**** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_APOLLON *date_1692 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_apollon Qui rend donc Pégase si hargneux ? Apparemment, mademoiselle Thalie, que vous avez oublié de lui donner son avoine aujourd'hui. C'est sa faute. Pourquoi se laisse-t-il monter par le premier venu ? Puisqu'on a mis Pégase sur le pied d'un cheval de louage, c'est aux auteurs qui le louent à le nourrir. Ils m'ont promis qu'ils ne feraient plus que de bonnes pièces : il faut espérer qu'ils seront plus gras cet hiver. Le public a tort. Mais, à propos de sottises, qu'est-ce qu'une certaine pièce que les comédiens italiens ont affichée ? La Comédie des Comédiens Chinois ? Cette troupe-là est toujours magnifique en titres. Apparemment que le dernier acte est le meilleur de tous. Il est naturel de se réjouir des coups de dent que reçoivent ceux qui nous ont mordus, et je suis bien aise que les comédiens commencent à se rendre justice, et à tourner contre eux-mêmes les traits dont ils ont piqué les autres ; car enfin il n'y a point de profession qui ait échappé à leur satire ; procureurs, médecins, magistrats. Oui, belle mignonne. Qu'y a-t-il pour votre service ? Votre mère a tort, ma belle enfant, de vous priver du plaisir le plus agréable et le plus innocent qu'il y ait aujourd'hui. La comédie forme l'esprit, élève le coeur, ennoblit les sentiments : c'est le miroir de la vie humaine, qui fait voir le vice dans toute son horreur, et représente la vertu avec tout son éclat. Le théâtre est l'école de la politesse, le rendez-vous des beaux esprits, le piédestal des gens de qualité. Une petite dose de comédie, prise à propos, rend l'esprit des dames plus enjoué, le coeur plus tendre, l'oeil plus vif et les manières plus engageantes. C'est le lieu où le beau sexe brille avec le plus d'éclat. Mais quelle raison votre mère a-t-elle pour ne pas vous mener aux Italiens ? Je ne sais pas quels peuvent être ces mots libertins qui effarouchent tant la maman. Pour moi, je n'y vois que des mots tout pleins de sel, qui, à la vérité, sont quelquefois à double entente ; mais les plus belles pensées du monde ont deux faces : tant pis pour ceux qui ne les prennent que du mauvais côté ; c'est une vraie marque de leur esprit corrompu et vicieux. Mais ne vous a-t-elle pas dit quelques uns de ces vilains mots-là ? Et votre mère se scandalise de ce mot-là ? Je vous assure, la belle, que désormais les mères seront contentes, et que je vais de ce pas vous mener avec moi chez les Italiens, où j'assemblerai les comédiens, et je leur ordonnerai de rayer de leurs comédies tous les mots trop éveillés, et notamment tous les cocus qu'il y aura. **** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_THALIE *date_1692 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_thalie Ne vous souvenez-vous pas que ce n'est plus moi qui le panse ? Vous en avez donné la charge aux auteurs ; et depuis ce temps aussi, le pauvre animal, hélas ! Les os lui percent la peau. Il est vrai que c'est la monture banale de tous les regrattiers du Parnasse ; il n'y a pas jusqu'aux femmes qui le font trotter en vers alexandrins ; et je ne sais pas quel diable de train elles le font aller ; mais il ne revient jamais à l'écurie qu'il ne soit crevé de coups d'éperon. Et comment voulez-vous que les auteurs nourrissent un cheval ? Les pauvres diables ont bien de la peine à se nourrir eux-mêmes. Voyez-vous, dans le temps où nous sommes, on n'engraisse guère à mâcher du laurier. Il est vrai que les auteurs et les comédiens sont du naturel des bécasses ; ils n'engraissent point que le froid ne leur ait donné sur la queue. Franchement, ces messieurs-là nous barbouillent terriblement dans le monde ; car le public croit que c'est vous et moi qui leur inspirons toutes les sottises qu'ils mettent sur le théâtre. C'est pour l'ordinaire le plus beau de leurs pièces ; et, à vous parler franchement, je crois que celle-ci ne sera point meilleure que les autres : ce n'est pas que, si on se donne la peine de l'écouter jusqu'à la fin, ce qui est assez rare, on pourra peut-être s'y divertir. Je ne crois pas pour cela qu'il soit bon ; il peut être meilleur que les autres, et ne pas valoir grand'chose. Mais comme les comédiens s'y disent un peu leurs vérités, et se donnent par-ci par-là quelque petit coup d'étrille, il pourra être du goût du public, qui mord à la grappe quand il entend dauber un comédien. Vraiment, ils ont bien fait pis ; ils n'ont pas même respecté les empereurs romains ni les maîtres danser. Voilà un tendron qui ne serait pas mauvais pour remeubler le Parnasse, à la place de quelque Muse surannée. C'est une folle. Il faut y aller sans elle ; vous ne serez pas la première. Assurément. Si j'étais mère, j'aimerais mieux que ma fille allât tout un hiver à la Comédie, qu'une fois au bois de Boulogne pendant la sève du mois de mai. Il y a tout plein de mères de ce naturel-là ; ce sont des affamées qui n'en veulent que pour elles. Cocu, peut-être ? C'est que votre mère ne sait pas sa langue. Dans le nouveau dictionnaire, imprimé à Paris, ces mots-là sont synonymes, cocu marié, marié cocu, cela s'appelle jus vert, vert jus. Oh ! Pour cela, mademoiselle a raison : une femelle dans une loge attire les mâles de bien loin ; c'est l'appât dans la souricière. Ne vous avisez pas de cela, monsieur. Si les comédiens rayaient de leurs comédies tous les cocus, ils balafreraient peut-être le père de mademoiselle, et pour lors ils auraient sur le dos deux personnes au lieu d'une. Donnez-vous-en bien de garde. Pour une femme qui aime la réforme, il y en a mille qui ne la sauraient souffrir ; et au lieu de faire venir du monde, vous désachalanderiez le théâtre. Cent personnes ! Pourvu que le reste la trouve bonne, les rieurs seront encore de votre côté. Mais dans huit jours, croyez-vous en être quitte à meilleur marché ? À vous entendre, monsieur l'Auteur, je parierais que votre pièce ne vaut pas grand'chose. Allons, allons, courage ; serrez-vous le nez, et avalez la médecine. Pourvu qu'il n'y ait que ce défaut-là, vous n'êtes pas à plaindre. C'est moi qui fais les lois de la comédie, et j'ordonne que ce prologue-ci passera pour un acte. **** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_ROQUILLARD *date_1692 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_roquillard Certes, nul huissier, tant à verge qu'à cheval, n'oserait avoir regardé la porte de ce mien château : il fut de tout temps le cimetière des sergents. Feu mon trisaïeul, Matthieu Roquillard, d'un seul coup d'arquebuse a mis bas cinq recors et deux procureurs fiscaux. Et la raison ? Sais-tu bien que dans la famille des Roquillards les mâles n'entrent en vigueur que vers les soixante-dix ans ? Quand mon père me fabriqua, il en avait septante-quatre, et ma mère octante-huit. Tais-toi ; j'ai autre chose en tête que de répondre à tes sottises. C'est ma fille Isabelle que je veux marier aujourd'hui. Tu vois aussi que je mets les fers au feu. J'attends journellement un gentilhomme de campagne, un docteur, un major et un comédien français, tous partis sortables pour ma fille, selon qu'il m'a été raconté ; car je ne les ai point encore vus. Outre ce, Isabelle a quelque bon vouloir pour un quidam nommé Octave, comédien italien de sa vacation. Ce néanmoins, je me sens de la propension pour le jeune homme ; et dès mon premier âge, j'ai pourchassé I'accointance de messieurs du théâtre, pour ce qu'ils sont volontiers courtois et joviaux. Comment donc ? Est-il possible ? Certes, voilà une affaire bien avancée ! Mais va-t'en dire à ma fille qu'elle se prépare de son côté. Certes, il est mal avenant de sa personne, et j'en ai regret ; car moi et mes ancêtres avons toujours chéri la chasse et les chasseurs. J'ai dans ma bibliothèque plus de cent bois de cerf, rangés par ordre chronologique ? Avec les relations historiques de la prise d'iceux. Le malencontreux visage que ce baron de la Dindonnière ! Encore faut-il à ma fille un peu d'accointance, et cet homme-là serait toujours à brosser dans les bois. En sorte donc, Colombine, que cet homme-là n'est point de ton goût. Et moi, comment me trouves-tu ? M'aimerais-tu mieux que lui ? La coquine ! Je l'aime, que j'en suis fou. Bai... bai... baise-moi, friponne. Il faut se donner patience, tu es encore jeune. Va, va, ma bouchonne, console-toi ; si je ne t'épouse pas, je te laisserai quelque chose en mourant. Doucement, doucement ; ces affaires-là demandent délibération. C'est apparemment le docteur dont je t'ai parlé. Il ne faut pas prendre la poste pour venir au mariage ; c'est un gîte où l'on arrive toujours assez tôt. Monsieur... Hé ! Monsieur... Oui, monsieur ; il y a plus de soixante ans. Comment donc ! Est-ce qu'il faut plusieurs filles pour faire une femme ? Diable ! Voilà qui est joli ! Qu'est-ce que cela signifie, monsieur ? Faites-la un peu venir : je serais bien aise de l'entendre. Qu'est-ce que signifie cette figure là-bas ? Une Pagode ! Qu'est-ce que c'est qu'une Pagode ? Mais à quoi est-elle propre ? Sait-elle faire quelque chose ? Voilà qui est admirable ! Et qu'est-ce que signifient toutes ces différentes figures-là ? Oui, monsieur ; c'est ma fille, et je suis le maître. De pareilles incommodités sont lettres patentes de noblesse ; et tout le chagrin que j'ai, c'est de n'avoir pas laissé quelque jambe ou quelque bras à l'arrière-ban. Il me semble aussi qu'il y a quelque chose à redire à vos yeux. Une bombe ! Elle a raison ; il lui faut un homme tout entier : un homme n'est déjà pas trop pour une femme, il n'en faut rien supprimer. Je ne veux pas la lui donner, moi. Le Parterre a le ton impératif. **** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_ISABELLE *date_1692 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle Bon, bon ! Le mariage ! Voilà encore quelque chose de beau ! Ne me parle jamais de cette sottise-1à. Dis-moi, Colombine, ai-je bien placé mes mouches ? Me trouves-tu coiffée du bon air ? Ah, ah ! Que tu es folle ! Colombine, que tu es folle ! Tu crois donc que je me soucie d'un homme ? Je te jure que je n'ai pas la moindre envie d'être mariée. À la vérité, je suis bien lasse d'être fille ; mais j'espère que cela se passera. Que veux-tu donc dire ? Tu te moques, Colombine : c'est In saison qui me fait le plus de plaisir ; le beau temps revient. La campagne rit... Les arbres reverdissent. Si j'en suis dégoûtée, c'est que les femmes aiment naturellement le changement ; et si je me suis lassée d'être fille, je me lasserai encore plus d'être mariée. Je ne dis pas cela ; mais si l'envie m'en venait par hasard (car on dit que cela prend tout d'un coup), dis-moi, en conscience, comment faut-il qu'un mari soit fait pour être joli ? Tu sais que je ne me connais pas bien en hommes. Oh ! Fi, fi ! Cela est trop colifichet pour un mari. Pour ceux-là, je les trouve trop matériels. Colombine, tu es une coquine. Tu ne me parles point de ce qui me paraît le plus fripon en amour. Est-ce que tu n'as jamais vu l'hiver, à la Comédie, ces jeunes officiers toujours brillants, qui font sans cesse le carrousel autour des actrices jolies ? Pour ceux-là ils sont faits exprès pour mon humeur ; ils font toujours quelques singeries ; ils chantent, ils cabriolent, ils se battent quelquefois pour rire, et se baisent après devant tout le monde : enfin, quand je les vois sur le théâtre, ils me divertissent cent fois plus que la comédie. Quoi, mais ! Si le maître est aussi bien fabriqué que l'écuyer, voilà de quoi faire un bel attelage. Monsieur, je n'aime pas qu'on me fasse l'amour à son de trompe, et vous faites un peu trop de bruit pour prendre les lièvres au gîte. Ah, mon Dieu ! Colombine, le vilain homme ! Mais, Monsieur, vous ne parlez que de chasse ; est-ce que vous n'avez pas d'autre occupation ? La compagnie est savante ! Tout botté et éperonné ! Quoi, monsieur ! Si je vous épouse, tous ces chiens-là coucheront avec moi ? Je crois que tu as raison. Je me sens toutes les dispositions à devenir bonne comédienne : j'ai l'esprit à toute main ; je serai prude quand je voudrai, coquette quand il me plaira, fière avec les bourgeois, traitable avec l'homme de qualité ; enfin, il y aura bien du malheur si je ne contente le public. Je crois que je me tirerai d'affaire dans ce pays-là. Je parais une fois davantage aux chandelles ; j'ai du teint, de l'enjouement. Pour de l'embonpoint et de la gorge, il n'y a guère de personne à qui je le cède. Je n'ai qu'un défaut pour le théâtre, c'est que je n'ai point de mémoire. Par exemple, Colombine, si j'aimais un homme aujourd'hui, je crois que je ne m'en souviendrais pas demain. Bon, bon ! Tu te moques, Colombine. Est-ce que je suis un enfant ? À l'âge que j'ai, on ne craint plus rien. D'accord, Colombine ; mais on peut crier. Que veux-tu ? Puisque je suis destinée à être comédienne, il faut bien que je m'aguerrisse à faire toutes sortes de personnages. Oh ! Monsieur, point de libertés, s'il vous plaît. Comment ! Vous débutez par où les autres finissent ! Une fille n'est donc pas en sûreté avec vous autres messieurs ? Quand un comédien est fait comme vous, il a souvent la meilleure part dans la tendresse qu'il inspire. Mon coeur... Oh ! Mon coeur ne va pas si vite que vos paroles : je ne vous aime pas encore tout à fait, mais je sens bien que je ne vous hais pas. Ma main ? Oh ! Monsieur, je n'ai pas le geste si libre que vous. Ô ciel ! Quelqu'un ! Colombine, au secours ! Comme vous criez ! Il faut que ce jeune homme soit plus dangereux que vous ne pensiez. Ah, Colombine ! Que veux-tu que j'en fasse ? Il va me demeurer dans les mains. Je crois qu'il est mort. Colombine ! Colombine ! Ah ! Que je suis malheureuse ! Il était revenu. Il m'a demandé ma main à baiser. Je n'ai pas voulu la lui donner. Et le voilà retombé. Je ne croyais pas, monsieur, que mes yeux fissent des effets si terribles ; et si vous n'aviez jamais été exposé qu'à leurs coups, vous marcheriez plus droit que vous ne faites. Utilement ! Et à quel usage ? Franchement, monsieur le Major, je voudrais bien épouser un homme tout entier. **** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_OCTAVE *date_1692 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_octave Enfin, charmante Isabelle, me voilà seul avec vous, et je puis en liberté... C'est le privilège de notre profession, mademoiselle ; et la liberté du geste est la plus belle partie du comédien. Ne craignez rien, belle Isabelle ; nous n'avons que l'extérieur de dangereux : notre science se borne à ébranler les coeurs, d'autres les emportent ; et tel ne dit mot dans une loge, qui a tout le profit d'une tendresse que l'acteur s'efforce d'émouvoir. Que je serais heureux, si vous aviez de pareils sentiments pour moi ! Et que votre coeur... Je suis le plus fortuné de tous les hommes. Mais pour gage de votre bonne volonté, il faut que vous me donniez votre main. Vous ne voulez pas m'accorder cette faveur ?... Ah ! Où suis-je ?.... Une vapeur me ferme les yeux ! Je n'en puis plus ! Pas encore tout à fait ; mais je mourrai bientôt, si vous ne me donnez votre main à baiser. Vous ne le voulez pas ? Ah ! Je n'en puis plus !... Je rends le dernier soupir !... Je suis mort. Est-il possible ? Comment veux-tu que je lui fasse entendre mes raisons ? Il ne sait pas l'italien ; et, comme tu vois, je parle assez mal français. Ah, ma pauvre Colombine ! Il n'y a rien que tu ne doives attendre de moi, si, par ton moyen, j'épouse Isabelle. **** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_COLOMBINE *date_1692 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_colombine Il est bien question aujourd'hui de mouches et de fontanges ! Voyez-vous toutes ces pyramides-là, ce sont de beaux bouchons à un cabaret où l'on meurt de soif. L'essentiel pour une fille, c'est un mari, et un mari dans toutes ses circonstances. Oui, cela se passera avec un mari. Franchement, le métier de fille est bien ennuyeux, quand on veut le faire avec honneur. Je sais ce qu'il m'en coûte tous les jours pour conserver le peu de réputation qui me reste. Mon Dieu ! Je m'entends bien. Il y a des saisons dans l'année terriblement rudes à passer. Quand j'entends chanter l'alouette, ma vertu est à fleur de corde ; et c'est une saison bien chatouilleuse que le printemps. Mais les officiers s'en vont à la guerre. Oui, et Paris pleure. Et les filles sèchent sur pied. Je parie que c'est dans ce temps-là que vous êtes le plus dégoûtée de votre emploi de fille. D'être mariée ! Vous voulez donc l'être ? Si fait bien moi. Il faut qu'il soit pâle, fluet, débile et raccourci, comme ces petits échantillons de magistrature, qui n'auraient pas la force de porter leurs robes sans l'aide de deux grands laquais. C'est que vous ne vous connaissez pas en hommes. Vous voudriez peut-être de ces bourgeois renforcés de l'ancien collège, moitié noblesse, moitié roture, ou de ces gros commis... là... de ces ballots vivants qui entrent et sortent de la douane sans rien payer ? La pauvre enfant, elle ne se connaît pas en hommes ! La pauvre enfant ! Elle ne se connaît pas en hommes ! Je vous en aurais bien proposé de cette manufacture-là ; mais... Mais il vous faut un mari pour toute l'année, et ces messieurs-là ne servent que par quartier ; encore n'est-ce pas auprès de leurs femmes. J'entends du bruit. Apparemment que voilà l'amant chasseur qui entre en danse. Ma maîtresse est une terre conservée ; j'en réponds, et je suis le garde des plaisirs. Ah ! Mes pauvres meubles ! Vraiment, je m'en vais bien faire sauter tous les chiens par la fenêtre. Les filles de ce pays-ci ne se prennent pourtant pas avec des poulets d'Inde ; quelquefois avec une fricassée de poulets, donnée à propos, je ne dis pas que non. Oh ! Monsieur, vous me faites trop d'honneur ; je ne sais pas piquer. Je suis votre très humble servante : la nuit, ils pourraient bien prendre ma maîtresse pour une biche, et la dévorer. Ah, mademoiselle ! Un sanglier qui est entré ici ! Hé bien, monsieur, n'êtes-vous pas charmé de votre prétendu gendre, monsieur le baron de la Dindonnière ? Par ma foi, il faudrait que vous fussiez fou pour lui donner votre fille : j'aimerais autant lui faire épouser un chenil tout entier. Diantre ! Voilà de beaux titres de noblesse, cent bois de cerf dans une famille ! Sans ceux qu'on y a introduits, et dont on n'a pas tenu de registre. Ce ne serait pas là le plus mauvais de l'affaire. Tandis qu'un mari court les bois, une femme peut chasser de son côté. Le meilleur gibier n'est pas toujours dans les forêts ; il y a telle bête à Paris que j'aimerais mieux avoir prise que vingt sangliers. C'est un friand morceau pour une femme qu'une hure de caissier bien gras. Non, ma foi ; et toute servante que je suis, je n'en voudrais ni pour or ni pour argent. Mille fois. Vous êtes fleuri, mûr, belle barbe, le cuir doux et bien corroyé. Bon, bon ! Il y a bien de la comparaison ! Oui, monsieur, que je vous baise ! Il y a je ne sais combien que vous m'amusez ; vous dites toujours que vous m'épouserez, et vous savez la peine que je prends à vous servir. Une fille, pendant ce temps-là, ne laisse pas de s'user ; c'est comme un carrosse qui dépérit autant sous la remise qu'à rouler. Dépêchez-vous donc, monsieur ; car j'ai bien de I'impatience de gagner une petite somme d'argent, afin d'avoir le moyen d'être honnête fille jusqu'à la fin de mes jours. Monsieur, monsieur... Monsieur, voilà un habile homme ; il sait toutes vos qualités par coeur. Hé bien, monsieur, ne vous fâchez pas ; votre femme sera universelle. Quoi ! Monsieur le Docteur, vous savez aussi la musique ? Je vous dis encore une fois, mademoiselle, que vous ne sauriez mieux faire, et qu'il faut nous en tenir à notre comédien italien. Oh ! Le public est un compère qui n'est pas aisé à chausser : on ne sait pas comment faire aujourd'hui pour gagner sa bienveillance. Je sais bien qu'une jolie personne comme vous a plus de facilité qu'une autre à faire valoir les talents du théâtre, Tant mieux ; c'est l'essentiel pour une comédienne. La gorge est une partie à quoi les spectateurs s'attachent le plus, principalement messieurs du balcon, qui se mettent là exprès afin d'être plus à portée. La plupart des femmes sont comme vous : mais ce défaut de mémoire est une marque de leur jugement ; car les hommes d'à présent ne méritent pas qu'on les aime plus de vingt-quatre heures. Mais Octave va venir ; je vais me retirer. N'aurez-vous point peur de rester toute seule avec lui ? Je sois aussi âgée que vous, et un tête-à-tête ne laisse pas quelquefois de me faire trembler. Un jeune homme veut vous persuader qu'il vous aime ; il se jette à vos genoux, il vous prend les mains. Quand une fille a les mains prises, elle ne saurait pas bien se revancher. Et si le jeune homme vous ferme la bouche d'un baiser, où en êtes-vous ? Enfin, vous voulez bien en courir les risques, je m'en lave les mains. Ah ! Colombine, il n'en peut plus ; il s'est évanoui dans mes bras. Un garçon qui s'évanouit dans les bras d'une fille ! Diantre ! Il court bien de ces maladies-là cette année. Je vais chercher de quoi le faire revenir. Tenez-le toujours bien fort. Colombine dit que quand une fille a les mains prises, elle ne saurait plus se revancher. Ouais ! Le mal est bien opiniâtre ! Hé bien ? Hé bien ? Hé bien ? Tant pis. Dans ces maux-là, les rechutes fréquentes sont dangereuses. Il ne faut pourtant pas laisser mourir un garçon pour une bagatelle. Çà, votre main. Çà, votre bouche. Cela ne vaut-il pas mieux que de l'eau de la reine d'Hongrie ? Sauvez-vous ; voilà le Major qui arrive. Ce n'est point ici une hôtellerie, monsieur. Il n'est pas dégoûté. Un ustensile comme moi n'est pas à l'usage d'un grivois. Tour allait le mieux du monde ; vous auriez épousé Isabelle aujourd'hui, sans cet impertinent de comédien français qui vient d'arriver, et dont Roquillard s'est coiffé. Dame ! Ces messieurs-là plaisent à l'ouverture du livre. Tout ce que j'ai pu obtenir, c'est qu'il suspendra son choix jusqu'à ce qu'il vous ait entendu sur la prééminence de vos conditions. Si vous voulez, je parlerai pour vous, et dans la dispute une femme vaut toujours mieux qu'un homme. J'ai servi autrefois un comédien italien, et j'en sais assez le fort et le faible. Allez, ne vous mettez pas en peine ; je vais tout préparer pour vous servir. Vous voyez devant vous Octave, fidèle de nom, Vénitien d'extraction, amoureux de profession, et acteur sérieux de la troupe risible des comédiens italiens. On voit bien que vous vous ressentez toujours de la fierté romaine ; vous aimez les titres ; et, si l'on n'y tient la main, vous vous mettrez de pair avec les mouleurs de bois, et vous prendrez dans vos affiches la qualité de conseillers du roi. Le style impérial, l'attitude romaine et le clinquant héroïque de ce déclamateur, pourraient m'alarmer, si je parlais devant un juge moins éclairé que Son Excellence Monseigneur le Parterre. Non, ce n'est point la flatterie qui me dénoue .la langue ; je rends seulement les hommages dûs à ce souverain plénipotentiaire : c'est l'éperon des auteurs, le frein des comédiens, le contrôleur des bancs du théâtre, I'inspecteur et le curieux examinateur des hautes et basses loges : et de tout ce qui se passe en icelles ; en un mot, c'est un juge incorruptible, qui, bien loin de prendre de l'argent pour juger, commence par en donner à la porte de l'audience. Néron, empereur et comédien italien, fait assez voir la prééminence dont il est question. Tout le monde sait qu'il courut la Grèce dans une de nos troupes, et l'histoire ne fait point mention qu'il ait jamais monté sur le théâtre du faubourg Saint-Germain. En effet, pour donner à l'univers un comédien italien, il faut que la nature fasse des efforts extraordinaires. Un bon Arlequin est naturae laborantis opus ; elle fait sur lui un épanchement de tous ses trésors ; à peine a-t-elle assez d'esprit pour animer son ouvrage. Mais pour des comédiens français, la nature les fait en dormant ; elle les forme de la même pâte dont elle fait les perroquets, qui ne disent que ce qu'on leur apprend par coeur : au lieu qu'un italien tire tout de son propre fonds, n'emprunte l'esprit de personne pour parler ; semblable à ces rossignols éloquents, qui varient leurs ramages suivant leurs différents caprices. Si l'on regarde I'intérêt, qui est le seul point de vue dans les mariages d'aujourd'hui, un comédien italien l'emportera toujours sur un français. Il fait moins de dépense en habits, sa part est plus grosse, et il ne faut quelquefois qu'une médiocre comédie pour faire rouler toute l'année un comédien italien Nos équipages seraient aussi superbes que les vôtres, si nous voulions faire des exactions sur le public, et mettre, comme vous, nos premières représentations au double. Hé ! Ne nous vantez pas tant les magnificences de votre hôtel : votre théâtre, environné d'une grille de fer, ressemble plutôt à une prison qu'à un lieu de plaisir. Est-ce pour la sûreté des jeunes gens qui sortent de la Cornemuse ou de chez Rousseau, et pour les empêcher de se jeter dans le parterre, que vous mettez des garde-fous devant eux ? Les Italiens donnent un champ libre sur la scène à tout le monde ; l'officier vient jusque sur le bord du théâtre, étaler impunément aux yeux du marchand la dorure qu'il lui doit encore ; l'enfant de famille, sur les frontières de l'orchestre, fait la moue à l'usurier qui ne saurait lui demander ni le principal, ni les intérêts ; le fils, mêlé avec les acteurs, rit de voir son père avaricieux faire le pied de grue dans le parterre, pour lui laisser quinze sous de plus après sa mort. Enfin le théâtre italien est le centre de la liberté, la source de la joie, l'asile des chagrins domestiques ; et quand on voit un homme à l'hôtel de Bourgogne, on peut dire qu'il a laissé tout son chagrin chez lui, pourvu qu'il y ait laissé sa femme. Le tout mûrement considéré, je conclus qu'un comédien italien est préférable, par toutes sortes de raisons, à un comédien français. Cela est faux. La mule est un animal stérile, et .tout le monde sait que Marinette et Colombine ont des enfants tous les neuf mois. Sans parents ? Rayez cela de vos papiers. Il n'y a point de comédien italien qui n'ait fait des alliances dans tous les quartiers de Paris. Cela est vrai. Mais si tous les marchands à qui ils doivent leur tiraient chacun leurs plumes, ils feraient le rôle de la corneille d'Ésope, et seraient obligés de jouer les empereurs en pinchina. Je ne sais quelle couleur les passions prennent sur le visage de vos comédiens ; mais sur celui de vos comédiennes, elles sont toutes peintes en rouge. **** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_PIERROT *date_1692 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pierrot Diantre ! Tout le pays lui eut bien de l'obligation ; car un de ces animaux-là fait plus de dégât dans une province que douze bêtes puantes dans une garenne. Mais que veut dire toute cette belle architecture ? Cela flaire diablement la noce. Au moins, ne vous avisez pas de faire cette sottise-là. C'est que le mariage ne sied point à une carcasse décharnée comme la vôtre ; et tout franc, vous êtes trop vieux pour faire souche. On voit bien, monsieur, que vous avez été engendré de deux vieilles rosses ; vous avez des salières sur les yeux à y fourrer le poing. Oh ! Pour ce mariage-là, j'y baille mon autorité, et le plus tôt c'est le meilleur : il ne faut pas garder une fille passé quinze ans ; il y a trop de déchet, et cette monnaie-là est diantrement sujette au décri. Pensez, monsieur, que vous ne lui baillerez pas tous les quatre à la fois ; c'est trop pour une enfant. Fi ! Monsieur, ne donnez point votre fille à cette nation-là : avec eux les mariages ne tiennent point ; on dit qu'ils en font de nouveaux à chaque comédie qu'ils jouent. Si vous m'aviez averti seulement huit jours plus tôt que vous vouliez vous défaire d'Isabelle, je m'en serais accommodé avec vous ; mais j'ai commencé une fille d'un autre côté. Oui, monsieur ; c'est une fille qui a plus de vingt mille écus, et je suis déjà à moitié marié. Très assurément. Tenez, monsieur, pour faire un mariage tout entier, il faut, en premier lieu, que le garçon le veuille ; en second lieu, que la fille y consente : or, je suis garçon ; j'ai déjà baillé mon consentement ; ainsi, vous voyez que c'est un mariage à moitié fait. Il n'y a que faire de l'avertir ; une fille est toujours prête quand c'est pour le mariage. Monsieur, il y a là-dedans un homme qui est habillé comme la porte d'un jeu de paume. Il demande à épouser votre fille ; lui baillerons-nous ? Dame ! Monsieur, il faut que le mal le presse bien fort ; car il est venu en poste, et il dit qu'il veut se marier de même. Cela est vrai ; et ceux qui vont si vite sont tout comme ces chevaux fringants, qui n'ont que la première journée dans le ventre. Vous étiez donc à Namur ? Et en quelle qualité, monsieur, serviez-vous dans l'armée ? Vous aviez là, monsieur, un commandement digne de vos mérites. **** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_ARLEQUIN *date_1692 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin Ton, ton, ton, ton, ho, ho ! Gerfaut, Briffaut, Miraut, Marmiteau ! Ho, ho, ho ! Mademoiselle, quand on chasse une jolie bête comme vous, on n'a pas besoin de chiens pour découvrir où vous êtes ; il est aisé de vous suivre à la piste, et le fumet de vos appas porte au nez de plus de cinq cents pas à la ronde. Vous moquez-vous ? Je suis le gentilhomme de France le plus discret ; je sais qu'il faut du mystère en amour, et c'est pour cela que j'ai laissé ma meute dans votre antichambre. Ne t'y frotte pas, ma mie ; ce sont des gaillards qui n'ont aucune considération pour le sexe. Vous êtes charmée de ma personne, n'est-ce pas ? Quand j'ai ce compère-là sur le poing, je ne manque guère ma proie. Nous avons dans notre famille le vol des filles et du dindon. Votre chambrière a de l'esprit ; je la retiens pour être mon premier piqueur. Oh ! Que cela ne te mette point en peine, on te montrera. Oh ! Que si ; j'aime l'étude passionnément ; je nie renferme tous les matins dans mon cabinet avec mes chiens et mes chevaux. L'après-dînée, je monte ma jument poil d'étourneau, pour brossailler dans la forêt, et le lendemain, pour être de meilleur matin au bois, je me couche pour l'ordinaire tout botté et éperonné. Oh ! Que cela ne vous mette pas en peine ; nous ne nous toucherons point : mon lit a vingt-cinq pieds de diamètre, et ce n'est pas trop pour coucher deux personnes et une meute de cinquante chiens courants. Oh ! Non, pas tous : j'en choisirai une vingtaine des moins galeux. Tais-toi ; j'ai bien plus de risques à courir qu'elle. Quand nous serons mariés, elle pourrait bien me changer en cerf comme Actéon ; et mes chiens ne feraient plus qu'un morceau de ma personne. Taisez-vous, canaille ignorante et indocile ; je veux me marier, moi ; oui, je veux me marier. Ils n'ont autre chose à me dire : Monsieur le Docteur, prenez garde à vous ; vous êtes perdu si vous faites cette folie-là : la femme est le précipice de l'homme. Taisez-vous, vous dis-je ; vous êtes des ânes ; vous ne le savez que par expérience, moi je le sais par science : Quidquid utrique datur ; commune locatur. Je vous le prouve en français. La lune est un astre commun ; Ce qui dépend d'elle est tout un : La femme dépend de la lune ; Ergo toute femme est commune. Je n'ai que faire de vos conseils : Jacta est alea. Le dé est sorti du cornet ; il y a longtemps que j'ai fait germer ce mariage-là sur ma tête. Sic volo, sic jubeo ; sit pro ratione voluntas. Je sais bien que le père est un sot ; mais je lui ai donné ma parole. Je n'ignore pas que la fille ne soit une fieffée coquette ; mais dès le lendemain de la noce je la fais mettre aux Magdelonettes, Je suis persuadé que la suivante est une carogne ; mais je lui donnerai tant de coups d'étrivières... Ah ! Si vales, bene est ; ego quidem valeo. N'êtes-vous pas monsieur Roquillard ? S'il est ainsi, audite, plaudite, et reculate. Moi, le pot pourri de la doctrine, le pâté en pot des belles-lettres, et le salmigondis de toutes les sciences, salue très élégamment Christophe Roquillard, l'égout de l'ignorance, la cruche de la stupidité, et le bassin de toutes les impertinences. Beau-père, avant que d'entrer en matière, combien avez-vous de filles à me donner ? Vous ne savez donc pas que je suis philosophe, orateur, médecin, astrologue, jurisconsulte, géographe, logicien, barbier, cordonnier, apothicaire ? En un mot, je suis omnis homo, c'est-à-dire un homme universel. Je sais tout ce qu'on peut savoir dans les sciences et dans les arts : je sais danser, voltiger, pirouetter, cabrioler ; jouer à la paume, au ballon ; lutter, escrimer, pousser d'estoc et de taille ; mais où j'excelle le plus, c'est en musique et en machines de théâtre. Bon ! Je compose des opéras il y a plus de cinquante ans : c'est moi qui ai fait le carillon de la Samaritaine. Je m'en vais vous faire voir un échantillon de ma science. Cela, monsieur ? C'est la Rhétorique chantante et la Rhétorique dansante, avec toutes les figures, les points, les virgules, les parenthèses et tout le reste. La voici. Madame la Rhétorique, dites-nous qui est-ce qui persuade davantage en amour. Voulez-vous, en moins d'un jour, Être heureux en amour ? Laissez les fleurs de rhétorique ; Le chemin en serait trop long : Avec l'or, je vous en réponds ; Mais sans cela, non, non. Dites-nous à présent où va coucher un mari, dans le zodiaque, la première nuit de ses noces. Il va coucher tout de go Au signe du Virgo : Mais dès la seconde journée, Le Capricorne est sa maison. De cela je vous en réponds ; Mais du Virgo, non, non. C'est une Pagode. Une Pagode est... une Pagode. Que diable voulez-vous que je vous dise ? Elle chante aussi. Je vais vous la faire venir. C'est la Rhétorique dansante. Je vais vous la faire danser avec toute sa suite. Ne soyez point surprise, mademoiselle, de voir un amant démantelé : la mousqueterie de vos yeux estropie les libertés les plus libres, et devant vous les coeurs les plus fiers ne marchent qu'en béquilles. J'avoue, mademoiselle, qu'il y a quelque chose à refaire à mon attitude ; mais quand on a été, comme moi, soixante ans exposé aux périls de Mars, on est bien heureux de n'avoir qu'une jambe de bois. Vous étiez là, beau-père, dans un corps dont les membres ne courent pas grand risque, et où le vivandier a plus de pratiques que le chirurgien. Mais vous n'aurez pas plus tôt fait trente ou quarante campagnes dans mon régiment, qu'il ne vous restera pas une seule dent dans la bouche. Oh ! Ce n'est rien ; c'est qu'au dernier siége il me tomba dans la prunelle gauche une bombe. Et cela a un peu dérangé l'économie du nerf optique. Mais quoique je n'en voie goutte, je ne laisse pas de m'en servir utilement. Je m'en sers pour lire les mémoires de mes créanciers ; et aussitôt lus, aussitôt payés. Si j'y étais ? Oui, par la sambleu ! J'y étais ; j'en suis encore tout crotté. Moi, servir ! Hé ! Pour qui me prenez-vous donc ? Je commandais en chef le détachement des brouettes qui enlevaient les boues du camp. Trop heureux, mademoiselle, si avec la brouette de mon amour je pouvais enlever la crotte de votre indifférence, et vous épouser à la tête de ma compagnie ! Que dites-vous, la majoresse de ma minorité ? Parlez, parlez donc, barbe de chat ; avez-vous jamais été tué ? Savez-vous que quand un homme comme vous refuse sa fille à un homme comme moi, j'assiège la fille en forme comme une place de guerre ? Vous allez voir. **** *creator_dufresnyregnard *book_dufresnyregnard_chinois *style_prose *genre_comedy *dist1_dufresnyregnard_prose_comedy_chinois *dist2_dufresnyregnard_prose_comedy *id_MEZZETIN *date_1692 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mezzetin Mademoiselle, je suis l'écuyer de monsieur le baron de la Dindonnière ; il vous envoie cette bête-là, en attendant qu'il vienne ici lui-même. On dit comme ça qu'il doit bientôt chasser sur vos terres. La chasse sera bonne dans ce canton-là ; car je crois que personne n'y a encore chassé. Dame ! Mon maître est un cadet bien découplé. Vous me voyez... Il est encore... quasi mieux fait que moi. Tenez, le voilà. Je viens exprès du Congo, ho, ho, ho ! Pour boire à tire-larigot Du vin de Normandie : Car dans ce temps-ci, hi, hi, hi ! Rouen vaut mieux que Tessy. Quoique Paris soit charmant, han, han, han ! J'en partirais à l'instant, Si l'on vendait les filles, Par faute de raisin, hin, hin, hin ! Aussi cher que le vin. De la joie, de la joie, morbleu ! Vive la guerre ! Bonjour, la belle ; n'êtes-vous pas la fille de notre hôte Monsieur Roquillard ? Toi, le maître ? Par la mort ! Il faut que je t'assomme. Mon capitaine ? Le major de Bagnolet, va venir vous épouser par étape, et moi je prends déjà cette fille-là pour mon ustensile. Dans le combat, je suis un diable ; Mon nom de guerre est la Fureur : Mais chez un hôte un peu traitable, Je suis, par ma bonté, surnommé la Douceur ; Pourvu qu'il me laisse égorger sa volaille, Vider sa futaille, Emporter son manteau, Je suis doux comme un agneau. Lorsque mon hôte est raisonnable, Je ne cherche que son profit ; Si je passe la nuit à table, C'est pour ne point user ni ses draps ni son lit : Pourvu qu'il me donne pour mon ustensile Sa femme, sa fille, Sa servante Isabeau, Je suis doux comme un agneau. Mais j'entends nos équipages.