**** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_justinian *date_1641 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_justinian Levez-vous. Non, je n'écoute rien en l'estat où vous estes, Levez-vous. Ne vous affligez pas belle & charmante Reine, Cette rigueur pour vous seroit trop inhumaine, je croirois faillir, si j'avois accepté Une offre si contraire aux Loix de ma bonté, Quel que soit mon bon-heur, j'y veux joindre la gloire, D'avoir sçeu noblement user de ma victoire, Je ne veux point passer pour insolent vainqueur, Je redonne les biens pour acquerir le coeur, Et le Ciel m'est témoin que je ne fais la guerre, Que pour mieux establir le repos sur la terre : Quand j'abaisse quelqu'un je le fais justement ; Et quand je puis punir, je pardonne aysément. Ouy Princesse esperez, donnez tréve à vos plaintes, Ma clemence aujourd'huy dissipera vos craintes, Et vous témoignera par ma facilité⁎, Combien je suis modeste en ma prosperité, Vivez Amalazonthe ; & vous Prince rebelle, Aussi fidelle Amant que Vassal infidelle, Apprenez par l'effet que je vay faire voir, Qu'il est advantageux d'estre sous mon pouvoir. Qu'on détache ses fers. Rare honneur de ma Cour, appuy de mon Empire Que j'honnore, qu'on craint ; mais que chacun admire, Belisaire en un mot, tes belles actions, Qui me rendent vainqueur de tant de nations, Me semblent demander l'illustre recompence, Que mon affection prepare à ta vaillance, Il est juste, & je veux ayant bien combatu, Que ma reconnoissance égale ta vertu⁎, Approche, et de ma main prends ces augustes⁎ marques, Dont l'êclat te releve au dessus des Monarques, Avecque ce pouvoir tes ordres Souverains Regiront dessous moy l'Empire des humains ; Je veux que mes sujets respectent ta puissance, Qu'à tes commandemens on preste obeyssance, Et que tous les Guerriers qui combattent pour moy Dans leurs plus beaux desseins n'agissent que par toy. Icy ma volonté s'accorde à ta demande, Fay donc & l'un & l'autre, obeys & commande Dans le premier effect sur les loix du devoir, Et dedans le second celles de ton pouvoir. Qu'autre personne ici ne nous soit introduite. Un malheur que je crains à l'égal de la mort. Helas ! Belisaire nous quitte, Et toute la grandeur dont j'éclate aujourd'huy, Par ce triste accident⁎ me quitte avecque luy. Non, mais en le perdant... C'est ce que je n'ay pû luy faire declarer, Mais pour une raison importante et secrette, Ce Prince m'a prié d'agreer sa retraite. Pourquoy ? O Dieux ! Je n'en sçaurois douter, voila son escriture. Moderez ce transport, si l'ingrat est coupable, Vous le feriez perir d'un coup trop honnorable, Les traistres n'ont jamais des supplices si doux, Un bourreau fera mieux cet office que vous. Hola, Gardes, à moy, que vostre capitaine, Vienne tost me trouver dans la chambre prochaine, Pour recevoir mon ordre & mes commandemens. Vous verrez ma justice & mes ressentimens, Mais avant que la foudre éclate sur sa teste, Il faut premierement que Pyrandre l'arreste. Ah ! je ne puis souffrir⁎ l'impunité d'un crime, Qui destruit mon honneur & tache mon estime, Je l'avois fait trop grand, il s'est trop oublié. Ah ! l'ingrat, ah ! le traistre, Oser insolemment se joüer à son maistre ? Ah ! je ne puis souffrir⁎ cette temerité. Je ne m'y puis resoudre. Ah ! je l'ay trop aimé ce jeune temeraire, En cette occasion mon coeur que dois-je faire, L'un émeut mon courroux, l'autre me fait pitié, Ses services passez m'inspirent la clemence, Et son crime present aigrit ma violence, Et je crains justement en cette extremité, De manquer de prudence ayant trop de bonté, Perdre aussi ce que j'aime & dont le grand courage A sauvé mes Estat d'un visible naufrage, Un Prince genereux, un serviteur ardent, Un sujet nompareil, noble, mais imprudent, Belisaire, en un mot, ah ! c'est une personne, Que je puis balancer avec une couronne, Que resoudray-je donc ? mais qu'est-ce que je voy ? Theodore, bons Dieux ! l'ameine devant moy. Ce procedé nouveau rend mon ame confuse. C'est assez, n'en dy pas d'avantage, La vertu que je vois sur ce front genereux⁎, Monstre son innocence en l'objet de ses voeux, Et mon coeur est ravi qu'une si belle flame En faveur de Sophie ait embrasé son ame, Mais j'ay bien du regret qu'en cette occasion Je ne puisse respondre à son affection, Pour ne pas rendre vain le voyage d'un Prince, Que cét espoir retient dedans cette province, Et qui m'a témoigné que pour le meriter Il donneroit son sang. Vous l'aurez. J'y consens. S'il vous plaist, je le veux. Venez, approchez-vous ; Que les deux Souverains Puissent joindre vos coeurs comme je joins vos mains. Suivez donc cet espoir que vostre amour vous donne, Vitigés a pour vous hazardé sa couronne, Il a tout fait pour vous, vous faites tout pour luy, Et souffrez⁎ que son coeur vous possede aujourd'huy, Vous l'avez mis aux fers, qu'il y mette vostre ame, Que vostre peine soit une commune flame, Et qu'Amour & l'Hymen ces aimables Tyrans, Soient les executeurs de l'Arrest que je rens. Enfin cét heureux jour si long temps differé, Est venu quand mon coeur l'avoit moins esperé, Et lors que je prenois le bandeau de Justice, Je pense que l'Amour par un plaisant caprice, A dévoilé mes yeux de ce funeste atour, Et remis en sa place un bandeau de l'Amour. Enfin ce petit Dieu qui causoit nos tempestes, A luy méme éloigné l'orage de nos testes, Et le mesme pouvoir que je craignois si fort, Loin de nous abismer nous a mis dans le port. FIN. **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_vitigez *date_1641 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_vitigez Ce propos genereux⁎ divine Amalazonthe, Veut faire voir icy vôtre gloire & ma honte, Mais je ne suis pas lâche au point que de souffrir⁎, Que vous donniez le prix que vous venez d'offrir : Plutôt que m'ordonner que je vous abandonne, Qu'on m'ôte mes Estats, mon Spectre et ma Couronne, Je beniray mon sort, mes fers me seront doux, S'ils me laissent l'honneur de vivre auprés de vous. Madame, les prisons sont des champs Elizées, Quand vos divins regards les ont favorisées, Au lieu que les palais où vos yeux ne sont pas, Ne sont que des enfers où regne le trépas. Que le Ciel vous soit donc cruel ou favorable, Mon sort de vos destins doit estre inseparable, Mes jours avecque vous me seront precieux, Et sans vous je renonce à la clarté des Cieux, Mais helas ! mes desirs ne sont pas legitimes, Vos celestes beautez n'ont point part à mes crimes ; Et la mesme équité me devroit enseigner Comme je dois souffrir⁎ que vous devez regner, Regnez, separez-vous du mal-heur de mes armes, Mon amour quoy que grand est fatal à vos charmes, Et c'est pour reparer un si sensible tort, Que j'implore à genoux vostre grace & ma mort. Amalazonthe. Ah ! Seigneur mon offence Les a trop meritez ; mais par cette clemence, Vous voulez témoigner que vostre Majesté Sçait comme par le fer vaincre par sa bonté, Ainsi vous triomphez doublement d'un rebelle, Cette chaine qu'on m'oste en fait une nouvelle, Qui s'offrant à mes sens avec moins de rigueur, Semble passer icy de mes mains à mon coeur ; Ouy Seigneur desormais je sçauray reconnoistre, Estant mon Empereur, que vous estes mon maistre, Que je dois relever d'un si juste pouvoir, Et par vostre vertu j'apprendray mon devoir. Ma Princesse, d'où vient cette melancolie Où vostre ame paroist si fort ensevelie ? Est-ce pour étoufer mon amoureuse ardeur Que vous me recevez avec tant de froideur ? Ah ! si j'ay le malheur d'avoir pu vous déplaire, Ordonnez de mon sort, je vay vous satisfaire Pourveu qu'en me privant & d'espoir & d'amour, Vous permettiez aussi que je perde le jour. Ah ! Madame, en ce point sa rigueur m'est propice, Et sa triste faveur feroit une injustice, Si lors que son respect manque pour vos attraits, Le barbare pour moy manquoit aussi de traits, Non, non, je beniray mon tourment & mes peines, Si vous prestez la main à soutenir mes chaines, Et si mon sang rendoit vos destins plus heureux, Je verrois le trépas d'un visage amoureux. Mais, de grace, Madame, afin de m'y resoudre, Dites moy de quel bras doit partir cette foudre, Quel est cét ennemy qui veut m'oster le jour ? Qui, bons Dieux ? Madame, c'est assés, je voy mon infortune, Et je sçay maintenant ce qui vous importune, Cét amour que vos yeux ont fait naistre en mon coeur, Cet aimable tyran dont je fais mon vainqueur, Est cause des ennuis peints sur vostre visage, Et du prochain malheur dont j'attens mon naufrage : Mais, Madame, esteignez ce feu qui vous déplaist, Employez y mon sang tout fidele qu'il est, Et pour rendre à jamais mon amour étoufée, Donnez à vos attraits un plus noble trophée : Je croy que ce n'est pas sans un sensible effort, Que vous avez conclu cet arrest de ma mort, Et que vostre rigueur voyant mon innocence, Se fait en me tuant beaucoup de violence. Mais, Madame, étoufez cette ingrate pitié, Perdez le souvenir de ma tendre amitié, Et pour mettre en repos un object adorable, N'espargnez point le sang d'un Prince miserable. Qui vous met en allarme ? Doutez vous de ma foy ? doutez vous de mon coeur ? Que craignez-vous donc ? Ah ! Madame un rayon d'esperance Flate encor mon amour d'une belle apparence : Ce n'est pas que l'orgueil de ce victorieux Me fasse icy douter du pouvoir de vos yeux, Je sçay que leurs regards triomphent des plus braves, Et que des plus grands Roys ils se font des esclaves ; Mais quoy que Belisaire ait pû vous témoigner, Ce n'est pas sur son coeur que vous devez regner, Je sçay bien de quel trait sa belle ame est atteinte, Et vous avez, Madame, une inutile crainte : "Mais ainsi que le bruit accompagne le jour, "Tousjours la Jalousie accompagne l'Amour, "Par tout où va ce Dieu, va ce fantosme sombre, "Qui le suit de si prés qu'on le prend pour son ombre. Si vostre coeur estoit moins illustre qu'il n'est, Je craindrois que mon sort ou bien vostre interest, Voyant en quel estat mon ennemy me range, Ne portast quelque jour une Princesse au change, Mais d'en avoir peur je croirois l'offenser, Si j'en avois conçeu seulement le penser. Non je ne puis commettre une si lâche faute, Mon amour est trop grand, & vostre ame est trop haute, Pour craindre que jamais on me puisse ravir Ny l'honneur d'estre aimé, ny l'heur⁎ de vous servir. Mais encor quel sujet a fait naistre ces craintes ? Et quelle occasion authorise vos plaintes , Il est avec Sophie. Amour si ta puissance A gravé dans son coeur ma Reyne & ses attraits, Permets que cét object en efface les traits⁎. Avant que d'en venir à l'extreme rigueur, Grand Prince ayez égard aux traits de sa valeur. La prison & ses fers l'auront humilié, Pardonnez luy, Seigneur. Que vostre Majesté retienne un peu le foudre, Qui menace son chef d'un malheur infiny, Perdant vostre faveur il est assez puny. Illustres sentimens d'une ame genereuse⁎ ! Douce punition ! agreable sentence ! **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_iskirion *date_1641 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_iskirion Vous voulez mon trépas, Bien, mais auparavant vous connoistrez mon bras, Et cet illustre sang que vous voulez répendre, Coulera lasches coeurs, mais je le sçauray vendre, Ah ! Seigneur arrestez, cette punition, Appartient à mon bras comme à ma passion, L'outrage qu'il m'a fait m'oblige⁎ à cét office⁎. Quand je ne voudrois pas la raison m'y convie, Puis-je rien refuser à qui je dois la vie ? Mon Seigneur vos desirs seront tousjours les miens, Je tiens de vous le jour, qu'il vous doive les siens, J'y consens, & de peur qu'une action si noire N'efface tout à fait le reste de sa gloire, Et ne le rende infame aux siecles à venir, J'en veux perdre, Seigneur, jusques au souvenir. Il a perdu le sens. Ce discours cache un sens que je ne puis comprendre. Ce sang ne fut jamais digne de ce meslange, Ne le regretez point, vous gaignerez au change, Et sa mort est un coup que le Ciel a permis Pour vous donner ici de plus nobles amis. Si je ne sçavois bien qu'un coeur comme le vostre Ne pris jamais de part aux foiblesses d'un autre, Je craindrois justement de ne pas obtenir L'amitié que j'espere & qui nous doit unir ; Mais vous connoissez trop que ce qu'il vient de dire De conspiration contre vous & l'Empire, Sont des pretextes faux dont il pensoit couvrir L'horreur d'une action qui le force à mourir. Je suis noble Seigneur, & le Ciel m'a fait Prince, Mais je suis, grace aux Dieux, content de ma Province, Et desormais l'honneur de vostre affection Sera le seul objet de mon ambition, Secondez maintenant une si juste envie, Adjoutez cette grace à celle de ma vie, Favorisez les voeux d'un Prince infortuné, Ou reprenez le jour que vous m'avez donné. Ah ! cét abbaissement offense vos merites ; Comme ils sont hors de prix ils n'ont point de limites, Et l'admiration dont je me sens charmer Est le langage seul qui les puisse exprimer : Cependant permettez que ce premier hommage Soit de nostre amitié le symbole & le gage, Et que ce diamant aussi net que mon coeur Vous fasse souvenir de vostre serviteur. Adieu, je me retire avecque cet espoir. C'est où je vous attens. Hé bien, Madame, il faut complaire à vostre envie, Un sujet vous deplaist, vous demandez sa vie, Vous avez sur mon coeur un pouvoir absolu, Il veut que j'obeisse, & j'y suis resolu. Pour l'amour de Sophie & pour vostre service, Il n'est rien que je n'ose & que je n'accomplisse, J'affronteray pour vous & l'enfer & les cieux, Le fer, le feu, la mort, les hommes & les Dieux, Pour vous je trouveray tout acte legitime, Je hazarderay tout, ma gloire, mon estime, Ma fortune, mon sang, mon pays, mon honneur, Et le tout pour Sophie, & pour vostre faveur. J'ay regret toutesfois que quelque autre asseurance, Ne preuve mon amour, & mon obeissance, Et qu'il ne m'est permis d'aspirer autrement A la possession d'un tresor si charmant, Si Belisaire est craint, c'est dans cette province, J'ay le bras d'un soldat, le courage d'un Prince. Et si vous le vouliez, vous verriez ma valeur Imprimer sur son corps ma gloire & son malheur. Madame s'en est fait, il va perdre le jour, Victime infortunée⁎ ! & de haine & d'amour. Importune raison, hé bien que dois-je faire ? Te faut-il obeir, ou bien t'estre contraire ? Sur une perfidie establir mon bon-heur ? Ou perdre mon amour, pour sauver mon honneur ? Mon honneur ! ah ! c'est trop, je ne m'y puis resoudre, Lancez, lancez sur moy les quarreaux de la foudre Dieux justes, Dieux vangeurs, plustost que de souffrir⁎ Qu'ingrat à vos faveurs je les laisse perir: Vous avez attaché mon honneur à ma vie, Que la perte de l'un soit de l'autre suivie, Ou si chacun des deux doit perir à son tour, Laissez vivre l'honneur, & privez moy du jour : L'honneur est un tresor à tout bien preferable, Il est cher, mais, helas ! Sophie est adorable, Et se rendre rebelle à des attraits si doux, Grands Dieux, vous le sçavez, c'est s'attaquer à vous, Comme elle est des vertus le plus parfait modele, Un crime est innocent, quand il se fait pour elle ; Et la mesme vertu change de qualité, Quand elle a le malheur de chocquer sa beauté. Suivons donc les conseils que mon amour me donne, Obeis ma raison puis qu'un Dieu te l'ordonne, Aussi bien c'est en vain que je veux reveler, Le traict desja lancé ne se peut r'appeller, Il faut, il faut franchir constamment la carriere, Et m'acquerir Sophie ou perdre la lumiere. C'est assez, observez le silence, Grand Prince, justes Dieux, que je suis interdit, Malheureux, ah ! Seigneur, il ne sera pas dit, Que ce bras animé d'une indiscrete⁎ envie, Ait arraché le coeur à qui je dois la vie, Va, va lâche instrument d'une aveugle fureur, Abandonne ma main, ton fer me fait horreur, Toutesfois, desloyal, tu peux encor me plaire, Vien, passe dans mon sein, & vange Belisaire, Tu feras par ce traict de generosité⁎ Une juste action pour une lâcheté. Ah : souffrez⁎ que mon crime Reçoive un châtiment & juste & legitime, J'ay cherché vostre sang, j'ay voulu vostre mort, Ce desir criminel demande un mesme sort, Et bien qu'il ne soit rien que ministre⁎ d'un autre, Mon sang à cet effect⁎ doit payer pour le vostre, Permettez moy Seigneur. Ah ! pour cette bonté qui paroist incroyable, Que vous m'estes cruel estant si pitoyable, Ce discours à mon coeur est un bourreau secret, Vous m'arrachez ce fer, mais je meurs de regret, Ou si le Ciel encor permet que je respire, C'est pour faire durer ma honte et mon martyre, Et donner un exemple à la posterité, Et de mon imprudence et de leur équité, Ouy, Seigneur, permettez, advouant mon offense, Que d'un terme plus doux je la nomme imprudence, Puis que mon jugement en cét acte odieux A suivy le conseil de deux guides sans yeux. Ce monstre si fatal aux plus nobles courages, Et qui s'offre à nos sens sous mille faux visages, L'ambition d'abord avecque son poison, A troublé mon esprit, & seduit ma raison. La faveur & l'espoir ont esté ses complices, L'amour à mes efforts a joint ses artifices, Et mon aveuglement qui m'en cache l'objet, M'a fait prester la main à ce lâche projet. Mais, Seigneur, maintenant que vos vives lumieres Ont dissipé la nuict qui couvroit mes paupieres, Qu'à vostre heureux abord le bandeau m'est tombé, Et me redonne un bien qu'il m'avoit dérobé, Que mon ambition meure en vostre presence, Que ma faveur perisse avec mon esperance, Mon repos, mes plaisirs, & mesme mon amour, Plûtost que de souffrir⁎ qu'il vous coustent le jour. Cét amour desormais m'est bien indifferente, Souffrez⁎ que je vous aime, & mon ame est contente : C'est là tout mon desir, c'est là tout mon espoir, Et l'unique bon-heur que je veux recevoir. Adieu, je me retire avec cette esperance. Ah ! Madame. Hé bien, assouvissez cette barbare envie, J'ay trahy vos desseins, arrachez moy la vie, Tenez, me voila prest, suivez vostre courroux C'est pour ce sujet seul que je suis devant vous, Ne le differez point, vostre injuste colere, Frappant Iskirion, frappera Belisaire, Son ame vit en moy, mon ame vit en luy, Mesme coeur, mesme esprit nous anime aujourd'huy, De qui que le sang coule on le peut dire nostre, La fortune de l'un se communique à l'autre, Et le Ciel fait en nous de si charmants accords, Que vous frappez mon coeur si vous frappez mon corps. Je beniray mon sort, Si mon affection se preuve par ma mort. Ouy, Madame, il importe au bien de vos amours, De prester à ce Prince un utile secours, Jusqu'icy le respect a regné dans son ame, Faites y succeder une immortelle flame, Et tirez de son coeur par obligation, Ce qu'un autre a ravy par son affection, J'en ay dit les moyens, forcez vostre courage, Et son succez, Madame, appaisera l'orage, Qu'une injuste vengeance excite en cette Cour, Et par eux vous verrez triompher vostre amour, Ouy, Madame, ce coup fait le salut d'un Prince, D' un malheur evident sauve vostre province, Et retire des fers un miserable amant, Qui n'est point criminel que d'estre trop charmant. C'est ainsi que sans crime on peut estre infidele, Et la discretion est icy criminelle, Allons donc le trouver, allons le secourir, Et mesme s'il se peut le sauver, ou mourir. Amy, leve les yeux, contemple ce visage, Et croy que son abord t'est un heureux presage, Puis que le seul dessein qui nous amene icy, Est de te retirer de crainte & de soucy. Voy cét Astre Divin qui doit finir ta peine, Sophie est tousjours belle & jamais inhumaine, C'est elle qui te doit retirer de ces fers, Si tu te rens à ceux que ses yeux t'ont offerts. O fatale surprise ! Que faites-vous, Madame ? Ah ! quittez ce poignard, ou m'en percez le sein. Il est malaisé qu'il coule sans le mien, Tenez, frappez, Madame. Que cét effect, Amour, éternise ta gloire. Il n'en faut pas douter, Ouy, Seigneur, je l'attens, & je vous la demande, Grand Prince souffrez donc que cet object charmant, Reçoive devant vous le coeur de son amant. Ma Princesse en ce bon-heur extreme, Vous donnant ce Guerrier je me donne moy-méme, Il possede mon coeur, ce qui luy plaist m'est doux, Donnez-vous toute à luy je serais toute à vous, Mes services auront un illustre salaire, Si vous reconnoissez les voeux de Belisaire, Ce qui fait son bon-heur fera le mien aussy, Et c'est le seul espoir qui me retient icy ; Consentez, grand Monarque, à cette illustre envie. Et vous ? Vostre merite seul fait vos felicitez, Seigneur. Permettre que mon coeur soit tout à Belisaire, Et par un zele ardent que je monstre en ce jour, Qu'il est des amitiez plus fortes que l'amour. **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_belisaire *date_1641 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_belisaire Je plaindrois vostre sort illustre Amalazonthe, Si vous ne voyez pas celuy qui vous surmonte, Et mes yeux ne verroient mon bras qu'avec horreur, S'il vous avoit soubs mise à quelque autre Empereur ; Mais vous ne devez point envier ma victoire, Puis qu'elle n'oste rien au prix de vostre gloire, Vous donnant pour vainqueur un Prince genereux⁎, Qui détruit les malheurs, & qui fait les heureux. Quelques nobles effects qu'ait produit ma victoire, Seigneur, je treuve assez de salaire⁎ en ma gloire, Sans que vous adjoutiez à ce rare bon-heur Ces tiltres absolus ny ce supreme honneur Qui loing de m'obliger exposeront ma vie Aux atteintes des traits⁎ que décochent l'envie : Pour ces hautes faveurs prenez d'autres objets, Permettez que je vive au rang de vos sujets, Et par le seul honneur, de franc, & de fidelle Souffrez⁎ que je vous montre & mon coeur⁎ & mon zele, Les effets⁎ en ce point vous feront accorder Que je sçais obeïr bien mieux que commander. Je ne sçaurois souffrir⁎ plus long-temps son absence, Diophante mets fin à mon impatience, Va, trouve moy Narsés, dy luy que je l'attends, Despeche, & par tes soins rends mes esprits contens⁎, On m'a dit qu'il prenoit le plaisir de la chasse, Visite tout le bois, tandis qu'en cette place Ces beaux arbres feront malgré l'astre du jour Que plus commodément j'attendray ton retour, Lieux charmans, solitude sombre, Sejour du silence & de l'ombre, Beaux arbres que je rends tesmoins de mon tourment, Ne vous estonnez⁎ pas d'entendre mon martire, Puis que c'est à vous seulement, Que ma discretion m'a permis de le dire. Amour ce petit Dieu des coeurs, Qui des plus superbes⁎ vainqueurs, Abaisse quand il veut & l'audace & la gloire, Ce tyran contre qui tous mes efforts sont vains, Ne pouvant souffrir⁎ ma victoire, A fait choir⁎ aujourd'huy mes lauriers de mes mains. Mon triomphe a produit ma peine, Et je suis captif d'une Reine, Dont naguere mon bras estoit victorieux, Si j'ay tiré du sang, elle a versé des larmes, Et cet objet imperieux A plus fait par ses pleurs que mon bras par ses armes. Ouy c'en est fait, quitte mon coeur, Quitte le tiltre de vainqueur, Et cede à ses beaux yeux cette orgueilleuse marque, Tu resiste en vain rebelle, resous toy, Puis qu'ils triomphent d'un Monarque, De souffrir⁎ desormais qu'ils te donnent la loy. Mais helas ! aveugle que dis-je, C'est cette raison qui m'afflige, Et qui m'oste l'espoir necessaire à mes voeux, Ma princesse me plaist, mais ce Roy m'importune, Et quand je les ay pris tous deux, J'ay détruit mon amour, & nuit à ma fortune. N'importe, esperons toutesfois, Mars qui favorise mes droits Ne veut pas aujourd'huy que je les abandonne, Mon rival par ce prix peut rentrer dans ses biens, Et s'il veut r'avoir sa Couronne, Il faut qu'à mon amour il laisse ses liens. Ennemy de mon bien ainsi que de ma gloire, Qui mesme dans les fers partages ma victoire, Monarque malheureux resous toy de ceder, Ce prix qu'injustement on t'a veu posseder ; Escoute la raison, & cesse de pretendre, Ce tresor amoureux que tu n'as peu deffendre, Obeïs desormais à la loy de ton sort, Sois moins ambitieux, ou montre toy plus fort, Au milieu du combat je t'ay sauvé la vie, Ingrat souffriras⁎-tu qu'elle me soit ravie ? Un procedé si lasche est indigne d'un Roy, Rends moy donc aujourd'huy ce que tu tiens de moy, Si non pour oster tout obstacle à ma flame, J'arracheray le coeur qui veut avoir mon ame. Mais quel estrange bruit retentit dans ce bois ? Qu'entens-je, justes Dieux ? mais qu'est-ce que je vois ? La valeur d'un guerrier par le nombre opprimée, Cede aux coups d'une bande à sa perte animée, Il le faut secourir. Donnons, à moy traistres, à moy, Ici vostre fureur trouvera de l'employ, Tournez contre mon sein vos armes criminelles, Quoy déja la terreur vous a donné des aisles ? Vous fuyez assassins. Cavalier advancez, Les voleurs sont deffaits, mais ce n'est pas assez, Il faut que par mes mains l'artisan de ce crime, Pour tous ses compagnons vous serve de victime. Trop d'honneur seroit joint à son juste supplice, Il ne merite pas un si noble courroux, Vous frapperiez un homme indigne de vos coups, Et cette illustre mort qui flatte son envie, Seroit plutost le prix que la fin de sa vie, Ouy, ouy ce châtiment appartient à mon bras, Rien ne peut malheureux te sauver du trépas, Oste ce Tapabort⁎, voy la main qui s'appreste, A separer du corps une si vile teste, Que tu caches perfide avec juste raison, Pour ne point voir l'horreur joint à ta trahison. Mais que voy-je ? ô destins ! je doute si je veille, Quelle confusion⁎ à la mienne est pareille ? Narsés est -ce bien vous que je vois en ces lieux ? Ne suis-je point charmé⁎ ? Dois-je croire à mes yeux ? C'est bien vous si j'en crois les traits de ce visage, Mais qu'il est mal d'accord avec vostre courage, Un desordre si grand rend mes esprits confus, Et dans ce lasche estat je ne vous cognois plus, Quel qu'il soit toutesfois je demande sa grace, Seigneur en ma faveur pardonnez son audace, Il merite la mort pour ce qu'il a commis, Mais il fut autresfois au rang de mes amis, Et de ces actions c'est icy la premiere Qui trompe une amitié si parfaite & si chere ; Excusez-la, Seigneur, les Dieux n'ont point de mains Pour la premiere faute où tombent les humains, C'est assez que la foudre ait menacé sa teste, J'ay souslevé les flots, appaisez la tempeste, Et si je tiens de l'homme en voulant vous vanger, Faites comme les Dieux le sauvant du danger. C'est aussi dans l'oubly des plus sanglants outrages Que se voit la grandeur des illustres courages, Et par ce noble effect une adroitte pitié Punit mieux quelquesfois que leur inimitié, En ces occasions quelle que soit l'offense, Le pardon est souvent une haute vengeance, Et c'est un chastiment qui tousjours fait sentir Les peines qu'aux grands coeurs donne du repentir. Narsés, quelle manie⁎ D'un esprit si solide a la raison bannie ? D'où te vient cette erreur ? Et pourquoy penses-tu Qu'un lasche assassinat soit un trait de vertu ? Quel transport⁎ a causé cette fureur extreme ? Moy, Narsés ? que dis-tu ? Ah ! sans doute ton coeur dement icy ta voix, Je n'eus jamais de part aux lâchetez d'un traistre. Il expire, Narsés, helas ! il ne vit plus, O Dieux ! que cette mort rend mes esprits confus, Narsés ouvre les yeux, ah ! mon attente est vaine, Il est mort, & mourant il fait naistre ma peine. Destins injurieux où m'avez-vous reduit ? Quoy donc de ma valeur est-ce là tout le fruict ? Sont-ce là vos faveurs ? Est-ce la recompense Que vos injustes loix donnent à l'innocence ? Quand un bras genereux⁎ a le vice abatu, Est-ce là le laurier qu'il a pour sa vertu ? Ah ! cruels, je vois bien que vous portez envie A l'extreme bon-heur où je coulois ma vie, Enuyez de me voir en un estat si doux, Vous voulez que j'espreuve aussi vostre courroux. Hé bien, lancez vos traits⁎, apprestez mes supplices, Je suis prest de souffrir⁎ toutes vos injustices, Et pour ne point souler vostre haine à demy, Meslez icy mon sang au sang de mon amy. Seigneur je viens de voir un trop clair témoignage Et de vostre naissance, & de vostre courage, Pour croire que jamais aucun mauvais dessein Puisse trouver entrée en un si noble sein : Cette vertu qu'en vous j'admire & je respecte Est trop haute pour estre ou nuisible ou suspecte, Et vostre bien-veillance a des charmes si doux Qu'on ne vous sçauroit voir & n'estre pas à vous : Prenez donc sur mon coeur une entière puissance, Il vous offre son zele & son obeïssance, Et bien que peu puissant, au moins il fera voir, Qu'il sçait & bien aimer & faire son devoir. Pour vous rendre tousjours ma memoire fidele, Les dons sont superflus, il suffit de mon zele ; Mais puis que vos desirs m'imposent cette loy, Plein d'aise & de respect, Seigneur, je le reçoy, Et je proteste⁎ icy que les mains de la Parque Seules pourront m'oster cette adorable marque. J'auray dans peu de temps l'honneur de vous revoir, Si vous faites en Cour tant soit peu de demeure. J'y seray dans une heure, Cependant trouvez bon qu'un reste d'amitié Exerce envers ce corps encor quelque pitié, Et puisque son trépas a vangé son injure, Que mon dernier present soit une sepulture. Dans ces sombres deserts où rien ne peut parler, Je pensois soulager mon amoureux martyre, Mais au lieu de trouver de quoy me consoler, J'y treuve des objets qui le rendent bien pire, Il faut qu'icy le deüil couvre un triste vainqueur, Qui sent une horrible tempeste. Helas ! Destins que sert un laurier sur la teste, Une palme en la main, quand le crime est au coeur ? Allons, hé quoy mes yeux vous n'obeissez pas, N'osez-vous regarder un objet si funeste ? Moy-mesme mal-gré moy j'en esloigne mes pas, Et je me sens rebelle en tout ce qui me reste, Advance main cruelle, & fais un juste effort, Puis que le devoir t'y convie, Lasche main que crains-tu ? Narsés n'a plus de vie, Il n'aura plus de voix pour reprocher sa mort. Que dis-je, mal-heureux ? cét object que je vois Tient aujourd'huy mon coeur en de justes allarmes, Car bien qu'il ait perdu l'usage de la voix, Son sang me dit assez que je luy dois des larmes, Ce cadavre est mon juge, il definit mon sort, Je vois escrit sur cette face, Apres tant de bon-heur, l'arrest de ma disgrace, Et je trouve la foudre en la bouche d'un mort. Narsés je vais mourir, pardonne à mon erreur, Si ton sang peut parler il faut qu'il me console, Parmy tant de soupirs & de traits de fureur, Tâche de prononcer quelque douce parole, Cadavre rigoureux, de quoy m'accusez-vous ? Je suis prest de vous satisfaire, Mais comment, justes Dieux, la mort peut-elle faire Un juge si cruel d'un coupable si doux ? Quitte, quitte le jour, infortuné⁎ vainqueur, Ton deüil par des regrets trop laschement s'exprime, Puny ta cruauté par une autre rigueur, C'est ton sang, non tes pleurs, qui doit laver ton crime, Prens au lieu d'un laurier un funeste bandeau, Et que cette fatale espée, Contre toy-mesme icy par toy-mesme occupée, Soit ton juste supplice, & ta main ton bourreau. Diophante Que fais-tu ? Laisse moy, souffre⁎ que je contente Par un coup genereux⁎ la rigueur de mon sort, Voy cét object sanglant, c'est Narsés. Ouy, Diophante, il l'est. Moy. Moy, mais plustost luy-mesme. Car lors que j'ai commis cét innocent peché, Un tapabort⁎ tenoit son visage caché. Espargne ta memoire, Tu ne sçauras que trop cette tragique histoire ; Et mesme si tu veux appaiser mes transports⁎, Oste à mes tristes yeux ce deplorable corps. Fin du secon Acte Quoy donc, Amalazonthe, apres un traittement, Que des Princes captifs espreuvent rarement, Vous voulez aujourd'huy paroistre inexorable, A celuy dont l'amour vous est si favorable ; Et parce qu'il vous aime, un insolent orgueil, Pour un trône qu'il rend luy destine un cercueil. Bien, bien continuez cette barbare envie, Ingratte, ostez le jour à qui vous rend la vie, Perdez par vos mespris un vainqueur qui vous sert, Donnez luy vos faveurs, ce grand coeur les merite, Et les luy disputer c'est ce qui vous irrite. Voila dedans les fers parler en souveraine. Helas ! que je fais bien la triste experience, Et des rigueurs du Sort, & de son inconstance, Puis que la méme main qui bastit ma grandeur, Détruit mon esperance & me refuse un coeur. Ah ! Madame, quittez cette humeur obstinée, Escoutez les soupirs d'une ame infortunée⁎, Qu'Amour fait à vos pieds expirer soubs les coups, Et par les traits⁎ ardents qu'elle a receu de vous, Ne luy refusez pas la pitié qu'elle implore, Et recevez, cruelle, un coeur qui vous adore. Vous ne rougissez pas qu'une extreme rigueur Parmy tant de tourmens le tiennent dans mon coeur, Vous estimez ces lieux indignes de la flame, Et vous faites cruelle un enfer de mon ame, Accordez mes desirs avecque la raison, Amour n'est jamais mieux que dans une prison, Il hayt la liberté, fait mesme qu'on la craigne, Et la chasse d'un coeur aussi tost qu'elle y regne. Mais c'est pour y voler, & non pour en sortir, Conservons luy pourtant l'usage de ses aisles, Sortant d'une prison qu'il entre en de plus belles, Vostre coeur est tenu soubs un lâche pouvoir, Quittez le pour le mien qui vous veut recevoir, Amour vous nuit icy, qu'Amour vous en retire. Cét espoir, ma Princesse, entretient vos malheurs, Cette espine jamais ne produira de fleurs : Vitigés qui nourrit cette vaine esperance, Vous promet un effect plus grand que sa puissance, L'Empereur qui m'a fait arbitre de son sort, Veut qu'il vous abandonne & qu'il cede au plus fort, En sa rebellion il a trouvé sa perte, Vous reparez la vostre en mon amour offerte, Ma premiere victoire est de vous acquerir. Ah, mourir ! ah plustost si mon feu vous offense, Mais l'ingrate à mes yeux a ravy sa presence. Où m'avez vous reduit, espoir, ambition ? Que le sort répond mal à mon intention ! Puis que le seul object qui me tue, & que j'aime, Dans sa captivité triomphe de moy-mesme, Et traitte mon amour avec tant de mépris, Que je treuve un supplice où j'esperois un prix. Mais allons recevoir ce guerrier qui s'advance. Qu'est-ce donc ? arrestez. Non quittez ce dessein, Ce fer est seulement destiné pour mon sein, Et si vostre bon-heur dépend de mon naufrage, Ce poignard peut encor achever mon ouvrage, Bien loin d'en murmurer j'en beniray les coups, Si mon coeur les reçoit & par vous & pour vous. Ah ! c'est trop, je connois ces redoutables Astres Dont le fatal éclat a causé mes desastres : Ouy, je connois ces yeux, ces tyrans inhumains, Qui vous ont mis, Seigneur, la foudre dans les mains. Déja par les éclairs j'avois preveu l'orage, Mes yeux en avoient veu le funeste presage, Et par cette raison je ne m'estonne⁎ pas, Si vostre bras avoit resolu mon trépas, Un crime paroist beau quand la cause en est belle, En vain contre l'amour mon esprit se rebelle, Tout cede à son pouvoir, & ce superbe⁎ enfant Malgré tous ces efforts est tousjours triomphant. Vous l'avez veu, Seigneur, mais souffrez⁎ que je die, Qu'il m'eust payé vos soins par une perfidie, Et que ce bel objet qui vous tient sous la loy, N'a jamais eu dessein ny sur vous ny sur moy. Ouy, mon Prince, vivez avec cette asseurance, Et si cette amitié que je vous jure icy Perit, faites grands Dieux que je perisse aussy. Ah ! Madame espargnez sa candeur & mes maux. Tous ces propos me sont plus mortels que les coups, Qui m'estoient destinez puisque c'estoit pour vous. Je croyois que son crime eust une autre origine, Mais puis qu'il adoroit vostre beauté divine, Je ne puis condamner le dessein qu'il avoit, De s'oster un Rival qui se desesperoit, "Voyez vostre miroir pour juger de son crime, "Il fournira pour luy d'excuse legitime, "Et vous découvrira par mille appas divers, "Qu'il pourroit pour complice avoir tout l'univers. "Une beauté parfaite est une tyranie, "Dont ne peut s'affranchir le plus ferme Genie. Elle embraze les Dieux, tout cede à son pouvoir, Et pour ne pas aimer il ne faut pas vous voir. Dieux, qu'est-ce que j'entens ? interdict & confus, En l'estat où je suis je ne me connois plus, Avecque ce discours, adorable Princesse, Vous voulez esprouver⁎ jusqu'où va ma foiblesse, Mais que mon coeur icy ne vous soit plus suspect, Pour avoir de l'orgueil il a trop de respect, Et je vous feray voir qu'il sçait trop se connoistre, Pour esperer jamais la niepce de son maistre. Hé, de grace, Madame, épargnez l'innocence, Ses regrets ont assez expié son offense, Et quelque sentiment que votre Altesse ait eu, Son crime mesme a fait éclater sa vertu. Il vous aime. De plus il vous adore, Et je croirois avoir trop de temerité, De pretendre un honneur qu'il a mieux mérité, Puis que je ne sçaurois sans paroistre volage, A vos rares beautez rendre un fidele hommage. Ne me blâmez donc pas, mais blâmez seulement La malice du Sort ou son aveuglement, Qui nous trompe tous trois, ne contente personne, Il luy refuse un bien, vostre amour me le donne, Moy, je n'en puis jouïr. Cét injuste reproche offense sa franchise, Outre qu'ayant sur moy toute chose permise, J'aimerois l'attentat quand il auroit commis, Puis que la mort seroit un don de mes amis. Revocquez cét arrest, cruelle, inexorable, Helas ! vous me tuez m'estant trop favorable, Faveur injurieuse acheve icy tes coups, Voila le plus sensible & plus rude de tous, Me falloit-il, Destins, vivre apres mon naufrage, Pour m'exposer encore à ce dernier orage ? Quoy, mon coeur vous offense & ne peut languissant, Ou vivre en vostre grace, ou mourir innocent ? O Dieux ! Escoutez moy. ne fut pareil à moy, Madame. cruelle. Un mot, & puis mon coeur s'offre à vous satisfaire. Pour la derniere fois contre moy vous servir, Et vous donner un coeur qu'un autre veut ravir, Ma vertu vous déplaist, mon respect vous outrage, Je veux pour vous vanger employer mon courage, Si je vous dois le jour, je vous le rends icy, Vous demandez ma mort, j'obeïs, la voicy, Tenez, prenez ce fer, contentez vostre envie. Frappez. Hé bien, puis que je suis indigne de la vostre, Cruelle, j'attendray cette office d'un autre, Et quelque châtiment qui me soit ordonné, Je subiray l'arrest que vous aurez donné, Mais quoy que contre nous sa rigueur puisse faire, Jusqu'au dernier moment paroissons Belisaire, Et puis que l'Empereur m'en donne le pouvoir, Allons ranger ses gens sous les loix du devoir, Donner l'ordre à chacun, distribuer les armes, Mettre dans les emplois les plus braves gens d'armes, Et monstrer que mon coeur aime mieux en ce jour Perir des traits de Mars que de ceux de l'Amour. Pour vaincre les Persans & dompter leur audace, Il leur faut exposer les escadrons de Trace, Et nostre corps d'armée estant assez puissant, Pour enfermer le leur le former en croissant. Mon cher Iskirion conduira l'avant-garde, Cet honneur plus que tous aujourd'huy le regarde, Veu que rien ne l'oblige à cette occasion, Que la haute valeur & son affection. Hydaspe & Doristel conduiront les deux aisles, Ils sont deux hardis, vaillants, braves, fideles, Leur émulation fera beaucoup d'effect, Et dedans le milieu de ce cercle imparfaict, Diophante tiendra quelques bandes moins fortes, Pour attirer à nous leurs premieres cohortes. Mais insensiblement mon oeil trompe ma main, Et je cede au sommeil, je luy resiste en vain. Ennemis de nos soins, amoureux du silence, Qui des soins plus puissans calmez la violence, Doux-charmeur, n'es-tu pas, ô sommeil gracieux, L'image du repos qu'on gouste dans les Cieux ? Si les soins & les maux sont l'enfer où nous sommes, On te doit bien nommer le paradis des hommes, Que ce relâche est doux apres tant de soucy. Mais quel est ce poignard, & qui l'a mis ainsi ? Cet object me predict quelque triste adventure⁎, Pour nous en éclaircir lisons cette escriture, Dont les traits inconnus ne sont pas de ma main : Si tu veux éviter un projet inhumain, Prens garde à ta personne on en veut à ta vie. Ah ! je sçay d'où provient cette barbare envie, Cruelle, & bien j'iray contenter ta rigueur, Pour ce rare present tu demandes mon coeur, Il faut que par un trait d'obeissance extreme Ma main te l'aille offrir & porter elle mesme. Il te plaist, je le veux, allons par cét effort Eviter mille morts par une seule mort. Fin du quatriéme Acte Va, que differes-tu ? va mon cher Diophante, Va trouver de ma part cette superbe⁎ Infante, Cette altiere Sophie en qui la cruauté, Paroist incomparable ainsi que la beauté, Dy luy que le trépas a pour moy tant de charmes, Que tu as veu baiser ces favorables armes, Qui doivent immoler un Prince infortuné⁎. Aussitost que ses yeux me l'auront ordonné, Dy luy qu'il n'est plus rien dont l'appas⁎ me retienne, Que j'aime ce poignard ravi d'aise qu'il vienne, D'un object si charmant ; & qui me rendra vain, S'il passe dans mon coeur d'une si belle main. Apres rends luy ce fer avecque cette lettre, Puis observe ses yeux, & tâche à reconnoistre, Si quelque mouvement⁎ ou visible ou secret, Ne témoignera point tant soit peu de regret. Amy, si tu peu voir que la pitié la touche S'il couste seulement un helas à sa bouche, Un soûpir à son coeur, une larme à ses yeux, Je tiendray mon trespas & juste & glorieux, Et mon ombre là bas heureusement ravie, N'aura point de regret d'avoir quitté la vie. Sers moy, cher Diophante, & ne t'affliges point, Imite mon respect, j'obeis, fais de mesme, On sert aveuglément les personnes qu'on aime, Ne differes donc point d'obeïr à mes voeux. C'est le seul que je veux. Va. Belle Amalazonthe, Dont la haute vertu me captive & me dompte, Apprens par tous ces maux que je souffres pour toy, Ton pouvoir, mon amour, ta rigueur, & ma foy, Puis que ny les tourments, ny le fer, ny la flame Ne sçauroient arracher ton portraict de mon ame. Il est vray, cher amy, que parmi mes desastres, Je n'eusse jamais creu qu'on veit icy des Astres, Aussi quand leur éclat a paru dans ces lieux, Saisi d'étonnement ay-je bayssé les yeux, Mais je respire à peine apres tant de merveilles, Qu'une autre illusion enchante mes oreilles, Et qu'un charme puissant que forment vos discours Flatte mon desespoir d'un frivole secours. Est-ce pour esprouver beaux yeux trop pitoyables, Si quelque vanité trouble les miserables, Ou bien si dans l'estat où m'a reduit le sort, Je puis encore avoir l'esperance du Port, Non, non, d'un front égal & d'un courage ferme J'attens de mon trespas le deplorable terme, Je ne crains pas la mort, car je meurs chaque jour, Et j'espere en mourant d'y vanger vostre amour. Ah, ne me joüez pas, le moyen de sortir, Ce chasteau n'a-t-il plus de gardes ny de portes ? Je suis prest d'obeir à vos commandemens. C'est donc là le conseil, Qui me doit aujourd'huy retirer du naufrage, Ah, laissez Belisaire il a trop de courage, Pour vouloir mandier par une lâcheté, Une honteuse vie, ou bien sa liberté, Ce coupable dessein perdroit mon innocence, Et ma fuite seroit un adveu⁎ de l'offense. Mon coeur est son object, qu'il épargne le vostre. Prenez mon sang & épargnez le sien. Laisse agir sa fureur, c'est pour moy qu'elle bute, Souffre, cruel amy, qu'elle acheve mon sort, L'estat où tu me vois est bien pis que la mort, Et je seray content qu'elle m'oste la vie, Pour me recompenser de l'avoir bien servie. A quoy bon ce reproche & tout ce vain discours, Puis que vostre dessein est de finir mes jours ? Achevez, Theodore, achevez vostre ouvrage, Ce coeur ne tremble point pour un si foible orage, Vous ne l'avez pû voir amoureux ny brûlant, Il faut que desormais vous l'ayez tout sanglant. Ah ! ne m'obligez pas de vous entretenir     D'un si triste, si lâche, & honteux souvenir, D'un si fâcheux effect dispensez ma memoire, Si vous ne m'épargnez, épargnez vostre gloire, Et ne permettez pas que je publie icy Ce qui fait vostre honte & mon malheur aussi Puis qu'il vous plaist pourtant contentons nostre envie, Ne vous ay-je donc pas fidelement servie ? Quand voyant vostre coeur lâchement abattu, J'ay fait sur vos desirs regner vostre vertu ? N'ay-je rien fait pour vous, quand malgré tous vos charmes, La raison contre moy m'a fait rendre les armes, Et sans se prevaloir de vostre aveuglement, A fait contre vos voeux agir mon jugement ? Ah, reconnoissez-vous, & songez, Theodore, Loin de vous mépriser, combien je vous honnore, Puis que sans écouter mon amour suborneur, J'ay perdu mes plaisirs pour sauver vostre honneur : Que vous ay-je donc fait qui cause vostre haine, Je fus respectueux, vous estes inhumaine, J'ay souffert tout l'orage & vous ay mise au port, Et c'est pour ce sujet que vous veulez ma mort. Ah ! Madame, En delivrant mon corps, vous captivez⁎ mon ame, Et la méme pitié dont je voy les effects, S'offense des liens que vous avez défaicts, Madame vangez-vous de mon ingratitude, Sur ce coeur insensible à vostre inquietude, Qu'il meure, cet ingrat, de honte & de regret, Tirez-le, je le sens qui se flate en secret ; R'appellant de vos feux l'agreable memoire, Il veut mourir d'amour, qu'il n'en ait pas la gloire, Son supplice seroit trop doux & trop charmant, Il doit mourir en traistre & non pas en amant, Puis que la main des Dieux vous ayant fait si belle, L'ingrat a pû vous voir & vous estre rebelle, Pardonnez luy beaux yeux si charmans & si doux, Je demande sa grace & l'attens à genoux. L'Amour C'est ainsi que je dois recevoir mon vainqueur. En ce bon-heur où je reste confus, J'obeïray, Seigneur, ne pouvant faire plus, Mais j'advoüeray tousjours tenir cét advantage Des bontez de Sophie & de vostre courage. Tréve de grace à ces civilitez, Je suis assez vacu par vostre bien-veillance, Sans que vous m'attaquiez avec vostre eloquence, Vous voulez m'attaquer à force de bien-faicts : Mais pour recompenser tant de nobles effects⁎, Mon cher Iskirion, enfin que dois-je faire ? Puissent les immortels par cette grace insigne, Et cét extreme honneur dont je me sens indigne, Répandre tous les jours sur vostre Majesté Mille torrents de gloire, & de prosperité. Voyez, Amalazonthe, où le sort me destine. **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_narses *date_1641 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_narses Mais amant adorable, Car c'est heureusement perdre sa liberté, Que d'estre compagnon de ta captivité, Madame, Il est vray, ce dessein le fait assez paroistre : Mais je seray plutost ton ennemy que traistre. Reposez-vous sur moy. Il n'est pas necessaire, adorable Sophie, Qu'icy mon innocence en vain se justifie, Puisque vous avez leu clairement dans mes yeux, Combien ces procedez me semblent odieux : Aussi certes je tiens vos refus legitimes, La vertu ne doit point s'acquerir par des crimes, Et vous avez raison de fuyr un amant, Que par un homicide on veut rendre charmant : Peut-estre que l'amour qu'on croit en Belissaire Le fait en cette Cour passer pour temeraire, Mais tant de qualitez qui le font admirer Luy doivent pour le moins permettre d'esperer. L'espoir de posseder un si grand advantage Doit aux moins genereux⁎ inspirer du courage, Et si par ce moyen l'on vous peut acquerir, Il n'est point de mortel qui ne se vienne offrir, Mais je n'ay pas dessein, Princesse genereuse⁎, D'imposer à vos voeux cette loy rigoureuse, Quelque succez que j'aye en cette occasion Vous suivrez librement vostre inclination, Je seray glorieux si j'ay l'heur⁎ de vous plaire, Sinon vous donnerez vos voeux à Belisaire, M'estimant trop heureux si par un prompt secours Je puis contribuer au bien de vos amours. Madame asseurez-vous de mon humble service, Et dans quelque danger qu'il me faille courir, Vous m'y verrez bien-tost satisfaire, ou perir. Confus, triste, pensif, je ne sçay que resoudre⁎ Ayant ouy gronder l'espouvantable foudre, Qui menace aujourd'huy l'objet le plus parfait, Et le plus innocent que la nature ait fait : Empeschez immortels le cours de ce desastre, Armez vôtre courroux en faveur de cét astre, Et toy Dieu des beautez, & des graces, Amour, Confonds⁎ un assassin qui vient en cette Cour, S'opposer à tes loix, te combatre & destruire, Les plus beaux ornemens qui soient en ton Empire : Mais ! ô Roy du desordre & du déreglement, Ma voix en ce besoin t'invocque vainement, Tu ris dans les malheurs, tu te plais dans les larmes, A ces tristes effets tu reserves tes armes. Et tu ne porte plus de traits⁎ dans ton carquoy, Que pour favoriser des tyrans comme toy, Prepares les cruels, & les mets en usage, Theodore t'appelle au secours de sa rage, Seconde ses desseins, allume ton flambeau, Elle s'en veut servir pour un effet nouveau, Car ne pouvant souffrir⁎ une ardeur legitime, Ta flame esclairera le triomphe d'un crime, s'il se peut empeschons ce malheur, Le Ciel semble à ce coup destiner ma valeur, Et malgré les efforts d'une crainte importune, Dire que cét honneur vaut plus que la fortune, Suivons donc cét advis⁎, ne deliberons plus, C'est trop perdre de temps en propos superflus, Allons tout de ce pas destourner cet orage, Empescher les effets⁎ d'un visible naufrage, Et sauver s'il se peut, mais genereusement, En Amy Belisaire, & Sophie en Amant. Il n'importe. Il est vray que je souffre un remors bien sensible, Et bien tost mon trépas vous le rendra visible : Mais ce vif repentir que j'emporte en mourant N'est pas d'avoir commis un attentat si grand ; Au contraire je tiens cét acte legitime, J'appelle icy vertu ce que vous nommez crime, S'il estoit achevé je serois satisfait, Et je meurs de regret de le voir imparfait. La raison, la pitié, mon amour, & vous mesme. Je dis ce que je dois. Non, mais si je le suis vous m'obligez à l'estre, Et la seule pitié que j'ay de vostre sort Est le coup qui me perd & qui cause ma mort. Ce foible bras a fait un crime en apparence ; Mais un crime si beau meritoit recompense, Puis que sans vostre abord un facile combat Eust sauvé vostre sang, ma Princesse, & l'Estat. Dedans peu les effects⁎ vous le pourrons apprendre, Et mon malheur me rend bien-heureux en ce point, Que me privant du jour je ne le verray point. Adieu, cruel amy, le Ciel te soit prospere, Et rende ton destin plus doux que je n'espere. **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_pyrandre *date_1641 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pyrandre Arrestez-la, que voulez-vous ? Mais l'Empereur me fait une expresse defense... Ah, Madame, en ce cas j'obeis & me tais. **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_doristel *date_1641 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_doristel Le voila. Ouy, Madame, esperez de mon affection, L'effect de vos desirs en cette occasion : Je vous dois obeïr, & mon ame hardie Par la peur des dangers n'est jamais refroidie, Belisaire est vaillant, mais sans faire le vain, Son bras ne fut jamais plus fort que cette main, Qui preste à vous servir, vous vanger, & vous plaire, Va tenter ce qu'un Prince a refusé de faire. En vain cét insolent se fie à sa grandeur, Qu'il soit tousjours armé, qu'il soit invulnerable, Qu'il fasse voir en tout une force admirable, Qu'il ait à son service & le Ciel & l'Enfer, Qu'il ait pour sa defense & la flame & le fer, Qu'il soit apprehendé comme un foudre de guerre, Que le bruit de son nom fasse trembler la terre, Qu'il soit tousjours sans crainte au milieu des hazars, Qu'il ait pour compagnon & la Fortune et Mars, Rien ne se peut sauver de l'effect de mes armes, Et son sang aujourd'huy vous payera de vos larmes. Croyez dés à present que l'ingrat ne vit plus. Dieux ! quel bonheur jamais fut au mien comparable, Tout rit à mes desirs, et tout m'est favorable, Le sort qui ne veut pas m'obliger à demy, M'a livré Belisaire, & de plus, endormy, Advançons & faisons un coup si necessaire, Laissons ici la soeur à la place du frere ; Mais quel est ce papier, contentons nostre esprit, Et voyons les secrets que contient cét escrit, Lisons, Ordre des chefs pour conduire l'Armée, Voyons quelle valeur est la plus estimée, Et si depuis vingt ans que j'expose mon sang, Parmy les plus hardis je n'ay point quelque rang. Hydaspe & Doristel soustiendront les deux aisles, Que vois-je ? justes Dieux, ils sont tous deux fideles, Fideles, tu le vois, pauvre Prince, & jadis, En mille occasions je fus ce que tu dis : Mais l'aveugle Demon maintenant qui le guide Me rend en ton endroict, lâche, ingrat, & perfide. Perfide ! ah, ce nom me donne de l'horreur, Reconnois toy, mon coeur, desarmes ta fureur. Ayde moy, ma raison, & fay mieux ton office, Retire mon honneur des bords du precipice, Et malgré ma foiblesse en un pas si glissant, Fay moy vivre fidele & mourir innocent. Ouy, quittons un dessein qui n'est pas legitime, Ne recognoissons pas des bien-faicts par un crime, Et de la mesme main qui desseignoit sa mort, Redonnons luy le jour & mesme quand il dort. **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_diophante *date_1641 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_diophante Dieux, qu'est-ce que je vois ? ah, Seigneur ! Il est mort. Dieux ! le malheur extreme, Qui l'a tué ? Vous A quelle occasion ? Quel desespoir, Seigneur, vous reduit en ce poinct ? Quel office d'amour ? Et bien, j'obeïray. Ah, Madame, en ce poinct. J'obeis. **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_theodore *date_1641 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_theodore Amour incomparable. Icare audacieux, cette orgueïlleuse pompe Dont le funeste esclat me déplaist & te trompe, Seront de faux ardens dont les traistres appas⁎ Attireront ta vie au chemin du trespas. Hé bien chers confidens des secrets de mon ame, Dans mes ressentimens merite-je du blasme ? Et n'ay-je pas raison de hayr un ingrat, Qui par son arrogance attente sur l'Estat ? Vous voyez toutesfois que l'Empereur adore Ce que si justement je deteste & j'abhorre, Qu'il me rend le mespris de mes propres subjects Qu'un insolent me brave & rit de mes projects, Et quoy que je m'oppose au dessein qu'il conspire Qu'il ne luy faut qu'un pas pour monter à l'Empire. O honte, ô desespoir ! quoy son ambition Sera donc triomphante à ma confusion ? Non, il faut qu'au besoin ma vertu se reveille, Que j'arme contre luy ma fureur qui sommeille, Et que du trosne auguste⁎ où l'ingrat veut monter, Je luy fasse un ecueil pour le precipiter Qu'il meure. Narsés veux-tu me plaire ? Depeche de ce pas, va tuer Belissaire, A ce coeur⁎ insolent que ton bras soit fatal, M'ostant un ennemy, deffaits-toy d'un rival, Dont la haute faveur à tous deux importune, Estouffe ma grandeur & nuit à ta fortune, Employe à cet effet le fer ou le poison ; N'importe & ne crains rien pour cette trahison, Si tu rends par sa mort ma vangeance assouvie, Je sçauray bien sauver ton honneur, & ta vie : Va, Va, dis-je, & sans plus discourir, Ou si tu ne le fais resous-toy de mourir. Non, arreste, ma hayne a trop de violence Pour ce coup important, il faut plus de prudence, Ne precipitons rien, escoute : tu connois Ce Guerrier redoutable entre tous les Danois. Ce brave Isquirion qui jadis dans son ame Conceut en ma faveur une si vive flame, Je l'attens, & je croy qu'il arrive aujourd'huy, Il est entreprenant, je peux beaucoup sur luy, Et si quelque raison rend son ame incertaine, Son amour le rendra partizan de ma hayne ; C'est de luy que je veux un coup si glorieux, Il prestera sa main, guide la de tes yeux, Belissaire est l'object, vostre appuy, ma puissance ; L'un aura ma faveur, l'autre mon alliance, Et vous sçaurez tous deux aprés ce noble effet Comme je sçais en fin m'acquiter d'un bien-fait. Ma niepce, c'est icy que vous me ferez voir Si le sang m'a sur vous donné quelque pouvoir. Comme à moy desormais cette affaire vous touche, Il est temps de m'ouvrir & le coeur & la bouche, Afin de tesmoigner qu'ainsi qu'à mes secrets Vous prenez quelque part en tous mes interests, Vous devez occuper le rang de vos ancestres : Mais si vous n'estouffez l'insolence des traistres, La couronne est un droit qu'on viendra vous ravir, Et bien loing de regner on vous verra servir. Voulez-vous empescher ce coup qui vous menace, Employez vos beautez, employez vostre grace, Et par tous ces attraits acquerez vous de loing Un bras dont la valeur vous defende au besoing⁎ ; Le Prince que j'attens est vaillant & fidelle, Jeune, noble, charmant, la conqueste en est belle, Et puis l'occasion vous montre ses cheveux : Mais si vous desirez de respondre à ses voeux, Il faut qu'Isquirion pour illustre doüaire⁎, Vous donne auparavant le sang de Belissaire ; C'est par ce beau present qu'il vous doit meriter, Et vostre ambition se doit bien contenter ; Car par ce riche don que vous devez eslire, Un Hymen⁎ si charmant vous asseure l'Empire. Donc, à ce que je voy, vous prenez la defence D'un suject orgueilleux dont l'audace m'offence ? Et de ses faux appas⁎ l'esclat fallacieux Comme à Justinian vous a sillé les yeux ? Bien, bien, que vos vertus laschement estouffées A cét audacieux soient d'illustres trophées, Comme de l'Orient qu'il soit vostre vainqueur Il ne regnera pas tant que j'auray ce coeur, Quoy que le Prince & vous contre moy puissiez faire, Je le rendray bien-tost peu capable me plaire, Et le seul partizan de mon juste couroux Sera dans peu de temps son maistre et vostre espoux. Vous y pourrez songer, Narsés approche, escoute, Sophie est un esprit qu'il faut que je redoute, Ne l'abandonne pas, observe ses desseins, Tasche de luy donner des mouvemens⁎ plus sains : Mais prends garde sur tout qu'une indiscrete⁎ flame Ne luy fasse éventer le complot que je trame, Je t'en laisse le soing. Allez ne craignez rien, achevez cette affaire, Et songez seulement quel est vostre salaire⁎, Avant que vous mander pour ce coup important, J'avois déja preveu ce que vous craignez tant, Et toutes les raisons qu'icy vous avez dites, Ma prudence déja me les avoit deduites : Mais ce que maintenant je vous ay declaré Contre ces vaines peurs vous doit rendre asseuré. Vous sçavez mon pouvoir & celuy de Sophie, Que ce n'est qu'à nous deux que l'Empereur se fie, Et que nos sentiments, nos desirs, & nos voix, Passent dans son esprit pour legitimes loix. Allez sous nostre adveu⁎, travaillez pour vous mesme, On doit tout hazarder pour avoir ce qu'on aime, Il faut tout entreprendre, & tenter jusqu'au bout, Un esprit amoureux est capable de tout. La vaillance n'est pas un poinct qu'on vous dispute, Ce que veut vostre coeur vostre bras l'execute, Et je ne doute pas qu'un duel entre vous Ne le fist succomber soubs l'effort de vos coups : Mais en cette occurrence⁎ un bras si magnanime Advanceroit sa gloire en punissant son crime ; Et vous donneriez moins en cette occasion A mes justes desirs qu'à son ambition. Non, non, il ne faut pas qu'un coup si favorable Donne à mes ennemis un sepulcre honnorable ; Belisaire est un traistre, & par cette raison Il doit perir aussi par une trahison, Si l'on peut justement appeler de la sorte Une action hardie où mesme un Dieu nous porte. Ne differez donc plus ce dessein proposé, Et pour rendre à vos mains son effect⁎ plus aisé, Taschez en l'abordant avecque courtoisie, Que sa droite par vous adroitement saisie, Soubs pretexte d'honneur & de civilité, Donne à vostre poignard plus de facilité, Ce beau coup achevé, la recompense est preste, Commencez seulement, & je feray le reste. Songez y bien, Sophie, Iskirion est Prince, Songez que c'est pour vous qu'il quitte sa province, Et qu'on ne doit jamais par d'injustes mépris Irriter le courroux des genereux⁎ esprits ; Acceptez son amour & redoutez sa haine, Favorisez ses voeux, il en vaut bien la peine, Et croyez que l'honneur qu'il vous fait aujourd'huy Vous oblige à paroistre accorte⁎ comme luy. Si sa recherche est vaine auprés de vos appas⁎, Sa vengeance a des traits qui ne le seront pas, Evitez ce malheur. Ma niepce il a du coeur. J'en doute. Il est pourtant à craindre en l'esprit d'un amant, Et si ce coeur altier épargne un peu le vostre, Craignez que son courroux n'éclate sur un autre. Ouy, ouy, puisqu'à nos voeux vous este si contraire, Vous le verrez perir, ce beau, ce temeraire, Et devant que la nuict vous dérobe le jour, Vous serez sans amant comme luy sans amour. Hé bien, perfide, ingrat, Hé bien, traistre, Apres m'avoir trahie oses-tu bien paraistre ? Belisaire est vivant, il rit de mes fureurs, Malgré tous ses desseins il triomphe & je meurs ; Perfide est-ce donc là l'effect⁎ de ta promesse ? Est-ce ainsi que ton bras t'acquiert une Princesse ? Sont-ce là les dangers que tu devois courir, Et comme ta valeur me devoit secourir ? Ouy, voila les effects que j'en devois attendre, Voila tous les devoirs que tu me devois rendre, Voila comme tu vis, voila comme tu sers, Voila comme un Rival est dedans les enfers, Voila ce que tu fais pour meriter Sophie, Voila ce grand courage à qui mon coeur se fie, Voila ce noble coup que j'attendois de toy, Bref voila ton amour, ton ardeur, & ta foy. Tu medites en vain des excuses frivoles, On ne m'appaise pas avecque des paroles, Il faut pour satisfaire à celles de mon rang, Un Prince pour un Prince, & le sang pour le sang. Vous faites vanité de m'avoir outragée, Mais vous serez punis, & je seray vangée, Allez, retirez-vous. Enfin de quel moyen faut-il que je me serve ? Doristel, c'est à toy que ce coup se reserve, Si ton coeur est hardy tu me le feras voir, Que ton bras aujourd'huy me rende ce devoir, Est-ce de mon esprit ce soin qui m'importune, Et par ce noble effect establis ta fortune. Va donc, ne laisse pas allentir cette ardeur. Va ne perds point de temps en discours superflus. Il vit, tout le malheur est tombé dessus nous, J'ay fait un attentat, mais j'en reçois les coups, Ma honte & mon honneur ont ma haine suivie, Sa mort me faisoit vivre & je meurs en sa vie, Je suis dedans l'orage, il est hors du danger, Et mesme par le bras qui me devoit vanger. O Dieux, tout est rebelle & traistre à mon courage, Je n'ay plus de moyens qui secondent ma rage, Elle n'oseroit plus se fier qu'à ma main, Hors de moy rien ne m'aide & tout secours est vain, Belisaire me brave, & pourtant on le souffre⁎, Je croy qu'il trouveroit du bon-heur dans un gouffre, Et que les trahisons qu'on trame contre luy, Succedent à ses voeux & luy servent d'appuy. Il ne faut pas pourtant que l'affront m'en demeure, J'y suis trop engagée, il faut, il faut qu'il meure, Et qu'il apprenne enfin par un dernier effort, Que ma haine ici bas est autant que la mort. Mais que veut Diophante, & que tient là Sophie ? Ma niepce qu'avez-vous qui vous trouble si fort ? Dieux ! mon coeur est en feux, & pourtant ma main tremble, Dissimulez mes yeux, ne me trahissez pas, Mais lisez en riant l'arrest de mon trespas. Lettre de Belisaire à Sophie Rigoureuse Princesse à qui j'ay pû déplaire, Je renvoye à vos yeux un present de vos mains, Leurs traits sont assez inhumains, Et pour m'oster la vie, & pour vous satisfaire, Toutesfois si votre rigueur, A deliberé que mon coeur, Vous serve par ce fer de sanglante victime, Je suis prest d'obeir, le coup me semble beau : Mais comme l'amour est mon crime, Qu'une fiere beauté soit aussi mon bourreau. BELISAIRE Ah, vraymant pour un Prince modeste, Son insolence icy se rend bien manifeste, Puis qu'alors que ses voeux ne sont pas satisfaits, Le dépit aussi tost le porte à ces effects⁎. Approchez, mon amy, dites à vostre maistre, Que Sophie est Princesse, & qu'il doit reconnoistre, Que celles de son sang & de sa qualité, Ont beaucoup de clemence & peu de cruauté, Puis que sans s'arrester à son extravagance, Elles peuvent souffrir⁎ ce traict⁎ qui les offense, Allez, retirez-vous. Fay ce que je commande, & ne replique point. Vous, Sophie, apres un tel outrage, Serez-vous sans raison ainsi que sans courage ? Voila, voila le fruict & le prix de vos voeux, O le parfaict amant ! Le quitter. Il vous y faut resoudre, Et pour y mieux songer retirez-vous d'icy. Enfin c'est maintenant, superbe⁎ Belisaire, Que tu ne sçaurois plus eviter ma colere, Il faut, il faut mourir, l'arrest en est dressé, Cette lettre le porte, & je l'ay prononcé, Ta maistresse elle-mesme, est icy ma complice, Et me laissant ce fer approuve ton supplice, Acheve donc ma main un coup mal commencé, Qu'un crime vange un coeur par un crime offensé, Une lâche action en veut une pareille, Son desespoir l'attent, ma fureur le conseille, Et son mépris me porte à cette passion : Mais que veut l'Empeureur, & quelle occasion Le fait venir icy, confus, triste, & sans suitte ? Je lis dedans ses yeux quelque dessein caché, Je tremble & sens au coeur un poison attaché, Ma veuë est égarée & ma voix est pesante, Rassurons-nous pourtant ; Quel soucy vous tourmente, Seigneur ? & quel sujet vous altere si fort ? O Dieux ! & quel malheur ? je suis toute interdite. Quoy donc, Seigneur ? Ah, vous vous faites tort, cette grandeur supréme, Qui maintient vos Estats subsiste par vous méme, Le Ciel pour ses faveurs n'a que vous pour objet, Et vous ne tenez point vostre éclat d'un sujet. Vous perdez peu de chose, Et l'effect vous plaira quand vous sçaurez la cause, Sçavez vous le sujet qui l'a fait retirer ? Consentez y, Seigneur, & vous ferez beaucoup. C'est trop se taire, enfin c'est à ce coup, Qu'il vous faut détromper, & vous faire connoistre, Que Belisaire, Ouy, Seigneur, vous est traistre, Et c'est pour ce sujet qu'il veut quitter la Cour, Tenez, voyez son crime en voyant son amour. Et voicy qui sçaura témoigner son injure, Ouy, pour vous témoigner combien j'y prens de part, Je le vay saluer de vingt coups de poignard, Ma main de cet affront justement animée Sçaura trouver son coeur au coeur de vostre armée ; Ma mort suivra de prés cette temerité, Mais le perfide aura ce qu'il a merité. Courage, tout va bien, il n'en peut échaper, Et le traict de la mort est prest à le fraper : Mais avant que la Parque ait achevé sa peine, Examinons un peu la cause de ma haine, Je l'aimois autresfois, je le hais aujourd'huy, D'où vient l'aversion que mon coeur a pour luy ? Il est tousjours charmant, il est tousjours luy-méme, Et malgré ma fureur je sens bien que je l'aime, Ses belles qualitez regnent sur mes esprits Mais, helas ! je ne puis endurer ses mépris Cette seule raison me rend son adversaire, Il est mon ennemy, mais il est Belisaire. Ah, desordre confus de mes pensers errans, Où se termineront ces dessein differents ? Je deteste son nom, je le hay, je l'abhorre, Je le fuis, je le crains, & je l'aime encore, Je sens mon feu s'éteindre, & puis se rallumer, Je ne le puis hayr, je ne le puis aimer, La fureur me saisit, puis elle m'abandonne, Tantost je le condamne, apres je luy pardonne, Je cherche tout ensemble, & je crains son trépas, Et quand ma main le peut mon coeur ne le veut pas. Achevons toutesfois & cessons cét orage, Mettons le dans le port, ou faisons son naufrage, Puis qu'il est innocent espargnons sa vertu, Aimons les qualitez dont il est revestu, Mais que par ce discours mon ame est abusée, C'est par cette vertu que je suis mesprisée, Ce sont ces qualitez qui troublent mon repos, Qu'il meure donc, qu'il meure, il est plus à propos, Puis que pour estoufer le regret qui me tuë, Qu'il meure, & pour ne point me vanger a demy, Perdons d'un méme coup & l'amant & l'amy. Ouy, perdons les tous deux, je dois estre obeïe, L'amant m'a méprisé, & l'amy m'a trahie, Tous deux également ont osé m'outrager, Faisons voir à tous deux que je me sçais vanger, Et que me negliger ou que me contredire, Est pis que de choquer ny l'Estat ny l'Empire. Quelle est cette entreprise ? Que faites-vous, Sophie ? Je sçay ce qui vous mene icy, Tirez-vous à l'écart je prendray ce soucy. Pour vous demeurez-là vous m'estes necessaire, Je vous veux enseigner ce que vous devez faire, Et puis lors que j'auray contenté mon courroux, Vous verrez ce qu'il a deliberé pour vous. Orgueilleux, voy ton sort, regarde cette lame, Et par ce coup apprens. Insolent, oses-tu traverser mon dessein ? Il doit à mon courroux immoler l'un & l'autre. De m'avoir bien servie ? insolent, que dis-tu ? Ouy, si l'ambition estoit une vertu, Si l'orgueil, le mépris, & tous les autres vices, Partout, comme chez toy, passoient pour bons offices. Supplice de mes yeux crois-tu bien me servir, Quand tu defens un bien que tu me veux ravir ? Crois-tu bien me servir quand par ton arrogance Tu méprises mes voeux, mes faveurs, ma puissance ? Et veux-tu que je sois redevable à tes soins, Parce que je suis celle où tu penses le moins ? Ouy, lors que tu te ris de mon ame asservie, Tu crois encor, ingrat, m'avoir trop bien servie. Ouy, mais auparavant que je t'oste la vie, Je veux sçavoir, ingrat, en quoy tu m'as servie. Ta mort ? ah ! la raison veut icy le contraire, Vis heureux, j'y consens, triomphe Belisaire, Triomphe, ta vertu qui te rend mon vainqueur, M'oste le fer des mains & la haine du coeur. Ostons luy les liens. C'est trop se disputer l'honneur de la victoire, Il nous faut de ce pas aller vers l'Empereur, Appaiser son courroux & le tirer d'erreur, J'ay souslevé les flots, calmons en la tempeste, Suivez moy seulement, & je feray le reste. Il est temps de quitter l'erreur qui vous abuse, Seigneur, j'ay découvert par un heureux effect⁎, L'innocence & la foy de ce Prince parfait. Ouy, croyez moy, Seigneur, il fut tousjours fidele, Il ne brûla jamais d'une amour criminelle, Et cet object à qui s'adressoit son écrit, Peut ainsi que le mien éclaircir vostre esprit : C'est pour luy seulement qu'il soupire & qu'il brûle, Sa main trompe mes yeux & je fus trop credule, De me persuader que sa temerité M'adressât cét écrit qui me fut presenté. Mais ce qui l'accusoit icy le justifie, Et je connois assez qu'il estoit pour Sophie, Puis qu'elle méme enfin m'a fait un noble adveu⁎, Qu'elle avoit excité l'ardeur d'un si beau feu, Et que les qualitez d'un si brave courage, Meritoient... Que dit-il ? **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_sophie *date_1641 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_sophie Amant infortuné⁎. Heureux commandement, puissant démon des armes, Acheve, ayde à l'amour, & seconde ses charmes, Conserve Belissaire au point où je le voy, Et fay que quelque jour il soit digne de moy. Justes Dieux Quand le sang, & le soing que vous avez de moy Ne m'obligeroient pas à ce que je vous doy, Mon inclination seroit assez puissante Pour rendre à vos desirs mon ame obeïssante : Mais quoy qu'un bel espoir flatte vostre projet, Voyez bien quelle teste en doit estre l'objet, Quel que soit nostre mal le remede est bien pire, Et son funeste effet nous coustera l'Empire. Madame excusez moy si j'ay ce sentiment, Je croyrois vous trahir de parler autrement, Et quoy que mes advis soient peu considerables⁎, Peut-estre pourrez vous les treuver raisonnables, Si vous considerez qu'en cette occasion Mon coeur est depouïllé de toute passion. Vous craignez, dites vous, que ce grand Belissaire Dont la haute valeur se rend si necessaire, N'envahisse à la fin cet Estat florissant, Où mon Oncle à vos yeux l'a rendu trop puissant ; Et c'est pour cet effet que vous avez envie De terminer le cours d'une si belle vie : Bien, suivez vos desseins ; mais à mon jugement Vous prenez pour le perdre un mauvais fondement : Car qui croira jamais qu'un si noble courage N'agissant que pour vous, puisse vous faire outrage ; Puisqu'au lieu de ravir ce qui vous appartient C'est luy qui vous defend, c'est luy qui vous maintient. Si cet Isquirion dont vous vantez les charmes Est comme je le crois si redoutable aux armes Qu'il vienne en cette Cour ouverte à la vertu, Montrer les qualitez dont il est revestu : Qu'il vienne signaler sa force, & son adresse, Repousser les efforts du Persan qui nous presse, Abattre son orgueil, nous remettre en nos droits, Et marcher noblement sur la teste des Roys, Si ce Prince en un mot a dessein de me plaire, Qu'il vienne faire icy ce qu'a fait Belissaire, Et non pas demander par une lascheté Un party de mon rang & de ma qualité. Hé bien, Narsés, enfin puis-je m'ouvrir à toy ? je te croirois faire un trop sensible outrage Si je me deffiois de ton noble courage, Veu que de quelque espoir dont tu sois combatu, Je sçais qu'on ne sçauroit corrompre ta vertu. Apprends donc aujourd'huy quelle est mon adventure⁎, Le sang combat l'amour, & l'amour la nature : Mais comme tu peux voir en ce triste duel, L'amour est innocent, & le sang criminel : Ouy, Narsés, ce Danois qu'attend l'Imperatrice, Et dont elle pretend te rendre le complice, Soubs pretexte d'offrir un azile à mon sort, Vient signer avec elle & ma perte, & ma mort : Mais avant que je sois l'injuste recompence De leur assassinat, & de leur violence, J'arracheray mon coeur, & mon sang respandu Coulera sur celuy qu'un Prince aura perdu. Je suis ce sentiment que la vertu te donne, J'aime ses qualitez bien plus que sa personne, Et voyant que tu tiens de ses perfections Tu partages des-ja mes inclinations : C'est par ces beaux degrez que l'on monte à la gloire, Qu'on gaigne sur les coeurs une illustre victoire, Et qu'on peut parvenir à ce superbe⁎ rang, Qui supplée aux deffaux & du corps & du sang : Theodore pretend que je sois le salaire⁎, De qui luy portera le coeur de Belisaire, Et moy pour m'opposer à ce lasche courroux, De son liberateur je feray mon espoux. Va, suy ce mouvement⁎ que la gloire t'inspire Sauve, brave Narsés Belisaire & l'Empire, Fay par un noble coup qu'il te doive le jour, L'Empire, son salut, & mon coeur son amour, Je me promets de toy cét agreable office⁎. Va Narsés, mais sur tout en ce pressant orage, Que ta discretion assiste ton courage, Et souffre⁎ si tu veux m'obliger tout à fait, Que mesme Belisaire ignore ce bien fait. En vain pour me toucher vous parlez de ses charmes, Je méprise ses voeux, ses soûpirs & ses larmes, Et j'estime si peu ses pas & son amour, Que si mon sujet seul l'arreste en cette Cour, Il peut s'en retourner & s'épargner la peine Que donne aux importuns une recherche vaine. Je crains peu cét orage. Et j'en ay d'avantage. Je me ris de son ressentiment. Bien, bien, que ce cruel acheve mon destin, De Prince genereux⁎ qu'il se rende assassin, Pour se vanger de moy qu'il fasse une injustice. Belisaire me plaist, il merite un supplice, Il faut verser son sang pour esteindre nos feux, Mais que vous estes loin du succez de vos voeux, Si vous croyez encor qu'apres ce traict perfide, Mes yeux puissent jamais souffrir⁎ cet homicide ; Non, non, n'esperez pas que je touche en la main, Qui, peut-estre, a signé cet Arrest inhumain, Le sang de mon amant me la rend odieuse, Qu'il m'oste quant & quant⁎ une vie ennuyeuse, Asseuré que le coup qui me le ravira, Est la seule action de luy qui me plaira. Allez, lâche, allez complaire à vostre envie, Allez trancher le cours d'une si belle vie ; Si mes justes douleurs ne previennent vos soins, Mes yeux mesmes cruels en seront les témoins. Mais apres mes devoirs rendus à l'innocence, Vous verrez quant & quant⁎ ma mort & ma constance, Et je vous feray voir, quoy qu'il faille endurer, Que ce qu'Amour a fait ne se peut separer. Fin du troisième Acte Voila ce que vous couste une amitié fidele, Vous n'avez rien de sainct ni d'aimable⁎ auprés d'elle, C'est ainsi qu'un perfide a payé vos travaux. Jusques où l'amitié dans vostre ame s'imprime, Pour un ingrat, un traistre, & l'autheur de ce crime. Pourquoy donc, si vos yeux sont si remplis de charmes Estes vous insensible au pouvoir de mes armes ? Je souffre vostre abord, j'escoute vos discours, Vous pouvez me parler & me voir tous les jours, Vous resistez pourtant, & cette resistance Fait voir ou vostre orgueil, ou mon peu de puissance. Ah ! que ce feint respect est fatal à mon coeur, Mais quoy, ta modestie importe à ta rigueur, Et par ce faux pretexte aussi faux que visible, Tu crois perdre les noms d'ingrat & d'insensible, Mais bien loin d'effacer ces viles qualitez, Le tiltre de perfide accroist tes lâchetez, Ouy, ce tiltre t'est deu, desloyal, & sans blâme, Tu ne peux que pour moy disposer de ton ame, Puis qu'un jour les effects te seront des témoins. Que si tu l'as encor, tu la dois à mes soins, Ouy, tu me dois ton coeur, ton honneur, & ta vie, Car loin de consentir qu'elle te fust ravie, Narsés en expirant sans doute a témoigné, Comme pour ton salut je n'ay rien espargné. La mort est toutesfois le prix de ses services, Le mépris aujourd'huy paye mes bons offices⁎, Et de deux ennemis conjurez contre toy, L'un a ton amitié, l'autre espere ta foi, Et pour dernier effect de ton ingratitude, Ce qui m'est desormais plus sensible & plus rude, C'est que tu crois encor mon dessein assez beau, Si j'ay pour mon espoux un traistre & ton bourreau. Apres ce qu'il a fait l'excusez vous encore ? L'innocent. Et luy l'espere en vain, Helas de qui vous tuë adorez-vous la main ? Aveugle affection ! bien, aime le perfide, Aime un lâche, un ingrat, un traistre, un homicide, Cette belle amitié te coustera le jour, Et ta mort, desloyal, vangera mon amour. Demande leur un enfer & des peines, Ingrat. Les attentes sont vaines, Un perfide jamais. adieu. Importun laisse moy. Hé bien, que diras-tu ? Mais, Dieu, que veux tu faire ? Non je ferois trop d'honneur à ta vie, Ce coup mal commencé demande un autre bras, Qui mieux que ma rigueur punira des ingrats. Ah, quelle ingratitude & quelle perfidie ! L'horreur d'une action que l'on m'impute à tort, Oyez, voyez, lisez, & juger tout ensemble. Mais qu'il est malheureux ! O Dieux, que dois-je faire apres ce coup de foudre ? O Destins ! Finissez, Dieux cruels, ma vie & mon soucy. Allons, puis que ce mal veut un remede extreme, En cette occasion je me vaincray moy-méme, Je suivray vos conseils, & par cette action, J'exciteray l'amour, ou la compassion. Entrons Pirandre, Est-ce là le respect que vous me devez rendre ? Ne vous informez point, je sçay vostre devoir, Et vous ne devez pas ignorer mon pouvoir. Va, mon authorité de ce soin te dispense, Tu retardes icy par un fâcheux debat, La salut de mon oncle & celuy de l'Estat. Ne sois pas en soucy de ce que je vay faire, Je te suis caution de toute cette affaire, Et ma foy t'en promet d'agreables effects. Non, non, sa voix n'a point vostre oreille abusée, Ce que fit Ariadne autresfois pour Thesée, Je le feray pour vous s'il se peut aujourd'huy, Sans pretendre de vous ce qu'on vouloit de luy. Ouy, mon Prince, je veux vous tirer des tenebres, Et donner à vos yeux des objects moins funebres, Je veux rompre vos fers, vous redonner le jour, Et me sacrifier au bien de vostre amour. Non, non, vivez plustost, je veux pour vostre gloire, Changer vostre échafaut en un champ de victoire, Mais nous perdons du temps, mon Prince il faut partir. Un charme tout nouveau t'ouvrira les plus fortes, Et j'en prendray le soin de conduire tes pas, Hors de ce labyrinthe où regne le trépas, Escoute seulement ce qu'il faut que tu fasses, Si tu veux que le Ciel finisse tes disgraces. Il faut vous travestir soubs mes habillemens, Et de peur de donner aux Gardes de l'ombrage, D'un voile adroitement vous couvrir le visage, Pour moy soubs un habit au vostre tout pareil Je veux rester icy. Je vous donneray lieu de vous justifier, Mais pour un peu de temps forcez ce coeur altier, A vos justes desirs monstrez-vous moins rebelle, Puis que l'occasion s'en presente si belle, Pour eviter l'affront d'un trépas rigoureux, Il sied bien quelquesfois d'estre moins genereux. Cessez donc. Justes Dieux ! Malheureuse. Helas ! Honnorable dispute. Ah ! mon Prince. Quelle grace ? A ce mot je soupire, Ses voeux sont mes souhaits ; on me porte où j'aspire : Mon Prince, levez vous parmy tant d'actions, N'adjoutez pas ma honte à vos perfections, Puis-je voir à mes pieds celuy qui me surmonte ? Faut-il que je rougisse & d'amour & de honte ? Qu'un autre estat demande & reçoive mon coeur. O Dieux que j'apprehende ! Cet espoir est ma vie. Puissent les Dieux puissans ainsi que je desire, Aux deux bouts de la terre estendre vostre Empire, Et puisse estre aux humains vostre regne aussi doux, Que le servage⁎ heureux que je reçois de vous. **** *creator_desfontaines *book_desfontaines_belisaire *style_verse *genre_tragedy *dist1_desfontaines_verse_tragedy_belisaire *dist2_desfontaines_verse_tragedy *id_amalazonthe *date_1641 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_amalazonthe Ah ! Seigneur vous estes trop Auguste⁎, Devant mon Empereur ce respect est bien juste, J'ay perdu mes Estats, mon rang l'est avec eux, Et cét abaissement sied bien aux malheureux. J'obeïs aux loix que vous me faites, Et le commandement de vostre Majesté Sert de juste pretexte à ma temerité. Seigneur, quoy que le sort, nos malheurs & Bellonne, Pour nous mettre à vos pieds nous arrachent d'un trône L'espoir d'y remonter encore qu'il soit doux, N'est pas ce qui me fait embrasser vos genoux, Je voy sans desplaisir le cours de vos conquestes, Vous pouvez tout prétendre estant ce que vous estes, Et malgré leur orgueil les plus superbes⁎ Roys, Pourront sans deshonneur se sous-mettre à vos loix : Je ne demande pas que vos mains liberales⁎ Me rendent mes grandeurs, ny ces pompes⁎ Royales, Qui plaisoient cy-devant à mon ambition, Mon coeur n'est plus atteint de cette passion, Un plus noble desir aujourd'huy le possede, Il sera satisfait pourveu qu'il me succede⁎, Et son heureux effet est le bien le plus doux, Et toute la faveur que j'espere de vous. Donc par cette bonté qui vous rend adorable, Si mon sexe ou mon sang vous est considerable⁎, Je conjure à present le plus grand des humains, Que ces fers que je vois en de si nobles mains Passent d'un Innocent en une Criminelle, Ce prince a combattu, mais je suis la rebelle, Qui seule par l'effort de mes traistres appas⁎, Ay fait impudemment revolter ses Estats, Ouy Seigneur, il m'aimoit, & ce brave courage Eust creü me faire tort s'il vous eust fait hommage, J'avois sur son esprit un absolu pouvoir, Et son amour enfin a trahy son devoir. Ne me refusez point, puis qu'icy ma priere Donne à vostre clemence une illustre matiere, Et que pour l'asseurer de sa fidelité, Je m'offre pour ostage à vostre Majesté. Mais si vostre courroux demande une victime, J'y consens ; punissez son amour, & mon crime, Au lieu de mon Amant me faisant arrester, Vous ostez le sujet qui l'a fait revolter ; Il sera trop puny si je luy suis ravie, Ostez luy sa Maistresse, & laissez luy la vie, Conservez par ma mort un homme de son rang, Et s'il faut sa rançon, payez vous de mon sang. Gloire de l'Orient, & l'honneur des Monarques, En qui l'on voit des Dieux tant d'immortelles marques, Quelque ressentiment que je vous fasse voir, Je ne m'afflige point d'estre en vostre pouvoir, Et ce malheur en moy si doucement s'efface, Que je crains de pecher en l'appellant disgrace, Puisque tant de vertus qui reluisent en vous, Font mesme qu'à present mon sort me semble doux. Mais Seigneur, si jamais vos bontez adorables⁎, Vous ont rendu facile⁎ envers des miserables, Si jamais les regrets, les sanglots, & les pleurs, Vous ont fait compatir à leurs vives douleurs ; Delivrez Vitigez, accordez luy sa grace Par ces mains que j'adore, & ces pieds que j'embrasse, Je sçay que vous pouvez user de la rigueur, Que peut impunément exercer un vainqueur, Mais monstrez nous plutôt qu'en ce siecle où nous sommes, Les Dieux daignent encor se déguiser en hommes ; Et qu'ayant quelques fois la foudre dans les mains Ils ont compassion des larmes des humains. Seigneur. N'en doutez nullement, bien qu'un sort rigoureux Dans ses nobles projets l'ait rendu malheureux, Le droict qu'il a sur moy n'est pas moins legitime, Et chez moy son malheur augmente son estime. Je sçay que le Demon qui preside aux combats, L'a mis dedans les fers, & ravi ses Estats, Ses biens, sa liberté, son spectre, sa couronne, Que son peuple le quitte, & que tout l'abandonne : Mais bien que vostre bras l'ait reduit à ce poinct, Croyez moy, Belisaire, il ne le perdra point, Quoy que vous puissiez faire, ou que vous puissiez dire, Moy seule je seray ses Estats, son Empire, Son espoir; sa grandeur, ses sujets, & sa Cour, Son conseil mes desirs, & ses loix mon amour. Vous m'avez fait captive, & le Ciel m'a fait Reine, Le sort qui me destruit ne m'a pas tout osté, J'en conserve le coeur comme la qualité : Et bien que l'ont m'ait mise en estat de me plaindre, Vous ne devez point voir mon malheur sans le craindre. L'aveugle Deité qui flatte les humains Tourne aussi tost le dos qu'elle nous tend les mains, Un moment nous la rend rigoureuse & propice, Tel qui fut au sommet se voit au precipice, Et pour un mouvement⁎ qui n'est jamais égal, Le mal succede au bien, & le bon-heur au mal. Ne m'importunez plus, & quittons ce discours, J'ay l'esprit à mes maux plustost qu'à mes amours, Ce Dieu qui ne se plaist que parmy les delices Rougiroit qu'on le vist en ce lieu de supplice. Ses plumes nous font voir qu'il sçait bien en partir. Je perdrois mon espoir, & non pas mon martyre. Perdant tout, il me reste une belle à mourir. Mon Prince, pardonnez à l'ennuy qui me presse, Et comme mon Amour partagez ma tristresse, Loin de me consoler en mes justes douleurs, Donnez vos sentimens à nos communs malheurs, Nous sommes menacez d'un violent orage, Mais pour y resister j'ay beaucoup de courage, Et le sort vainement deployroit son courroux, Si m'estant rigoureux il vous estoit plus doux. Vous le voyez, Seigneur. Mon Amour. Ah ! que vous prenez mal le sens de mes discours, Destruirois-je le bras d'où j'attens le secours ? Et croyez-vous qu'on puisse esteindre vostre vie, Sans que d'un mesme coup elle me fust ravie ? Non, non, la passion dont vous estes épris, N'aura jamais chez moy ny froideur ny mépris, J'appreuve vos devoirs, vostre grace me charme, Et je crains, mais pour vous. Non. Un insolent vainqueur, Belisair'. Il est bien vray qu'alors qu'on possede un grand bien, C'est l'estimer bien peu que de ne craindre rien, Et par cette raison j'ay sujet de me plaindre, Car si vous m'estimez vous trouveriez à craindre. Ne vous figurez pas que ma presomption Soit le seul fondement de cette passion, Mon esprit qui connoit ce Prince opiniâtre, Ne forge pas un monstre afin de le combatre, J'ay veu dans ses transports⁎ des presages certains, Et de ce que je dis & de ce que je crains : Avoir incessamment de ses gens à ma suite, Veiller mes actions, épier ma conduite, Entendre tout le jour ce fâcheux compliment, Que j'ay de mon vainqueur pû faire mon amant. Dy moy ne sont-ce pas ces chants de Syreines Tousjours avant-coureurs des tempestes prochaines, Où je cours le danger d'un naufrage évident, Si le Ciel ne destourne un si triste accident ? Mais le voicy qui vient, evitons sa presence. Hé, Seigneur, consultez un peu vostre bonté, Elle parle pour luy. Par ce charmant accord qu'ils me rendent heureuse. A la possession d'une beauté divine, Qui prenant sur vostre ame un plus juste pouvoir, Vous oste un vain amour, & me rend mon espoir. Que j'adore les loix d'une telle ordonnance !