**** *creator_dufresny *book_dufresny_chevalierjoueur *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_chevalierjoueur *dist2_dufresny_prose_comedy *id_VALERE *date_1697 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_valere Ce que tu as vu n'est pas assurément... Si tu voulais m'écouter, je te dirais ce que ce Joueur-ci... D'accord ; mais... Il y a une Angélique, une suivante, un Valet et un joueur aussi dans le Joueur qu'on va représenter ; cependant il est différent de celui que tu as vu. Oui. Belle conséquence ! Je te dis que j'ai entendu lire cette pièce-ci, et je la trouve très différente de l'autre. On sait bien qu'il faut... Malheureusement pour toi celle-ci commence, aussi bien que l'autre, par le Valet et la Suivante, sitôt que tu les verras paraître, tu sortiras sans les écouter, en criant tout haut : c'est la même chose, c'est la même chose ; et il faut l'écouter pour voir si c'est la même chose. Il y en a beaucoup, l'autre était en vers, celle-ci est en prose. De la manière dont tu entends ordinairement la Comédie, en prose ou vers c'est tout un pour toi : tu causes tant que la pièce dure, tu ris seulement quand tu entends rire le parterre, sans se soucier si ces plaisanteries sont du sujet ou non. Pour ces endroits fins et délicats, qui font plaisir sans faire rire, tu n'y fais nullement attention. Voilà le goût de nos jeunes étourdis ; mais les gens de bon sens entrent dans le sujet, on veut des caractères soutenus, une intrigue nette et suivie, des situations intéressantes et bien ménagées, des expressions vives et naturelles, et de la gaîté sans immodestie. Je ne veux juger ni de celui-ci ni de l'autre. Je prétendais seulement te prouver que toutes ces parties sont traitées différemment dans les deux pièces, et qu'à le bien prendre, elles n'ont rien de semblable que le fond du sujet, et deux ou trois idées de Scènes qui se sont trouvées dans des mémoires que l'un des deux auteurs a dérobés à l'autre. Oui, mais tu n'as qu'à t'imaginer que c'est un Vicomte, et tu le trouveras nouveau. Il n'y a point de père. Je me suis attaché à des différences plus essentielles. Je suis ravi que tu restes pour le père qui n'y est point ; plaçons-nous donc. **** *creator_dufresny *book_dufresny_chevalierjoueur *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_chevalierjoueur *dist2_dufresny_prose_comedy *id_DORANTE *date_1697 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante J'oubliai hier de prendre congé de la Comtesse. Dis-moi, la Comtesse y est-elle ? Quoi ? Elle n'y est pas ? Adieu donc. Je suis pressé de partir, j'ai trente lieues à faire aujourd'hui. Que me dis-tu ? Tu peux t'imaginer tout ce qu'il te plaira ; mais je te jure qu'un désir sincère de voir Angélique heureuse, fait toute ma manière d'aimer. Quoi ? Sous le masque d'ami j'aurais donné des conseils intéressés ? Non, Nérine, quand on a le coeur droit... Écoute, Nérine, ne t'avise pas en présence d'Angélique de faire ces mauvaises plaisanteries. Quoi ! Il serait possible que ton extravagance... Je n'oserai plus paraître devant ses yeux. Juste Ciel ! Que va-t-elle penser de moi ? Je suis au désespoir. Que je suis malheureux ! Non, je ne la verrai de ma vie. Ah ! Nérine, tu me perces le coeur. Hélas ! À quoi me vais-je exposer ? J'allais vous faire part, Madame, d'une conversation que je viens d'avoir avec Angélique. Elle ne peut pas comme vous, Madame... Pour moi je suis par ma faiblesse le plus homme de tous les hommes. Parlez de vous, Madame ; pour moi je n'ai point la force de cacher ma passion sous de grands motifs, j'ai pris le parti d'avouer mon amour, et d'agir comme si je n'en avais point. En un mot, je prendrai les intérêts d'Angélique sans rien cacher au Chevalier de tout ce que je conseillerai contre lui. J'en prends l'événement sur moi, pourvu que vous me laissiez agir seul : encore un coup, elle est en garde contre vos conseils, ne paraissez point. Elle y est Chevalier, elle y est ; je n'ai pas envie de vous en faire mystère. Je viens de m'entretenir avec elle. Si le vous ai trompé, j'ai été trompé le premier ; je croyais que l'amitié seule m'intéressait pour Angélique, mais... Non seulement je l'avoue, mais j'allais vous chercher pour vous le déclarer. Non : sur pareilles matières la raillerie... Je ne me pique de rien ; mais voici mon procédé qui vous paraîtra plus singulier encore que l'aveu de mon amour. Angélique avait résolu de différer votre mariage, c'est moi seul qui lui fais changer de résolution ; en un mot, elle m'a promis de vous épouser incessamment. Moins héroïque qu'il ne vous paraît : il est vrai, je viens de lui conseiller de vous offrir sa main, mais elle ne vous l'offrira qu'à des conditions. Si vous les refusez, ce sera votre faute. Si je le souhaite, je n'en sais rien, Chevalier ; je vous ai dit que j'aime, je n'ose répondre de mes sentiments, mais au moins je vous réponds de ma conduite. En un mot, j'ai mis votre bonheur entre vos mains, c'est tout ce que j'ai dû faire pour Angélique, pour vous, et pour moi ; elle vient, je vous laisse ensemble. Doucement, Madame, doucement. Allez, je vous donne ma parole ; allez donc. Brisons là-dessus. Qu'est-ce donc, Chevalier, j'apprends qu'Angélique a rompu de nouveau avec vous. Angélique ne se payera pas de cette excuse. L'indifférence où je vous vois pour Angélique m'autorise à vous donner un avis. Si quelque revers de fortune que vous ne prévoyez pas vous redonnait de l'empressement pour le mariage, vous avez une ressource, j'ai remarqué dans la Comtesse des dispositions pour vous ; elle est beaucoup plus riche qu'Angélique. Convenez de bonne foi qu'Angélique n'eût pas été fort heureuse avec vous. Vous devenez bien insultant dans la prospérité ; allez, tous vos procédés vous rendent indignes d'avoir des amis, et je vous déclare que je ne vous ménagerai pas plus que vous ménagez Angélique. Avec de tels discours je ne vous plairai pas longtemps. Non, Madame, non, je ne veux point qu'un engagement précipité vous expose aux retours d'une passion mal éteinte ; et je serais au désespoir que vous manquassiez d'être heureuse avec lui, si vous pouvez l'être. Non, Madame... Commencez à vous servir du conseil que je vous ai donné, pour connaître le fond du coeur de cet homme-là. De quoi s'agit-il. **** *creator_dufresny *book_dufresny_chevalierjoueur *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_chevalierjoueur *dist2_dufresny_prose_comedy *id_ANGELIQUE *date_1697 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_angelique Avant que vous sortiez, Madame, voyons donc au moins à prendre une heure pour terminer mes affaires ; depuis huit jours que je vous presse, je ne saurais tirer de vous que des exhortations. Je sais ce qu'une pupille doit à sa tutrice ; mais enfin... Ô ! Je ne vous dis plus rien. Finissons donc, Madame. Encore ! Vous disposerez du vôtre quand il vous plaira. Les désirs sont de tout âge, Madame, et vous désirez retarder mon mariage en retardant mes affaires ; voulez-vous les terminer, ou non ? En l'exhortant à la patience vous l'impatientez beaucoup : j'avoue que je suis à bout, Madame ; et puisque vous ne voulez pas finir, je terminerai, moi, dès ce soir avec le Chevalier. Tu vois, Nérine, le procédé de la Comtesse ; heureusement je ne dépends plus d'elle. Elle ne saurait m'empêcher... Je vois les desseins de la Comtesse, et c'est ce qui m'oblige à précipiter mon mariage. Tais-toi, je ne suis pas en humeur d'écouter tes extravagances. Nérine, le Chevalier doit venir ce matin. Ne raisonne point tant, va voir s'il est levé. Que signifient donc tes réponses ambiguës ? Je ne le verrais de ma vie, après les serments qu'il me fit l'autre jour. On te l'a dit ainsi ; mais tout le monde est prévenu contre lui. À t'entendre parler, on croirait que j'aurais perdu l'esprit. Tu t'es trompée, Nérine, je te l'ai déjà dit, Dorante est trop sage pour avoir de l'amour, et trop sincère pour cacher si longtemps une passion ; en tous cas, j'en serais au désespoir, car je l'estime infiniment, et je ne pourrais pas le rendre heureux. Oh ! Je suis lasse de t'écouter. Est-il vrai que vous ayez joué toute la nuit ? Je veux l'apprendre par vous-même... Vous ne dites mot, répondez-moi donc, Chevalier... vous cherchez de mauvaises excuses pour justifier votre conduite. La manière de s'excuser est tendre. Je ne connais guère la vôtre, du moins, faire ce qui me déplaît le plus, mépriser mes volontés, violer vos serments... Vous lui avez plus d'obligation, que vous ne pensez. Pardon, je croyais que c'était vous qui m'aviez offensée. J'avoue que je ne m'attendais pas à être querellée, je croyais que vous étiez au désespoir d'avoir joué. Quels discours ? Je ne dois plus me fier à vos résolutions. Avant que de m'expliquer avec vous là-dessus, je veux éprouver votre conduite. Votre vie, hélas ! Si jusqu'à présent vous n'avez pu me sacrifier seulement votre passion pour le jeu... Cela est tout différent, d'accord. Je vais employer l'après-midi à disposer de mes affaires selon la résolution que j'ai prise. C'est pour certains détails... vous m'embarrasseriez. Cependant, Chevalier, si vous vouliez... Rendez-vous ce soir chez moi, nous verrons si je puis faire votre bonheur... Ma résolution est prise, et pour ne pas m'exposer davantage à le voir, je vais passer trois mois à la campagne. Fais avertir Dorante que je veux encore lui parler. Hélas ! Je sens bien que Dorante ferait mon bonheur, si je pouvais être heureuse sans le Chevalier. Va, fais mettre les chevaux au carrosse, je vais prendre congé de la Comtesse. Je ne puis pas sitôt répondre à vos transports de joie. Je craignais tantôt de m'être attirée votre haine ; mais je vois bien que vous n'avez point de passion. Quoi qu'il en soit, Madame, je suis très sensible à votre amitié ; je crains seulement de ne la pas mériter autant que vous le pensez. Pour jamais, Madame, je ne dis pas cela. Si dans la suite du temps, le Chevalier changeait de conduite... Mais, vous, Madame, pour prévenir ma rechute, vous feriez-vous la violence d'épouser le Chevalier ? Mais s'il n'y avait que cet expédient ? Vous le ferez donc, car vous êtes régulière à vos devoirs. Oui, Madame, je vois clairement ce que je n'avais fait que soupçonner. Ce serait pour votre bien. Mon départ vous exposerait peut-être à certaine passion, dont vous seriez moins maîtresse que de votre colère ; vous avez vos vues pendant mon absence ; vous voulez que je parte, et moi je ne veux plus partir. Au moins la part que j'y ai, ne me coûte rien. Je ne me mêle que de plaire au Chevalier. Je n'y arriverai pas sitôt que vous, du moins ; vous avez pris les devants. Je ne pars point, Nérine. Non : mais j'ai changé de résolution. Ah ! Ingrat ! Mépris, fourberie, mensonge. Hélas ! Non, Nérine, c'est Dorante que j'attends ; que ne vient-il m'aider à vaincre un reste de passion qui m'agite encore malgré moi ? Venez Dorante, venez m'aider à haïr le Chevalier autant qu'il le mérite, ne le ménagez plus, vous ne sauriez me plaire qu'en me parlant de son ingratitude. Hé ! Si vous craignez ma faiblesse, prévenez-la donc, je vous l'ai déjà dit : servez-vous du pouvoir que vous avez sur mon esprit ; ma raison, mon estime, mon coeur même, tout se déclare en votre faveur ; parlez, je suis à vous, si vous voulez. Va, dis à ton maître qu'il ne se présente jamais devant moi. Frontin, dis donc à ton maître qu'il vienne me trouver. Où allez-vous Dorante ? Ne m'abandonnez pas. Ah ! S'il s'allait faire mal. Arrêtez Chevalier. Ah ! Chevalier en quel état vous réduisez-vous ? Parlez-moi donc ? Demeurez. Nous allons voir si votre désespoir est véritable, et si vous m'aimez autant que vous le dites ; sachez donc que je ne puis être à vous qu'à certaine condition. Hé bien, Chevalier, acceptez-vous ma proposition ? C'est par votre conseil, Dorante, que je me suis désabusée, sans vous j'eusse été malheureuse, il est juste que je vous rende heureux. **** *creator_dufresny *book_dufresny_chevalierjoueur *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_chevalierjoueur *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LACOMTESSE *date_1697 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lacomtesse C'est à vous de les écouter avec respect. Vous êtes majeure, me dites-vous ? Que je blâme nos Lois d'avoir placé la majorité si près de l'enfance ! Car enfin, qu'est-ce que c'est encore qu'une fille à vingt-cinq ans ? Oui, la Loi devrait défendre aux filles, de disposer de leur coeur avant l'âge de quarante ans. Une fille n'est point en âge de raison, que l'âge des désirs ne soit passé. Un devoir indispensable m'appelle en Ville, je vais exhorter à la patience une femme qui a épousé un Joueur. Elle extravague, Nérine, je ne puis plus supporter ses égarements ; se peut-il que la figure d'un petit écervelé d'homme cause de si grands désordres dans une âme raisonnable ? La passion du jeu est un abîme de désolation, tout se perd dans ce gouffre, le temps, l'esprit, la joie, la santé. Chevalier, êtes-vous fâché que... Ne peut-on pas adoucir votre affliction ? Ouvrez-moi votre coeur, parlez. Vous êtes discret, et je ne suis point curieuse. Quoi ! Il t'a parlé en ces termes ! Je t'ai déjà dit que je payerais moi-même. Voyons le mémoire. Nous verrons. Frontin, votre mémoire ridicule se monte à cinq ou six mille livres ; vous ne m'aviez parlé que de deux mille. Non ; je ne donne point d'argent pour jouer, ma conscience... Pourquoi veux-tu donc que je fournisse au jeu du Chevalier, au lieu de le corriger d'un si grand défaut ? Comment l'entends-tu donc ? Tu es folle, Nérine, je ne veux point donner de l'argent pour jouer. Je me crois obligée d'empêcher l'union de ces deux jeunes têtes, ce serait trop de faiblesse ensemble. Nérine, votre insolence. À travers tes plaisanteries déréglées, je ne laisse pas d'entrevoir en toi un fond de morale qui me plaît. Paix Nérine : ne vous accoutumez point à juger du coeur. La pauvre enfant me fait une vraie compassion, cela est si jeune et si fragile. Taisez-vous Dorante, je n'aime point les louanges, quoique ce ne serait pas une grande vanité à moi de me croire moins femme que les femmes d'aujourd'hui. Ne rougissez point d'avoir des vues pour le mariage ; ce que les autres font par faiblesse, nous le pourrions faire par de grands motifs ; et nous autres âmes fortes... Il faut accorder la sincérité avec la prudence. À dire vrai, Dorante, vous prenez là un parti qui me fait trembler ; le conseil que vous allez donner à Angélique me paraît dangereux. Allez donc sans moi, je ne veux rien gâter. J'ai bien peur que le Chevalier n'accepte, il s'apercevra peut-être du panneau qu'on lui veut tendre. Tu connais des Marquis, toi ? Ah ! Nérine, je ne veux point avoir de part à ce désordre, et quoique ce soit pour un bien... Frontin m'attend encore, je n'ai pas voulu lui donner l'argent en présence de Dorante. Que je vous embrasse, ma chère enfant ! On vient de m'apprendre vos résolutions généreuses, je suis charmée. Comment donc, encore du chagrin ; ne devez-vous pas être ravie ? Hélas ! Je ne suis susceptible ni de joie, ni de chagrin ; je n'ai point de passion, moi : et si ce n'était l'amitié... L'éloignement fortifiera votre sagesse ; éloignez-vous, mon cher coeur, fuyez la cause de vos égarements. Je veux bien me charger d'apprendre moi-même à ce petit indigne-là, que vous rompez avec lui pour jamais. C'est que vous n'osez le dire ; voyez jusqu'où va le mauvais usage du siècle ; les filles sont honteuses d'avouer qu'elles sont sages. Il ne se corrigera point ; mais je ne laisse pas de blâmer votre ami Dorante, il devrait vous épouser pour ne vous pas laisser dans le péril de la rechute. Vous me réduisez à une terrible extrémité. En vérité je crois que je devrais le faire. Soupçonner, Mademoiselle ! Soupçonner ! On ne soupçonne point une vertu aussi établie que la mienne ; et quand on me le verrait épouser, on ne devrait rien soupçonner, et il faudrait croire que je le ferais pour un bien. Quel discours ! J'ai besoin de toute ma modération. Pour écouter tranquillement vos sottises. Vous vous fiez sur ce que je suis maîtresse de ma colère ; partez vite. À vous entendre, ma petite mignonne, vous n'avez qu'à paraître pour plaire ; cependant vous n'avez pas dans le coeur du Chevalier toute la part dont vous vous flattez. Vous n'avez pas assez d'esprit pour railler, vous avez tort de vous en mêler. On peut plaire plus solidement par de certains mérites, où vous n'arriverez jamais. Je me suis trop déclarée ; la jalousie a rallumé plus d'amour que la colère n'en avait éteint. Quel parti prendre ? En offrant tout mon bien au Chevalier peut-être que... mais s'il me refuse, j'aurai perdu en vain cette réputation de vertu... En tout cas j'imagine un moyen de tirer quelque gloire du pas que je vais faire. J'ignore le langage des Joueurs, mais je veux m'en instruire pour vous faire plaisir ; Angélique n'aurait pas tant de complaisance : je suis fâchée de vous apprendre qu'elle ne veut plus vous voir. Pour peu qu'elle vous aimât, elle n'exigeait point que vous vous privassiez du jeu, qui dans le fond n'est qu'un délassement d'esprit tolérable. Au reste, Chevalier, je suis ravie d'avoir contribué à votre gain en vous prêtant... C'est une bagatelle. Non, je veux que vous gardiez cela. Vous pourriez concevoir des espérances plus solides, s'il était vrai que vous eussiez pour moi... Frontin m'a expliqué vos sentiments, et... Votre vanité vous fait prendre à la lettre... Je voulais seulement connaître votre ingratitude... On sait le mépris que j'ai pour les hommes, et je n'en connais point de si méprisables que vous. Qu'y a-t-il donc ? Pour moi si j'estimais un homme, je le rendrais maître absolu de tout ce que je possède. Vous avez entendu ce que je viens de dire, je ne m'en dédis point ; oui Chevalier, je sacrifierais tout pour un homme que j'estimerais, mais vous vous êtes rendu indigne de mon estime, cherchez une autre dupe que moi. **** *creator_dufresny *book_dufresny_chevalierjoueur *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_chevalierjoueur *dist2_dufresny_prose_comedy *id_NERINE *date_1697 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_nerine Bonjour, Frontin, te voilà déjà levé ? C'est-à-dire que ton Maître a couché au lansquenet. Le Chevalier est un jeune homme bien morigéné ! Avoue qu'il est incommode de loger en même maison avec des femmes qui ont intérêt d'examiner notre conduite ! Ma Maîtresse lui avait défendu de jouer. Il se brouillera avec Angélique. Un riche parti ! Au diantre le sol qui lui reste de son patrimoine. Dorante est si honnête homme. Un esprit solide, doux. Dorante est un homme fait. Un bon coeur, généreux, sincère. J'espère qu'Angélique reviendra de ce plaisir-là. Si je la puis rattraper dans quelque moment raisonnable. J'avoue qu'elle me fait des présents lorsque je réussis à brouiller Angélique avec le Chevalier ; mais puisqu'elle me cache l'intention de sa libéralité, je prétends que mon gain est honnête. Quand la pauvre Comtesse a donné ici un appartement au Chevalier, je lui dis bien que le voisinage était dangereux, la bonne Dame croyait que le danger ne serait que pour elle ; mais en ces occasions périlleuses, la plus jeune est la plus exposée. Non, non, vous n'avez plus d'autre tuteur que l'amour, vos affaires sont en bonne main. Assurément vous êtes une fille majeure, c'est-à-dire maîtresse de vos caprices, et l'âge de raison vous autorise à faire une folie. Le bon mariage ! Quelle paix ! Quelle union ! Car vous ne vous rencontrerez jamais ensemble, et vous serez levée tous les jours avant qu'il revienne se coucher ; avec un homme réglé vous mèneriez une vie unie, ennuyeuse et languissante ; la vie d'un joueur est bien plus diversifiée ; diversité dans l'humeur; vous le verrez enragé, bourru dans l'adversité, brutal et méprisant dans la prospérité : diversité dans votre ménage ; abondance, disette, tantôt en carrosse, tantôt à pied ; quitter le premier appartement pour loger au quatrième étage : diversité dans les emmeublements ; aujourd'hui le velours, demain la serge, et après-demain les quatre murailles : la diversité réjouit les femmes. Vous êtes encore moins en humeur d'écouter mes raisons. Il ne vous aime que quand il a perdu son argent : au moment que je vous parle il travaille à devenir amoureux. Pour se lever, il faut s'être couché. Si je vous exagérais les charmes de votre amant, cela serait clair ; mais ses défauts sont des énigmes que vous ne voulez point entendre. On serait bien reçu, par exemple, à vous dire qu'il a passé la nuit au jeu ? Vous fîtes l'autre jour des serments de ne le plus aimer ; jugez de ses serments par les vôtres, vous l'aimez encore à la rage, et il rejoue de même. C'est vous qui êtes prévenue contre tout le monde. Et à vous voir agir on en serait convaincu, préférer un petit fourbe à Dorante qui a pour vous une amitié sincère, mais une amitié de la bonne espèce ! Car je suis sûre que le dépit seul est cause de son départ. Et vous aimez mieux être malheureuse avec le Chevalier. Que j'achève au moins de vous convaincre, qu'il est encore au jeu. Je te prie laisse-moi ; si ce que tu veux persuader est vrai, je ne le saurai que trop tôt. Ah ! Dorante, Dorante, vous deviez différer votre départ désespéré jusqu'à ce que votre Rival fût en possession... mais si je fais ce raisonnement-là, un homme amoureux pourrait l'avoir fait aussi : voyons si par hasard... par ma foi, je crois que j'ai deviné, c'est Dorante. Hé ! Monsieur, que je vous sais bon gré d'être encore ici ! J'entends bien ; hé ! Ne l'oubliâtes-vous point exprès pour avoir occasion de dire un second adieu à Angélique ? La répétition des adieux n'est permise qu'aux amants. Avouez la vérité, vous l'avez vu sortir avant que d'entrer. Ô ! Nous avons besoin de vous. Le Chevalier a joué toute la nuit, et ma maîtresse va rompre avec lui. Je voulais que vous fussiez témoin de la rupture ; mais vous êtes pressé de partir : partez donc vite, Monsieur, vous avez trente lieues à faire aujourd'hui. Un coeur droit est plus tendre qu'un autre. Je ne plaisante jamais sur l'amour ; malepeste ce n'est pas un jeu, et j'ai pris mon sérieux pour dire à ma maîtresse que vous étiez sérieusement amoureux d'elle. Ça, venez lui confirmer la vôtre. Que vous en valez mille fois mieux, d'avoir de l'amour. Elle a pris la chose parfaitement bien. Allons lui conter votre malheur. Hé bien, ne la voyez point ; si vous ne profitez de son dépit, le Chevalier saura bien profiter du retour, et quand le contrat sera signé, il saura bien mieux encore mettre à profit les tendres moments. Ma Chère, lui dira-t-il, je suis abîmé, vous pouvez me sauver l'honneur et la vie, en signant seulement votre nom. Ah ! Mon cher, répondra-t-elle, je signerais ma mort : à Dieu ne plaise. Signez seulement une obligation de vingt mille francs. Cet argent-là perdu, reproches, brouilleries, raccommodement ; la pauvre victime signera une vente : enfin quand elle aura consommé toute sa dot en raccommodements, le cher fourbe ne se souciera plus de se raccommoder, et voilà le désespoir. Voyez-la donc pour prévenir toutes ces désolations. Ce n'est plus qu'en s'exposant qu'on fait fortune auprès des femmes. Exposez-vous, morbleu, exposez-vous... Je ne connais plus que cet homme-là qui soit poltron en amour. Entends-tu ? Si Monsieur le Chevalier veut entrer dans notre appartement, qu'on lui dise qu'il n'y a personne. Grâce au Ciel, Angélique s'accoutume à voir Dorante amoureux ; cela me prouve que la pluralité des amants n'est pas incompatible avec la sagesse de nos femmes. Ton maître aura le loisir d'étudier son rôle ; car Angélique est sortie, et ne reviendra que ce soir. Ha, Ha, je vous prends sur le fait : apparemment tu négocies quelque emprunt ? Madame si vous m'en voulez croire... Je vous demande en grâce... De lui donner... Donnez-lui cent pistoles, je vous en conjure. Frontin laisse-moi amollir la conscience de Madame, va nous attendre dans sa chambre. C'est justement pour le corriger de son plus grand défaut que vous devez lui donner de l'argent. Quand il aura de l'argent il continuera de jouer, en continuant de jouer il cessera de plaire à Angélique, et plaire à Angélique est le plus grand défaut qu'il ait, n'est-ce pas Madame ? Vous ne devez point avoir cette intention-là, d'accord ; vous lui en donnerez seulement dans la vue de rompre un mauvais mariage. Effectivement le Chevalier est faible, il faudrait l'unir à quelque femme forte, forte comme vous par exemple. Je ne dis pas cela par insolence ; je suis persuadée que vous n'avez jamais aimée, pas même défunt votre mari : savez-vous que dans la sévérité de la morale votre conscience vous obligerait quasi à épouser ce jeune homme-là pour le mettre dans le bon chemin. Pendant que je suis en train de vous plaire, je vous apprendrai que Dorante, cet homme que je croyais presque aussi sage que vous, Dorante est amoureux d'Angélique. Ne craignez rien, je ne jugerai pas de votre coeur par le sien, cela est tout différent ; voici notre nouvel amant. Qu'on serait parfait en ce monde si on n'était ni homme ni femme ! Assurément, et vous gâteriez tout avec votre probité gauloise : entrez chez Madame elle vous donnera des leçons d'une probité d'usage qui est bien plus sûre que l'autre. Ah ! Madame, je viens de mettre en campagne un certain Marquis, il fera merveille à ma considération. Il n'est Marquis que par habitude ; il y a si longtemps qu'il prend cette qualité, qu'on ose plus lui demander pourquoi : autrefois c'était un de ces aventuriers qui se font appeler Marquis dans les Auberges ; parce que leur nom propre y est décrié. Ce Marquis-là est fort estimé, quoiqu'il soit sans nom, et quand les Ducs le voient l'argent à la main, ils le placent à côté d'eux préférablement aux femmes de qualité qui veulent jouer sur leur parole ; en un mot, il est de la connaissance du Chevalier, et il m'a promis de l'engager à rejouer. Tout le bien sera sur votre compte, et je prends le désordre sur moi. Allez vite faire cette bonne action-là. Tout ceci commence à prendre un bon train, pourvu que notre petit scélérat ne trouve pas le moyen de se faire écouter ; ah ! Le voici, empêchons-le d'entrer chez nous. Ce n'est pas la faute des emprunteurs, ils ne demandent que la facilité du commerce. Je n'ai vu personne. Oh ! Qu'elle n'a pas envie d'être sitôt de retour. Pour vous excuser j'ai menti tout de mon mieux. Je ne mens jamais moi. Que vous importe ? Vous avez beau l'offenser, il faut toujours qu'elle en vienne à vous demander pardon, mais quoique vous ayez tort, vous ne laissez pas de lui pardonner. Il cherchait ma Maîtresse, mais... Il ne l'aura pas trouvée, Monsieur. N'est-il pas vrai que Mademoiselle n'y est pas ? Sauvons-nous. Je crains que vous n'en disiez plus que vous ne voudrez. Mais, hélas !... voilà un hélas qui part d'un grand fond de bonté... Se peut-il qu'il y ait des hommes si scélérats, et des femmes si faibles ? Je vous dis qu'il joue encore au moment que je vous parle avec ce Marquis enrhumé qui l'est venu prendre ici. Partez vite pendant que vous êtes raisonnable ; car si vous le voyez votre raison partira, et vous resterez pour les gages. Ma foi emmenez-le avec vous à la campagne, vous l'épouserez là pour vous désennuyer. Sans le Chevalier ! Vous prononcez encore ce nom-là d'un ton à ne partir d'aujourd'hui. Lez chevaux sont au Carrosse, partons, partons, vive la campagne, et plus d'amour. Vous ne partez point ! L'avez-vous vu ? Sans l'avoir vu, la résolution s'en est allée ; quand vous le verrez adieu la sagesse. Oh je suis lasse de suivre votre colère de chambre en chambre ; vous entrez chez la Comtesse pour lui parler, et vous en ressortez sans lui avoir rien dit ; vous appelez Dorante, puis vous lui tournez le dos. Marcher à grands pas, rester immobile, pâlir, rougir, fureur, tendresse, enrager, soupirer, la crise est violente, je souhaite qu'elle tourne à bien ; en vérité les discours de ce petit vilain-là, votre portrait joué, le rendez-vous manqué, tout cela devrait bien vous déterminer. Et vous serez assez lâche pour l'attendre ? La réponse est courte, mais elle est claire. C'est-à-dire qu'il joue de son reste. Et sans argent. Voilà les premières paroles de vérité qui soient sorties de sa bouche. Il a éteint la lumière. Hé ! Paix donc. Vous vous attendrissez ; mais souvenez-vous du conseil de Dorante. Voici le fait ; Mademoiselle veut bien que vous disposiez de sa personne, mais elle ne veut pas que vous puissiez disposer de son bien. Venez guérir la délicatesse de Monsieur. Par délicatesse d'amour, Monsieur veut ruiner sa maîtresse, et elle lui propose grossièrement une séparation de biens... C'est l'argent seul que Monsieur demande. **** *creator_dufresny *book_dufresny_chevalierjoueur *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_chevalierjoueur *dist2_dufresny_prose_comedy *id_FRONTIN *date_1697 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_frontin Bonsoir, Nérine, je vais me coucher. Je ne te dis pas cela. Il ne joue plus aussi, il ne fait que parier. Que m'importe ; en tous cas, s'il manque la jeune, le vieille ne le manquera pas ; elle fera bien, car mon maître sera quelque jour un riche parti. On se soucie bien de son patrimoine, quand on a des talents pour les grandes fortunes. De l'air déterminé dont il joue, il est homme à gagner cent mille écus en trois coups de dés ; cela s'appelle un grand parti ! À la vérité ton Dorante a plus de bien en fonds ; mais les biens en fonds ont des bornes, et le casuel d'un joueur n'en a point. Dorante est honnête homme ; mais mon maître est joli Vert et piquant, c'est ce qu'il faut pour réveiller le goût des femmes. En cas d'Amant, ce qui est à faire vaut mieux que ce qui est fait. Oh ! Mon Maître ne se pique point de ces niaiseries-là ; mais en récompense, c'est le plus ensorcelant petit scélérat, un tour de scélératesse si galant, que les femmes ont du plaisir à se laisser tromper par lui. Elle n'en reviendra qu'après les noces. Si mon maître la peut rattraper dans quelque moment déraisonnable ! Mais que nos Amants se brouillent ou qu'ils se raccommodent, ce sont des scènes qui me réjouissent et qui ne m'intéressent point du tout ; ma foi, nous sommes faits pour rire tout bas des folies de nos maîtres : nos maîtres sont faits pour nous payer et pour nous donner la Comédie. Le personnage qui me réjouit le plus céans, c'est la vieille Comtesse, elle croit cacher sa fragilité à l'abri de l'air sévère dont sa philosophie est ombragée ; elle nomme affection fraternelle son amour pour mon maître : et toi, quel beau nom donnes-tu aux services que tu rends à l'amour masqué de cette héroïne de vertu ? Les voici toutes deux, je fuis pour éviter la fatigue d'excuser mon maître. Mon maître monte à grands pas, nous allons voir une belle scène de raccommodement. Tant mieux, tant mieux, nous allons dormir tout le jour. C'est vous qui me le donnez. Le sommeil vous serait plus utile que... Ces louanges-là ne sont pas sincères. Il est neuf heures, Monsieur, et toutes les femmes réglées sortent du Lansquenet dès cinq heures du matin, pour s'aller coucher de bonne heure. Ce soupir signifie que votre bourse est à sec. Quoi ? Il ne vous reste pas la moindre pistole ? Vous allez donc être bien tendre ; car la tendresse vous vient à mesure que l'argent s'en va. Hé ! C'est parce qu'on lui aura dit des vôtres ; elle est sortie. Vous ne voulez point quitter le jeu que vous ne soyez marié ? Angélique ne veut point vous épouser que vous n'ayez quitté le jeu : voilà un mariage fort avancé. Non pas, que je sache. J'avais fait un tarif d'emprunt, où je taxais, comme amis, jusqu'aux connaissances de vue ; mais il y a longtemps qu'ils ont tous fourni ou refusé leur somme. Elle craint qu'en vous prêtant sans emploi, sa conscience n'y soit engagée ; elle vous prêterait pour payer vos créanciers. J'ai imaginé des dettes d'une espèce libertine, afin que n'osant les payer elle-même... Non, Monsieur, mais elle va rentrer ; attendez-la au passage, votre présence dissipera ses scrupules. Est-ce un de ces joueurs prudents qui ne donnent rien au hasard ? Hé ! Comment donc vous a-t-il abîmé. Les Lansquenets sont pleins de ces visages climatériques, dont l'aspect change l'ordre des cartes ; rien n'est plus certain. Si vous voulez lire un petit Ouvrage d'esprit... Qui court les rues, c'est sur la pauvreté ; je suis curieux de voir tout ce qui s'écrit sur la pauvreté ; car il me revient sans cesse dans l'idée, que nous mourrons tous deux sur un fumier. Trois coupe-gorge de suite. Il n'y a point de coupe-gorge là dedans. ... Diogène parlant du mépris des richesses, disait : De mille soins fâcheux la richesse est suivie ; Mais le philosophe indigent N'a qu'un seul soin dans la vie, C'est de chercher de l'argent. AUTRE sur le mépris de la mort. Tel Héros, que l'on vante tant, Mourut sans en avoir envie : Mais un brave Joueur perd volontiers la vie, Quand il a perdu son argent. Mais, Monsieur, au lieu de m'écouter vous méditez sur le portrait de votre maîtresse ; auriez-vous quelque remords d'avoir gardé si longtemps ce portrait, malgré tous les diamants qui l'environnent ? J'entends monter... C'est la Comtesse, commencez votre rôle ordinaire ; paraissez accablé, outré, hébété par le chagrin ; surtout, écoutez patiemment la mercuriale, songez que l'argent est au bout. Hé ! Madame, venez consoler mon maître, il est dans un accablement. Vous oubliez l'argent, c'est ce qui va au fond du gouffre. Je sais cela parce que mes gages y sont. Nous aimons vos remontrances pour le bon effet qu'elles produisent. C'est Angélique qui cause tous nos maux, nous voudrions bien nous en dépêtrer. Nous sommes fâchés d'être contraints à précipiter son mariage pour payer des dettes pressantes. Dois-je me taire, Madame, parce qu'il a du coeur, et qu'il crèverait plutôt que de vous découvrir ses besoins. Je me tairai, Madame, de peur de chagriner mon maître, je me contenterai de vous faire voir un mémoire instructif. Je le veux voir absolument. Nous craignons votre générosité. Voilà l'humeur de mon maître, il ne sait ce que c'est que d'emprunter ; cependant il a des créanciers qui le persécutent ; cela l'obligerait, comme je vous ai dit, à précipiter son mariage avec Angélique, dont il n'est presque plus amoureux ; il ne l'a jamais aimée que superficiellement. Entre nous, Madame, toute la solidité du coeur de ce jeune homme-là est pour vous, il le dit bien dans ses moments de prudence : je devrais, dit-il, me laisser entraîner au penchant vertueux que je me sens pour Madame la Comtesse. Tout au moins, madame, tout au moins ; oui, je crois qu'il reviendrait de son premier entêtement s'il avait le temps de se reconnaître ; or afin qu'il ait le temps de se reconnaître, mon avis serait que vous lui fissiez tenir adroitement l'argent nécessaire pour se reconnaître. Vous-même ; fi, ces dettes-là sont d'une espèce libertine, des dettes de garçons, une femme régulière ne doit point entrer dans un détail si déréglé. Lisons. Mémoire déréglé des dettes envenimées de Monsieur le Chevalier. Premièrement. À Monsieur Frontin, Moi... C'est moi. Pour gages, profits et deniers prêtés à mon Maître dans ses mauvais jours. 500 livres. Pour cet article-ci vous auriez raison de le payer par vos mains, de vous à moi sans détour ; aussi ma quittance est toute prête. Plus, quatre-vingt Louis d'or neufs pour une partie de paume ébauchée : vous ne sauriez l'achever vous-même, Madame ; il faut qu'il mette argent sous corde, mais il vous rendra cela sous la Galerie ; je lui sers de second, nous avons quatre jeux à un, quarante-cinq à rien, une chasse au pied, et notre bisque à prendre ; vous gagnerez à coup sûr. Plus, 200 livres à quatre-vingt treize Quidams pour nous avoir coiffé, chauffé, ganté, parfumé, rasé, médicamenté, voituré, porté, alimenté, désaltéré, etc. Une Dame prudente ne doit point paraître dans des payements qui concernent l'entretien d'un joli homme. Plus 600 livres pour des ratafias, eaux-de-vie, pitrepite, et autres liqueurs soldatesques que vous n'oseriez payer de peur d'être soupçonnée d'avoir aidé à la consommation d'icelles. Il y a encore un article ; parole donnée pour cent pistoles d'honneur à mademoiselle Mimi, Lingère du Palais : vous verrez que c'est pour ses appointements ; mais vous devez ignorer, et payer la pauvre fille incognito par mon ministère si vous voulez. Ne vous disais-je pas ? Donnez-moi deux mille livres, vous y gagnerez les deux tiers net. Ne viens point interrompre les affaires de Madame la Comtesse. Tais-toi. Oh ! Parle, parle. Encore une conjuration, car il me faut deux cent pistoles. Voici... Adieu tout votre bonheur, adieu ; car en allant jouer ces deux cents pistoles, vous perdez à coup sûr cinquante mille écus qui vous attendent ce soir. La réflexion opère... Courage, Monsieur, courage ; quelle gloire pour un Joueur converti de triompher l'argent à la main de la rage de l'aller perdre. Tant que vous aurez entre vos mains cet objet de tentation... Donnez. De le garder. Vous voilà guéri, votre poitrine joue de son reste. Pas encore qu'heu... Je me marierai qu'heu... quand j'aurai la goutte. La goutte et les poitrines au lait, font la moitié des mauvais ménages. On vous veut tenter ; Monsieur le Marquis au lait a fleuré la bourse. Mon Maître aime la pauvreté. Pour être spectateur tranquille laissez-moi cette bourse. C'est un spectacle où vous n'entrerez jamais sans payer. Et moi je vous promets que vous jouerez. Victoire ! Victoire ! Voici le jour heureux que la fortune nous devait : nous sommes riches à jamais. L'argent de Madame vous a porté bonheur, ne le méconnaissez pas. Je vous l'ai dit, Monsieur, c'est le mémoire. Monsieur. Ah ! C'est une faute de jugement. Prenons patience, Madame, quand la perte l'aura humilié, il nous traitera tous deux plus respectueusement. Voici la fille de votre Lingère et Madame Brusquan ; les Créanciers sont des animaux d'un instinct admirable, ils sentent l'argent d'une lieue loin. Je suis bien en peine, laquelle des deux sera plutôt payée ; l'une par brutalité, l'autre par douceur. Son faible est de ne payer ni l'une ni l'autre. Vous voyez qu'on gagne avec lui par la douceur. Que ne vous faites-vous dire aussi que vous embellissez tous les jours. Ma foi oui ; se marier, ne se point marier, à l'heure qu'il est, nous déciderions cela à croix ou pile. Monsieur a raison, j'aimerais mieux tromper la plus riche. Depuis un quart d'heure de prospérité, ressource méprisée ! Ami perdu ! Maîtresse oubliée. Monsieur, il serait pourtant bon de ménager Angélique, et de voir la situation de son esprit. Cependant vous devriez... Ah ! C'est quelque chose... lui dirai-je, que vous la verrez à sept, huit, neuf heures. Entre neuf et dix. À onze heures, aussi c'est bien tard. Et à minuit Angélique sera couchée. Monsieur. La fortune nous attend... courons... courons à la fortune... elle nous attend à l'Hôpital. Le jeu est un Pérou pour un homme qui a de la conduite. Vos deux mille Louis d'or sont partis ; mais en récompense il vous est revenu de la douceur d'esprit et de la morale. Vous avez perdu le portrait de votre maîtresse ? Vous joueriez l'Original s'il était garni de diamants. Il va regagner au plus vite, oui... c'est-à-dire perdre le petit Contrat unique. Ah ! Pauvre petit Contrat ! Vous m'aviez été promis pour mes salaires, peut-être qu'en ce moment mon contrat est facé. Madame... Ce n'est pas moi. Ce sont les vertus de son état. Ah ! Madame... c'est le jeu. Il fuyait le péril, lorsqu'un Marquis déterré s'est opiniâtré à le poursuivre les cartes à la main ; Laissez-moi, dit mon maître, on m'attend pour signer un contrat de mariage. Mauvaise excuse, dit le Marquis, mêlant malicieusement les cartes à nos yeux : au jeu comme en amour, l'objet triomphe des résolutions, vous le savez, Madame. Par exemple, si vous voyez mon maître à vos genoux, l'objet... je vais faire venir... l'objet. Si vous voyiez mon maître en l'état où il est, vous lui pardonneriez par pitié. C'est pour le coup, Madame, qu'il achève de rompre entièrement avec le jeu, c'était pour regagner votre portrait ; et mâsse sans plus a-t-il dit, car on m'attend, de sans plus en sans plus, le combat s'est échauffé ; mon maître affaibli par l'ennemi, est étendu sur son canapé sans pouls, sans mouvement... Ah Frontin ! S'est-il écrié, déchirant tendrement un jeu de cartes : va dire à l'adorable Angélique que je suis un misérable, un scélérat indigne. Ils ont machiné quelque chose contre mon maître, je voudrais bien voir comment il s'en tirera. Tout est perdu, Angélique vient d'entrer, elle aura entendu le poignard, allons Monsieur, il faut jouer ici de tête. Fort bien. Ah ! Que Angélique est heureuse d'être aimée si sincèrement ! Monsieur si vous alliez vous jeter à ses pieds. Ah Madame ! Vous avez bien fait de parler, il allait se désespérer : hé ! Monsieur, ne vous désespérez pas, attendez que j'aie été quérir de la lumière. Est-il mort, Mademoiselle ? Madame est dans le vrai de l'amour, c'est là où il fait bon. Il n'y a que moi qui vous demeure Monsieur ; et vous avez un valet affectionné qui vous suivra jusques sur le bord de la rivière, car je n'ai pas mérité comme vous de me noyer. **** *creator_dufresny *book_dufresny_chevalierjoueur *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_chevalierjoueur *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LEMARQUIS *date_1697 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lemarquis Qheu... Qheu... je viens de me mettre au lait à une de mes terres ; les veilles, qheu, les disputes, qheu, les jurements nous ruinent la poitrine, à nous autres Joueurs ; vous devriez aussi vous mettre au lait. Le lait est un grand remède, qheu, je m'en trouve fort bien, qheu ; mais je vous dis fort bien, qheu, q, fort bien, q, fort bien, q, fort bien. En arrivant j'apprends une grande nouvelle. Non, qheu... Ce n'est pas cela qheu... C'est votre mariage, je vous félicite... Cinquante mille écus, dit-on ?... Pour la beauté, ou pour l'argent, c'est toujours inclination. Je ne vois point d'établissement plus solide, que de ponter qu'heu... contre une certaine dupe qui taille chez la Baronne ; c'est un gros boeuf qu'heu... qu'heu.... riche et bête à l'avenant, il taille tant qu'il a de l'argent, et il a de l'argent tant qu'il veut. Il a pris la banque de la bassette pour se faire des amis : par politesse il oublie les cartes des Dames, et il paye les hommes deux fois pour éviter les querelles. Si vous étiez d'humeur à vous enrichir. C'est une tonne d'or que ce gros faquin-là, jamais Banquier n'a taillé plus libéralement ? Cela s'appelle n'être bon à rien qu'heu... bon à rien ; je vais donc courir les spectacles. Non qu'heu... non un spectacle bien plus magnifique. Quatre de nos plus gros acteurs vont commencer une représentation la plus éblouissante ; ils ont cavé chacun trois mille louis d'or, qu'heu ; je suis curieux de voir douze mille louis d'or sur un tapis ; cela ne se voit pas tous les jours. C'est prudemment fait, pour en avoir le plaisir il ne faut être que spectateur. Pour moi on me permet de perdre ma centaine, et je la risquerai... douze mille louis d'or... en or, d'or, d'or, en or, d'or. Voyez cela, Chevalier. Je le crois, vous êtes un homme sage, vous, et je vous empêcherai bien d'être tenté, je vous défends de manier la carte, vous êtes trop malheureux heu... Il ne faut point jouer heu... Allons, allons, je vous empêcherai bien, allons, allons. Ma poitrine ; qu'heu, ma poitrine ; la vie m'est plus chère que l'argent, qu'heu, qu'heu. Il y a huit jours que je n'ai pas dormi. Oh ! Vous êtes insatiable, qu'heu ; je vous gagne cinq cent pistoles sur votre parole, ne devez-vous pas être content. Non, Monsieur, qu'heu, je ne veux point vous pousser à bout. Hé morbleu ! Ne l'êtes-vous pas ruiné ? J'y ai fait tout de mon mieux, bon soir.