**** *creator_dufresny *book_dufresny_maladesansmaladie *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_maladesansmaladie *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LAMALADE *date_1699 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lamalade Ah ! Soutiens-moi un peu ma bonne, aide-moi à marcher toute seule. Tu sais que l'air du matin est un air cru, un air neuf, et que mes poumons sont usés. Effectivement cet air-là m'assomme ; il rend ma tête d'une pesanteur... Ah ! Quel fardeau qu'une tête ! Tu m'avais pourtant promis de la force pour ce printemps. Depuis ce déclin-là je dépéris à vue d'oeil ; je crois que je suis bien maigre ce matin ! Tu es sorcière, je crois, à force d'être savante ! Tu as deviné hier que je ferais des rêves cette nuit, et cela n'a pas manqué : j'ai songé que je voyais Valère de loin, que je voulais aller à lui, et que quelqu'un m'en empêchait ; cela me donnait des inquiétudes. Oh non : car mes inquiétudes n'ont pas duré, Valère est venu m'aborder, et quoique ce ne fut qu'en songe, sa conversation m'a charmée. En effet il a bien de l'esprit, qu'en dis-tu ? Cela te plairait-il ? Tu es si complaisante ! Cela est admirable ! Ascendant à part avoue que Valère a de bonnes qualités ; il me plaignait tant hier. Je suis persuadée qu'il est sincère. Valère n'est point railleur, il prend vraiment part à mes maux. Ah le voilà ! Je prends les choses mieux que toi ; Monsieur ne prétend pas que j'aie une santé robuste. Monsieur entend que je n'ai point de ces infirmités capitales. En effet, on peut être saine et malade. Non, Monsieur, non, je suis persuadée que vous n'êtes point de ces gens cruels, impitoyables, qui ne peuvent comprendre qu'on soit réellement malade. Que de bontés ! Que d'humanité pour un jeune homme ! Je vous l'avoue, Monsieur, je suis charmée des beaux sentiments... Je ne me sens pas grand besoin. Ah ! C'est l'inanition. Quel tort cela me va faire ! Excusez, Monsieur, si je vous quitte, il n'y a que la régularité du régime, qui me fait subsister, et il faut que je prenne certaines choses à certaines périodes ; si vous voulez revenir dans une heure... une heure n'est-ce pas, ma bonne, il me faudra bien une heure pour digérer mon café. J'aurai après cela mille choses à vous communiquer, quand je vous aurai conté tous mes maux, il me semble que je serai à moitié guérie. N'as-tu point revu Valère ? Je voulais me promener avec lui, je me sens une force, une santé, une vivacité... Qu'est-ce donc ? Il semble que tu sois fâchée de me voir si bien porter. Qui est cet homme-là ma bonne ? La raillerie est un peu forte, Monsieur ; il ne fallait pas venir de si loin pour m'offenser. Vous vous lasseriez de l'entendre gémir. D'affaire, Monsieur ? Je ne me mêle point de mes affaires. Ma pensée ! Vous croyez donc que j'ai la force de penser ? Les réflexions donnent la migraine. Mais, Monsieur, voilà une amie qui réfléchira, qui pensera, qui parlera d'affaire pour moi ; vous pouvez terminer avec elle, je vous laisse ensemble. Ah Valère, il faut que je vous fasse rire d'un tour plaisant, que j'ai joué à Lucinde. Elle a voulu me faire croire que j'étais très malade, et je l'étais effectivement, car j'ai senti là un brasier ; mais enfin elle me faisait encore plus malade, que je n'étais, pour m'empêcher de recevoir votre visite. J'ai connu cela ; car je suis pénétrante. J'ai feint un abattement et un assoupissement très profond, afin qu'elle me laissât seule : parce que j'ai à vous parler en particulier... Ah ! Ah ! Vous êtes là ma nièce ? N'étiez-vous point seule avec Monsieur ? Il me semble que vous rougissez ? Ma nièce, j'ai bien peur... J'ai peur, Monsieur, qu'elle ne vous dise du mal de mon amie, elle en dira bientôt de vous aussi ; elle hait tous ceux que j'aime. Elle vous hait ; Monsieur, je jurerais qu'elle vous hait ! Elle me hait bien moi qui suis sa tante. Non, non ; c'est un mauvais coeur, elle a une dureté pour moi. Elle veut sans cesse me persuader que je suis forte et robuste, afin que je ne me ménage point, que je meure, et qu'elle hérite de moi. Ce n'est point Lucinde ; mais n'a-t-elle pas raison, qui dit héritière, dit ennemie mortelle. Ne parlez point de son âme, c'est ce qu'elle a de plus beau, si vous saviez comme elle m'aime. J'en conviens, et pour vous contenter, j'ai même résolu de la mettre à certaines épreuves... Mais laissons cela pour le présent, j'ai à vous parler d'autre chose. Hé quoi, Monsieur ? Pourrais-je vous refuser quelque chose ? Remettons la chose à tantôt, car j'ai à vous entretenir de choses plus importantes. À tantôt, vous dis-je ; ce que j'ai en tête est plus pressé, car cela me tient là d'une force... Considérez que vous me causez des impatiences. L'impatience m'étouffe, me dessèche. Retirez-vous, ma nièce, c'est vous qui êtes cause que Monsieur ne m'écoute pas : si vous ne me laissez, point d'accommodement. Qu'on nous donne deux sièges. Monsieur, je n'ai pu encore vous entretenir en particulier, car mon amie ne m'abandonne point. Elle est un peu jalouse, elle craint que je ne vous aime plus qu'elle : croyez-vous qu'elle ait raison ? Que vous êtes bon, Monsieur, que vous êtes bon ! Mon mal consiste en toutes sortes de maux, à le bien prendre, car je ne puis dire que je ne souffre point ; premièrement je suis toujours dégoûtée, et avec cela je mange, je mange, je mange, je mange, et si je ne mange quasi de rien, car le plus souvent je ne sais ce que je mange. Tu m'as interrompue... Où en étais-je ? Oh ! Le dormir, c'est ce que je n'ai jamais connu, je ne dors que par insomnie, à force de n'avoir point dormi. On croirait quelquefois, que je m'endors après le dîner ; mais ce n'est pas un sommeil, que ce sommeil-là, car je m'endors comme si je m'évanouissais. J'admire votre attention, Monsieur, je voudrais bien savoir, si cette compassion vous est naturelle, ou si c'est que vous ayez pour moi... Oh tant, Monsieur, tant, tant ! Mais ce qui me fait le plus souffrir, c'est ce qui ne se comprend point ; car le plus souvent toutes les douleurs cessent, et si c'est encore pis. Je ne sens point de mal pour ainsi dire, et si je suis comme une troublée. Vous comprenez bien ? Pour vous rendre cela plus sensible, imaginez-vous que c'est comme si tout d'un coup... Je ne sais si je m'explique... Un gonflement, une touffeur. Fi, monsieur, c'est mon aversion que des femmes à vapeurs ; à mon égard, c'est une espèce de frémissement... d'horreur... là... des anéantissements... Non, non, vous n'y êtes pas. Il y a bien de la faiblesse, si vous voulez, mais il y a aussi de la force : ce sont des alternatives ; mon pouls va, va, va... puis il s'arrête ; je m'appesantis, et je m'évapore tout d'un coup ; je m'éteins, et petit à petit je me rallume ; je sens des glaçons qui descendent, et un feu, qui monte, monte, monte : vous voyez bien que tout cela est réel. Oh ! De tempérament, je n'en ai point, mais Lucinde m'en fait un par artifice ; et je ne me soutiens que par un petit sachet cordial, qu'elle m'a mis à l'endroit du coeur. L'effet de mon cordial est visible. J'ai voulu quelquefois ôter le sachet pour un moment, à mesure que je l'éloigne, je sens que mon coeur s'en va. Je n'ai pas mon cordial ! Ah je n'en puis plus ! Je me sens bien, Monsieur, je m'évanouis, mon lit, mon lit, je m'évanouis, les jambes me manquent, les jambes me manquent. Valère prendra mon parti, il a des amis en Normandie, et il leur écrit présentement. Ma nièce se joint à vous ? La petite effrontée. Moi ! Me transporter dans les hivers ? Me lever matin ? Ah ! Ciel ! Me tenir au vent d'une porte ! J'aimerais mieux perdre ma terre. Hé bien, que dis-tu de ma coquine de nièce ? Je suivrai tes conseils. C'est mon dessein. C'est à quoi j'aspire, je t'avais choisie pour cela... Je m'aperçus bien que cela te faisait peine ; et pour ne plus blesser ta délicatesse, j'ai changé de dessein. Je considère encore que pour toi, comme pour moi, le soin de gouverner des biens est un tourment, un supplice. Non, ma bonne, non, il m'est venu d'autres idées. Plus avantageuses pour toi ; car sans te charger ni d'embarras, ni de propriété, j'aurai soin de toi tant que je vivrai ; et quand je serai morte, nous n'aurons plus besoin de rien. Je suis déjà lasse de succession. Qu'en est malheureux d'avoir du bien ! Il faudrait une santé de fer pour y résister ; je veux chercher quelqu'un de toutes ces corvées-là, et comme ce quelqu'un ne peut être que l'une des deux personnes que j'aime le mieux au monde, je suis bien aise de vous consulter tous les deux là-dessus ; car j'ai deux partis à prendre, qui sont très différents : premièrement je puis me marier, ma bonne. Ou ne me pas marier, Monsieur. Pour gouverner mes biens, il faudrait un mari qui fût mon vrai ami ; n'est-ce pas ma bonne ? Si ce vrai ami ne veut point se marier, je donnerai tout à Lucinde ; n'est-ce pas, Monsieur ? Vous êtes donc tous deux du même avis, vous me conseillez d'attendre. Et moi je vous déclare que je veux me déterminer aujourd'hui d'une façon, ou d'une autre. Plus l'affaire est importante, et plus elle me pèse ; l'incertitude me cause une oppression, l'incertitude m'empêche de respirer. Hé, Monsieur, je ne saurais vivre sans respirer, c'est pourquoi conseillez-moi vite. Je vous laisse seul pour y penser, et si je ne trouve pas en vous un ami qui me conseille, comme il faut, je trouverai une amie qui acceptera tout mon bien. Allons, ma chère amie, allons. Que dites-vous donc là toutes deux ? Tu crains qu'il ne me conseille le mariage ; je vois ton intérêt. Je ne t'en aimerai pas moins. Tout cela ne me fait point peur ; c'est ma santé, qui doit décider de tout. Lisette, as-tu fait avertir ce Médecin. ? Je t'ai toujours trouvé fille de bon conseil. Oh bien entendu. N'est-il pas vrai ? C'est ce que je crains, Lisette : ce Médecin me fait bien languir, que ne vient-il donc ? Où est-il donc ? Je ne le vois point. Cela un Médecin ! Tu te moques. On me l'a bien dit, Monsieur, que vous étiez un Médecin tout différent des autres. Abrégez donc, Monsieur, et voyons si je puis me marier, ou non. Dépêchons, Monsieur, je vous prie. Ah ! Ne parlez pas. Ah la tête ! Je viens d'entendre une sonnette perçante, c'est cette sonnette du voisin, qui m'a fait un tintamarre dans le crâne, comme un coup de tonnerre ; la fatale sonnette ! Il faudra que je déloge pour cette sonnette-là. Je ne m'étonne plus, si ma tête est toujours toute prête à rompre. En effet, je sens quelquefois que je ne tiens à rien. Vous me faites trembler, Monsieur, car mon sang ne coule qu'à gros bouillons. Quoi, Monsieur, il ne me serait pas permis d'aimer un honnête homme ? Ah Valère ! Ah Monsieur ! Je suis bien plus malade que je ne pensais. Vous comprenez bien, Monsieur, que tout cela est très opposé au mariage. Qu'y a-t-il ? Vous ne dites mot. Enfin, Monsieur, ma destinée veut que je ne sois propre à rien dans le monde, qu'à prendre un parti que je vous dirai : Monsieur le Médecin entrez dans ma chambre, j'irai vous satisfaire dans un moment. Tout est décidé : Monsieur le Médecin, laissez-nous donc un moment. Je suis bien aise de vous tenir là tous deux ensemble, pour me débarrasser au plus vite la tête d'une dernière résolution, que j'avais prise dès tantôt ; car je me doutais bien que j'étais confisquée : je vous dirai donc que ma tendresse pour Monsieur, est toute fondée sur l'estime ; je ne l'épousais que pour l'enrichir, et l'attacher à moi ; mais je puis vous enrichir tous deux, et vous attacher à moi, en vous mariant ensemble. Je sais bien que vous ne vous entraînez guères, c'est pour cela que je veux vous marier ensemble ; car vous ne vous aimerez que pour l'amour de moi. Hay ! Je n'en puis plus ; je vous conjure de ne me pas faire parler davantage... Ah la gorge ! Ma voix est éteinte. Je le veux. Je le veux. Je le veux, je le veux, je le veux. Tu me fais parler, tu me contredis, tu m'obstines le sang, mon sang bouillonne, il se rompra quelque petite veine, et ce sera toi qui m'auras tuée. Je vous ferez la donation à vous deux. Qu'est-ce donc que tout ceci ? La perfide ! Elle disait que c'était ma nièce qui s'entendait avec Monsieur, et c'était elle-même ; que de tromperies ceci me fait apercevoir !... Vous me le disiez bien, Valère, elle ne m'aimait que par intérêt. Je suis charmée de votre procédé ! J'ouvre les yeux ma nièce, et je vois que c'est vous qui êtes ma vraie amie. C'est donc vous, Monsieur, qui me délivrez de tous mes ennemis ? Hé quoi Lisette ? Ha, ha mais vraiment... Si ma nièce et mon bien... n'est-ce pas Monsieur. Ne me faites donc pas languir ; je suis lasse d'être debout, mariez-vous vite, que je m'aille mettre au lit. **** *creator_dufresny *book_dufresny_maladesansmaladie *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_maladesansmaladie *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LUCINDE *date_1699 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lucinde J'allais à votre chambre, ma chère enfant ; j'allais vous donner avis de certaines choses qui se passent à votre préjudice ; car vos intérêts me sont chers... J'ai une attention continuelle à ce qui peut vous être utile. Plus vous avez d'aversion pour moi, plus j'ai envie de vous faire plaisir. Ce n'est point vertu chez moi d'aimer ceux qui me haïssent, c'est un faible que j'ai, je suis mon penchant. Ah je ne te voyais pas Lisette... Souffrez que je me mette l'esprit en repos ; votre tante eut hier un peu de fièvre, je voulais la veiller, elle s'y opposa, jugez quel tourment pour moi ! Quand on a le coeur sensible on souffre bien dans la vie : dis-moi, Lisette, comment mon amie a-t-elle passé la nuit ? Elle n'est pas bien depuis hier, je veux qu'elle se tienne au lit tout le jour. Tu plaisantes toujours ; mais dans le fond elle n'a pas tort de craindre. Sa constitution est si délicate... Toujours des traits piquants ! Mais je vous les pardonne en faveur de votre sincérité ; j'aime la sincérité jusques dans les injures. Vous me poussez vivement, mais je ne sais point me brouiller avec une amie au moment qu'elle a besoin de moi ; je puis vous être utile, vous pouvez m'offenser impunément, quand j'aurai tout fait pour vous, vous serez ingrate, si vous voulez. Empêcher votre ruine. Car enfin vous êtes héritière unique de votre tante, et je viens vous avertir que ce jeune homme qui la voit depuis peu, pourrait bien vous faire tort. Il est aimable, et votre tante est sensible. C'est bien assez vraiment ! Je vous le répète encore, votre tante est sensible, Valère est aimable, Valère vous déshéritera. Que voulez-vous dire ? Tu vois avec quelle honnêteté je lui parle, et comme elle me répond brutalement. Est-ce qu'elle soupçonnerait quelque chose, Lisette ? Ah ! Lisette, nous n'en sommes pas encore où nous pensons, et ce Valère m'alarme beaucoup. Hier elle devait me forcer, disait-elle, d'accepter une donation. Valère vint, elle ne me parla plus que de ses charmes. Il faut l'éloigner, Lisette, empêchons qu'elle ne le voie davantage. Pour lui ôter toute envie de recevoir visite, je suis d'avis de la faire ce matin plus malade qu'à l'ordinaire. Toi, si tu vois paraître ici Valère, dis-lui qu'elle ne sera pas visible d'aujourd'hui. Es-tu folle ma chère amie de te lever avant midi ? À quoi rêves-tu donc ? Tu t'émancipes trop, et je serai contrainte de t'abandonner, si tu ne veux point suivre mes règles. Il y a de plus dans l'air d'aujourd'hui certaine vapeur assommante. C'est ce que je te dis, tu es si faible, rentrons. Il est vrai : mais nous sommes en décours, et sur le déclin de la lune les malades déclinent. Tu n'es pas si grasse qu'hier au soir, et c'est la rechute que je t'avais prédite. Les inquiétudes de nuit sont dangereuses, je vais te faire prendre quelque chose pour cela, viens te recoucher. Tout ce qui te plaît ne saurait me déplaire, ton goût détermine le mien. C'est que ta destinée entraîne la mienne ; j'ai découvert depuis peu que je suis née sous ton étoile. C'est pour cela que tu es tant d'ascendant sur moi. Tu crois qu'il te plaint, il est vrai qu'il le dit, et c'est toujours une politique. La seule différence que je trouve entre ce jeune homme-ci et les autres, c'est qu'ils sont parvenus à certains degrés de sincérité, qui leur fait dire tout le mal qu'ils pensent des femmes, et que celui-ci les taille encore avec quelque finesse, quelque ménagement. Quand un Officier mal aisé s'attache à une riche malade, ce n'est pas pour partager ses maux ; et à te parler franchement je croirais bien que Valère... Elle va donc se recoucher. Plus de santé ! Ce mot est malin. C'est-à-dire que tes infirmités sont des visions. Qu'entends-je ? C'est midi qui sonne, et tu n'as encore rien pris d'aujourd'hui. Tu as plus de besoin, que tu ne penses ; te voilà toute embrasée, n'est-ce pas Lisette ? J'ai fait mon possible pour vous ménager un entretien avec elle ; mais il n'y a pas d'apparence pour aujourd'hui, car elle se porte très mal : il lui a pris une si grande faiblesse qu'elle ne peut ni remuer ni parler. Je te l'avoue, l'état où je te vois, me fait trembler ; rien n'est plus dangereux que ces verves de santé surnaturelle. C'est Monsieur le Marquis de Faussinville, dont je vous ai parlé. Cela s'appelle un paradoxe. Monsieur donnerait presque envie d'être malade. Vous voyez que j'avais raison de différer votre entrevue ; je voulais avoir le temps de la disposer en votre faveur. Je suis toute dévouée à vous. Je ne complimente point, je parle vrai, exactement vrai ; j'ai souhaité d'abord d'unir votre mérite à celui de mon amie. Je ne vois jamais que l'utilité d'autrui, je sais que vous êtes un parti pour mon amie ; sur ma parole, espérez tout. Vous ne devez pas douter un instant... Je vous le dis simplement, uniment, c'est un mariage conclu, fiez-vous à moi. Mon cher Monsieur, je ménagerai la chose en trois ou quatre jours. Que vous êtes défiant ! Donnez-moi vingt-quatre heures au moins. Je vais en parler à l'instant même : comptez sur mes soins. Il me paraît plus passionné qu'hier. Il pousse des soupirs. Comme il joue ce rôle-là, Lisette ! Hom, que je hais les fourbes ! Je ne puis confier mon dessein à personne, il faut que j'aille moi-même ; il me fâche pourtant d'être obligé de la quitter. Je commence à croire que la maladie l'emportera sur l'amour. Je crois qu'elle s'est endormie, car elle ne me rappelle point : je te laisse pour la garder à vue. Je t'expliquerai tout, suffit que je fais ta fortune. Rien que d'avantageux pour mon amie je me chargerai du soin de ses affaires. Je prends sur moi un procès qui la menace. Enfin j'empêcherai qu'on ne la pille. Prends garde à tout ; je reviendrai dans une heure. Voyons au plus vite si mon absence n'aura rien gâté. Que veut dire cet insolent ? Que voulez-vous dire, mon ami ? Votre pays est un fripon. Expliquez-vous. Je suis perdue ! Écoutez, Monsieur, mon cher Monsieur. À l'égard de ces signatures, vous vous êtes trompé ; mais la donation est un secret, qui m'est important. Je suis bien heureuse, que mon secret soit tombé entre les mains d'un homme, qui pourrait avoir besoin d'un millier d'écus, entre les mains d'un honnête garçon comme vous, d'un bon enfant. Il entendra aussi raison. Je n'ai point eu dessein de vous tromper. Ces louanges ne me conviennent pas ; mais enfin où en voulez-vous venir ? Je ne sais plus comment je dois prendre ces faux éloges ? Je commence à comprendre, Monsieur, que je dois vous ouvrir mon coeur. Mon amie m'a voulu donner des marques de son amitié, j'avoue que je suis dans le dessein de les accepter. Et n'engage point à reconnaissance. On n'aime guères à avoir obligation : je suis fait ainsi, tel que vous me vous voyez ; et je remarque tant de conformité entre vous et moi, que nous étions nés l'un pour l'autre. Vous ne voudriez pas me détruire ? On serait embarrassé à moins, et une pareille affaire.... Pour me déterminer sur le consentement ; que vous exigez de moi, il faudrait plus d'un jour ; mais nous n'avons pas un moment à perdre et il nous faut prendre de grandes mesures ensemble. Puisque nos intérêts sont à présent réunis, prenons des mesures si justes, que la donation ne nous manque point. Pour déterminer la Malade, il faut que vous la menaciez de chicanes, d'embarras, de persécutions. Elle vient ; feignons de... Oui, Monsieur, vous êtes le plus grand chicaneur, le plus malhonnête homme... Ah ma pauvre amie, je suis outrée de douleur ! Monsieur croit, parce qu'il peut te ruiner, qu'il est en droit de le faire sans miséricorde. Vouloir plaider une tante ! Il faut être bien dénaturée ? Tant qu'elle n'a voulu que me perdre, moi, je l'ai ménagée, mais c'est toi qu'elle attaque, je ne me possède plus ; je me déclare ouvertement contre elle, et je te conseille de te mettre à couvert de ses injustes prétentions. Si tu es sage, tu chargeras quelqu'un du fond de tes biens, de l'embarras, et des risques de la propriété. On te fera une bonne pension sûre et tranquille. Tu me fis hier des offres par amitié, je les refusai par délicatesse ; car enfin, recevoir d'une personne qu'on aime désintéressement, cela blesse, cela répugne. Tu es trop bonne, trop considérante. Je veux me sacrifier pour ton repos, je ne balance plus, j'accepte ta proposition. D'autres idées ? Te marier ! Où trouvera-t-on des maris, qui soient les vrais amis de leurs femmes ? Monsieur a raison, et je te conseille de suspendre un peu ta résolution. Monsieur parle en homme sage. Sans doute. Tu ne penses pas, que c'est pour la vie. Ah ! Lisette, quel contretemps ! Mon cher Monsieur, nos affaires vont mal. Je ne t'ai pas encore dit, Lisette, que je suis d'accord avec le Marquis, je t'expliquerai la chose, mais il est question à présent d'agir tous de concert. La Malade veut épouser certain jeune homme. Elle m'appelle : imaginez ensemble quelque expédient pour détourner ce mariage. Concertons-nous un peu en particulier : je ne sais comment m'y prendre pour détourner mon amie du mariage ; il faut que je lui sois devenue bien suspecte, car je lui parle de ses maux, et elle ne m'écoute plus. Je le crains encore, car c'est un Médecin de bonne foi qui lui dira naturellement qu'elle se porte bien, qu'elle peut se porter bien, et qu'elle peut se marier. Est-ce que tu l'as mis dans nos intérêts ? Explique-toi donc ? Hé bien ? Hé qui ? Fort bien : il faut donc que j'aille au plus vite signer la promesse de mariage, dont je suis convenue avec lui. Mais un valet soutiendra-t-il bien ce personnage ? La Malade vient ; jouons bien notre jeu. Je querelle Lisette, de vouloir introduire ici un charlatan que j'ai toujours défendu de voir Je ne m'en cache point, je me déclare ouvertement contre un mariage, qui romprait notre amitié. Quand on est marié, a-t-on le loisir d'avoir des amis ? Le mariage endurcit le coeur. Quoi je te verrais une physionomie de femme, un visage marié ! Tu as ta conservation en tête, je te suis suspecte, je te laisse en liberté. Puisque monsieur est de la consultation, j'en puis bien être aussi. Me marier avec Monsieur ! Non, ma bonne, non, je ne veux point me marier. Je n'écoute point tes propositions. Je n'épouserai jamais que toi. Non, te dis-je. Non, ma chère, non ; tu es en péril, je consens à tout : ah Lisette ! Aidez-moi à me résoudre ; Valère acceptera le parti, car il n'en veut qu'au bien. Je l'accepte aussi moi, ce mariage-ci est le plus sûr ; va vite amuser Faussinville, pendant que j'épouserai Valère. Ah ma bonne comme tu es cruelle ! Mais je m'aperçois que j'oublie tout pour toi jusqu'à la bienséance ; et sans savoir les sentiments de Monsieur, j'ai consenti à l'épouser. Ah Ciel ! Je suis perdue, je suis perdue. **** *creator_dufresny *book_dufresny_maladesansmaladie *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_maladesansmaladie *dist2_dufresny_prose_comedy *id_ANGELIQUE *date_1699 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_angelique Je conviens que je me suis fait haïr céans par ma sincérité ; mais que veux-tu ? Ma tante me doit tenir lieu de père et de mère. Je l'aime tendrement, et je ne puis souffrir, qu'une créature de rien, une scélérate lui affaiblisse l'esprit, pour s'en rendre maîtresse : tout ce que je puis faire à cela, c'est de parler ; je parle, Lisette, et je ne dis que des vérités. Je ne pourrai jamais dissimuler. Je dissimulerai donc, Lisette. Je t'entends. Je te promets tout cela ; et quand ma tante m'ôterait tout, j'aurai d'ailleurs quelque jour assez de bien pour t'en faire. Voilà un effort de vertu dont je ne serais pas capable. Elle serait plus robuste, si vous vouliez. De franches injures sont moins à craindre, que certaines caresses. Que voulez-vous donc faire pour moi ? Voyons ? Quel tort pourrait-il me faire auprès de ma tante ? Il n'est ni flatteur, ni intéressé. Est-ce là tout ce que vous avez à me dire ? Est-ce là tout ce qui se passe céans contre mes intérêts ? Si quelqu'un a dessein de me déshériter, ce n'est pas Valère. Je ne veux rien dire... C'est pour cela que je vous laisse. Hé bien, Valère, où en sommes-nous ? Avez-vous vu ma tante ce matin ? Comment donc ? Ne la voyez plus, Valère, ne la voyez plus. D'accord. N'importe. Ah ! Valère, voyez-la donc. Cela est vrai : ne la voyez plus absolument. Ah ! Lisette, peut-on aimer Valère à demi. Voyez-la donc, mais ne vous faites aimer qu'autant qu'il faut ; cachez une partie de votre mérite, et ne vous laissez regarder que le moins qu'il sera possible. Tu vois même que j'affecte de n'être jamais du sentiment de Valère. Je vais voir ce qui se passe là-dedans. Ayez soin d'avertir Valère de tout ceci ? J'accepte le secours que vous m'offrez, pourvu qu'il ne porte aucun préjudice à ma tante. Non, Monsieur, non. Ce n'est point là mon intention. Non, vous dis-je, je ne veux point. Mais pourvu que je sois contente... Je n'entends point les affaires, Monsieur ; mais si vous voulez que nous consultions un Avocat... Que dites-vous ? Vous épouser ? Quel homme ! Quelles propositions ! Quelle horreur ! Ah Valère ! Ce malheur m'ôte tout moyen d'être à vous. Je n'ai plus aucune ressource. Nous ne pouvons plus être l'un à l'autre, il n'y faut plus penser. Adieu, Valère. C'est ce qui nous a déterminés à venir trouver ma tante ; pendant qu'elle est seule, nous allons lui proposer un accommodement. Tu me l'as bien dit tantôt. Ah Valère ! Mais si elle lui parle d'amour ? J'arrivais. Non vraiment, Lisette était présente. De quoi ma tante ? Est-ce ma tante, qui parle ainsi ? Non, monsieur, non ce sont là les discours de Lucinde. En pourriez-vous douter ? Monsieur est de vos amis, je veux bien qu'il soit mon juge. Hé bien, Valère, dans quels sentiments avez-vous laisser ma Tante ? Qu'est-ce à dire ? Qu'y a-t-il de nouveau ? Ah Ciel ! Je savais bien que ma tante ne vous aimerait pas à demi. Elle veut épouser Valère ? Quel remède donc, Valère, Que je suis malheureuse ! Ma tante, je ne veux pas que vous soyez heureuse à demi ; on vous a délivrée d'une amie scélérate, je vais vous délivrer encore du plus malhonnête homme du monde. Non, non Monsieur, je veux prouver à ma tante le mépris que j'ai pour vous, et la tendresse que j'ai pour elle ; et afin que vous ne puissiez jamais la chicaner en mon nom, je lui cède tous mes droits sur la succession nouvelle ; oui ma tante, je veux bien dépendre entièrement de vos bontés, puisque Lucinde n'en empêchera plus l'effet. Ma tante vous a tant d'obligation, que je serais ingrate de ne vous pas attacher à elle par des liens solides. **** *creator_dufresny *book_dufresny_maladesansmaladie *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_maladesansmaladie *dist2_dufresny_prose_comedy *id_VALERE *date_1699 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_valere Je la vois debout. Je suis ravi, Madame, de vous voir plus de santé qu'on ne dit. Je vous crois plus de délicatesse que d'infirmité. Je n'oserai plus parler, si Mademoiselle continue d'être mon interprète. Je comprends que vous êtes réellement à plaindre. Il est vrai que je me suis engagé à détromper notre malade de sa fausse amie, et de sa fausse maladie ; mais, Lisette, je viens encore de m'apercevoir que l'estime qu'elle a pour moi devient un peu trop forte. Je ne veux point qu'elle s'entête de moi. Je ne l'ai que trop vue. Pardonnez, charmante Angélique, si je cesse d'exécuter vos intentions. La même tendresse, qui me faisait agir pour vous auprès de votre tante, me fait craindre d'en être trop aimé, et je me suis aperçu... Mais elle ne consentira jamais à notre mariage, si son estime pour moi se change en amour. En parlant ainsi, belle Angélique, vous flattez ma tendresse ; mais je n'ai point la vanité de me croire aimable : convenons donc que votre tante est d'humeur à se passionner aisément. Je croirais bien que c'est là le fond de son caractère, et je comprends que je puis encore faire quelque tentative dans la nécessité où je me vois de gagner sa confiance. Que m'apprends-tu, Lisette ? Angélique déshéritée ! Quelle désolation ! Non, Angélique, non, nous n'en serons pas moins unis. Ah ! Si vous m'aimez, vous partagerez avec moi tout ce que je possède au monde. J'ai peu de bien, mais enfin quand on s'aime... Il faut donc mourir. Il faut espérer, voyons ce que ce Marquis me dira. De grâce, Monsieur, arrêtez un moment, et parlez-moi juste : vous ne vous promenez qu'en fuyant, et ne répondez que par équivoques. Faites-vous la violence de prononcer un oui, ou un non. Encore un coup, dites-moi, si vous voulez faciliter un accommodement entre la tante et la nièce ? Car enfin un honnête homme doit se faire un plaisir d'empêcher un procès. Vous confondez deux choses très opposées ; la justice n'a en vue que la paix, et l'union ; le procès au contraire est la source des inimitiés, et de la haine. Fort bien : s'égorger à l'amiable ! Mais nous voilà encore dans les raisonnements vagues : répondez-moi juste : vous avez entre vos mains la clef de ces affaires-ci, refuserez-vous de donner les lumières, et les éclaircissements ?... Je vous entends, vous prétendez que celle des deux héritières, qui vous craindra le plus, vous épousera ; ce serait une union bien tendre ! Mais venons au fait, avez-vous quelque droit ? Un homme d'honneur n'a point droit de faire perdre celle qui a raison. Le pis qui peut arriver, c'est de gagner injustement. C'est donc pour disputer le terrain à ces héritières-ci, que vous voulez embrouiller leur succession ? Je ne blâme que les malhonnêtes gens, qui s'en servent pour s'approprier le bien d'autrui. Écoutez, Monsieur, je vous en avertis, si ceci tourne mal, vous aurez affaire à moi. Vous m'entendez je crois. Soyez homme droit, ou je ne vous réponds pas de ma patience. Dès aujourd'hui ? Je ne donne point d'assignation moi, mais on se rencontre. L'indigne Marquis que voilà ! Et le sort d'Angélique est entre les mains d'un tel scélérat ! Juste Ciel ! Ah Lisette ! Je suis outré d'indignation contre le plus grand maraud... Juge quelle peut être ma situation. Je vois ce que j'aime dépendre entièrement d'un... Elle m'avait pourtant dit de revenir dans une heure. Non vraiment. Je me retire. Nous avons vu sortir Lucinde. Oui, Lisette ; et cet accommodement entre les deux héritières rendrait inutiles tous les projets de ce maraud de Faussinville. Qu'y a-t-il de nouveau ? Quoi ! Les choses en sont déjà là ? Dis-moi, en quelle situation d'esprit est-elle à mon égard ? Mais Lisette ? Elle a trop de vertu pour haïr personne. On vous le persuade, Madame, mais pour peu que vous fassiez d'attention sur son procédé... En vérité, Madame, je ne puis plus me taire, je vois dans votre fausse amie une malignité, une noirceur d'âme... Mais si je vous prouve qu'elle ne vous aime que par intérêt ? Car enfin vous m'avez promis d'examiner sa conduite sans prévention. Volontiers ; mais avant cela j'ai une grâce à vous demander. C'est de vouloir bien écouter des positions d'accommodement, que votre nièce vient vous faire, et de vous réunir avec elle, pour rendre inutiles les projets que ce normand a fondés sur votre division. J'ai compris qu'il voudrait bien se joindre à l'une de vous pour plaider l'autre, c'est ce que je veux empêcher en vous accommodant. Je crois que vous avez quelque confiance en moi. Je veux être médiateur entre vous, et votre nièce. Me refuserez-vous cette marque d'amitié ? Çà voyons donc, de quoi il s'agit. Rien n'est plus important pour vous qu'un accommodement. Mais, Madame, considérez... Nous aurons bientôt terminé. Madame... Elle me va parler de son amour, comment détourner cette conversation-là ? Je suis ravi qu'elle soit absente, nous nous entretiendrons plus librement sur votre maladie ; j'ai une impatience extrême d'en apprendre les particularités. Expliquez-moi donc à loisir en quoi consiste votre mal. Ne perdons pas le fil de votre maladie : vous vous endormez, dites-vous, comme si vous vous évanouissiez. Et sentez-vous, quelque douleur ? Oui da oui. Une vapeur. Des faiblesses. Je comprends que rien n'est pareil à la délicatesse de votre tempérament. Quelle momerie ! Ce remède-là est aussi faux, que le Médecin qui vous le donne. Votre coeur devrait être déjà bien loin, car vous oubliâtes hier le cordial sur votre toilette. Vous voyez que l'imagination seule... Madame je viens d'écrire en Normandie pour quelque éclaircissement sur votre succession. Vous êtes libre. Quelque parti que vous preniez, il faut y penser à loisir. Le conseil de Mademoiselle est très prudent. Assurément. L'affaire est importante. Lisette. Je n'ai pas la force de vous en rendre compte. Je n'y en vois point. Quel conseil prendre ? Madame, je viens vous donner avis que... J'en suis très persuadé. Où tout ceci nous mènera-t-il. Sa perfidie est claire, lisez à votre tour Madame. Si vous le souhaitiez, et qu'elle y consentît... **** *creator_dufresny *book_dufresny_maladesansmaladie *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_maladesansmaladie *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LISETTE *date_1699 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Ce que je viens de vous apprendre, est fâcheux assurément, vous avez raison de vous en plaindre ; mais vous auriez tort de vous en étonner. Votre Tante veut vous déshériter pour enrichir Lucinde. Elle hait une nièce aimable, elle aime une étrangère, cela est naturel : car cette étrangère flatte ses visions. Vous voulez les guérir, vous ; et les malades d'esprit haïssent naturellement le Médecin. Dire à une fourbe qu'elle est fourbe, et à Madame votre tante qu'elle se porte bien, ce sont deux vérités aussi offensantes l'une que l'autre. Entre nous, Mademoiselle, vous ne laissez pas d'avoir quelque tort : car un peu de complaisance pour sa maladie et pour sa Lucinde, vous auraient mis en état de la guérir de l'une et de l'autre. On ne vient à bout de rien avec cette espèce de sincérité, qui montre toujours le côté du vrai : pour réussir dans le monde il faut une sincérité à deux envers. Ho ! Que n'avez-vous un peu de la trigauderie de Lucinde ! Elle vous haït par exemple beaucoup plus que vous ne la haïssez ; cependant, voyez comme elle vous caresse au moment qu'elle veut vous ruiner ! Gardez-vous bien au moins de lui rien témoigner de ce que vous savez. Tout serait perdu, vous dis-je, si elle s'apercevait que je vous avertis de ce qui se passe ; elle ne s'ouvrirait plus à moi, elle me cacherait ses manigances, et nous ne pourrions plus y remédier. Prenez-y garde, c'est votre intérêt. À propos d'intérêt, j'oublie le mien pour l'amour de vous ; car Lucinde en me confiant ses desseins m'a promis quelque argent comptant, et une petite pension. L'un et l'autre me sont nécessaires : de l'argent comptant pour me faire adorer de quelque joli homme, et une pension viagère pour l'empêcher de me faire mourir de chagrin, quand il sera mon mari. C'est-à-dire que mon mariage, et le vôtre sont hypothéqués sur la mort du riche cousin normand : apparemment nous ne serons pas longtemps filles, car il y a quatre-vingts ans, qu'il est garçon. Mais j'entends du bruit, Lucinde sort de sa chambre la scélérate va vous saluer à l'ordinaire par une enfilade de protestations flatteuses ; cachez aussi bien vos soupçons, qu'elle cache ses mauvais desseins ; elle vous fera la mine riante, souriez-lui de même ; que je voie là une de ces Scènes de Cour, dont les acteurs se montrent les dents si gracieusement, qu'on ne peut deviner lequel des deux va mordre l'autre. Assez doucement : elle a dormi d'abord huit ou neuf heures tout d'un somme, après quoi son insomnie lui a repris. C'est moi, qui aurais besoin de m'y mettre, car elle m'a fait veiller au chevet de son lit, pour la regarder dormir, afin de la réveiller, si elle mourait subitement. Sincérité est une vertu bien brutale... Je me sais bon gré d'être un peu fourbe. Elle a des soupçons en général ; il y a une heure que je tâche de la rassurer. Je la trouve admirable après tout, de se mettre en tête qu'elle doit hériter de sa tante, parce qu'est est son héritière ; car une bonne amie est plus proche qu'une nièce. Non, la malade ne saurait trop faire pour vous ! Quel attachement n'avez-vous point eu pour elle ? Vous avez sacrifié votre jeunesse, l'âge nubile ; et l'âge nubile est le patrimoine des filles qui n'en ont point. Mais ce qui rend vos prétentions très légitimes, c'est la récompense que vous m'avez promise. Effectivement depuis que votre amie le voit, elle a certains désirs de guérison : il est à craindre pour vous que l'envie de se marier ne l'emporte sur le plaisir d'être malade. Peste soit des charmes ! Hom, le vilain homme que ce joli homme ! Je lui dirai que nous prenons tous médecine. L'amour la tient, nous sommes perdues. Bon, bon, je vais avertir Valère de venir fortifier cet amour-là, c'est toute notre ressource. Non, vous dis-je, non, vous n'entrerez point, Madame est très mal, elle ne se lèvera point d'aujourd'hui. Oui : elle a de l'ardeur dans les yeux. Qu'est-ce donc, Monsieur, vous ne dites mot ? Vous ne fortifiez point la malade contre l'inanition ? Vous souffrez qu'on vous l'enlève, quand elle commence à avoir du goût pour vous ? Est-ce là comme vous exécutez le projet que nous avons fait avec Angélique ? Hé ! Tant mieux, mort de ma vie, tant mieux ! Vous en serez plus à portée de lui faire ouvrir les yeux. Il n'y a que vous qui puissiez vous faire écouter, personne n'ose plus lui parler que Lucinde ; vous voyez comme elle est entêtée ; tâchez qu'elle s'entête de vous, car chez les femmes un entêtement ne se guérit que par un autre. Et ce scrupule vous empêchera de rendre service à Angélique ! Mais elle paraît, vos scrupules ne tiendront pas contre elle. Lucinde va triompher. Vous serez déshéritée. Et plus de mariage pour vous. Vous me faites rire avec vos alarmes ! Quoi ! Vous croyez qu'elle puisse aimer, là... vraiment aimer ? Non, non, je la connais mieux que vous. Elle n'est visionnaire que pour s'être toujours trop aimée elle-même, et quand on s'est accoutumé à n'aimer que soi, on devient incapable d'aimer les autres. D'ailleurs son tempérament est si fort affaibli par les remèdes, qu'elle n'est capable que d'un demi amour. Je conviens qu'elle est vive, et veut ce qu'elle veut dans le moment qu'elle le veut ; mais elle n'aura jamais de passion suivie. Ce ne sont que des saillies de caprice qui retombent toujours dans sa manie principale, et vous aimant aujourd'hui à la fureur, persuadez-lui que l'amour donne la fièvre, elle vous troquera demain contre le quinquina. En voilà assez de dit, séparez-vous ; il serait dangereux qu'on vous vît trop ensemble. Songez toujours au moins, quand vous vous rencontrerez en leur présence, à ne vous point trop regarder ; méfiez-vous de vos yeux. Trop de complaisance prouverait que vous êtes amants ; il ne faut pas aussi trop vous contredire, on croirait que vous seriez déjà mariés. Çà, allez m'attendre à votre chambre vous : et vous, entrez dans le Jardin ; je vais voir ce qui se passe là-dedans. Les pauvres enfants ! Je ne les sépare qu'à contrecoeur, et je les unirais dès demain s'ils avaient assez de bien pour se marier malgré la tante. À qui en veut ce pleureux-ci ? Vous me donnez plutôt envie de pleurer. Pourquoi pleurez-vous donc, Monsieur le courrier ? Le vieux cousin est mort ? Vivat. Bon ! C'était un animal qui ne voulait point voir ses héritières de peur que cela ne le fît souvenir de mourir. Il ne leur a jamais rien donné, et sa mort est le premier bien qu'il leur ait fait de sa vie. Hé ! Dites-moi un peu, étiez-vous son domestique ? Si vous les savez, dites-les-moi de grâce. J'ai de la vénération moi pour les dernières paroles des morts. Les belles dernières paroles ! Est-ce tout ? Votre maître est donc là-dedans ? Allons vite avertir Angélique. Monsieur je vous rejoindrai dans un instant. Il s'appelle le Marquis... le Marquis de... de Faussinville ; il est là avec Lucinde : je n'ai pu m'introduire dans leur conférence ; mais Lucinde a beau négocier avec lui, on ne saurait vous ôter cinquante mille écus, dont vous héritez pour votre moitié. Voilà de quoi terminer votre mariage avec Valère, et le mien avec qui il me plaira, car j'aurai de l'argent. À propos c'est assez pleurer, Mademoiselle, car la succession est grosse : pleurer une mort qui vous fera vivre avec votre amant ? Il faut avoir bien du naturel. Oui, oui, mais voici le valet normand, je vais le questionner. Bon jour Monsieur le courrier. À mon égard, je n'ai point soif en vous voyant. La déclaration est brusque : vous proposez un mariage, comme une partie de plaisir. Le vent de Normandie est un vent froid. Je ne me marie point de ce vent-là, cherchez fortune ailleurs. Quoi ! L'on trouve en la seule personne de ce Seigneur un Marquis et un Praticien ? La bigarrure est nouvelle ! De grâce, Monsieur le plaideur né, quelles affaires votre maître a-t-il avec Lucinde ? Quels vieux parchemins lui montre-t-il là ? Un testament qui donne... Quelle injustice ! Mais je ne puis ajouter foi à cela. Sachons de lui ce qui en est. Votre union dépend plus que jamais du caprice de votre tante ; et votre tante... Ce tout-là, est peu de chose. Elle n'a plus rien ; et peu avec rien, font un établissement fort triste. J'ai vu des ménages, où l'argent tient lieu d'amour, mais je n'en vois point où l'amour tienne lieu d'argent. Cela vaudrait bien un mariage indigent, oui ; mais avant que de mourir, travaillons à négocier un accommodement : ne paraissez point là vous, car la sincérité n'est pas propre pour les négociations. Vous, Monsieur, pour vous instruire à fond des choses, faites l'office d'ami de la famille, et tâchez de tirer quelque éclaircissement du Marquis, le voilà dans le jardin, abordez-le, faites-le parler ; moi je ferai parler Lucinde. Lucinde écoute. Hem. Doucement, Monsieur, doucement, Vous prenez trop à coeur les intérêts de notre malade. Quels transports pour une succession ! Ça, Monsieur, je viens vous prier de remettre votre visite à demain. Elle avait oublié que c'est aujourd'hui son jour de migraine ; voulez-vous la déranger ? À demain donc, Monsieur, à demain. Ne vous éloignez pas. Malepeste, comme nos jeunes Officiers prennent feu pour les grosses héritières. C'est qu'il est venu cent mille écus. Il soupire à proportion de la somme. Ils sont acteurs ces amants de Cour. Je ne les hais pas tous moi, car j'ai de l'amour-propre. Ça nous voilà débarrassés de notre importun : vous avez affaire en ville, m'avez-vous dit, vous pouvez sortir en sûreté. Vous l'avez mise en état de ne penser qu'à elle, votre manoeuvre vient de l'affaiblir jusqu'à extinction de chaleur naturelle ; vos paroles lui ont fait comme une saignée. Bon son amour n'est qu'une bluette, qui disparaît, quand elle envisage la conservation de sa chère personne. Le premier plaisir, c'est celui de conserver sa vie. Mais dites-moi un peu le dessein qui vous fait sortir ? Je m'en doute bien : vous allez profiter de la faiblesse de la Malade ; elle n'a pas la force d'hériter, vous voulez hériter pour elle ? Faites-moi donc la confidence entière. Mais encore que faites-vous pour la vôtre ? Quelle bonté ! C'est dans l'occasion qu'on connaît les vrais amis. Quand elle vous aura tout donné, elle sera à couvert de pillage. Allez vite faire mettre sa bonne volonté sur un parchemin bien fort, afin que la postérité sache que c'est une belle chose que l'amitié. Je ne puis plus en douter, la donation est prête à éclore ; elle va chez le Notaire, allons avertir nos amants. Vous venez tout à propos. Je suis de votre avis ; mais il faut aller au plus pressé. Lucinde n'est sortie que pour la donation. Afin qu'elles n'aillent pas plus loin, allez vite vous emparer de la Malade, et ne la quittez plus que vous ne l'ayez mise à la raison. Hé mais, elle voulait être assez vigoureuse pour faire une promenade avec vous, mais Lucinde vient de mettre son imagination à l'agonie. Elle a enveloppé une pincée de poivre blanc dans une cerise confite, et lui a fait avaler le brûlot. Notre visionnaire a senti la chaleur qu'elle a prise pour une inflammation de poitrine, on l'a menacé de la fièvre, la peur lui a donné le frisson, elle s'est emmitouflée dans son maillot d'hermine, et s'est retranchée là contre les vents coulis : mais l'amour est plus subtil que les vents coulis, elle a soupiré à votre intention. Allez vous promener vous, avec votre jalousie. Et vous, allez vite, allez vous faire aimer ; vous ne parlez point, et vous ne voulez pas le faire partir ? Qu'il lui parle de ses maux. Elle prendra le change, et vous contera à coup sûr le roman de sa maladie. Elle prendra plus de plaisir à vous parler de sa maladie, que de soin amour. C'est de colère contre ce Faussinville, dont nous parlions. C'est ce que les Médecins appellent intempérie ; moi j'appelle cela intempérance. Vous mangez, mangez, mangez, et après le manger, c'est le dormir. Allez vite interrompre son évanouissement, servez-lui de cordial, et tâchons de mettre à profit l'absence de Lucinde. Monsieur. Votre tante veut que Valère soit votre oncle. Jugez si elle pourra consentir, qu'il ne soit que son neveu. Elle veut lui donner son bien, et sa personne ; c'est trop d'un article n'est-ce pas ? Et si il la refuse, elle donnera tout à Lucinde. Ni moi non plus ; mais Lucinde en trouvera bien, elle, et travaillera pour nous, en croyant travailler pour elle. Elle revient, retirez-vous. J'ai autant d'intérêt que vous autres : rompre ce maudit mariage. Il me vient une idée... Seriez-vous assez habile... Pour exécuter... Suivez-moi, je vais vous instruire. Ses maux occupent pourtant la première place dans son imagination, Valère n'y tient que la seconde ; vous voyez qu'elle est résolue de consulter pour son mariage cet habile Médecin, qu'elle a tant souhaité de voir, et que vous craignez tant qu'elle ne vît. Il lui dira tout le contraire. Vous n'êtes pas au fait. On ne connaît céans que la réputation de ce Médecin, car on ne l'a point vu. Je substitue à sa place... Le valet de votre nouvel associé, le valet de Faussinville. Oui, oui, allez ; j'attends ici notre fameux Médecin. Je viens de le faire travestir, et de l'instruire ; il va paraître en habit décent. Diantre ! Celui-ci est un esprit universel ; il a de l'étude et de l'ignorance, de la politesse et de l'effronterie ; il est babillard, historien, nouvelliste, médisant, il sait tout hors la médecine, et c'est ce qui met un Médecin en vogue parmi les Dames. Rien n'est plus opposé à l'union que le mariage. Le mariage empoisonne l'humeur, aigrit le sang, fait murmurer, gronder, bouder, hargner, pointiller, picoter, quereller : les approches du mariage ont déjà plombé votre teint, obscurci votre physionomie... Je me suis déchaînée contre le mariage en sa présence, car elle m'a pensé chasser vingt fois, parce que je n'entrais pas dans ses vues intéressées ; elle a bien peur qu'un mari ne prenne sa place auprès de vous : franchement, je vous conseille moi d'épouser Valère. Épousez-le dès aujourd'hui, si votre santé vous le permet da. Valère est si aimable ! On dira peut-être que plus il est aimable, plus il sera sensible à votre santé. Je crois que le voici ; c'est lui-même. Le voilà qui entre. Ce n'est pas un Médecin de robe ; c'est un Médecin d'épée. Ah ! Chut. Dans un repos oisif. Une inaction d'âme. Les jeunes Médecins sont curieux ! En voilà bien d'une autre ; tout est perdu. Vous voilà réunies ; quelle douleur pour Monsieur, le testament reste inutile entre ses mains ! Par ma foi, il me vient une bonne pensée. Pour engager un si bon ami à se charger de la fatigue de vos affaires, faites une forte alliance avec lui ; vous vouliez lui donner votre fausse amie, donnez-lui votre véritable. Si vous êtes sûre de leur attachement pour vous. N'est-ce pas Mademoiselle ? Allons, soyez récompensés ; les scélérats sont punis et nous guérirons la Malade. **** *creator_dufresny *book_dufresny_maladesansmaladie *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresny_prose_comedy_maladesansmaladie *dist2_dufresny_prose_comedy *id_LAVALEE *date_1699 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lavalee Hon, hon. Réjouissez-vous, hon réjouissez-vous ; réjouissez-vous. Réjouissez-vous, vous dis-je, riez, sautez, dansez. Je viens en poste de cent lieues d'ici pour vous exciter à la joie. C'est que la nouvelle que j'apporte est une nouvelle triste, et pourtant réjouissante : elle est triste pour le défunt que je pleure, et réjouissante pour certaine cousine, qui hérite de cent mille écus. C'est assez pleurer dans le fond, car ce n'est presque pas une mort que cette mort-là ; et on ne peut pas dire que le défunt ait perdu la vie, car on n'a plus de vie à perdre à quatre-vingt-quinze ans. Non, j'appartiens à Monsieur le Marquis de Faussinville son intime ami, l'unique confidente de ses épargnes, et le dépositaire de ses dernières paroles. Celles-ci sont pathétiques, les voici. Je laisse, dit-il, en rouvrant ses yeux morts pour voir encore ses contrats, je laisse cent mille écus en fonds de terre. Je crois qu'oui, mais mon maître sait le détail de tout cela. Il est venu pleurer avec l'héritière, et moi je voudrais bien rire avec la suivante. Vraiment oui. On l'a fait parler à une certaine Lucinde. Je vous attends, car j'ai des affaires importantes à vous communiquer. Cette maison me paraît d'une architecture régulière ; voyons si l'architecte a bien placé la cuisine. Bonjour la charmante. Pour vous avoir vu tantôt un moment je me suis senti un désir pressant d'aller boire : l'ardeur de vos beaux yeux m'avait causé une altération prodigieuse. Trêve de galanteries. La réputation d'une Lisette mariable a volé jusqu'au pays normand, et je brûle d'impatience de faire mes offres : car mon maître et moi sommes venus en poste pour contracter plus vite. Ceci doit se traiter comme alliance financière, une règle d'arithmétique suffit pour assortir les coeurs. Mon maître fait de riches propositions à l'héritière, il a en poche de quoi l'épouser papiers sur table, et moi je vous fais l'amour à l'appui de la succession. Le bon vent de cette aubaine m'amène du fond de la Normandie pour vous prendre à femme. Qu'appelez-vous chercher fortune ? C'est nous qui venons faire la vôtre. Premièrement mon maître est un homme de qualité qui sait les affaires ; il n'y a que ceux-là qui fassent de bonnes maisons. Très ancienne, Madame, très ancienne. J'ai lu que les Marquis Romains savaient plaider et combattre. L'Histoire Romaine en fait foi ; et l'Histoire Normande assure que Robert le Roux était brave soldat, grand Capitaine, et faisait ses écritures lui-même ; et moi qui ne suis que le maître clerc de Monsieur le Marquis, je plaide de naissance. Mon père plaidait, mes enfants plaideront, et ma mère qui n'était qu'une femme plaidait aussi. Je voudrais que vous eussiez ouï un plaidoyer de ma mère : c'était les plus belles invectives ! Je ne sais : mais il est porteur et dépositaire d'un testament, par lequel le cousin défunt donne tous ses biens à une cousine malade. Tout, à la cousine malade ; et tien à la cousine qui se porte bien. Vous êtes bien curieuse, et bien peu tendre de me quitter ainsi Si cette fille-ci m'épouse, ce sera plus par curiosité que par amour. Ha voici mon maître. Hé bien, Monsieur vous venez d'avoir une ample conversation avec cette Lucinde ; vous promet-elle merveilles ? Hé vous a-t-elle donné parole ? Vous fondez sur ce que vous tenez dans vos mains. Vous avez bien eu de la peine à faire écrire votre pauvre ami mourant. Ça, Monsieur, afin que je puisse vous seconder dans vos desseins, voyons si je suis au fait ; car intrigue normande est une énigme obscure. Voici ce que j'ai compris : nous venons ici pour ménager une tante et une nièce ; cette nièce-ci hériterait naturellement du défunt ; mais sa tante en hérite par le testament que vous avez manigancé, et dont vous êtes nanti : enfin en le supprimant, ou en le produisant, vous faites hériter ou la tante ou la nièce. En un mot vous pouvez faire la fortune de celle qui voudra bien faire la vôtre. Il faut que vous épousiez cette terre-là ; elle est considérable. Elle vaut douze mille livres de rente. Elle a de beaux droits Seigneuriaux. Cela est beau ! Abîmer avec justice ! Et vous avez ces titres-là ? Vous êtes donc résolu d'épouser cette originale de tante ? Dans le fond, une épouse malade a son mérite ; c'est le trop de santé qui rend les femmes inquiètes ; une femme infirme, qui garde la chambre, est plus fidèle qu'une autre. J'ai exécuté vos ordres, Monsieur, et pour ménager un entretien secret avec Angélique, j'ai courtoisé, flatté, normanisé la Lisette. Mais c'est une fille incorruptible. Je n'ai rien épargné pour la réduire ; mais elle ne veut point se contenter de belles promesses, et nous n'avons apporté que cela du pays. Monsieur. J'entends : on ne saurait faire fond sur la folle, et l'autre a trop d'esprit pour faire fond sur nous. De compassion ! L'air de Paris vous aurait-il déjà attendri l'âme ? Votre générosité me ferait trembler ; si nous n'étions pas normands ; mais nous nous sauverons par le faux-fuyant. Et le faux-fuyant ? Oui, Monsieur. Je l'attends au faux-fuyant ; il va lui proposer quelque avantage pour elle, qui sera lucratif pour nous... Il veut en tirer beaucoup, car il la caresse excessivement. Ha ! Le faux-fuyant sera dans la forme. Une procuration ? Une cession ? Pour donner un intérêt personnel... Pour entrer en cause. Nous vous ferons Dame de vingt Paroisses ; vous aurez fiefs à foison, haute, basse et moyenne justice ; redevances, mouvances, quints et requints, chapons, fois et hommages ; un Seigneur enfin jeune, et bien fait, avec qui vous serez Marquise que rien n'y manquera. Il, faut anéantir ce maudit papier-là ; mettons-y le feu avec le flambeau de l'hymen. Quelle tromperie ! Quelle trahison ! Cette Lucinde est une grande scélérate !... Ah vous voilà ! Je ne sais si vous m'avez entendu ; mais dans la colère, où je suis, je recommencerai, si vous voulez. Tromper Monsieur le Marquis de Faussinville, qui est la simplicité même, qui se fie à vous avec une cordialité, une ingénuité ! Voici le fait : en buvant avec un maître Clerc de mon pays (entre nous autres Normands, nous nous confions nos secrets, et ceux d'autrui même,) il m'a montré certain projet de donation. Ciel ! Me suis-je écrié, pendant qu'on nous promet ?... Quoi mon pays, m'a-t-il dit ; cette Lucinde vous promet ? Oui vraiment, mon pays : elle vous trompera mon pays ; mais sa parole, mon pays ? Elle est de notre pays, mon pays. Ce n'est pas tout encore. Il m'a découvert certaines manigances... Ce n'est rien : ce sont de petites finesses innocentes, dont vous vous servez pour tirer de l'argent de votre amie, sans qu'elle en ait la tête rompue ; avec certaines signatures... Vous avez reçu pour vous, ce que vous deviez recevoir pour elle. Or moi, qui suis connaisseur en écriture, j'ai vérifié que ces signatures de votre main ne sont pas tout à fait fausses, si vous voulez, pas aussi tout à fait vraies, ce sont des signatures vraisemblables. Hé bien, ma chère damoiselle ? Je suis bon moi ; mais mon maître ne vaut rien, ne vaut rien fâché, du moins. Non, vous dis-je, non. Il est dans une fureur, dans une rage... il va venir céans crier, tempêter, se venger. Je l'aperçois, il fulmine, il jette feu et flamme. Du bon côté, Mademoiselle, du bon côté. Mon maître vous loue selon nos maximes. Vous êtes bien difficile à émouvoir. Sans doute, mais un coeur noble répugne à recevoir : prendre subtilement fait plus de plaisir. Voilà le mot. Vous, mon maître, et la donation, vous êtes tous trois nés l'un pour l'autre. Et peut-être l'un et l'autre. Une honnête fille, et un Normand ne disent oui que le plus tard qu'ils peuvent ; mais Madame est trop politique pour vous refuser. Touchez-là, Monsieur, je vous donne sa foi. C'est un chef-d'oeuvre de composition ! Je crois que cet ouvrage d'esprit sera de votre goût. Vous écrirez modestement votre nom au bas de cette promesse, et vous serez presque mariés. Je vous attends chez le Notaire. Mon maître vous attend pour signer le duplicata ; il s'impatiente. Hé comment cela ? Quel mariage donc ? Ah Ciel ! Il la guérira de l'envie de vous donner son bien : adieu le fondement de notre société. J'imaginerai tout, pourvu que Lisette m'échauffe l'imagination par l'espérance. Pour peu que vous m'animiez, vous dis-je ? Je suis homme d'exécution. C'est la dernière mode, Madame, et toutes les femmes, qui sont curieuses de leur santé, ont banni les Médecins noirs ; elles aiment mieux les Médecins de couleur : en effet ils sont enjoués, galants, badins, traitent la médecine cavalièrement. Rien n'est plus opposé que ma méthode, et la leur ; car j'allonge la vie en abrégeant la maladie, les remèdes, et les consultations. Mon intérêt serait de vous conseiller le mariage sur l'étiquette ; car le mariage produit le chagrin, le chagrin fait de la bile, la bile nourrit les maladies, et les maladies nourrissent le Médecin. Je déciderai, Madame, quand je vous aurai fait seulement trente ou quarante questions sublimes ; car je dédaigne le terre à terre de la Faculté. Ah ! Est-ce une mort subite ! Un peu de mon eau... Je n'ai plus de question à vous faire, Madame, et cette faiblesse de tête me fait connaître à fonds la fragilité de votre constitution ; j'ai tant vu de ces cerveaux à sonnettes : oui, Madame, Sans vous étudier davantage, je lis dans votre tête à crâne ouvert, et j'y vois des membranes d'une délicatesse... les fibres de votre cerveau ne sont pas plus gros que des cheveux. Je conclus de là que les ressorts, qui composent le reste de la machine, ne tiennent ensemble que par des filaments, dont la contexture est si fine, si fine... Vous avez de petites veines si déliées, si fragiles, que le moindre bouillonnement est capable de les faire crever. Il faut le calmer, Madame, et sur ce pied-là les moindres passions vous sont mortelles. Non : l'amour est de l'arsenic pour vous. La moindre agitation passionnée achèverait de briser les ressorts... Pour guérir, il faut vous ensevelir dans une tranquillité paresseuse. Je vous ordonne un engourdissement de passion. Une inquiétude indolente. Voyons encore, s'il n'y aurait point dans le pouls de Madame, quelque ressource pour le mariage : ah Ciel ! Hon ! Je calcule que vous n'avez de la vie, que ce qu'il vous en faut tout juste : non, Monsieur, si elle donnait la vie à un enfant pas plus gros que le poing, il ne lui en resterait plus pour elle. Quel mystère est ceci ? Il se va passer là quelque chose qui pourrait être contre les intérêts de mon Maître ; allons vite l'avertir.