**** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MONSIEURGRICHARDIN *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurgrichardin J'ai eu quelques ordres à donner. N'est-il pas venu ici ?… Ils sont ici ? J'en suis bien aise. Oui, ma chère enfant, depuis notre mariage je suis galant et de meilleure humeur que je n'ai jamais été, et j'ai imaginé, pour vous faire plaisir, de vous donner ici ce soir une espèce de petit bal, une façon de petite fête. Justement. Nous n'avons point fait de noces en nous mariant ; ma famille bourgeoise en a murmuré, et pour la faire taire, je me suis déterminé à leur donner ce soir un petit régal, qui, en les rassemblant cette seule fois, nous acquittera de toutes les autres corvées qu'il eût fallu faire. Qu'en dites-vous, Madame ? Mais, ce sera un bal, d'abord, si tu veux. Ensuite une manière de souper pour nous autres, pendant qu'on dansera. Ensuite on se quittera, et chacun s'ira coucher. Mais que diable, ensuite, ensuite ; ces suites-là ne sont pas mes affaires, et je ne prétends pas que la fête dure huit jours. Cela est vrai, au moins, j'ai les manières nobles. Plaît-il ? Non, cela n'est mal imaginé : mais quelle Comédie pourrions-nous prendre ? Qu'est-ce à dire, Léandre ? Vous voudriez une Comédie Française ? Fi, fi, fi. Je me récrie, je me récrie, parce que je n'aime point ces Messieurs-là. Ce qu'ils m'ont fait ? Ce qu'ils font à tout le monde. Ils veulent être seuls à divertir le public, et il semble qu'ils prennent à tâche de l'ennuyer. Ils ont un privilège de ne rien faire qui vaille, parce qu'ils sont seuls, de mal jouer les anciennes Pièces, et de n'en point donner de nouvelles qui ne soient mauvaises. Voilà un Privilège bien soutenu ! Morbleu, si j'étais le maître de cela, moi et bien d'autres… Ce que je ferais, Madame ? Je ne verrais pas une de leurs Pièces, à moins qu'ils ne devinssent raisonnables. Que je les corrigerais bien, s'il dépendait de moi ! Je ne leur veux point de mal d'ailleurs, et je ne vous empêche point de voir Léandre, comme vous savez ; mais pour ne me pas déchaîner contre leur paresse, et le peu d'attention qu'ils ont à mériter l'approbation du public, oh ! Je vous baise les mains. Comment, son impertinence ? De ma fille ! Oh, parbleu, voici qui est plaisant, je la lui garde, il n'a qu'à s'y attendre. Hé, qui t'a dit cela ? En mariage ! Il n'y songe pas. Ce n'est ni la famille, ni la profession qui me répugnent ; et une grande marque de cela, c'est que si je voyais ces petits Messieurs-là faire ce qu'ils doivent, je serais le meilleur de leurs amis. Il faut qu'ils le fassent tous et qu'ils le fassent de concert encore, sans cela… Entre nous autres ? Je voudrais donc que ce fût une petite Pièce à la manière Italienne, cela les ferait enrager. Mais comment ferons-nous ? Mais cela sera-t-il joli, Marton ? Il y a peu de gens qui s'y connaissent mieux que moi. J'étais un des meilleurs appuis du Théâtre Italien, je leur ai bien fait gagner de l'argent. Je leur avais donné de bons mémoires. Je m'en vais les recevoir, et donner ordre pour le souper. Toi, Marton, dispose ton petit essai de Comédie. Il faudra faire ici un petit Théâtre dans le jardin, et avoir bien soin que tout aille comme il faut, et que cela fasse plaisir à ma femme ; ce n'est que pour elle que je fais tout cela. Je viens vous dire, Madame, que tous les gens priés sont presque ici. Ne trouveriez-vous pas à propos, en attendant le souper, que nous prissions le divertissement d'un petit air Italien que chante ma cousine l'Avocate, et d'une Sarabande qu'une de mes nièces danse en perfection ? Ce sera le prélude du bal. Allons donc. Que l'on fasse venir la symphonie ; on nous avertira quand on aura servi. Hé bien, Marton, ton petit essai de Comédie ? Oh, je me prête à tout pour moi : songeons à notre Comédie ; on dit que tu en seras, toi, ma nièce ? Et ma fille aussi ? Cela est admirable, cette fille-là est comme moi, elle a du talent pour toutes les choses d'esprit. Non, non, qu'il entre, ce sera autant de fait. C'est un parti qu'on m'a proposé pour vous ma nièce : mais je n'ai pas de goût pour les hommes d'affaires, je ne tarderai pas à m'en débarrasser. Oui, Monsieur, on m'a parlé de vous, et voilà ma nièce Isabelle, pour qui l'on m'a dit que vous aviez quelque dessein, qui se rencontre ici fort à propos. Non, Monsieur, puisque vous voilà, vous y prendrez part, et nous pouvons en attendant… Qu'est-ce que cette maladie-là, Monsieur, une goutte consulaire. Je n'en avais jamais ouï parler. Mais je n'avais jamais ouï dire que le mariage fût u remède contre la goutte. Vous me ferez plaisir : mais ne soyez pas long. En se mariant, quand elle est légère ! Et comment cela, s'il vous plaît ? Nous vous avons tous deux bien de l'obligation. Vous ne manquez pas de zèle, à ce que je vois ? Je suis votre valet, il faudrait les payer. Premier Quartier. Pleine Lune. Décours, nouvelle goutte… Je vous remercie des bonnes intentions que vous avez pour ma nièce, je l'aime trop pour lui faire épouser un goutteux ; je ne veux point de gens d'affaires dans ma famille. Très assurément. Comment donc ! Qu'est-ce que ceci ? Par ma foi, voilà qui est plaisant, j'ai fait cela de moi-même. Oh ! Je suis un habile homme. Mais vraiment oui, ma nièce, c'est ta cousine. Elle est fort jolie comme cela, oui, Marton. Ce jeune Docteur-là n'est pas fort habile sur ces matières, et je crains que vous ne soyez mal adressé. Hé bien, faites ; voyons un peu comme elle se tirera d'affaire. Angélique se rire à merveille de son rôle, au moins. Il n'y a rien que ce Docteur-là ne soit. Elle crèvera à force d'être habile. Ma fille… Il faut pourtant la faire taire, il y a pour en mourir. Oh ! Pour cela elle doit l'être. Comment appelez-vous la pièce vous nous allez donner ? Ce titre-là promet, mais dépêchez-vous ; et en attendant que vous soyez prêts, je vais commencer le bal, et chanter quelque petit air, cela servira d'ouverture pour la Comédie. Moi ? Je ne signerai point que je n'ai connu la fin. L'Amour Charlatan ! Cela doit être joli. Ils font de moi ce qu'ils veulent. Me voilà de la Troupe ; allons, signons donc, qu'à cela ne tienne, voilà qui est fait. Qui signe, à présent ? Comment, comment donc ? Mais c'est une Comédie. Parbleu, puisque je l'ai signé, tout coup vaille ; en faveur du plaisir que vous nous avez donné, je passe la fourberie que vous m'avez faite. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LUCILE *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lucile C'est un fort bonhomme, un fort galant homme que Monsieur Grichardin, Marton ; et comme il n'y a que douze ou quinze jours que nous sommes mariés, je m'accommode encore de ses manières. Pourquoi cela, Marton ? Il fait tout ce que je veux, Marton. Hé, la raison ? J'aurai toujours les mêmes égards, s'il a toujours la même complaisance. Monsieur Guichardin ne paraît pas le haïr. La jalousie serait mal fondée, l'estime et l'amitié que j'ai pour Léandre… Nos fortunes n'en sont pas meilleures. Autant que je pourrai contribuer à votre bonheur, ma chère Marton… Mais tes vues ne sont pas de passer par tous ces grades-là, Marton ? Je ne blâme point en toi cette passion, non plus qu'en Léandre. Je vois bien, ma chère Marton, que ta passion dominante est de t'approcher aussi des personnes de distinction. Ne serais-tu point amoureuse de Léandre ? Le voici, je crois, Marton. Que tu es extravagante ! Bonjour Léandre, vous me faites bien plaisir de me venir voir. Ne jouez-vous point aujourd'hui ? Et passerez-vous avec nous toute la journée ? Oh, pour une fortune brillante, retranchez cela, je vous prie, Léandre. Je n'ai point remarqué qu'il vous vît à regret ici. Pourquoi donc ? Vous, amoureux ! Hé ! De qui, Léandre ? De ma belle-fille ? Angélique vous aime-t-elle ? S'il ne fallait que mon aveu pour devenir heureux, vous le seriez bientôt, Léandre, je vous assure. La nièce de Monsieur Grichardin ? Je les appuierai de tout mon pouvoir. Je le veux bien. Que cherchez-vous, Angélique ? Demeurez Angélique, demeurez, on n'a pas dessein de vous faire de la peine. Vous pouvez compter sur moi, ma chère enfant. Sans doute. Oh ! Finis, Marton, ne badine point. Qui, Marton ? Elle est sincère. Il a fait mon bonheur ; je serais bien ingrate de ne pas contribuer au vôtre. Votre avis est bon, je le suivrai. Je l'ai ouï dire. Vous revenez un peu tard, Monsieur ? Vous avez quelque dessein de nous surprendre agréablement, sans doute ? Je dis que vous faites fort bien : mais qu'est-ce que ce sera, que ce petit régal ? Un bal, soit. Ensuite ? Une Tragédie, ou une Pièce Comique ; nous n'avons qu'à faire prier Léandre… Pourquoi donc ? Et à quel propos vous récriez-vous contre la Comédie Française, Monsieur ? Que feriez-vous ? Épargnez-les un peu, de grâce. Je ne prétends pas vous contraindre, et si Léandre même vous fait peine, je vous promets que je ne le verrai plus. Pourquoi donc, Monsieur ? Quelle répugnance auriez-vous pour cette affaire ? Léandre est un jeune homme de famille, qui a des talents pour sa profession. Je l'approuve fort aussi : mais il y en a beaucoup qui font ce que Monsieur souhaite. Je ne comprends rien à tes idées. Tu prétends… Monsieur Pierrot, je suis votre servante. Je ne jouerai point, moi : mais je donnerai les mains au dénouement. Je rirais bien, si cette idée pouvait réussir. Comme vous voudrez, Monsieur, n'êtes-vous pas le maître ? Monsieur Grichardin ne pourrait-il point jouer ce rôle-là ? Il a joué naturellement dans la Scène de l'homme d'affaires. Pourquoi non ? Pour des mariages de comédie, il ne faut point tant de façon, il n'y a qu'à signer un papier, le premier venu ; n'en avez-vous point sur vous, Monsieur le Docteur ? **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_ANGELIQUE *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_angelique Je m'étais imaginé avoir vu entrer ici… Quand on a l'idée remplie de ce qu'on aime… Je me suis trompée. Rien, Madame. Pardonnez-moi, Mademoiselle Marton, je vous assure. Vous le savez ? Vous m'embarrassez, Marton, je me retire. Sérieusement ? Ah ! Si cela était vrai, que je vous aimerais, Madame, quoique vous soyez ma belle-mère. Ne le devinez-vous pas, Marton ? Et ne savez-vous point à votre âge ce qui intéresse le plus une jeune personne ? Vous êtes dans le même cas, dites-vous ? Vous appelez cela une maladie ? Je ferai tout ce que vous me conseillerez de faire pour y remédier, je vous assure. Je ne saurais dire ces choses-là, Marton. Vous me ferez plaisir. Oui, Marton. Qui, Marton. Mais, qui donc, Marton ? Explique-toi ? Vous ne m'interrogez point comme il faut : que ne me demandez-vous si ce n'est pas Léandre ? Je vous avouerai que c'est lui-même. Ah, Ciel ! C'est une surprise que ceci, Léandre, et sans la petite trahison qu'on m'a faite, vous n'auriez pas si tôt su que je vous aime. Vous savez ma faiblesse, voudrez-vous bien l'excusez, Madame, et nous aider à persuader à mon père de consentir à nous rendre heureux ? Au moins, Madame, si vous voulez vivre heureuse avec mon père, il faut que vous vous rendiez un peu la maîtresse. Feue ma mère l'avait mis sur ce pied-là. Elle lui faisait faire tout ce qu'elle voulait. Il faut qu'il fasse tout ce que vous voudrez, et que vous vouliez toujours qu'il me marie avec Léandre. De Comédie, ma chère Marton ! Hé, que vous ont-ils fait, mon père ? Ils ont un privilège qu'ils soutiennent. Ah ! Marton, que va-t-elle promettre ? Marton… Es-tu folle, Marton… Je comprends que vous nous perdez, et que vous entretenez mon père dans un goût et dans des sentiments qui nous sont tout à fait contraires. Comment, Marton ? Hé, quel rôle lui destinez-vous, Marton ? Il sera bien vilain comme cela, Marton. Léandre ne revient point, Marton, et voilà Éraste avec ma cousine. À quoi songe-t-il donc ? Cela commence à m'impatienter. Nous ne pouvons pas jouer une Comédie sans un peu de concert, et il faut du temps pour se concerter. Si je la sais ? J'en apprendrais bien d'autres ; mais cette Scène-là ne mène à rien : à quoi cela peut-il être bon ? Je ne suis point tranquille. Que ma cousine vienne donc aussi ; pendant que Léandre n'est point avec moi, je ne veux point qu'Éraste soit avec elle. Sa son Dutor ? Hé, vous ne connaissez donc pas le Dutor Batoche ? Pouvez-vous rencontrer personne qui ne vous parle de mes talents et de mon savoir ? Sa son Dutor ? Oui, oui, je suis Docteur, et de race de Docteur. N'avez-vous pas ouï parler en mille endroits du grand Docteur Scathlon mon père ? Mon aïeul était le Docteur Campanasse : toute la terre est pleine de sa réputation. Sa son Dutor ? Et que souhaitez-vous du Docteur ? Parlez, parlez, expliquez-moi vos difficultés, si vous en avez. Est-ce de l'art, ou de la science ? De la pratique, ou de la spéculative ? De la manière, ou de la forme ? Du concret, ou de l'abstrait ? Du simple, ou de l'absolu ? Sa son Dutor ? Que voulez-vous du Docteur ? De la Poésie ? Je suis frère utérin d'Apollon le père des Muses, le compagnon de Virgile et d'Homère, l'intime ami d'Horace et d'Arioste. Sa son Dutor ? En musique je suis un Orphée, dans la Peinture un Raphaël, dans la Sculpture un Bernin, dans l'Architecture un Michel-Ange, et dans la Mathématique un Archimède. Pour l'invention, je suis Perille, et pour l'instruction, un Aristippe, pour l'Histoire, un Tite-Live, pour la curiosité, je suis un Zénon, pour le secret, un Metellus, pour la science, un Hiperide, pour le travail, un Adrian, pour l'amitié, un Oreste, et pour la force, un autre Hercule. Sa son Dutor ? Est-il question de Philosophie ? Je suis plus subtil qu'Aristote, et plus universel que Platon. Voulez-vous que je vous parle de Physique, ou de Morale ? De l'être réel, ou de raison ? Je vous ferai voir par toutes sortes d'arguments et de distinctions : Che in sta testa non datur vacuum. Sa son Dutor ? Avez-vous besoin de la médecine ? Je suis le plus grand ami d'Esculape, j'ai fait plus d'aphorisme qu'Hipocrate, j'ai lu quatre ou cinq fois Galien et Avicene ; je défie l'hydropisie, la paralysie, la dysenterie, la pleurésie, la frénésie, l'esquinancie, l'apoplexie et toutes les maladies qui se terminent en ie, d'attaquer un tempérament que j'aurais pris sous ma protection. Sa son Dutor ? Suis un ignorant, à votre avis ? Peut-on trop parler quand on parle bien ? J'ai plus d'éloquence que Démosthène, plus de facilité d'expression que Cicéron. Plus de connaissance que Périandre, plus d'étude que Platon, plus de vertu que Démétrius, plus de droiture que Caton, plus de génie que Thémistocle, plus de jugement que Tibère, plus de mémoire que Mithridate, plus de prudence que Dion. Plus d'honneur que Pompée, plus de gloire qu'Alphonse, plus de grandeur d'âme que Fabricius, plus de fermeté que Brutus. Plus de libéralité que Titus, plus de magnificence qu'Auguste, plus de fortune que César, et plus de générosité qu'Alexandre. Sa son Dutor ? Je sais faire l'impossible, accorder l'amour et la haine, l'antipathie et la sympathie, le mouvement et le repos, le tort et la raison, le mal et le bien, le chaud et le froid, le vert et le sec, le noir et le blanc, le oui et le non, le beaucoup et le peu, le tout et le rien, le vrai et le faux. Est-il quelque chose que je ne puisse faire ? Sa son Dutor ? Je suis un microcosme, un abrégé de tout le monde ; vif comme un français, grave comme un Espagnol, rusé comme un Italien, hardi comme un Turc, fier comme un Écossais, gourmand comme un Anglais, et ivrogne comme un Allemand. Sa son Dutor ? Docteur des Lois, et plus que passé Docteur. Voulez-vous que je vous explique la Loi ? Ah, ah ! Vous en voulez par là, vous êtes fort bien adressé, que ne parliez-vous d'abord sans tant de préambules ? Il y a une heure que je vous écoute sans dire une parole. Quelle patience il faut avoir avec vous... Ah ! C'est de la loi que vous voulez que je vous entretienne ? Hé bien, je suis un Législateur plus estimé que Lycurgue ; pour gouverner, je suis Solon ; comme commander, je suis Cassides, et pour le Conseil, Gratian. Cherchez-vous un avocat, ou un procureur ? Avez-vous des procès actifs, ou passifs ? Êtes-vous demandeur, défendeur, accusé, ou accusateur ? Est-ce une cause d'audience, ou un procès par écrit ? Est-il civil, ou criminel ? S'il est civil, j'ai commenté nombre de fois Barthole et Balde ; si votre affaire est criminelle, j'ai plus écrit sur ces matières qu'aucun autre jurisconsulte, que Farinas même. Sa son Dutor ? En doutez-vous à présent ? Oui, Messieurs, je suis Docteur, non solum in utroque : mais ; cinquantoque et centupliquoque Jure, in omnibus et per omnia Doctor excellens, excellentior et excellentissimus. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_ISABELLE *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle J'en crois le cœur encore plus que les yeux, Éraste, et le mien m'a fait sentir des mouvements qui m'ont appris que vous étiez ici. Marton m'a promis qu'elle nous aiderait à le surprendre. Nous travaillerons pour eux en travaillant pour nous. Marton m'a expliqué tout cela. Celui d'une jeune personne que vous aimerez, et qui paraîtra ne vous point aimer. Que je trouve ce personnage-là difficile ! Qu'importe que les rôles soient gênants, si le dénouement doit être heureux. Ce ne sera qu'une petite pièce, Éraste. Je ne la trouverai guères moins ennuyeuse ; l'incertitude, la crainte de ne pas réussir à tromper mon oncle… Laissons-nous conduire par Marton, cela roule sur elle ; elle sait la portée de son génie, elle n'en fera ni trop, ni trop peu. Oh ! Pour cela, ma cousine. Quelle violence je me fais ! Ah ! Ma chère Marton, je suis au désespoir, si l'idée que nous avons de surprendre ce soir le consentement et la signature de mon oncle, il n'est plus d'Isabelle pour Éraste. Je viens d'entendre une vieille cousine, en qui mon oncle a grande confiance, qui lui proposait de me marier dès demain à un home d'affaires. Mon oncle est un bonhomme qui écoute tout. Qu'il fallait voir, qu'il ne connaissait point ce Monsieur-là ; que quand il l'aurait-vu… Non, apparemment. Les uns sont à table, les autres se promènent en attendant le Bal ou la Comédie, mon oncle est avec la vieille cousine, Angélique avec sa belle-mère essaie une robe de Docteur pour jouer une scène que vous lui avez fait répéter, dit-elle. Paix, taisons-nous, voici mon oncle. Oui, mon oncle. Vous me ferez bien plaisir, mon oncle. Mais vraiment, Monsieur, je suis fort surprise qu'étant malade, et goutteux surtout, vous soyez dans le dessein de vous marier ! Elles ont raison, le beau plaisir de passer toute une journée avec un malade ! De deux manières ? Voilà un beau secret, mon oncle. C'est elle-même, mon oncle. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MARTON *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marton Votre bonhomme de mari ne cherche qu'à vous faire plaisir, comme vous voyez ; il a dessein apparemment de vous donner aujourd'hui quelque fête, quelque espèce de bal, et de vous faire trouver chez vous, pour vous y fixer, les innocents amusements que vous aviez coutume de prendre en public, comme les autres. Je m'en étonne, je craignais que vous n'en fussiez dégoûtée dès le premier jour. Pourquoi ? C'est qu'il n'y a pas entre vous et lui grande symétrie, ni pour l'âge, ni pour l'humeur. Cela ne durera pas. La raison ? C'est que vous ne tarderez peut-être pas à faire ce qu'il ne voudra point. Vous exigerez peut-être qu'il la pousse plus loin, et qu'il devienne un peu des amis de Léandre, qui depuis longtemps est si fort des nôtres. Non : mais je suis sûre qu'il ne l'aime guère, et je ne sais même s'il ne commence pas à en devenir jaloux. Simple habitude, amitié d'enfance : qui le sait mieux que moi ? Nous avons été tous trois élevés ensemble, nos familles étaient amies, nos pères se sont ruinés de compagnie, le vôtre en repas, le mien au jeu, et celui de Léandre avec les femmes. Oh, pour cela c'était trois Bourgeois bien distingués dans le quartier. Oh, pour cela non. Victimes de leur éclatante conduite, nous nous sommes trouvés tous trois sans établissement. Monsieur Grichardin vient de faire le vôtre en vous épousant : je trouve un asile auprès de vous en attendant mieux. Mes vues sont bornées, Madame, je veux faire comme Léandre ; il a tenté fortune par plusieurs routes, il a été écolier en droit, apprentif notaire, façon d'abbé, régent de sixième, commis de la douane, avocat, maître à danser : il s'est fait depuis peu comédien, ce n'est pas le plus mauvais parti qu'il pouvait prendre. Non, Madame, mais d'arriver au but : ma grande fureur est de jouer la Comédie. Vous auriez bonne grâce de la blâmer ! Jeune et bien fait comme est Léandre, avec de l'esprit et des talents, il se fera connaître et estimer peut-être ; il passera du moins ses plus beaux jours dans les plaisirs, et s'approchera des personnes les plus distinguées, dont la naissance et la fortune semblaient pour toujours l'éloigner. Je ne manque pas de talents pour cela, et je ne ferais pas une mauvaise recrue pour une Troupe. Ces fantaisies-là nous ont passé ! Mais vous… C'est lui-même, il vient ici souvent ; ce n'est pas pour moi, quelque autre raison l'y attire. Comment donc ! Comptez-vous pour rien d'être la femme d'un riche Ex-Apothicaire, qui passe la vie la plus agréable aux dépens de quantité de pauvres défunts qu'il a envoyés dans l'autre monde ? Ma foi, Madame, cette Comédie donne de l'esprit ; et Léandre ne parlait pas si bien à ma fantaisie, quand il n'était que Régent de Sixième, ou Commis de la Douane. Je n'ai point remarqué qu'il vous y vît de trop bon œil, moi Cela suffira pour vous brouiller avec Monsieur Guichardin. Il faut commencer par s'en éclaircir. En faveur de l'ancienne connaissance, je vous promets de mon côté de travailler pour vous : mais à de certaines conditions… C'est de me mettre de la Troupe. Vous êtes amoureux d'Angélique, et moi amoureuse de la Comédie. La troupe en veut furieusement à la famille. N'y aurait-il point aussi quelqu'une de vos Demoiselles charmée des beaux yeux de Monsieur Grichardin ? Oui, mais sans qu'il m'en coûte rien au moins. J'ai assez de mérite pour avoir une place sans l'acheter, ni en gros, ni en détail. Ni vous pour aimer à crédit. Oh çà, ne perdons point de temps, voyons ce qu'il y a à faire ; votre camarade est-il aimé d'Isabelle ? Tant mieux la grande affaire est de connaître le cœur d'Angélique, et s'il se détermine en votre faveur… La voici, je pense ? Cachez-vous dans ce cabinet de verdure, vous, Léandre, vous entendrez la conversation ; et, vous, Madame, aidez-nous à la faire parler, et à connaître les sentiments qu'elle a pour Léandre. Hé ! Ne craignez point d'écouter ; les jolis gens comme vous sont souvent plus heureux qu'ils ne méritent. La petite personne paraît avoir l'esprit occupé, c'est de Léandre, sur ma parole. Oh ! Si fait, si fait, Mademoiselle ? Pardonnez-moi, vous-même ; et Madame, et moi, nous savons bien ce que vous cherchez. Madame n'a point d'autre objet que de vous rendre service. Très sérieusement. Et sur moi de même, je vous en donne ma parole : mais au bout du compte, pour vous rendre service, il faut savoir en quoi l'on peut vous obliger. Si je le sais ? C'est un amant, je gage ; je suis dans le même cas, moi qui vous parle. Oui, vraiment, demandez plutôt à Madame ; c'est une espèce de maladie qui court beaucoup dans ces temps-ci parmi les jeunes filles. Mais les suites n'en sont pas dangereuses, quand on prend soin d'y remédier de bonne heure. Vous n'avez point de répugnance pour les remèdes, je vois bien cela : mais il serait bon avant toutes choses de connaître, et la nature, et l'auteur du mal. Expliquez-vous, parlez. Quelle modestie ! Il faut vous interroger, n'est-ce pas ! C'est un grand soulagement pour la pudeur. Que vous êtes vive ! Vous ne compatissez point aux faiblesses d'une pauvre petite malade… Ne sentez-vous pas quelquefois, dans de certains moments, de certaines inquiétudes… Là… Quand vous ne voyez pas… De grandes impatiences de le revoir. Beaucoup de plaisir quand il est ici. Oh ! Qui, qui, Marton : expliquez-vous vous-même ; c'est à moi de vous interroger, nous en sommes convenues. Hé ? Que me répondrez-vous, si je vous le demande ? Venez jouir d'un si tendre aveu, approchez, Léandre. Je prévois que je serai de la troupe. Vous appelez cela une trahison ? Trêve de compliments : allons au fait, tout ira bien. Nous avons de bonnes dispositions pour cela. Cela était heureux. Je crois l'entendre ; rentrez dans le cabinet, Léandre, nous allons le mettre sur votre chapitre, et vous saurez aussi par vous-même si le père pense de vous comme la fille. C'est vous qui nous avez envoyé cette bande de /Musiciens en masque ? C'est pour cela que vous avez envoyé toute cette symphonie ? Fort bien, une manière de souper. Ensuite… Cela est à merveilles, chacun s'ira coucher. Ensuite ? Ma foi, Monsieur, voulez-vous que je vous dise ? Vous êtes un homme de bon goût et de bon esprit, et qui avez toujours aimé à faire les choses avec éclat. Hé bien, Monsieur, ce petit régal me paraît bien succinct, cela ne répond point à la noblesse de vos manières, et je voudrais joindre à votre façon de bal, et à votre souper, quelque espèce de divertissement, de Comédie… Trouvez-vous que je pense mal, Monsieur ? Oh, pour cela oui, cela est bien ridicule. Vous êtes dans le vrai, Monsieur, il faut les prendre par-là, pour les rendre sages. Vous n'en ferez peut-être pas plus mal, Madame ; savez-vous jusqu'où va l'impertinence de ce petit étourdi-là ? Il est amoureux de votre fille. Qui me l'a dit ! Il nous a priés, Madame et moi, de vous la demander en mariage. Ne vous inquiétez de rien vous dis-je ? Monsieur a raison, je suis de son avis. Mais, Monsieur, il me vient une idée ; jouons la Comédie entre nous autres, pour leur faire voir qu'on se peut passer d'eux. À la manière Italienne, soit. Que cela ne vous embarrasse point, je trouverai des Acteurs et des Actrices, décidez seulement. Oh, pour cela je n'en réponds pas : mais vous en jugerez. On le sait bien. C'est sur vous qu'ils firent Monsieur Cusifle. Cela est tout disposé dans ma tête. J'y donnerai toute mon attention. Le voilà parti ; hâtons-nous de prendre quelques mesures dont nous avons besoin. Oh, çà, Léandre, on n'est pas trop prévenu pour vous, comme vous voyez. Mon imagination remédiera à tout. C'est que vous n'êtes guère pénétrante, et Mademoiselle y comprend quelque chose ; je gage. Et vous, Léandre, me comprenez-vous davantage ? Vous ne serez point malheureux ; et Monsieur Grichardin sera pris pour dupe. Vos mariages feront le dénouement du petit essai de Comédie. Rendre heureux Éraste et Léandre, et surprendre avec adresse le consentement et la signature de Monsieur Grichardin, que nous n'obtiendrons pas autrement. L'exécution dépendra de vous, et de quelques-uns de vos camarades. Cela n'est pas bien difficile, je vais vous faire Comédiens Italiens. La grande merveille ! Allez, allez, pour le rôle que je vous destine, il ne faut pas grande habileté. Celui de Pierrot. Vous le jouerez à merveilles. Il ne le sera point pour vous. Il faudra que toute la maison joue dans la Pièce, et Monsieur Grichardin y jouera lui-même sans s'en apercevoir. Quel rôle ferez-vous, Madame Il sera donc tel que nous le souhaitons. Allez vous habiller, Monsieur Pierrot, amenez Éraste, et cherchez-nous de quoi faire un Arlequin, un Mezzetin, un Scaramouche, et quelque personnage de la vieille comédie, il ne nous en faudra pas davantage. Ne suffit-il pas qu'elle est de moi ? Ce n'est pourtant pas une bagatelle que ce que j'entreprends, et ce sera peut-être une chose assez ennuyeusement ridicule de travestir ainsi la Scène Française. Baste, l'envie de plaire et de servir deux jeunes amants, tient lieu de mérite ; et Marton n'en sera pas moins Marton, pour avoir changé de caractère. Vous voilà déjà, Éraste. La diligence et louable. Notre cousine ne doit pas être si contente de son amant que vous du vôtre. C'est une observation que je faisais. Vous savez déjà cette Scène que je vous ai donnée ? À amuser Monsieur votre père, en attendant que les Acteurs soient prêts, et notre pièce concertée. Oh bien, allez vous tranquilliser auprès de votre belle-mère, et empêchez toutes deux Monsieur Grichardin de venir si tôt nous troubler. Elle n'a pas tort, vous êtes associées pour la même affaire, il ne faut pas que l'une ait plus d'avantage que l'autre ; allez vite. Quelle récompense vous en aurez ! Sans le goût bizarre de l'homme à qui nous avons à faire, je vous aimerais bien autant dans votre naturel ; et de tout temps, n'en déplaise à Monsieur Grichardin, les vrais Crispins ont bien valu les Scaramouches. Ils vous sont bien redevables : mais quelque zèle que vous ayez pour eux, sans un Arlequin une Comédie Italienne ne vaudra pas le diable. Ces Messieurs ont tort ; c'est le rôle le plus facile qu'il y ait, le masque joue de lui-même ; il n'y a jamais eu de mauvais Arlequin. Hé ! Non, non, demeurez ; en quelque habit que vous soyez, vous êtes toujours bien : mais vous avez tort de ne pas prendre l'autre. Ils n'en plairaient peut-être pas davantage ; mais puisque vous vous obstinez tous tant que vous êtes à ne point prendre ce caractère-là, j'en imagine un pour moi qui en tiendra quelque chose. Dès demain à un homme d'affaires ! A-t-il écouté la proposition ? Qu'a-t-il répondu ? L'avez-vous ouï ? Il ne le connaît point ? Bon, tant mieux ; voilà une Scène pour vous, Seigneur Mezzetin, cela est de votre compétence. Le grand malheur ! Ce sera une Scène détachée, et cela en ressemblera mieux à une Comédie Italienne. Monsieur Grichardin vient d'en faire apporter une manne dans ma chambre, pour déguiser toute sa famille, il n'y a qu'à choisir. Allez-vous-y-en tous avec Léandre, je vais vous y joindre, et là nous concerterons pour notre impromptu de Comédie. Ne vous inquiétez point vous, je vous garantis votre mariage signé avant qu'il soit une heure d'ici, ou il faudra que Monsieur votre oncle soit devenu plus défiant et plus avisé que de coutume. Où sont-ils tous ? Que fait Angélique ? Pour mieux réussir dans notre projet, il faut aussi qu'elle soit de notre Troupe. Ne vous attendez pas à voir des acteurs fort habiles, au moins ; ce ne sont pas des Italiens de la véritable Italie, ce sont de jeunes gens de mes amis, qui se prêtent au plaisir de vous en faire, et à moi aussi, et qui par là méritent qu'on se prête à leur peu d'expérience. Assurément, ce sera une des meilleures pièces de notre sac. Je m'en vais hâter les Acteurs. Qu'est-ce ? Un homme d'affaires ! Il prend bien son temps, pendant qu'on songe à s'occuper de plaisirs, je m'en vais le renvoyer. Une pure Scène de Comédie, où vous venez tout naturellement de jouer votre rôle. Vous voyez, tout devient Comédie chez vous pour vous plaire. Ce seront tous les jours nouvelles scènes : et tenez, tenez voilà Mademoiselle votre fille qui vient faire la sienne ; vous allez voir de quoi elle est capable. N'est-il pas vrai ? Je lui laisse répéter sa Scène avec Mezzetin, et je vais m'habiller pour la petite Comédie. Hoimé, je suis perdu, c'est à moi qu'on en veut, ils m'auront reconnu ? **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MONSIEURPOISSON *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurpoisson La métamorphose ne sera pas bien difficile pour moi : une barbe de plus, et des bottes de moins, voilà l'affaire faite. N'est-il pas vrai ? Je ne gagne point au change : mais pour rendre service à nos amis… Si les visages qui ne plaisent pas voulaient se masquer, nous ne manquerions pas d'Arlequins. Mais à propos d'imaginer, de quoi est-il question, s'il vous plaît ? Faut-il étudier quelque rôle, ou jouer de tête ? Je ne réussis jamais si bien que quand je parle de moi-même : j'ai plus d'esprit que de mémoire. Cela pourra bien n'être pas trop bon. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_NICOLE *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_nicole Monsieur, voici trois carrossées de parents qui vous arrivent en masques. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_ANGELIQUE *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_angelique Je m'étais imaginé avoir vu entrer ici… Quand on a l'idée remplie de ce qu'on aime… Je me suis trompée. Rien, Madame. Pardonnez-moi, Mademoiselle Marton, je vous assure. Vous le savez ? Vous m'embarrassez, Marton, je me retire. Sérieusement ? Ah ! Si cela était vrai, que je vous aimerais, Madame, quoique vous soyez ma belle-mère. Ne le devinez-vous pas, Marton ? Et ne savez-vous point à votre âge ce qui intéresse le plus une jeune personne ? Vous êtes dans le même cas, dites-vous ? Vous appelez cela une maladie ? Je ferai tout ce que vous me conseillerez de faire pour y remédier, je vous assure. Je ne saurais dire ces choses-là, Marton. Vous me ferez plaisir. Oui, Marton. Qui, Marton. Mais, qui donc, Marton ? Explique-toi ? Vous ne m'interrogez point comme il faut : que ne me demandez-vous si ce n'est pas Léandre ? Je vous avouerai que c'est lui-même. Ah, Ciel ! C'est une surprise que ceci, Léandre, et sans la petite trahison qu'on m'a faite, vous n'auriez pas si tôt su que je vous aime. Vous savez ma faiblesse, voudrez-vous bien l'excusez, Madame, et nous aider à persuader à mon père de consentir à nous rendre heureux ? Au moins, Madame, si vous voulez vivre heureuse avec mon père, il faut que vous vous rendiez un peu la maîtresse. Feue ma mère l'avait mis sur ce pied-là. Elle lui faisait faire tout ce qu'elle voulait. Il faut qu'il fasse tout ce que vous voudrez, et que vous vouliez toujours qu'il me marie avec Léandre. De Comédie, ma chère Marton ! Hé, que vous ont-ils fait, mon père ? Ils ont un privilège qu'ils soutiennent. Ah ! Marton, que va-t-elle promettre ? Marton… Es-tu folle, Marton… Je comprends que vous nous perdez, et que vous entretenez mon père dans un goût et dans des sentiments qui nous sont tout à fait contraires. Comment, Marton ? Hé, quel rôle lui destinez-vous, Marton ? Il sera bien vilain comme cela, Marton. Léandre ne revient point, Marton, et voilà Éraste avec ma cousine. À quoi songe-t-il donc ? Cela commence à m'impatienter. Nous ne pouvons pas jouer une Comédie sans un peu de concert, et il faut du temps pour se concerter. Si je la sais ? J'en apprendrais bien d'autres ; mais cette Scène-là ne mène à rien : à quoi cela peut-il être bon ? Je ne suis point tranquille. Que ma cousine vienne donc aussi ; pendant que Léandre n'est point avec moi, je ne veux point qu'Éraste soit avec elle. Sa son Dutor ? Hé, vous ne connaissez donc pas le Dutor Batoche ? Pouvez-vous rencontrer personne qui ne vous parle de mes talents et de mon savoir ? Sa son Dutor ? Oui, oui, je suis Docteur, et de race de Docteur. N'avez-vous pas ouï parler en mille endroits du grand Docteur Scathlon mon père ? Mon aïeul était le Docteur Campanasse : toute la terre est pleine de sa réputation. Sa son Dutor ? Et que souhaitez-vous du Docteur ? Parlez, parlez, expliquez-moi vos difficultés, si vous en avez. Est-ce de l'art, ou de la science ? De la pratique, ou de la spéculative ? De la manière, ou de la forme ? Du concret, ou de l'abstrait ? Du simple, ou de l'absolu ? Sa son Dutor ? Que voulez-vous du Docteur ? De la Poésie ? Je suis frère utérin d'Apollon le père des Muses, le compagnon de Virgile et d'Homère, l'intime ami d'Horace et d'Arioste. Sa son Dutor ? En musique je suis un Orphée, dans la Peinture un Raphaël, dans la Sculpture un Bernin, dans l'Architecture un Michel-Ange, et dans la Mathématique un Archimède. Pour l'invention, je suis Perille, et pour l'instruction, un Aristippe, pour l'Histoire, un Tite-Live, pour la curiosité, je suis un Zénon, pour le secret, un Metellus, pour la science, un Hiperide, pour le travail, un Adrian, pour l'amitié, un Oreste, et pour la force, un autre Hercule. Sa son Dutor ? Est-il question de Philosophie ? Je suis plus subtil qu'Aristote, et plus universel que Platon. Voulez-vous que je vous parle de Physique, ou de Morale ? De l'être réel, ou de raison ? Je vous ferai voir par toutes sortes d'arguments et de distinctions : Che in sta testa non datur vacuum. Sa son Dutor ? Avez-vous besoin de la médecine ? Je suis le plus grand ami d'Esculape, j'ai fait plus d'aphorisme qu'Hipocrate, j'ai lu quatre ou cinq fois Galien et Avicene ; je défie l'hydropisie, la paralysie, la dysenterie, la pleurésie, la frénésie, l'esquinancie, l'apoplexie et toutes les maladies qui se terminent en ie, d'attaquer un tempérament que j'aurais pris sous ma protection. Sa son Dutor ? Suis un ignorant, à votre avis ? Peut-on trop parler quand on parle bien ? J'ai plus d'éloquence que Démosthène, plus de facilité d'expression que Cicéron. Plus de connaissance que Périandre, plus d'étude que Platon, plus de vertu que Démétrius, plus de droiture que Caton, plus de génie que Thémistocle, plus de jugement que Tibère, plus de mémoire que Mithridate, plus de prudence que Dion. Plus d'honneur que Pompée, plus de gloire qu'Alphonse, plus de grandeur d'âme que Fabricius, plus de fermeté que Brutus. Plus de libéralité que Titus, plus de magnificence qu'Auguste, plus de fortune que César, et plus de générosité qu'Alexandre. Sa son Dutor ? Je sais faire l'impossible, accorder l'amour et la haine, l'antipathie et la sympathie, le mouvement et le repos, le tort et la raison, le mal et le bien, le chaud et le froid, le vert et le sec, le noir et le blanc, le oui et le non, le beaucoup et le peu, le tout et le rien, le vrai et le faux. Est-il quelque chose que je ne puisse faire ? Sa son Dutor ? Je suis un microcosme, un abrégé de tout le monde ; vif comme un français, grave comme un Espagnol, rusé comme un Italien, hardi comme un Turc, fier comme un Écossais, gourmand comme un Anglais, et ivrogne comme un Allemand. Sa son Dutor ? Docteur des Lois, et plus que passé Docteur. Voulez-vous que je vous explique la Loi ? Ah, ah ! Vous en voulez par là, vous êtes fort bien adressé, que ne parliez-vous d'abord sans tant de préambules ? Il y a une heure que je vous écoute sans dire une parole. Quelle patience il faut avoir avec vous... Ah ! C'est de la loi que vous voulez que je vous entretienne ? Hé bien, je suis un Législateur plus estimé que Lycurgue ; pour gouverner, je suis Solon ; comme commander, je suis Cassides, et pour le Conseil, Gratian. Cherchez-vous un avocat, ou un procureur ? Avez-vous des procès actifs, ou passifs ? Êtes-vous demandeur, défendeur, accusé, ou accusateur ? Est-ce une cause d'audience, ou un procès par écrit ? Est-il civil, ou criminel ? S'il est civil, j'ai commenté nombre de fois Barthole et Balde ; si votre affaire est criminelle, j'ai plus écrit sur ces matières qu'aucun autre jurisconsulte, que Farinas même. Sa son Dutor ? En doutez-vous à présent ? Oui, Messieurs, je suis Docteur, non solum in utroque : mais ; cinquantoque et centupliquoque Jure, in omnibus et per omnia Doctor excellens, excellentior et excellentissimus. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_JUPITER *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_jupiter Où trouver ce petit fripon d'Amour, Momus ? Pour moi, je t'avoue que je ne veux plus retourner dans le Ciel ; et je vais songer très sérieusement à me faire une habitation parmi les hommes. Ce n'est plus le temps, mon cher Momus. Non, mon enfant, je ne suis plus à la mode, j'ai vieilli, tout Dieu que je suis. Les persécutions que la jalousie de Junon a fait souffrir à quelques-unes de mes maîtresses ; le peu de fortune que j'ai fait aux autres, tout cela m'a décrié, vois-tu ; et depuis que cet aveugle Dieu Plutus a répandu dans l'univers un certain genre d'hommes qu'il favorise, at qui sont devenus les maîtres de toutes les richesses des autres, les femmes n'ont point d'égard au rang et à la dignité, l'éclat seul des trésors les éblouit : et j'aurais toutes les peines du monde, moi qui te parle, à trouver à l'heure qu'il est une petite Grisette de la première main. Il est cause… Il est cause de tout le désordre où tout l'Olympe est aujourd'hui, et je n'en ai chassé l'Amour, que parce qu'il est entré dans les intérêts d'un de ces favoris de Plutus, qui m'a enlevé une jeune Intendante à la barbe de son mari et à la mienne. Je n'y retournerai qu'avec l'Amour : je veux faire la paix avec lui, à quelque prix que ce puisse être. Ils l'ont fait d'abord, il a eu dans les commencements la direction générale de leurs affaires : mais comme il y a parmi eux des gens grossiers, pour qui l'Amour a trop de délicatesse, ils l'ont révoqué à la pluralité des voix, et on a donné son emploi à la débauche. J'ai chassé Mercure avec lui, comme tu sais. Hé bien, Mercure et lui se sont jetés dans la robe. Si fait, vraiment ; Mercure a rendu à une jolie femme d'un vieux Conseiller une lettre d'un jeune Chevalier d'au-delà de la Garonne, et l'Amour a blessé une vieille Présidente pour le fils du Secrétaire de son mari : ils ont mené ces affaires un peu trop vivement, cela a fait du bruit, Thémis a pris parti, on les a décrétés. Il faut que tu m'aides à cela. On solliciterait pour eux ; et en tous cas, les Nymphes de Thémis sont trop de leurs amies pour les laisser manquer de protection. Chez quelque petite Bourgeoise, dans l'arrière-boutique d'un Artisan ; car chez les gens de qualité… Non, mais les grands font-ils le moindre accueil à ceux qu'ils savent disgraciés ? Mercure et l'amour sont brouillés avec moi, tout accès leur est fermé dans les Palais. Retrouvons-le, c'est la grande affaire. Qu'est-ce que c'est que ces hommes-ci. Non, car il a de la disposition à cesser de l'être. Ce mortel-là a de bonnes parties. Il compte fort bien : mais il n'en devient pas meilleur. Holà, ho l'ami ? Nous sommes gens sans façons, comme vous voyez. Vous ne vous repentirez peut-être pas de nous avoir trouvés dans votre chemin. Non, nous sommes fort Étrangers au contraire. Nous ne sommes pas plaideurs, nous. Non, c'est un petit libertin qui s'est mis dans le goût de voyager, et après qui nous courons depuis quelques jours. Oh que si fait. Vous le connaissez apparemment ? Bon, deux frères ! Ils sont un nombre infini d'enfants dans cette famille-là. Si nous le retrouvons, on t'en fera avoir. La plupart des Savants ne nous connaissent guères. Taisez-vous, Momus, vous êtes un Dieu de caprice, aussi bien que les autres : ne me blâmez point d'une facilité, sans laquelle vous ne seriez pas ce que vous êtes. Trêve à la morale, je vous prie, nous avons pour objet de retrouver l'Amour ; faut-il courir après, ou le guetter quelque part ? Guettons-le donc : mais où nous mettre ? Si de jolies filles me conviennent ? Nous sommes de fort honnêtes Dieux, nous en useront bien, ne vous mettez pas en peine. Allons, dépêchons, petit drôle, je veux bien vous pardonner ; mais reprenez le Carquois et les Flèches, et ne vous le faites pas redire deux fois : voilà Mercure qui est raisonnable, et qui a repris son caducée. Petit insolent ! Je vous donnerai le fouet. Un mois de vacance ! Hé bien, soit, je te l'accorde ; mais je reste ici, je demeure chez le Docteur, je te veux attendre. Mariez les parties dans les formes, si le Docteur y consent. Sans formalité, s'il refuse. Point de difficulté, Mortel, cela est réglé. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MOMUS *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_momus Seigneur, Jupiter ! Cela serait beau, que Jupiter désertât ainsi l'Olympe, et demeurât toujours sur la terre ; passe encore d'y venir promener quelquefois de temps à autre, quand il se rencontre par hasard quelque aimable mortelle qui en vaut la peine, et dont les faveurs peuvent dédommager des frais du voyage. Pourquoi donc ? Il me semble qu'il y a plus de jolies personnes ici-bas qu'il n'y en a jamais eu. Ne serait-ce point là la raison qui vous détermine, et qui vous fait prendre la résolution de vous y établir ? Ce Plutus, ne lui en déplaise, est cause d'un grand dérangement. Vous avez pris la chose trop à cœur, il fallait châtier l'Amour autrement, vous voyez où vous en êtes pour l'avoir banni de votre Cour ; toutes les autres Divinités s'en sont éloignées, les Déesses surtout : plus d'Amour auprès d'elles, plus de plaisirs, ni jeux, ni festins, ni fêtes galantes : le séjour de la félicité est devenu celui de la tristesse et de l'ennui, et l'Olympe est un désert à présent. C'est le bon parti : mais où l'attraper ? Ne serait-il point avec ces favoris de Plutus ? Comme ils sont cause de sa disgrâce, ils doivent bien lui donner un asile. Et où ce pauvre enfant donnera-t-il de la tête, s'il est brouillé avec ces Messieurs ? Oui, je le sais, hé bien ? Il ne sera pas donc difficile d'avoir de leurs nouvelles ? On aura peine à les trouver. De tout mon cœur ; il serait fâcheux que pour des bagatelles, Madame Thémis qui soutient ses membres avec chaleur, envoyât Mercure et l'Amour aux Galères. Cette réflexion me tranquillise ; mais où croyez-vous les pouvoir trouver ? Se sont-ils fait aussi des affaires avec eux ? Tant mieux ; car quand l'Amour entre dans ces endroits-là, il s'y déguise sous tant de formes, que nous serions bien embarrassés de le reconnaître, il est bon de n'avoir point à l'aller chercher là. Voici quelqu'un qui parle de lui, et qui pourrait bien nous en dire des nouvelles. Il a l'air de quelqu'un de ces anciens Philosophes, qui, malgré leur sagesse, sont tous propres à donner retraite à un Amour persécuté. Pensez-vous, Seigneur Jupiter, qu'en pensant ainsi de lui-même, il soit aussi sot qu'il se l'imagine ? Voilà un Philosophe qui se connaît. Le beau naturel ! Ce compagnon-là tient bien ses comptes, Seigneur Jupiter ! Un petit mot, s'il vous plaît, bonhomme ? Avec qui il ne faut point de cérémonie. À la bourse ! Oh pour cela non. Loin de prendre le bien de personne, nous ne cherchons que l'occasion d'en donner. Nous ne voyageons pas pour notre plaisir. Hé bien ? Ce n'est point que nous cherchons, Monsieur le Docteur. C'est l'Amour. Cette promesse te surprend ! Je vois bien que tu ne sais pas qui nous sommes. Hé bien, mon ami, tiens voilà Jupiter, qui peut tout, qui se mêle de tout, qui gouverne tout, qui est maître de tout ; et je suis Momus, moi, qui me moque toujours de tout Comme on nous traite ! Voilà ce que c'est, Seigneur Jupiter, d'avoir trop multiplié les honneurs divins, et d'admettre à votre table un tas de faquins qui ne méritaient pas de rincer vos verres. Vous avez raison, je me trouve bien de vos faiblesses, ce n'est pas à moi de les critiquer. Et des Dieux même qui ont souffert qu'ils la fissent. Il faut le guetter, c'est le plus sûr et le moins fatigant. On voit bien que Jupiter ne vous est pas connu. Oui, Monsieur le Docteur, n'ayez point d'inquiétude. Doucement, doucement, petit garçon, soyez sage. Devant tout le monde ? J'y demeure aussi, je n'abandonne point Jupiter. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LEDOCTEUR *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ledocteur Ô Amour, ô Amour, que tu me fais souffrir ! On me croit un fort habile homme ; mais l'amour que j'ai pour Philine me fait bien sentir que je ne suis qu'un sot. Je me suis attaché toute ma vie à étudier la nature, et je n'ai jamais pu la dompter. Je suis convaincu que pour la bienséance, et pour la santé même, il faut être sobre ; et je ne puis me corriger d'être ivrogne et gourmand. Je suis né sans biens, et j'ai affecté de les mépriser (faute d'espoir d'en acquérir) ; la fortune me rit ; je deviens avare, et usurier même. L'ami ! Bonhomme ! Hé qui êtes-vous donc, s'il vous plaît, vous autres qui parlez si familièrement à un homme comme moi ? Je le crois bien ; je ne suis pas de difficile accès, non plus que vous. Ce n'est donc pas à la bourse à qui vous en voulez ? Vous n'êtes donc pas d'ici ? Je le vois bien. J'ai compris cela à vos discours. Comme Étrangers vous cherchez quelque bonne auberge, quelque connaissance qui vous donne accès dans les bonnes maisons, et vous facilite les moyens de voir agréablement les curiosités du pays ? Vous avez des procès peut-être ? Écoutez, la Justice est lente, et vous aurez tout le temps de vous ennuyer. Je suis au fait, vous êtes Marchands ? M'y voilà. Le négoce est votre occupation favorite ? Le désordre y règne à présent ; les banqueroutes sont plus à la mode que la probité ; la bonne foi s'est retirée du commerce, et l'on ne sait où elle est allée, il n'y a pas moyen de la retrouver. Non ? Ah ! C'est autre chose, et je suis ravi que ce soit là le sujet de votre voyage. Hé, qui est ce jeune drôle-là, s'il vous plaît. ? L'Amour ! Ah, ah, ah l'Amour ! Vous courez après l'Amour ? Oh, par ma foi, vous prenez une peine inutile. À notre âge, Messieurs, ni vous, ni moi nous n'attraperons jamais ce petit pendard-là. Si je le connais ? Ils sont deux frères. Je n'en connais que deux, l'un qui rend amoureux, l'autre qui rend aimable : Si c'est le premier que vous cherchez, il est là dans mon cœur, je vous le livre : si c'est le second, vieux et pédant comme je suis, nous n'avons guères de commerce ensemble. On m'en fera avoir ? Non, je vous l'avoue. Votre métier n'est pas si difficile que le sien. Jupiter et Momus ! Mais êtes-vous les véritables ? Car il y a un si grand nombre de Dieux de votre espèce, qu'il se trouve bien des fripons parmi vous autres. Les Dieux sont plus sages que les hommes ; et tels d'entre eux jouissent de la fortune, qui se moquent de ceux qui la leur ont faite. Voilà ma petite maison. Si vous ne la trouvez pas indigne d'héberger des Divinités, on tâchera de vous y désennuyer. Je suis tuteur et amoureux d'une fort aimable personne, j'ai une servante fort jolie ; pour peu que l'Amour que vous cherchez entende parler d'elle, il viendra chasser sur mes terres, et vous l'attraperez tout en chassant. Cela vous convient-il ? Je les mets sous votre protection, elles en ont besoin. Les Dieux d'un certain rang savent respecter les lois de l'hospitalité. J'en suis persuadé. Cette rencontre n'est pas mauvaise, et la protection de ces Dieux-là me sera nécessaire contre les entreprises de quantités d'amants qui assiègent continuellement Philine et Spinette, et que j'ai peine à écarter. Te voilà, Pierrot ? Il vient d'entrer deux messieurs chez moi. Comment, cela ne se peut pas ? Ils y sont, te dis-je, et je te recommande bien… Ah, ah ! Voici qui est plaisant. Et moi je suis bien las de tes raisonnements. Si je crois aux sorciers ? Non vraiment. Ah, ah, ah, ah, le pauvre garçon ! Et qui te fait croire cela, dis, Pierrot ? Hé qu'as-tu vu ? Oui, c'est celle de l'appartement de ces Demoiselles. Quel conte me viens-tu faire ? Et tu crois qu'il y a là-dedans du sortilège ? Hé bien, dans l'autre. Achèveras-tu ? Cette porte… Que veux-tu que je dise ? Et de quoi… Tu ne m'as rien expliqué, bourreau. Parleras-tu, maraud ? Ha, ha, ha, ha, ha. Ma Philosophie pense que tu es un sot, mon pauvre garçon. Ce sont des Dieux qui sont chez moi. Jupiter et Momus. Paix, tais-toi, coquin, et prends bien garde à ne leur pas manquer de respect. Ce ne sont pas tes affaires, ce sont les miennes. Oui, je le prends, que rien ne t'embarrasse. Vous leur faites plaisir et honneur, belle Marotte, elles en seront, et moi aussi, je vous le promets. Cela ne fait rien, je ne serai pas de trop, et je ne gâterai rien à la fête. Je ne garderai pas longtemps chez moi Jupiter et Momus ; on vient de les avertir que l'Amour est caché quelque part ici dans le Village, ils ne tarderont pas à le retrouver. Comment donc ? Qu'est-ce qu'il y a de nouveau ? Qu'est-ce à dire, quatre ? Tu ne sais ce que tu dis, tu extravagues. L'Amour à saint Lazare ? Chez moi, Seigneur… Qu'est-ce à dire, Spinette à Pierrot ? Je n'y consens point. Mais, Seigneur Jupiter… On me donnera Philine ? Je le veux bien, voilà qui est fini. Mais quoique ces affaires-ci se passent devant les Dieux, il serait bon, pour plus de sûreté, qu'elles se passassent aussi par-devant Notaire. Je ne suis jamais sans cela. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_PIERROT *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pierrot Ça n'est pas naturel, la porte est farmée, voilà la clef ; ils étaient dehors, et ils sont dedans ; ça ne se peut pas, et si pourtant ça est, car je l'ai vu. Ça est vrai, Monsieu, mais ça ne se peut pas. Oui, je les ai vus, je leur ai parlé ; mais ça est impossible. Raisonnons un peu là-dessus, Monsieu le Docteur ; car vous savez raisonner, et j'aime à raisonner, moi, avec un homme qui raisonne. C'est que j'ai plus d'esprit que vous, vela ce qui vous fâche. Revenons à la conclusion : croyez-vous aux Sorciers, Monsieu le Docteur ? Vous êtes un impie, il y en a pourtant, et vous en avez une paire chez vous, je vous en avartis. Ce que je viens de voir. Ce que j'ai vu ? Il y a du sortilège là-dedans, croyez-moi, je ne suis pas une bête. Vous connaissez bien cette clef-là ? Oh bien, c'est un meuble inutile ; la clef, la serrure, ça ne sert plus de rien, il n'y a rien de fermé pour ces gens-là. Ce n'est point un conte, c'est la vérité. Tenez, Monsieu le Docteur, ces deux drôles-là sont venus tout de prime abord à la chambre des filles, sans demander où est-ce : voyez quel bon nez il faut avoir pour ça ! Non, non, dans cet article-là, il pourrait bien n'y avoir que de la nature : mais dans l'autre… Cette porte, Monsieu le Docteur, cette porte ? Elle était fermée ; ils m'ont dit de l'ouvrir, je n'en voulais rien faire ; je leur tenais tête, quand voilà tout d'un coup… La peste m'étouffe si j'y comprends rien… Qu'est-ce que vous dites de ça, Monsieu le Docteur ? De ce que je viens de vous expliquer. Je m'en vais vous le dire, c'est la même chose… Que vous en semble ? Je parle aussi, Monsieu ; et pour le faire court, je vous dirai que je les voyais, que je leur parlais, et puis tout d'un coup je ne les ai plus vus ; la porte s'est ouverte d'elle-même, crac, les velà dedans. Dame, quand j'ai vu ça, je ne l'ai point fermée. Ha, ha, ha, ha, ça est drôle, n'est-ce pas? Qu'est-ce que votre Philosophie pense de ça, Monsieu le Docteur. Hé bien, je pense aussi comme ça de vous, moi, et si je ne suis pas Philosophe. Ce sont des Dieux ? Ce serait bien le diable ! Jupiter et Momus ! Je ne connais point ces gens-là : mais je gagerais bian que ce sont des débaucheurs de filles. Je leur laisserai faire tout ce qu'ils voudront, Je ne veux point me brouiller avec parsonne pour l'amour des filles. Je le veux bian, je vous rends le gouvernement que vous m'aviez baillé sur elles. Ça est bien aisé à dire, que rien ne t'embarrasse. Je suis pour le moins aussi amoureux de la servante, qu'il l'est de la maîtresse, lui. Ces deux sorciers-là me porteront guignon… Mais qu'est-ce que j'entends là ? Voilà une jolie Musique. Vous verrez que c'est ce nouviau venu qui a mis toute la jeunesse du village en himeur de chanter. Écoutons un peu, j'aime la Musique, moi, j'aime la Musique. Cette Marotte entend bien ça : et ce drôle en fera une bonne écolière. Ce drôle-là veut choisir, il n'y a qu'à le laisser faire. Rien, Monsieu, j'écoutais vos petites drôleries ; ça est joli, oui : que vous entendez bien ça ! Si j'en suis ? On voit bien que vous n'en êtes pas, vous, de ne point reconnaître Piarrot, le factotum de Monsieur le Docteur. Oh, parlez mieux, je suis son homme d'affaires, je fais tout chez lui, hors la garde des filles, que je viens de lui remettre. Oh, pour cela oui elles le sont. Vous avez déjà flairé ça… Quel éveillé ! Il n'y a rian qui ne se puisse faire, je ménagerai ça ; mais vous me montrerez aussi la Musique à moi, par-dessus le marché. Comme un tonnerre. La, la, la, la. La, la, la, la. Si je le crois ? Je crie comme un enragé quand je m'y mets. Ça est bien triste. Apprenez-moi donc à jouer de quelque instrument, pour faire danser les filles sous l'Orme, du violon, de la flûte, ou de la vielle, il n'importe pas. Si j'en ai. Oh ! Vraiment oui, il y en a trois à cette main-là dont je ne puis me servir. Comment ? Il ne manque à celle-là que le petit doigt et le pouce, voilà ces trois-là remplacés ; j'ai la valeur d'une main à moi tout seul, n'est-ce pas assez ? Oui, c'est comme cela que vous le prenez ; voyez un peu qu'il est difficile ! Nous avons pourtant un Ménétrier dans le village qui a eu la jambe cassée, et qui joue de la basse : vous ne montrerez pas à nos jeunes filles. Fort bian, fort bian, Mesdemoiselles, vous vous arrangez pour des mariages, et comment arrangez-vous ça, s'il vous plaît… Eh ! C'est ce Monsieur le Musicien qui ne me veut rien montrer, le vela bien adressé, il aura biau jeu. Cent coups d'étrivières ? Oh pour ça non, je ne me les ferai pas donner, car je m'en retourne ; patience, patience, vela Monsieu le Docteur qui revient, il est déjà au bout de la petite saussaie. Voilà nos filles rentrées. Ces Demoiselles ont à elles deux plus d'amants qu'elles n'en sauraient faire. J'en suis plus content, parce que j'en suis plus sûr. De quoi je m'embarrasse ? Je fais comme je dois faire ; et je le suis aussi, puisqu'il faut vous le dire. Vous voyez bian que je n'ai pas tort. J'aime Spinette, moi, qui est la servante, et mon maître Monsieu le Docteur est amoureux, lui de Mademoiselle Philine, qui est la maîtresse : c'est une petite partie carrée que nous avons faite. Oui, elles répondent quand on leur parle. Pas trop : mais cela viendra. On les tient de court, voyez-vous, et on les refuse à tout le monde ; elles ont la rage d'être mariées : un chien enragé mort partout, comme vous savez. Je lui rendrais, s'il en avait besoin, le même service auprès de Mademoiselle Philine. Que je vous donne accès dans le logis ? Vous m'avez bian la meine de l'avoir déjà. Puisque cela est comme ça, Messieux, entrez par la grande, ce n'est pas la peine que vous fassiez le tour. Qu'est-ce que je hasarde ? Ce que je ne pouvais empêcher. On les attend à la petite porte ; et puis mon maître a fait entrer deux Dieux chez lui : moi qui ne suis que le valet, j'y fais entrer deux hommes : nous voilà à deux de jeu ; ça est dans les règles. Le voici qui viant de ce côté, il s'est accosté de Marotte : rentrons sans lui parler, et le laissons jaser avec elle. Oh ! Pour ce coup, Monsieu, nous avons fait tous deux de belle besogne. Il était bien nécessaire de loger des Dieux dans votre maison ? Comme cette graine-là foisonne ! Ils n'étaient que deux, d'abord, et ils sont quatre à l'heure que je vous parle. Oui, les deux premiers venus que vous aviez fait entrer, vous, en ont trouvé deux que j'avais sottement aussi fait entrer, moi ; ces Damoiselles les faisaient cacher dans la Bibliothèque. Oh, allez, allez, votre maison va devenir une aubarge de conséquence. Non, point du tout, c'est la vérité : ils font un vacarme ; il y a un petit mutin, qu'ils appellent l'Amour, qui fait lui seul plus de bruit que les trois autres ; ils veulent l'emmener, pour le mettre en correction quelque part à leur Saint-Lazare. À saint Lazare ou autre part, qu'importe : ce que je sais bian, c'est qu'il ne veut pas marcher, lui ; hé, tenez, tenez, les voilà tous quatre avec ces Damoiselles ; ils ne disputent plus tant ; c'est qu'ils sont d'accord. Je voudrais bien voir ça. Oui, à moi, Spinette. Ce n'est plus un Musicien, belle Marotte, c'est Mercure ; et moi je ne suis plus Pierrot, je suis Léandre. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MERCURE *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mercure Plus tendrement si vous le pouvez, Robin, cette petite Ritournelle ; prenez bien le ton, vous Marotte, et rechantez ce petit air que je vous ai montré ce matin. Fort bien, répétons ensemble cette fin, et que Robin adoucisse un peu davantage, afin de ne pas trop couvrir la voix. Cela est fort bien, attachez-vous à ces petits passages que je vous ai marqués, et amenez-moi tantôt ici toutes les filles du Village. C'est un adoucissement à ses disgrâces, de savoir se faire un amusement… mais voici un Rustre qui m'observe. Je suis brouillé avec les Dieux et avec les hommes, tout m'est suspect. Que fais-tu là ? Es-tu de ce village ? Tu es le valet du Docteur ? Il y en a deux jolies, à ce que j'ai ouï dire ? Je ne serais pas fâché de les connaître, et de leur montrer la musique. Te montrer la Musique ! As-tu de la voix ? Voyons un peu, la, la, la ; prends ce ton-là : la, la, la. Ce n'est pas cela : la, la, la, la. Peste de l'animal, tu crois avoir de la voix ? Hé bien, mon enfant, crie toujours, et ne chante jamais. Volontiers ; as-tu des talents ? La main bien étendue ? Les doigts longs ? Hé ! Comment feras-tu donc ? Cet impertinent-là m'impatiente ; ôte-toi de là, maroufle. Belles dispositions pour la Musique. Voilà un espion, c'est moi qu'on cherche, où me cacher ? Grâce, grâce, monsieur, ne me livrez point à la Justice. Je le suis aussi ; je vous en offre autant. C'est une chose inquiétante, qu'un décret sur le corps. Je n'y en ai guères moins, moi qui vous écoute. Je m'étais engagé de société avec un petit étourdi, qui a fait des siennes dans une maison où nous étions ensemble. Un adroit fripon qui a donné de mauvais conseils ? Cela me regarde. Ne seriez-vous point par hasard… L'A… Mour ? L'Amour. Bannis du Ciel comme nous le sommes, nous ne voyons pas plus clair que d'autres : mais enfin, la peur nous avait fait séparer pour nous mieux cacher. Le hasard nous rejoint, ne nous quittons plus. Et moi aussi : mais ne t'inquiète point, nous avons de l'esprit et des talents, il faut les essayer ici dans quelque village ; et selon le succès que nous aurons, nous nous approcherons des grandes Villes. En pareil cas que nous, Neptune se fit Maçon, et Apollon Berger ; il y a tant de métiers pour subsister : j'ai déjà commencé à travailler ici d'un des miens, le montre la Musique. C'est une science naturelle, cela ne s'apprend point, on n'a que faire de maître. Tu n'aurais pas un écolier, cela n'est plus d'usage. Fais-toi Charlatan ; tu as de grandes dispositions pour cela, nous vendons du Baume blanc, des Philtres, des essences, des Pommades, tu feras des tours de passe-passe. Tiens, mon ami, je ne sache point de métier qui te convienne mieux que celui-là. Cela ne sera pas bien difficile ; moi comme Musicien, toi comme bel esprit, nous serons de toutes les jolies parties de plaisir, nous y brillerons, nous ferons bonne chère, et bourse commune. N'est-il pas vrai ? Il y a ici de l'ouvrage, quoique ce ne soit qu'un village. Et sous les miens aussi ; mais il s'y en fera encore. Vois-tu cette petite maison ? On m'en a dit autant, on fera là-dedans de bonne besogne ; faisons notre assai dans cette famille-là. Je vous aurais demandée, si quelque autre s'était présentée : mais je vous vois, ma belle enfant ; que me reste-t-il à souhaiter ? Par ma foi oui, et si tu veux m'en croire, nous travaillerons d'abord pour nous-mêmes. Est-il rien de plus nécessaire à la vie que le plaisir ? Nous avons pris un heureux moment. Il est des faiblesses permises. Hé ! Vous en tenez-vous toujours à le conversation. Et si ma plus forte passion était de vous épouser, vous, Spinette. Oui, la peste m'étouffe. Il n'y a pas de meilleur secret. Le valet du Docteur, un coquin qui se fera donner cent coups d'étrivières. Aimable Spinette ? La grande merveille ! Qui pourrait résister à l'Amour ? Il serait beau que le confident ne se sentît pas des talents du maître. Voici ce maroufle de Pierrot, qui revient pour nous observer. Hé bien, mon garçon, te voilà bien plus content d'avoir fait rentrer ces aimables personnes dans le logis ? Tu fais comme si tu étais amoureux de quelqu'une d'elles. Non assurément. Ce n'est point là ce qu'on te demande. Vous aiment-elles ? Non, pas encore ; mais on nous attend à la petite porte. Cela est fort honnête, Monsieur Pierrot. Nous avons tort, mon enfant, Jupiter nous pardonne, il est le maître, raccommodons-nous de bonne grâce, retournons au plus vite habiter l'Olympe. Ni moi l'Amour, nous sommes associés. Ne vous chagrinez point, Monsieur le Docteur, nous vous donnerons Philine, à vous. Vous verrez que nous aurons oublié ce personnage-là. Je ne sais pas, il serait pourtant ridicule qu'une Comédie finît sans dénouement, faute de Notaire. Pierrot est Léandre, à qui l'Amour donne votre fille ; et le Docteur, Éraste, à qui nous donnons votre nièce. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MAROTTE *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marotte Dans cette aimable retraite, Chacun au gré de ses vœux Obtient tout ce qu'il souhaite ; Et plus on est amoureux, Plus on y devient heureux. De ce lieu tranquille Si le Dieu d'Amour Faisait son asile, Ô l'heureux séjour ! Ô l'heureux séjour ! De ce lieu tranquille Si le Dieu d'Amour Faisait son asile, Ô l'heureux séjour ! Ô l'heureux séjour ! Ça est comme je vous le dis, Monsieur : ce Monsieur le Musicien qui est ici, m'a dit de rassembler toute la jeunesse, pour une petite fête qu'il veut nous donner ; et comme les Demoiselles de chez vous sont les plus aimables du Village, on ne me pardonnerait pas de ne vous pas prier de trouver bon qu'elles en fussent. Pour vous ; Monsieur, ça n'est pas nécessaire ; il m'a dit de n'amener que de la jeunesse. Comme il vous plaira, vous êtes le maître, et je m'en vais chercher tout mon monde. Voilà toute la jeunesse du Village que vous m'avez dit de rassembler, Monsieur le Musicien. Vous êtes Léandre ? Le dénouement est donc fini, comme vous le souhaitez ? **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LAMOUR *date_1710 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lamour Ne me perdez pas, mon cher Monsieur, je vous en conjure. Hélas, Monsieur, je suis brouillé avec elle. Amicitia inter pares… Nous n'avons rien à craindre l'un de l'autre. J'y en ai la valeur de trois, moi qui vous parle. Je m'étais lié d'amitié avec un adroit fripon, qui m'a donné de mauvais conseils… Un petit étourdi qui a fait des siennes ? C'est de moi qu'on parle ! N'êtes-vous point par aventure… Mer… Cure ? Mercure ? Tout va le mieux du monde, mon cher Mercure : il faut que nous soyons étrangement déguisés, puisque, tout Dieux que nous sommes, nous avons eu peine à nous reconnaître. Je le veux bien : mais qu'allons-nous faire ? Privés du nectar et de l'ambroisie, par le caprice de Jupiter, nous sommes devenus sujets à toutes les infirmités des hommes, la faim, la soif. Item, il faut vivre, Mercure, et vivre grassement, comme tu sais ; je suis accoutumé à la bonne chère. Hé ! Que montrerai-je, moi ? À faire l'amour ? Mais je pourrais enseigner du moins à le faire avec art, avec délicatesse. Que faire donc ? Cela est vrai, je goûte assez la proposition ; mais il faut trouver moyen de faire une Troupe d'Opérateur. Il n'y a rien de mieux imaginé. Malepeste, le joli village ! J'ai vu que c'était avant ma disgrâce le rendez-vous de mes meilleures pratiques ; il s'est fait ici de bons tours sous mes auspices. Je la connais, c'est le logis d'un Docteur, qui a, dit-on, une fille fort belle, et une servante tout à fait jolie. Commençons d'abord par faire connaissance : frappe. Ils sont divins, s'ils égalent les vôtres ; et je ne conçois pas, pour moi, que personne dans le monde puisse disputer avec vous, ni de l'agrément, ni de la beauté. Cette modestie augmente vos charmes. Qu'elle est charmante ! Le joli couple ! Oui, mais il faut vivre. Hé ! Qui ne s'estimerait heureux de vous approcher ? Peut-on trop payer le bonheur de vous entretenir un moment ? Nous ne sommes pas fort à craindre. Vous vous en servez bien sans doute ? Voilà des amants trop modestes. Quoi ! Si je brulais d'amour pour vous ? Nous ne souhaitons rien plus ardemment l'un et l'autre. Des mesures pour nous revoir ? Nous n'avons qu'à ne nous point quitter. Voilà de bonnes provisions. Qu'est-ce que ce manant-là ? Charmante personne… Ce début n'est pas mal, et nos affaires sont en bon chemin. Il me semble que tu ne trouves guères plus de résistance ? Hé ! De quoi t'embarrasses-tu ? Ah ! Tu es amoureux, je ne m'étonne plus de ta vigilance. Et ces Demoiselles répondent-elles à votre amour ? Hé ! Que donnerais-tu à qui te ferait aimer de Finette ? Hé bien ! Donne-nous seulement accès dans le logis, et nous te livrons ta maîtresse. Oui, mon cher Pierrot. Mercure fait comme il l'entend, il ne vous est pas si nécessaire que moi ; je sais ce que je vaux, et vous ne venez me rechercher, que parce que vous ne sauriez vous passer de moi. Je n'en ferai qu'à ma tête. Non, je ne me trouve point mal ici, je prétends y demeurer quelque temps encore, et je demande à Jupiter un mois de vacance pour me divertir à faire parmi les hommes le métier de Charlatan, que Mercure m'a proposé, et qui me flatte. Ni moi les intérêts de Pierrot, à qui j'ai promis de faire épouser Spinette. C'est une grâce que je demande à Jupiter, en faveur du raccommodement. À quoi diantre avez-vous songé ? Oh, pour cet article-là, cela dépend de moi, vous ne le verrez point que vous n'ayez signé. Tout le monde signera. Le vrai dénouement dépendait de votre signature. Qui produit une vérité. Il n'y a point de Comédie sans dénouement, comme vous savez. Oui, mais le Divertissement ne l'est pas, et la jeunesse du Village vient à propos. Allons, Mercure, voilà bonne compagnie, et nous ne pouvons prendre un meilleur moment pour exercer nos talents, et pour débiter notre marchandise. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_SPINETTE *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_spinette Demandez-vous quelqu'un dans ce logis, Monsieur ? Ce n'est pourtant pas moi, Monsieur, qui fais l'ornement du logis ; Mademoiselle Philine, qui est ma maîtresse, a des attraits… Je ne dispute point de ces choses-là, Monsieur, et je suis toujours prête à céder. Oh ! Vous m'en trouverez bien moins, Monsieur, quand vous aurez vu ceux de ma maîtresse : la voici… Hé ! Approchez, approchez, Mademoiselle, vous verrez à quoi je m'amuse, et vous ne serez peut-être pas fâchée de vous amuser de même. Malheureuse, dites-vous ? On le serait bien davantage de ne leur parler pas. Il n'y a donc que la crainte qui vous retient ? Ils ne demandent pas mieux que de faire connaissance. Votre tuteur est sorti avec ces deux Messieurs, par la petite porte. Oui, vous dis-je. Un rien l'alarme, il dit qu'il nous connaît, que nous sommes faibles. Il n'y en a point qu'il ne vous défende. Aussi, quand nous attrapons un moment de liberté… Nous causons plus en un quart d'heure, que nous ne ferions en tout un jour, si nous étions un peu moins gênées. Nous n'en voulons point écouter d'autres. De m'épouser ! J'en serais ravie. Quoi ! Tout de bon ? C'est qu'elle commence à s'animer ; le tuteur a raison, nous sommes faibles. Il faut rentrer, vous avez raison ; mais nous pouvons prendre des mesures pour nous revoir. C'est un moyen sûr pour n'avoir pas de peine à se retrouver. Cela est vrai, Madame, enfermons-les dans la Bibliothèque, Monsieur le Docteur n'y vient jamais, nous avons du ratafia, du chocolat, des confitures. Nous aurons tout le temps d'y causer ensemble, et de nous arranger pour nos mariages. Allez m'attendre à la petite porte, nous prendrons notre temps pour vous faire entrer, laissez-moi faire. **** *creator_dancourt *book_dancourt_comediecomediens *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_comediecomediens *dist2_dancourt_prose_comedy *id_PHILINE *date_1710 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_philine À quoi t'amuses-tu donc, Spinette ? Il y a je ne sais combien de temps que je t'appelle. Ah ! Malheureuse, tu parles à des hommes ? Et si mon tuteur nous surprenait ? Avec des étrangers encore ? Deux inconnus, Spinette ? Je m'en ferais peut-être un de vous écouter, Monsieur, et l'on m'en ferait un crime ; rentrons, Spinette. Il est sorti, Spinette ? Oh, pour cela oui, car s'il y était nous n'oserions pas demeurer un instant avec vous. Tout lui fait peur, tout lui fait ombrage. La contrainte où il nous tient l'une et l'autre, est une chose épouvantable. Oh, pour cela oui, et aucun amant ne nous a demandé jamais que le bonheur de nous entretenir. Si vous brûliez d'amour pour moi, vous me feriez plaisir de me le dire. Sérieusement ? Ceci va plus loin que la conversation, au moins, Spinette. Il va revenir peut-être, rentrons au logis. À ne nous point quitter, Spinette ? Mon tuteur revient ! Retournons au logis. Ne me suivez point, vous me feriez des affaires.