ? Qui ? Quoi ? Voilà le stratagème. Par quel rare moyen je m'en suis éclairci ! Vois quelle est ma fortune. Que tu raisonnes mal ! Quoi, tu te figures... Confesse que je sais, Cliton, comme il faut vivre. En quoi te surprend-elle ? On me quitte, et je quitte. C'est aimer à peu près comme il faut que l'on aime. Je ne m'en fâche point. Il est vrai que sur lui je garde assez d'empire. Et mon humeur t'étonne ? C'est ainsi que l'amour jamais ne me surprend, Je le brave, et par là rendant ses ruses vaines, J'en goûte les douceurs sans en sentir les peines. C'est amour, Cliton, et du meilleur. C'est l'amour du vieux temps, il n'est plus à la mode. Il est lourd et grossier. Ma conduite aisément te lèvera ce doute. Examine-la bien. Écoute pour cela ce qu'il faut pratiquer. Avoir pour tous Objets la même complaisance, Savoir aimer par coeur et sans que l'on y pense, En conter par coutume et pour se divertir, Se plaindre d'un grand mal et n'en point ressentir, En faire adroitement le visage interprète, N'avertir point son coeur de quoi que l'on promette, D'un mensonge au besoin faire une vérité, Se montrer quelquefois à demi transporté, Parler de passion, de soupirs et de flammes, Et pour ne risquer rien en pratiquant les femmes, Les adorer en gros toutes confusément, Et les mésestimer toutes séparément. Voilà la bonne règle. Sans colère ; un jour ou deux peut-être Me feront consentir à t'en laisser le Maître, Je ne suis pas encor dépourvu tout à fait, Dorotée est fidèle, et j'en suis satisfait. J'ai su toute l'intrigue. De lui-même, Que retournant chez lui hier soir assez tard, Il s'était à sa porte arrêté par hasard, Que la trouvant ouverte, et la croyant entendre, Seule avec sa Suivante il l'avait pu surprendre, Et qu'à peine il goûtait un entretien si cher, Que son Père frappant on l'avait fait cacher. Vois s'il m'en doit rester quelque scrupule en l'âme. Le bon est pour Florame. S'il brûlait de savoir qui possède son coeur, C'était pour Dorotée, et non pas pour sa Soeur, Si bien que lui contant par quelle tyrannie Lui donnant Dorotée on l'arrache à Lucie, Je l'ai vu prêt soudain de répondre à ses voeux, S'il rompait un Hymen si contraire à ses feux. Là Florame passant, bons Amis, et sans peine, À l'amour qui les pique ils ont donné leur haine, Et par ce doux accord leurs différents cessés, Devant moi sans contrainte ils se sont embrassés. Oui, son Frère y consent, et par mon entremise. Moi ? Comme auparavant. J'en crus bien hier autant de Dorotée, Et cependant, Cliton, je le crus faussement. Peut-être suis-je encor trompé par l'apparence. Vois qu'il s'avance ; J'en puis fort aisément sur l'heure être éclairci. Vous voilà satisfait, tout vous a réussi ? Est-ce pour me jouer que vous parlez ainsi ? Si vous aimez Lucie, elle vous aime aussi. Vous donner rendez-vous à l'insu de son Frère C'est da la passion une preuve assez claire. Et vous osez vous plaindre ? Ah, vous me surprenez. Je vous croyais sans doute un peu plus avancé ; Mais ayant su lever le plus fâcheux obstacle, Nous n'avons pas besoin de consulter l'Oracle, La victoire est à nous, et j'ose m'en vanter. Et bien, Cliton ? Parle, ai-je été trompé ? Et l'apparence ? Enfin doutes-tu si je l'aime ? Encore plus que jamais. Oui, sa maigre beauté n'a plus rien qui me tente, On la souffre au besoin quand la place est vacante ; Faute de mieux... Laisse-là ce Maraud ? Piqué de jalousie à cause que je t'aime, Il tâche à te noircir. Oui, toi-même. Si tu veux l'écouter, il parlera toujours. Tais-toi. Donc, aimable Lisette, Tu fais si peu d'état d'une amour si parfaite ? Si longtemps sans me voir ! Ah, ce m'est un tourment... Ton agréable humeur prend tout en raillerie, Mais je te suis en vain suspect de flatterie. Crois-moi, quand quelque Objet peut s'acquérir mes soins ; Que j'y songe deux fois... Ah, douter de ma flamme, C'est... Tu crois que sa beauté me pique, Va, si mon soin jamais à la servir s'applique... Je m'y forçai pour toi, vois ce que tu me dois. Rien n'est plus vrai. Quoi, tu ne me crois point ? Ah non, encor un coup je te jure ma foi Que je ne la vis hier que pour l'amour de toi. J'ai pour son entretien une haine mortelle ; Mais ayant découvert ta retraite chez elle, Quoique assuré d'y voir un Objet odieux, J'y courus sur l'espoir de te parler des yeux ; Tu n'eusses pas manqué d'entendre ce langage ? Aussi pour m'en venger, Je ne m'étudiai qu'à le faire enrager. J'eus des respects pour elle aussi rares qu'étranges, Et pensai l'accabler à force de louanges ; Mais elle me perdait, tant mon style était haut. Tu prends plaisir à rire. Je n'y puis consentir. J'aurai bien à souffrir. Je n'irai qu'à regret, je te parle sans fard, Et je crois qu'aisément tu te le persuades ; Mais dans cette entrevue observe mes oeillades, Au moindre mot d'amour jette les yeux sur moi, Et quoi que je lui dise, explique tout pour toi. Tu railles. Ah, je t'aime, Lisette, Et pour te faire voir que dans ton entretien Je trouve et mes plaisirs et mon souverain bien, Que vivre sous tes lois est ma plus grande gloire, Tiens... Le temps découvrira ce qui semble caché. Quel Démon te possède ? Qu'est-ce ? Si... mais, que vois-je ? Quoi que j'ose conter ne t'en étonne pas, Nous en rirons ensemble. Je puis donc vous revoir, adorable Lucie ? Quoi, vous me soupçonner de quelque intelligence, Et croyez sa rencontre un secret entretien ? Cliton sait... Si vous croyez ce fou... Quoi donc, c'est tout de bon que vous jurez ma perte ? Aussi sans vanité vaux-je un peu mieux que lui, L'obéissance irait à votre préjudice, Et vous vous obligez en me rendant justice. Quitte de trois soupirs à grossir l'ordinaire. Mais consultez-vous bien avant que d'en rien faire, Surtout, de votre coeur obtenez-en l'aveu. Quoi, vous vous trahiriez, et j'aurais la folie De me donner en proie à la mélancolie ? S'en pique désormais qui voudra s'en piquer. La douleur hier au soir me pensa suffoquer, De Florame et de vous ayant su la pratique, Je vins au rendez-vous, confus, mélancolique, J'y pleurai, j'y gémis, soupirai de mon mieux, Et fis ce que je pus pour mourir à vos yeux ; Mais j'en trouve l'usage un peu trop incommode, Et tiens qu'il n'est rien tel que d'aimer à la mode. L'amour en est plus gai s'il est moins délicat, Et quand on s'y résout, jamais de jalousie, Jamais... Les détourner à gauche est quelquefois le mieux. Faisons que cette règle entre nous soit commune Vivons à coeur ouvert, sans défiance aucune, L'un l'autre sans soupçon croyons-nous sur la foi, Je n'en n'ai point de vous, n'en ayez point de moi. Quand je vous le dirai, croyez que je vous aime, Quand vous me le direz, je le croirai de même ; Tant qu'ainsi nous vivrons notre marché tiendra, Au moindre changement notre marché rompra. Les suivant comme il faut, nous ferions seulement Qu'il serait un plaisir, et non pas un tourment. S'il fallait qu'en effet cette maxime eût cours, Nous serions en danger de mourir tous les jours. Est-il légèreté comparable à la vôtre ? Tout le sexe est changeant, hier l'un, aujourd'hui l'autre. L'exemple est dangereux, je renonce à le suivre. L'entreprenne qui veut, je lui cède le pas. Quand je mourrais pour vous d'angoisse et de martyre, Et que deux ou trois jours on vous entendrait dire, C'était un brave Amant, c'est pour moi qu'il est mort, Hélas ! J'en ai regret : J'y gagnerais très fort. Me préserve le Ciel d'une si triste gloire. Consultez-en mon coeur, ce coeur que vous charmez. Faut-il que j'y consente ? J'obéis. Toi, Cliton... Arrête ici Lisette, et l'oblige à se taire, Promets-lui pour cela tout ce que tu voudras. Oui, je te le promets, J'y renonce, et Lisette est à toi désormais. De bon coeur et sans réserve aucune. Quelque cher que me soit l'honneur que je reçois, Je veux mal aux bontés que vous avez pour moi, Puisque attendu de vous, l'on peut mettre en balance Si je viens par amour, ou bien par complaisance, Et que votre ordre exprès peut faire présumer Que c'est vous obéir, et non pas vous aimer. Vous le pouvez connaître à l'éclat de ma joie. Avec peu de raison. Pour plus de sûreté n'en croyez que vous-même, Consulter votre coeur, il sait si je vous aime. Moins que vous ne pensez, Si vous daignez l'entendre il vous en dit assez ; Et d'ailleurs ce devoir dont mon amour s'acquitte... L'hommage que je rends aux yeux qui m'ont blessé Passerait-il chez vous pour un devoir forcé ? Cet hommage si pur, sans mélange, sans tache, Et qui n'a rien en soi de honteux ni de lâche ? N'en ai-je pas sujet Puisque de mon amour vos vertus sont l'objet, Qu'en vous est le motif qui fait que je vous aime, Et que c'est seulement à cause de vous-même ? Aussi me feriez-vous un outrage mortel, D'attendre moins de moi qu'un hommage éternel. Quoi, vous vous défiez de ma sincérité ? Mais un espoir fondé sur de si grands mérites Trahit qui le soutient en souffrant des limites, Il doit se tout promettre, et sur ce ferme appui Prétendre à tous les coeurs qu'il croit dignes de lui. C'est ainsi que sans crainte et sans émotion Je vois briguer sous-main votre inclination ; Je vous rends mes respects, Éraste vous proteste, Vous avez de bons yeux, qu'ai-je à douter du reste. D'une ou d'autre façon je sais me satisfaire. Je me donne à l'objet dont le choix me préfère, Et quand l'heure d'un tel choix ne tombe point sur moi L'on montre une âme basse, et je reprends ma foi. Un peu trop de scrupule à votre amour est joint. Des termes si communs ne vous regardent point Mais j'entends du bruit. Vous semblez inquiète, Vous regardez... Vous l'avez vue aussi. Elle est entrée ici, Je m'en vais l'appeler. Vous rendre de mon zèle une preuve légère. Madame, qui vous dit que vous soyez coupable ? C'est parler cette fois vous-même contre vous. Trouvez bon seulement que Lisette s'approche. Souffrez... Vous vous alarmez trop. Lisette. Quels embarras jamais furent moins espérés ! Est-ce assez déclamé contre moi ? De grâce, dites-moi le sujet de vos plaintes. Parlez, car je n'ai pas le don de deviner. Ne me condamnez point sans me dire pourquoi. Je vous le dis encor de nouveau, je vous aime. Je vous le dis encore. Je vous aime. Je vous adore. Mais vous cherchez en vain à ne pas l'avouer, Vous me connaissez trop pour douter de ma flamme. Par amour. Véritable. J'aime par connaissance, et non aveuglément. Ma raison se rendant de surprise incapable Sans rien chercher de plus je m'attache à l'aimable. Et le trouvant en elle ainsi qu'il est en vous, Je confonds un amour dont l'appas m'est si doux, Et crois, sans me noircir vers l'une ni vers l'autre, Qu'honorer son mérite est rendre hommage au vôtre. C'est un secret à part. Votre ordre en vain m'en presse, Celle qui me perdrait en mourrait de tristesse. Ah, vous en osez donc faire la dégoûtée ? Voilà mon choix est fait, je suis à Dorotée Me déclarant pour vous, vous en parleriez mieux. Toujours d'un faux orgueil la disgrâce est suivie, Vous verrez ce que c'est que de m'avoir perdu. Vous, à qui désormais tout mon amour est dû, Croyez... Votre coeur est d'accord de cette préférence, N'en faites point la fine, il la croit mériter. Et n'est-ce pas la mode ? Voyez, si tel qu'il est, mon coeur vous accommode. Puisque enfin il est temps que je vous désabuse, Apprenez que l'amour m'a fourni cette excuse. Ne vous emportez point. J'y consens ; il faut bien qu'enfin je me marie. Pourrions-nous autrement finir la Comédie ? C'est la fin de mon rôle, il faut bien le vouloir. Va, nous t'en assurons. **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_FLORAME *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_florame Ami, je suis heureux de vous avoir trouvé, Je vous cherchais partout. Vous découvrir enfin les secrets de mon âme. Vous l'avez deviné. Par mon père à l'hymen je me vois destiné, Et quoique je lui montre une âme irrésolue, L'affaire de sa part en secret est conclue. La personne est aimable, et d'illustre maison, Mais une autre Beauté captive ma raison, Et quoiqu'un grand obstacle à cette amour s'oppose, Mon coeur n'est plus à moi si Lucie en dispose. Avec raison vous vous en étonnez. Cette vieille froideur qui m'éloigne du Frère. Semble ôter à la Soeur les moyens de me plaire, Mais qu'on s'obstine en vain à rejeter la loi De qui pour Souverain ne reconnaît que soi ! L'Amour par tyrannie obtient ce qu'il demande, S'il parle, il faut céder, obéir s'il commande, Et ce Dieu, tout aveugle et tout enfant qu'il est, Dispose de nos coeurs quand et comme il lui plaît. Ainsi malgré l'effort d'une haine endurcie, Je n'ai pu résister aux charmes de Lucie, Quoique pour arriver au but que je prétends Mon espoir le plus doux soit d'espérer au temps. J'en attends ce miracle. Cependant chez Lucie un secret rendez-vous Ce soir offre à ma flamme un entretien fort doux, Sa Suivante au signal me doit ouvrir la porte. Ce lieu m'étant suspect, daignez m'y faire escorte, Aurez-vous ce loisir ? Je vous prendrai chez vous. Quoi, voir tant de respect d'un oeil toujours sévère ? Quand pourrai-je obtenir un traitement plus doux ? Ce coeur brûlé d'amour touche si peu le vôtre ? Quel reproche honteux faites-vous à ma foi ? Donc de ma flamme ailleurs j'ose porter l'hommage ? Quelqu'un auprès de vous me rend mauvais office, Mais en vain pour me perdre on use d'artifice, Je vous aile, Lucie, et le Ciel m'est témoin... Que cette retenue est contraire à ma joie ! J'obéis, mais encor, que faut-il que je croie ? Qu'au moins un peu d'amour suive une telle estime. Ce discours éclairci... Tout est perdu. D'où peut-elle savoir cet Hymen prétendu, Où contre mes désirs mon Père me destine ? Non, elle en craint l'issue aussi de son côté, Et si j'en puis juger aux troubles de son âme, Ce n'est que par devoir qu'elle accepte ma flamme. D'aimer et de mourir Plutôt qu'au changement je songe à recourir. Le récit de mes maux pourra toucher Lucie. Je ne le vois que trop, et c'est mon déplaisir. Aussi n'est-ce pas là que j'ose enfin prétendre, Qu'après tant de refus elle voudra m'entendre. Sa suivante gagnée à force de présents Depuis huit jours près d'elle est de mes Partisans, Et ce soir au signal trouvant la porte ouverte, Je hâterai, Licas, mon triomphe ou ma perte. Dans sa chambre à ses pieds j'irai dans mon transport Demander un arrêt ou de vie ou de mort, Sûr de voir aujourd'hui son amour ou sa haine Par l'un ou l'autre effet mettre fin à ma peine. Ces petits différents où pour peu l'on s'engage, Souvent pour s'assoupir veulent un Mariage. À cela prêt, Licas, poussons l'affaire à bout. Tu mets un si partout, Souffrez au moins que l'espoir entretienne ma flamme. Mais qui dans cette allée amène cette dame ? C'est Dorotée. Ô Dieux ! Coulons-nous doucement. Ami d'Oronte, C'est Florame. J'y viens seulement par curiosité, Par certain mouvement d'une secrète envie, Sans dessein toutefois de parler à Lucie. Mais je la viens d'ouïr qui vous disait adieu ? Quel sujet si tard vous amène en ce lieu ? Sans lui nier que j'aime, il est d'autres moyens... J'y rêve. Pour voir sur quelque Objet sa croyance arrêtée, J'aime mieux hasarder celui de Dorotée ; Peignez-lui son amour si fort sur mon espoir... Tout, s'il l'approfondit. Il pourra découvrir qu'elle m'est destinée. Elle-même, jugez s'il me doit importer... Oui, mais ce n'est pas tout d'avoir gagné le Frère, Votre secours, Ami, m'est encor nécessaire. En vain j'ai cru secret mon hymen prétendu, Ce bruit pour mon malheur n'est que trop répandu, Et l'aimable Lucie en est persuadée, Jusqu'à croire ma flamme une flamme fardée. Vous, que notre amitié fait lire dans mon coeur, Voyez ce cher Objet, combattez sa rigueur, Chassez de son esprit un soupçon qui m'outrage, Et ne dédaignez pas d'achever votre ouvrage. Puisque vous rien cacher serait commettre un crime, Sachez que son amour ne passe point l'estime, Et que ce rendez-vous qui me fait croire heureux, N'était qu'un trait hardi de mon coeur amoureux. À de telles faveurs bien loin qu'elle consente, J'avais par mes présents suborné sa Suivante, Qui, sans qu'elle en sût rien, me devait hier au soir Donner chez elle entrée, et me la faire voir ; Et ce fut la raison qui me rendit facile À quitter un dessein plus dangereux qu'utile ; En vain sans cet abus vous m'en eussiez prêté. Vous ayant pour second j'aurais tort d'en douter. Cependant son accueil, après l'aveu d'un frère, Me va faire savoir ce qu'il faut que j'espère. Ah, plutôt que la vouloir contraindre... Souffrez donc qu'aujourd'hui j'ose me déclarer. Lucie étant l'objet à qui j'ai pu prétendre, J'estime en vain l'honneur de me voir votre Gendre, Je ne puis l'accepter sans infidélité, Mais Éraste... Adieu, ne soyez point jaloux de mon bonheur. **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_ERASTE *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_eraste Et bien plus dans mon coeur. D'une fière Beauté j'ai vaincu la rigueur, Et contre cent mépris mon amour obstinée Est prête enfin de voir sa flamme couronnée. La vertu d'un amant, c'est d'être amant discret. La mienne m'autorise À vous ouvrir mon coeur avec toute franchise. De cet aimable objet qui règle mon destin J'ai reçu pour faveur ce billet ce matin. Quoiqu'il semble à mes voeux promettre peu de chose, J'ai sujet de m'en faire un bonheur par sa cause. Quiconque écrit s'engage, ou laisse à présumer, S'il n'aime pas encor, qu'il n'est pas loin d'aimer. Obtiendrai-je une grâce, et ma joie est parfaite ? Je dois une réponse à ce billet charmant ; Mais sans votre secours je n'y puis satisfaire, Il est écris en vers, et je n'en saurais faire. Chargez-vous de ce soin. C'est m'obliger, adieu. Ami, vous puis-je dire un mot en confidence ? J'ai su confusément Que Florame en secret depuis peu fait l'Amant. Par beaucoup de raisons que je ne puis vous dire, Je tâche à découvrir l'objet de son martyre, Mais comme j'aurais peine à l'épier toujours, Ne me refusez point ici votre secours. Il vous voit, il vous aime, et je ne saurais croire Qu'il vous cache un amour qui ne va qu'à sa gloire. De grâce, en ma faveur tâchez de le savoir. Adieu donc, je vous quitte. Objet le plus charmant dont on puisse être épris. Trouvant la porte ouverte, et vous oyant parler, À cette aimable voix l'amour m'a fait voler. Hélas ! Quoi, sans compassion... Qu'est-ce qu'on ne dit point lorsque le coeur soupire ! Je suis prêt, s'il le faut, d'essuyer son courroux. Je ne sais quel est tout ce mystère. M'avoir ainsi surpris, et me voir sans colère ! Ne pensez pas... Je doute si... Peut-être... Mais... Je n'entends rien à ce qu'il me veut dire. Ils s'adorent, te dis-je, on me l'a fait connaître. Mais je le vois, le traître ! Je n'en saurais douter, C'est Dorotée. Cette nuit au jardin conduit par sa suivante, Je la reconnais trop. L'ingrate ! Il faut suivre ses pas, Car sans doute à dessein sa Suivante est restée Afin de me nier que ce soit Dorotée ; Mais la suivant de loin je rends vains tous ses traits. Pardonnez un abord qui me rendra suspect De manquer envers vous d'amour et de respect, Je suis mon désespoir, et ne retiens qu'à peine Les flots impétueux du courroux qui m'entraîne. Je le suis pour tout autre, et trop d'amour pour vous Est cause... Niez l'ingrat mépris dont vous payez ma flamme, Niez que mon rival puisse tout sur votre âme, Que de vos trahisons mes yeux soient les témoins. Mais du moins Vous tomberez d'accord qu'on peut vous avoir vue Dans quelque confidence au milieu de la rue ? Je vous ai suivie après vos adieux faits, J'en crois mes yeux. Ils ne mentent jamais. Mais pour vous mieux convaincre, et vous couvrir de honte Peut-être il suffira de vous nommer Oronte. Oui, cet amant avec qui vous étiez, Qui vous faisais sa cour, et que vous écoutiez. Le nierez-vous encor ? De votre trahison ce silence est l'aveu. Enfin j'ouvre les yeux pour éteindre mon feu, J'adorais une ingrate, et le Ciel favorable, Pour me désabuser, me l'a fait voir coupable. Je n'y pense que trop, et si je vous accuse... Quoi, me railler encor ! C'est donc là tout le fruit Qu'une flamme si pure à la fin m'a produit ? Après deux ans perdus en devoirs, en services... Votre orgueil envers moi ne se peut démentir, Vous me tirez d'erreur, et j'en veux bien sortir. De l'infidélité ne craignez point la honte, Abandonnez Éraste, et vivez pour Oronte. Je romps mes tristes fers que j'estimai si doux, Et pour ne rien garder qui me parle de vous, Ce billet, dont l'appas avait pu me surprendre, J'en faisais un trésor, je m'ose à vous le rendre. Oui, je vous le rendrai, n'en doutez nullement, Je cours chez moi, Madame, et je vous le rapporte. Voici votre billet, infidèle ; mais quoi, Ma Soeur avecque vous ! Non, non, le sort en est jeté, Mon coeur de cette ingrate abhorre l'Hyménée Cependant je tiendrai ma parole donnée, Venez en voir l'effet, et remenez ma Soeur. **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_DOROTEE *date_1651 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_dorotee La promenade est belle, et ce lieu fort charmant. Aux rendez-vous publics d'ordinaire il abonde, Et surtout, nos galants prennent soin chaque jour D'y venir débiter leur gazette d'amour, C'est-à-dire, Lisette, autant de menteries... Tu dis vrai, c'est ici qu'on nous en vient conter, Et j'y suis comme une autre à dessein d'écouter. Les hommes sont trompeurs, mais quoi qu'on puisse faire, Il faut quitter le monde, ou tâcher de leur plaire, Puisque enfin la beauté n'est qu'un triste ornement Si de la complaisance elle n'a l'agrément. Les plus charmants attraits qui parent un visage Sans cette qualité n'ont qu'un appas sauvage, Ce sont trésors cachés qui ne servent de rien. Pour moi, j'ai ma méthode, et je m'en trouve bien, À plaire aux yeux de tous mon esprit s'étudie, Je tâche d'être belle afin qu'on me le die, Et fais fort peu d'état de ces dons précieux Dont le farouche éclat ne frappe point les yeux. Ce n'est pas toutefois que je sois si facile, La plainte auprès de moi, n'est jamais fort utile C'est en vain qu'on affecte une fausse langueur, L'amour par les soupirs n'entre point dans mon coeur. L'orgueil de notre sexe élevant mon courage, D'un air impérieux j'en soutiens l'avantage, Et ne le croyant né que pour donner des lois, À qui porte mes fers j'en fais sentir le poids, Sur ses propres désirs je règne en souveraine, C'est sans abaissement que je flatte sa peine, Et qu'après un longtemps que l'on m'a fait sa cour, Un peu d'espoir permis est le prix de l'amour. C'est comme il faut aimer pour aimer à la mode ; Pour peu qu'on se relâche, on expose son coeur Aux suprêmes mépris d'un insolent vainqueur. Un Amant que l'on flatte, enflé de sa victoire, De ses soumissions perd bientôt la mémoire, Pour en avoir raison il le faut gourmander, Et s'il n'est à la chaîne on ne le peut garder. Je t'avouerai, Lisette, avec un peu de honte... Mais comme un jour t'acquiert mon inclination, Reçois ma confidence avec discrétion. Sache donc qu'aujourd'hui les hommes sont si vains, Que depuis plus d'un mois peut-être ou davantage, De trois Amants à peine ai-je reçu l'hommage, Puisque sur l'un des trois la qualité d'époux, Quoique encore incertaine, attire mon courroux. En faveur de Florame un Père m'assassine, J'en estime le bien, et l'esprit, et la mine, Mais par quelques serments qu'il m'engageât sa foi, L'esclave me fait peur qui doit être mon Roi. Éraste aussi m'en veut, un galant d'importance, Et propre en un besoin à mourir de constance, Mais si fort hors de mode et du temps de jadis, Qu'il te disputerait à tous les Amadis. Il est vrai que depuis, la défaite d'Oronte D'un triomphe si bas efface bien la honte. Quoi, sais-tu quel il est ? Lisette, qu'il me plaît ! L'air en est noble, aisé, la mine peu commune, Une humeur enjouée et jamais importune, L'esprit aussi charmant que le port gracieux, S'il parle galamment, il écrit encor mieux, À son propre mérite il doit toute sa gloire, Et connaît ce qu'il vaut sans trop s'en faire accroire. Je sens presque pour lui déjà je ne sais quoi, Et s'il continuait à soupirer pour moi, Encor que de mon coeur la garde me soit chère, Je pourrais me résoudre enfin à m'en défaire. Par là juge, Lisette, où j'en suis aujourd'hui Donne-les moi, Lisette, et te prépare à rire. Étant prête à sortir quand je les ai reçus, Il m'a suffi pour lors d'en lire le dessus ; Mais quoique Oronte ait part à la galanterie, La pièce à mon avis vaut bien que l'on en rie. Sache qu'Éraste et lui m'offrent ici leurs voeux, Et qu'à la même lettre ils répondent tous deux. C'est assez de quoi faire un assez plaisant conte. J'écrivais ce matin un Billet pour Oronte, Et voyant que pour l'autre il semblait fait exprès, J'ai voulu l'obliger sur l'heure à peu de frais, J'ai transcrit le billet, et sans cérémonie Régalé son amour d'une belle copie. Son pauvre esprit sans doute y répond de travers, Voici sa lettre, ouvrons. Ô Dieu ! Ce sont des vers, J'ignorais qu'il en fît. Transparente beauté dont le coeur est ouvert... Le ridicule mot dont ce lourdaud se sert ! Et qui me faites voir jusqu'au fond de votre âme... C'est fort bien commencer à dépeindre sa flamme. Laissons-là son billet, et voyons le second. Sans doute en galant homme Oronte me répond, Et je gagerais bien, avant que d'en rien lire, Que la moindre pensée est digne qu'on l'admire ; Son style du premier sera bien différent. Transparente Beauté... Dont le coeur est ouvert... Que veut dire ceci ? C'est le même. N'importe, il faut tout voir, et que je les confronte, Tiens, lis celui d'Éraste, et moi celui d'Oronte. La pièce est concertée, il le faut avouer ; Mais Oronte lui seul me fait ainsi jouer, Éraste est trop grossier... Sans rien faire paraître il faut dès aujourd'hui... Mais Dieux, voici mon Père. Comme il te connaît peu, demeure ici, Lisette, J'épierai de plus loin l'heure de sa retraite. Toi, lorsque tu verras partir notre Vieillard, Joins Oronte, et l'arrête en ce lieu de ma part. Je ne vois plus paraître Oronte ni Lisette. J'éprouve en ce rencontre un bizarre destin, Qu'un Père m'ait contrainte à rebrousser chemin, Et que par un mépris que je ne puis comprendre, Oronte cependant n'ait pas daigné m'attendre. Mais il revient. Gardez, Monsieur, de vous évanouir. Qui vous sers de risée. Il ne sait que ce qu'il doit savoir, Et moi, je ne vois rien que ce que j'ai cru voir. Vous me paraissiez tel que vous devez paraître, Je vous reconnais fourbe, et vous le devez être, Votre sexe en naissant en prête le serment. Si je voulais parler de vos légèretés... Moi, qu'ainsi je m'oublie après un tel outrage ! De vrai, je suis d'avis que je vous satisfasse. Ce n'est pas sans sujet que je suis en courroux. Témoin ce qu'à présent vous venez de me dire. Vous pensiez cajoler une autre à mes dépens ? Ne me reprochez point un simple tour d'adresse Par où de votre amour j'ai connu la faiblesse. Croyant qu'Éraste et vous ne vous déguisiez rien, Pour guérir mes soupçons j'ai trouvé ce moyen, Et la trahison seule avec trop d'injustice Vous en a fait sitôt découvrir l'artifice. L'excuse est assez froide. Enfin vous avez pu me prendre pour une autre, Selon les lois de d'amour c'est un crime d'État, Je n'examine rien après cet attentat, Et veux, pour satisfaire à ma gloire offensée, Vous bannir de mes yeux comme de ma pensée. C'est vous traiter encor trop favorablement. Je le relèverai, perdez-en le souci. Et qui m'en répondra ? Voyons donc, votre fourbe à quoi vous l'imputez. Ce soir chez moi vous me direz le reste : Là, pour mieux m'assurer de vos intentions, J'attendrai vos respects et vos soumissions. Adieu. J'espère voir par là sa fourbe découverte. Mais qu'il tarde à venir ! Ne pouvant me payer que d'une faible excuse, Il peut... Lorsque tu lui parlas, qu'est-ce donc qu'il te dit ? Je ne sais. Mais il est excusable enfin s'il m'a dit vrai, Et si c'est une fourbe, il l'a si bien conduite Que je brûle de voir quelle en sera la suite. Cependant je ne sais ce qui doit m'arriver, Je me cherche en moi-même, et ne me puis trouver ; Mais la porte a fait bruit. Va fermer après lui de peur qu'on nous écoute. Éraste, où venez-vous, et quelle est votre audace ? Mon Père que j'attends la fait tenir ouverte. Retirez-vous, de grâce, ou vous causez ma perte, Il est ici tout proche, et reviendra soudain. Ah, remettez vos hélas à demain. Mais je l'ai de moi-même. Songez-vous que je suis dans un péril extrême ? Le temps presse, sortez ; qui vous peut arrêter ? Vous êtes né, je crois, pour me persécuter. Me regardez-vous toujours sans rien dire ? C'est un triste plaisir d'écouter des soupirs Quand on en peut prévoir de si grands déplaisirs. Sortez vite, vous dis-je, et vous coulez de sorte Que... mais il est trop tard, je l'entends à la porte, Il frappe ; et bien, voyez, que fera-t-on de vous ? Que plutôt mille fois... L'avis est assez bon. Va, mais ouvre en passant. Il semble qu'aujourd'hui vous m'ayez entreprise. C'est fort bien vous tirer d'un pas assez glissant, Que venir m'accuser pour vous faire innocent ; Le trait est d'habile homme, et bien digne d'Oronte. Vos sentiments pour moi sont hauts et relevés. Parlons plus clairement, que voulez-vous me dire ? De cette lâcheté votre esprit me soupçonne, Qu'autre que vous chez moi... Vous avez raison, j'aurais bien pris mon temps. Vous n'aviez pas de moi ce soir parole expresse ? Quoi, sur ce fondement vos lâches défiances... Et je prendrais plaisir à vous laisser tout croire, Si ce honteux soupçon n'offensait pas ma gloire. Mais apprenez enfin, pour ne vous tromper pas, Que j'avais fait tenir ma Suivante ici bas, Et que tandis qu'en haut j'avais l'oeil sur mon Père... Mais la voici qui vient éclaircir ce mystère. Lisette approchez-vous. Prends la faute sur toi, Il m'importe. Qui vous entretenait quand Oronte a frappé ? Vous-même ? Croyez qu'on ne s'est point trompé. Point d'excuse. Un Amant vous parlait ici ? Êtes-vous satisfait ? Ô disgrâce mortelle ! Mon Père vient ici, prends vite la chandelle, Et coule avec moi dans mon appartement. Vous, sauvez mon honneur. Mais du moins attendez que mon âme étonnée Ait pu se disposer à ce triste Hyménée, Et sans précipiter... Mais vous voyez de moi qu'il tient si peu de compte, Qu'à peine... Vous résoudrez en vain cet Hymen odieux, Dans le choix d'un Mari je ne crois que mes yeux. Mais Lisette revient ; Amour prends ma défense. J'attendais ton retour avec impatience. Et bien, l'as-tu trouvé ? Que t'a-t-il répondu ? Parle. Il aurait refusé d'écouter ton message ? Dis-moi donc promptement, que croirai-je de lui ? Sait-il que je l'attends ? Viendra-t-il ? Le verrai-je ? Qui te peut obliger à tenir ce langage ? Est-il fourbe ? Inconstant ? Quoi, devant toi l'ingrat aurait eu l'impudence De mettre lâchement au jour son inconstance, De lui parler d'amour ? Il fourbe donc, le traître ? Mais cette Dame enfin qu'est-elle devenue ? Achève. Et pour savoir son nom tu ne l'as point suivie ? Ton zèle me ravit. Va, tu n'y perdras rien. Admire cependant aux termes où nous sommes Combien j'avais raison de haïr tous les hommes, Puisque Oronte, en faveur de qui ce triste coeur Relâchait un orgueil qui fait tout mon bonheur. Cet Oronte me fourbe, il me joue, il me brave, Et pris en d'autres fers, feint d'être mon esclave. Mais qu'à propos sa feinte a su se découvrir ! Avec ce lâche Amant j'étais prête à m'ouvrir, À prendre son avis pour rompre un Hyménée... Il a beau me presser, malgré ces rudes coups... Florame en un besoin m'y servira lui-même. Pour rechercher jamais cette triste union, Il est trop averti de mon aversion. En vain de nos Vieillards l'impuissante manie Veut sur nos volontés user de tyrannie, Dans toutes nos froideurs l'un et l'autre d'accord, De leur autorité nous craignons peu l'effort. Mais qui ferme la porte, et que prétend-on faire ? Ah, Lucie, est-ce vous ? Il faut donc vous cacher. Veut-on se dépêcher ? Qu'on ouvre. Que croira-t-il de moi ? Prends ma coiffe, Lisette. Votre mauvaise humeur aujourd'hui me surprend, Je croyais votre esprit dans un calme si grand, Qu'aux plus rudes assauts toujours inébranlable, Du moindre emportement vous fussiez incapable. Quoi, je suis l'Objet de ce courroux ? Croyez-moi, vous rêvez, Éraste. Moi ? Vos yeux... Oronte ? Je sers donc ma Rivale ! Ô Ciel ! Quelle surprise à la mienne est égale ! C'est aller trop avant, mais par bonté, je crois Que vous ne savez pas que vous parlez à moi, Et veux bien excuser les chaleurs indiscrètes Qui vous font oublier qui je suis, qui vous êtes, Et qui de ce reproche armant votre courroux, Ne vous permettent pas de bien penser à vous. Quoi, vous continuez ! J'en suis pour vous confuse, Votre raison, Éraste, est sans doute en défaut, Mais sachons qui vous porte à prendre un ton si haut. Oronte, dites-vous, a su touchez mon âme ? Est-ce un crime pour moi que d'estimer sa flamme ? Que vous ai-je promis qui m'en doive empêcher ? Quels serments violés m'osez-vous reprocher ? Si pour grande faveur vous comptez une lettre, À votre vanité cessez de trop permettre. J'aime à donner la baye, et pour la pousser loin, J'écrirais cent billets s'il en était besoin. Vous régalant ainsi je n'ai cherché qu'à rire, Les termes en font foi, vous n'avez qu'à bien lire. Ces devoirs quelquefois tiennent lieu de supplices. Ce sera m'obliger, donnez donc promptement. Je le sais, cependant je soutiens sa querelle. Elle pourrait t'ouïr, ne parle point si haut. Pour venger mon amour, Et donner prompt obstacle aux desseins de mon traître. Il faut adroitement... mais que vois-je paraître ? Enfin, Lisette, Tu vois qu'en mes filets l'un et l'autre se jette. Si leur amour est né du mépris de mes feux, Je saurai d'un seul coup me venger de tous deux. Dans le jardin va retrouver Lucie, Puis lorsque tu croiras qu'Oronte soit ici, Fais-l'en sortir soudain pour y venir ici, Et sur le point d'entrer arrête-la de sorte Qu'elle nous puisse entendre étant à cette porte. Il ne manquera pas de me parler d'amour, Alors, laisse-moi faire, à beau jeu beau retour. Va donc vite, aussi bien je crois déjà l'entendre. Le voici. Me surprendre d'abord avec ce compliment, C'est prévenir ma plainte assez adroitement. Vous-même apprenez-moi ce qu'il faut que j'en croie. J'en soupçonne l'adresse. Souvent un beau dehors cache une trahison. Il m'en fait donc secret. Peut-être étant forcé n'est pas de grand mérite. Vous l'élevez bien haut. Je puis donc m'assurer qu'il durera toujours, Ce rare et digne amour qui de moi prend son cours, Car encor que du temps le pouvoir soit extrême, Me peut-il faire enfin cesser d'être moi-même ? Vous en parlez, ce semble, avec tant de franchise, Que j'ai quelque sujet de craindre une surprise. On hasarde à tout croire avec légèreté. C'est ainsi qu'aussitôt que le vôtre soupire, Il se tient assuré de tout ce qu'il désire ? Vos mérites vous sont un présage assuré D'emporter la balance, et d'être préféré. M'accuseriez-vous bien d'une telle bassesse, Et ce reproche adroit est-ce à moi qu'il s'adresse ? Où ? De l'oeil je cherche ici Lisette, Il m'a semblé la voir. Qu'est-elle devenue ? Dieux ! Que voulez-vous faire ? Toujours d'un vif soupçon votre amour est taché, Mais croyez-vous que chez moi si quelqu'un est caché, Sans m'en avoir parlé, ma Suivante est capable... J'ai lieu de craindre tout d'un naturel jaloux. Vous m'accusâtes hier, et depuis ce reproche... Sous ce prétexte feint vos soupçons imprudents Veulent... Suivez votre caprice, et ne montrez ici... Et bien, Amant volage ? Trompeur. Fourbe. Lâche. Enfin la vérité malgré toutes vos feintes... Vous ne m'avez pas dit que vous brûliez pour moi, Que votre passion allait jusqu'à l'extrême ? Et moi ? Pourquoi donc m'en conter si Lucie a votre âme ? Quel amour ! Et comment ! Mais comme on est réduit à choisir tôt ou tard, Qui vaincra de nous deux ? Il faut se déclarer. Un choix si prompt me met en défiance. Votre inégale humeur me fait toujours douter ; Vous en contez partout. Vous réduire à l'hymen ! Qui l'aurait pu prévoir ? L'aimes-tu ? Elle est à toi. **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_LUCIE *date_1651 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lucie Florame, je ne sais que ce que je dois faire. En cessant de m'offrir ce qui n'est plus à vous. Je ne m'enrichis point des dépouilles d'une autre. Celui qu'un Inconstant doit attendre de moi. Il ne m'est pas permis d'en dire davantage. Quoique je sois d'un sexe estimé peu discret, Florame, j'ai promis de garder le secret. Vous vous justifierez quand il sera besoin. Laissez-moi seule ; ici ma gloire se hasarde, D'un et d'autre côté je vois qu'on vous regarde, Et dans ces lieux enfin un plus long entretien M'est de grand préjudice, et ne vous sert de rien. Que malgré la rigueur qu'à tort vous m'imputez, Je vous estime autant que vous le méritez. Prétendre au bien d'autrui serait commettre un crime. Je vous l'ai déjà dit. Il vous parait obscur, je le veux croire ainsi, Mais si votre âme enfin s'en trouve inquiétée, Vous pouvez à loisir consulter Dorotée, Elle en sait le mystère, adieu. Est-ce Oronte ? Oronte, prenez-vous plaisir à m'alarmer ? Moi, je vous puis trahir, et ne vous plus aimer ! Quelle mortelle atteinte à ce coeur amoureux ! Vous parlez de coupable, et puis de malheureux. Ah, ne me tenez point en suspens davantage, De grâce, expliquez mieux un si triste langage, Et du moins, pour vous plaindre avec quelque couleur, Sachons quel est ce crime, ou quel est ce malheur. La surprise où me jette un reproche semblable... Ce discours me surprend jusques à me confondre, J'en perds la liberté même de vous répondre, Et ne vois aucun jour à me justifier, Lorsque vous vous plaignez sans rien spécifier. Si j'ose toutefois dire ce que j'en pense, Votre douleur, Oronte, a beaucoup d'éloquence, Et je la croirais moins, quoi que vous m'ayez dit, L'effet d'un coeur atteint, qu'un jeu de votre esprit. La douleur véritable, encor que violente, N'a pour son truchement qu'une oeillade mourante. Elle fuit du discours le détour odieux, Et c'est par les soupirs qu'elle s'explique que le mieux. Mais enfin s'il est vrai que je sois une ingrate, Nommez-moi ce Rival pour qui ma flamme éclate, Et pour ne rien omettre à convaincre ma foi, Dites ce que ses soins ont obtenu de moi. Il suffit. C'est donc là ce qui vous rend jaloux ? À Florame aujourd'hui j'ai donné rendez-vous ? Vous le savez de lui sans doute ? À vos lâches soupçons n'avoir rien refusé, C'est mériter fort peu d'être désabusé, Et toute autre en ma place après un tel reproche... Mais je pense entrevoir un homme qui s'approche, C'est mon Frère, sans doute, il faut dissimuler. Vous ne pourrez, Monsieur, aujourd'hui lui parler, L'heure n'est point réglée, et je ne puis vous dire Dans quel temps de la nuit mon Frère se retire. Tous les soirs il me quitte, et ne revient que tard, Adieu. La joie en est commune, et c'est avec regret Que je vous dois quitter la douceur du secret. Vous étiez, je m'assure, en haute confidence ? Donc ce nouvel Objet qui paraît à ma honte... Je sais ce que je vois, Et suis bien résolue à n'en croire que moi. La persécution que pour vous j'ai soufferte, Quand un Frère obstiné pour Florame aujourd'hui... Gardez que pour punir votre présomption, Je n'ose enfin la rendre à son affection. Quoi, ma perte en effet vous toucherait si peu ? Dites à votre mode, en trompeur, en ingrat. Donc sans raison mon âme en est saisie, Et je dois démentir le rapport de mes yeux ? Le véritable amour a des lois plus sublimes, Nous en ferions un monstre en suivant ces maximes. Ah ! Qui dans son amour voit le moindre partage, S'il n'en meut de douleur, doit manquer de courage. Feignez pour mieux fourber de craindre ce malheur ; Mais combien après tout en sont morts de douleur ? À ces fâcheux revers combien n'ont pu survivre ? Pour un si bel effort votre coeur est trop bas. N'est-ce rien qu'acquérir une illustre mémoire ? Cependant, vous direz encor que vous m'aimez ? Voici mon Frère, Ô Dieux ! Enfin songez à me quitter. Oui, je veux qu'avant moi vous partiez de ce lieu, Ne perdez pas de temps, et me dites adieu. Madame, sauvez-moi des poursuites d'un frère. Il tache à me connaître, et son esprit jaloux De quelque promenade est peut-être en courroux. En vain par cent détours, allant de rue en rue, J'ai cru que dans la presse il me perdrait de vue, Il m'a toujours suivie, et marchant sur mes pas M'a contrainte à la fin, pour ne me perdre pas, D'entrer ainsi chez vous, où j'implore votre aide Pour trouver à ma crainte un assuré remède. Connaissez qui le cherche. C'est moi que le chagrin d'un Frère trop jaloux... Mais il frappe déjà ; pour me servir d'asile, Feignez de revenir maintenant de la Ville. Je vous laisse ma coiffe. J'entre ici. C'est Oronte ! Ah ! L'ingrat ! L'infidèle ! La voici. Rassurez votre esprit, c'est à tort qu'il s'étonne. Et bien, perfide Amant ? Entre nous tour à tour votre coeur se partage ! Parjure. Âme double et sans foi. Traître. Après tant de serments, tant de promesses fausses... Quoi, nos plaintes, ingrat, peuvent vous étonner. Nier des trahisons qui sont en évidence, À l'infidélité c'est joindre l'impudence. Quoi, vous l'aimez, parjure, après m'avoir cent fois Juré que votre coeur se rangeait sous mes lois ? Qu'un fort amour pour moi... Vous m'aimez ? Voyez l'effronterie ; à nos yeux nous jouer ! Vous pouvez sans scrupule ailleurs vous engager. Vraiment, vous valez bien qu'on y daigne songer. Je lui cède sans peine un bien si précieux. En effet, son bonheur est fort digne d'envie. De moi ? Que dites-vous ? C'est ce que je dénie, Mon amour est un bien qu'il ne peut espérer. **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_LISETTE *date_1651 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Voici l'heure à peu près qu'on y voit le beau monde. Donc le bureau d'adresse en est aux Tuileries ? Vous vous y gouvernez d'une étrange méthode. Et dans cette rigueur vous trouvez votre compte ? Si ce jour est trop peu pour vous marquer mon zèle, Le temps vous fera voir que je vous suis fidèle, Et que votre secret est sûr entre mes mains. Ce cavalier vous sert ? Je l'entends estimer. L'un de ces deux billets ne vient donc pas de lui, Puisque sans demander seulement à les lire... Comment ? Ce sont vers de ménage, Chacun communément en fait pour son usage. L'autre croyait bien dire avec son Transparent. Le mot est bon, je pense, Puisque Oronte lui-même use de transparence. En effet je le croirais ainsi. Transparente Beauté dont le coeur est ouvert, Et qui me faites voir jusqu'au fond de votre âme, Je confesse à ce coup que je suis pris sans vert, Voyant qu'à peine encor vous y logez ma flamme. Je la croyais pour elle un Palais assuré, Où vous songez bientôt à la traiter en Reine, Car enfin j'ai pour vous souffert, gémi, pleuré, Et ma langueur en est une preuve certaine. Je ne veux pas pourtant supputer avec vous, Ce que vous proposez irait à votre honte, Si pour chaque tourment dont j'ai senti les coups, Il vous fallait tirer une ligne de compte. De mes brûlants soupirs vous riez toutefois, Quoiqu'en foule souvent vous connaissiez qu'ils sortent, Votre coeur toujours ferme en dédaigne le poids, Mais tout légers qu'ils sont, gardez qu'ils ne l'emportent. Ma pensée est la vôtre. Et son style est-il bien différent de l'autre ? Oronte est avec lui. Elle me laisse à faire un joli personnage. St, st, mon Cavalier, tournez un peu visage. C'est moi ; ne me voyez-vous pas ? Le compliment est doux, et c'est bien débuter. Nous nous aimons l'un l'autre ? Et bien, je le crois donc puisque vous me le dites. C'est réciproquement l'effet de nos mérites, Mais j'avais jusqu'ici vécu sans le savoir. Vous ne manquez jamais à trouver vos défaites. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je sais qui vous êtes, Et que j'ai reconnu que votre affection D'ordinaire est un peu sujette à caution. Me trompai-je ? Tout doux, Je sais trop de quel bois on se chauffe chez vous. Écoutez seulement un message qui presse. C'est de votre maîtresse. Sans doute, il est bon là Dorotée... Souffrez... Vous pensez vous railler, Monsieur, mais sur ma foi, J'en vaux bien tout au moins une pire que moi. J'en crois plus encor que vous n'en sauriez dire, Et n'en fais point ici la sucrée avec vous. Mon visage a des traits qui ne sont pas si doux, Mais d'ailleurs leur rudesse est assez réparée Pour ne me croire pas tout à fait déchirée. Cet air n'est pas tant sot, ce port est peu commun, Et la coiffe abattue on me prend pour quelqu'un. Voyez. Si Cliton me connaît, que dira-t-il de moi ? Contre moi sa colère aura peine à tenir. Mais que fait ma Maîtresse à ne point revenir ? Pour aller la rejoindre il faut faire retraite. La porte est entrouverte, Et d'ici là dehors la lumière paraît. Croyez-vous qu'il y manque, ou qu'il passe tout droit ? Non, en tel cas qui ne dit mot s'accuse. Allez, ne croyez point qu'il manque assez d'esprit... Que vous le ravissiez, qu'il vous fallait attendre, Et peut-être à dessein s'est-il voulu méprendre. Encor, qu'en croyez-vous tout de bon ? C'est Oronte sans doute. Me trouvant avec elle, il sera bien surpris. Voici bien du ménage, un autre a pris la place. Pour vous tirer de peine, Jusqu'au fond du jardin souffrez que je le mène. Là, vous n'en craindrez rien. Vaux-je encore à vos yeux cinquante Dorotées ? Moi ? Me prend-on... Ah, ma chère maîtresse. Je le confesse. Nous avons l'un pour l'autre un peu d'affection, Mais par ma foi, ce n'est qu'à bonne intention, Il sera mon mari. Quoi, Cliton ! Vraiment, Monsieur Cliton, vous avez bonne grâce. Lisette un pis-aller ? C'est tout ce qu'elle vaut ? Ainsi... Va, j'ai trop bien ouï. C'est donc faute de mieux qu'à la montre je passe ? Je le crois. Vous l'aimez pour le moins. Voyez, j'aide à la lettre. Non, non, je me crois bien avant dans votre âme, Mais votre amour pourtant n'est chez moi qu'en dépôt, Et je cours grand hasard de le rendre bientôt. Ma Maîtresse... Vous la vîtes donc hier pour la dernière fois ? Pour moi ? C'est là donner des vôtres. Vous en savez bien d'autres. Que vous êtes subtil et fait au badinage ! Vous la trouvâtes seule ? Vous pourrez aujourd'hui réparer ce défaut, Elle veut vous parler, et je viens vous le dire. Dépêchez, suivez-moi. Non, elle vous attend, et doit vous avertir Lorsque vous la verrez... Il le faut ; voulez-vous lui laisser quelque ombrage Que j'aie osé manquer à faire son message ? Allez, j'y prendrai part. Je n'y manquerai pas, votre affaire vaut faire. Comme vous. Vous m'en diriez tant que je vous pourrais croire. La fâcheuse rencontre ! Il resserre sa bourse. Il faut franchir le pas, L'espoir de son présent à tarder me convie. Cliton. Quoi, tu fais le sévère ? Tu gardes ta colère, Cliton ? Regarde-moi. Mais... Tu m'abandonnerais, toi que met hors de mise Ton poil déjà grison, et ta nasillardise ? Tu m'abandonnerais, moi que tu ne vaux pas, Moi dont un monde entier adore les appas, Moi dont tu vois l'amour à l'envi poursuivie Faire qu'on te regarde avec un oeil d'envie, Enfin moi qui m'abaisse à t'aimer... C'est aussi par tes dons qu'on me voit si poupine. Oui, mais pour des paroles, Sans rien donner de plus, j'attrape des pistoles. Cliton, parlons Français au lieu de se quereller. Tu connais mon humeur, tu connais ma méthode, J'aime à changer d'habits, j'aime à suivre la mode, J'achète tous les jours quelque meuble nouveau, Je fais couper, tailler, et toujours du plus beau. Tantôt cher le Mercier, tantôt chez la Lingère, Et tant que j'ai de quoi je ne l'épargne guère. Vois-tu bien ? Cela coûte, et tant d'ajustement Ne se fait ni par sort ni par enchantement. Tes gages, quels qu'ils soient, à peine sont capables De me fournir de gants et de nippes semblables, Et si je ne souffrais qu'on m'en contât un peu, Je viendrais au rabais, ou je jouerais beau jeu. Ne suffit-il pas de savoir que je t'aime ? En douter, c'est te tromper toi-même, Tu le vois trop. Je soupire pour toi plus de dix fois par jour. Estimes-tu si peu ces marques de ma flamme ? Je perds temps avec toi, tu n'aimes qu'à jaser, Et tes sottes raisons ne font que m'amuser. Adieu. Au lieu d'une cent fois. J'en viendrai bien à bout, repose-t'en sur moi. Peux-tu me les donner ? Je tairai son infidélité. Voyons donc ton argent. Quoi ! Les vingt écus ne sont qu'en espérance ? Ô la bonne assurance ! Va, crois que de ce pas je vais la détromper. Je l'ai trouvé tout ensemble et perdu. Vous ne connaissez pas encor le Personnage. Il sait trop pour cela comme on vit aujourd'hui. Sans doute qu'il viendra, mais gardez-vous du piège, Et si vous m'en croyez, rendez-lui de grand coeur Fleurette pour fleurette, et douceur pour douceur. Ne vous engagez point plus avant qu'il s'engage. Je ne sais ce qu'il est. Mais vous en jugerez, écoutez s'il vous plaît. Nous nous sommes l'un l'autre aborder dans la rue, Où me riant au nez aussitôt qu'il m'a vue, Avecque tant de joie il est vers moi couru Qu'à bon escient pour vous je l'ai jugé féru. Même chose à l'ouïr ; d'abord, toute assurance De ne sortir jamais de votre obéissance, Mais à peine pour vous il me vantait son feu, Qu'une Dame arrivant, c'est là le beau du jeu. Sans dire quoi ni qu'est-ce, au mépris de sa flamme, Le causeur est allé lui chanter même gamme, Et sur l'heure à mes yeux sans autre compliment S'est mis à cajoler fort gracieusement. Oui, vous dis-je, à mes yeux. Il s'y connaît des mieux. Après l'avoir longtemps entretenue, Tout à coup (mais sans doute ils l'avaient concerté) Ils ont tiré tous deux chacun de leur côté. Je l'ai tâchée, Madame, et j'en brûlais d'envie, Mais le valet d'Oronte a rompu mon dessein, Qui m'ayant su couler quelque douceur en main Pour arrhes qu'il ferait encore tout autre chose, M'a promis monts et vaux moyennant bouche close ; Mais moi, Sachons un peu pour qui vous me prenez, Puis lui jetant soudain ses écus d'or au nez, Va, maroufle, ai-je dit, je ne suis point traîtresse, Et ne sais ce que c'est que vendre ma Maîtresse. Si j'ai besoin d'argent, sans lui manquer de foi, Elle en a de réserve et pour elle et pour moi. Alors si contre lui j'eusse cru mon courage... Je pétillais de rage. Moi, vous trahir ! Vous vendre ! Ô qu'il s'adressait bien ! Il aurait pu m'offrir... Vous l'espérez en vain, la parole est donnée. Votre Père vous presse, et pourra tout sur vous. Mais Florame lui plaît, il le souhaite, il l'aime. Savez-vous... Elle a beau faire, elle payera la dette. Et bien, le Ciel enfin vous rit de bonne sorte ? Celle dont je parlais, la rivale Beauté À qui le fourbe Oronte a si bien protesté, Elle est entre vos mains, la voulez-vous plus belle ? J'en ai tantôt souffert, mais à présent il faut... Madame, elle n'a garde, elle est trop éloignée. Jusque dans le jardin sa crainte l'a menée. Où pour vous rendre grâce elle attend mon retour ; Je l'y viens de quitter. C'est Cliton. Ton Maître tarde bien. Oui, va. Qu'il ne craigne rien. Le bonhomme est sorti, qu'il vienne. Mais suivant les transports de votre jalousie, Gardez... L'appas est délicat, vous l'y pourrez surprendre. Un Cavalier, madame, est encore avec elle ; Demeurez. Non, non, il tient encore à moi Peux-tu m'entretenir l'état de Demoiselle ? As-tu de quoi ? J'en doute. Voyons compter l'argent, et puis nous parlerons. **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_CLITON *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cliton Oui, Monsieur. En main propre. Au contraire, Sans se faire prier elle l'a lue entière. Du plus fort de ses traits l'Amour pour vous la blesse, Et vous avez, Monsieur, plus d'heur que de sagesse. Dans cet amour nouveau Vous avez vent en poupe, et voguez en pleine eau, Vous pourrez aller loin de l'air dont on vous traite. Voici de quoi guérir une si vaine peur. Lettre pour lettre, et faveur pour faveur. Au moins pour vous la rendre Chez elle assez longtemps elle m'a fait attendre, Et ce billet enfin entre mes mains remis... Les femmes aujourd'hui mettent le nez partout. Vous chantiez un peu haut, elle vous rend le change ? C'est vous payez sur l'heure en la même monnaie. Vous avez en amour le goût bien dépravé. Mais Flore, qu'en est-il ! Mais vous aimez pourtant, Monsieur, qu'on vous maltraite ? C'est une vérité dont on ne doute pas. Grâces au Ciel, Monsieur, vous avez l'âme bonne, Et qui plus est, le don de ne haïr personne. Vous. Je vous connais mieux que vous ne croyez. Votre humeur est d'aimer tout ce que vous voyez, Et c'est pour Dorotée un bien fort inutile Qu'un coeur à partager avec plus de deux mille. Je dis ce que je vois. Le parti donc pour elle est encore assez doux, Si n'en aimant que trois... Sans doute il a quelque chose à vous dire. La prière est galante. Si j'ose en dire mon avis, En lui si c'est sottise, en vous c'est encor pis. Aussi, Monsieur, j'enrage Que vous mettiez pour lui vos talents en usage. Quand près de quelque objet vous jurez quelquefois, Quoiqu'en pleine santé, d'être presque aux abois, Et que vous débitez les plus douces fleurettes Pour mieux peindre des maux qu'à plaisir vous vous faites, Je n'en murmure point, et je vois sans courroux, Du moins si vous mentez, que vous mentiez pour vous ; Mais qu'un faible intérêt l'emportant sur le vôtre Vous fasse encor résoudre à mentir pour un autre, Comme si c'était peu, pour vous de vos péchés... Car enfin savez-vous les sentiments cachés. S'il est amant, peut-être est-ce à dessein de rire, Et vous irez jurer qu'il languit, qu'il soupire ? C'est prévoir de bonne heure à tout, et d'assez loin. Peut-être s'en rit-on. Sans doute, ou ce Billet ressemble fort au vôtre. Vous êtes à peu près chaussés à même point. N'importe, Dorotée a beau faire la fine, Vous l'avez deviné, tout son fait n'est que mine, Et l'orgueil de sa Lettre à dessein affecté Tend un piège secret à votre liberté, Elle brûle, et l'Amour lui seul la fait écrire ? Ah, si devant un Maître un Valet osait rire... Mettez le masque bas, déjà pour vous j'enrage. Que sert à mauvais jeu de montrer bon visage ? Pestez, le mal redouble à qui se contraint tant. Vous êtes, Dieu merci, de vous assez content, Et vous voir pris pour dupe où vous pensiez y prendre. Croyez-moi, c'est un cas, Monsieur, à s'en aller pendre. Conservez cette humeur, vous en aurez besoin. Hilas, tant qu'il vécut, ne l'entendit pas mieux. Votre coeur à ce compte est d'un bon revenu ? En ceci le partage est un étrange point. Donnez-le tout entier, ou ne le donnez point, Votre flamme autrement sera mal écoutée, Et Lucie agira comme a fait Dorotée. Quel est-il ? Et ce défaut est grand ? Vous y savez, Monsieur, d'admirables rubriques, Pour y raffiner tant vous avez bien rêvé. Voilà mon galant Homme avec un pied de nez. Elle est modeste et sage, Et le plus défiant n'en prendrait pas ombrage, Sa conduite est réglée, et sans ce grand défaut Qui la fait vous aimer un peu plus qu'il ne faut, Elle serait seconde en qualités exquises ? Jamais d'un autre Amant elle ne fit de cas ? Dites encor, Monsieur, que vous n'enragez pas. Pourquoi déguiser de la sorte ? Vous enragez, vous dis-je, ou le Diable m'emporte. Verriez-vous sans dépit deux Amours à vau-l'eau ? Quoi, vous leur parlerez ? Pour vous voir à toute heure on ne vous connaît pas. Et vous pensez trouver qui vous écoutera ? Et vous entrâtes ? Avant que d'avancer, encor un mot d'avis. Elle est gaie ? Et s'appelle ? Passez votre chemin, votre visite est faite. Passez, vous dis-je, et n'y prétendez rien, Personne n'a qu'y voir. Je le sais bien. C'est adresse. Que trop ; c'est ma Maîtresse. À mon plus grand regret. Ses beaux habits, Monsieur, mangent mon petit fait, Et comme à plus fournir ma bourse est impuissante, D'aujourd'hui seulement elle sert de Suivante. C'est dont ce soir je dois être averti ; Il est bon cependant que vous preniez parti, Car si tout votre espoir en Lisette se fonde, Soyez sûr que pour vous il n'en est plus au monde. Votre coeur est vacant, et par provision Vous le pouvez louer s'il s'offre occasion. Il peut de mille voeux se voir importuné, Mais qui n'en croira rien ne sera pas damné. Ne me vantez plus tant désormais vos adresses, Ce matin même encor vous comptiez trois Maîtresses, Qu'il semblait que pour vous l'Amour poussât à bout, Et voilà qu'un moment a fait rafle de tout. Vous faites bien, Monsieur, de vivre d'espérance ; Tout mal semble léger à qui s'en peut nourrir. Vous vaincrez partout, si je m'y connais bien. N'est-ce point là mon Maître avecque ma coquine ? Il faut qu'il lâche prise, ou qu'il dise pourquoi. Monsieur, et vite et tôt, j'en suis tout hors d'haleine ; Déjà peut-être ils ont gagné la plaine. C'est pour s'aller battre ; et vite, à leurs secours. De Florame et d'Éraste. Ah, gueule revêtue ! Les plumets donc aussi vous donnent dans la vue ! C'est assez que de vous. Moi, je n'irai pas, S'il fallait dégainer ? On t'épargne un beau coup, j'allais t'apprendre à vivre. Mais, Monsieur, si Lucie... Que faire donc ? Par signe eussiez-vous pu connaître Qu'elle veut cette nuit vous voir par sa fenêtre, Et si je n'eusse ainsi mis l'alarme au quartier... J'eusse pu l'oublier, Vous savez déjà que je suis d'assez courte mémoire. Qui l'eût jamais pu croire ? La gueuse encore l'attend. Pauvre souffre-douleur ! Au Diable devant moi le mot qu'elle répond. Que vois-je là ? Lisette est métamorphosée ! Sur le point de se rendre elle en a fui la honte, Et cru qu'il valait mieux attendre que la nuit... Mais je commence enfin à voir ce qu'elle fuit. Ne le demandez plus puisque Éraste s'avance. Avez-vous grande envie Qu'il sache que Florame est épris de Lucie ? Mais l'autre rendez-vous, comment y satisfaire ? Car Dorotée enfin prétend... Ah, Monsieur, que ne suis-je aussi content que vous ! Je voudrais bien, Monsieur, en pouvoir dire autant, Mais d'un étrange mal je sens la rude attaque. Mon humeur est hypocondriaque, Et ce mal d'autant plus me tient avant au coeur, Que peu de Médecins savent guérir l'honneur. Au contraire, Monsieur ; si je suis en courroux C'est bien plutôt de voir qu'elle se sert de vous. C'est ce que j'appréhende, et que par votre adresse, Vous ne m'alliez donner des lettres de Noblesse. J'ai peu d'ambition, Monsieur, et franchement Je me passerais bien de l'ennoblissement. Vous m'en faites cent fois plus que je n'en demande. Oui, mais pour m'obliger, jusques à ce beau jour Vous me ferez l'honneur d'ennoblir mon amour ? Je vous devrai beaucoup. Vos générosités vous mettront dans l'Histoire. Puisque vous y trouvez de si grands avantages, Prenez-la pour toujours, et redoublez mes gages ; Aussi bien d'aujourd'hui j'en suis fort dégoûté. Vous avez à tel point enflé sa vanité, Que par mépris, la Gueuse oubliant sa promesse, Ne m'a point averti du nom de sa Maîtresse. Ah, j'ai tort ; mais Monsieur, quoique je la révère, Comme un Objet fameux pour avoir su vous plaire, Et qu'après le haut rang où votre amour la met, Je n'en doive parler que la main au bonnet, Si dans quelque logis jamais je la rencontre, Ou qu'en passant chemin le hasard me la montre, Ne puis-je point alors en toute humilité, Avec tous les respects dûs à sa qualité, Pour la remercier de ses humeurs gaillardes, Lui donner seulement trois ou quatre nasardes ? Mais Lisette encor plus ? Vous me rendez confus. Pour le moins Dorotée... Je ne sais donc comment vous avez l'âme faite, Tout maintenant... Donc, Lisette cessant de s'offrir à vos yeux... Quand vous faites dessein de lui parler si doux, Vous souvenez-vous bien que vous êtes jaloux ? Admirablement bien ; Vous feriez au besoin un grand Comédien. Il est assez gaillard. Pour fin que vous soyez, Monsieur, on vous affine ; Dans l'esprit de fourber on voit que vous parlez, Et l'on vous plante là pour ce que vous valez. Qui vive ? La meilleure en effet ne vaut pas grand argent. Du second rendez-vous l'heure sera passée, Songez à vous, Monsieur. Ah, ah, bonne hypocrite, Ton Mari ? Chercher ce mari qu'on s'est attribué, Je reviendrai sitôt que je l'aurai tué. Dans mon infortune... Monsieur, nous voilà pris. Diable, du sauvement ! Elle nous laisse seuls. Gagnons au pied si vous m'en voulez croire, Autrement il viendra quelque méchant garçon Qui nous étrillera de la bonne façon. Mais c'en est déjà fait. Avant que de tuer, Monsieur, écoutez-nous. Jamais en moins de temps je ne fis tel chemin. Ah, Monsieur, donnons-lui le bonsoir. Moi ? Non pas, mais j'ai peu de courage. Partout flamberge au vent vous trouvez bien passage. Vous vous échapperez, et le pauvre Cliton, On l'enverra dormir à grands coups de bâton. Il ferme cette porte ; ah, tout mon sang se glace. Consolez-vous, Monsieur, la chance en est commune. Moi ? J'y perds mon latin et toutes ses mesures, Et pourrais raisonner jusques au Jugement. Que j'y perdrais encor tout mon raisonnement. Vous allez si beau train qu'on ne vous saurait suivre ; Quant à moi, j'y renonce. Après les rudes coups Que vous reçûtes hier à vos deux rendez-vous, Qui n'aurait pas juré que dans votre colère Vous eussiez dû maudire et l'Amour et sa Mère, Soupirez et gémir tout le long de la nuit, Ne sortir de trois jours, et peut-être de huit, L'esprit chargé d'ennuis, le coeur gros d'amertume ? Cependant vous voilà plus gai que de coutume, Vous chantez, vous dansez, vous faites l'entendu, Et vous semblez n'avoir ni gagné ni perdu. Votre façon d'agir est bien hétéroclite. Si l'on montre pour vous quelques légèretés, On ne vous rend, Monsieur, que ce que vous prêtez. Et Maîtresse, et Suivante, et blanche, et brune, et blonde, Vous vous accommodez de tout le mieux du monde, Votre haut appétit en prend à gauche, à droit, Et rien à votre goût n'est trop chaud ni trop froid. Aussi commence-t-on à vous aimer de même. À vous parler sans fard, Je crois que votre amour est quelque amour bâtard. Plus je vous examine, et plus je vous admire. Tantôt l'oeil vif et gai vous faites le Galant, Tantôt morne et pensif vous faites le dolent ; Ici l'air enjoué vous contez des merveilles, Là de soupirs aigus vous percer les oreilles, Je m'y laisse duper moi-même assez souvent, Vous pleurez, vous riez, et tout cela du vent. Quels tours de passe-passe ! Je n'en connu jamais de si Caméléonne, Chaque objet lui fait prendre un jeu tout différent. Quoi, donner tout ensemble et reprendre son coeur, C'est amour ? Mais l'Amour, n'est-ce pas une ardeur inquiète, (Car si j'y suis Grec depuis que j'en tiens pour Lisette.) Un frisson tout de flamme, un accident confus, Qui brouille la cervelle, et rend l'esprit perclus, Une peine qui plaît encor qu'elle incommode ? Il n'est plus à la mode ? Que faut-il faire donc pour le modifier ? Ma foi, je n'y vois goutte ; Si vous voulez m'instruire, il faut mieux s'expliquer. Ô la haute science ! Vous savez de l'amour tirer la quintessence. N'importe, pour Lisette avisez, tout ou rien, Songez pour elle-même à lui vouloir du bien, Autrement... Mais Éraste caché fait assez voir qu'on l'aime ? Et de qui ? Vous êtes né coiffé. De sorte que Lucie à Florame est acquise ? Vous ne la verrez plus ? Mais elle vous endort d'un espoir décevant, Et tandis qu'autre part sa franchise arrêtée Fait voir... Mais celle-ci, Monsieur, vous fourbe apparemment. Quoi, vous croyez Florame assez... Lui sait-il finement tirer les vers du nez ? J'entends. Pas trop. Elle m'avait dupé, Lucie est toute à vous ; mais quoi qu'on puisse dire, Vous êtes en adresse un redoutable Sire, Et le diable qui met vos péchés en écrit, S'il n'en oublie aucun, doit avoir de l'esprit. Qui tombe entre vos mains, garde le stratagème. Enfin Lucie... Fort bien. Et Dorotée ? Vous allez donc bientôt laisser Lisette en paix ? De mieux ? Ah, Monsieur, parlez bien. Hors pour un pis-aller Lisette ne vaut rien, Et c'est faute de mieux qu'à la montre elle passe ! Me voici bien logé. Moi ? Monsieur. Voyez le filoutage. Foi de Cliton. Tu m'as changé le ton. Je l'ai dit en fausset, et tu l'as pris en basse ? Que je puisse... Voici de ses détours, Charge tout, j'ai bon dos. Gardons-nous de l'ennoblissement. Ma noblesse s'avance, on conclut le marché. Je n'en puis plus, holà. Presque à tous accidents vous savez bon remède, Daignez ma faire grâce, et m'accorder un point. Faites, Monsieur, que je n'enrage point. Bon, voici quelque ressource. Oui, mon Maître est un amant de bien. Il lui parlait d'amour, mais c'était pour mon compte. Que faut-il encor faire ? De quel air me prendrai-je à faire le mauvais ? Point de quartier. Va te pourvoir ailleurs. Oui, je la garde, et la garderai bien. Non. Je n'en rabattrai rien. Enfin toi Qui rends ma bourse nette, et te moques de moi. Diable je t'appréhende, et ta chienne de mine. À présent devant moi tu prends des libertés Qui refroidissent bien mes libéralités, Chacun t'en vient conter. Et par cette raison je m'en dois consoler ? C'est bien fait, mais viens ça, dis-moi quels avantages Jusqu'ici j'ai trouvés à te donner mes gages. Pour toi de jour en jour ma passion s'accroît, Et je ne t'ose encor toucher le bout du doigt. Tu m'aimes ! J'ai donc la berlue en amour. C'est un grand réconfort à soulager une âme. C'est toujours mieux que rien, mais parlons franchement. L'Amour, comme tu sais, est un enfant gourmand. Et pour rassasier sa faim trop convoiteuse, Je trouve des soupirs une viande bien creuse. Dis-moi, ta langue est-elle mercenaire, Et pour vingt écus d'or te voudrais-tu bien taire ? L'effort est grand pour toi. Oui, j'en ai charge expresse, Si tu retiens ta langue auprès de ta Maîtresse. Mon Maître... Il n'est pas bien compté. J'en répons, que t'importe ! Garde aussi qu'il ne sache à son tour t'attraper. Lisette. Peut-il entrer ? Mais... Quoi, Monsieur... De bon coeur ? Grand merci, maintenant poussez votre fortune. Sans doute Éraste est là-dedans. Tenez ferme, Monsieur, ayons-en l'âme nette, Pour n'être plus leurrez d'un Mari de Lisette. Voici bien des Marchands, la foire sera bonne. Vous avez l'esprit bon, vous vous en tirerez. De crainte d'accident, Monsieur, tirons nos chausses. Si la moindre des deux nous sautait au collet, Adieu, ce serait fait du maître et du valet. Cette conclusion est encore imparfaite ; Il faut, pour bien finir, que j'épouse Lisette... Je m'en meurs, Madame. Ah, mignarde. Que trop. N'en soit point en cervelle. C'est à tort. **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_LICAS *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_licas Est-il rien si secret, Monsieur, qu'on ne devine ? Peut-être Dorotée en a fait vanité. Quel est donc votre espoir ? Oui, mais où lui parler sans que l'on nous épie ? Comme son Frère et vous vous êtes ennemis, Chez elle aucun accès ne vous sera permis, Et la voir seulement au temple, ou dans la rue, Où chacun est témoin d'une telle entrevue, N'est pas pour l'obliger d'écouter à loisir... Mais quand vos coeurs unis auraient mêmes souhaits, L'apparence qu'Éraste y consente jamais ? S'il arrive d'ailleurs... **** *creator_corneillet *book_corneillet_amouralamode *style_verse *genre_comedy *dist1_corneillet_verse_comedy_amouralamode *dist2_corneillet_verse_comedy *id_LISTOR *date_1651 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_listor Une Dame avec lui... Elle s'en va.