**** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_ZACHARIE *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_zacharie Ah ! Vous voilà, charmante ? Que je suis heureux de vous rencontrer ! Hem ? Comment ? Que dites-vous ? C'est ma bonne fortune qui m'y a déterminé. Que j'ai de plaisir à la regarder ! Qu'elle est aimable ! Quoi ? Plaît-il ? Qu'est-ce ? Mais est-il bien possible que vous me trouviez comme cela, et que vous ayez la cruauté de différer si longtemps à me tenir la parole que Madame Sara votre tante m'a donnée ? Vous me ferez plaisir. Hé bien ! Voilà qui est fait, vous n'avez qu'à parler, je vous demande à vous-même, et je veux que ce soit vous seule qui rendiez justice à mon amour. Je ne vous parlerai point de mon mérite. Ni de mon coffre-fort, où il pleut pourtant tous les jours presque autant d'argent que je le souhaite. J'ai fait cette semaine, à moi tout seul, pour plus de quarante mille francs de conversions, et si nous ne sommes encore qu'au Jeudi. N'est-il pas vrai ? Et il y a le tiers de profit pour le moins. Cela viendra, ma chère enfant, cela viendra ; et tout aussitôt que nous serons mariés, je renonce absolument à tout négoce, et je veux que nous n'ayons, vous et moi, d'autre occupation que de nous aimer. Vous me promettez donc ? Oh ! La pluralité des voix sera pour moi : je ne me sens pas de joie. J'entre un moment, j'ai à parler à mon filleul pour notre arrangement d'aujourd'hui. À qui en avez-vous, mon filleul, vous me paraissez bien ému. Il a pourtant été pendant plus de quinze ans Maître Clerc, tant chez les Procureurs que chez les Notaires. Comment le saurais-je ? Il faudrait deviner. Ah, ah ! Il prend quelquefois des caprices de scrupule, dont les grands hommes ne sont pas les maîtres. Il faut lui dire de ne pas tant lâcher la main. Hé bien ! Avec qui ? Assurément. C'est un imbécile que Monsieur Craquinet, et qui ne sait pas profiter de l'occasion ; il faut être plus ferme. Comment va le courant aujourd'hui ? Quels fonds avons-nous ? Cela nous réglera. Madame Sara reçoit aujourd'hui un petit remboursement de huit mille livres, qu'elle doit vous remettre. Il ne tient qu'à vous de disposer de davantage. Vous avez un engagement avec elle, que n'en sortez-vous avec honneur ? Il faut finir, une fois. Vous y ferez vos réflexions. Cependant, puisque le papier nous gagne, et que l'espèce est rare, il est bon de baisser aujourd'hui le papier de huit pour cent : quand nous nous serons défaits du nôtre, on le remettra sur le même pied, ou on le rehaussera s'il est possible. Notre Huissier n'est pas venu aujourd'hui ? Mais tant pis, vraiment, cet homme-là devient négligent. Il y a en ces jours quantité de Sentences aux Consuls, il se mitonne nombre de Banqueroutes, et il ne devrait pas passer un soir sans vous apporter le mémoire du fort et du faible. Nous avons encore Monsieur Durillon le Procureur, qui est excellent pour discuter un emprunteur ; cet homme-là connaît à fonds les affaires de tout Paris. Et vous faites bien ; on ne saurait prendre trop de précaution dans le temps où nous sommes. Sans adieu, je vais battre l'estrade dans les cafés, et je vous adresserai les dupes qui tomberont sous ma coupe. Qu'est-ce que c'est donc que ceci ? Il n'y a personne, la pratique ne donne pas aujourd'hui ; où est monsieur Trapolin ? Savez-vous où il va ? Allez-vous-en lui dire de venir ici, j'ai à lui parler, et je l'attends. Hem, plaît-il ? Ah ! C'est toi, Claudine, Avec qui es-tu là ? Avec un de tes cousins ? Hé ! Qu'est-il venu faire à Paris, ton cousin ? Hé, quelles affaires as-tu en ce pays-ci ? Moi ? Hé, de quelle manière ? Tu n'es pas malheureux encore. Mais, c'est selon Claudine. Est-ce pour en donner, ou pour en prendre ? Oh, pour celui-là je n'en veux rien, je le prendrai au pair, pour te faire plaisir, ma chère Claudine, à condition… Donne-moi ton papier. Est-il fort ? Voyons. Je te demande si la somme est grosse, la somme ? Les assurances que votre belle bouche m'a données de notre mariage, augmente mon amour, et ma félicité serait parfaite… Ah, ah, ah, cela est trop plaisant, par ma foi, cela vaut de l'or. Ah, ah, ah, ah. Sa simplicité me charme. Ah, ah, ah, ah, ah. De l'ingénuité d'un cousin de Claudine ; c'est un bon paysan, comme vous voyez, qui m'apporte à escompter un billet doux. Oui, le voilà. Je n'en ai lu encore que les premiers mots, lisons le reste. Je pense que vous avez raison, je n'y prenais pas garde. Donne-toi patience, mon ami, donne-toi patience… Augmentent mon amour ; et ma félicité serait parfaite, mon adorable Suzon. Votre nièce ? Fi, donc ; il nous ferait cette perfidie ? Mon adorable Suzon, sans les persécutions de votre vieille extravagante de Madame Sara. Et les fatigantes sollicitations de mon imbécile de parrain… Son imbécile de parrain ! Ah, le pendard ! Comme il parle de moi ? Mademoiselle Claudine, Mademoiselle Claudine, votre cousin le paysan pourrait bien avoir cent coups de bâton, je vous en avertis. C'est de la monnaie comme il te la faut, coquin. Voilà un plaisant billet à escompter ! Les vingt mille écus de la succession de votre oncle ne nous peuvent manquer. L'impudent sang-froid de ce coquin-là m'impatiente…. Il y a presque autant en or dans la petite cassette que vous me gardez. Il faut que ce coquin-là nous ait bien volés, Madame Sara ? Ne craignons point de nous déclarer, et hâtons-nous de nous délivrer de l'impunité de nos deux amants surannés. Et vous n'avez pas tort ; je ne voudrais pas changer contre lui ni de tempérament, ni de figure, moi. Oui, j'ai à vous dire, Monsieur Trapolin, que vous êtes un maître fripon, un pendard, un coquin à pendre. Encore sont-ils dans la bonne foi, eux-autres. Je vous en quitte, mon parti est pris je sais à quoi m'en tenir, Madame Trapolin. Serait-il bien possible, charmante personne ? Je l'ai endossée, Madame Sara, voulez-vous que je l'acquitte ? **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_TRAPOLIN *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_trapolin Oh parbleu, vous n'y entendez rien en comparaison de moi, monsieur Craquinet : il faut connaître son monde, et savoir à propos serrer le bouton aux emprunteurs que leurs affaires pressent. J'achevais de donner des instructions à cet ignorant de Monsieur Craquinet, qui n'entend non plus le fin des affaires… Hé bien ! Avec ce grand fond d'étude et cette heureuse éducation-là, c'est le moins déterminé personnage… Savez-vous bien ce qu'a fait cet animal-là ? Il a prêté treize mille francs de papier, à rendre dans six mois, tout en espèce, et il n'a fait faire le billet que de quinze. Parbleu, nous sommes ruinés, si cela continue ; quinze mille francs pour treize, au bout de six mois. Il n'y a pas de l'eau à boire. Et avec qui fait-il cette affaire-là ? Car c'est ce qui me chagrine. Avec un nouveau Traitant, qui est obligé de payer aujourd'hui partie de ses avances, pour n'être pas exclus d'un traité… Eh, fi, fi, fi cela crie vengeance. Je ne sais, je n'ai point vu le Thermomètre, je ne suis pas encore sorti ; mais il ira comme nous voudrons. Quand on est trois ou quatre forts bureaux de bonne intelligence… Quantité de papier, et fort peu d'argent ; et pour ne pas manquer quelque bonne affaire, il faut incessamment faire de l'espèce. Huit mille livres ? Voilà une plaisante ressource. Il faut finir, il faut finir : vous ne me dites rien de nouveau, je sais bien cela : mais si Madame Sara est prête à finir, elle, je ne fais que de commencer, moi. Trouvez-vous que nous devions finir ensemble ? Cela serait ridicule. Cela sera bon comme cela. Holà hé, Guillaume. Le papier est baissé de huit pour cent. Faites-vous écrire de petits billets d'avis, que vous porterez : savoir, Chez Monsieur Villain, rue Trousse-vache, à la Dame Gigogne ; Monsieur Saint Denis, rue Saint Bonnet, à l'image Saint Claude ; Monsieur Laîné, rue Julien-Rebec, à la Casaque retournée ; Et Madame Bersabée, au Cheval qui siffle, rue Geoiffroi-Lânier. Ce sera assez d'avertir ces quatre endroits-là, les petits bureaux s'y conformeront. Il y a deux jours que je ne l'ai vu. Il me l'a envoyé, je suis au fait de tout. Je n'en fais guères sans les lui communiquer. Je les attends, et je vous en rendrai bon compte. Il est encore de bonne heure, arrangeons un peu le portefeuille, et calculons le produit d'hier, en attendant que la foule vienne. Ah ! Te voilà, cousin ; car je ne fais pas mystère de t'avouer pour tel, quand nous ne sommes que nous deux. Malepeste ! C'est un des grands moyens de le devenir. Je ne serai pas longtemps sans l'être : je suis à la veille de faire ta fortune, et je ne puis pas mieux commencer ton établissement, qu'en t'associant à notre commerce. Oh bien, mon ami, voilà ce qui te trompe : c'est pour la faire que j'en suis sorti. J'ai été pendant quatre ans le premier Commis de ce vieux usurier-là. Je ne l'ai quitté que pour devenir son associé : je n'ai jamais eu d'autre profit avec lui, que la moitié de sa mauvaise réputation ; et déshonoré pour déshonoré, il vaut mieux l'être pour son compte, que pour celui de son parrain. Il a fait tout ce qu'un vieux avare est capable de faire. Il est plus ladre que jamais, il songe à se marier. Avec une jeune personne, que l'on appelle Mademoiselle Suzon. Justement, la veuve de ce riche Fripier de meubles, qui était camarade d'usure de Monsieur Zacharie. Que Madame Sara fait travailler à merveilles depuis son veuvage. Je suis plus sûr que lui d'être de la famille. Je suis déjà associé avec Madame Sara, moi. Avec la tante ? Non, je prends des mesures plus justes, je ne m'associe qu'avec l'argent. Je me suis arrangé de manière à n'en avoir pas le démenti. Madame Sara m'a déjà prêté dix mille écus. Sur une promesse de mariage pure et simple, payable à vue dans quatre mois. Cela est échu ; mais j'ai encore les dix jours de grâce. Comme tous les diables. Y a-t-il animal plus pressant qu'une vieille amoureuse ? Mais, je laisserai protester cette lettre de change-là. Monsieur Zacharie m'en tirera, il a endossé la promesse. Tu l'as deviné, il est convenu de ses faits avec Madame Sara, pour épouser sa nièce, et ils ont cru faire de moi le pot de vin du marché. Le marché tiendra, avec quelque arrangement dans les articles. Qu'est-ce qu'il y a, Laquais ? Elles ne sont pas si belles que celles que tu quittes, mais elles sont meilleures ; et le parrain et moi, nous avons passé par là. Ne sait-il pas bien qu'on n'en a point de secrètes pour lui ? Il est le maître, qu'il vienne. Oui. Un des honnêtes hommes de la profession, s'il en fut jamais, plein d'honneur et de probité. Il a été Commissaire des Pauvres, et il est le Marguillier de sa petite Paroisse. Paix, tais-toi, le voici. Un garçon de famille de ma Province, qui vient ici chercher de l'emploi. Oh pour cela oui, avec une fierté… Sans doute. Et la robe en est moins gâtée même. Je le prends pour mon Commis. Monsieur Durillon, qu'on ne sache point où vous l'avez vu, entendez-vous ? Puisque vous avez tant de discrétion, on peut vous confier les affaires secrètes. Passez dans mon cabinet, Monsieur Dubois. Voilà la clef d'une armoire ferrée, que vous trouverez à gauche en entrant. Vous ne m'apporterez rien ; il n'y a dans cette armoire-là qu'une porte de chêne dans le fond, où vous aurez soin de frapper un peu ferme. Un petit homme, noir et sec, viendra vous l'ouvrir. Vous lui donnerez ces papiers-là, il y en a pour vingt-deux mille livres : on ira les lui demander de ma part, il les prêtera obligeamment au porteur d'une lettre que j'ai donnée, et se fera faire un billet de vingt-cinq, en espèces sonnantes, dans trois moi ; il me remettra le billet quand l'affaire sera consommée. Retiendrez-vous bien tout cela, Monsieur Dubois ? Cela vaut cela, ou cela ne vaut rien ? Monsieur Durillon ; je sais bien ce que je fais, il faut s'accommoder aux circonstances, et connaître à qui on a affaire. Savez-vous bien que ce sont des gens, qui, sans ce secours-là, feraient dès demain banqueroute, et qu'ils sont bienheureux que j'aie assez de charité pour leur faire plaisir dans l'occasion. Il faut bien faire quelque chose pour ses amis ; et puis je vous dirai que j'ai ici en nantissement toute leur vaisselle d'argent, les meilleurs effets de leur magasin, dont ils n'ont point de reconnaissance ; je leur prête mon papier sous le nom d'un autre, afin d'être en droit d'avoir mes sûretés. Vous imaginez-vous, Monsieur Durillon, que ce soit moi qui hasarde le plus dans cette affaire ? Le petit homme sec et noir est Monsieur Craquinet : ne le reconnaissez-vous pas à la physionomie ? On murmurait, comme vous savez, de la grande liaison qui était entre lui et moi ; et les discours que tenait le public sur notre étroite intelligence, jetaient une certaine lueur dans nos affaires qui les éclairait un peu trop ; nous avons trouvé moyen de déranger cela. Nous logeons, monsieur Craquinet et moi, dans deux rues différentes ; mais les maisons se trouvent si favorablement disposées, qu'un angle de mur en est mitoyen, et nous avons par-là pratiqué une ouverture secrète, qui forme l'armoire en question ; de sorte qu'on ne nous voit point aller l'un chez l'autre, on nous croit brouillés même, et nous soupons tous les soirs ensemble, pour nous rendre compte de nos affaires. Faites entrer. Je vous baise bien les mains, Mademoiselle Urbine. C'est un privilège que j'ai acquis en changeant de quartier. On s'en serait moqué dans le vôtre, comme on faisait de la défunte : mais dans le Faubourg comme dans le Marais, les rangs sont si heureusement confondus, que l'on y fait telle figure que l'on veut, sans appréhender la médisance. Celle que vous faites est autorisée ; et la passion de ce jeune Président de Province, qui n'attend que la mort de sa tante pour vous épouser… Mademoiselle Urbine est donc un enfant précoce, sur ce pied-là ? Oui : mais vous l'allez faire sous seing privé, ne vous avisez pas d'anticiper la noce. Les filles précoces sont sujettes à porter des fruits de même espèce quelquefois. C'est à peu près comme moi, quand j'ai déjeuné, j'attends le dîner d'une tranquillité, d'une tranquillité… Je me garderais bien de les faire si elles avaient quelque fondement. Mais expliquez-vous. Qui vous amène ? Quel service puis-je vous rendre pour votre mariage. Un peu trop, dites-vous ? Oh bien ! Cette fois-ci je prendrai davantage : les affaires chez nous ne vont jamais du plus au moins, c'est toujours du moins au plus, entendez-vous cela, c'est la règle. Douze mille francs de papier ? La somme est forte, car il faudra que le billet soit de quinze. Ils prendront cela, car ce n'est pas moi qui prête, je n'en ai point moi de papier ; ce sont des Turcs, des usuriers, des fripons. Vous avez raison : mais qu'est-ce que je fais là-dedans, moi, l'office d'ami. Je cherche à faire plaisir, j'avance mon argent, si vous saviez combien je risque dans toutes ces affaires. Demandez, demandez à Monsieur Durillon. Je la mérite bien, je vous en réponds. Hé bien, puisqu'il est si raisonnable, qu'il passe dans une heure ou deux chez ce Monsieur Craquinet. Cela ne fait rien, c'est un juif, un altéré qui sait bien que cela est bon ; pourvu qu'il trouve à gagner gros avec sûreté, il ne refuse point de bonnes affaires, ce fripon-là. Je vous aiderai à cela, laissez-moi faire. Et un jeune Magistrat qui fait de bonnes affaires. Si par bonheur la bonne femme de tante dure six mois encore, elle n'aura point d'héritier que moi, sur ma parole. Mais il faut avertir Monsieur Craquinet, et lui lâcher les douze mille livres de papier. Dubois ne revient point. Je connais mieux ces gens-là que vous, Monsieur Craquinet. Justement. Hé bien oui, vous les connaissez comme moi, qui vous dit le contraire ? Huit jours, hé bien huit jours soit. Puisqu'ils ont si peu à durer, pourquoi n'en pas profiter ? Il faut qu'ils crèvent, il n'y a pas grand inconvénient de les achever. Mais, mais, mais, vous êtes fort imprudent de vous trouver en plein jour ici, et à l'heure qu'il y vient le plus de monde : je serais fort fâché qu'on me vît chez vous, moi, et comme vous savez nous nous faisons tort l'un à l'autre. Vous devez, vous devez rentrer chez vous tout au plus vite. Oui, dépêchez. Ce jeune Président que vous savez vous y attend peut-être à l'heure qu'il est. Voilà douze mille francs de papier que vous lui prêterez, après quelques difficulté pourtant, car il faut faire valoir la chose. Il n'y a pas d'excès. Il vous fera son billet de quinze, et son homme d'affaire l'endossera. Ce n'est qu'une façon de valet, espèce de fripon, que cet homme d'affaires : mais il a une Charge sur le Charbon, et une de Metteur à Port, c'est toujours un surcroît d'hypothèque. Allez refermer l'armoire, Monsieur Dubois. Ce Monsieur Craquinet-là passe pour entendu, c'est un bœuf en comparaison de moi, croiriez-vous cela ? Pendant que vous ne faites rien ici, Monsieur Dubois, allez-vous en recevoir ces deux lettres de change à leur adresse. Si on fait la moindre difficulté, allez trouver mon huissier, dites-lui qu'il date le protêt d'hier, et qu'il donne assignation à deux heures de relevée. Voilà un jeune garçon qui ira loin, Monsieur Durillon, il est dur, sec, impitoyable. Hé, c'est vous mon cher ami, mon cher Cangrène, il y a un siècle qu'on ne vous a vu. Vous avez abandonné le commerce, et vous ne vous mêlez plus d'aucunes affaires ? Vous avez raison. Quand j'aurai attrapé celles où vous êtes, je ne me soucierai pas d'aller plus loin, je vous en réponds. Je crois qu'elle a tout au moins la charge qu'il lui faut. Laissons les compliments, Messieurs. Qui vous amène ici aujourd'hui chez moi, mon cher ami ? Votre beau-père scrupuleux sur le profit ! Vous me surprenez. Je le croyais Caissier ? Je le crois bien. Je me marierai peut-être bientôt : mais je n'aurai point de beau-père, Dieu merci. Nous ne vous en donnerons que de sincères et d'utiles. Vous nous faites honneur. Ce n'est pas là la source du scrupule ? Cela est bon. Et une dette bien assurée, il n'y a point de risque là-dedans. Cela est clair et net, cela ne souffre point de difficulté. Oh ? Voilà qui est impatientant, ce débiteur-là abuse de vos bonnes manières. En vérité cela est trop honnête. C'est tout ce que cela vaut, c'est estimer juste. Et le beau-père le Caissier trouve à redire à cela ? Voilà un grand imbécile. Hé ! Fi, fi, le contrat était chez vous, la rente a couru entre vos mains, vous en avez eu la peine, il faut que le profit vous demeure ; il n'y a pas un de nos confrères qui fît la chose autrement. Avoir été inquiet de cela, pauvre homme ! On voit bien que la Cour vous gâte, et que vous vous éloignez du commerce. En attendant, adressez-moi vos pratiques, je négocierai les contrats sur le même pied que vous, pour achever de guérir vos scrupules. Monsieur, je suis votre humble valet. Oui, Monsieur, fort à votre service. Dargentac ! Je connais de drôle-là de réputation. Je vous entends. Ils ne sont pas excusables comme vous. Qui vous amène, Monsieur ? De quoi s'agit-il ? Très volontiers, Monsieur, je suis ravi d'avoir occasion de vous faire ce petit plaisir-là. Vous n'avez qu'à me faire compter les vingt mille livres, et je vais vous livrer pour la même somme du meilleur papier qu'il y ait à Paris Que je suis prêt à faire l'échange que vous me proposez. Oui, le mien, Monsieur. Moi, Monsieur, je n'y en mets point du tout. Mille écus en espèces, mille écus en papier, c'est presque pour moi la même chose. Comme la moitié des paiements devient papier entre les vôtres, Monsieur Dargentac ! Oui, de bonne foi ; car on doit en avoir dans les affaires. Et la mienne est de faire valoir mon papier. Point du tout, soyez raisonnable. Je n'ai qu'un mot. Seize mille francs d'espèces, vingt mille francs de papier. Si cela vous convient, à la bonne heure : si cela ne vous accommode pas, je vous baise les mains, il n'y a rien à faire. Qu'est-ce à dire ? Voilà quatre cents pistoles dont je vous fais profit. On ne vous contraint point, vous êtes le maître ; mais je vous connais, Monsieur, ce sont Messieurs de Trouffignac dont vous faites les affaires. Je vois bien que nous ne conclurons rien ensemble, j'ai une petite affaire avec Monsieur dans mon cabinet. On fait de moi ce qu'on veut ; mais pour commencer à faire connaissance… Je vous y attends, cantonné de papier. Volontiers, nous dînerons ensemble. Si Monsieur Dargentac me manque de parole, les Trouffignacs entendront parler de lui, je lui en donne bien la mienne. Il fera sagement. J'entre un moment là-dedans pour serrer le billet de vingt-cinq mille livres, et pour regarnir mon portefeuille, s'il venait quelqu'un par hasard, je vous rejoins dans l'instant même. Qu'est-ce donc, Madame de Va-partout, à qui en avez-vous ? Quel vacarme vous faites ? Ma foi, Madame, je n'en ai point, et toutes les mines du Pérou ne pourraient suffire aux pertes que vous faites. Comme il devient entre les vôtres. Hé, morbleu ! Vous ne sauriez changer, vous, comment espérez-vous que la fortune change ? Hé ! Ne l'êtes-vous pas ? Vous consommez tous vos revenus d'avance, et vous ne devez déjà plus de quatre mille francs de délégation sur mille sept cent onze. Oui, la première demie année, il y a deux ans à attendre. Cela est bien aisé à dire : mais j'avance du comptant, et cela ne rentre qu'au bout d'un siècle. Mais vous mettez ma caisse à sec, si cela continue. Mais ; Madame, si… Hé bien, Madame, je n'ai point d'effets : mais j'en emprunterai, je passerai demain chez vous, et je tâcherai de finir votre affaire. Vous me persuadez, je suis trop facile. Vous me volez, Madame, vous me coupez la bourse ; Voilà un billet de mille livres, c'est tout ce que j'ai chez moi de plus solide, et vous me réduisez à l'emprunt. Voilà une belle folle, au moins. Celle-là est peut-être une des plus extravagantes, et des plus dérangées : mais cela a plus de droiture, plus de probité. On dira ce qu'on voudra, j'aime mieux le dérangement de certaines femmes du monde, que la régularité de certaines prudes. Et moi celui de vos persécutions, Monsieur Clitandre ? J'ai perdu là-dessus plus de trois cent pistoles de mon argent, moi. Oh, j'ai fait avec vous de belles affaires ! D'accord. Cela est vrai. J'en conviens. Je n'en doute point. Je n'ai pas un sol. Je vous en défie. Quand je pourrai. C'est ce qu'il faudra voir. Vous n'êtes pas si pressé que vous le dites. Vous serez trop heureux dans quinze jours de prendre un sac de mille livres, et le reste en billets. Vous serez bien habile. Je voudrais, par ma foi, que ce fût tout de bon que vous vous missiez dans le négoce. Vous aviez perdu deux mille écus à la Foire saint Germain ; Pourquoi jouez-vous ? Moi, Monsieur Clitandre ? Parbleu je ne vous crains point. Je vous mets à pis faire. Vous me ferez plaisir ? Je n'en ai que trop. Je n'ai point de faible, je suis au-dessus de tout. Vous n'avez pourtant point de mon argent. Vous ferez une bonne affaire, ne la manquez pas. Vous aurez raison, je n'en donne que de bons. Je vous baise les mains, Monsieur Clitandre. Il ne sera payé de plus de quatre mois, j'en sais plus que lui ; et mon papier, quelque bon qu'il soit, ne se négocie pas aisément, à moins que je ne m'en mêle. Votre très humble valet, Madame. Il n'a pourtant pas trop sujet d'être content de moi. On n'en a pas avec tout le monde, Madame : il y a des procédés qui dérangent et qui forcent, malgré qu'on en ait, à sortir de son bon naturel. Oh, Madame ! Je suis bienheureux, Madame. Je crois que sa fortune et la vôtre sont toujours faites, et son papier a sur la place un crédit… Vous en parlez comme il vous plaît ; mais... On le sait bien, Madame. Je vois bien, Madame, que je puis vous être utile aujourd'hui, apparemment ? Le besoin est-il fort ? Est-il pressant, Madame ? Tant pis, vraiment ; j'en suis fâché, j'en aurai moins de mérite. L'argent sera cher aujourd'hui, Madame. Je vous en trouverai, n'en fut-il point. Je le sais, Madame, un Marchand de Dentelles vous a attrapée d'une garniture. Deux mille livres ? Cela est fort ; et une petite guenon que vous aimez, vous a cassé pour treize cents francs de porcelaines. Je me déferais de cet animal-là. Voilà une guenon qui lui coûte chère. On fait fort bien de se contenter. Laissez-moi faire, Madame, je connais votre Marchand de Dentelles, je m'accommoderai avec lui ; je paierai les Porcelaines, et nous compterons du reste : je vous ferai du profit, je vous en réponds. Voilà ce qu'on appelle une femme de confiance ; je me ferais un scrupule de manquer à cela. Son Marchand est un fripon, elle a raison. Il est prêt à manquer, ses affaires pressent ; il n'a fourni que du fil, il sera trop heureux d'être payé en papier, et autant de profit pour la Caisse. Ce ne sera pas ici le plus mauvais article de la journée. Tant pis, cela est bon, et il ne faudrait point que cela nous échappât. Mais tant pis, vraiment. Ne serait-ce point ici notre jeune sot, Monsieur Durillon ? Oui, Monsieur, fort à votre service. Voilà un projet bien noble, et bien digne de Monsieur le Marquis Daudinet. C'est le meilleur enfant, le plus honnête garçon ; sa seule physionomie gagne les cœurs. Elles ne conviennent pas aux leurs, apparemment ? Il y a quelque chose à dire à cela. Mais à quoi votre penchant vous porte-t-il, vous, Monsieur le Marquis ? Voilà un bon métier. Et si vous vous sentiez du goût pour la guerre ? Huit cent mille francs ! C'est un beau denier. Voilà une grande commodité. Monsieur Durillon me croit plus en fonds que je ne suis, les espèces sont rares, et je n'ai que du papier, Monsieur le Marquis Daudinet. Vous croyez peut-être ayant père et mère, que sans donner de nantissement… Quoi ? Tout cela est beau et bon ; mais en faisant affaires avec vous, je n'en veux point avoir avec votre famille. C'est la seule bonne qualité dont je me pique, et d'être bon ami surtout. Si je m'en accommoderai ? Est-ce que je suis un Juif, un Arabe ? De combien Monsieur le Marquis Daudinet aura-t-il affaire ? On ne peut vous fournir que du papier, au moins. On fera l'obligation de vingt-deux, à cause des intérêts pour six mois. Allez-vous-en passer l'acte ; que Monsieur le signe, et je passerai, moi, chez le Notaire, ce sera une affaire faite. Non, Monsieur Daudinet, c'est à moi de vous régaler, nous dînerons ensemble. Toute la somme à rendre en espèces ; et que le Stellionat soit bien dans les formes, au moins, cela est de conséquence. Ce ne sera pas la plus mauvaise pièce de notre sac, que Monsieur le Marquis Daudinet : il faudra que la famille paie, et de jeunes badauds comme celui-là sont merveilleux, pour avancer en très peu de temps un nouvel établissement. Monsieur Dargentac est de parole, c'est un galant homme. J'attends toujours tranquillement, je suis occupé de tant d'affaires… Le papier est tout près, je l'ai mis exprès dans mon portefeuille ; le voilà, voyez, examinez si le compte est juste. Celle de la petite bourse est juste, pesons les secs de mille francs, ce sera plutôt fait. J'en suis persuadé, Monsieur Dargentac. Nous n'en manquerons pas. Holà, hé, laquais, Dubois est-il revenu ? Vous me rendrez compte de cela une autre fois ; aidez-moi à compter cet argent. Tenez comptez. Ne vous pressez point, cela sera du temps à compter. Voilà un Gascon qui n'est pal dupe, cousin Dubois, il y a longtemps que je n'ai fait d'affaires à si bon compte. Combien disons-nous ? Non, non, c'est quatre-vingt-cinq, je m'en ressouviens, quatre-vingt-dix, quatre-vingt-quinze, un deux, trois, quatre, quatre-vingt-dix-neuf, avec la monnaie, cela est bon, voyons le reste. Comment ? Quoi ? Qu'est-ce que cela signifie ? Ah ! Je suis perdu ; il ne peut être loin, courons après. Ah ! C'est un scélérat qui me vole, tu étais de complot. Mais où l'as-tu pris ? Dans quel quartier ? Ah ! Ce n'est point le véritable Argentac, à coup sûr, je suis perdu. Ah le pendard ! Le traître ! Il ne faut point ébruiter cela, Monsieur Dubois, cela me donnerait un ridicule qui me ferait perdre mon crédit. Allez vous-même me chercher mon chapeau, ma canne, ma perruque, Monsieur Dubois. Descends, toi, cocher, et attends-moi là-bas, tu me mèneras à la petite Auberge. Je ne sais où j'en suis, je ne sais ce que je vais faire. Où ai-je mis ces deux mille francs en or ? Ah ! Je les portais sur moi ; on me les a volés, il ne me manquerait plus que cela. Mettons-les dans le sac. Ah ! La cruelle aventure, la maudite journée ! Cache cette maudite manne, cache-là vite, et serre le sac dans ton bureau, je n'ai pas le loisir d'ouvrir ma cause. Si quelqu'un vient, je serai bientôt de retour, on n'a qu'à m'attendre. Ah ! Je n'en puis plus, j'en mourrai, mon voleur n'est point le véritable Argentac, c'est le fils d'un Cabaretier, qui depuis quinze jours s'est fait Dragon. Je ne désespère pas pourtant de rattraper partie de mon affaire ; j'ai donné de l'argent à trois ou quatre de ses camarades qui le cherchent, ils le trouveront peut-être. C'est ce qu'il m'étonne, et deux mille francs en or qu'il m'a donnés. Voilà une aventure chagrinante. On ne peut pas beaucoup gagner sans perdre quelquefois ; et tel qui ne s'y attend pas, me remboursera de la perte. Comment, quelle affaire ? Deux mille francs de papier, c'est moitié de profit, cela n'est pas mauvais. Et comment as-tu fait ? Où as-tu pris de l'argent ? Tu as donné ce sac que je t'ai dit de serrer ? Un si bon usage ? Que m'as-tu fait là, traître que tu es, que m'as-tu fait là ? Voilà une bonne chienne d'affaires. Hé ! Comment ne me tournerait-elle pas ? Il y avait trois mille francs dans le sac, bourreau, il y avait trois mille francs ; de quoi diantre rte mêles-tu ? Et j'y ai mis les deux mille francs en or, que ce coquin de Gascon m'avait donnés. Hé oui, misérable, deux mille francs. Et avec qui as-tu fait ce malheureux coup-là, encore ? Ne le connais-tu point ? Chicanenville de Normandie ? Mon argent est perdu, il n'y a plus de ressource. Nous les trouverons ? Que je suis malheureux, toutes sortes d'accidents m'arrivent, et ce ne sera peut-être pas là le dernier de la journée. Demeurez ici, Jasmin, et prenez bien garde à tous ceux qui viendront me demander, qu'ils m'attendent, ou venez m'avertir au café, chez Mustapha. On vient de m'avertir que vous aviez quelque chose à me dire, Monsieur. Je n'ai jamais appris que sous vous, Monsieur mon parrain. J'ai bien de l'obligation à mes mauvaises qualités : mais, qui peut m'attirer toutes ces invectives ? Ne le sais-tu point, dis, Claudine ? Hé bien ? On sait tout, Mademoiselle Suzon. Que vous m'aimez, que je vous adore, et que nous allons nous marier ensemble. Clitandre ! Que vois-je ? Ah ! Je suis perdu ! Ma cassette, au moins, Mademoiselle Suzon. Je suis ruiné, je suis assassiné. C'est une tracasserie qu'on me fait, Madame Sara ; mais je suis honnête homme, moi, la promesse est échue, je vous tiendrai parole. Me voilà bien. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_DURILLON *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_durillon On ne vous accusera pas d'être trop grande dormeuse. Les plus jeunes filles sont les plus alertes. Je m'y rends aussi, comme vous voyez. Ah, ah, ah ! Comme vous comptez, Mademoiselle Suzon ? Un amant, non : mais un Procureur, on n'a pas si grande envie de nous voir, nous autres. C'est bien de la grâce que vous me faites. Soyez en repos là-dessus. La donation qui vous a été faite par votre oncle est d'autant meilleure, qu'elle a été insinuée deux mois avant sa mort, et pour les autres sommes qu'il vous a léguées par son testament, votre tante aurait absolument perdu l'esprit, si elle entreprenait de vous disputer une obole. Rien ne l'est davantage. Sur mon honneur. Vous ne me traitez pas en ami. Si j'osais espérer que pour reconnaissance… Vous ne dépendez que de vous-même, je suis veuf, sans enfants, vous pouvez disposer de votre cœur et de votre bien en faveur de qui il vous plaira. Hé ! Quel heureux mortel… Hé ! Pour quand ? Oui vraiment. Non, mais je ne tarderai pas à revenir ; j'ai quelques affaires à terminer, avant que de me livrer tout à fait aux siennes. Je prends les devants, Monsieur Trapolin, pour vous mettre au fait d'une affaire qui va vous passer par les mains, pour un jeune sot, avec qui l'on peut traiter sûrement… Moyennant… Qui est cet homme-là ? J'ai quelque idée récente de l'avoir vu quelque part. Vous faites fort bien. Fi, c'est un brutal, je m'aperçus bien que ses vilaines manières vous scandalisaient, cela me donna de l'estime pour vous, de ne vous point voir rire comme les autres. Cela démonte d'abord ; mais cela n'embarrasse qu'autant que dans le fond on est sensible à de certaines choses. Au bout du compte, je soutins assez bien cela, n'est-ce pas ? Il en faut avoir dans de certaines occasions… Mais avec une certaine modestie pourtant… Ces Messieurs-là sont les maîtres, à bien prendre la chose ; et après tout, ils ont beau dire, c'est à la robe qu'ils parlent, ce n'est pas à la personne. Le plus honnête homme du monde est exposé à cela à cause de la housse. La housse ôtée, il n'y a qu'à la secouer, autant en emporte le vent, cela s'en va comme de la poussière. Sans comparaison : avec des impolis comme cela, il faut leur dire tout bas, ce qu'ils vous disent tout haut, il n'y a pas d'autre consolation. Non, non, non, je n'ai garde : qu'il ne parle point de l'aventure du Président, cela n'est bon à rien. Ce profit est fort, Monsieur Trapolin, en trois mois mille écus, sur vingt-deux mille livres. Vous les empêchez de faire banqueroute demain, ils la feront dans quinze jours, peut-être, et vous y serez pour votre compte ; je ne m'étonne pas que vous preniez si gros, cela est un peu risqué. Oh pour cela non, sans contredit : mais dites-moi un peu ; qu'est-ce que c'est que cette armoire ferrée, qui mène à une grosse porte de chêne, que vient ouvrir un homme sec et noir, lorsque l'on frappe un peu ferme ? Cela a tout l'air d'un trésor gardé par les Fées. Cela m'a frappé d'abord : mais Monsieur Craquinet… Vous avez fort bien fait : mais comment, encore ? Cela est bien commode, et bien imaginé. Hé ! C'est ma meilleure amie, Mademoiselle Urbine, mon ancienne voisine. Quel air ! Quelle parure ! Quelle magnificence ! Vous vous faites porter la queue, ma chère enfant ? C'est un droit qu'on ne peut disputer à nos femmes, et nous sommes gens de sac nous autres. Mais porter la queue ? Hé ! Pourquoi la tante de Monsieur le Président s'oppose-t-elle si fort à ce mariage ? Vous avez toujours été si raisonnable, d'une des bonnes familles du quartier… Feu Monsieur son père était un de mes confrères au moins. Il est vrai qu'il se défit de sa Charge un peu malgré lui : mais il était si plein d'honneur, qu'il en mourut de chagrin six semaines après son mariage. La veuve demeura grosse, et la pauvre femme eut tant d'affliction de la mort de son mari, qu'elle en accoucha trois mois après. Oh ! Il y avait bien du bon dans cette famille-là, Monsieur Trapolin. Oui vraiment précoce, et très précoce même. Un bon mariage réparera tout cela. Ce sont des plaisanteries sans conséquence. Oui, Monsieur Craquinet, par exemple. Cela n'est pas concevable, surtout quand il oublie par hasard à prendre des nantissements. Je vous offre aussi mes soins, moi, ne vous mettez pas en peine. Adieu, ma belle voisine. Voilà une aimable enfant qui va faire une jolie fortune. Il me paraît que cela va bon train. Et repasser par l'armoire ferrée ? La grande merveille ! Vous êtes un aigle, vous, quelle différence ! Votre serviteur, Monsieur Cangrène. La modération est louable. Je l'ai pourtant toujours connue pour une des plus robustes du temps présent, et je n'en sache point d'aussi forte parmi tous ces Messieurs, c'est beaucoup dire. Peut-on trop gagner dans des bagatelles ? La plaisante idée ! Très volontiers. Et vous avez raison, expliquez-nous le fait. Sans nantissement et sans billet peut-être ; et c'est cela qui chagrine le beau-père ? Voilà une conduite régulière. Assignation pour en avoir ? Sentences des Consuls ? Poursuites alors, Sergents en campagne ? Cela est fort accommodant, vous donnez le surplus ? Comme cela gagne ! Monsieur Cangrène, comme cela gagne ! Les meilleurs Jurisconsultes du métier ne décideraient pas d'autre manière. Il est bon d'avoir des amis fermes et entendus, monsieur Trapolin ; voilà un homme qui se serait gâté si nous avions adhéré à ses faiblesses. Voilà une grande révolution. Il n'y a pas de mal à cela. Vous le pouvez en sûreté, vous êtes avec d'honnêtes gens. Monsieur Trapolin est le plus obligeant homme qu'il y ait au monde. Et sans vous connaître, cela n'est-il pas bien honnête ? Le papier de Monsieur lui tient lieu d'argent. Vous avez compté en Intendant, et Monsieur Trapolin compte en Caissier, lui. Assurément. Il règne une certaine droiture parmi ces Messieurs, le profit se partage d'une régularité… Dépêchez-vous donc, notre affaire presse. Oh que non, quand d'honnêtes gens se connaissent une fois sur un certain pied… Voyez, à quoi rêvez-vous ? Pouvez-vous faire cela sans y perdre, Monsieur Trapolin ? Il n'en manquera pas, cela lui est de trop de conséquence. Le bon négoce que celui de Monsieur Trapolin ! S'il s'avisait de faire banqueroute, elle serait diablement frauduleuse. Possédée, Madame ? Voilà un mauvais mal. J'en suis bien fâché, Madame. Cent lieues par-delà ? Voilà un furieux voyage ! Monsieur Trapolin ? Monsieur Trapolin ? Monsieur Trapolin ?... Madame… Monsieur Trapolin ? Non, c'est à moi, de par tous les diables ? Quelle chienne de méprise ? Cela me paraît ainsi. Mais tenez, le voilà, Monsieur Trapolin, achevez avec lui la conversation que nous avions commencée. Voilà une folle qui a des intervalles de bon sens. Mais l'affaire n'est pas mauvaise, il faut se débarrassée de cette femme-là. Renvoyons cette femme-là, Monsieur Trapolin. Mais il faut l'être avec les Dames. Cela n'est rien, Madame, et je suis trop heureux que cela vous ait passé. Avec tout cela, ces femmes de condition ont des manières, un certain air de supériorité qui détermine à faire tout ce qu'elles veulent, malgré qu'on en ait. J'ai perdu mes pas et ma peine, je ne trouve point mon jeune sot, dont nous avons concerté l'affaire ? Je l'ai cherché au jeu, au cabaret, chez sa maîtresse, on ne l'a vu nulle part. Oui, tout justement, c'est lui-même. Non, je n'ai pas eu le loisir d'expliquer à Monsieur Trapolin. Non, assurément, Monsieur le Marquis Daudinet est le fils d'un riche Financier ; il a encore père et mère, et on lui tient la bride un peu trop serrée, et il a dessein de prendre le mors aux dents, pour galoper un peu sans contrainte dans les terres de la belle galanterie. Et vous êtes un fort drôle de fils, vous, à ce qu'il me semble. Ce sont des gens bien bizarres, au moins, Monsieur Trapolin. Pourquoi non ? Avec un habile Secrétaire, et de la protection, quelque bonne alliance… Ce sont les plus heureuses inclinations… Vous avez raison. Cela ne vous embarrasse point, et vous n'en manquez pas d'ailleurs. Le Précepteur est nanti de tous les effets : mais Monsieur le Marquis vous hypothèquera… Vous ne sauriez croire comme cet homme-là respecte les familles. Et moi donc, croyez-vous que je sois le vôtre ou non, Monsieur Daudinet ? Je veux vous en convaincre : je viens de faire bâtir dans le Faubourg une grande maison, qui me reviens à plus de quarante-cinq mille livres vous n'avez qu'à l'hypothéquer, je vous la prête. Vous moquez-vous ? Je suis votre ami, et votre serviteur, et si Monsieur Trapolin veut se contenter de l'hypothèque que vous lui donnerez sur ma maison, que je vous prête, et que je prétends même que vous déclariez être à vous dans l'obligation... En peut-on trop avoir pour ses amis ? Je vous prierai pour toute reconnaissance, de me prêter seulement un millier d'écus, pour achever de payer quelques ouvriers, et je ne vous en ferai point de billet même, car je vous les rendrai huit jours après. Monsieur Trapolin s'accommodera-t-il de ce qu'on propose ? Ce qu'il vous plaira, vous savez vos affaires. J'en ferai de l'espèce, moi ; je battrai monnaie, je m'en charge. Prenez vingt mille francs, cela vous rendra quelque plus de moitié, et avec cela, de plus de trois mois d'ici vous n'aurez pas besoin de nouveaux expédients. Ce Monsieur Trapolin-là fait les choses pour rien, c'est une franche dupe. Vingt mille francs et un bon dîner, il n'y a rien de plus honnête. Laissez-moi faire… Monsieur Trapolin dit qu'il est charmé de vous, Monsieur le Marquis Daudinet. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MADAMESARA *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_madamesara Avec qui étiez-vous là, Mademoiselle ma nièce ? Vous augmentez votre domestique, Mademoiselle Suzon ? D'un mari, ma nièce ! D'un mari ! Je suis ravie de vous voir raisonnable, et que vous rendiez enfin justice à la persévérance de Monsieur Zacharie, notre bon ami. Fallait-il vous persécuter pour cela ?... Oh ! Il faudra que Monsieur Trapolin prenne aussi sa résolution dès aujourd'hui, ou je prendrai la mienne, moi, d'une manière… Son parti est pris ! Qui vous l'a dit ? En êtes-vous bien sûre ? Il est si froid et si rétif, c'est l'intérêt seul qui le domine, et l'amour a si peu de part à tout ce qu'il fait. Écoutez c'est un jeune garçon qui entend bien ses affaires, et qui ira loin, je vous en réponds. Je lui ai prêté de l'argent qu'il fait bien valoir, et ce qui m'en fâche c'est qu'on le sait, et que je crains, en l'épousant, de paraître faire une emplette plutôt qu'un mariage. C'est ce qui me chagrine, et je le soupçonne un peu d'ingratitude. Et malgré cela je ne saurais m'empêcher de l'aimer. Je vais de ce pas recevoir un petit remboursement que je veux lui remettre entre les mains pour présent de noces, ne lui en dites rien, je vous prie, je serai bien aise d'avoir le plaisir de le surprendre. Vous voilà de bien bonne humeur : de quoi ruez-vous donc si fort, Monsieur Zacharie ? Un billet doux ? Hé ! Qu'est-ce que c'est, que ce billet doux ? Où a-t-il pris ça ? Mais vraiment, c'est de l'écriture de votre filleul, Monsieur Zacharie. Suzon, dites-vous ? Serait-ce ma nièce ? Madame Sara ! C'est moi, vraiment, je n'en saurais douter. Ah, le coquin ! C'est une insulte que ces canailles-là nous font faire, je vous en avertis. Ah, je vous en réponds. Amants surannés ! Amants surannés ! Je ne me troquerais pas pour elle, assurément. Vous avez bien raison. Un fourbe, un traître, un scélérat, dont je ne veux plus entendre parler de ma vie. Qu'est-ce donc que tout ceci ? Il y a une heure que j'écoute, et je ne comprends rien… Non, Monsieur Trapolin, vous êtes un fripon. Vous me rendrez mes dix mille écus, je ne veux point de vous, et pour la promesse de mariage… Volontiers, Monsieur ; mais faisons rendre compte à votre coquin de filleul, et qu'il rentre dans le néant, d'où nous l'avons tiré. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_SUZON *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_suzon En vérité, Claudine, vous vous moquez de moi : pour aller à vingt pas d'ici, vous êtes deux heures à revenir : sans la femme de chambre de ma tante, je ne serais pas encore habillée. Hé, qu'es-tu venu faire à Paris ? Tu cherches condition apparemment ? Mais tu es trop formé pour être laquais. Tu veux être maître ? Tu serais bien aise d'être à moi ? Hé ? Que sais-tu faire ? As-tu appris par exemple… Mais te connais-tu en chevaux ? Pourrais-tu être cocher ? Je vais avoir… J'ai à te parler Claudine, j'ai confiance en toi : mène ton cousin dans la cuisine, et le fais déjeuner ; tu viendras me retrouver ici… Voilà Madame Sara, la veuve de mon oncle, qui vient me persécuter : mais j'espère que ce sera pour la dernière fois. J'étais avec Claudine, Madame ma tante, et avec un de ses cousins, que je prends à mon service. D'un cocher, de deux chevaux, et d'un mari, Madame Sara. Il y a si longtemps que vous me persécutez l'un et l'autre pour me faire prendre un engagement, qu'il faudra bien à la fin s'y déterminer. Son parti est pris, et le mien aussi, je vous en réponds. Je ne pense pas aussi que l'amour s'intéresse fort à ce qui le regarde ; et pour peu de liaison qu'il prenne avec lui, il pourrait bien en devenir la dupe, lui qui fait métier de duper les autres. Oui-da, il pourrait bien faire quelque voyage de mer le long des côtes. Cela en a quelque air franchement, et d'autant mieux qu'il ne paraît pas lui fort empressé pour ce mariage. Je vous aiderai à l'en punir, moi, ne vous mettez pas en peine. Il y aura dans toutes ces affaires bien plus de surprise qu'on ne s'imagine. Que cela ne vous embarrasse point, je ne logerai pas encore longtemps dans cette maison-ci, Claudine. Oh çà, je donne aujourd'hui un grand repas, entendez-vous ? Ce n'est point à la cuisine qu'on le préparera. Prenez le petit laquais avec vous, et allez-vous-en tout à l'heure chez Bondal, auprès des Consuls, lui dire que le dîner que je lui ai commandé pour aujourd'hui soit à trois heures à l'adresse que je lui ai donnée ; qu'on n'y manque pas. Tu es pénétrante, Claudine. Vous irez de là chez Madame Darboulin, rue Coquillière, dire qu'on porte au même endroit, dès ce matin, les deux douzaines de Bouteilles de vin de Bourgogne, et la douzaine de Champagne que je payai hier. Monsieur Trapolin ? Ces préparatifs-là ne le regardent point, ma pauvre Claudine, tu ne m'as vu de liaison avec lui, et je ne l'ai flatté, que pour avoir occasion de venger le public, et quelque particulier de ma connaissance qu'il a vexé un peu trop durement. Paix, tais-toi, Claudine. Tu vous trop clair ; va vite, et reviens de même. Ce parti que je prends va faire du bruit dans le quartier. Monsieur Trapolin ne s'attend guères à l'incident que je lui prépare ; cet animal-là me crois amoureuse de lui, parce que je lui serre son argent, et que le produit de ses friponneries… Qu'ai-je fait de sa lettre… Quoique nous soyons dans le même logis, il m'écrit tous les jours, comme s'il avait parole de m'épouser… Aurais-je perdu celle de ce matin… Il n'y a pas grand inconvénient… Elle n'apprendra rien aux curieux, dont on ne soit prêt de les détromper. J'ai des desseins et de grandes affaires dans la tête, Monsieur Durillon. Je vous avais fait prier de passer ici en allant au Châtelet. Oui : mais vous y deviez être à huit heures, il en est neuf ; il y a trois heures que je vous attends. Comme vous faites vos mémoires de frais, Monsieur le Procureur. Mais calculons juste. Quand je n'aurais attendu qu'un moment, ne m'avouerez-vous pas que vous avez tort ? Et trouvez-vous, de bonne foi, que je sois faite pour attendre ? Je vous regarde d'un autre œil. Vous étiez ami de mon oncle, je vous crois le mien. Traitons ensemble sur ce pied-là, s'il vous plaît. Avez-vous songé sérieusement à la petite affaire que je vous ai prié d'examiner ? Cela est bien sûr ? Vous m'en répondez ? Ah, quelle caution ! Vous me faites trembler, Monsieur Durillon. Pardonnez-moi, fort familièrement, comme vous voyez : mais je ne vous en estime pas moins, et je vous suis très redevable de l'attention que vous avez eue. Je n'en manquerai pas, je vous le promets. Ces disposions-là sont déjà faites. Il y a quelque temps que je suis ma maîtresse, je n'ai pas tardé un moment à en profiter. Vous le saurez, et tout des premiers. Je vous prie de la noce. Pour aujourd'hui. Je suis expéditive. Entrez-vous chez Monsieur Trapolin ? Allez donc les finir, afin d'en être quitte, et ne parlez encore à personne de la petite confidence que je vous ai faite. Monsieur Zacharie ! Quel amant transi ! Le laid mâtin ! Que vous descendez ici de bon matin. Qu'il est ennuyeux ! Je ne le saurais voir qu'en enrageant. Je dis que vous êtes si gracieux…L'homme du monde le plus obligeant. Tenez, Monsieur Zacharie, voulez-vous que je vous parle franchement ? Depuis que je suis ma maîtresse, il me semble que ce serait relâcher de mes droits, que de déterminer mes volontés par celles de ma tante ; c'est à présent de moi qu'il faut m'obtenir, ce n'est pas d'elle, et je vous avoue que je me révolte de voir qu'on s'adresse à d'autres qu'à moi pour ces affaires-là. Vous trouverez un Juge bien prévenu. Ni de votre âge, n'est-ce pas ? Voilà un article bien engageant. Quarante mille francs ? Voilà bien de l'argent. Le tiers de profit ? Mais parmi toutes ces conversions-là, Monsieur Zacharie, ne feriez-vous pas bien de songer à la vôtre ? De nous aimer ? Vous auriez trop d'occupation, Monsieur Zacharie, et de mon côté, moi, je n'en aurais guères. Je ne vous promets rien ; mais je fais à trois heures une assemblée d'amis et d'amies, que j'ai fait inviter à dîner chez une personne de ma connaissance, j'ai compté que vous en seriez ; je viendrai vous prendre avec ma tante, nous y parlerons de cette affaire, et la pluralité des voix me déterminera sur-le-champ : je ne vous demande pas un plus long terme. On ouvre chez Monsieur Trapolin, j'ai quelques affaires en ville, et je dois trouver là-bas un carrosse de remise ; je vous laisse. Vous ne manquerez point d'argent, qui vous presse d'en demander à Trapolin ? Je vous les payerai, moi, et de son argent je suis nantie. Dans la vue de m'engager à l'épouser, il m'a confié le produit secret des friponneries qu'il a faites à ses associés, sur celles qu'ils font ensemble au public ; cela est en or dans une cassette que je me charge de vous remettre. Je vais vous y attendre. Voilà qui est bien, Claudine : où est votre cousin ? Qu'il ne sorte pas ; le Tailleur doit venir prendre sa mesure pour une casaque de livrée. Vous m'attendez ici l'un et l'autre. Je viens vous prendre pour le dîner, Monsieur Zacharie, je vous ai promis de me déterminer aujourd'hui, je vous tiendrai parole en bonne compagnie Qu'est-ce à dire, Madame Trapolin ? Comment, on sait tout, et que sait-on, encore ? On sait mal, Monsieur Trapolin, et vous êtes un ignorant vous-même, je n'ai jamais été dans ce goût-là, je vous assure. La pluralité des voix n'est ni pour l'un ni pour l'autre, Monsieur Zacharie ; voici pour qui elle se déclare, aussi bien que mon cœur. Approchez Clitandre. Elle est entre les mains de Monsieur, vous lui devez de l'argent, il a des comptes à faire avec vous ; il comptera les mains garnies. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_CRAQUINET *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_craquinet Je vous rapporte votre billet de vingt-cinq livres, les deux associés n'ont fait nulle difficulté de le signer. Je les crois un peu véreux, l'affaire n'est pas bonne. Ce sont Messieurs Bluet et Duraiseau ? De la rue de la vieille Douane ? Hé bien, Monsieur Trapolin, cela ne vaut rien, ces gens-là manqueront incessamment, et ils n' n'ont pas encore huit jours dans le ventre. Mais… J'ai cru devoir… Cet article-là est bon, ce n'est pas comme l'autre. C'est mon affaire, et grâces au Ciel, je sais mon métier. Vous avez raison, cela ne gâte rien. Cela sera exécuté à la rigueur. Ce sont là de grands talents. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_URBINE *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_urbine Je me trouve en pays de connaissance : je vous donne le bonjour, Monsieur Durillon ; votre servante, Monsieur Trapolin. Cela vous étonne ? Feu Madame Durillon avait bien un sac de velours avec des galons. Cette bonne Dame-là tient furieusement à la vie, Monsieur Trapolin ; et le conseil de Monsieur le Président, qui est composé de ma mère et de moi, de lui, de son valet de chambre et de son homme d'affaires, nous a déterminés à précipiter la noce ; et à faire le mariage sous seing privé, à la campagne, et c'est dans cette vue-là que je viens aujourd'hui vous rendre visite… C'est ce qui a un peu dérangé les affaires de la famille. Que vous êtes badin, Monsieur Trapolin ! Que vous êtes badin ! Je vous assure que sur le chapitre du mariage je suis d'une insensibilité, d'une indolence… Oh ! Finissez donc, j'entends raillerie : mais vous devenez trop impertinent au moins. Faire prêter à mon amant pour douze mille francs de papier, et nous l'escompter en argent comptant, au moins de perte que vous le pourrez, car vous prîtes un peu trop la dernière fois. Vous ferez les choses en conscience. Nous aurons besoin de six ou sept mille francs d'espèces, pour des habits, un équipage, et quelques meubles : notre homme d'affaires endossera le billet, et cela sera rendu dans trois ou quatre mois, à la mort de la tante. Ah, ah, ah ! De quinze, Monsieur Trapolin ? Nous le connaissons : le grand scélérat ? On fera tout ce que vous voudrez, Monsieur Trapolin, nous avons une confiance en vous qui ne peut s'exprimer. Pourvu que nous trouvions de l'argent, Monsieur le Président signera tout aveuglément. On lui doit déjà huit cent pistoles. Adieu Monsieur Trapolin. Si j'épouse Monsieur le Président, vous aurez en nous une bonne pratique. Je veux lui faire changer tout son bien de nature, premièrement. Je suis votre très humble servante, Messieurs. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_DARGENTAC *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dargentac Très humble serviteur à celui des deux qui est Monsieur Trapolin, jé baise les mains à l'autre. Vous êtes donc lé Trapolin, vous ? Je m'en réjouis, et vous en félicite ; jé suis Dargentac, moi. Noblé famille, s'il en est au monde ; mais lé malheur du temps m'a pourtant réduit à mé faire Intendant d'une maison, dont le bisaïeul était Intendant de la mienne. Patience, patience, jé venge imperceptiblement mes aïeux, et je me rapproprie mon patrimoine. Jé ruine qui m'avait ruiné, et jé me sers des mêmes voies : c'est jouer aux barres, comme vous voyez. Hé ! Non sandis ; et faut avoir lé même titre, combien dé mes confrères se croient-ils en droit d'en faire autant ? Excusables, Monsieur ? Tout lé monde l'est. La fortune porte son excuse avec elle. Par quelqué route qu'on la fasse, quand elle est faite on n'a jamais tort. Comme jé suis avancé dans la mienne, et que vous marchez à pas de Géant dans la vôtre, c'est ce qui fait que je parle ici confidemment devant vous autres. Vous voyez comme jé m'y livre. Voici lé fait, monsieur Trapolin. J'ai quarante mille livres à payer pour le compte de la maison que jé gouverne, s'entend ; le paiement se devait faire en argent comptant, tout entier : mais j'ai eu l'esprit de composer ; et sous divers prétextes j'ai tant reculé, fatigué, véxé lé créancier depuis quinze mois, qu'il sé contente aujourd'hui de recevoir moitié papier, moitié d'espèces, c'est un profit clair, comme vous voyez. On m'a adressé à vous pour mé lé faciliter : fournissez-moi pour vingt mille livres dé bon papier, et je vous en fournis la valeur en beaux et bons louis d'or, ou monnaie blanche. Hem, plaît-il ? Quoi ? Comment dites-vous cela, Monsieur Trapolin ? Vous ne manquez pas de bonne volonté, jé lé vois : mais entendons-nous, s'il vous plaît. Vous mettez lé papier au niveau de l'argent, sans doute ? Lé vôtre ou le premier venu, j'y mets moitié de différence. La même chose ? Hé donc tout devient os entre vos mains, Monsieur Trapolin. Nous parlons consciencieusement dé grâce. Il faut suivre l'intention des gens une fois, la mienne est dé tirer du profit de mon argent. Hé oui, je comprends, nos intentions sont les mêmes ; et cependant si différentes, qu'elles auront peine à s'accorder. Hé ! Cadédis, soyez-le vous-même. Ne nous disputons que dé politesse. Mais savez-vous bien qué vous êtes un homme deur, et très deur au moins ? Quatre cents pistoles ? J'ai compté sur mille. Oui : mais je mets le profit sur le pied de huit, moitié pour vous, moitié pour moi, encore faudrait-il quelque chose à Monsieur pour son droit de présence. Mais, encore un coup, Messieurs. Arrêtez, arrêtez. Ah ! Monsieur Trapolin, Monsieur Trapolin, vous me saisissez par mon faible, je ne veux pas qu'on se plaigne dé moi ; j'aime à me louer des autres. Allons, vingt de papier, quinze d'espèces, et motus aux Trouffignac surtout ; le secret vous importera comme à moi, cé n'est pas la seule occasion que nous avons dé commercer ensemble. Dépêchez, déterminons-nous : lé Trapolin tope-t-il ? Prenons-nous la parole ? Elle aura des suites heureuses. À deux heures jé me rends ici, muni d'espèces. Et tous trois ensemble, lé verre à la main, nous ratifierons l'échange. Allons donc, enfants. Quoi, Sandis, vous vous essoufflez, pour si peu de charge ? Et vous vous appesantissez sous treize mille francs d'espèces ? Mé voilà dé retour, monsieur Trapolin, ne vous ai-je point fait attendre ? Hâtons donc d'achever la nôtre. Où est le papier ? Voilà treize mille livres de monnaie blanche, et deux mille francs en or dans cetté bourse. Ah ! Je m'en rapporte bien à vous, vous êtes homme d'ordre, il n'est rien de mieux, comptons l'espèce. Non, non, Monsieur Trapolin, les poids ne sont pas toujours justes, je n'ai pas fait les sacs, moi, je ne réponds de rien, je ne voudrais pas que l'on vous abusât d'un quart d'écu, je vais de pair avec vous pour la bonne foi, Monsieur Trapolin. Or sus, comptez, avez-vous quelqu'un de vos gens ? Hé ! Que lui veux-tu à Monsieur Dargentac, dis ivrogne ? Monsieur dé Touffignac ? Hé sandis qu'il monte, je né puis quitter, jé suis en affaires. Diantre soit fait de l'homme dé mé venir, relancer jusqu'ici ; les Touffignac sont incommodes. Continuez toujours, Monsieur Trapolin, mes espèces sont en bonnes mains, l'audience sera courte, jé descends, jé fais diligence. Oh, j'aurai bientôt expédié mon homme, jé suis alerte, jé suis alerte. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_DUBOIS *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dubois Je garde là-dessus autant de mesures que toi ; je ne te suis jamais venu voir avec les livrées de Monsieur le Président : j'ai toujours bien compris que tu avais des raisons pour faire l'homme de conséquence. Tu m'as fait sortir de condition, et tu crois pouvoir faire ma fortune ? Mais je crois, moi, que tu as manqué la tienne, en sortant de chez ton parrain Monsieur Zacharie. Premier Commis d'un Usurier ! Et tu quittes un poste comme celui-là dans le temps qui court ? Mais il aurait fait quelque chose pour toi ; il est riche et vieux garçon. Il songe à se marier ! Hé, avec qui ? La Nièce d'une certaine Madame Sara ? Et qui a laissé en mourant tant d'argent comptant ? Si ces gens-là s'unissent une fois, ils feront une bonne maison. Hé ! Comment cela ? Ah ! Je comprends. Tu deviendras l'oncle de Monsieur Zacharie ; il aura la nièce pour rien, et toi, le bien avec la tante. Il est difficile d'avoir l'un sans l'autre. Tant mieux. Sur ton billet ? Le terme est court, il faudra payer à l'échéance. Hé ! Ne te presse–t-on point pour le paiement ? Tu te feras des affaires. C'est donc de son aveu que la chose se fait, apparemment ? Mais le pot de vin manquant, marché nul. Est-ce là un de tes gens ? Tu as là de belles livrées. N'est-ce pas un Procureur, que ce Monsieur Durillon ? Oh bien, le Président de chez qui je sors ne fait pas si grand cas que toi de Monsieur le Marguillier, et il le traita hier, devant trente personnes, d'une manière… Cela est vrai, Monsieur, je demeurais encore hier chez votre voisin Monsieur le Président ; mais l'avanie qu'il avisa de vous faire dans sa cour, m'a fait craindre qu'il n'eût pas plus d'égard pour ses valets que pour ceux de la Justice, j'ai pris le parti de le quitter. Je fus trop sensible à l'embarras où vous étiez. Assurément. C'est la bonne manière, vous avez raison. Oh bien, Monsieur, vous avez secoué la housse, et moi je l'ai quittée ; et voilà Monsieur Trapolin, mon compatriote, qui me fait la grâce… Le Ciel m'en préserve, je suis discret pour toutes choses. Oh pour cela oui, je vous assure. Oui, Monsieur. Fort bien, Monsieur : je vous apporterai… J'entends, Monsieur. Je suis au fait. Je n'en oublierai pas une syllabe. Pardonnez-moi, Monsieur, me voilà, et voici Monsieur Craquinet, qui vient lui-même vous rendre réponse de l'affaire qu'il a faite. Il n'y a rien de payé, Monsieur Trapolin, tout est protesté, les lettres de change… Ma foi je ne sais, Monsieur Dargentac et le Fiacre m'ont étourdi, je songeais à toute autre chose, je vous l'avoue ; recommençons pour plus de sûreté. En voici un qui est diablement léger… Quelle chienne d'espèce ? Ma foi cela ne signifie rien de bon ; vous êtes trompé, si je ne me trompe, et le Gascon n'est pas si dupe. Malepeste ! J'en vois la conséquence. Voilà tout ce qu'il vous faut, Monsieur Trapolin : ne me donnez-vous point d'ordre pendant votre absence ? Il n'y a point de fortune à faire avec ces Messieurs de la Gascogne ; et si jamais je travaille pour mon compte, je n'aurai point d'affaire avec ces gens-là. Ce n'est pourtant point un vrai Gascon que ce drôle-ci, et le Fiacre dit qu'il est de Paris ; je crois par ma foi que les bords de la Seine produisent quelquefois d'aussi mauvais plants que ceux de la Garonne. Non, Monsieur, je ne suis que son Commis. Il n'y est pas, Monsieur : mais si vous avez quelque affaire pressée… Vous n'êtes pas le seul à qui cela arrive. Vous êtes de Normandie apparemment, Monsieur ? C'est-à-dire que vous venez plaider à Paris ? Le cas est embarrassant. C'est une grande épargne. Il vous a dit vrai , Monsieur, mais il n'y est pas Monsieur Trapolin. Je pourrais bien faire votre affaire en son absence. Pour combien voulez-vous escompter de papier ? Il perd moitié, je ne sais si vous le savez. Nous le prenons à cinquante, nous vous en donnerons à quarante-neuf, tant qu'il vous plaira. On vous le rendra à un de perte. Une reconnaissance ! Vous moquez-vous ? Nous n'écrivons jamais, nous autres, nous ne prenons jamais d'autre engagement que la bonne foi. Où sont vos billets ? Je vais vous donner un sac de mille livres, que j'ai bien fait de ne pas serrer. Je viens de le compter avec Monsieur Trapolin, il n'y manque pas une obole. Je ne débute pas mal, à ce qu'il me semble. Monsieur Trapolin ne fait les affaires qu'à trente-neuf, et je les fais à cinquante, moi, et avec un Gentilhomme de Normandie encore ; je prévois que j'irai loin. Cet excédent de profit ne devrait-il pas être pour le Commis ? Ce jeune drôle-là promet beaucoup. Oui : mais s'ils le trouvent, ce ne sera pas pour la restitution, ce sera pour le partage. Où diantre ce coquin a-t-il pris un sac de mille livres ? N'est-ce point tout le Régiment qui s'est associé pour vous faire pièce ? Vous avez rançonné quantité de ces Messieurs-là. Je viens déjà de faire une petite affaire qui commencera de vous dédommager. Voilà deux mille francs de papier, que je viens de troquer contre un sac de mille livres. Je suis fort entendu : mais je suis pour le moins aussi heureux. Hé, morbleu, j'ai donné ce sac que vous m'aviez dit de serrer le plus heureusement du monde. Oui, Monsieur, vous n'auriez jamais deviné que j'en ferais un si bon usage. Vous n'en êtes pas content ? La cervelle vous tourne, au moins, cousin Trapolin. Trois mille francs ! Non, non, nous l'avons compté ensemble. Que diable ! Vous y aviez mis deux mille francs en or ? Parbleu, allez, il faut que vous ayez fait cela bien adroitement, car je ne m'en suis point aperçu. Je sais son nom, du moins, Monsieur de Chicanenville, un Gentilhomme de Normandie. Pardonnez-moi, il est allé au Café ici-près rejoindre son Avocat, ne perdons point de temps, nous les trouverons. Ne faites point de bruit de l'aventure, au moins, cela nuirait à votre crédit, et au mien, peut-être. Tu voulais faire ma fortune, cousin, voilà la tienne bien dérangée : je m'en vais reprendre les livrées du Président. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_CLAUDINE *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_claudine C'est donc la première fois que tu es venu à Paris, cousin ? Tout exprès pour moi ? Notre tante Simonne ? J'en suis bien fâchée, Lucas. Qu'est-ce à dire, je ne partagerons pas ? Je n'ai qu'à voir ? Ça ne se voit pas en un clin d'œil, il faut un peu raisonner là-dessus. Oui, mais écoute donc, Lucas, je suis ici dans une bonne maison, et avec une jeune Maîtresse, qui m'a promis de faire ma fortune. Hé ! Le moyen ? Tu ne sais ni lire ni écrire. Oui, c'est bien tout un, mais ce n'est pas de même. On dit que ce n'est pas par l'esprit que les filles faisont fortune dans ce Paris : mais les hommes… Tu es un ignorant, ça ne se fait pas comme ça : il faut savoir écrire, compter, faire des chiffres, il n'y a que ce moyen-là pour parvenir. Monsieur Trapolin n'était qu'un Paysan comme toi il y a cinq ou six ans, quand son Parrain le fit venir à Paris : mais il sait écrire, lui, aussi est-il devenu si riche. Un bien habile homme, et si ça est tout jeune, c'est à qui l'aura. Il y a une vieille Madame Sara qui le veut pour elle ; et sa nièce qui est ma Maîtresse, à moi, le veux avoir itou, et si je crois pourtant qu'elle s'est déjà un peu emparé de quelque autre. Il l'est en tout ; aga tiens, Lucas, il change le papier en de l'argent, et l'argent en papier, et il ne perd jamais là-dessus, il gagne toujours. Oh ! C'est un bon négoce. Oui, tout le papier qui est dans la maison, c'est autant d'argent, crois-tu ça ? Non, non, il n'y a point de sortilège là-dedans. Si j'en suis sûre ? Il en baillit dernièrement une vingtaine de feuillets à une Dame, qui allit tout aussitôt en acheter une maison de campagne Oui, encore hier ; sans faire semblant de rian, je jettis la vue sur un feuillet qu'une vieille Madame venait troquer contre un sac d'argent, qu'alle prêtit d'abord à un jeune homme. Hé bian, je vis du noir et du blanc, des lettres comme on écrit, et pis d'autres lettres comme on compte, m'est avis qu'ils appellont ça des chiffres. Et pis il y a encore de grandes raies avec des noms en pataraphes. En attraper ? Gardons-nous-en bian, le diable nous tordrait le cou, peut-être. La Demoiselle que je sers. Je vous demande bian pardon, Mademoiselle, je ne sis pas coutumière de ça, mais j'ai rencontré un de mes cousins. Le cousin est comme moi. N'ai-je pas bian choisi la mienne, dis cousin ? Est-ce que vous allez avoir un carrosse, Mademoiselle ? Je viens savoir ce que vous me voulez dire. J'ai laissé là-bas votre cocher : mais je sommes tous deux bian embarrassés où je mettrons les chevaux et le carrosse, il n'y a ni remise ni écurie. Un grand repas aujourd'hui ? On n'en sait encore rien dans la cuisine. C'est à la maison où vous allez demeurer, je gage ? Voilà des préparatifs qui sentent bien la noce, Mademoiselle. Mais pourquoi faut-il que vous ayez tout cet embarras-là, vous ? Monsieur Trapolin ne pouvait-il pas de son côté… C'est ce jeune Monsieur qu'on appelle Clitandre, qui jure si fort quelquefois contre lui. J'ai mis le nez dessus, n'est-ce pas ? Vos commissions sont faites, Mademoiselle, ça sera comme vous l'avez dit. Là-bas, Mademoiselle, dans la cuisine, je crois qu'il déjeune encore. Oui, Mademoiselle. Si le papier que le cousin a trouvé est aussi bon que je me l'imagine, il n'aura que faire de la casaque, et nous pourrons bian tous deux nous en retorner au Village. Mais j'entends Monsieur Trapolin qui querelle avec quelqu'un, il est coutumier de ça. Il faut laisser faire. Le vela tout seul, par bonheur, j'en ferons plus aisément notre affaire ; et il vaut mieux s'adresser à stici qu'à l'autre. Va, va, laisse-moi faire, je ne sis pas une bête. Avec un de mes cousins, Monsieur. Oui, Monsieur, vous-même. À combien est-il aujourd'hui, le papier, Monsieu, dites ? Non, Monsieu, c'est sti cousin, que je voudrions bian que vous ly troquissiais. Oh ! Monsieu, ne mettez point de condition à ça, s'il vous plaît. Lucas ? Non, m'est avis que ça ne se fait pas comme ça. Je ne savons tous deux ce que c'est, je vous demandons bian excuse. Si fait, Monsieur, c'est un billet que le cousin a trouvé ; et comme je ne savons lire ni l'un ni l'autre, j'avons prié Monsieur de le vouloir troquer contre de l'argent comme vous faites, vous. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LUCAS *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lucas Palsangué, couseine, c'est une terrible ville que ce Paris, queu peine on a d'y trouver une fille. On ne t'y connaît non plus que s'il n'y avait pas six mois que tu y demeurisses. Je te charche morguoi tout depuis hier que je sis arrivé ; et si par cas fortuit je ne t'avais pas rencontrée, je crois, Dieu me pardonne, que je te chercherais encore, et je me chercherais peut-être itou moi-même, car j'ai pensé me perdre. Oui, toute la première, et c'est tout exprès pour toi que j'y viens afin que tu le saches. Oui voirement. Je sommes tous deux orphelins, je n'avions plus qu'une tante, comme tu sais, alle vient de mourir. Justement, la pauvre femme vient de trépasser ! Et moi itou, Claudeine : mais il faut que tout finisse, je sommes ses héritiers, si tu veux je partagerons, ou si tu veux je ne partagerons pas. Oui, je ne dépendons que de nous, je n'avons qu'à nous marier, ça évitera le partage, et j'aurons lignée à qui tout revanra, tu n'as qu'à voir. Qu'est-il besoin de raisonnement ? C'est un avis de Monsieur le Curé, qui ne veut pas que le Bailli ni le Tabellion fourriant leur nez dans nos affaires ; il me l'a baillé en conscience, je te le rends de même, t'en feras ce que tu voudras. Hé bian, tant mieux, qu'alle fasse itou la mienne, me vela tout porté, il ne lui en coûtera pas davantage. Pargué, ni toi non plus, je sommes aussi savant l'un que l'autre ; et si on fait la tienne, il m'est avis que la mienne ne sera pas plus malaisiée. Tatigué, je la ferai par où tu la feras, je sommes parents, du même Village, je suivrons tous deux le même chemin. Hé bian, je parviendrai, il n'y a qu'à apprendre. Qu'est-ce que c'est que ce Monsieur Trapolin. Mais en quoi donc est-ce qu'il est si habile, ce Monsieur Trapolin, qu'il a tant la presse ? Il change le papier en de l'argent ? Morgué ! C'est queuque sorcier que ce drôle-là : notre Barger l'est itou : mais il n'en sait pas tant, et il est bian raisonnable que les sorciers de Paris en sachiant plus que les sorciers de Village. Il faut bian que l'y en ait, faire de l'argent avec du papier ! Es-tu bian sûre de ça ? Acheter une maison avec des feuillets de papier ? Hé ! Comment est-il fait ce papier-là ? En as-tu vu de près ? Hé bian, que vis-tu ? Vela ce que c'est, des chiffres, ça ne vaut pas le Diable. Justement, des noms en pataraphes, c'est du grimoire ; si je pouvions attraper queuques petits feuillets de ce papier-là, Claudeine ! Bon, palsanguenne est-ce qu'il le tord aux autres ? Ayons tant seulement du papier, et pis laisse faire, je nous accomoderons avec ly, ne te boute pas en peine. Mais voici queuqu'un, qui est-ce ste parsonne-là. Tatigué qu'alle est gentille ! J'ai amusé un tantinet la couseine : mais ça n'arrive pas tous les jours, on ne viant pas à Paris huit fois la semaine. Pargué, Mademoiselle, voir un peu le monde, tâcher de m'y fourrer et de faire comme les autres forteune, si je puis. Je charche sans charcher, j'en voudrais bian trouver queuque bonne. Ça est vrai, vous avez raison ; aussi veux-je être maître. Oui, Mademoiselle. Quand on a à entrer en condition, il faut toujours prendre la meilleure. Comment bian choisi ? Oh, tatigué si j'en avais une comme ça, je n'en démarrerais pas, et je la sarvirais…Oh, tatigué si j'en avais une comme ça, je n'en démarrerais pas, et je la sarvirais… Oui, la peste m'étouffe. Oh palsanguenne non, je ne sais rian par apprentissage… Mais pour en cas de ce qui ne s'apprend point, j'ai une routeine… Si je serais cocher ? J'ai été quatre ans charretier d'un laboureur, ça est pargué bian plus difficile que de mener un carrosse ; il faut prendre garde à ce qu'on fait, aller droit en besogne : mais un carrosse, ce n'est pas de même. J'ai mené deux fois sti d'un Abbé, à sa campagne da : il n'y a rian de plus commode, on n'a affaire qu'aux chevaux, on met le carrosse et le maître et la maîtresse à son darrière, on ne les regarde pas tant seulement ; et drès qu'ils sont dedans, touche cocher, on va où ils voulont. Allez, allez, Mademoiselle, je ferai votre affaire, et je ne vous crois pas si malaisée à mener qu'une charrue. Ne va pas dire que je l'avons trouvé dans la maison, queuqu'un dirait que c'est à ly, peut-être. Pargué, voir la couseine, Monsieu, et tarminer queuques petites affaires. La couseine vous le dira. C'est une nature d'affaire où l'on dit que, si vous le vouliais, vous pourriais bian me rendre queuque sarvice. On me devait queuque argent, je sis allé pour le recevoir, et on ne m'a baillé que du papier. Oh, parguenne oui, c'est tout du plus fort, et du meilleur ; il n'y a aucune déchirure. La somme ? Alle sera comme il vous plaira, je ne vous taxons point : vous êtres un brave homme. De l'or, Claudeine… Oh, Monsieur ! Comme il rit ! Est-ce là la sarimonie qu'il faut faire pour changer le papier en de l'argent ? Dis. Un billet doux, Claudeine ? C'est tout du meilleur papier, n'est-ce pas ? Mais morgué, Monsieu, dépêchez-moi donc, qu'est-ce que ça vaut ? Pour me bailler de l'argent il ne faut point tant de préambule. Ça ne viant point au fait, il n'y a encore rian là qui parle d'argent, Claudeine. Cent coups de bâton, da ? Hé, parle donc ? Claudeine, est-ce comme ça qu'on fait de l'argent avec du papier ? Queulle peste de monnaie ! Lisez, lisez plus loin, Monsieu, la somme se trouvera à la fin, peut-être. Je vous le disais bian, que vous trouveriais la somme. Hé bian, votre papier ne vaut rian, Monsieu Trapolin ; on ne trouve dessus que des coups de bâton et des injures, et si, on appelle ça des billets doux encore. **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_GUILLAUME *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_guillaume Que vous plaît-il, Monsieur ? **** *creator_dancourt *book_dancourt_agioteurs *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_agioteurs *dist2_dancourt_prose_comedy *id_CANGRENE *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cangrene Je vous donne le bonjour, messieurs, je suis bien aise de vous rencontrer ensemble, et je ne pouvais trouver une meilleure occasion. Je vous baise bien les mains, Monsieur Durillon. Au contraire, mon ami, plus que jamais : mais comme je vois un certain arrangement dans les miennes, et que je suis bien aise de me faire des amis et des protections, je suis un peu moins dur qu'il n'a fallu l'être pour commencer un établissement. Il est bon de mettre un frein à ses passions, et de ne pas passer de certaines bornes. Aussi ne me mêlai-je plus de rien qui puisse charger ma conscience. Cela se pourrait bien : mais il y a de grands héros chez vous autres, sans vous compter, Monsieur Durillon. Un petit scrupule que mon beau-père, Monsieur de la Forêt, m'a mis dans la tête : il dit que j'ai trop gagné dans une petite affaire. Aussi l'est-il : mais cela n'empêche pas qu'il ne soit honnête homme. Ses remontrances me chagrinent, cela m'empêche de jouir avec tranquillité de la petite fortune que je me suis faite, et les réflexions me dégoutent de la continuer. Et pour me remettre un peu l'esprit, que je suis bien aise de savoir votre sentiment sur cette affaire. Je me déterminerai par vos conseils. Quand on a des difficultés, on ne saurait mieux faire que de consulter les maîtres de l'art. Un de mes intimes amis, fort galant homme, et que je me suis fait un plaisir d'obliger, a eu besoin de six cents francs de papier pour une affaire pressante, je les lui au prêtés sans intérêt. Point du tout, il m'a fait une lettre de change de place en place, payable en espèces à trois usances. Il m'a remis entre mes mains un Contrat de constitution sur un particulier, au principal de deux mille livres, que j'ai eu la complaisance de prendre, comme pour plus grande sûreté. Les trois mois passent, j'envoie chercher de l'argent, il ne s'en trouve point. Non. Ce ne sont point mes allures, assignation à un ami ? À un honnête homme ! Je vais le trouver : vous n'avez point d'argent, je ne veux point de procès, accommodons-nous ; si vous m'aviez payé six cent livres, j'en aurais fait pour mille francs d5e papier, vous en auriez besoin, je vous les prêterais, vous me feriez un billet de pareille somme en espèce encore, dans trois mois comme l'autre. Aussi mon homme n'en fait-il point, tout se passe en douceur, je rends le premier billet, on en fait un autre, le temps s'écoule, l'échéance arrive, point d'argent encore. Voilà ce qui vous trompe ; autre facilité de ma part, nouvel accommodement. Peut-on avoir de mauvais procédés avec un ami ? Je ne hais tant que de faire de la peine, et à des personnes qui en usent bien surtout ; je n'ai jamais été processif. Il m'est dû mille francs, j'ai entre mes mains un Contrat du double, compensons la chose, faites-m'en un transport, je rends le billet. Qu'est-ce à dire le surplus ? Je demande du retour, et on m'en donne ; je prends le contrat pour huit cent livres, sur le pied de l'estimation qui en est faite par d'honnêtes gens de la profession. Mon ami qui est honnête homme, et qui n'aime pas non plus le bruit que moi, donne deux cents livres sans barguigner : me contrat me reste, et nous demeurons quittes. Il y a un petit article secret qui lui fait peine : la rente du contrat a couru pendant les six mois que je l'ai gardé, le beau-père veut que j'en tienne compte à mon ami : cela est-il juste ? Vous me mettez l'esprit en repos, cela me rassure. Ce n'est pas faute de trouver de bonnes dupes dans ce pays-là ; mais je m'y remettrai, laissez-moi faire. Vous m'avez tranquillisé, je n'en ai plus : en vous remerciant, Messieurs, je vous baise les mains.