**** *creator_crebillon *book_crebillon_semiramis *style_verse *id_SEMIRAMIS *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_semiramis Je triomphe, Bélus : une heureuse victoire Comblerait aujourd'hui mes désirs et ma gloire, Si le sort, dangereux même dans ses bienfaits, Ne m'eût fait triompher de mes propres sujets. Verrai-je encor longtemps la rebelle Assyrie Attaquer en fureur et mon sceptre et ma vie ? Vous, de qui la vertu soutenant le devoir Contre mes ennemis fut toujours mon espoir, À qui j'ai confié les murs de Babylone, Ou plutôt partagé le poids de ma couronne, Mon frère, je ne sais, malgré ce nom si doux, Si mon coeur n'aurait pas à se plaindre de vous. Je sais, Bélus, que de vos soins fidèles Je dois mieux présumer ; mais enfin les rebelles De mes desseins contre eux sont si bien informés, Qu'ils sont tous prévenus aussitôt que formés. On me trahit : c'est tout ce que je puis vous dire. Allez, c'en est assez. Et vous, qu'on se retire. Princesse, demeurez. L'aimable Ténésis Sait qu'elle fut toujours chère à Sémiramis. Je vois qu'on me trahit, et je crains votre père, Mais sans le soupçonner d'un odieux mystère ; Et quand même il aurait mérité mon courroux, Mon injuste rigueur n'irait point jusqu'à vous. Et voilà ce qui met le trouble dans mon âme, Et qui me fait rougir d'une honteuse flamme. Agénor inconnu ne compte point d'aïeux Pour me justifier d'un amour odieux. Le voilà, ce vainqueur redoutable, Qu'un front sans ornement ne rend pas moins aimable ; Plus terrible lui seul que tous mes ennemis, Et plus cruel pour moi que ceux qu'il m'a soumis. Ma raison s'arme en vain de quelques étincelles : Mon coeur semble grossir le nombre des rebelles. L'aimer ; Et, si ce n'est assez, lui partager encore Un sceptre qu'aussi bien mon amour déshonore. J'ai fait taire ma gloire, et tu veux que je craigne Les discours importuns de ceux sur qui je règne ! Ténésis, plût aux dieux que mon funeste amour N'eût d'autres ennemis à combattre en ce jour ! Je braverais bientôt ce que dira l'Asie : Ce n'est pas là l'effroi dont mon âme est saisie. Qu'aux mortels indignés le ciel se joigne encor, De l'univers entier je ne crains qu'Agénor. C'est ce rebelle coeur que je voudrais soumettre, Et c'est ce que le mien n'oserait se promettre. Des mèdes aujourd'hui je l'ai déclaré roi. Mais je l'élève en vain pour l'approcher de moi ; En vain, dans les transports de mon amour extrême, Sur son front dépouillé j'attache un diadème : Pour toucher ce héros mes bienfaits superflus échauffent sa valeur, et ne font rien de plus. De tant d'amour, hélas ! Faible reconnaissance ! Ses exploits font encor toute ma récompense. Ténésis, c'est à toi que ma flamme a recours : Souffre que de tes soins j'implore le secours ; C'est sur eux désormais que mon coeur se repose. Tu sais ce que pour moi notre amitié t'impose ; J'en exige aujourd'hui des efforts généreux... Il faut faire approuver mon amour à mon frère, Fléchir en sa faveur sa vertu trop austère. Retenir dans son coeur des leçons que je crains. Pour relever le mien tous reproches sont vains. Ce n'est pas tout : il faut de l'amour le plus tendre Informer un héros qui le voit sans l'entendre ; Soulager sur ce point mon courage abattu, Quand ma timidité fait toute ma vertu. J'ai détrôné des rois, porté partout la guerre ; Nul héros plus que moi n'a fait trembler la terre ; Tout respecte ma voix : et je crains de parler ; Le seul nom d'Agénor suffit pour me troubler ; Je ne sais quoi dans lui me fait sentir un maître. C'est ainsi que l'amour en ordonne peut-être. Peins-lui si bien le feu qui dévore mon coeur, Qu'à son tour ce héros reconnaisse un vainqueur ; Et si l'amour pour moi n'avait rien à lui dire, Tente du moins son coeur par l'offre d'un empire. Ce guerrier va bientôt se montrer à nos yeux. Pour moi, que mille soins rappellent dans ces lieux, Adieu, pour un moment souffre que je te laisse. Ma chère Ténésis, pardonne à ma faiblesse Des soins dont sur ta foi mon amour s'est remis : Juge par ces transports quel en sera le prix. Invincible héros, seul appui de mes jours, À quel autre aujourd'hui pourrais-je avoir recours ? Je viens de pénétrer le plus affreux mystère. On me trahit, Seigneur, et le traître est mon frère. Cette austère vertu dont se parait l'ingrat Ne servait que de voile au plus noir attentat. Comblé de tant d'honneurs, ce perfide que j'aime De mes propres bienfaits s'arme contre moi-même ; C'est lui dont la fureur, séduisant mes sujets, M'en fait des ennemis déclarés ou secrets. L'auriez-vous soupçonné d'une action si noire ? Seigneur, il n'est plus temps de le justifier : Il ne faut plus songer qu'à le sacrifier. Ma tendresse pour lui ne fut que trop sincère ; Je n'en ai que trop fait pour cet indigne frère, Malgré moi : car enfin ce n'est pas d'aujourd'hui Que mon coeur en secret s'élève contre lui. Si vous saviez quelle est la fureur qui le guide, Et tout ce qu'en ces lieux méditait le perfide ! Il en veut à vous-même, à mon trône, à mes jours, Si de tant de complots vous n'arrêtez le cours. Mourant, percé de coups par l'ordre de ce traître, Mégabise, Seigneur, dans ces murs va paraître : Je le fais en secret apporter en ces lieux. Vous voyez s'il est temps que ma vengeance éclate. Eh bien ! Pendant la nuit il faut s'en assurer. C'est de vous que j'attends cet important service, Vous, pour qui seul ici j'ordonne son supplice. Seigneur, vous vous troublez ! Je ne sais quels transports éclatent dans vos yeux malgré tous vos efforts. Ah ! Seigneur, ce n'est pas l'intérêt de mes jours Qui me fait d'un héros implorer le secours. Plût au ciel que Bélus n'en voulût qu'à ma vie ! D'un courroux moins ardent on me verrait saisie. Mais, hélas ! Le cruel attaque en sa fureur Tout ce qui fut jamais de plus cher à mon coeur : Ce n'est qu'à le sauver que ma tendresse aspire, Et ce n'est pas pour moi que je défends l'empire. Seigneur, si Ténésis eût rempli mon espoir, Mon coeur n'aurait plus rien à vous faire savoir ; Et le vôtre du moins, plein de reconnaissance, Rassurerait du mien la timide espérance. Hé quoi ! Vous l'avez vue, et ne m'en dites rien ! On sait tout, cependant on garde un froid silence ! On se trouble, on soupire, et même en ma présence ! Quels regards ! Quel accueil ! Et qu'est-ce que je vois ? Sans doute on vous aura prévenu contre moi. Ah ! Seigneur, pardonnez ces pleurs à mes alarmes, Et n'accusez que vous de mes premières larmes. Que vous me rassurez par un aveu si doux ! Qu'avec crainte, Seigneur, j'ai paru devant vous ! Hélas ! Sans se flatter, une reine coupable Pouvait-elle espérer de vous paraître aimable ? Pour toucher votre coeur, je n'ai que mes transports ; Pour me justifier, je n'ai que mes remords. Mais, que dis-je ? Et pourquoi me reprocher un crime Que mon amour pour vous va rendre légitime ? Si jamais dans le sang mes mains n'eussent trempé, Si quelque heureux forfait ne me fût échappé, Je ne goûterais pas la douceur infinie De pouvoir vous aimer le reste de ma vie. Venez, Seigneur, venez donner à l'univers, Qui me vit si longtemps lui préparer des fers, Un spectacle pompeux qu'il n'osait se promettre : C'est de voir à son tour un mortel me soumettre. Venez, par un hymen si cher à mes souhaits, Du perfide Bélus confondre les projets. Par ces noeuds, dont je cours hâter l'auguste fête, Venez de l'univers m'annoncer la conquête. Hélas ! Je l'ai privé du plus grand de ses rois ; Mais je lui rends en vous plus que je ne lui dois. Que faites-vous, Seigneur, et quel soin vous arrête, Lorsque mille périls menacent notre tête ? Babylone en fureur s'arme de toutes parts : On a déjà chassé nos soldats des remparts : De ce palais bientôt les mutins sont les maîtres, Si ce bras triomphant n'en écarte les traîtres. Venez, Seigneur, venez, accompagné de moi, Leur montrer leur vainqueur, mon époux, et leur roi. Eh quoi ! Loin de voler où ma voix vous appelle, De nos périls communs négligeant la nouvelle, À peine vous daignez... mais qui vois-je avec vous ? Mon ennemi, Seigneur, et le plus grand de tous ! Ah ! Traître, enfin le ciel te livre à ma vengeance ! De quels crimes, Seigneur ? Le perfide ! Le lâche ! ... Mais en vain à la mort votre pitié l'arrache : Le ciel même dût-il s'armer en sa faveur, Rien ne peut le soustraire à ma juste fureur. Vous n'avez donc connu qu'un rebelle, un perfide, Indigne de la vie et de votre pitié ; Que loin de dérober à mon inimitié Vous devriez livrer vous-même à ma justice, Ou m'en laisser du moins ordonner le supplice. Pour le priver, Seigneur, d'un si puissant secours, Faut-il vous dire encor qu'il y va de mes jours ? Mais, ingrat, ce n'est pas ce qui vous intéresse. En vain je fais pour vous éclater ma tendresse : Ce généreux secours qu'on m'avait tant promis Se termine à sauver mes plus grands ennemis. Ah ! Qu'est-ce que j'entends ? Je ne sais quelle horreur Se répand tout à coup jusqu'au fond de mon coeur. Je ne vois dans leurs yeux qu'un trouble qui me glace. Seigneur, entre vous deux qu'est-ce donc qui se passe ? Quel intérêt si grand prenez-vous à ses jours ? Lui mon fils ! Grands dieux ! Qu'ai-je entendu ? Cher Agénor, hélas ! Je vous ai donc perdu ! Non, tu n'es point mon fils : en vain cet imposteur Prétend de mon amour démentir la fureur : Si tu l'étais ; déjà la voix de la nature Eût détruit de l'amour la première imposture. Il n'est qu'un seul moyen de me montrer mon fils ; C'est par un prompt secours contre mes ennemis. Qu'à mon courroux sa main prête son ministère, Qu'il t'immole ; à ce prix je deviendrai sa mère. Mais je ne la suis pas ; je n'en ressens du moins Les entrailles, l'amour, les remords, ni les soins. Cruel ! Pour me forcer à te céder l'empire, Il suffisait de ceux que mon amour m'inspire : Tu n'avais pas besoin d'emprunter contre lui D'un redoutable nom l'incestueux appui. Va te joindre à Bélus, coeur ingrat et perfide ; Rends-toi digne de moi par un noir parricide ; Viens toi-même chercher dans mon malheureux flanc Les traces de Ninus et le sceau de ton sang. Mais, soit fils, soit amant, n'attends de moi, barbare ! Que les mêmes horreurs que ton coeur me prépare. Comme fils, n'attends rien d'un coeur ambitieux ; Comme amant, encor moins d'un amour furieux. Je périrai le front orné du diadème ; Et s'il faut le céder, tu périras toi-même. Ingrat, je t'aime encore avec trop de fureur Pour te sacrifier les transports de mon coeur. Garde-toi cependant d'une amante outragée ; Garde-toi d'une mère à ta perte engagée. Adieu : fuis sans tarder de ces funestes lieux : Respectes y du moins mère, amante, ou les dieux. Ingrat ! Quels soins veux-tu que la nature inspire À ce coeur qui jamais n'en reconnut l'empire ? Ce coeur infortuné, que l'amour a séduit, À t'aimer comme un fils fut-il jamais instruit ? Un moment suffit-il pour éteindre une flamme Que le courroux du ciel irrite dans mon âme ? Penses-tu qu'en un coeur si sensible à l'amour L'effort d'en triompher soit l'ouvrage d'un jour ? Parce que tu me hais, tu le trouves facile : Ta vertu contre moi te sert du moins d'asile. Nature trop muette, et vous, dieux ennemis, Instruisez-moi du moins à l'aimer comme un fils : Ou prêtez-moi contre elle un secours favorable, Ou laissez-moi sans trouble une flamme coupable. Mais pourquoi m'alarmer de ce fils imposteur, Supposé par Bélus, démenti par mon coeur ? Quelle foi près de lui doit trouver Mermécide ? Puis-je en croire un moment un témoin si perfide ? Ninias ne vit plus : un frivole souci... Qu'espères-tu de moi dans l'état où je suis ? Détester mes forfaits est tout ce que je puis. Tout en proie aux horreurs dont mon âme est troublée, Je cède au coup affreux dont je suis accablée : Je succombe, Phénice ; et mon coeur abattu Contre tant de malheurs se trouve sans vertu. Mais quoi ! Seule à gémir de mon sort déplorable, J'en laisserais jouir le cruel qui m'accable ! Mon sceptre et mon amour m'ont coûté trop d'horreurs, Pour n'y pas ajouter de nouvelles fureurs. Quelque destin pour eux que mon coeur ait à craindre, Le vainqueur plus que moi sera peut-être à plaindre. Non, je ne verrai point triompher Ténésis Des malheurs où le sort réduit Sémiramis : Sur l'objet que sans doute un ingrat me préfère Il faut que je me venge et d'un fils et d'un frère. Elle est entre mes mains ; et le fidèle Arbas, Au gré de mon courroux, a juré son trépas. Rentrons : c'est dans le sang d'une indigne rivale Qu'il faut que ma fureur désormais se signale. Embrasons ce palais par mes soins élevé : Sa cendre est le tombeau qui m'était réservé. C'est là que je prétends du sang de son amante Offrir à Ninias la cendre encor fumante. L'ingrat qui croit peut-être insulter à mon sort, Donnera malgré lui des larmes à ma mort. Que deviens-je ? Où fuirai-je ? Amante déplorable, Épouse sans vertu, mère encor plus coupable, Où t'iras-tu cacher ? Quel gouffre assez affreux Est digne d'enfermer ton amour malheureux ? Tu n'en fis pas assez, reine de sang avide : Il fallait joindre encor l'inceste au parricide ! Tes voeux n'auraient été qu'à demi satisfaits. Grands dieux, devais-je craindre, après tant de forfaits, Après que mon époux m'a servi de victime, Que vous pussiez encor me réserver un crime ? Terre, ouvre-moi ton sein, et redonne aux enfers Ce monstre dont ils ont effrayé l'univers ; Dérobe à la clarté l'abominable flamme Dont les feux du Ténare ont embrasé mon âme. Dieux, qui m'abandonnez à ces honteux transports, N'en attendez, cruels, ni douleur ni remords. Je ne tiens mon amour que de votre colère ; Mais pour vous en punir mon coeur veut s'y complaire. Je veux du moins aimer comme ces mêmes dieux, Chez qui seuls j'ai trouvé l'exemple de mes feux. Cesse de t'en flatter, malheureuse mortelle ! Où crois-tu de tes feux trouver l'affreux modèle ? Et quel indigne espoir vient t'agiter encor ? Crois-tu dans Ninias retrouver Agénor ? Contente-toi d'avoir sacrifié le père, Et reprends pour le fils des entrailles de mère. Dangereux Ninias, ne t'avais-je formé Si grand, si généreux, si digne d'être aimé, Que pour me voir moi-même adorer mon ouvrage, Et trahir la nature, à qui j'en dois l'hommage ? Mais de quel bruit affreux... Ciel ! Qu'est-ce que je vois ? Phénice, où courez-vous ? Et d'où naît votre effroi ? Va, ne crains rien pour moi tant qu'un soupir me reste. Au gré de son courroux le ciel peut m'accabler ; Mais ce sera du moins sans me faire trembler. Arbas, je sais pour moi jusqu'où va votre zèle, Et vous êtes le seul qui me restiez fidèle. En remettant ici la princesse en vos mains, Je vous ai déclaré quels étaient mes desseins. Allez, et vous rendez, par votre obéissance, Digne de mes bienfaits et de ma confiance. Songez dans quels périls vous vous précipitez Si ces ordres bientôt ne sont exécutés. Et nous, allons, Phénice, au devant d'un barbare, Nous exposer sans crainte à ce qu'il nous prépare : Viens me voir terminer mon déplorable sort. Suis-moi ; je vais t'apprendre à mépriser la mort. Mais qu'est-ce que je vois ?... Ah ! Courroux si terrible, Qu'à cet aspect si cher vous devenez flexible ! Traître, que cherches-tu dans ces augustes lieux ? Toi mon fils ! Toi, cruel ! L'objet de ma fureur, Que je ne puis plus voir sans en frémir d'horreur ! Tandis que devant moi ton orgueil s'humilie, Je vois que tu voudrais pouvoir m'ôter la vie. Mais Ténésis retient un si noble courroux : Incertain de son sort, on tremble devant nous ; On vient livrer un fils à toute ma colère, Tandis qu'au fond de l'âme on déteste sa mère. Tu m'as plainte un moment, perfide ! Mais ton coeur S'est bientôt rebuté de ce soin imposteur. Juge si je puis voir, sans un excès de joie, Les douloureux transports où ton âme est en proie. Regarde en quel état un déplorable amour Réduit l'infortunée à qui tu dois le jour. Prive-moi de celui qu'à regret je respire : Ne t'en tiens point au soin de me ravir l'empire ; Arrache-moi du moins aux horribles transports Qui s'emparent de moi malgré tous mes efforts. Quoiqu'il ne fût jamais mère plus malheureuse, Mon sort doit peu toucher ton âme généreuse. Dès que le crime seul cause tous nos malheurs, On ne doit plus trouver de pitié dans les coeurs. Maître de l'univers, c'en est trop ; levez-vous : Ce n'est pas au vainqueur à fléchir les genoux. Arbitre souverain de ce superbe empire, Quels coeurs à vos souhaits ne doivent point souscrire ? Jugez si c'est à moi d'en retarder l'espoir. Puisque c'est le seul bien qui reste en mon pouvoir, Je vais sans différer contenter votre envie, Vous rendre Ténésis, mais ce sera sans vie. Je brave ta fureur, Fils ingrat : mon supplice est au fond de mon coeur. Menace, tonne, éclate, et m'arrache une vie Que déjà tant d'horreurs m'ont à demi ravie. Ose de mon trépas rendre ces lieux témoins, Te voilà dans l'état où je te crains le moins. Tes soins et ta pitié me rendaient trop coupable, Et mon dessein n'est pas de te trouver aimable. Je fais ce que je puis pour exciter ta main À me plonger, barbare, un poignard dans le sein. Et qu'ai-je à perdre encore en ce moment funeste ? La lumière du ciel, que mon âme déteste ? La mort de mon époux, grâces à mes transports, N'est plus un attentat digne de mes remords. Et tu crois m'effrayer par des menaces vaines ! Cruel ! Un seul regret vient accroître mes peines ; C'est de ne pouvoir pas, au gré de ma fureur, Immoler à tes yeux l'objet de ton ardeur. L'aurait-on immolée, au gré de mes souhaits ? Ce que ton lâche coeur voulait faire de moi, Et ce que je voudrais pouvoir faire de toi. Mais qu'est-ce que je vois ? ô ciel ! Je suis trahie ! Madame, je dois trop à ces soins généreux : Cette noble pitié, quoique peu désirée, N'en est pas moins ici digne d'être admirée. Je ne m'attendais pas à vous voir aujourd'hui Dans mon propre palais devenir mon appui. Jouissez du bonheur que le ciel vous renvoie ; Je n'en troublerai plus la douceur ni la joie. Je rends grâces au sort qui nous rassemble ici. Vous voilà satisfaits, et je le suis aussi. Ingrat, cesse de te contraindre : Après ce que j'ai fait, est-ce à toi de me plaindre ? Que ne me plongeais-tu le poignard dans le sein ! J'aurais trouvé la mort plus douce de ta main. Trop heureux cependant qu'une reine perfide Épargne à ta vertu l'horreur d'un parricide ! Adieu. Puisse ton coeur, content de Ténésis, Mon fils, n'y pas trouver une Sémiramis ! **** *creator_crebillon *book_crebillon_semiramis *style_verse *id_MADATE *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_madate Et quel secours encor vous en promettez-vous, Quand le ciel en fureur éclate contre nous ? Seigneur, ne comptez plus, si voisin du naufrage, Que sur les immortels, ou sur votre courage. Sémiramis triomphe ; Agénor est vainqueur, Rien n'a pu soutenir sa funeste valeur. Ce héros, que le ciel, jaloux de votre gloire, Forma pour vous ravir tant de fois la victoire, Chéri d'elle encor plus que de Sémiramis, Inonde nos sillons du sang de vos amis. Mais ce n'est pas pour vous le sort le plus à craindre : Si j'en crois mes soupçons, que vous êtes à plaindre ! Vous êtes découvert, Mégabise a parlé. Sans doute il a tout révélé. Seigneur, il vous souvient que de notre entreprise Vous aviez nommé chef le traître Mégabise : Cet infidèle et moi nous nous étions promis De faire sous nos coups tomber Sémiramis. Déjà, le bras levé, sa mort était certaine : Nous nous étions tous deux placés près de la reine, Tout prêts, en l'immolant, à vous proclamer roi. Mégabise un instant s'est approché de moi : "Gardons-nous d'achever, m'a-t-il dit, cher Madate. Il faut qu'en lieux plus sûrs notre courage éclate. Tu sais que nous verrons bientôt Sémiramis Voler avec fureur parmi ses ennemis : Laissons-la s'y porter sans nous éloigner d'elle. Observons cependant cette reine cruelle". Je ne sais quel soupçon tout à coup m'a saisi. Je l'observais, Seigneur, et Mégabise aussi. Le combat cependant de toutes parts s'engage, Et n'offre à nos regards qu'une effroyable image. Mégabise, ai-je dit, il est temps de frapper : La victime à nos coups ne saurait échapper ; On ne se connaît plus ; le désordre est extrême... "Je réserve, a-t-il dit, cet honneur pour moi-même." Et le lâche a tant fait, que par mille détours Il a de nos malheurs éternisé le cours. Seigneur, j'ai vu périr tous ceux que votre haine Avec tant de prudence armait contre la reine. Au retour du combat, jugez de ma douleur Quand j'ai vu, l'oeil terrible et rempli de fureur, Votre soeur en secret parler à Mégabise. À ce cruel aspect, peignez-vous ma surprise. Le perfide, à son tour surpris, déconcerté, De la reine à l'instant vers moi s'est écarté. Je l'attire aussitôt dans la forêt prochaine ; Et là, sans consulter qu'une rage soudaine, Furieux, j'ai percé le sein où trop de foi Vous avait fait verser vos secrets malgré moi : J'ai mieux aimé porter trop loin ma prévoyance, Que de risquer vos jours par trop de confiance. Que parlez-vous, Seigneur, d'un fils du grand Ninus ? Toute la cour prétend que ce fils ne vit plus. Seigneur, et par quel sort, dévoilant ce mystère, N'a-t-elle point porté ses soupçons sur son frère ? Seigneur, dès que le sort contre nous se déclare, Que pourrait contre lui la vertu la plus rare, Et quel espoir encor peut vous être permis Dans ces perfides lieux à la reine soumis ? C'est loin d'ici qu'il faut conjurer un orage Que prétendrait en vain braver votre courage. **** *creator_crebillon *book_crebillon_semiramis *style_verse *id_MERMECIDE *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mermecide Plaise au ciel que ce jour qui commence à nous luire N'éclaire point du moins le sort le plus affreux Qui puisse menacer un coeur si généreux ! Seigneur, n'attendez plus d'une recherche vaine Un prince dont la vie est assez incertaine. Depuis dix ans entiers je parcours ces climats : J'ai fait deux fois le tour de ces vastes états. J'eusse dû mieux veiller, depuis cette journée Où par vous Ténésis à Sinope amenée À la face des dieux, dans un bois consacré, Au roi de l'univers vit son hymen juré. Je crus que sa beauté, qui devançait son âge, Fléchirait vers l'amour ce jeune et fier courage : Mais je ne vis en lui qu'une bouillante ardeur ; Déjà sa destinée entraînait ce grand coeur. Je fis pendant dix ans des efforts inutiles Pour remplir Ninias de désirs plus tranquilles : Son coeur ne respirait que l'horreur des combats, Il rougissait souvent de me voir sans États. Déjà, peu satisfait de n'avoir qu'un tel père, Il semblait de son sort pénétrer le mystère. Enfin il disparut, et je le cherche en vain. Mais, Seigneur, de Bélus quel sera le destin : Hier, sans me fixer une route certaine, En attendant la nuit dans la forêt prochaine, Je vis un corps sanglant étendu sous mes pas, Qu'un reste de chaleur dérobait au trépas. J'en approche aussitôt : jugez de ma surprise Lorsque dans ce mourant je trouvai Mégabise. Il méconnut longtemps ma secourable main. Mais ses regards sur moi s'arrêtant à la fin : "Que vois-je ? me dit-il : est-ce vous, Mermécide, Qui, le coeur indigné des fureurs d'un perfide, Venez pour conserver le reste de ce sang Que le cruel Madate a tiré de mon flanc ? C'est ainsi que Bélus traite un ami fidèle". À ces mots, peu content du succès de mon zèle, Peut-être que la main qui prolongeait ses jours, Plus prudente, bientôt en eût tranché le cours, Si de quelques soldats la troupe survenue Ne m'eût forcé de fuir leur importune vue. Si Mégabise vit, nous sommes découverts. Non, Seigneur ; il ne faut que prévenir la reine : C'est à nous désormais à servir votre haine. Si Ninias n'est plus, c'est à vous de régner : Vous me voyez tout prêt à ne rien épargner, À vous immoler même un guerrier redoutable, Imprudent défenseur d'une reine coupable. Vous n'avez qu'à parler, Seigneur ; et cette main Va percer dès ce jour et l'un et l'autre sein. J'entends du bruit ; on vient : c'est la reine elle-même. Je vous ai déjà dit, Seigneur, que cette main N'attend qu'un mot de vous pour lui percer le sein. Malgré le faix des ans, l'âge enfin qui tout glace ; Je sens par vos périls réchauffer mon audace. Prononcez son arrêt, condamnez votre soeur ; J'immole avant la nuit elle et son défenseur. Il semble qu'avec nous le sort d'intelligence Livre à tous vos desseins ce guerrier sans défense. Mais pour en disposer, Seigneur, est-elle à vous ? Ninias, engagé dans des liens si doux, En a gardé peut-être une tendre mémoire. Mais si de son hymen il dédaignait l'honneur ? D'un secret important chargé de vous instruire... Mais daignez ordonner, Seigneur, qu'on se retire. Seigneur, dans ce billet que j'ose ici vous rendre... Lisez, et vous allez l'apprendre. Ciel ! Que vois-je à mon tour ? Mérodate ! Mon fils ! Et pour comble d'horreurs, parmi mes ennemis ! Et le mien n'a jamais ressenti tant d'horreur. En quels lieux m'offrez-vous une tête si chère ? Dieux ! Ne m'a-t-il coûté tant de soins, tant de pleurs, Que pour le voir lui seul combler tous mes malheurs ? De l'éclat qui vous suit que mon âme alarmée, Cruel ! En d'autres lieux aurait été charmée ! Ah ! Fils trop imprudent, que faites-vous ici ? De votre sort affreux tremblez d'être éclairci. Mais j'aperçois la reine, ingrat ! Et je vous laisse. Non, je ne le suis pas ; mais voilà votre mère. Heureuse bien plutôt qu'en cette horrible flamme Un mystère plus long n'ait point nourri votre âme ? Je n'ai laissé que trop Ninias dans l'erreur : Je frémis des périls où j'ai livré son coeur. Eh ! Qui pouvait prévoir qu'une ardeur criminelle Reléguerait au loin la nature infidèle ? Revenez tous les deux de votre étonnement, Et vous, Reine, encor plus de votre égarement. Voilà ce Ninias si digne de son père, Mais à qui les destins devient une autre mère. **** *creator_crebillon *book_crebillon_semiramis *style_verse *id_TENESIS *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_tenesis Au grand coeur de Bélus rendez plus de justice : Sa vertu n'admet point un si noir artifice. C'est de cette vertu que je crains les transports. Bélus ne me tient point compte de mes remords : Quelque tendre amitié que m'inspire mon frère, Je crois toujours en lui voir un juge sévère Dont les troubles cruels qui déchirent mon coeur Me font plus que jamais redouter la rigueur. De quel oeil verra-t-il une superbe reine Le front humilié d'une honteuse chaîne ? Ninus, que de ta mort le ciel s'est bien vengé ! Ma chère Ténésis, que mon coeur est changé ! Cette Sémiramis si fière et si hautaine, Du sort de l'univers arbitre et souveraine, Rivale des héros dont on vante les faits, Qui de son sexe enfin n'avait que les attraits, Vile esclave au milieu de la grandeur suprême, Maîtresse des humains, ne l'est plus d'elle-même. Je ne triomphe pas de tous mes ennemis : Qu'il en est que mon coeur voudrait avoir soumis ! Je vois que Ténésis, indignée et surprise, Condamne des transports que sa vertu méprise : Mais de notre amitié les liens sont trop doux, Pour me permettre encor quelques secrets pour vous. Je vous en dis assez pour vous faire comprendre Tout ce que ma fierté craint de vous faire entendre. Je conçois aisément qu'une cruelle ardeur De vos jours malgré vous a troublé la douceur. Le reste est un secret que mon respect, Madame, Me défend de chercher jusqu'au fond de votre âme. Votre défaite en vain me suppose un vainqueur : J'ignore qui s'est pu soumettre un si grand coeur ; Je n'ose le chercher dans la foule importune Qu'attire sur vos pas votre auguste fortune. J'avais cru jusqu'ici que pour plaire à vos yeux Il fallait ou des rois, ou des enfants des dieux. Agénor ! Madame, et quel dessein a-t-il donc pu former ? En aimant Agénor, que prétend-il ? Ah ! Ciel ! Et que dira l'univers étonné ? À quels soins ce grand coeur s'est-il abandonné ? Hé ! Que puis-je pour vous qui réponde à vos voeux ? Est-ce à moi, juste ciel ! Que ce discours s'adresse ? Qu'oses-tu m'avouer, téméraire princesse ? Que je plains ton amour, faible Sémiramis, Si son espoir dépend des soins de Ténésis ! Pour t'en remettre à moi du succès de ta flamme, Je vois bien que tu n'as consulté que ton âme : Tu m'aurais mieux caché ses secrets odieux, Si l'amour d'un bandeau n'avait couvert tes yeux. Et toi, cruel amour qui me poursuis sans cesse, Est-ce pour éprouver une triste princesse Qui t'ose disputer l'empire de son coeur, Que tu m'as confié les soins d'une autre ardeur ? Tu ne peux mieux combler ta vengeance fatale, Qu'en me faisant servir les feux de ma rivale ; Et, pour comble de maux, quelle rivale encor ! Quel triomphe pour toi, redoutable Agénor ! J'ai dédaigné tes soins ; ma fierté trop farouche Vingt fois étouffé tes soupirs dans ta bouche : Et l'amour jusque-là vient de m'humilier, Que peut-être à mon tour il faudra supplier. Entre une reine et moi, sur quoi puis-je prétendre Que ton coeur un moment balance pour se rendre ? S'il se laisse éblouir par les offres du sien, Que de mépris suivront la défaite du mien ! Hé ! Que m'importe, hélas ! Qu'Agénor me méprise ? Est-ce assez pour l'aimer qu'une autre m'autorise ? Un coeur né sans vertu, sans honneur et sans foi, Peut-il être en effet un exemple pour moi ? Que dis-je ? Quoi ! Déjà ma prompte jalousie Joint l'outrage aux transports dont mon âme est saisie ! Ténésis, pour te faire un généreux effort, Songe que tu n'es plus maîtresse de ton sort. Ah ! Bélus, plût aux dieux qu'en mon triste hyménée Mon coeur eût de ma main subi la destinée ! Vains regrets ! C'est assez, égarements jaloux, Mon austère vertu n'est point faite pour vous. Parlons, n'exposons pas la tête de mon père Aux noirs ressentiments d'une reine en colère. Que de malheurs suivraient son amour outragé ! Puisqu'à servir ses feux mon coeur est engagé, Instruisons Agénor de cet amour funeste ; À mes faibles attraits laissons le soin du reste. Vains désirs, taisez-vous pour la dernière fois : C'est à d'autres que vous qu'il faut prêter ma voix. Je vous cherche, Seigneur. Oui, vous-même, Et vous cherche de plus par un ordre suprême. Pour remplir votre espoir par des soins éclatants, Je viens vous révéler des secrets importants. Je n'en viens point, Seigneur, pénétrer le mystère ; Je n'ai pas prétendu vous déclarer les miens, Et votre coeur pour lui peut réserver les siens : Le soin de les savoir n'est pas ce qui m'amène ; Je ne m'empresse ici que pour ceux de la reine. Qu'elle s'abuse ou non sur ce qu'elle en espère, Vous pourrez avec elle éclaircir ce mystère : Je ne me charge ici que de vous informer Qu'Agénor de la reine a su se faire aimer ; Que l'unique bonheur où son grand coeur aspire, Seigneur, c'est de vous voir partager cet empire. Sa tendresse et sa main sont d'un assez grand prix Pour ne pas s'attirer un injuste mépris. Je n'ai que trop prévu que l'amour de la reine Exciterait en vous une audace si vaine ; Et, mesurant bientôt tous les coeurs sur le sien, Que parmi les vaincus vous compteriez le mien. Fier de tant de hauts faits, vous avez cru peut-être Que la seule valeur vous en rendrait le maître ; Mais, si jamais l'amour le soumet à vos lois, Ce sera le plus grand de vos fameux exploits. Vingt royaumes conquis, l'Égypte subjuguée, L'Afrique en ses déserts par vous seul reléguée, N'ont que trop signalé votre invincible coeur, Sans enchaîner le mien au char de leur vainqueur. Seigneur, et quel espoir a donc pu vous promettre Qu'à vos désirs un jour vous pourriez le soumettre ? Car, si vous n'en eussiez jamais rien attendu, Vous auriez mieux gardé le respect qui m'est dû. J'estimais vos vertus, et ce n'est pas sans peine Que je vous vois chercher à mériter ma haine. Je ne vous parle point du péril où vos feux Exposent tous les miens, et moi-même avec eux ; Vous l'auriez dû prévoir : une plus belle flamme De ce soin généreux eût occupé votre âme. Je veux bien vous cacher d'autres secrets encor Plus terribles cent fois pour l'amour d'Agénor : Mais, si vous en voulez pénétrer le mystère, Daignez, si vous l'osez, interroger mon père. Il vient : vous en pourrez mieux apprendre aujourd'hui Ce qu'il faut espérer de sa fille et de lui. Ah ! Seigneur, est-ce vous ? Que mon âme éperdue Avait besoin ici d'une si chère vue ! Je ne sais quels projets on médite en ces lieux ; Mais je ne vois partout que soldats furieux, Que des fronts menaçants, qu'épouvante, que trouble. La garde du palais à grands flots se redouble : La reine frémissante erre de toutes parts, Et je n'en ai reçu que de tristes regards, Quoiqu'elle m'ait appris que son hymen s'apprête. Mais quels apprêts, grands dieux ! Pour une telle fête ! Que mon coeur, alarmé de tout ce que je vois, En conçoit de douleur, et de trouble, et d'effroi ! D'un son tumultueux tout ce palais résonne, Et je sais qu'en secret la reine vous soupçonne. Pourquoi donc en ces lieux vous arrêter encore ? Souffrez que pour vous-même ici je vous implore : Fuyez ; daignez du moins tenter quelque secours Qui d'un père si cher me conserve les jours. Mais un reste d'espoir me flatte et vient me luire : Je crois même, Seigneur, devoir vous en instruire. Agénor a pour moi témoigné quelque ardeur, Que n'aura point peut-être étouffé ma rigueur. Ainsi que son pouvoir, sa valeur est extrême : Que ne fera-t-il point pour plaire à ce qu'il aime ? Je vous connais tous deux : violents l'un et l'autre, Son coeur fier n'aura pas voulu céder au vôtre : Une timide voix saura mieux le fléchir, Je n'examine rien, s'il peut vous secourir : Souffrez pour un moment que je m'offre à sa vue. Ô sort ! Si notre sang te doit quelques victimes, La reine à ton courroux n'offre que trop de crimes ! Hélas ! C'en est donc fait, et je touche au moment Où je verrai périr mon père ou mon amant L'un par l'autre ! Et tous deux, soit l'amant, soit le père, Ils n'armeront contre eux qu'une main qui m'est chère, Et ne me laisseront pour essuyer mes pleurs, Que celle qui viendra de combler mes malheurs ! Mais en est-ce un pour moi que la mort d'un perfide Qui préfère à ma main une main parricide ? Dès qu'un lâche intérêt le jette en d'autres bras, Que m'importe son sort ? ... ce qu'il m'importe ? Hélas ! Malheureuse ! Malgré ta tendresse trahie, Dis qu'il t'importe encor plus que ta propre vie, Et que l'ingrat lui seul occupe plus ton coeur, Qu'un père infortuné n'excite ta douleur. Non, non ; malgré Bélus il faut que je le voie : De leur hymen du moins je veux troubler la joie, M'offrir à leurs regards l'oeil ardent de courroux, Les immoler tous deux à mes transports jaloux. Hélas ! Que ma douleur tromperait mon attente ! L'ingrat ne me verrait qu'affligée et mourante, Loin de les immoler, me traîner à l'autel, Et moi-même en mon sein porter le coup mortel ; De leur hymen offrir pour première victime Un coeur qui sans amour aurait été sans crime. Ah ! Lâche, si tu veux t'immoler en ce jour, Que ce soit à ta gloire, et non à ton amour. N'importe, il faut le voir : un repentir peut-être À mes pieds malgré lui ramènera le traître. Pour mon père du moins implorons son secours ; Lui seul peut m'assurer de si précieux jours. Heureuse que ce soin puisse aux yeux d'un parjure Voiler ceux que l'amour dérobe à la nature ! Ne fuyez point, Seigneur : un coeur si généreux Ne doit pas éviter l'abord des malheureux. Hélas ! Je ne viens point pour troubler par mes larmes Un hymen qui pour vous doit avoir tant de charmes : Vous ne me verrez point, contraire à vos désirs, À des transports si doux mêler mes déplaisirs. Je viens, Seigneur, je viens, tremblante pour un père, Confier à vos soins une tête si chère, Embrasser vos genoux, et d'un si ferme appui Implorer le secours moins pour moi que pour lui. Je ne demande point qu'à la reine infidèle, Pour sauver des ingrats, vous vous armiez contre elle : Tant d'espoir n'entre point au coeur des malheureux ; Ils ne savent former que de timides voeux. Non, d'un amour juré sous de si noirs auspices Je n'attends plus, Seigneur, de si grands sacrifices. Hélas ! Qui m'aurait dit qu'après des soins si doux Je viendrais sans succès tomber à vos genoux, Qu'on ne me répondrait que par un froid silence ? Ah ! D'un regard, du moins rendez-moi l'espérance, Ne suffisait-il pas du refus de ma main, Sans me plonger encor le poignard dans le sein ? Daignez prendre pitié d'une triste famille : N'immolez pas du moins le père avec la fille. Hélas ! Malgré les soins de ce que je me dois, Que la mienne, Seigneur, sera triste pour moi ! Qu'Agénor frémirait de mon destin barbare, S'il savait comme moi tout ce qui nous sépare, Et de combien d'horreurs nos coeurs sont menacés ! Mais, sans vous informer de mes malheurs passés, Je ne souffrirai point qu'une flamme si belle, Dont je mérite peu l'attachement fidèle, Pour tout prix des secours que j'implore de vous, Vous fasse renoncer à l'espoir le plus doux. Quoi qu'il m'en coûte, il faut vous donner à la reine ; Je veux former moi-même une si belle chaîne, Ne pouvant vous payer que du don de sa foi : Mais croyez, si ma main eût dépendu de moi, Que j'aurais fait, Seigneur, le bonheur de ma vie De voir à vos vertus ma destinée unie ; Et, si jamais le sort pouvait nous rapprocher, Que votre coeur n'aurait rien à me reprocher. Je ne vous nierai pas, Seigneur, que je vous aime ; Je trouve à vous le dire une douceur extrême ; Et l'amour n'a point cru déshonorer mon coeur En y faisant pour vous naître une vive ardeur. Mais, hélas ! Cet aveu, si doux en apparence, N'en doit pas plus, Seigneur, flatter votre espérance : Je ne sais point former de parjures liens. Quoiqu'un âge bien tendre ait vu serrer les miens, Il n'en est pas moins vrai qu'un funeste hyménée Aux lois d'un autre époux soumet ma destinée. Et j'ai cru devoir vous révéler Ce qu'ici vainement je voudrais vous celer. Ce serait vous trahir... Trop d'espoir eût séduit votre âme généreuse. Ô ciel ! Quel trouble me saisit ! Ne fut-ce point, Seigneur, près d'un antre terrible, Des décrets du destin interprète invisible ? Mais, Seigneur, à l'autel ne vit-on point vos mères ? Achevez. Hélas ! C'était donc vous ? Ah ! Seigneur, vous êtes mon époux. Moi, votre époux ! Qui ? Moi, le fils de Mermécide ! Ah ! Seigneur, ce nom seul de notre hymen décide : Bélus m'en a parlé cent fois avec transport, De ce fils disparu plaignant toujours le sort. De celui des humains ce fils doit être arbitre. Terminons des transports superflus. Adieu, Seigneur, adieu : je cours chercher Bélus. Les moments nous sont chers ; il faut que je vous laisse. Seigneur, si c'est un bien pour vous si précieux, Rendez grâce à la main qui nous rejoint tous deux. Vous voyez devant vous l'étranger intrépide Par qui j'échappe aux coups d'une main parricide. Reine, rassurez-vous ; Ténésis ne vient pas Vous reprocher ici l'ordre de son trépas. Je viens pour implorer, et d'un fils et d'un frère, La grâce d'une soeur et celle d'une mère, Ou me livrer moi-même à leur juste courroux. C'est ainsi que mon coeur veut se venger de vous. Seigneur, si ma prière a sur vous quelque empire, C'est l'unique faveur que de vous je désire : L'un et l'autre, daignez l'accorder à mes voeux. **** *creator_crebillon *book_crebillon_semiramis *style_verse *id_AGENOR *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_agenor Où suis-je ? Dans quels lieux la fortune me guide ! Dieux, que réservez-vous au fils de Mermécide ? Vains honneurs qu'Agénor n'a que trop recherchés, Sous vos appas flatteurs que de soins sont cachés ! Depuis dix ans entiers éloigné de mon père, Loin de me rapprocher d'une tête si chère, Je transporte mes dieux en ce fatal séjour, Pour n'y sacrifier qu'au seul dieu de l'amour. Mais que j'en suis puni ! Que l'hymen, cher Mirame, Se venge avec rigueur d'une coupable flamme ! Moi qui, longtemps porté de climats en climats, Fis le destin des rois, subjuguai tant d'états ; Qui semblais, pour me faire une gloire immortelle, N'avoir plus à dompter qu'une reine cruelle ; Quand l'univers en moi croit trouver un vengeur, Mon bras de son tyran devient le défenseur ! Enchanté malgré moi des exploits d'une reine Qui ne devrait peut-être exciter que ma haine, Je viens en imprudent grossir des étendards Sous qui l'amour m'a fait tenter tant de hasards ! Pourrais-je sans rougir imputer à la gloire Des faits où Ténésis attache la victoire ? J'ai tout fait pour lui plaire, et mon coeur jusqu'ici N'a dans ce triste soin que trop mal réussi. Laissons-là ses bienfaits : parle de Ténésis ; Dans ces superbes lieux voilà ce qui m'amène : Tout autre soin ne fait que redoubler ma peine. Je ne le sais que trop, et c'est le seul effroi Qui de tant de dangers soit venu jusqu'à moi ; D'autant plus alarmé, que, déjà las de feindre, Mon coeur n'est point nourri dans l'art de se contraindre. Mirame, tu connais jusqu'où va mon malheur, Et tu peux condamner l'excès de ma douleur ! Dieux cruels, fallait-il prendre tant de vengeance De l'oubli d'un serment juré dans mon enfance ? Mais qu'ai-je à redouter ? Et qu'importe à mes feux Que la reine en courroux se déclare contre eux ? Ce n'est pas sous ses lois que le ciel m'a vu naître ; Et l'amour jusqu'ici n'a point connu de maître. J'avouerai cependant que l'éclat de ces lieux A plus ému mon coeur qu'il n'a frappé mes yeux. Je ne sais, mais l'aspect des murs de Babylone M'a rempli tout à coup d'un trouble qui m'étonne : Quoi que m'inspire enfin leur redoutable aspect, Ces lieux n'ont rien qui doive exciter mon respect : À la reine, en un mot, nul devoir ne m'engage ; Ses bienfaits, quels qu'ils soient, sont dûs à mon courage. C'est assez que ce jour m'ait vu déclarer roi, Pour ne vouloir ici dépendre que de moi. Souffre que j'en excepte une princesse aimable, Qui soumit d'un coup-d'oeil un courage indomptable Qui peut-être aurait moins fait pour Sémiramis Si le sort à mes yeux n'eût offert Ténésis. Mais je la vois ; vers nous c'est elle qui s'avance. Laisse-moi seul ici jouir de sa présence. Prends garde cependant que la reine en ces lieux Ne trouble un entretien qui m'est si précieux. Moi, Madame ? Quel que soit le dessein qui vers moi vous adresse, Madame, plût au ciel, dans le soin qui vous presse, Que, de tous les secrets qu'on veut me révéler, À quelques-uns des miens un seul pût ressembler ! Que, las de les garder, mon coeur souffre à les taire ! Ah ! Madame, daignez vous épargner ce soin ; Votre zèle pour elle irait en vain plus loin : Je ne veux rien savoir des secrets de la reine, Que lorsqu'il faut servir sa justice ou sa haine. Ministre à son courroux malgré moi dévoué, Combien de fois mon coeur m'en a désavoué ! S'il s'agissait ici de dompter les rebelles, Ou de tenter encor des conquêtes nouvelles, On ne vous aurait pas confié ces secrets. Quoique tout soit sur moi possible à vos attraits, La reine, dont l'Asie admire la prudence, A-t-elle pu si mal placer sa confidence ? Et quel est son espoir, ou plutôt son erreur ? Que vous pénétrez peu l'une et l'autre en mon coeur ! Les dieux, pour ajouter à sa grandeur suprême, Eussent-ils dans ses mains mis leur puissance même, Il est pour Agénor un bien plus précieux Que toutes les grandeurs de la reine et des dieux. Mais, puisque malgré moi vous avez pu m'apprendre Ce dangereux secret que je craignais d'entendre, Madame, permettez que mon coeur, à son tour, Entre la reine et vous s'explique sans détour. J'aime, je l'avouerai ; mon courage inflexible N'a pu me préserver d'un penchant invincible : Un regard a suffi pour mettre dans les fers Celui qui prétendait y mettre l'univers. J'aime. Le digne objet pour qui mon coeur soupire, Quoiqu'il ne brille point par l'éclat d'un empire, N'en mérite pas moins, par sa seule beauté, Tout l'hommage qu'on rend à la divinité : Le ciel mit dans son coeur la vertu la plus pure Dont il puisse enrichir les dons de la nature. Jugez, à ce portrait que je n'ai point flatté, Si le nom de la reine y peut être ajouté. Vous me vantez en vain son rang et sa tendresse ; En vain à la servir votre bouche s'empresse : Que pourrait-elle, hélas ! Me dire en sa faveur, Que vos yeux aussitôt n'effacent de mon coeur ? Ah ! Ne les armez point d'une injuste colère, Princesse ; mon dessein n'est pas de leur déplaire : Les miens ne sont ouverts que pour les admirer, Et mon coeur n'était fait que pour les adorer. Qu'entends-je ? Quel mépris ! Ah ! C'en est trop, ingrate ; Vous n'abuserez plus d'un amour qui vous flatte. Mais j'aperçois Bélus ; fuyons un entretien Qui ne peut plus qu'aigrir et son coeur et le mien. Si ce bruit, quel qu'il soit, a de quoi vous surprendre, De la reine, Seigneur, ne pouviez-vous l'apprendre ? Et moi de vos secrets plus que vous ne pensez. Je ne démêle point les divers intérêts Qui vous font en ces lieux former tant de projets : Il m'a suffi, savant dans l'art de les détruire, D'en préserver l'état, mais sans vouloir vous nuire. Ce discours vous surprend ; mais, prince, poursuivez, Et ne regardez point ce que vous me devez. Je vais donc aujourd'hui, par un aveu sincère, Justifier ici cette haine si chère. Vous avez cru sans doute, en votre vain courroux, Qu'un étranger sans nom fléchirait devant vous, Et surtout au milieu d'une cour ennemie Où l'on voit sa puissance encor mal affermie ; Que vous n'aviez, Seigneur, qu'à venir m'annoncer Qu'à l'hymen de la reine il fallait renoncer, Pour me voir au dessein de conserver ma vie Sacrifier l'espoir de régner sur l'Asie. Mais de mes ennemis je brave les projets : Je crains peu la menace, encor moins les effets ; Et si jamais l'amour m'entraînait vers la reine, Je ne consulterais ni Bélus ni sa haine. Mais, pour un autre objet dès longtemps prévenu, Dans des liens plus doux mon coeur fut retenu. Votre fille, Seigneur, est celle que j'adore, Ou que sans ses mépris j'adorerais encore. Un captif tel que moi Honorerait ses fers, même sans qu'il fût roi. On vante peu le sang dont j'ai reçu la vie ; Mais je n'en connais point à qui je porte envie : D'aucun soin sur ce point mon coeur n'est combattu, Le destin m'a fait naître au sein de la vertu ; C'est elle qui prit soin d'élever mon enfance, Et ma gloire a depuis passé mon espérance. Quiconque peut avoir un coeur tel que le mien Ne connaît point de sang plus digne que le sien ; Et quand j'ai recherché votre auguste alliance, J'ai compté vos vertus, et non votre naissance. L'orgueil de ces grands noms n'éblouit point mes yeux Le mien, sans ce secours, est assez glorieux Pour ne rien voir ici dont ma fierté s'étonne. Un guerrier généreux que la vertu couronne Vaut bien un roi formé par le secours des lois : Le premier qui le fut n'eut pour lui que sa voix. Quiconque est élevé par un si beau suffrage Ne croit pas du destin déshonorer l'ouvrage. Seigneur, à Ténésis je réservais ma foi, Parce que mon amour la crut digne de moi : J'ai voulu vous l'offrir, dans la crainte peut-être De me voir obligé de vous donner un maître. La reine m'offre ici l'empire avec sa main : Puisque vous m'y forcez, ce sera dès demain ; Ne fût-ce qu'à dessein, Seigneur, de vous instruire Qu'un soldat n'en est pas moins digne de l'empire. Ah ! Dût-il m'en coûter le repos de ma vie ; Je veux de leur mépris punir l'ignominie. La reine vient : parlons, irritons son ardeur, Associons ma haine aux transports de son coeur ; Employons, s'il se peut, à flatter sa tendresse Le moment de raison que mon dépit me laisse. D'un prince tel que lui vous devez peu la croire. Madame, devez-vous en croire un furieux ? Il est vrai qu'il accuse et Bélus et Madate. Il faut dissimuler un si juste courroux : Bélus est dans ces lieux aussi puissant que vous. Gardez-vous d'éclater plus que jamais, Madame, Vous devez renfermer vos transports dans votre âme. Tout un peuple, pour lui prêt à se déclarer... Reine, je l'avouerai qu'à regret contre un frère Mon bras vous prêterait ici mon ministère : Non que de vous servir il néglige l'emploi, Mais daignez le commettre à quelque autre que moi. Vous ne m'en verrez pas moins prompt à vous défendre, Contre des jours si chers si l'on ose entreprendre. La princesse a daigné, dans un long entretien... Quand on est, comme vous, si ressemblante aux dieux, Dans le coeur des mortels on devrait lire mieux. Que n'en doit point attendre une reine si belle ? Quel à ses désirs pourrait être rebelle ? Sans vous offrir ici des soupirs ni des soins, Peut-être qu'Agénor n'en aimera pas moins. Son coeur, né pour la guerre et non pour la tendresse, Des camps qui l'ont nourri garde encor la rudesse ; Et je crois qu'en effet vous n'en attendez pas Des vulgaires amants les frivoles éclats : Mais tel qu'il est enfin, si ce coeur peut vous plaire, J'accepte tous les dons que vous voulez me faire. Dès qu'il en bannira l'orgueil et la menace, Qu'il n'ira point lui-même exciter mon audace, Bélus peut-il penser qu'Agénor aujourd'hui Manque de confiance ou de respect pour lui ? Et que m'importe à moi ce forfait odieux ? Est-ce à moi sur ce point de prévenir les dieux ? Pour vous charger ici du soin de son supplice, Est-ce à vous que le ciel a commis sa justice ? Seigneur, dans ses desseins votre coeur trop ardent Ne cache point assez le piège qu'il me tend. De vos divers complots la trame découverte Vous fait de votre soeur vouloir hâter la perte : Dans le dessein affreux d'attenter à ses jours, Vous voulez lui ravir son unique secours. Cessez de me flatter que l'univers m'admire, Pour m'en faire un devoir de refuser l'empire, De rejeter l'honneur d'un hymen glorieux... Cruel ! N'achevez pas, j'entrevois vos desseins : Offrez à d'autres voeux vos présents inhumains. Laissez-moi ma vertu : la vôtre, trop farouche, À mon coeur affligé n'offre rien qui le touche ; Et j'aime mieux encore essuyer vos mépris, Que de vous voir tenter de m'avoir à ce prix. Si vous l'aviez pensé, je tiendrais votre estime Plus honteuse pour moi que ne serait un crime. Votre fille m'est chère, et jamais dans mon coeur Je ne sentis pour elle une plus vive ardeur : Je l'aime, je l'adore, et mon âme ravie Eût préféré sa main au trône de l'Asie : Je conçois tout le prix d'un bonheur si charmant ; Mais je le conçois plus en héros qu'en amant. Vous remplissez mon coeur de douleur et de rage, Sans remporter sur lui que ce faible avantage. Triste et désespéré de vos premiers refus, Et d'un illustre hymen moins touché que confus, J'allais quitter ces lieux malgré ma foi promise, Honteux qu'à mon dépit la reine l'eût surprise : Mais, Seigneur, c'est assez pour m'attacher ici, Que de tous vos complots vous m'ayez éclairci. Votre soeur en moi seul a mis son espérance : Fallût-il de mon sang payer sa confiance, Aux plus affreux dangers vous me verrez courir, Sans donner à l'amour seulement un soupir. Voyez où vous emporte une aveugle colère. Eh ! Qui défends-je ici ? La soeur contre le frère. Votre coeur croit en vain l'emporter sur le mien : Malgré tout mon amour, je n'écoute plus rien. Mais si l'on en voulait à votre illustre tête, Ma main à la sauver n'en sera pas moins prête. Entre la reine et vous, juste, mais généreux, Je me déclarerai pour les plus malheureux. Adieu, Seigneur : je sens que ma vertu chancelle, Et j'en dois à ma gloire un compte plus fidèle. Je ne vous cache point ma faiblesse et mes pleurs ; Mon coeur est déchiré des plus vives douleurs : Mais il faut mériter par un effort sublime, S'il ne m'aime, du moins que le vôtre m'estime. Vous pouvez vous flatter, malgré votre courroux, Que vous m'avez rendu plus à plaindre que vous. Où vais-je ? Malheureux ! Et quel est mon espoir ? Indomptable fierté, chimérique devoir, Si tu veux qu'à tes lois la gloire encor m'enchaîne, Cache donc mieux l'abîme où mon dépit m'entraîne ; Ou ne me réduis point à te sacrifier Un bien à qui mon coeur se promit tout entier. Ah ! Fuyons de ces lieux, ou laissons dans mon âme Renaître les transports de ma première flamme ; Allons chercher ailleurs des lauriers dont l'honneur Flatte plus ma vertu, coûte moins à mon coeur. Il ne me reste plus, pour l'ébranler encore, Que de m'offrir aux yeux de celle que j'adore. Qu'à regret je combats ce funeste désir ! Mais je la vois. Grands dieux ! Que vais-je devenir ? Fuyons, n'attendons pas que mon âme éperdue S'abandonne aux transports d'une si chère vue. Ah ! Ne m'outragez point par cet indigne effroi ; Si j'immole quelqu'un, ce ne sera que moi. N'accablez point vous-même un amant déplorable, Plus malheureux que vous, peut-être moins coupable. Hélas ! Où malgré moi m'avez-vous engagé ! Dans quel abîme affreux vos rigueurs m'ont plongé ! Il est vrai qu'au dépit mon âme abandonnée A voulu se venger par un prompt hyménée. J'ai fait plus : un devoir sacré, quoique inhumain, M'a fait avec fierté rejeter votre main ; Mais on en exigeait pour prix un sacrifice Dont jamais ma vertu n'admettra l'injustice ; Et si je vous avais acceptée à ce prix, Vous-même ne m'eussiez reçu qu'avec mépris. Ce n'est pas que mon coeur, rebuté de sa chaîne, Se soit un seul moment écarté vers la reine : J'aurais trop à rougir si pour Sémiramis J'avais abandonné l'aimable Ténésis. Je la perds cependant si je lui suis fidèle : Si je lui sacrifie une reine cruelle, Je ne suis plus qu'un coeur sans honneur et sans foi ; Sceptre, maîtresse, honneur, tout est perdu pour moi. Adieu, Madame, adieu ; je vais loin de l'Asie Signaler la fureur dont mon âme est saisie : Mais avant mon départ je sauverai Bélus, Je sauverai la reine, et ne vous verrai plus. À des périls trop sûrs c'est exposer ma gloire, Que d'oser à vos yeux disputer la victoire. Vous, Madame ? Ah ! Cruelle princesse, De quel barbare prix payez-vous ma tendresse ! Et puisqu'enfin j'allais abandonner ces lieux, Pourquoi me dévoiler ces secrets odieux ? Mais il en eût rendu la douleur moins affreuse. Hélas ! Que le destin, en unissant nos coeurs, S'est bien fait un plaisir d'égaler nos malheurs ! Comme vous à l'hymen engagé dès l'enfance, Cependant de ses noeuds j'ai bravé la puissance ; Et de tous les serments dont j'attestai les dieux, Je n'ai gardé que ceux que je fis à vos yeux. Quelle était cependant celle à qui l'hyménée Du parjure Agénor joignit la destinée ? J'ignore encor son nom ; mais je sais que jamais La jeunesse ne vit briller autant d'attraits. S'ils ont pu se former, qu'elle doit être belle ! La seule Ténésis l'emporterait sur elle. Que vous plaindrez mon sort à ce fatal récit ! Près de Sinope... C'est là, pour la première et la dernière fois, Que je vis la beauté qu'on soumit à mes lois. Du pyrope éclatant sa tête était ornée : Sans pompe cependant elle fut amenée. Un mortel vénérable, et dont l'auguste aspect Inspirait à la fois la crainte et le respect, Conduisait à l'autel cette jeune merveille ; âge peu différent, suite toute pareille, Un prêtre, deux vieillards, nul esclave près d'eux : De la pourpre des rois on nous orna tous deux. L'un et l'autre avec nous nous n'avions que nos pères. J'ai tout dit. Quoi ! Madame... Mon coeur est moins touché d'un si superbe titre, Que d'un bien... Qu'ai-je entendu ? Qui ? Moi, l'époux de la princesse ! Et comment ce Bélus, si jaloux de son rang, A-t-il pu se choisir un gendre de mon rang ? Mais quel est donc celui dont le ciel m'a fait naître, Si l'univers en moi doit adorer un maître ? Qu'il entre. Cependant, que mon âme agitée, Toute entière aux plaisirs dont elle est transportée, Aurait besoin ici d'un peu de liberté ! Approchez, vous pouvez parler en sûreté. Sortez. Eh bien ! Quel est ce secret important ? Hâtez-vous ; tout m'appelle ailleurs en cet instant. De quelle main ? C'est de Bélus, sans doute ; et son coeur généreux Daigne encor... mais lisons. Arrête, malheureux ! D'une si faible main qu'espères-tu, perfide ? Mais qu'est-ce que je vois ? Grands dieux ! C'est Mermécide ! Seigneur, ne mêlez point d'amertume à ma joie : Pénétré du bonheur que le ciel me renvoie, Mon coeur ne ressentit jamais tant de douceur. Ô ciel ! à quels transports reconnais-je mon père ? Ah ! De noms moins cruels honorez ma tendresse : Du plaisir de vous voir ne privez point mes yeux : Vous n'avez près de moi rien à craindre en ces lieux. Daignez de ces transports calmer la violence. De quels crimes s'est donc noirci cet étranger, Pour forcer une reine à vouloir s'en venger ? Je vous ai déjà dit que j'ignore son crime : Quel qu'il soit cependant, j'adopte la victime. Cet étranger m'est cher ; j'ose même aujourd'hui Ici comme de moi vous répondre de lui. Dès mes plus jeunes ans je connais Mermécide. Madame, si le ciel ne vous en fit point d'autres, Vous me verrez longtemps le protecteur des vôtres. Si celui-ci surtout a besoin de secours, Jusqu'au dernier soupir je défendrai ses jours. Il n'est empire, honneur, que je ne sacrifie Au soin de conserver une si chère vie. Est-il besoin encor d'éclaircir ce discours ? Voulez-vous qu'à vos coups j'abandonne mon père. Ma mère ! **** *creator_crebillon *book_crebillon_semiramis *style_verse *id_MIRAME *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_mirame Eh quoi ! Seigneur, l'éclat d'un nouveau diadème Ne pourra dissiper votre douleur extrême ! Voulez-vous, trop sensible aux peines de l'amour, Le front chargé d'ennuis vous montrer à la cour ? Songez que ce vain peuple, attentif à vous plaire, En volant sur vos pas, de plus près vous éclaire. Après ce que pour vous a fait Sémiramis... Seigneur, vous n'êtes plus dans ces camps où vos pas N'avaient d'autres témoins que les yeux des soldats. Agénor y voyait Ténésis sans contrainte ; Le courtisan oisif n'y causait nulle crainte ; La reine, dont la guerre occupait tous les jours, À vos amours d'ailleurs laissait un libre cours : Mais c'est ici qu'il faut dans le fond de votre âme Renfermer les transports d'une indiscrète flamme. Sémiramis, en proie à la plus vive ardeur, Laisse trop voir le feu qui dévore son coeur, Pour oser vous flatter de tromper sa tendresse. Songez à quels périls vous livrez la princesse. Seigneur, un étranger, qui se cache avec soin, Demande à vous parler un moment sans témoin. **** *creator_crebillon *book_crebillon_semiramis *style_verse *id_PHENICE *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_phenice Mégabise en mourant n'a que trop éclairci Ce doute malheureux où votre coeur se livre, Madame : Ninias n'a point cessé de vivre. Avez-vous oublié tout ce que de son sort Vient de vous révéler un fidèle rapport ? Et quel funeste espoir peut vous flatter encore, Puisqu'enfin Ténésis est celle qu'il adore ? Vous seule l'ignorez, lorsque toute la cour Retentit dès longtemps du bruit de son amour. Loin d'en croire aux transports qui séduisent votre âme, Dans ce péril pressant songez à vous, Madame. Fuyez, reine, fuyez ; vos soldats vous trahissent : Du nom de Ninias tous ces lieux retentissent. À peine a-t-il paru, qu'à son terrible aspect Vos gardes n'ont fait voir que crainte et que respect. La fierté dans les yeux, et bouillant de colère, J'ai vu lui-même encor votre perfide frère, Des soldats mutinés échauffant la fureur, Ordonner à grands cris le trépas de sa soeur. Où sera votre asile en ce moment funeste ? **** *creator_crebillon *book_crebillon_semiramis *style_verse *id_NINIAS *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ninias Mermécide, arrêtez : c'est ma mère, et je veux Qu'on la respecte autant qu'on respecte les dieux. Je n'oublierai jamais que je lui dois la vie, Et je ne prétends pas qu'aucun autre l'oublie. Oui, je vais vous prouver par mon obéissance Combien le nom de mère a sur moi de puissance. Puisse à votre grand coeur ce nom qui m'est si doux N'inspirer que des soins qui soient dignes de vous ! La mort, ou le seul bien qui me fut précieux. Ce que j'y cherche ? Hélas ! J'y viens chercher ma mère ; J'y viens livrer un fils à toute sa colère. Que le mien cependant est sensible à vos larmes ! Que ce sont contre un fils de redoutables armes ! Quel que soit le dessein qui m'ait conduit ici, Avez-vous pu penser que ce fils endurci, Déshérité des soins que la nature inspire, Ait voulu vous priver du jour ou de l'empire ? Ah ! Ma mère, souffrez, malgré votre courroux, Que d'un nom si sacré je m'arme contre vous. Votre fureur en vain me le rend redoutable : En vain on vous reproche un crime épouvantable : Les dieux en ont semblé perdre le souvenir ; Je dois les imiter, loin de vous en punir. Rendez-moi votre coeur, mais tel que la nature Le demande pour moi par un secret murmure ; Ou je vais à vos pieds répandre tout ce sang Que mon malheur m'a fait puiser dans votre flanc. Rendez-moi Ténésis, rendez-moi mon épouse. Est-ce à moi d'éprouver votre fureur jalouse ? Ah ! Si je le croyais... Ô ciel ! Vit-on jamais dans le coeur d'une mère D'aussi coupables feux éclater sans mystère ? Dieux, qui l'aviez prévu, fallait-il en son flanc Permettre que Ninus me formât de son sang ? Que vous humiliez l'orgueil de ma naissance ! Ah ! Seigneur, est-ce vous ? Que de votre présence Mon coeur avait besoin dans ces moments affreux ! Qu'ils ont été pour moi tristes et rigoureux ! Mais quoi ! Sans Ténésis ? Quoi ! Madame, c'est vous ! Une si chère vie... Ah ! Juste ciel !