**** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LEDIABLE *date_1707 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lediable Hé bien, Monsieur Simon, comment vous trouvez-vous du voyage et de ma compagnie ? Vous avez fait la tournée de votre département assez à votre aise, et vous n'avez pas dû vous ennuyer. Il y avait longtemps que je lui en devais. En lui disputant le Partisan Manceau, j'avais eu du dessous autrefois ; j'en boite encore, comme vous voyez ; mais cette fois-ci j'ai bien eu ma revanche. Cela est bien glorieux pour vous au moins. Aussi êtes-vous un des meilleurs sujets qu'il y ait. Je ne me serais pas battu si vigoureusement pour tout autre. Malepeste ! L'honneur de votre présence, et l'avantage de posséder un Héros comme vous, sont de terribles aiguillons pour un Diable qui aime tant soit peu la gloire ; et puis, j'avais bien pris mon champ de bataille en l'attaquant auprès d'Orléans, Monsieur Pillardoc n'avait pas beau jeu. J'aurais, en cas de besoin, pu rassembler dans un moment trois ou quatre régiments de mes confrères ; c'est le pays des Boiteux que ce pays-là. Je suis un Diable de prévoyance, et je sais prendre mes avantages ; mais baste, cela s'est bien passé. Il m'avait autrefois cassé une jambe, en m'enlevant un Partisan Manceau, je lui enlève un sous-traitant Limosin, et je lui crève un œil, je suis bien vengé, me voilà content. Le grand malheur ! Le bon homme Plutus, le Dieu des richesses est bien aveugle ; il n'y a pas grand inconvénient que le Diable de la Finance soit borgne, il en verra plus clair de l'œil qui lui reste. Oui, mais contez-moi un peu les suites de votre voyage. Tout Diable que je suis, comme j'ai été longtemps à Madrid, enfermé dans la fiole du Magicien, il m'est échappé bien des choses dont je n'ai tout au plus que des idées confuses ; rendez-les plus nettes, remettez-moi au fait. En arrivant à Paris, qu'est ce que mon confrère Pillardoc fit de vous d'abord ? Page chez un homme d'affaires ? Voilà un beau début ! Je me souviens de cela, je l'ai fort connue, elle était une de mes élèves. Cela est bien noble ! Portier, en sortant de Page ! Voilà passer par tous les grades. Voilà d'heureux commencements, Monsieur Simon. Hé bien ? La fortune se sert de toutes sortes de moyens pour favoriser les gens qu'elle aime. Je le crois bien. Et êtes-vous encore son associé, Monsieur Simon ? Cette jeune coquette que vous m'avez dit qui vous fait tant enrager, c'est sa fille ? Hé, dites-moi un peu, Monsieur Simon, quel usage faites-vous de tout ce bien que vous avez gagné dans les affaires ? Le coquin ? Le malheureux ! Savez-vous bien que si je ne vous avais tiré des pattes de cet indigne Diable-là, vous seriez mort un de ces jours au milieu de vos richesses, sans avoir eu le bonheur de goûter votre travail, et les avantages de votre fortune ? N'avez-vous point de honte à votre âge ? Est-ce la saison d'en jouir, que celle que vous prenez, malheureux ? Regardez Monsieur Marsouin, votre confrère, qui fait bâtir un Palais superbe, pour y vivre à la manière des Satrapes, dans le luxe et la mollesse. Voyez d'un autre côté le jeune Oronte, qui n'est qu'un nouveau Financier, et qui promet déjà autant que les plus consommés. Quelle chère fait-il ? Quelle dépense ? Quelle magnificence dans sa maison ? Quel nombre de valets ? Quels équipages pour lui, pour Madame ? Il a acheté la maison d'un Seigneur, et elle est trop petite pour le contenir : il y faut ajouter deux ailes, et abattre aux environs vingt maisons bourgeoises qu'il a achetées pour faire un jardin. Ce sont des hommes, que cela : voilà des gens qui savent vivre. Leurs femmes ne les font point enrager, elles les adorent ; et si par hasard elles en aiment d'autres quelquefois, ce n'est que par représailles, du moins, par amusement, pour n'être pas en reste avec leurs maris, et pour éviter les manières bourgeoises. Mais vous… Oh ! Je vous en réponds, j'y veux travailler sérieusement ; et pour commencer, il faut vous faire voir ce qui se passe chez vous pendant votre absence, depuis qu'on vous croit mort, surtout. C'est un bruit que j'ai fait courir depuis quelque temps. Elle n'a point reçu vos lettres, je les ai enlevées. Je vous rendrai témoin de sa douleur et de son affliction, et j'espère que cela n'aidera pas peu à vous corriger. Je vous porterai dans votre maison, je vous y rendrez invisible pour tous ceux qu'il ne faudra pas qui vous voient, et je ne vous laisserai connaître que quand il sera temps de vous découvrir. Si quelque chose vous fâche, on vous consolera ; et afin de vous donner quelque idée gracieuse de la manière de vivre que je veux vous faire prendre, il faut que vous fassiez connaissance avec une Dama que je protège. C'est une virtuose que j'ai amenée d'Espagne avec sa fille ; et dans le dessein que j'ai de leur faire faire gaiement leur fortune, je les fais passer par tous les grades de la coquetterie, je les ai mises à l'Opéra. C'est ici qu'elles logent, sachons ce qu'elles ont fait pendant mon absence, voyons si vous pourrez prendre quelque goût pour l'une ou pour l'autre : elles ont besoin d'un bon protecteur, et j'ai jeté les yeux sur vous pour cela, Monsieur Simon. Holà, quelqu'un ? Elle en aura plus de joie de me revoir. Avertissez-la que je suis ici, Sanchette, avec un jeune Seigneur de ma connaissance, que je lui amène. Le voilà devant vous, vous ne le voyez pas ? Il l'aura, quand nous l'aurons décrassé ; c'est un diamant brut que je veux donner à polir à vous et à votre bonne maman, et qui vous rendra brillantes l'une et l'autre, à mesure que vous le ferez briller dans le monde galant, où mes soins vont bientôt vous mettre. Qu'est-ce à dire ennuyées ? Ennuyées à l'Opéra ? Je vous ai mises dans le plus joli poste qu'on puisse souhaiter pour ne se point ennuyer, où vous devez déjà avoir fait un nombre infini de conquêtes. Il faut que vous vous y soyez mal prises. Faites-moi venir votre bonne maman, que je sache un peu le fin de cette affaire-là. Je la destine à une façon d'Allemand, qui l'épousera dans trois ou quatre ans, quand elle aura un peu plus de monde ; la plupart de ces Messieurs-là sont gens délicats, à qui il faut des femmes d'esprit, des femmes faites. Voilà sa bonne maman ; voyez, elle a peine ç quitter l'habit de son pays, fantaisie de femme. Sanchette dit que vous vous êtes ennuyées. Avez-vous manqué de plaisirs ? De compagnie ? Comme vous y allez, Madame Thérèse, vous courez d'abord au plus fort. En fait de plaisirs et de fortune, comme en toute autre chose, on n'arrive au période que par degrés, au moins, et je vous trouve bien difficile de n'avoir pu vous accommoder, en attendant mieux, des caractères dont vous me parlez là. Vous la nommez ? J'en suis fâché, j'ai peur que Madame Simon ne me la gâte. Elle est bonne femme, Madame Simon : mais ses allures sont vives. Le confrère Pillardoc ne vous mettait pas en bonne réputation : mais nous réparerons tout cela. Voilà comme à Paris on porte le deuil d'un mari avare, Monsieur Simon ; ne continuez pas de l'être. Oui, Madame Thérèse, c'est un Crésus, un Financier riche d'un demi million, quoiqu'il ne soit que Sous-Traitant. Vous ne vous êtes jamais entendu dire rien de si flatteur, Monsieur Simon ? Je fais de bonnes écolières, comme vous voyez. En cent ans, Monsieur Pillardoc ne vous eût pas donné de si gracieuses connaissances. Servez-vous bien de celui qui vous reste, Monsieur Simon : votre femme aime le plaisir, faites comme elle, vous vivrez heureux et elle aussi, vous jouirez de votre fortune, vous en ferez part à vos amis, et à mes écolières, surtout. Allons, venez, je vais vous y conduire, et j'y donne rendez-vous à Madame Thérèse et à Sanchette. Hé bien, que dites-vous de tout ce que vous avez vu, Monsieur Simon ? Ne vous pressez point, je vous prie, attendons que le Bal soit commencé. J'ai mes raisons pour cela. Oh ! Pour cela non, je vous en réponds, Monsieur Simon. Vous pouvez m'en croire. Ne parle point encore à ta maîtresse du retour de Monsieur Simon, entends-tu, Lisette ? Il y a déjà du temps que j'en suis, et que je lui rends service, sans qu'elle le sache. Je suis le patron de toutes les jolies soubrettes, c'est moi qui les fournis d'expédients et de discrétion. Nous ne sommes visibles que pour qui bon nous semble. Non, non, ne craignez rien. Je suis ici pour empêcher le désordre. Oui, Mesdames, fort à votre service, et je vous amène une façon de Commissaire qui rendra justice à tout le monde. Oh ! Ne vous plaignez point, Madame, je vous ramène Monsieur Simon plus raisonnable et moins avare qu'il ne l'était. Il ne dérangera point vos plaisirs, et vous serez contente. Sans rancune, Messieurs les troqueurs, vous n'avez rien à vous reprocher, vivez bien ensemble. Et vous, Monsieur le Chevalier, soyez toujours des amis de la maison, mais à moins de frais, et associez tous à vos plaisirs et à vos fortunes, ma bonne amie Madame Thérèse et la petite Sanchette. Non, soyez tranquille là-dessus, je vous avertirai si cela arrive. Çà, tandis qu'on dansera dans l'autre salle, que l'on apporte ici la collation. Donnez-nous quelque petit plat de votre métier, Madame Thérèse, et que Monsieur le Major vous seconde, et mette en train la Compagnie. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MONSIEURSIMON *date_1707 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieursimon Parfaitement bien, Monsieur le Diable, je n'ai jamais été si gai et si gaillard que depuis que vous vous mêlez de mes affaires ? Vous êtes le Diable le plus amusant et le plus agréable que je connaisse ; il n'y a ni société ni compagnie à laquelle je ne préférasse la vôtre, et je ne puis assez vous remercier de m'avoir défait de votre camarade Monsieur Pillardoc, qui m'obsédait depuis plus de trente ans, et de vouloir bien à sa place, me prendre sous votre protection. Je fus un peu effrayé d'abord, quand je vous vis aux prises, et je me trouvais fort intrigué de voir sur le grand chemin d'Orléans, deux Diables se battre à qui m'aurait. Je vous suis bien obligé de penser si avantageusement de moi, Monsieur Asmodée. Vous fûtes un peu malmené dans le commencement ; mais vous reprîtes courage. Comment donc ? Vous avez raison. Quoi ! Le pauvre Monsieur Pillardoc est éborgné de cette affaire-là ! Quel accident pour lui, Monsieur Asmodée ! J'en suis fâché, je vous l'avoue ; c'était un bon Diable, et je ne lui ai pas peu d'obligation ; il m'avait amené de chez nous à Paris tout petit garçon, comme vous savez. Il me mit page chez un homme d'affaires. Oui, oui, Page : je portais la queue de Madame, qui était bien jolie, et qui avait bien des amants. Hé bien, s'il vous en souvient, vous vous souvenez donc bien aussi que les intrigues de Madame rapportaient beaucoup, et qu'outre cela, pour récompense, on me fit portier en sortant de Page. Cela me valut de l'argent. Ceux qui avaient affaire de Monsieur, ceux qui avaient affaire à Madame, il m'en venait de tous côtés ; je me trouvai au bout de trois ans, plus de huit mille livres, Monsieur le Diable ; et le Seigneur Pillardoc les mit entre les mains d'un Agent de Change, qui avait été Page comme moi, et qui, en me rendant quinze et demi pour cent, y trouvait encore autant de profit pour lui, à ce que j'ai su depuis, par l'expérience que j'en ai faite. Ce n'est rien que cela, les suites ont été bien meilleures. Il y a d'heureux incidents, d'heureuses conjonctures dans la vie. Le mari de Madame s'avisa de devenir jaloux d'un autre Financier plus riche que lui ; il me défendit de le laisser entrer, et ne me donna rien pour cela : le Financier me donnait, il entra toujours : le mari le sut ; et par bonheur pour moi, voyez quelle étoile, il me donna cent coups de bâton, et me mit à la porte. Voilà ce qui a fait ma fortune, Monsieur le Diable. Depuis ce temps-là, pour faire enrager le mari, l'Amant me prit en amitié ; il me fit son Commis, me mit dans une affaire où je gagnai beaucoup, puis dans une autre, où je gagnai davantage ; et puis encore dans d'autres, tant qu'à la fin je me trouvai dans une où j'étais l'associé du mari de Madame. Il en enrageait, et moi je le morguais, je faisais le gros dos pour le braver, mais il n'osait plus frapper dessus. Je suis devenu bien pis, je suis devenu son gendre. Quel usage ? Je m'en sers pour en gagner d'autre, je n'ai jamais dépensé un sol mal à propos pour mon plaisir. Je travaille jour et nuit à faire travailler mon argent, afin qu'il augmente : le Seigneur Pillardoc ne me prêchait autre chose. Je n'ai que soixante quatre ans, Monsieur le Diable : quand j'aurai amassé encore quelque chose de plus, je songerai à me retirer, je me divertirai, je jouirai de la vie. Ce n'est pas de ma faute, Monsieur Asmodée, j'ai toujours eu bien envie de faire comme ces Messieurs-là : mais Pillardoc m'en empêchait, et il m'a toujours soufflé un esprit d'avarice et de bassesse, dont je sens bien que votre fréquentation me pourra guérir. On me croit mort chez moi ? Mais j'ai écrit tous les jours à Madame Simon. Elle est donc bien en peine et bien affligée, la pauvre femme ? Et comment ferons-nous, s'il vous plaît ? Je ne sais ce que c'est, Monsieur le Diable ; mais voilà une proposition qui ne me flatte point ; je ne suis pas curieux, je meurs de peur de savoir quelque chose qui me fâche, et je m'accommode mieux du doute que de la certitude. Je suis tout à votre service et au leur, Monsieur le Diable, vous n'aurez qu'à dire. Madame Simon ! Votre fille d'Opéra connaît ma femme, Monsieur le Diable ? Comment ? Qu'est-ce à dire ? Vilain, moi ? Miséricorde ! Elle me ruine, Seigneur Asmodée. Voilà une jolie enfant, et une mère qui a bien de l'esprit, Monsieur le Diable. Assurément. Ah ! Pourquoi n'ai-je pas été plutôt sous votre direction ? Lui ? Il ne me faisait voir que des Usuriers, des fesse-mathieux. J'ai bien du regret au temps passé, Seigneur Asmodée. Oh, pour cela oui ! De tout mon cœur je me sens les inclinations toutes changées : mais pour me déterminer tout à fait à suivre vos bons conseils, voyons un peu ce que fait ma femme, et de quelle manière on se gouverne chez moi, je vous prie. Je dis que je n'en veux pas voir davantage, Monsieur le Diable, et que pour rompre le cours de toutes ces parties de plaisirs, il est temps que je me fasse connaître, et que je remette un peu l'ordre dans la maison. Je suis ruiné, pour peu que cela continue. Ma femme me croit mort, à ce qu'il me paraît, Lisette ? Non, non, je ne le suis pas, je me porte bien ; et je lui ferai bien voir à elle, et à son Chevalier. Ma femme l'avait retenu pour être son mari ? C'est une étrange caution que la vôtre, Monsieur le Diable. Il faut commencer par me la rendre à moi-même. Voilà une robe de chambre qui m'appartient, Monsieur le Chevalier. Vous me le conseillez, je le veux bien, Monsieur le Diable : mais que Monsieur le Chevalier ne s'avise pas d'épouser ma femme de mon vivant. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_THERESE *date_1707 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_therese Soyez le bien venu, Seigneur Asmodée : votre absence m'a beaucoup duré, et je ne sais pas ce que je n'airais point fait, si vous aviez encore tardé quelques jours. De compagnie ? Non, nous l'avons eu nombreuse, mais mauvaise, et les plaisirs à proportion. Quantité de jeunes gens, des enfants de famille ; l'un plaide contre son tuteur, l'autre souhaite la mort de sa mère ; celui-ci qui a bon crédit, est un avare ; celui-là qui est prodigue, ne trouve point à emprunter ; tel qui a le plus d'esprit et qui pourrait plaire, n'a ni argent ni succession à espérer, et point d'autre mérite que d'être joli homme : il faut que cela soit soutenu ; et les plaisirs, comme vous le voyez, Seigneur Asmodée, ne sont parfaits que dans l'abondance. Je n'ai goûté de véritable joie que chez une Dame avec qui nous avons fait connaissance, et qui est la plus aimable personne, de la meilleure humeur : ho ! C'est une bonne maison que la sienne ! Madame Simon, une jeune veuve qui ne l'est que depuis huit jours, et qui n'a pas même pris le deuil, parce qu'elle n'est pas tout à fait sûre de l'être. L'agréable Dame, Seigneur Asmodée ! Elle est toute aussi gracieuse, toute aussi charmante, qu'on dit que son mari était vilain. Nous allons ce soir souper chez elle, il y a grande fête, bal, musique, quantité de Dames et de jeunes Officiers. Oh ! Cette Madame Simon-là fait une belle dépense. Serait-ce là le mari de Madame Simon, celui qu'elle croit défunt, Monsieur Asmodée ? Riche d'un demi million ! Ah ! L'aimable homme, la jolie figure ! Approchez, Sanchette, faites la révérence à Monsieur Simon, ne le trouvez-vous pas bien fait, bien agréable de sa personne ? Comme c'est aujourd'hui jour de Bal chez vous, Madame, nous avons cru pouvoir y venir toutes déguisées Vous vantez partout mes appas, Vous cherchez en tous lieux à m'être nécessaire, En tous lieux vous suivez mes pas ; Quel est votre destin ? Dites-moi ? L'Amour n'est pas toujours sincère, C'est un enfant qui badine et séduit. Pour un Amant qui persévère, Un tendre cœur peut-il ne se pas enflammer ? Mais en m'aimant, que prétendez-vous faire ? M'aimer ? Ce n'est pas là l'affaire, Et vous le prenez sur un ton, Dont je ne m'accommode guère : Je crains trop le qu'en dira-t-on. Il faut qu'un bon hymen… Vous ne voulez donc pas le signer ? Volontiers, Mesdames. Vous êtes à merveilles, Madame. Si vous voulez pour vous amuser que je vous dise la bonne aventure. Je ne sais pas si peu pénétrante que je le parais, et vous en jugerez par les événements. Je sais le sort de bien des gens, Ma science n'est point bornée, Et je lis dans la destinée Mille divers événements. Peu de maris seront contents Pendant tout le cours de l'année, Plus d'une amante surannée Payera pour avoir des galants. Abbés blondins, fades amants, Seront mal avec la finance ; Pour payer leur folle dépense, Belles en proie aux partisans. Non, Madame, je ne suis pas intéressée… Ah, Ciel ! Que de signes de veuvage ! Il ne sera pas long, ce veuvage-là. À cette ligne coupée que vous voyez, qui va se rejoindre avec cet autre rameau. La coupure marque le veuvage, et le rameau le second mari. Cette ligne fourchue, c'est celle qui marque les suites du veuvage, Monsieur le Chevalier. C'est la ligne de Mercure, qui marque les bonnes ou mauvaises nouvelles. Mais vraiment, vous me faites remarquer aujourd'hui, oui, aujourd'hui, justement… À huit heures trente deux minutes et quatre secondes, vous recevrez une grande nouvelle du côté de la Touraine. Qu'en ai-je à faire ? Je sais lire partout, je lis dans vos yeux, sur votre visage ; dans votre déguisement même. Oui, vous avez là des rideaux de lit qui ne sont pas discrets, ils vous feront aujourd'hui quelques affaires Nous en saurons bientôt des nouvelles. Les masques commencent à venir, et voilà le reste de votre meuble qui entre, Madame. Tel qu'on croit en Cour pour affaires, est souvent en Ville pour ses plaisirs. Mes prédictions ne sont-elles pas justes ? Vos rideaux sont des indiscrets, Madame la Présidente. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_SANCHETTE *date_1707 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_sanchette Qui est-ce ? Ah ! C'est vous, Monsieur le libertin, qui nous amenez à Paris, et qui nous plantez-là, sans qu'on sache ce que vous êtes devenu. Ma bonne maman est bien en colère contre vous, Monsieur Asmodée. Et où est-il, ce jeune Seigneur ? Ce Monsieur-là ? Vous vous moquez de moi, il n'a l'air ni jeune ni Seigneur, je m'y connais bien. Vous nous ferez plaisir de nous dépêcher ; car nous nous sommes bien ennuyées pendant votre absence. Oh ! Vraiment oui, nombre de conquêtes : ma bonne maman n'a encore chanté que dans les chœurs, je n'ai point eu d'entrée seule. Quand on est nouvelle à l'Opéra, Monsieur le Diable, on a bien de la peine à s'établir une réputation. Voilà une fort jolie petite personne, Monsieur Asmodée. Oui, ma bonne maman, je n'ai jamais vu de Seigneur dans ma vie qui eût aussi bonne mine que lui. Que me voulez-vous ? Laissez-moi retourner auprès de Madame, je veux aussi lui aider à s'habiller. Je l'aime bien, au moins, c'est une bonne Dame. Oh ! Je ne le suis pas encore tant que je le deviendrai. Vous verrez dans trois ou quatre ans, Mademoiselle Lisette, je veux rendre tout le monde amoureux ; et nous avons un bon ami, ma bonne maman et moi, qui me donnera de bons secrets pour cela. Ce n'est point un homme, Mademoiselle Lisette, c'est le Diable. Ah ! Que vous êtes sotte, Mademoiselle Lisette ! Ce Diable-là n'est pas comme vous croyez, c'est le plus agréable génie de tout l'enfer, le plus poli, le plus obligeant, le plus honnête : il faut que je vous en donne la connaissance. Allez, allez, quand vous l'aurez connu, et qu'il sera de vos amis, vous me remercierez bien davantage. Il est ici mon bon ami, il nous y a donné rendez-vous. C'est une fort bonne personne, que Mademoiselle Lisette, Monsieur le Diable ; Et je lui ai bien promis que vous seriez de ses amis. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MADAMESIMON *date_1707 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamesimon Voilà comme vous êtes, Madame la Présidente, vous ne vous déterminez point, vous faites cent propositions, vous ne décidez pour aucune. Monsieur le Major, par complaisance, est aussi incertain que vous, et je vois bien que nous ne conclurons rien, que nous n'ayons ici le Chevalier. Holà quelqu'un, qu'on aille un peu… Ah, te voilà, Lisette ? Va voir si le Chevalier est éveillé ; mais non, ne bouge, voici son valet de chambre. Vivarez, que fait ton maître ? Il sert le Chevalier, cela ne suffit-il pas pour lui donner de l'esprit et de la politesse, ma chère ? Oui, grâces au Ciel, le jour finit. C'est une nouveauté pour moi de l'avoir vu. Il y a longtemps que je ne me suis levé si matin. Ho, laquais, qu'on donne des bougies. Va chercher ton maître, toi, Vivarez. Il s'habille sans toi ? Cela m'étonne. Pourquoi donc cela ? Cela est bien impertinent, est-ce que j'ai des fesses postiches ? Vous m'avez vue en jupon, Monsieur le Major ? Vous êtes une plaisante créature, Mademoiselle Lisette. À propos de repas, que pourrais-je vous donner ce soir, que nous n'ayons point encore eu ? Car pour moi, j'ai le goût tellement usé… Nous parlons tous, et nous ne concluons rien. Oui, ma chère : mais il y a si longtemps qu'on brise nos meubles, allons à notre tour briser ceux des autres : masquons-nous, courons ce soir, et nous viendrons faire réveillon au cabaret en sortant du bal. C'est une marque qu'elle y entend finesse. Mais à propos de gens ennuyeux ; devineriez-vous bien une idée qui me passe par la tête ? Divertissons-nous aujourd'hui à nous ennuyer. Si nous rappelions pour ce soir seulement, quelqu'une de nos connaissances d'été, quelque amant de la Porte Saint Bernard, quelque soupirant des Tuileries ? C'est fort bien dit, l'Abbé Poupardin, sa grosse figure me réjouit ; mais ne le retenons pas à souper, il tient lui seul la moitié de la table, et nous n'aurions pas assez de place pour nous autres. Mais cela est étrange, je ne serai pas la maîtresse chez moi ? Ni moi non plus : mais déguisons-nous, si nous voulons nous bien divertir. Comment nous mettrons-nous ? Prenez celle de feu Monsieur Simon, Monsieur le Chevalier, j'en ai une qu'il n'avait encore jamais mise, servez-vous-en, je vous en prie, je vous la donne. Et moi, je me servirai d'un manteau, ou de mon habit de chasse, je me mettrai en Diane. Quoi ? Que dis-tu Vivarez ? Vous avez fort bien fait, et nous nous disposons à en faire autant. Allez nous préparer nos hardes, Lisette. En attendant que tout soit prêt, il faudrait que Madame Thérèse et Monsieur le Major nous fissent le plaisir de chanter ensemble une petite Scène très courte, que j'ai ici toute notée, dont je veux que Monsieur le Chevalier me dise son sentiment. Voilà votre partie à vous, Monsieur le Major, et voici la vôtre, Madame Thérèse. Hé bien ! Qu'en pensez-vous, Monsieur le Chevalier ? Dites ? Ah ! Chevalier, je crains bien que ce ne soit le vôtre. Et je n'ai fait chanter ces paroles, que pour vous mettre sur ce chapitre, pour avoir occasion de vous faire expliquer, Monsieur le Chevalier. Donnez-moi donc la main, Chevalier, promettez-moi devant vos amis, qu'aussitôt que le certificat que j'attends sera arrivé… Allons, dépêchons-nous. Madame Thérèse, qui est toute habillée, voudra bien aussi nous aider. Je n'ai pris qu'un manteau, je suis moins gênée. Mais vraiment, voilà un enthousiasme de prédictions, qui vaut un almanach tout entier, et j'ai beaucoup de foi pour tout ce qu'elle me dira. Tenez, voilà ma main, belle Bohémienne, voulez-vous que je mette la croix dedans ? De veuvage, Chevalier ! Oh, pour cela non, je vous en réponds, j'y mettrai bon ordre. Ah, Chevalier, vous serez le rameau, et moi je suis la ligne coupée. Hé bien ? Du côté de la Touraine, une grande nouvelle ! C'est le certificat, Lisette. Qu'et-ce que cet incident, ma bonne ? Quoi ? C'est là cette petite innocente, qui n'ose regarder un homme sans rougir ? Qu'est-ce que ce masque-là qui vient au bal avec des béquilles ? C'est Monsieur Simon ? Quel contretemps ! Que je suis malheureuse ! **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LAPRESIDENTE *date_1707 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lapresidente Ah, que Vivarez est galant ! Te serais-tu attendu à cette tirade d'honnêtetés de la part de Vivarez, ma toute bonne ? Mais que ferons-nous aujourd'hui ? Savez-vous bien qu'il est près de six heures ? Nous n'attendons que vous, Chevalier, pour nous déterminer sur le choix des plaisirs que nous pourrons prendre aujourd'hui. Et moi donc, je ne sais si vous remarquâtes hier que je fis mon souper de jambon de Bayonne, de saucissons de Boulogne, et de mortadelles, que je trouvai si fades, si fades. Mais nous sommes en peine de ce que nous ferons, n'est-ce pas aujourd'hui notre jour de bal, ma charmante ? Oui, et nous passerons, en revenant chez le Major, et nous tâcherons d'amener avec nous son épouse ; j'ai une si grande envie de la connaître. Il a de la voix, Monsieur le Major, et il fait la Musique. Il se fait aimer, je vous l'avoue, ce n'est pas par sa figure, mais je le trouve tout à fait amusant. Quelle ? Comment ? Mauvaise compagnie, Monsieur le Chevalier ? Il faut bien que nous nous en accommodions la moitié de l'année. Si j'envoyais chercher l'Abbé Poupardin, ma bonne ? Faire rincer ses verres par un Abbé, Monsieur le Major ? Non, et je vois bien que nous aurons les violons malgré nous : nous avions bien de la peine à choisir notre occupation cette nuit, le goût du Public nous détermine, je n'en suis pas fâchée. Moi, je me mettrai comme j'étais l'autre jour, avec un rideau. On n'a pas renvoyé chez moi ces rideaux de mon lit, dis, Lisette ? Nous nous en servirons, Monsieur le Major. Et qu'on cherche Marton, pour nous habiller. Ne t'en fâche point : mais elle est plus adroite que toi, ma pauvre Lisette. La beauté de la voix de Madame Thérèse nous dédommagera du peu d'agrément de la vôtre. Il n'y a rien à dire à cela ; voilà qui est dans les formes. Les masques ne se pressent pas de venir, que feront-nous en attendant l'heure ? Elle ne me lira point dans la main. Dans mon déguisement ? Oh, je ne crains point l'indiscrétion de mes rideaux, Madame Thérèse, ils n'ont rien à dire. Que veut dire ceci ? Monsieur le Président est à Versailles pour affaires. C'est mon mari, je n'en saurais douter. C'est que je ne viens pas de loin, je n'arrive pas de Versailles, moi, Monsieur. Je vous trouve admirable, faire part du mien à vos maîtresses ? Mais je saurai qui est ma rivale. La petite personne est fort jolie ; allez Monsieur le Président, je vous le pardonne. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LEMAJOR *date_1707 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lemajor Oh, ventrebleu il en a, je vous en réponds ; je me donne au Diable s'il y a dans les troupes un plus joli valet que celui-là, c'est lui qui fait toutes les chansons grivoises que son maître vous chante quelquefois. C'est le Poète du Camp, le Pont-neuf de l'armée. Tiens, Vivarez, en faveur du joli compliment que tu as fait à Madame, voilà un demi-louis que je te donne pour boire. Je n'ai pas d'esprit, Mesdames ; mais par la tête-bleu je fais grand cas de ceux qui en ont. Ah, ah, son gras de jambe de travers ! Oh, palsambleu, c'est celui qui lui fut emporté, il y a trois ans, par un boulet de canon. Il n'en vaut pas moins pour cela, Mesdames, et il n'a jamais reçu que cette seule blessure ? Oui, Madame, et je ne crois pas que depuis ce temps-là le canon vous les ait emportées. Corbleu, j'ai encore un peu de goût pour la fenouillette. Hé morbleu, fi, Madame, vous n'y songez pas, vous verrez une jeune innocente, qui vous ennuiera, une stupide, une petite créature qui ne sait pas le monde, et qui n'ose regarder un homme sans rougir. Hé, pourquoi diable courir le bal ? C'est une fatigue. Faut-il tant de façons ? Mettons-nous à table, restons-y jusqu'à demain, j'ai un nouveau recueil de chansons bachiques. Palsambleu, je ne m'ennuie jamais ; mais je ne réponds pas de ne point ennuyer les autres. Par un Abbé, Madame ? Fi donc, il est Abbé comme moi, Monsieur Poupardin. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je le connais, c'est le neveu d'une Dame qui a été de mes amies, bon garçon, peu d'esprit, grande ignorance, beaucoup de paresse ; qui avec du goût pour le plaisir et pour le monde, se trouvant sans bien et sans talent pour s'y soutenir, a pris sans droit et sans aveu un petit collet, pour n'être point enrôlé, et un manteau noir pour cacher ses vices. Ne voyons point cet homme-là, je vous en prie, Mesdames. Oui, le masque donne une certaine hardiesse, façon d'insolence qui ne me déplaît pas, et qui est assez dans mon caractère. Volontiers, c'est la mascarade la plus commode. Me faire chanter à livre ouvert, moi ? Vous m'embarrassez fort, Madame, je suis un mauvais Musicien, et vous entendrez une étrange musique. C'est elle qui commence, elle me donnera le ton. Allons Madame Thérèse. De vous plaire. Et dans un certain repas, L'amour qui ne se peut taire, L'autre jour me dit tout bas, Que je ne vous déplais pas. L'Amour est vrai ; Vénus sa mère, Qui dans vos yeux me parle et me sourit, Et qui pour moi vous rend moins fière, M'a confirmé ce que l'Amour m'a dit. Ce que je prétends ? Vous aimer. Fi donc. Quoi ! S'aimer par devant notaire ? Oh, la ridicule manière ! Qui, moi ? Non. Pour s'assurer un héritage, Signer chez un Notaire bon : Mais à parler sans façon, Quand il s'agit du mariage, Signer chez un Notaire, non. Je ne vous crois pas une fort habile devineresse. On lit ta bonne aventure dans la main d'autrui, Chevalier. Oh, par la ventrebleu ! Doucement, Monsieur, point d'incartades. Comment ! Palsambleu, c'est ma femme, à moi ? Je tombe des nues. Ah ! Petite coquette. Qu'est-ce à dire, où je suis ? Ah ! Je vous apprendrai… Et vous, mon petit Monsieur… **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LECHEVALIER *date_1707 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lechevalier Ah, par ma foi, Mesdames, vous me surprenez. J'allais faire un tour à l'Opéra. Je vous croyais encore au lit : vous êtes aujourd'hui bien diligentes, pour vous être couchées si peu matin. Oh ! Ne me consultez point là-dessus, Madame la Présidente, ne me parlez point de plaisirs, je n'en trouve qu'à voir, qu'à adorer votre charmante amie. Hors cela, Madame je suis rassasié, fatigué, dégoûté de tout ce qui peut flatter les sens. Hé ! Le moyen ? Nous ne faisons tous les jours autre chose, que de songer à nous divertir, toujours des fêtes, de grands repas… Pour moi, je ne sens presque plus le montant du vin de Champagne. Le joli caractère d'homme, Madame la Présidente ! Vous nous proposez là une mauvaise compagnie, mais il n'importe. Parbleu, nous le ferons tenir debout, Madame, il nous versera à boire, et rincera nos verres. Vous avez raison, on est plus libre. Je vous baise les mains, je suis pour la robe de chambre. Vos prières sont des lois pour moi, Madame. Je dis, Madame, que voilà une Scène qui est tout à fait dans le goût du Major. On a fort bien attrapé son caractère dans ce Dialogue. Le mien, Madame ? Quelle explication faut-il, Madame ? Je vous adore. Je serai votre époux, Madame, et c'est un titre qui fera toute ma félicité, toute ma gloire. Elle pourrait faire le bonheur de quelqu'un. Pourquoi ne voulez-vous pas qu'elle le sache prédire ? Qu'est-ce que c'est que cette grande ligne-là, Madame Thérèse ? Voici une aventure de bal. Point de bruit, Messieurs. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_VIVAREZ *date_1707 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_vivarez Il fait ce qu'il faisait hier, Madame, ce qu'il fera demain, toute la semaine, tout le mois, toute l'année, toute sa vie. Il pense à vous, il vous aime, il vous adore. Et moi je ne suis pas libéral ; mais j'aime les gens qui le sont, à la fureur. Oui ; as-tu de quoi te faire aimer ? Tu n'as qu'à dire. Il va venir, Madame, il achève de s'habiller. Oui, Madame, ce sont ses laquais qui font mes fonctions aujourd'hui. Il m'a chassé de sa chambre parce qu'il s'est mis de mauvaise humeur, et qu'il s'est imaginé que je lui avais mis de travers son gras de jambe. Autant que toi. Ne me dis-tu pas l'autre jour que Madame t'a querellée, parce que dans le retroussis de son manteau, on avait oublié de mettre une de ses fesses ? En tout cas nous avons l'eau forte. Avec le croissant du défunt ? Rien, Madame, je songe à un déguisement pour moi. Vous voilà remariée, Madame, il n'y manque plus que la cérémonie. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LISETTE *date_1707 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Oh, çà, Monsieur, voulez-vous que je vous parle franchement ? Vous êtes de trop dans la maison, nous n'avons que faire ici de Médecin ; et ma Maîtresse et les personnes qu'elle voit, sont trop occupées du plaisir, pour avoir le temps d'être malades. Vous soupirez, Monsieur Bertrand, vous êtes amoureux ? Oui, vous, je m'y connais. Vous n'avouez rien, Monsieur, je ne veux rien savoir. Vous prendriez bien votre temps, vraiment, pour laisser voir dans cette maison-ci quelques symptômes d'amour ! Il ne faut point que des soupirants, comme vous, s'avisent de paraître au commencement de l'hiver sur notre horizon. Et depuis la chute des feuilles jusqu'au Printemps, ce logis est une espèce de Temple, où l'on ne reçoit que les gens de guerre, et où tout Amant de Ville est proscrit et regardé comme un profane. Hé ! Que trouvez-vous donc à redire à sa conduite, s'il vous plaît ? Oh, doucement, Monsieur, s'il vous plaît, ma maîtresse peut loger celui-ci en tout bien et en tout honneur. C'est un homme à devenir bientôt son mari ; et du vivant du défunt, Madame le regardait déjà sur ce pied-là. Oui. Comme Monsieur le Sous-traitant était déjà vieux et infirme ; Madame la Sous-traitante prévoyait bien qu'elle ne le garderait pas longtemps, et elle était bien aise d'assurer la survivance des Aydes à un jeune homme, dont elle pût faire un époux dans la suite. À tirer quelques plumes, Monsieur ? Oh, Madame Simon n'est pas femme à de laisser plumer ; il est bien vrai que comme elle va jouir d'un gros revenu, le Chevalier en mangera une partie, et qu'il se servira de l'autre dans le besoin ; mais il n'entamera le fonds qu'au commencement de la campagne, tout au plutôt. Hé, quand elle le ferait ? De la manière dont Monsieur le Chevalier fait les choses, il faudrait qu'elle eût l'esprit bien mal fait et bien mal tourné pour le trouver mauvais. Je n'extravague point, c'est un homme qui lui fait faire la plus belle figure, qui lui donne les meilleures connaissances, tous gens de mérite, de plaisirs et de distinction, des femmes si jolies et si spirituelles, ils sont toujours huit ou dix à table : et pour divertir la veuve, et la consoler de la perte du défunt, ils fessent son vin de Champagne à la santé du mort. Oh ! Cela est bien consolant pour une jeune coquette, qui n'a perdu un vieux mari que depuis douze ou quinze jours. Quelle, Monsieur ? La joie de Madame ; elle a un instinct. Oh ! Si le mort n'était pas mort, je vous réponds qu'elle ne serait pas si gaie, et puis on a reçu des lettres, qui ne laissent pas lieu d'en douter, et Madame attend à toute heure un certificat dans les formes, pour épouser Monsieur le Chevalier. Oui, Monsieur ; mais il n'est pas encore jour. Non, vraiment, il n'est encore que quatre heures après midi : elles ne se sont couchées qu'à neuf ce matin, elle et Madame la Présidente. Il n'y a point de dérèglement, c'est usage établi. Oh, dame, nous sommes ici comme aux Antipodes, Monsieur, il ne fait jour chez nous que quand il fait nuit partout ailleurs. Du temps de Monsieur Simon, pour se conformer à ses manières bourgeoises, on se couchait le soir, et on se levait le matin, à présent nous avons réformé tout cela : on se couche le matin, et on se lève le soir, c'est la règle. Oui, une espèce d'habitude que nous avons prise. Nous ne méprisons rien tant que les choses communes, le Soleil n'a plus pour nous qu'une clarté roturière, dont nous laissons l'usage au peuple. Plaisirs, visites, affaires, promenades, tout se fait ici pendant la nuit ; et nos Dames se proposaient hier de faire avec des lévriers une partie de chasse aux flambeaux ; et s'il n'avait été grand jour quand elles sont sorties de table… Oh ! Que Madame n'a garde de tomber malade, elle craint trop d'avoir besoin de vous. Mais, qu'entends-je ? C'est le Major et la Présidente, il faut que Madame soit éveillée, j'entends sa voix, elle s'est levée sans moi ; ils pourraient bien venir ici, et je serais fâchée qu'on nous vît ensemble. Vous les rencontrerez par là, sortez par le petit escalier dérobé. L'argent te rend tendre, à ce que je vois ? Voilà un valet de chambre bien discret. Mais ne vous fâchez donc point, Madame, voici Monsieur le Chevalier, il va vous rendre votre bonne humeur. Il faut, malgré vous, que vous ayez ici le bal cette nuit, Madame ; il y a là-bas vingt laquais qui viennent savoir à quelle heure il commencera. Si vous n'en donnez point, il ne sera pas sûr de rester à la maison, on enfoncera la porte, et on fera du désordre ; ce sont de rudes joueurs que les masques. Non, Madame, je les ai fait plier, ils sont dans ma chambre. Quelle complaisance ? Je ne me chagrine point de la préférence. Écoutez, écoutez, Mademoiselle Sanchette. Elle vous aime bien aussi, Sanchette ; et qui ne vous aimerait pas, vous êtes si jolie, si aimable ? Des secrets pour vous faire aimer ! C'est donc un habile homme ? Et qui est-il, s'il vous plaît, ce bon ami-là ? Comment donc ! Le Diable est votre bon ami ! Ah, la vilaine petite Sorcière ! La connaissance du Diable, à moi ! Je vous en remercie. Voilà une petite fille qui extravague. Le Diable ici ! Mais que vois-je ! Le mari de Madame, Monsieur Simon en robe ? La petite fille avait raison, c'est bien le Diable. Soyez le bienvenu, Monsieur. Que l'on va être aise de vous revoir ! Madame commençait à ne vous plus attendre. Vous voyez bien que oui, Monsieur, elle est de l'autre côté, qui en prend le deuil. Oh ! Pour le Chevalier, Monsieur, ce n'est pas sa faute. Madame l'avait déjà retenu quelque temps avant votre voyage, pour devenir son mari, s'il venait faute de vous. Oui, Monsieur ; mais je ne crois pas qu'elle lui eût encore donné des arrhes. Vous me le défendez, je n'ai garde de le faire. J'entends nos Dames, les voilà qui reviennent, elles sont habillées. Entrez pour quelque temps dans ce cabinet, si vous ne voulez pas encore qu'on vous voie. Il n'y a pas lieu d'en douter à présent. L'habile bohémienne ! À quoi connaissez-vous cela, Madame Thérèse ? Et cet autre-là qui forme comme un chemin, que dénote-t-elle, Madame Thérèse ? Oui, Madame, c'est le certificat, vous l'aurez ce soir, et j'en suis aussi sûre que s'il était déjà dans votre cabinet. Cette Bohémienne-là en sait long, Mesdames. Voilà des rideaux de lit qui vont se déchirer chez vous, Madame. Ce n'est point un masque, ils disent que c'est le diable Boiteux, Madame. Il faut qu'il soit huit heures trente-deux minutes et quatre secondes, Madame. Voilà le certificat qui arrive de Touraine. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_UNLAQUAIS *date_1707 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_unlaquais Voilà Madame Thérèse, et la petite Sanchette. Vos hardes sont prêtes, Mesdames, et Mademoiselle Marton vous attend pour vous habiller. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_MONSIEURSIMON *date_1707 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieursimon Parfaitement bien, Monsieur le Diable, je n'ai jamais été si gai et si gaillard que depuis que vous vous mêlez de mes affaires ? Vous êtes le Diable le plus amusant et le plus agréable que je connaisse ; il n'y a ni société ni compagnie à laquelle je ne préférasse la vôtre, et je ne puis assez vous remercier de m'avoir défait de votre camarade Monsieur Pillardoc, qui m'obsédait depuis plus de trente ans, et de vouloir bien à sa place, me prendre sous votre protection. Je fus un peu effrayé d'abord, quand je vous vis aux prises, et je me trouvais fort intrigué de voir sur le grand chemin d'Orléans, deux Diables se battre à qui m'aurait. Je vous suis bien obligé de penser si avantageusement de moi, Monsieur Asmodée. Vous fûtes un peu malmené dans le commencement ; mais vous reprîtes courage. Comment donc ? Vous avez raison. Quoi ! Le pauvre Monsieur Pillardoc est éborgné de cette affaire-là ! Quel accident pour lui, Monsieur Asmodée ! J'en suis fâché, je vous l'avoue ; c'était un bon Diable, et je ne lui ai pas peu d'obligation ; il m'avait amené de chez nous à Paris tout petit garçon, comme vous savez. Il me mit page chez un homme d'affaires. Oui, oui, Page : je portais la queue de Madame, qui était bien jolie, et qui avait bien des amants. Hé bien, s'il vous en souvient, vous vous souvenez donc bien aussi que les intrigues de Madame rapportaient beaucoup, et qu'outre cela, pour récompense, on me fit portier en sortant de Page. Cela me valut de l'argent. Ceux qui avaient affaire de Monsieur, ceux qui avaient affaire à Madame, il m'en venait de tous côtés ; je me trouvai au bout de trois ans, plus de huit mille livres, Monsieur le Diable ; et le Seigneur Pillardoc les mit entre les mains d'un Agent de Change, qui avait été Page comme moi, et qui, en me rendant quinze et demi pour cent, y trouvait encore autant de profit pour lui, à ce que j'ai su depuis, par l'expérience que j'en ai faite. Ce n'est rien que cela, les suites ont été bien meilleures. Il y a d'heureux incidents, d'heureuses conjonctures dans la vie. Le mari de Madame s'avisa de devenir jaloux d'un autre Financier plus riche que lui ; il me défendit de le laisser entrer, et ne me donna rien pour cela : le Financier me donnait, il entra toujours : le mari le sut ; et par bonheur pour moi, voyez quelle étoile, il me donna cent coups de bâton, et me mit à la porte. Voilà ce qui a fait ma fortune, Monsieur le Diable. Depuis ce temps-là, pour faire enrager le mari, l'Amant me prit en amitié ; il me fit son Commis, me mit dans une affaire où je gagnai beaucoup, puis dans une autre, où je gagnai davantage ; et puis encore dans d'autres, tant qu'à la fin je me trouvai dans une où j'étais l'associé du mari de Madame. Il en enrageait, et moi je le morguais, je faisais le gros dos pour le braver, mais il n'osait plus frapper dessus. Je suis devenu bien pis, je suis devenu son gendre. Quel usage ? Je m'en sers pour en gagner d'autre, je n'ai jamais dépensé un sol mal à propos pour mon plaisir. Je travaille jour et nuit à faire travailler mon argent, afin qu'il augmente : le Seigneur Pillardoc ne me prêchait autre chose. Je n'ai que soixante quatre ans, Monsieur le Diable : quand j'aurai amassé encore quelque chose de plus, je songerai à me retirer, je me divertirai, je jouirai de la vie. Ce n'est pas de ma faute, Monsieur Asmodée, j'ai toujours eu bien envie de faire comme ces Messieurs-là : mais Pillardoc m'en empêchait, et il m'a toujours soufflé un esprit d'avarice et de bassesse, dont je sens bien que votre fréquentation me pourra guérir. On me croit mort chez moi ? Mais j'ai écrit tous les jours à Madame Simon. Elle est donc bien en peine et bien affligée, la pauvre femme ? Et comment ferons-nous, s'il vous plaît ? Je ne sais ce que c'est, Monsieur le Diable ; mais voilà une proposition qui ne me flatte point ; je ne suis pas curieux, je meurs de peur de savoir quelque chose qui me fâche, et je m'accommode mieux du doute que de la certitude. Je suis tout à votre service et au leur, Monsieur le Diable, vous n'aurez qu'à dire. Madame Simon ! Votre fille d'Opéra connaît ma femme, Monsieur le Diable ? Comment ? Qu'est-ce à dire ? Vilain, moi ? Miséricorde ! Elle me ruine, Seigneur Asmodée. Voilà une jolie enfant, et une mère qui a bien de l'esprit, Monsieur le Diable. Assurément. Ah ! Pourquoi n'ai-je pas été plutôt sous votre direction ? Lui ? Il ne me faisait voir que des Usuriers, des fesse-mathieux. J'ai bien du regret au temps passé, Seigneur Asmodée. Oh, pour cela oui ! De tout mon cœur je me sens les inclinations toutes changées : mais pour me déterminer tout à fait à suivre vos bons conseils, voyons un peu ce que fait ma femme, et de quelle manière on se gouverne chez moi, je vous prie. Je dis que je n'en veux pas voir davantage, Monsieur le Diable, et que pour rompre le cours de toutes ces parties de plaisirs, il est temps que je me fasse connaître, et que je remette un peu l'ordre dans la maison. Je suis ruiné, pour peu que cela continue. Ma femme me croit mort, à ce qu'il me paraît, Lisette ? Non, non, je ne le suis pas, je me porte bien ; et je lui ferai bien voir à elle, et à son Chevalier. Ma femme l'avait retenu pour être son mari ? C'est une étrange caution que la vôtre, Monsieur le Diable. Il faut commencer par me la rendre à moi-même. Voilà une robe de chambre qui m'appartient, Monsieur le Chevalier. Vous me le conseillez, je le veux bien, Monsieur le Diable : mais que Monsieur le Chevalier ne s'avise pas d'épouser ma femme de mon vivant. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_LEDIABLE *date_1707 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lediable Hé bien, Monsieur Simon, comment vous trouvez-vous du voyage et de ma compagnie ? Vous avez fait la tournée de votre département assez à votre aise, et vous n'avez pas dû vous ennuyer. Il y avait longtemps que je lui en devais. En lui disputant le Partisan Manceau, j'avais eu du dessous autrefois ; j'en boite encore, comme vous voyez ; mais cette fois-ci j'ai bien eu ma revanche. Cela est bien glorieux pour vous au moins. Aussi êtes-vous un des meilleurs sujets qu'il y ait. Je ne me serais pas battu si vigoureusement pour tout autre. Malepeste ! L'honneur de votre présence, et l'avantage de posséder un Héros comme vous, sont de terribles aiguillons pour un Diable qui aime tant soit peu la gloire ; et puis, j'avais bien pris mon champ de bataille en l'attaquant auprès d'Orléans, Monsieur Pillardoc n'avait pas beau jeu. J'aurais, en cas de besoin, pu rassembler dans un moment trois ou quatre régiments de mes confrères ; c'est le pays des Boiteux que ce pays-là. Je suis un Diable de prévoyance, et je sais prendre mes avantages ; mais baste, cela s'est bien passé. Il m'avait autrefois cassé une jambe, en m'enlevant un Partisan Manceau, je lui enlève un sous-traitant Limosin, et je lui crève un œil, je suis bien vengé, me voilà content. Le grand malheur ! Le bon homme Plutus, le Dieu des richesses est bien aveugle ; il n'y a pas grand inconvénient que le Diable de la Finance soit borgne, il en verra plus clair de l'œil qui lui reste. Oui, mais contez-moi un peu les suites de votre voyage. Tout Diable que je suis, comme j'ai été longtemps à Madrid, enfermé dans la fiole du Magicien, il m'est échappé bien des choses dont je n'ai tout au plus que des idées confuses ; rendez-les plus nettes, remettez-moi au fait. En arrivant à Paris, qu'est ce que mon confrère Pillardoc fit de vous d'abord ? Page chez un homme d'affaires ? Voilà un beau début ! Je me souviens de cela, je l'ai fort connue, elle était une de mes élèves. Cela est bien noble ! Portier, en sortant de Page ! Voilà passer par tous les grades. Voilà d'heureux commencements, Monsieur Simon. Hé bien ? La fortune se sert de toutes sortes de moyens pour favoriser les gens qu'elle aime. Je le crois bien. Et êtes-vous encore son associé, Monsieur Simon ? Cette jeune coquette que vous m'avez dit qui vous fait tant enrager, c'est sa fille ? Hé, dites-moi un peu, Monsieur Simon, quel usage faites-vous de tout ce bien que vous avez gagné dans les affaires ? Le coquin ? Le malheureux ! Savez-vous bien que si je ne vous avais tiré des pattes de cet indigne Diable-là, vous seriez mort un de ces jours au milieu de vos richesses, sans avoir eu le bonheur de goûter votre travail, et les avantages de votre fortune ? N'avez-vous point de honte à votre âge ? Est-ce la saison d'en jouir, que celle que vous prenez, malheureux ? Regardez Monsieur Marsouin, votre confrère, qui fait bâtir un Palais superbe, pour y vivre à la manière des Satrapes, dans le luxe et la mollesse. Voyez d'un autre côté le jeune Oronte, qui n'est qu'un nouveau Financier, et qui promet déjà autant que les plus consommés. Quelle chère fait-il ? Quelle dépense ? Quelle magnificence dans sa maison ? Quel nombre de valets ? Quels équipages pour lui, pour Madame ? Il a acheté la maison d'un Seigneur, et elle est trop petite pour le contenir : il y faut ajouter deux ailes, et abattre aux environs vingt maisons bourgeoises qu'il a achetées pour faire un jardin. Ce sont des hommes, que cela : voilà des gens qui savent vivre. Leurs femmes ne les font point enrager, elles les adorent ; et si par hasard elles en aiment d'autres quelquefois, ce n'est que par représailles, du moins, par amusement, pour n'être pas en reste avec leurs maris, et pour éviter les manières bourgeoises. Mais vous… Oh ! Je vous en réponds, j'y veux travailler sérieusement ; et pour commencer, il faut vous faire voir ce qui se passe chez vous pendant votre absence, depuis qu'on vous croit mort, surtout. C'est un bruit que j'ai fait courir depuis quelque temps. Elle n'a point reçu vos lettres, je les ai enlevées. Je vous rendrai témoin de sa douleur et de son affliction, et j'espère que cela n'aidera pas peu à vous corriger. Je vous porterai dans votre maison, je vous y rendrez invisible pour tous ceux qu'il ne faudra pas qui vous voient, et je ne vous laisserai connaître que quand il sera temps de vous découvrir. Si quelque chose vous fâche, on vous consolera ; et afin de vous donner quelque idée gracieuse de la manière de vivre que je veux vous faire prendre, il faut que vous fassiez connaissance avec une Dama que je protège. C'est une virtuose que j'ai amenée d'Espagne avec sa fille ; et dans le dessein que j'ai de leur faire faire gaiement leur fortune, je les fais passer par tous les grades de la coquetterie, je les ai mises à l'Opéra. C'est ici qu'elles logent, sachons ce qu'elles ont fait pendant mon absence, voyons si vous pourrez prendre quelque goût pour l'une ou pour l'autre : elles ont besoin d'un bon protecteur, et j'ai jeté les yeux sur vous pour cela, Monsieur Simon. Holà, quelqu'un ? Elle en aura plus de joie de me revoir. Avertissez-la que je suis ici, Sanchette, avec un jeune Seigneur de ma connaissance, que je lui amène. Le voilà devant vous, vous ne le voyez pas ? Il l'aura, quand nous l'aurons décrassé ; c'est un diamant brut que je veux donner à polir à vous et à votre bonne maman, et qui vous rendra brillantes l'une et l'autre, à mesure que vous le ferez briller dans le monde galant, où mes soins vont bientôt vous mettre. Qu'est-ce à dire ennuyées ? Ennuyées à l'Opéra ? Je vous ai mises dans le plus joli poste qu'on puisse souhaiter pour ne se point ennuyer, où vous devez déjà avoir fait un nombre infini de conquêtes. Il faut que vous vous y soyez mal prises. Faites-moi venir votre bonne maman, que je sache un peu le fin de cette affaire-là. Je la destine à une façon d'Allemand, qui l'épousera dans trois ou quatre ans, quand elle aura un peu plus de monde ; la plupart de ces Messieurs-là sont gens délicats, à qui il faut des femmes d'esprit, des femmes faites. Voilà sa bonne maman ; voyez, elle a peine ç quitter l'habit de son pays, fantaisie de femme. Sanchette dit que vous vous êtes ennuyées. Avez-vous manqué de plaisirs ? De compagnie ? Comme vous y allez, Madame Thérèse, vous courez d'abord au plus fort. En fait de plaisirs et de fortune, comme en toute autre chose, on n'arrive au période que par degrés, au moins, et je vous trouve bien difficile de n'avoir pu vous accommoder, en attendant mieux, des caractères dont vous me parlez là. Vous la nommez ? J'en suis fâché, j'ai peur que Madame Simon ne me la gâte. Elle est bonne femme, Madame Simon : mais ses allures sont vives. Le confrère Pillardoc ne vous mettait pas en bonne réputation : mais nous réparerons tout cela. Voilà comme à Paris on porte le deuil d'un mari avare, Monsieur Simon ; ne continuez pas de l'être. Oui, Madame Thérèse, c'est un Crésus, un Financier riche d'un demi million, quoiqu'il ne soit que Sous-Traitant. Vous ne vous êtes jamais entendu dire rien de si flatteur, Monsieur Simon ? Je fais de bonnes écolières, comme vous voyez. En cent ans, Monsieur Pillardoc ne vous eût pas donné de si gracieuses connaissances. Servez-vous bien de celui qui vous reste, Monsieur Simon : votre femme aime le plaisir, faites comme elle, vous vivrez heureux et elle aussi, vous jouirez de votre fortune, vous en ferez part à vos amis, et à mes écolières, surtout. Allons, venez, je vais vous y conduire, et j'y donne rendez-vous à Madame Thérèse et à Sanchette. Hé bien, que dites-vous de tout ce que vous avez vu, Monsieur Simon ? Ne vous pressez point, je vous prie, attendons que le Bal soit commencé. J'ai mes raisons pour cela. Oh ! Pour cela non, je vous en réponds, Monsieur Simon. Vous pouvez m'en croire. Ne parle point encore à ta maîtresse du retour de Monsieur Simon, entends-tu, Lisette ? Il y a déjà du temps que j'en suis, et que je lui rends service, sans qu'elle le sache. Je suis le patron de toutes les jolies soubrettes, c'est moi qui les fournis d'expédients et de discrétion. Nous ne sommes visibles que pour qui bon nous semble. Non, non, ne craignez rien. Je suis ici pour empêcher le désordre. Oui, Mesdames, fort à votre service, et je vous amène une façon de Commissaire qui rendra justice à tout le monde. Oh ! Ne vous plaignez point, Madame, je vous ramène Monsieur Simon plus raisonnable et moins avare qu'il ne l'était. Il ne dérangera point vos plaisirs, et vous serez contente. Sans rancune, Messieurs les troqueurs, vous n'avez rien à vous reprocher, vivez bien ensemble. Et vous, Monsieur le Chevalier, soyez toujours des amis de la maison, mais à moins de frais, et associez tous à vos plaisirs et à vos fortunes, ma bonne amie Madame Thérèse et la petite Sanchette. Non, soyez tranquille là-dessus, je vous avertirai si cela arrive. Çà, tandis qu'on dansera dans l'autre salle, que l'on apporte ici la collation. Donnez-nous quelque petit plat de votre métier, Madame Thérèse, et que Monsieur le Major vous seconde, et mette en train la Compagnie. **** *creator_dancourt *book_dancourt_diableboiteuxsuite *style_prose *genre_comedy *dist1_dancourt_prose_comedy_diableboiteuxsuite *dist2_dancourt_prose_comedy *id_SANCHETTE *date_1707 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_sanchette Qui est-ce ? Ah ! C'est vous, Monsieur le libertin, qui nous amenez à Paris, et qui nous plantez-là, sans qu'on sache ce que vous êtes devenu. Ma bonne maman est bien en colère contre vous, Monsieur Asmodée. Et où est-il, ce jeune Seigneur ? Ce Monsieur-là ? Vous vous moquez de moi, il n'a l'air ni jeune ni Seigneur, je m'y connais bien. Vous nous ferez plaisir de nous dépêcher ; car nous nous sommes bien ennuyées pendant votre absence. Oh ! Vraiment oui, nombre de conquêtes : ma bonne maman n'a encore chanté que dans les chœurs, je n'ai point eu d'entrée seule. Quand on est nouvelle à l'Opéra, Monsieur le Diable, on a bien de la peine à s'établir une réputation. Voilà une fort jolie petite personne, Monsieur Asmodée. Oui, ma bonne maman, je n'ai jamais vu de Seigneur dans ma vie qui eût aussi bonne mine que lui. Que me voulez-vous ? Laissez-moi retourner auprès de Madame, je veux aussi lui aider à s'habiller. Je l'aime bien, au moins, c'est une bonne Dame. Oh ! Je ne le suis pas encore tant que je le deviendrai. Vous verrez dans trois ou quatre ans, Mademoiselle Lisette, je veux rendre tout le monde amoureux ; et nous avons un bon ami, ma bonne maman et moi, qui me donnera de bons secrets pour cela. Ce n'est point un homme, Mademoiselle Lisette, c'est le Diable. Ah ! Que vous êtes sotte, Mademoiselle Lisette ! Ce Diable-là n'est pas comme vous croyez, c'est le plus agréable génie de tout l'enfer, le plus poli, le plus obligeant, le plus honnête : il faut que je vous en donne la connaissance. Allez, allez, quand vous l'aurez connu, et qu'il sera de vos amis, vous me remercierez bien davantage. Il est ici mon bon ami, il nous y a donné rendez-vous. C'est une fort bonne personne, que Mademoiselle Lisette, Monsieur le Diable ; Et je lui ai bien promis que vous seriez de ses amis.