**** *creator_dufresny *book_dufresny_malassortis *style_verse *genre_comedy *dist1_dufresny_verse_comedy_malassortis *dist2_dufresny_verse_comedy *id_ARLEQUIN *date_1693 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin La sotte coutume, madame, la sotte coutume ! Quoi ! Quand un gouverneur prend possession de cette île ; il est obligé de se marier ? Ma foi, c'est acheter trop cher un gouvernement. Mais, comment voulez-vous que je choisisse ? Je n'en connais encore aucune. Est-ce que vous avez ici, comme à Paris, de ces rues marchandes, où l'on trouve des filles en magasin ? Et dans votre pépinière, les filles sont-elles toutes greffées ? Hon, tous les arbres qu'on greffe ne reprennent pas, et la sagesse d'une fille est semblable à ces petites branches mal nourries qu'on veut enter sur un arbre trop fort, le plus souvent la sève les étouffe. Mais, dites-moi un peu ce qui a donné lieu à la coutume dont il s'agit, et quel intérêt vous avez que les gouverneurs se marient ? Qu'est-ce que ce droit des mal-assortis ? Oh, je jugerai toujours à propos de démarier les mal-assortis ; car j'en sais les conséquences. Mais deux choses m'embarrassent en ceci. La première, pourquoi en faveur d'un si beau droit votre île n'est pas plus peuplée ? La seconde difficulté que je trouve, c'est que tout le temps de mon gouvernement ne suffira pas, si je suis obligé d'écouter ceux qui sont mal mariés. Mais à propos ; je viens de m'aviser, que sans aller choisir dans votre pépinière, je me contenterais... La témérité de ce voeu-là est écrite dans vos yeux. Que voulez-vous dire par là ? Avez-vous de beaux enfants, bien conditionnés ? C'est un grand avantage. Est-ce un gros douaire ? Ouais ! Quel est donc ce grand avantage que le mariage le plus heureux attire après lui ? Ma foi, vous avez raison. Comment est-ce que je ne l'ai pas deviné ! Qui est cet homme-là ? Comment donc ? Un homme pour sous-gouverneur de vos soeurs ? Oh, je vois bien à sa physionomie, que s'il est capable de gouverner des filles, ce n'est pas tant par les bonnes qualités qu'il a, que pour celles qui lui manquent. Ma foi, je n'en sais rien. Je ne trouve pas cela étrange. Il n'est pas encore tout à fait nuit : et cinq heures du soir, c'est la plus belle heure de la toilette. Je suis venu par l'escalier dérobé, afin de surprendre ces filles dans leur naturel, avant qu'elles aient le temps de se falsifier : car sitôt qu'une femme a le loisir de se préparer à recevoir visite, ma foi, les plus connaisseurs ne sauraient juger ni de son sein, ni de sa taille. J'ai toujours ouï dire, que pour bien juger d'un tableau, il faut le voir sans bordure, et un cheval tout nu par le licol. Pardonnez ma curiosité. Quelles mamelles ! Où sont donc les petits marcassins ? Ma foi, je ne suis plus curieux. Ce crime-là porte sa pénitence. On peut juger des autres par celles-là. Je vous laisse en liberté. Si j'ai fait la faute, je ne la boirai pas. Allez, allez achever de vous habiller. Si toute la famille lui ressemble, le choix m'embarrassera. L'humeur de celle-ci me plairait assez : mais il y a quelque chose à refaire à cette taille-là. Oh, vive les tailles fines ! Je me défie de ces filles qui se piquent d'embonpoint, et qui sont toujours en déshabillé. Non, mais vous savez ce que c'est que d'engendrer de la joie. Franchement, je n'ai point envie de vous prendre. Cette taille-là me plaît assez, elle n'est point raboteuse. Madame, pourrait-on vous voir au visage ? Apparemment qu'elle est jolie, car elle minaude. Hé je vous prie, Madame... Une beauté est à l'épreuve du soleil. Hé bien, mettez-moi dans le point de vue. Non, mais il s'est soulevé. Ah ! Franchement, madame, j'aime mieux renoncer au gouvernement, que de me marier ; votre famille est trop laide. Ah ! Voici de l'eau de la reine de Hongrie. Madame, je l'épouse, et me tiens trop heureux de l'avoir. Leur mérite, ma foi, n'a pas besoin d'examen, il saute aux yeux d'abord. Madame, je m'en tiens à celle-ci, et je la choisis pour ma femme. Oh, ne craignez rien, je ne suis pas changeant. Que dit-elle ? Comment ? Elle en mourra ? Oh, il faut que les femmes modèrent leur joie. Hippocrate dit que « summum gaudium mulieres dilatando occidit ». Hé bien, charmante pouponne, je vais vous rendre heureuse. Oh, je me suis déjà aperçu de ces défauts-là. Vos yeux sont un peu trop vifs, votre bouche trop vermeille, votre taille trop fine. Mais quand on aime, on passe par-dessus ces petits défauts-là. Cela me vient le mieux du monde ; car mon médecin m'a ordonné, à cause de ma bile, de donner tous les matins à jeun trois ou quatre soufflets à quelqu'un ; et cette recette nous guérira tous deux, moi de ma bile, et vous de vos caprices. Un amant ? Il faudra se précautionner, et je coucherai avec une armure à toute épreuve. Dites, dites, je suis tout disposé à vous entendre. Quoi ! Vous n'avez eu que deux accès de folie à votre âge ? Hé, vous êtes la perle des filles. Ô Hymen, protecteur du chagrin domestique, Divinité climatérique, Qui fais aux deux époux, par ta rare équité, Prodiguer ses faveurs avec égalité : À l'un des maux de tête, à l'autre des coliques : Patron des animaux froids et mélancoliques ; Des chauves-souris, des hiboux, Des limaçons, et des coucous : Je ne viens point pour soustraire à ta main malfaisante Cette troupe dolente D'époux mal-assortis, Puisqu'en brisant leurs nouds je les assujettis À prendre d'autres chaînes. Il est vrai que souvent le changement des peines Cause quelque plaisir : Mais ne te fâche point, car selon ton désir, Tu les verras demain plus malheureux encore Qu'ils ne l'étaient hier. Ma bile s'évapore, Ô Hymen ! Mais pardonne-moi. Quelque mal qu'on dise de toi, Ou tôt ou tard dans tes fers on s'engage : Et moi tout le premier je viens te rendre hommage, Et dire à ta louange avec sincérité, Que tu ferais toujours notre félicité, Si dans les douceurs du ménage, Tu trouvais le secret de séparer l'usage, De la propriété. Qui êtes-vous, l'ami ? On a raison. Quand on veut dans l'année Avoir des officiers la joyeuse assemblée, Il faut avoir chez soi, pour se rendre fameux, Jeune femme et vin vieux. Patience, madame, un peu de patience, Laissez parler, Monsieur. C'est un grand supplice entre nous : Mais vous devez y être accoutumée. À ce joli portrait, n'est-il point procureur ? Laissez-moi l'entendre. Vous pourrez vous défendre Quand elle aura tout dit. Oh, ce n'est plus la mode, et de ces libertés Les femmes du bel air ont retranché l'usage. Il a grand tort, et je vois clairement Que vous vivez tous deux célibatiquement : ........................................... Et vous nommer sa femme est une calomnie. Cette impudence est sans seconde : Et ces bourgeois époux Ne savent point leur monde. Un mari de qualité N'aurait jamais connu cette incivilité. Fi ! Votre époux devrait mourir de honte, De vous voir un habit qui ne lui coûte rien. Quand la femme fournit à de telles dépenses, Ce n'est pas aux marchands qu'elle fait les avances. J'en sais plus qu'il n'en faut. Et vous maître nigaud, Qui semblez mépriser l'aiguillon qui vous pique, Ma foi, vous tenez plus du bouf que du stoïque, Si vous ne répondez à ces piquants discours. Je vais lui donner un époux, Qui du diable n'a pas tout à fait la figure, Mais qui dans peu de jours en aura la coiffure. C'est vous que je destine... Au Cabaretier. À vos mordants discours mettez un caveçon. Quoique son vin soit plein de colle de poisson, Il est moins frelaté qu'une franche coquette : Car sans parler de sa toilette, Tous ses regards confits au vinaigre et au miel Le désordre artificiel Des mouvements de son visage, Et ce tendre patelinage Qui remplit son discours d'une fade douceur : Tout cela franchement, fait plus de mal au cour Que le vin qu'il apprête Ne fait mal à la tête. Ou taisez-vous, ou je vous remarie Au procureur. C'est ainsi que je veux Que vous troquiez tous deux. Vous êtes trop heureux D'avoir une femme qui vous convienne. Apprenez aujourd'hui, Qu'un procureur ne doit avoir chez lui Que pain moisi, vin détestable, Et femme laide comme un diable, Et le tout à cause des clercs. Vous, dont les berceaux sont déserts, Si vous voulez avoir chez vous bonne pratique, De ce joli bouchon parez votre pratique. Une vieille, dont la bourse est vide, et un jeune homme qui se cure les dents ! Cette scène muette parle toute seule. Vous voulez vous démarier, parce que vous voyez le fond de sa bourse ? Vous avez raison. Vous, vous vous plaignez apparemment qu'il ne vous a pas donné l'emploi de vos deniers ? Vous avez tort. Une vieille qui achète la tendresse d'un jeune homme, doit s'attendre, que dès le lendemain du marché, il portera chez sa voisine l'argent et la marchandise. Voyons, si nous trouverons ici de quoi vous assortir. De quelle vacation êtes-vous ? Je m'en suis douté, en voyant la rondeur de la jardinière : car la terre d'un jardinier est toujours plus fertile qu'une autre. En est-ce à lui l'honneur ? C'est-à-dire que vous ne voulûtes pas l'épouser. Je vous entends. C'est-à-dire que vous voulûtes voir, si malgré votre absence... Oh, que si ! Votre femme est peut-être une femme précoce. Écoutez, la faute de votre femme est une faute d'ignorance, car si elle avait su calculer, comme vous, les jours et les mois, elle aurait si bien pris ses mesures, que vous ne vouS seriez aperçu de rien, et il ne faut pas déshonorer une femme, parce qu'elle ne sait pas l'arithmétique. Ce serait manquer de politesse que de vous opposer à l'honneur que monsieur veut bien vous faire. Ce troc-ci est bien aisé à faire. Monsieur, vous savez mieux que moi l'hypothèque que vous avez sur cette jeune femme. Je vous l'adjuge, tâchez de regagner avec elle, ce que vous avez dépensé à la vieille. Et vous, mon ami, pour vous punir de la folie que vous avez faite, je vous ordonne d'épouser la bonne femme. C'est aux jardiniers qu'il faut donner les terres en friche, et une vieille ne doit point vous embarrasser. Vous trouverez le secret de la rajeunir, comme un vieux poirier, en lui coupant la tête : aussi bien une vieille sans argent, n'a plus que faire au monde. C'est pour troquer d'époux que vous venez ici ; Mais pourquoi vous déguiser ainsi. La petite rusée ! Que j'ai de curiosité De voir... Découvrez-moi votre visage. Oh, le plaisant langage : Ma foi, je crois que vous êtes unis Comme le loup et la brebis. Son discours sent un peu le déclin de la lune. Dites-moi vos raisons. Hon ! Ce n'est point cela qui vous rend malheureuse. Vous ne dites pas tout. Ne soyez point honteuse. Apprenez-moi le hic de cet aimable époux. Est-il brutal, est-il jaloux, A-t-il chez le voisin quelque second ménage ? D'accord, mais il me faut expliquer mieux le cas. Dites-le-moi tout bas. Vous a-t-il refusé quelque habit magnifique ? La chose est sans explique, Cependant il faudrait savoir de votre époux, S'il est aussi las d'être à vous. Il est bien malheureux D'aimer une ingrate. Madame, votre affaire est un peu délicate, J'y veux rêver. Autre déguisement. Que voulez-vous de moi ? Je ne m'attendais pas à ce sujet de plainte. Il est nouveau. Mais parlez-moi sans feinte, N'avez-vous point, pour briser ce lien, Quelque grief plus fort ? Je sais bien qu'une épouse fidèle Fais voir plus de pays à l'époux complaisant, Qu'une maîtresse à son amant. Mais après tout, il faut prendre courage. Vingt ou trente ans de mariage La mettront sur le pied D'une bonne amitié. Depuis six mois il est à la torture. Depuis six mois aussi... La plaisante aventure ! De votre cher époux peut-on savoir le nom ? Comment vous nomme-t-on ? Justement. La chose est avérée, C'est le mari de la voilée. Je veux m'en divertir. Écoutez-moi tous deux. Je vais d'un seul arrêt satisfaire vos voux. Vous qui cherchez une femme inconstante, Croyez que celle-ci remplira votre attente ; Jamais son trop d'amour ne vous fatiguera, Et du moment qu'elle vous connaîtra, Je vous réponds de son indifférence. Pour vous, Dont la volage instance A pour but de changer, pour changer seulement, Vous consentiriez aisément À l'hymen que je vous propose : Mais il n'est point de bail sans clause, Et je veux absolument Que sans résister un moment, Vous vous preniez tous deux. Vous aimez mieux, peut-être, Garder l'époux que vous avez ? Épouser au hasard, c'est la bonne méthode, Rien n'est plus à la mode, Et tous les jours on unit mille époux, Qui se connaissent moins que vous. Allons, allons, de peur que ce mari, dont vous êtes lasse, et que cette femme qui vous aime si tendrement, ne viennent s'opposer au troc, il faut vous marier promptement. Allons, donnez-vous la main, je vous marie dès à présent. Hymen, pour aujourd'hui faites cesser les plaintes, Fermez bien cette main si pleine de malheurs ; Rallumez vos flammes éteintes Et changez vos chaînes en fleurs. Aux nouveaux mariés. Ô troupe moins mal-assortie, Pour vous bien réjouir, songez combien d'époux Vont vous porter envie, Et voudraient, comme vous, Goûter en un seul jour les charmes du veuvage, Et les plaisirs d'un nouveau mariage. Car toujours la plus charmante C'est la femme du voisin. Le Cabaretier dont la femme laide A épousé le procureur. Le seul défaut de ta laide, C'est qu'elle achète un amant : Aussi cher que quand tu plaides, Tu payes un témoin Normand ? Le Procureur dont la femme coquette A épousé le Cabaretier, répond. Si jamais la tienne attrape La clef du coffre au magot, Que de plumets par étape Te grugeront comme un sot ! Quand la femme met la nappe, Le mari paie l'écot. La jardinière qui a épousé le jeune homme. Quitter le compère Ambroise Pour un jeune damoiseau, C'est bien troquer en matoise Sa miche pour du gâteau. Le pain bis pour le ménage, Vaut bien mieux que le pain mollet, En faveur de notre fête, Combien d'époux à l'envi, Sans me présenter requête, Vont changer de femme aussi ! Mais tel qui sans privilège Cherche à rire chez autrui. Retrouve après ce manège Le voisin qui rit chez lui. **** *creator_dufresny *book_dufresny_malassortis *style_verse *genre_comedy *dist1_dufresny_verse_comedy_malassortis *dist2_dufresny_verse_comedy *id_COLOMBINE *date_1693 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_colombine Je vous dis que vous ne serez point reçu, que vous n'ayez choisi une femme. Non, mais la loi ordonne que vous choisissiez entre les filles du dernier gouverneur, quand il y en a. Par bonheur, le gouverneur défunt en a laissé douze, dont je suis l'aînée et la gouvernante. Enfin ma maison est une pépinière, où vous en trouverez de toutes les espèces. J'ai, entre autre, une jeune plante nommée Isabelle, où j'ai pris soin de greffer la sagesse la plus à l'épreuve. En voici la raison. C'est que le plus beau des privilèges de nos habitants est fondé sur ce mariage ; c'est en sa faveur qu'ils jouissent des mal-assortis. C'est que tous les époux mal-assortis, c'est-à-dire, qui ne sont pas contents l'un de l'autre, auront permission aujourd'hui de se plaindre à vous, et vous aurez le pouvoir de les faire troquer de femmes et de maris, si vous le jugez à propos. C'est qu'on n'y reçoit point de Français, et surtout de Parisiens, qui déserteraient leur ville pour venir jouir d'un nouveau privilège. Oh, c'est ce qui vous trompe, car nos peuples sont de si bons sens, que tel qui a une femme jalouse, laide, capricieuse et coquette, ne veut point changer, de peur de trouver pis, et vous n'aurez peut-être aujourd'hui que cinq ou six mal-assortis à juger. Oh, j'ai fait voeu de ne me point marier. Je serais bien folle de me marier, puisque j'ai déjà par devers moi le plus grand avantage qu'attire après lui le mariage le plus heureux. Vous n'y êtes pas. Non. C'est le veuvage. C'est le sous-gouverneur de mes soeurs ? Oh, monsieur, ne vous scandalisez point, il a toutes les qualités requises pour... Monsieur, il faut donner le temps aux filles de s'ajuster. Monsieur, allons dans mon appartement, je vais achever de vous instruire des cérémonies des mal-assortis. Hé bien, monsieur, parmi ces charmantes sours, en avez-vous trouvé quelqu'une qui vous convienne ? Votre cour s'est-il déterminé ? Vous trouvez-vous mal ? Où est donc Isabelle ? Apparemment qu'il ne l'a pas encore vue. Pourquoi donc vous cachez-vous ainsi ? Celle-ci lui fera revenir le cour. Monsieur le gouverneur, tournez-vous ; en voici une qui vous plaira sans doute. Je lui ai donné le temps d'examiner leur mérite. Allons, il faut obéir à la loi. Qu'elle est heureuse... Oui, monsieur, de joie. Je la laisse avec vous, et je vais donner mes ordres pour la cérémonie des mal-assortis. **** *creator_dufresny *book_dufresny_malassortis *style_verse *genre_comedy *dist1_dufresny_verse_comedy_malassortis *dist2_dufresny_verse_comedy *id_ISABELLE *date_1693 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle Hélas, mon soin est bien différent de celui de mes sours ! Elles ont passé toute la nuit à s'ajuster, et moi à pleurer. Elles cherchent dans leur toilette des charmes qu'elles n'ont point, et je voudrais pouvoir cacher ceux que le ciel m'a donnés. Mon pauvre eunuque, je tremble de peur que le gouverneur ne me trouve aimable. Tu sais ma passion pour Léandre, et que la princesse a rompu notre mariage, dans l'espérance que le gouverneur me choisisse. Que je suis malheureuse, d'être plus jolie que mes sours ! Ne sais-tu point quelque secret pour me faire paraître laide ? Oh, je voudrais bien être laide pour déplaire au gouverneur : mais je serais bien aise de redevenir belle, pour plaire à Léandre. Je n'ai donc plus qu'une ressource, et j'espère que ma vertu me guérira de l'amour que j'ai pour Léandre. Oh, mon pauvre ami, s'il faut absolument que j'épouse le gouverneur, je ne verrai plus Léandre. Non, mais je m'enfermerai quelquefois dans ma chambre, et je l'aimerai toute seule sans qu'il y soit. Est-ce qu'il ne me sera pas permis de prendre plaisir à penser à lui, malgré moi ? Je ferai donc tous mes efforts pour oublier Léandre. Quand il me viendra dans l'esprit, je secouerai la tête, je me rongerai les ongles, je fermerai les yeux et les oreilles. Hé bien, quand je serai lasse de combattre, je m'endormirai, afin de l'oublier tout à fait. Mais je ne serai pas coupable, car ce n'est qu'un songe. Ciel ! Fais que le gouverneur me haïsse, autant que Léandre m'aime. Ah, ciel ! Mais, ma soeur, pourquoi contraindre monsieur à me choisir entre des soeurs qui sont plus aimables que moi ? Ah, grands dieux, quel malheur ! Ah, ma sour ! Faites-le changer de sentiment. Que je suis malheureuse ! Oui, j'en mourrai. Il me vient une pensée pour le dégoûter de moi ; je vais lui faire accroire... Monsieur, puisque vous voulez me rendre heureuse, je ne puis sans ingratitude vous rendre malheureux, et je me crois obligée de vous avertir que j'ai mille défauts, que vous ne pourrez jamais supporter. Si vous connaissiez mon humeur ! Je suis bizarre, capricieuse... Quel brutal ! Ô ciel ! Monsieur, j'ai une autre maladie bien plus dangereuse. Toutes les nuits je suis sujette à des rêves furieux, qui allument la rage dans mon âme ; j'égratigne, je mords, j'assassine, et j'étouffai l'autre jour dans mes bras... Un petit bichon que ma soeur m'avait donné. Il n'y a point d'armure à toute épreuve de la rage d'une femme. Qui hait son mari. À propos, monsieur, j'oubliais à vous dire... mais je n'ose. C'est que j'ai eu déjà deux accès de folie. Mais, monsieur, pourquoi vous obstiner à prendre une malheureuse ? Si vous connaissiez le mérite d'une sour que j'ai. Il faut que je vous la fasse voir. Ma sour Toinon... Monsieur, en faveur de la fête, Je viens présenter ma requête. Vraiment, monsieur, si j'étais refusée, Et que mon mari sut... Oh, n'usez point de votre autorité. Ne me pressez pas davantage. Je ne puis apporter trop de précaution Pour ne point troubler l'union Qui règne dans notre ménage : Elle est charmante. Hélas je n'en n'ai qu'une. En aimant mon mari six mois sont écoulés, Et je trouve que c'est assez. Non. Mais six mois de mariage. Six mois, monsieur, six mois. Ah ! Si vous l'écoutez, monsieur, je suis perdue. Il consentira qu'on le tue, Plutôt que de rompre des nouds Qui font tout son bonheur. C'est Léandre, monsieur. Quoi donc, sans se connaître ? Que vous m'embarrassez ! **** *creator_dufresny *book_dufresny_malassortis *style_verse *genre_comedy *dist1_dufresny_verse_comedy_malassortis *dist2_dufresny_verse_comedy *id_PIERROT *date_1693 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pierrot Madame... Monsieur, dis-je... non, non. Madame : ô, monsieur... Ô madame ! À qui est-ce de vous deux que j'ai quelque chose à dire ? N'importe, c'est pour un secret que mesdemoiselles vos soeurs m'envoient vous dire tout bas à l'oreille à quelqu'un de vous deux. C'est que monsieur le gouverneur n'aille pas les voir que dans une petite demi-heure, parce qu'elles ne sont pas encore prêtes. L'une attend ses cheveux qui sont chez la coiffeuse, l'autre, deux ou trois dents qu'on achève de limer ; celle-ci, sa couturière, qui lui fait une gorge de satin ; l'autre répète sa leçon devant un miroir. Tant y a qu'il leur faut encore quelque temps pour achever tous leurs exercices. Et moi je vais aider à ces pauvres filles à s'attifer ; car elles n'ont point d'autre femme de chambre que moi. Ah, je suis bien aise que vous soyez plus diligente que vos sours ! On ne saurait les tirer de leur toilette, et je crois que dans deux heures d'ici elles ne seront caparaçonnées. Oh, les filles n'aiment guère à se cacher : et si elles étaient toutes faites comme vous, elles amèneraient bientôt la mode de s'habiller l'été avec du réseau. Je n'en ai point encore vu dans les affiches : mais je m'imagine, que si on pouvait composer quelque pommade douce avec de la poudre à canon, s'en couvrir le visage, et y mettre le feu... mais je ne l'ai pas encore éprouvé. Oh, cela ne se peut pas. La fleur de la beauté, c'est comme la fleur de la sagesse. Quand elle est une fois fanée, il n'y a plus rien à refaire. Bon, bon, la vertu ! La vertu est justement tout comme les médecins, qui ne guérissent que des maladies qu'on n'a point. Quoi, ce Léandre, si beau, si bien fait, qui se démène comme un coq, et se campe comme un cheval de manège, vous ne le verrez jamais ? À d'autres. Et cette vertu, morbleu, cette vertu ? Prendre plaisir malgré vous ! Oh, il n'y a point de concordance à cette phrase-là : prendre plaisir malgré vous ! Cicéron appelle cela ? La chèvre et les choux. Oh, l'Amour est un voleur de nuit, qui trouve toujours quelque porte ouverte. C'est là où l'Amour vous guette. Il vous fera voir Léandre plus beau qu'il n'est, vous oublierez que vous dormez, et puis après, que sais-je moi ? Les songes sont bien malins. Voilà vos sours qui m'appellent, je m'en vais vitement plier leur toilette, afin que le gouverneur qui va venir, ne voie pas tout cet attelage-là. Voulez-vous que je la délace ? Est-ce assez ? Votre gorge ? Est-ce qu'elle n'est pas sous votre peignoir ? Je ne connais point tous ces brimborions des filles, mais j'ai vu ici deux vessies de cochon : est-ce cela ?