**** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_DONJUAN *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donjuan Allons, Christoval, assez de xérès et de porto comme cela ! C'est boire en muletier et non en gentilhomme. Au salon, pour les glaces et les sorbets ! À moi, Carolina ! Oh ! Sur mon honneur, voilà un trait merveilleux et qui demande récompense. Que veux-tu faire ? Prends, ma jalouse. Je lui donnerai une fois ce qu'elle me montrera du doigt, deux fois ce qu'elle me demandera des yeux, et trois fois ce qu'elle exigera des lèvres. Si j'étais roi, voilà un baiser qui me coûterait une province. Non ; seulement, ils sont à moi comme les Espagnes sont à l'infant. C'est chose dite, j'emprunte. Qu'est-ce que Don Josès ? Ah ! Oui. Eh bien, si j'ai un conseil d'ami à lui donner, à ce frère, c'est de trouve un juif qui lui achète son droit d'aînesse pour un plat de lentilles ; le juif sera volé. Tiens, ne m'en parle pas, Juana ; tu as peut-être entendu dire qu'il y a un Père éternel au ciel, n'est-ce pas ? Eh bien, je crois, Dieu me pardonne ! qu'il est descendu sur la terre. Et il m'envoie chercher ? Surtout si nous faisons pénitence ensemble. Prenons jour. Alors, je t'attendrai de huit à neuf heures du matin, à la petite maison du parc. Et toi, Vittoria, tu ne me dis rien ? Adieu, ma charmante. Éclairez. Adieu, jeunes fous et belles courtisanes, qui jouez comme des enfants avec des baisers et des poignards, sans savoir ce qu'on en peut faire ; partez avec vos flambeaux, vos rires et votre bruit, et laissez-moi seul et dans l'obscurité : mes pensées ont besoin de silence et de ténèbres. Puissent, cette nuit, mes richesses, mes châteaux et mes titres ne pas s'évanouir comme vous !... Mon père ne me demande pas, je m'en doutais ; il demande Don Mortès, je m'en doutais encore. Il faut que ce prêtre passe par ici pour entrer dans la chambre de mon père, je lui parlerai le premier. Allons, Don Juan, il ne s'agit plus de séduire une jolie femme ou de combattre un brave cavalier ; plus de paroles dorées, plus de bottes secrètes : tu as affaire à un prêtre, parle-lui la sainte langue de l'Église. Vous êtes un digne serviteur de Dieu, mon père, toujours prompt à la prière et à la consolation. Aussi, n'avons-nous pas douté quand nous vous avons fait mander... Tous deux, mon père, tous deux : la parole divine est peut-être plus nécessaire encore à ceux qui doivent vivre qu'à ceux qui vont mourir. N'avez-vous pas quelques minutes à me consacrer, mon père ? Vous avez connu mon noble père dans sa jeunesse ? Vous savez qu'il était d'un caractère... Mais en même temps fougueux et passionné. Et de grands péchés en Espagne, mon père. Certes ; mais il n'a pas toujours suivi les commandements de Dieu, comme aurait dû le faire un bon catholique. Il y a un péché qui doit lourdement charger sa conscience. Vous savez qu'avant d'épouser ma mère, il avait eu de... Je ne sais quelle esclave mauresque, gitane ou bohémienne, qu'il avait ramenée d'Afrique, un fils qu'il a traité comme mon frère, et à qui il a permis de s'appeler Don Josès, comme je m'appelle Don Juan ? Eh bien, mon père, voilà ce dont il est urgent qu'il se repente pour le salut de son âme ; et il se repentira certainement, si un saint homme comme vous lui reproche sa faiblesse pour cet enfant, s'il lui défend de le revoir avant sa mort, et s'il lui présente ce sacrifice comme une expiation de sa faute. Parce que, comme un païen et un hérétique qu'il est, il dissiperait les richesses des Marana en des jeux de cartes et de dés, au lieu d'en doter de saints couvents, comme je le ferais, moi... en orgies avec de jeunes étudiants, au lieu de donner une châsse d'argent à Saint-Jacques de Compostelle, et une chape d'or à Notre-Dame del Pilar, comme je le ferais, moi... enfin, en débauches avec de belles courtisanes du démon, au lieu de récompenser largement les saints hommes qui se dévouent au salut et à la consolation des mourants, comme je ferais encore, moi... Comprenez- vous, mon père ?... Mais il n'y est pas... Et savez-vous où il est ? À Séville en Andalousie, dans la ville des amours, des sérénades et des fleurs, tandis que son père bien-aimé vous envoie chercher pour se préparer à la mort... Et que fait-il à Séville ?... Il chante des chants mauresques sur une guitare grenadine, aux pieds de je ne sais quelle Teresina, qu'il séduit en lui faisant croire qu'elle sera sa femme, et cela au lieu d'accourir ici pour prier et pleurer avec moi au chevet du lit mortuaire... Et voilà ce qu'il faut que mon père sache de votre bouche ; car, si au moment de mourir... la faiblesse humaine est si grande à l'heure suprême !... il allait, ce qui est possible, légitimer ce bâtard... Il ne faut pour cela qu'un parchemin, deux lignes, une signature, et le sceau des Marana près de cette signature... et alors ce ne serait plus moi, ce serait l'autre qui deviendrait comte de Marana, grand d'Espagne de première classe, et maître de vassaux assez nombreux pour faire à son propre compte la guerre au roi de France !... Il vous les a dites ?... Oui, il a fait le grand, le généreux, le magnanime... Il est vrai que cela ne lui a coûté que des paroles. Il vous a dit, n'est-ce pas, qu'il me laisserait la seigneurie d'Olmedo ou d'Aranda, qui rapportent ensemble cinq cents réaux et vingt-cinq maravédis de rente ? puis encore, peut-être, qu'il consentirait à ce que l'on continuât de m'appeler Don ; c'est-à dire qu'il me fait l'aumône d'un morceau de pain et d'une épée... Oh ! Le digne, le noble, l'excellent fils, qui dispose de la succession paternelle du vivant même de son père !... Oh ! Le digne, le noble, l'excellent frère, qui se fait une part de lion, qui étend l'ongle sur l'héritage des Marana, et qui dit : « Ceci est à moi, Don Josès ! Cela est à toi, Don Juan !... » Oh ! Pour cela, vous vous trompez... Non !... Il laisserait mourir son père dans la solitude et l'abandon, si je n'étais pas là, moi... Je lui ai écrit dix lettres. Tu as écrit à Don Josès, prêtre !... Et qui t'a permis de le faire ? Eh ! Que ne me disais-tu cela plus tôt, tu m'aurais épargné depuis une demi-heure cette comédie que je joue !... Ah ! Nous voilà enfin tous deux face à face, nos masques à la main, et pouvant tout nous dire !... Eh bien, donc, écoute, et retiens bien ce que tu vas entendre... Je ne veux pas, entends-tu bien, prêtre ? Je ne veux pas que le vieillard reconnaisse Don Josès pour mon frère... et cela, non pas parce qu'il est le fils d'une bohémienne, non pas parce qu'il est un païen, non pas parce qu'il déshonorerait mon nom dans l'autre monde, dont je m'inquiète fort peu ; mais parce que, dans celui-ci, il me prendrait mon titre de comte, dont j'ai besoin pour faire grande et noble figure par les Espagnes... Mes richesses, qu'il me faut pour acheter l'amour qu'on ne voudra pas me donner, et mes dix mille vassaux, qui me sont nécessaires pour m'assurer l'impunité que la justice se lassera peut-être de me vendre... Souviens-toi que je m'appelle Don Juan, et qu'un de mon nom, si ce n'est de ma race, est descendu vivant en enfer, y a soupé avec un commandeur qu'il avait tué après avoir déshonoré sa fille ; que j'ai toujours été jaloux de la réputation de cet homme, comme le roi Charles-Quint de celle du roi François Ier... Et que je veux la surpasser, entends-tu ? Afin que le diable ne sache lui-même qui préférer de Don Juan Tenorio ou de Don Juan de Marana... Maintenant, entre chez mon père ou sors de cette maison, sois pour Don Juan ou pour Don Josès, pour Dieu ou pour Satan, à ton choix ; mais n'oublie pas que je suis là, et que je ne perds pas une parole, pas un geste, pas un signe... Et que, selon ce que tu feras, je ferai. Priez pour vous-même, mon père. Allons, la lutte est engagée... il faut la soutenir : le prix est magnifique, Don Juan ! Tu as enfin rencontré un adversaire digne de toi ; il est fâcheux que ce soit sous la robe d'un moine ; car je m'entends mieux à me servir de l'épée que du poignard. Ah ! Le voilà qui s'approche du lit de mon père. Prêtre, fais ton office de prêtre et pas autre chose, je te le conseille... Pourquoi t'éloignes-tu ? Que veux-tu faire de cette encre et de cette plume ?... Ah ! Tu tires un parchemin de ta poitrine ; ne mets pas la plume aux mains de mon père, ou, si tu le fais, tu vois bien que c'est toi qui cherches ta destinée, que c'est toi qui vas au-devant du malheur que j'ai voulu éviter... Ah ! Ah ! Voilà le vieillard qui écrit... Suis des yeux chaque ligne qu'il trace... Chaque ligne m'enlève un titre, un trésor, un château, n'est-ce pas ? Une seconde encore, et il ne me restera rien... Il va signer... Il... Prêtre maudit !... Il était temps ! La signature manque seule, car ils avaient eu la précaution d'appliquer le sceau d'avance. Personne n'a vu entrer le vieillard. Personne ne l'a vu sortir ! Mon père s'est évanoui... Et, quand il reviendra à lui, il prendra tout cela pour quelque songe de la fièvre... Pour quelque vision infernale ! Allons, je suis toujours Don Juan, seigneur de Marana, fils aîné du comte ! Ah ! Disparu ! Cette vieille tradition de la famille serait-elle vraie ? Le mauvais ange des Marana devait reprendre, disait-on, sa liberté, lorsqu'un crime serait commis par un Marana. Eh bien, le crime est commis, le mauvais ange est libre. Après ? J'attendais une réponse du ciel et la voilà qui me vient de la tombe : c'est la voix de mon père. Pourquoi cette voix me fait elle tressaillir jusqu'au fond des entrailles ? pourquoi me sentai-je malgré moi tout prêt à lui obéir ? Ah ! Ah ! Ah ! c'est qu'on m'a dit quand j'étais enfant : « Cet homme est ton père, et tu dois obéir à ton père. » Préjugés de l'enfance, qui s'enracinent au coeur de l'homme !... Chaînes qui sortent de la bouche des nourrices, et qui garrottent les générations aux générations, ceux qu'il s'élèvent à ceux qui tombent, la vie à la mort !... Pourquoi le dernier cri du prêtre m'a-t-il moins ému que cette voix ?... Don Juan, Don Juan ! Poitrine de lion où bat un coeur de femme, obéis ! Me voilà, mon père... C'est la voix de mon frère, celle-là... Ah ! Celle-là aussi m'a fait tressaillir jusqu'au fond des entrailles, mais de haine et de jalousie !... Elle vient bien pour combattre l'autre. Merci, Satan ! Silence, frère !... Il dort !... Pauvre Josès ! Et tu as ainsi quitté Séville, tes amours enchantées, ta belle Teresina ? Oui, frère, nous avons souvent parlé de toi ensemble... Et tu disais que doña Teresina ?... Et tu l'as abandonnée à Séville, seule et si loin de toi ? Non, tu te trompes... Oublieux, tu ne te rappelles donc pas combien de fois, enfants tous deux, nous avons écouté avec effroi le bruit du torrent qui roule au pied de ces murs, et dont l'eau parfois semblait se plaindre, comme une âme errante et qui demande des prières ? Oui, et alors, comme aujourd'hui, esprit dégagé des liens terrestres, tu oubliais les choses les plus nécessaires à la vie, comme de se reposer quand on est las, et de manger quand on a faim. Viens dans cette chambre, Don Josès !... Assieds-toi devant une table, et je te servirai comme je dois le faire, mon aîné, mon seigneur, mon maître... Viens, tu boiras à la santé de ta belle Teresina. Je te dis qu'il dort. Viens, viens. Eh bien, va donc ! Maintenant, je te permets de l'embrasser. Plus rien, rien que les sanglots de mon frère ; tout est fini ! Ah ! Qui est-ce qui me parle là ? Qui me dit que j'ai mal fait ? Quel est cet ennemi qui vit en moi pour me donner des conseils contre moi ? La conscience ? Elle est comme Don Josès, elle arrive trop tard. Il n'est jamais trop tard pour se repentir ? Et la mort du prêtre ?... Une pénitence de toute la vie peut l'expier ? Et mon père qui m'appelait, et que j'ai laissé mourir sans lui répondre ! Il est déjà au ciel, où il prie pour son fils ? Donc, l'avenir m'appartient encore. Holà, esclave ! Dis à un écuyer et à douze hommes d'armes de venir me rejoindre à la maison du parc, où j'ai, ce matin, un rendez-vous avec Carolina. Ce soir, nous partons pour Villa-Mayor. Retiens bien ceci, esclave, afin de ne plus tomber dans la même faute : je suis le fils unique du comte, le seul héritier de sa famille, et quiconque dira que Josès est mon frère en a menti. En me promenant ce soir au rivage, Où pendant une heure, à vous j'ai rêvé, J'ai laissé tomber mon coeur sur la plage. Vous veniez ensuite et l'avez trouvé. Dites-moi comment finir cette affaire : Les procès sont longs, les juges vendus, Je perdrai ma cause ; et pourtant que faire ? Vous avez deux coeurs, et je n'en ai plus ! Mais, dès qu'on s'entend, bientôt tout s'arrange, Et souvent le mal vous conduit au bien. De nos coeurs entre eux faisons un échange : Donnez-moi le vôtre, et gardez le mien. Seule ? Tant mieux ! Écoute derrière quelque tapisserie, n'est-ce pas ? Sois tranquille, je parlerai bas... Ton nom ? Eh bien, Paquita... si je connais bien mes Espagnes, tu es Andalouse ; si je n'ai point oublié ma science des âges, tu as vingt-cinq ans, et, si je sais toujours lire dans les yeux, tu as déjà trahi un mari, trompé deux amants, et perdu trois maîtresses. Quant à moi, je suis le Comte Don Juan de Marana. Je t'ai dit mon nom. Comme une mine d'or. Comme le roi. Non, sur actions. Maintenant, parlons de ta maîtresse. Dix-sept ans, je le sais. Doña Teresina, je le sais. À Don Josès, je le sais encore. N'aime pas. Ou plutôt qu'elle... Ses défauts ? Elle doit en avoir. J'ai deux chances de plus que le serpent... Ève n'était que curieuse. C'est juste, cela m'en fait au moins une de plus... Adieu, Paquita. Je sais ce que je voulais savoir. Peut-être. Ne me reconduis-tu pas ? Me voilà. Vous êtes ma souve raine, et je suis votre esclave ; vous m'avez appelé, je suis venu... Qu'avez-vous à m'ordonner ? Il est trop tard, Teresina ; ces bijoux ont une vertu magique : vous les avez touchés, cela suffit, et, s'ils ne vous appartiennent plus, vous leur appartenez encore, vous !... Et, quand je les aurai remportés, croyez-vous qu'ils seront moins dangereux absents que présents ? Non, vous les chercherez des yeux ; non, vous porterez la main à votre front et à votre cou, croyant les y trouver ; non, vous les reverrez dans tous vos rêves. Vous vous êtes assise sous l'arbre de l'orgueil, Teresina, vous vous êtes endormie sous son ombre : c'est celle du mancenillier. Vous ne les avez portés qu'un instant : eh bien, avouez, n'est-ce pas, qu'ils ont bouleversé tout votre être ? n'est-ce pas qu'ils vous ont, comme une parole magique, ouvert la porte de ces jardins enchantés, aux fleurs d'émeraudes et aux fruits d'or ?... N'est-ce pas que vous avez entrevu Madrid, la ville royale, avec ses sérénades, ses fêtes, ses bals, ses spectacles, ses courses au Prado ? Vous étiez la plus belle de ces femmes, et toutes les femmes étaient jalouses. Réalité, réalité... Aime-moi seulement, Teresina, et je te bâtis sur le mot je t'aime, un palais à rendre une fée jalouse. Teresina, je vous aime ! Je vous aime comme jamais je n'aimai aucune femme, comme jamais vous ne fûtes aimée d'aucun homme. Teresina, je suis riche et puissant ; je peux faire de vous quelque chose de pareil à une reine ; Teresina, vous aurez, chaque jour de la semaine, une parure différente de celle-ci ; vous aurez des valets, des pages, des vassaux, des carrosses armoriés... Teresina, le bonheur est là, le repousseras-tu ? Allons, Don Juan, voici l'heure ; il s'agit de céder la place ou de la garder ; car, Dieu me pardonne ! Elle était à peu près prise... Tu as cinq minutes pour te décider. Oui, oui, je sais bien que la chose est scabreuse, et que peut- être il vaudrait mieux pour mon salut éternel... Oui, je t'attendais pour te dire une chose. Que jamais fiancé n'est venu plus à temps... Non, pour se voir enlever sa femme. Salut à Don Josès ! Tu as oublié de m'inviter à tes fiançailles, Don Josès... Je ne me suis pas senti le courage d'y assister ; et, comme depuis longtemps je comptais visiter les domaines de mes aïeux, je me suis mis en route, et j'ai commencé par mon château de Villa-Mayor. J'étais curieux aussi de connaître la châtelaine. Deux fois. Charmante la première, adorable la seconde. J'en parle comme un amant. Eh bien, j'aime ta fiancée, Don Josès. N'as-tu pas entendu que je t'ai dit que j'aimais cette jeune fille ? Tu as entendu et tu as ri... Tu ne connais donc pas l'amour de Don Juan ? C'est cela ! Et, pour cet amour fraternel, à cause de ces liens de nature, il faut que je dise à mon sang de cesser de battre ; et, si mon sang est indocile, si mon coeur est rebelle, s'ils refusent d'obéir à ma volonté humaine, j'irai implorer l'assistance divine, je demanderai aux macérations du cloître d'éteindre mes passions, je revêtirai le cilice pour que les douleurs du corps me fassent oublier les tortures de l'âme... J'userai mes genoux à prier Dieu de m'ôter du coeur cet amour qu'il m'y aura mis ?... Don Juan pénitent, Don Juan moine, Don Juan canonisé, peut-être !... Ce serait un miracle à mettre toutes les Espagnes en joie ! Et, pendant que je gagnerais le ciel, je m'en rapporterais à Don Josès du soin de perpétuer mon nom, et de soutenir la splendeur de notre famille ? J'aime Teresina, te dis-je, et, sur ma foi de gentilhomme, elle sera à moi ! Non, tu ne lutteras pas... Je suis un fou et tu es un sage... Tu songeras aux dangers qu'entraînerait une pareille guerre, et le sage fera place à l'insensé. Josès, Josès ! Ne compare pas les tempêtes des fleuves à celles de l'Océan ! Parce qu'ils sont antérieurs aux miens, n'est-ce pas ? Tu veux me prendre ma place dans le coeur de Teresina, comme tu l'avais prise dans la maison de mon père... Prends garde, Don Josès !... Tu n'es pas heureux en usurpations ! Je dis qu'un aventurier peut bien se glisser dans le sein d'une famille, ou dans le coeur d'une femme, escroquer un titre ou voler un amour... Mais je dis aussi que, lorsque le véritable maître arrive, on chasse l'étranger. Me voilà !... Arrière, Don Josès, arrière ! Tu en as menti, Don Josès, tu n'es ni l'un ni l'autre. Toi, gentilhomme ? Toi, mon frère ? Et où est ta lettre d'affranchissement, esclave ? Où est ton acte de reconnaissance, bâtard ? Ah ! Tu croyais sans doute que le révérend Don Mortès les avait arrachés à la main mourante de mon père ? Eh bien, tu te trompais. Tiens, lis !... Il y a... que cet homme vous avait dit qu'il était noble, n'est-ce pas ? Qu'il avait des châteaux et des titres, n'est-ce pas ? Qu'il vous donnerait un manteau de cour et une couronne de duchesse, n'est-ce pas ? Eh bien, cet homme, c'était un vassal et un serf, et voilà tout. Holà, messieurs ! Entrez ! Maintenant, pâlis et tremble devant ton seigneur, esclave !... Chapeau bas devant ton maître, vassal ! Dépouille ces vêtements, qui sont ceux d'un gentilhomme.. ... et revêts la livrée d'un valet ; et, à l'avenir, n'approche plus de cette femme ; sois aveugle quand elle paraît, sourd quand elle parle, muet quand elle questionne... ; car cette femme est à moi !... Vous voyez que cet homme est fou, mes maîtres ; emmenez-le ! Celle qu'on inflige aux serfs rebelles. Allez. Des flacons, des sels ! Allons, cours ! Esclave ! Mes hommes d'armes ? Mon cheval ? Ma bannière ? Allons, alors ! Le grand air la fera revenir... Ferme cette porte derrière nous ! Vous vous trompez, señor : il préfère le valdepeñas.Nous savons parfaitement que le tabac n'a été apporté en Europe que depuis deux siècles, à peu près ; mais une tradition espagnole attribue à Don Juan la vaillantise qu'il raconte ici, et nous n'avons pas voulu lui faire tort d'un seul trait de son caractère. Vous êtes dans l'erreur, mon maître : il en avait vidé quatre. On vous a mal rapporté la chose, mon cavalier : c'était sur la rive droite. Volontiers, mes gentilshommes... Or, Don Juan, se promenant sur la rive droite du Mançanarès, comme j'ai dit, était fort embarrassé pour allumer son cigare, lorsqu'il aperçut sur la rive gauche un homme qui fumait ; il lui ordonna aussitôt de passer le fleuve, et de lui apporter du feu... Mais le fumeur préféra allonger le bras, et l'allongea si bien, que le bras traversa le Mançanarès, et vint présenter son cigare à Don Juan1. Don Juan y alluma le sien, et dit : « Merci. » Voulez-vous dire que ce n'est point ainsi que la chose s'est passée ? Qu'est-ce alors ? Que m'importe ! Après ? Autant qu'un vieux Castillan peut l'être à Madrid. Si fait, de réputation. Cela me regarde... Gomez ! Une bouteille de malaga et deux verres ! Qu'y a-t-il ? Vous le voyez. Sans doute. C'est justement pour cela que je l'ai prise. Si fait !... un de ces messieurs a pris la peine de me le dire. Touchez là, mon cavalier, vous avez trouvé votre homme. Et moi aussi. Et moi aussi ! Et moi aussi. Volontiers. Voici mon épée. Voici ma bourse. Voici ma liste. Et aucune ne se fera attendre. Pour plus de clarté. De l'autre, les maris trompés. Et finit par la signora Luisa, maîtresse d'un pape... Vous voyez que l'échelle sociale est parcourue, et que chaque classe m'a fourni son contingent. Comment cela ? Laquelle ? C'est par Dieu vrai ! Il n'y a pas de religieuses... Messieurs, j'engage devant vous ma foi de gentilhomme qu'avant huit jours cette lacune sera remplie. À vos ordres. Gomez, des dés ! Cela va plus vite. Votre enjeu ? Va ! Oh ! Entre gentilshommes, on n'y regarde pas de si près. En un seul, s'il plaît à Votre Honneur ? Sept ! Volontiers... Que jouons-nous, cette fois ? Votre parole est bonne... Cette chaîne !... Onze !... J'en possède trois dans les deux Castilles. Le vôtre se nomme ? Choisissez, de Villa-Mayor, d'Aranda ou d'Olmedo. Douze ! Pour Almonacil. Êtes-vous déjà las de celui-ci ? Son nom ? Cette bourse, cette agrafe et Almonacil, contre Doña-Inès d'Almeida. Prenez garde, seigneur cavalier !... Car je dirai partout que j'ai proposé à Don Luis-de-Sandoval un enjeu, et que Don Luis-de-Sandoval n'a pas osé le tenir. Gomez, des cartes ! Ils vous portent malheur. Pourquoi cela ? Hier, j'aurais ajouté au mien une jeune fille d'Andalousie, que j'avais enlevée il y a trois jours à mon frère. Satan le sait ! Je l'avais enfermée chez moi pour suivre avec plus de liberté une duègne qui avait eu l'imprudence de me remettre une lettre devant elle ; jugez de ma surprise, lorsqu'en rentrant, j'ai trouvé... Non, la fenêtre. Sur le Mançanarès. Va pour la bourse, l'agrafe et Almonacil. Votre maîtresse est à moi, Don Luis. Que lui dites-vous ? Et ce second billet ? Il dit ? « Madame, je vous ai jouée et je vous ai perdue ; vous appartenez maintenant au seigneur Don Juan de Marana, à qui je cède tous mes droits sur vous ; j'espère que vous ferez honneur à ma signature. DON LUIS DE SANDOVAL D'OJEDO. » Merci ; mais, à mon tour, un mot, seigneur Don Luis : votre dernier enjeu valait mieux que tout ce que j'aurais pu mettre contre lui ; reprenez donc, je vous prie, cette bourse et cette agrafe ; quant au manoir de vos pères, je suis un fils trop pieux pour vous en déshériter. Don Luis !... C'est vrai, j'avais oublié qu'il nous restait une dernière partie à faire. Ah ! c'est une véritable Espagnole, jalouse et hautaine, portant poignard à la jarretière et poison à la ceinture. Merci, Don Luis ! vous êtes vraiment un noble cavalier, et nous surveillerons Doña-Inès. Je suis un gentilhomme de Castille, fort jaloux de connaître votre beauté avant de l'avoir vue, et fort amoureux d'elle depuis que je la vois... Mais, s'il ne m'a point menti, il est à cette heure au Prado, avec ses amis, Don Fabrique et Don Henriquez...Ne fait-il pas, dites-moi, un magnifique temps de promenade ? Tout vous sera expliqué par cette lettre, Madame. Ne reconnaissez-vous point son écriture ? Sandoval possédait un trésor dont il ne connaissait pas tout le prix ; il l'a joué, il l'a perdu, voilà tout ! Si vous haïssez Sandoval, cela revient au même. Vous avez d'autres lettres de lui, comparez. Sur la foi d'un gentilhomme et sur l'honneur d'un Espagnol, c'est vrai. Maintenant, le haïssez-vous, madame ? Et moi ?... Comme l'infant. Comme le Cid. Don Juan. Bien, ma Chimène. J'écoute. Lequel ? C'est juste ; il mourra. Aussi vrai qu'il est au Prado, où je vais le chercher... Et vous m'attendrez ici ? Merci, ma lionne... J'ai confiance en votre parole. Vous êtes libre, Inès !... Alors, madame, vous avez vu choir un noble gentilhomme. Où allez-vous ? Va donc, Inès, va... Car c'est bien lui ! Allons, Don Juan... Qu'est-ce donc ? Ce n'était qu'un homme, après tout... Oui, mais un de ces hommes de bronze comme la nature en coule un sur mille... Eh bien, tant mieux ! cet homme eût été pour ma renommée un rival trop dangereux... Fatalité, qui l'a jeté sur ma route ! Allons, allons... C'est un rival de moins et une maîtresse de plus. Venez, ma charmante ! Eh bien, Sandoval ?... Vous avez raison, sur mon âme !... et vous êtes une noble Espagnole, et vous êtes belle, et je vous aime ! je vous aime ! Vous avez raison, la vie est si étrangement courte, qu'il faut mettre à profit ses heures, ses minutes, ses secondes... Vous avez raison, nous ne sommes point ici pour nous souvenir du passé, nous y sommes pour jouir du présent... À nos amours, Inès ! Asseyez-vous... C'est une chose sainte que l'amour quand deux coeurs nés l'un pour l'autre fleurissent ensemble comme deux boutons sur une même tige... Mais c'est chose rare que ces amours juvéniles et transparentes, et nul ne peut dire, en voyant sourire une femme, que cet amour est exempt de perfidie... C'est une bonne chose que le vin !... mais dans le meilleur, la main d'un ennemi peut traîtreusement verser du poison. « Don Juan, me disait Sandoval en expirant, ne buvez jamais le vin versé par une maîtresse qui ne vous aime plus, ou qui ne vous aime pas encore, si cette maîtresse ne goûte pas le vin la première. » C'était un homme d'un grand sens que Sandoval ; qu'en dites-vous, Madame ? Gomez ! Quel est ce vin ? Et celui que tu apportes dans cette bouteille ? Verse du Valdepeñas, je le préfère. Merci ! Allons ! Eh bien, qu'y a-t-il, mon amour ? Rien, n'est-ce pas ? si ce n'est que Doña-Inès a pris, jusqu'à cette heure, Don Juan de Marana pour un écolier de Salamanque ou un étudiant de Murviedro, et qu'elle s'est dit à elle-même : « J'aurai bon marché de cet homme ; je vais lui faire tuer d'abord mon amant, qui m'a trahie, puis ensuite je m'empoisonnerai avec lui... » Il y a, du reste, grandeur et courage dans cette résolution... Mais je suis jeune, riche, noble : j'aime la vie et je ne veux pas mourir, moi... Avez-vous des commissions pour ce monde, Madame ? La chose sera fait en conscience ! J'étais embarrassé de trouver un prétexte pour entrer dans une de ces saintes maisons, et vous me le donnez... Merci, Doña-Inès, merci ! Mon révérend, pourriez-vous me dire laquelle de ces jeunes filles est soeur Marthe ? Merci, mon père. Dieu soit avec vous, soeur Marthe ! Je l'ai appris d'une personne qui vous était bien chère ; et, comme sa voix mourante n'aurait pu le répéter une seconde fois, je l'ai retenu à la première. J'étais près d'elle lorsqu'elle rendit à Dieu une des plus nobles âmes que Dieu ait envoyées sur la terre. Doña Inès est ensevelie dans cette église ? Tant mieux ! Elle verra si je suis un messager fidèle. Mais ne voulez-vous pas entendre ses dernières paroles ? Ce sont des paroles d'amour. « Don Juan, m'a-t-elle dit, allez trouver ma soeur au couvent de Notre-Dame du Rosaire ; dites-lui qu'un cavalier m'avait insultée, et que vous m'avez vengée ; mais ajoutez que je n'ai pas voulu survivre à cette insulte, et annoncez-lui qu'elle est maintenant la seule héritière de mon bien et de mon titre. » Et comptez-vous pour rien le sacrifice de vos quinze ans, d'un coeur qui n'avait pas encore battu, et d'une beauté qui rendrait le roi jaloux de Dieu ? Non pas lorsqu'elles sortent de la bouche mourante d'une soeur, et j'atteste son âme, qui nous écoute, que je répète ici ses dernières volontés. Elle me dit donc : « Don Juan, vous êtes un cavalier loyal, un ami sincère, un homme pieux, incapable d'égarer une jeune âme comme celle de ma soeur ; dites-lui donc en mon nom que, si elle se sent une vocation réelle pour la vie monastique... ... que, si jamais elle n'a soupiré en enfermant un corps si merveilleux sous une robe de bure ; que, si jamais elle n'a pleuré l'heure solennelle où ses blonds cheveux sont tombés sous le ciseau du prêtre ; alors, dites-lui qu'elle lègue ses biens au couvent, et qu'elle y reste à prier pour mon âme. » « Mais que, si, au contraire, le monde qu'elle a quitté lui est resté présent avec toutes ses promesses, tous ses enchantements, tous ses délices ; que, si son cloître lui paraît désert, sa cellule étroite, sa vie désenchantée, elle vous confie, à vous, mon ami, qui êtes instruit en matière de religion, ses ennuis, ses doutes, son espoir ; alors vous la conseillerez, n'est-ce pas ? » Je le lui ai promis. Eh bien, Marthe, au nom de votre soeur, votre frère vous interroge ; voyons. Pourquoi craindre ? Ces sentiments inconnus sont sans doute ceux de votre âge ? C'est le besoin d'aimer et d'être aimée ; ce sont les battements d'un coeur de dix-huit ans plein de sang espagnol ; c'est la perception encore vague de ces émotions délicieuses que l'amour éveillera plus tard dans votre âme ; ce sont des pressentiments d'un bonheur à venir qui vous semblent des souvenirs perdus d'un bonheur passé. Ces paroles étranges, c'est la voix du monde qui vous appelle ; elle vous dit : « Marthe, on m'a calomnié à tes yeux ; je ne suis point tel que l'on m'a peint à toi, plein de séductions trompeuses et infernales ; je ne suis point le chemin de perdition qui conduit au royaume de Satan : je suis un jardin de délices où la beauté est reine et commande. Viens, Marthe ! tes yeux se sont illuminés du feu de ton âme ; tes longs cheveux ont repoussé sous ta coiffe de religieuse ; ta taille d'enfant s'est développée sous la robe sainte ; à défaut de miroir, l'eau de la fontaine t'a dit que tu étais belle. Viens, Marthe, viens, un trône t'attend ! » Et, parmi ces visions bizarres, ne passe-t-il point parfois un jeune cavalier qui s'approche de vous et qui vous dit : « Marthe, ma bien-aimée, je t'ai vue depuis que ma jeunesse a des songes d'amour... Je te cherche dans le monde et je ne t'y rencontre pas !... Pourquoi te caches-tu dans l'ombre du cloître au lieu de briller au soleil de nos cités ?... Fleur de beauté, tu dois éclore dans un jardin, et non sur une tombe... Viens, Marthe ! Franchis la porte de ton couvent ; elle donne sur le monde, c'est-à-dire sur le bonheur... Sur la vie... Sur l'amour. » Qui me l'a dit, Marthe ? Qui me l'a dit ?... Oh ! Si vous ne me devinez pas, je suis bien malheureux. Je vous ai reconnue, moi... À l'instant où je vous vis, je me suis dit : « Celle que je cherche, la voilà !... La bien-aimée de mon coeur, la voilà !... la fiancée de mes rêves, la voilà ! C'est elle ! » Car vous avez passé dans mes nuits comme j'ai passé dans les vôtres, et, si j'ai éclairé votre sommeil, vous avez brûlé le mien. Marthe, n'est-ce pas dans une église que ceux qui s'aiment font serment de s'aimer toujours ? Et quel amour, si nous le voulons, peut être plus pur et plus selon Dieu que le nôtre ? Oubliez-vous qu'il y a un homme qui peut vous relever de ces voeux ? Nous irons le trouver, Marthe. Ensemble. Vous fuirez. Avec votre fiancé. Nous lui dirons que, depuis longtemps, nous nous aimons, et c'est vrai ! Car nous nous aimons depuis le jour où nous avons rêvé l'un de l'autre. Nous nous jetterons à ses pieds, et il nous pardonnera et nous bénira, et nous aurons une vie de délices et d'amour, au lieu de cette vie triste et solitaire que nous avons eue jusqu'aujourd'hui. Marthe, conduisez-moi devant la tombe de votre soeur. Mais, aussitôt la prière finie ?... Oh ! Oui. Au revoir... Ah ! Ah ! Ah ! Parlez-moi de ces blanches colombes, dont aucun souffle humain n'a terni le plumage. Voilà qui est confiant et crédule ! Une femme du monde m'aurait pris huit jours ; il est vrai que celles-là sont si souvent trompées ! Hussein ! Hussein ! Va m'attendre dans la petite ruelle qui longe cette église, derrière les murs du couvent ; prends mes meilleurs chevaux et munis-toi d'une échelle de cordes. Lorsque tu entendras frapper trois fois dans les mains, tu jetteras l'échelle par-dessus le mur. Va ! Maintenant, Doña-Inès, pardon de n'avoir pas suivi ponctuellement vos instructions ; mais pourquoi votre soeur est-elle si belle, que je n'ai pu lui parler que d'amour ?... D'ailleurs, vous avez contracté certain engagement avec moi, et vous êtes morte sans l'acquitter... Marthe ne fera que payer une dette de famille... Vous m'avez aidé en bonne chrétienne, je ne l'oublierai pas, et maintenant je vous dois, non-seulement des prières, mais encore des remerciements, et, si je savais laquelle parmi toutes ces tombes est la vôtre... Qu'est-ce à dire ?... Je crois que la statue a parlé ! Est-ce une erreur ou bien ai-je réellement entendu ? Écoute, femme ou statue, ange ou démon, voix du ciel ou de l'enfer, parle une seconde fois, et je jure Dieu que j'irai lever ton voile de marbre, afin de savoir de quelle bouche sont sorties tes paroles. Me voilà. Je ne suis plus Don Juan ton fiancé, je ne suis plus Don Juan ton époux ! Je suis frère Juan le trappiste... Soeur Marthe, souvenez-vous qu'il faut mourir !... En m'offrant pour remplir cette sainte tâche, j'ai plus compté sur mon zèle que sur mes mérites ; Dieu m'aidera. Ma soeur, laissez-nous. Allons, la chose est en bon train, me voilà dans le bercail... et Hussein m'attend au bas de cette fenêtre... Diable ! il me semble que la pénitente de dom Sanchez n'est point malade de vieillesse... Ma soeur... Elle ne me répond pas. Ma soeur... Évanouie, sans doute... Glacée, morte !... Pauvre enfant, si jeune, morte dans un cloître, sans avoir goûté la vie, sans avoir connu l'amour !... Trésor enfoui, diamant perdu !... Pourquoi ne t'ai-je pas rencontrée joyeuse et florissante au milieu du monde, au lieu de te trouver pâle et froide sur ton lit mortuaire ?... Je t'aurais aimée, car tu devais être jolie : de si beaux cheveux ne peuvent cacher qu'un beau visage... Mon Dieu !... Oh ! Non... ce n'est pas possible... Ce sont ses traits, c'est elle !... C'est Marthe !... Marthe, froide... Inanimée, morte !... Ah ! Don Juan !... Quel mauvais esprit as-tu irrité, que, depuis quelques jours, rien ne te réussisse et que tout aille au pis ? À qui t'adresser, maintenant que tes péchés t'ont brouillé avec Dieu, et tes remords avec Satan ?... Oh ! Il y a cependant eu pour moi un temps de bonheur où mes désirs s'accomplissaient avant d'être formés, où un palais enchanté se fût élevé sur ma route pour me donner l'hospitalité pendant une nuit !... Ai-je donc perdu quelque amulette précieuse, quelque talisman souverain ?... Ou plutôt n'est-ce pas que, depuis que mon père a reconnu Don Josès, il y a une malédiction sur moi ?... Autrefois, t'eussé-je retrouvée morte, prête pour la tombe, je crois que je n'aurais eu qu'à dire : « Je veux qu'elle vive », et l'âme, à moitié chemin du ciel, serait redescendue sur la terre... Marthe ! Marthe !... Ma bien-aimée !... Ah ! Il m'a semblé sentir un mouvement... Elle se lève... Marthe !... Toujours froid, toujours morte... Marthe, parle-moi, je t'en supplie, ou je ne pourrai pas croire que tu vis ! Oh ! Un mot, une parole !... Oui, je comprends... Ah ! Ma fortune ne m'a donc pas abandonné ! Je suis toujours moi, je suis toujours l'heureux et le puissant ! Ô Marthe ! Cette fois, tu es à moi, et ni l'enfer ni le ciel ne t'arracheront plus de mes mains. Hussein ! Hussein ! Les chevaux sont-ils prêts ? L'échelle de cordes ? Allons, ma bien-aimée, l'amour, le bonheur, l'avenir, tout est à nous !... Es-tu prête ? Veux-tu venir ? Minuit !... Eh bien ? Allons !... **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_DONJOSES *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donjoses Don Juan ! Don Juan ! Don Juan ! Est-il encore temps ? Verrai-je encore mon père ? Que je t'embrasse pour cette bonne nouvelle, frère ! Comprends-tu ? Si je n'avais pas reçu cette lettre du digne Don Mortès, mon père mourait sans que je le revisse ; il m'aurait appelé dans son agonie et je n'aurais pas été là pour lui répondre ! La terre aurait recouvert cette face vénérable sans que la dernière expression de ses traits fût restée éternellement en ma mémoire... Oh ! Cela n'était pas possible ! Dieu n'a pas voulu que cela fût... Laisse-moi pleurer, frère, car j'ai le coeur plein de sanglots et de larmes... Oh ! Mon père, mon père, mon digne père !... Tais-toi, Don Juan, tais-toi ; ne parle pas des amours du fils pendant l'agonie du père... Si j'ai quitté Teresina ! Oh ! J'aurais quitté ma vie si j'avais cru que mon âme vînt plus vite ! Est-ce que sa maladie est mortelle ? Est-ce qu'il souffre bien ? T'a-t-il parlé de moi ? S'est-il souvenu de Josès ? Oh ! Frère ! Elle est belle parmi les belles, comme mon père était bon entre tous... Qu'il eût aimé ma Teresina, mon pauvre père ! Si j'avais pu voir sa bouche se poser sur ses beaux cheveux blancs, comme ces roses des Pyrénées qui fleurissent dans la neige, oh ! J'aurais été heureux, trop heureux !... Non, non !... Elle m'a accompagné jusqu'en Castille ; je l'ai laissée dans notre château de Villa-Mayor ; je ne voulais pas la faire assister à la scène de deuil qui m'attendait ici... N'ai-je pas entendu mon nom ? mon père ne m'a-t-il pas appelé ? Oui, c'est vrai ; mais moi seul tremblais... Tu n'avais pas peur, toi, et, tandis que je tombais à genoux, moi, tu chantais quelque vieille ballade impie où l'ennemi du genre humain jouait le principal rôle. Oui, tu as raison, j'aurais bien besoin de réparer mes forces : il y a trois jours que je marche sans m'arrêter ; il y a vingt-quatre heures que je n'ai rien pris ; mais, si pendant ce temps, mon père... Oh ! Cette fois, je ne me trompe pas ; dis ce que tu voudras, frère, mais c'est sa voix. Me voilà, père, me voilà ! Vous faites un amant bien joyeux d'un fils bien triste, Teresina ! Oui, je suis revenu en toute hâte ; je ne sais quel pressentiment me poussait vers Villa-Mayor. À peine eus-je scellé la porte du tombeau sur le corps de mon noble père, qu'une voix surhumaine murmura votre nom à mon oreille avec des sons d'une tristesse étrange ; je crus que le bon ange de notre famille venait m'avertir que vous couriez quelque danger... J'accourus. Et quel péril si grand poursuivait donc ma belle Teresina ? Les antiques châtelaines de Villa-Mayor étaient-elles jalouses de voir leur palais habité par une si jeune et si belle héritière ? Comment cela ? On la lui a accordée, je l'espère ? À sa place, j'eusse eu le même désir, surtout si j'avais seulement vu l'ombre de la châtelaine... Tu as reçu sa visite ? C'est d'un seigneur magnifique et d'un hôte reconnaissant. Et ces bijoux ? Il n'y a qu'un homme dans toutes les Espagnes à qui Satan ait accordé ce pouvoir, Teresina... Comment appelez-vous cet étranger ? C'est lui !... Voilà donc pourquoi il a quitté le lit mortuaire de mon père ! Voilà pourquoi il m'a laissé descendre seul le noble et bon vieillard dans la tombe ! voilà pourquoi il n'a pas même demandé quel était l'assassin de cette courtisane dont il allait chercher l'amour et dont il n'a trouvé que le cadavre... Ô Don Juan ! Don Juan ! Oui, je le connais ! Pour mon malheur dans ce monde et peut-être dans l'autre... Tu avais raison de craindre, Teresina ! Pauvre fleur ! tu avais deviné l'orage... Teresina, vous êtes un ange... Paquita, vous avez entendu ce qu'a dit votre maîtresse ; allez avertir le prêtre que nous nous rendons à la chapelle... Dans une demi-heure, nous y serons... Et tu auras tout ce que tu rêvais, ma Teresina ! Tu auras des bijoux, des châteaux, des armoiries ; car, moi aussi, je suis riche ; moi aussi, j'ai des domaines ; moi aussi, je suis noble ! Savais-je, moi, que toutes ces vanités humaines pouvaient ajouter à ton bonheur ? Cela est... Eh bien, ma belle Teresina, allez mettre votre voile blanc, et nous le troquerons contre un manteau de cour ; allez parer votre front virginal d'une branche d'oranger, et nous l'échangerons contre une couronne de comtesse. Allez, mon ange ! Allez !... Soyez tranquille. Oh ! Don Juan ! Don Juan ! Mauvais génie de la famille, je t'avais reconnu avant qu'elle prononçât ton nom ; rien n'a pu t'arrêter dans ta route fatale, rien n'a pu te distraire de ta mauvaise pensée, ni ton père mort, ni ta maîtresse assassinée ! Tu as enjambé deux cadavres, et tu es venu pour séduire la fiancée de ton frère !... Bonjour, frère ! Je comptais le faire aux funérailles de mon père ; mais je ne t'y ai point vu. Est-ce le château seulement que tu es venu visiter ? Oui, je sais que tu l'as vue. Et tu l'as trouvée ?... Tu en parles comme un enthousiaste... Mais tu sais qu'elle est ma fiancée, Don Juan ? Tais-toi, frère, tu es fou. Si fait, j'ai entendu... C'est le masque de la volupté sur le visage de la mort, je le sais... Mais je sais aussi que tu m'aimes, frère ; je sais qu'il y a des liens de nature que tu ne voudrais pas rompre. Laisse-moi croire que tu railles, Don Juan ; laisse-moi douter encore, frère !... Alors, c'est une lutte que tu me proposes ?... Mais je l'aime plus que tu ne peux l'aimer... Toi... Mes droits sont sacrés. Que dis-tu ? Don Juan, Don Juan, tu te rappelles trop que je suis ton frère, et pas assez que je suis gentilhomme. Oh ! C'en est trop ! Se pourrait-il ? Oh ! Mon Dieu !... Mon Dieu ! Mon Dieu !... Malheur sur celui de nous deux qui est le véritable fratricide ! Teresina ! Teresina ! Teresina ! Fermée !... C'est par cette porte qu'il est sorti. Mais, par celle-ci, on peut le rejoindre. Fermée aussi ! Cette fenêtre, du moins... Fermée encore !... Des barreaux de fer ! Abandonné de Dieu !... Abandonné des hommes !... Abandonné de tout !... À moi, le démon !... À moi, Satan !... On dit que notre famille a un mauvais ange ; s'il en est ainsi, il doit apparaître quand on l'appelle. À moi, le mauvais ange des Marana !... À moi !... À mon tour, maintenant ! Démon, il faut que je me venge ! Oui ! Oui ! Oui ! Tais-toi !... M'as-tu entendu, maudit ? Ouvre-moi ces portes ; donne-moi une épée, un poignard, une arme quelconque, et mène-moi sur le chemin où il doit passer. Mais tu ne peux donc m'aider en rien ? Tout ce que le corps d'un homme en contient, jusqu'à la dernière goutte. Deux, je l'espère. Hâte-toi ! Je t'ai appelé. Que faut-il faire ? Mais mon père est mort. Le voilà.... Oui, voilà l'écriture de mon père, le sceau de mon père, mais la signature manque. Mais je te dis que mon père est mort. Mon Dieu ! Mon Dieu !... Jamais, jamais je ne ferai un tel sacrilége !... Je descendrai dans la tombe de mon père ; après ? C'est infernal !... Mais n'importe : ordonne à ces portes de s'ouvrir, et marche devant, je te suis. Oui. La voilà. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_DONMORTES *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donmortes C'est mon devoir, Monseigneur. Pardon, mais je croyais que le comte seul avait besoin... Parlez, Monseigneur. J'ai eu l'honneur d'étudier avec lui à l'université de Salamanque. Plein de grandeur et de seigneurie. Cela lui a fait faire de grandes armes en Italie, Monseigneur. Il a toujours obéi aux ordres de son roi, comme doit le faire un bon Castillan. Je ferai tout pour l'amener là. Lequel ? Je le sais. Et pourquoi ? Oui, oui, Monseigneur... Cependant, je crois que, si Don Josès était à votre place... Rassurez-vous, Monseigneur, car je sais, dans ce cas, quelles seraient les intentions de votre frère. J'espère que Don Josès arrivera à temps pour que votre noble père règle, de son vivant, ses intérêts et les vôtres. Eh bien, moi, Monseigneur, je ne lui en ai écrit qu'une, mais je suis sûr du messager qui la porte. Celui qui en avait le droit : votre père. Dieu prenne pitié de vous, Monseigneur ! Je suis Don Mortès, révérend prieur des dominicains. Sans pitié, sans religion pour mon ministère, Don Juan a levé le poignard sur moi et m'a frappé... Vengeance contre le meurtrier ! Vengeance !... **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_DONCHRISTOVAL *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donchristoval Alors décidément, Don Juan, tu me l'enlèves ? Et pourquoi me quittes-tu, infidèle ? Cela tombe admirablement bien ; car, pendant le dîner, je me suis fiancé à la Juana. Tu oublies que la moitié des biens que tu engages appartiennent à Don Josès. Adieu, Don Juan ; nous ignorions la maladie du vieux Comte, et nous demandons pardon à Dieu d'avoir blasphémé dans une maison qui appartenait à la mort. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_DONMANUEL *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donmanuel Plains-toi encore de la fausseté des femmes, Christoval ! M'aurais-tu fait cette infidélité, païenne ?... Très bien ! Alors, à moi la Vittoria ! Il n'en sait pas le nombre. Mais ton frère aîné, ce me semble. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_SANDOVAL *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sandoval Je suis de ton avis ; seulement, cet homme ne se nomme pas Don Luis-de-Sandoval d'Ojedo, il s'appelle Don Juan de Marana. Je ne connais pas plus Don Juan que tu ne le connais toi-même ; mais on m'a raconté de lui des entreprises merveilleusement hardies. Laquelle ? Par les moyens ordinaires, je suppose. Si bien que j'ai deux pères, n'est-ce pas, Pedrillo : l'un qui s'appelle Don Carlos d'Ojedo, et qui prie au ciel, et l'autre qui se nomme Monseigneur Satan, et qui rôtit en enfer ?... Merci de la généalogie !... Voici ma place, messieurs... Je vais donner une sérénade à Doña-Inès, comtesse d'Almeida ; s'il y a quelqu'un à Madrid à qui cela déplaise, il me trouvera sous ses fenêtres. Eh bien, Pedro, que dis-tu maintenant de cette histoire ? Eh bien, cette histoire n'est rien près de l'aventure qui vient d'arriver à Don Juan. D'abord, il faut que vous sachiez que le vin favori de Don Juan est le porto. Soit !... Hier donc, Don Juan, après avoir vidé deux bouteilles de Valdepeñas... Peu importe... Il se promenait sur la rive gauche du Mançanarès... Si vous savez l'histoire mieux que je ne la sais, il faut la raconter. Señor ! Vous êtes assis à cette place... Et votre intention est d'y rester ? Il n'y a qu'une difficulté, c'est que cette place est à moi. Peut-être ne savez-vous pas qui je suis ?... Et vous vous êtes assis à la place de Don Luis-de-Sandoval, sachant qu'elle était à Don Luis-de-Sandoval ?... Alors, vous êtes Don Juan de Marana. Tant mieux ! Car il y a longtemps que je désire vous rencontrer. Je suis las d'entendre répéter qu'il y a dans les Espagnes une réputation qui balance la mienne. De sorte que je vous hais. Alors, nous allons nous entendre... Asseyons-nous, et causons. On vous dit brave cavalier ? Beau joueur. Et bon compagnon auprès des femmes ? La liste d'abord ; puis chaque chose aura son tour. Cette liste est divisée en deux colonnes ? D'un côté, les femmes séduites ? Elle commence par doña Fausta, femme d'un pêcheur. Erreur !... Le loup est entré dans le bercail, c'est vrai ; mais il a laissé échapper la plus belle et la plus tendre de toutes les brebis. Celle du Seigneur. Maintenant, jouons ! Gomez, des cartes ! Vous préférez ?... Parfaitement. Ce que j'ai sur moi. Votre bourse paraît mieux garnie que la mienne. En trois coups ? Cinq ! Ma revanche ? J'ai perdu tout ce que j'avais d'argent comptant. Cette agrafe vaut encore mieux. Très bien... Neuf ! J'ai dans les Algarves un vieux manoir de famille. Château contre château. Almonacil. Onze ! Pour Villa-Mayor. Voyons si vous aurez le même bonheur à un autre jeu. Je n'ai plus rien au monde, que ma maîtresse. Doña Inès, comtesse d'Almeida. Vous êtes fou, Don Juan ! Vous ne le direz pas. Vous avez assez de ces joujoux ? Celui qui a dit le premier que vous étiez beau joueur a dit vrai, et je suis fâché de ne pas vous avoir rencontré hier. Hier, j'aurais ajouté à mon enjeu dix mille piastres que j'ai perdues cette nuit et que j'ai payées ce matin. Et qu'est-elle devenue ? La porte ouverte ? Et elle donnait ? Au premier as. Va pour Doña-Inès d'Almeida. Henriquez, donnez les cartes ! Gomez, du papier, de l'encre, des plumes ! Faites porter cette lettre à Doña-Inès, comtesse d'Almeida, place Mayor. Qu'un accident m'empêche d'aller chez elle et que je l'attends ici ; les dettes de jeu se payent dans les vingt-quatre heures. Vous le lui remettrez vous-même. Lisez ! Maintenant, seigneur Don Juan, écoutez un avis qu'il est de mon honneur de vous donner : Doña-Inès, comtesse d'Almeida, est une véritable Espagnole, hautaine et jalouse, portant toujours un poignard de Tolède à sa jarretière, et une fiole de poison à sa ceinture ; gardez-vous de l'un et de l'autre. Tenez, Pedro ; tenez, Henriquez, prenez ceci en mémoire de moi. Mon château d'Almonacil est à vous, Don Fabrique. Messieurs, vous attesterez que je le lui ai vendu. Un Espagnol du temps de Rodrigue. Remerciez le seigneur Don Juan, messieurs, et non pas moi. Je m'y réserve six pieds de terre dans le caveau de mes ancêtres ; le reste est à vous. Don Juan, je commence à croire que vous serez aussi heureux à l'épée que vous l'avez été aux cartes et aux dés. Je m'en souviens, moi : Don Juan, vous me trouverez toute la nuit au Prado ; ce n'est qu'à deux pas d'ici, comme vous savez. Allons, messieurs, suivez-moi. Je suis Don Luis-de-Sandoval d'Ojedo. J'ai joué contre Don Juan ma fortune, le tombeau de mes pères, le coeur de ma maîtresse ; j'ai tout perdu... J'ai joué contre lui ma vie, et je l'ai perdue encore... Vengeance contre le meurtrier ! Vengeance !... **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_DONPEDRO *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donpedro Qui parle de Don Luis-de-Sandoval ?... On vient de me dire une étrange histoire sur son compte. Savez-vous de qui il est fils ? Certes ; mais vous oubliez de dire de qui il est fils... Or, savez-vous par quel moyen Don Carlos obtint ce fils ? Voilà l'erreur... Don Carlos était marié depuis dix ans sans avoir pu, malgré ses prières, obtenir d'héritier. Or, un soir qu'il rentrait dans son château, après avoir fait une tournée dans ses domaines, désolé plus que jamais de ne savoir à qui léguer une fortune considérable et un nom noble, il passa dans une sombre galerie où se trouvait un vieux tableau représentant saint Michel terrassant le démon, lorsqu'à son grand étonnement, il s'aperçut que les personnages n'étaient plus sur la toile, et que leur place était vide... Au même instant, il sentit qu'on lui frappait sur l'épaule ; il se retourna : c'était le démon... Don Carlos, qui était un vieil Espagnol, fut choqué de cette familiarité, et il demanda au maudit ce qu'était devenu saint Michel, et qui lui avait permis de se promener ainsi, au lieu de demeurer honnêtement sur la toile où le peintre l'avait cloué... À cette question, le démon répondit que, tous les cent ans, Dieu rappelait à lui saint Michel pour lui donner des instructions nouvelles, et que, pendant que son gardien montait au ciel, lui jouissait de quelques heures de liberté, et d'un pouvoir assez grand pour accorder quelquefois aux hommes ce qu'ils ne pouvaient obtenir ni de Dieu ni des saints... Alors... ... on assure que Don Carlos lui demanda si ce pouvoir allait jusqu'à lui faire avoir un fils, et que le démon lui répondit que rien n'était plus facile... Si bien... Je dis que tout à l'heure j'en doutais encore. Je n'en doute plus. Seigneur cavalier ! En aucune manière. Je vous préviens que cette place est retenue. Mais retenue par Don Luis-de-Sandoval ! Vous êtes étranger, sans doute ? Alors, vous ne connaissez pas Don Luis-de-Sandoval ? Et vous vous exposez ?... Un véritable hidalgo. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_DONFABRIQUE *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donfabrique Décidément, depuis le Cid, il n'y a eu qu'un homme dans toutes les Espagnes, et cet homme est Don Luis-de-Sandoval d'Ojedo. Je connais Don Luis, et je ne connais pas Don Juan ; je m'en tiens donc à ce que j'ai dit. Tout ce que l'on t'a raconté de Don Juan de Marana, je l'ai vu faire à Don Luis-de-Sandoval. Mais, jusqu'à présent, je ne lui ai pas connu d'autre père que le mari de sa mère, Don Carlos d'Ojedo. Et que maintenant ? Qu'est-ce que cette aventure ? Et que fit Don Juan ? Vous êtes un magnifique seigneur, Don Luis. Mais votre château ? **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_DONSANCHEZ *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_donsanchez Celle qui prie encore quand les autres ne prient déjà plus. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_LEMAUVAISANGE *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lemauvaisange Ô toi que le Seigneur a commis à ma garde, Baisse un instant les yeux, archange, et me regarde !... Depuis que mon orgueil, contre Dieu, vainement Entreprit de lutter, et que, pour châtiment, Me suivant au plus bas de ma chute profonde, Tu posas sur mon sein ton pied lourd comme un monde, Tant de jours ont pour moi renouvelé leur cours, Tant de nuits ont passé, plus longues que les jours, Et les heures des nuits et des jours avec elles Ont mené lentement tant de douleurs mortelles, Que je crois que du Dieu que j'avais offensé Le courroux, à la fin, se doit être lassé, Puisqu'il souffre aujourd'hui que ma bouche de pierre Se ranime à la plainte et s'ouvre à la prière !... Donc, je te prie, au nom miséricordieux Du Seigneur, je te prie, archange radieux, Je te prie, au doux nom de la vierge Marie, Au saint nom de Jésus, archange, je te prie, De soulever ton pied de mon sein condamné ; Car c'est trop de douleurs, même pour un damné !... Ah ! Merci : maintenant, lâche esclave de Dieu, Fais jaillir les éclairs de ton glaive de feu, Charge d'un nouveau poids ma poitrine épuisée, Jusqu'à ce que ton pied sente qu'elle est brisée. Poursuis ta mission, bourreau de Jéhova ! Et, tant que le Seigneur te dira d'aller, va ! La vengeance pour lui n'aura plus de longs charmes, Et mon oeil a saigné ses plus sanglantes larmes. Ah ! Ce fut un Don Juan, seigneur de Marana, Dont la main, sur ce marbre, as-tu dit, m'enchaîna : Eh bien, il a céans un fils qui, je l'espère, Est né pour délier ce que lia son père ; Ou je me trompe fort, ou bien, par lui, la loi S'accomplira. À moi, Don Juan !... À moi !... Ton frère n'a pas droit, Don Juan, à ta fortune : C'est un bâtard jaloux, dont la vue importune Depuis longtemps lasse tes yeux. Étranger, de quel droit viendrait-il au partage ? Garde à toi seul, Don Juan, un immense héritage. Tu t'en feras des jours joyeux. Pourquoi donc d'un vassal appauvrir ton domaine ? Laisse ton frère aller où son destin le mène ; Ses fils de ta maison augmenteront l'honneur, Et sa femme, à l'autel, devenant ta vassale, Te devra le trésor de sa nuit virginale, Dont, libre, son époux t'enlève le bonheur. Don Juan, c'est un trésor ! Crois-moi, l'Andalousie Exprès pour tes plaisirs semble l'avoir choisie, Avec un teint blanc et vermeil, Avec de longs baisers, brûlants comme une flamme, Et des regards ardents qui pénètrent dans l'âme Comme deux rayons de soleil. Adieu, noble Don Juan ! Le monde est ta conquête, Au-dessus de ses fils tu peux lever la tête ; Car tu n'as plus de maître, et toi seul es ton roi ; Et, si ton coeur, lassé des voluptés paisibles, Rêve des plaisirs impossibles, Appelle-moi, Don Juan, je monterai vers toi. Dans ce miroir, jeune fille, Regarde ton oeil qui brille, Plus radieux et plus pur Que, dans une nuit sans voile, Ne brille l'or d'une étoile Au milieu d'un ciel d'azur. Voix ta bouche parfumée Que la pudeur tient fermée Aux plus timides aveux ; Vois tomber sur ton épaule, Comme les rameaux d'un saule, Le trésor de tes cheveux. Lorsqu'on est aussi parfaite, Jeune fille, on n'est pas faite Pour aller mourir d'ennui Dans quelque ville appauvrie, Où de la coquetterie Jamais le soleil n'a lui. Il faut le luxe qu'étale Une grande capitale, Avec ses plaisirs, ses arts, Ses palais pleins de lumière, Et Golconde tout entière, Ruisselant dans ses bazars. Il faut des valets, des pages, Des chevaux, des équipages, Que l'on change tour à tour, Et des jours pleins de paresse Qui mènent avec mollesse À des nuits pleines d'amour. N'écoute pas, Don Juan, cette voix insensée ; Es-tu d'âge à tourner ta joyeuse pensée Vers ce ciel dont toujours les portes s'ouvriront ? Ta vie en est encore à ses heures frivoles. Tu te rappelleras ces austères paroles, Quand sur ton front ridé tes cheveux blanchiront. Marche, marche plutôt dans ta puissante voie, Enivre-toi d'amour, de bonheur et de joie. Qu'est-ce que ce bonheur que l'on dit éternel, Près de ces voluptés dont tu sais le mystère ? Crois-moi, les heureux de la terre, Don Juan, sont les élus du ciel ! Il est vrai que les saints riraient de leur conquête S'ils te voyaient, jetant ta couronne de fête, Quitter la table avant qu'arrive le dessert ; Et, la lèvre de vin et de baisers rougie, Te lever au milieu de ta royale orgie, Pour aller adorer le Seigneur au désert. Me voilà, maître... J'étais en train d'escorter en enfer l'âme de doña Vittoria ; c'est de la besogne que m'avait donnée votre frère. Ordonnez. De Don Juan ? Qui vous a insulté, n'est-ce pas ? Qui vous a enlevé votre maîtresse ? Et qui vous a fait battre de verges ? Ah ! Ah ! Ah !... À quoi puis-je vous être bon ? Pour qu'il vous fasse arrêter de nouveau par ses hommes d'armes, et conduire au gibet ? Battu et pendu dans le même jour ? Allons donc !... Si fait ; y aura-t-il du sang versé ? Y aura-t-il une âme perdue ? Allons, je vois que je puis me mêler de la chose. Vous avez du courage ? C'est bien. Il faut d'abord que vous soyez reconnu par votre père pour son fils, afin que vous soyez reconnu par votre frère pour gentilhomme. Il y a quelque part un acte écrit de sa main, n'est-ce pas ? Scellé de son sceau, n'est-ce pas ? Eh bien, il faut que votre père le signe. Vous descendrez dans sa tombe. Le corps meurt, mais l'âme survit ; or, l'âme, ce sont les passions, et chaque homme a eu une passion dont il a fait son âme : l'ambitieux, le trône ; l'avare, son trésor ; l'envieux, sa haine. En conjurant une âme au nom de la passion qui l'a animée, l'âme vous entend et remonte de l'enfer, ou redescend du ciel pour animer le corps ; or, l'âme du vieux comte, c'était son amour paternel pour toi ; conjure donc l'âme de ton père au nom de cet amour, et ton père sera forcé de te répondre. Alors, il faut renoncer à te venger de ton frère. Eh bien, après, ton père signera, mort, ce qu'il aurait dû signer vivant ; et alors, Monseigneur, vous serez le fils légitime du comte de Marana, l'ami de votre frère, le maître de ses biens et de ses vassaux. Après, eh bien, vous serez ce qu'il est, et vous lui ferez ce qu'il vous a fait, ou autre chose. Voulez-vous passer par le chemin le plus court ? Donnez-moi la main. Allons ! C'est un marché qui peut se faire. Celui que tu as appelé. N'as-tu pas offert mille ans de ton éternité pour un jour passé près de Don Juan ? Eh bien, j'accepte. Je viens au nom de l'un d'eux : que t'importe lequel pourvu que la chose se fasse ? Marthe, tu as encore cinq minutes à vivre. Marthe, tu ne reverras jamais Don Juan. Rien de plus facile. Signer ce papier. Le pacte proposé. Pas une minute de plus, pas une seconde de moins, il serait nul s'il n'était exact ; nous sommes gens d'honneur, en enfer ! Le voilà qui frappe à la porte du couvent. Qu'importe, si tu ressuscites quand il y sera entré ? Attends. Ce n'est rien... Signe. Il est, ma foi, bien heureux que son nom n'ait eu que deux syllabes. Ah ! ah ! ah ! chacun son tour, mon bon ange. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_LECOMTE *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_lecomte Don Juan ! Don Juan ! Don Josès ! Don Josès !... Je suis le vieux comte de Marana. Seigneur ! Seigneur ! Ayez pitié de mon fils ! **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_LESENECHAL *date_1836 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lesenechal Monseigneur, quelle punition a-t-il méritée ? **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_GOMEZ *date_1836 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_gomez Voici les cartes. Bravo ! c'est largement engagé. Voilà, Votre Honneur. C'est ici, señora. Du montilla. Du Valdepeñas. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_HUSSEIN *date_1836 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_hussein Que plaît-il à Votre Seigneurie ? Préviendrai-je Don Josès, le frère de Votre Seigneurie ? L'esclave du Comte Don Juan. Présenter ses hommages à la maîtresse de ce château. Eh bien ? Mais, comme mon maître part demain, il désirerait parler ce soir à la camérière. Monseigneur ? Sont prêts. Est sellé. Au vent. Vous n'attendez pas des secours ? Cela sera fait, maître. Monseigneur ? Oui, Monseigneur. La voilà. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_UNVALET *date_1836 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_unvalet Monseigneur Don Juan, votre père se meurt. Non ; il a entendu vos éclats de rire, et il ne veut pas vous attrister ; il envoie chercher son confesseur Don Mortès. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_LANGEDUJUGEMENT *date_1836 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_langedujugement N'y a-t-il aucune voix qui s'élève en faveur de Don Juan ? Dieu donne à Don Juan une heure pour se repentir ! **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_LEBONANGE *date_1836 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lebonange C'est une volonté plus forte que la nôtre Qui, dans les jours passés, nous lia l'un à l'autre, Et nous en subirons les ordres absolus, Jusqu'à ce que pour nous les jours soient révolus. Or, je ne sais quel temps doit durer ton martyre, Mais voici ce que Dieu me permet de te dire : Sur ce marbre, celui dont la main t'enchaîna Est le comte Don Juan, seigneur de Marana, Tige des Marana, dont l'illustre famille Fut, depuis trois cents ans, l'honneur de la Castille. Or, lorsque son esprit eut quitté ce bas lieu, Saint Pierre le reçut et le mena vers Dieu, Qui, lui tendant les bras, lui dit : « Comme un archange, Vous avez, ô Don Juan, vaincu le mauvais ange ; Vous pouvez disposer de son sort aujourd'hui ; Dites ce qu'il vous plaît qu'il advienne de lui. » À cette grande voix, le pieux solitaire Tomba les deux genoux et le visage en terre, Puis, ayant adoré l'Éternel, répondit : « Seigneur, Seigneur, Seigneur, faites que le maudit Ne puisse plus tenter, de sa parole immonde, Ni mon fils, ni les fils qu'il doit laisser au monde. Car je sais trop, Seigneur, lorsqu'il vous vient tenter, Combien le cœur de l'homme est faible à résister ; Et je voudrais sauver à ma race future Les éternels combats de l'humaine nature, Jusqu'à ce que, parmi ces fils d'avance élus, Il en naisse un, enfin, d'esprits si dissolus, Que, sans être poussé par Satan vers l'abîme, De son propre penchant il commette un grand crime. Or, ajouta Don Juan, Seigneur, pour que cela S'accomplisse, ordonnez que l'ange que voilà (Et c'est moi qu'il montrait) descende sur la terre Avec la mission d'accomplir ce mystère. » Dieu dit : « Il sera fait comme vous le voulez. » Et, se tournant vers moi, Dieu dit encore : « Allez ! » Alors, je descendis de la voûte éternelle, Et, depuis ce moment, céleste sentinelle, J'ai sur toi, nuit et jour, veillé silencieux, Immobile, debout, et sans fermer les yeux. Ainsi, pour que ma main abandonne son glaive, Pour que mon pied vengeur de ton sein se soulève, Il faut qu'obéissant au décret éternel, Un des fils de Don Juan devienne criminel. Maudit ! Sois donc encor patient au supplice, Jusqu'à ce que l'arrêt prononcé s'accomplisse. Silence ! Oui, pour toi, si tu veux, commence un nouvel être : Ton père, en expirant, t'a fait souverain maître De ses vassaux et de ses biens, Tandis que Don Josès, par un destin contraire, Est pauvre... Allons, Don Juan, tends les bras à ton frère, Et que tes trésors soient les siens. Du moins, pour rétablir entre vous l'équilibre, Puisque tu l'as fait pauvre, il faut le faire libre : Tu rempliras ainsi le désir paternel, Et Josès, libre, heureux près de sa jeune femme, Te dressera, Don Juan, un autel dans son âme, Où brûlera l'encens de l'amour fraternel. Mais ce n'est qu'un enfant aux flammes ingénues, Qui, le soir, va perdant son regard dans les nues, Demandant au flot qui bruit Pourquoi son jeune sein s'enfle comme son onde, Et quel est le secret des voluptés du monde Dont elle rêve chaque nuit. Adieu ! Pauvre insensé qu'entraîne un mauvais songe, De cette vie, un jour, tu sauras le mensonge, Et tu me chercheras d'un douloureux regard ; Et tu m'appelleras comme un vaincu sans armes, Avec des sanglots et des larmes ; Mais peut-être que Dieu répondra : « C'est trop tard ! » J'ai tant prié pour toi, le front dans la poussière J'ai tant mouillé de pleurs mon ardente prière, Que le Seigneur m'a dit en se voilant les yeux : « Descends ; que ta parole en son coeur retentisse, Et, jusqu'à ton retour, j'enchaîne ma justice, Car je suis le Seigneur miséricordieux. » Et me voilà, mêlant ma lumière à ton ombre, Descendue une fois encor dans ta nuit sombre. Veux-tu revoir le jour, suis mes pas, prends ma main, Laisse-moi te guider par des routes nouvelles, Et je te prêterai mes ailes Si tes pieds sont las du chemin. Car je ne sais encor par quel pouvoir étrange L'homme à son sort mortel peut enchaîner un ange ; Mais je sais que des cieux le séjour enchanté, S'il est fermé pour toi, pour moi n'a plus de charmes, Et que mon coeur divin contient assez de larmes Pour pleurer un mortel pendant l'éternité. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_MARTHE *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marthe Merci, mon frère ; mais d'où savez-vous mon nom ? Vous connaissiez ma soeur Inès ? Oui ; j'ai vu entrer hier dans cette église des gens qui portaient un cadavre et qui pleuraient ; je leur ai demandé la cause de leurs larmes, et ils m'ont dit qu'ils pleuraient parce que Doña-Inès d'Almeida était morte, et que Doña-Inès était la mère des pauvres. Alors je suis tombée à genoux, et je leur ai dit : « Pleurons ensemble, mes frères, car c'était ma soeur. » Elle avait une vénération si profonde pour Notre-Dame du Rosaire qui la protége, que, vivante encore, elle y avait fait élever son tombeau ! Hélas, la mort a été bien vite jalouse de la vie ; et la tombe s'est lassée d'attendre !... Soyez béni, vous qui avez connu ma soeur ! Oh ! Si, répétez-les-moi sans en oublier une seule et sans y changer une syllabe. Je vais donc avoir un sacrifice méritoire à faire à Dieu ; car, lorsque j'entrai dans ce couvent, j'étais la soeur cadette d'Inès, et notre père y paya ma dot, et voilà tout ! Mon frère, il nous est défendu d'écouter des paroles mondaines. Hélas ! Hélas ! Oh ! Mon Dieu ! Ce sont des sentiments si inconnus que ceux que j'éprouve, des paroles si étranges que celles que j'entends, des visions si bizarres que celles qui m'apparaissent, que je n'ai point encore osé les avouer à notre directeur lui-même. Oh ! oui, oui, c'est cela. Oh ! Oui, oui, et ces paroles, quand je les entends, c'est un délire. Oh ! Mais c'est bien cela ! Par quelle magie devinez-vous ainsi mes plus secrètes pensées ?... Ce jeune homme surtout, cet habitant inconnu de mes nuits de fièvre et d'insomnie... qui vous a dit qu'il venait les visiter ?... Mon Dieu ! Eh bien, écoutez, écoutez à votre tour, et que Dieu me pardonne ; si je fais mal, je l'ignore... Mais c'est étrange, ce que je vais vous dire. Je ne vous avais jamais rencontré avant aujourd'hui, non, j'en suis sûre ; eh bien, cependant je vous ai reconnu ; il m'a semblé vous avoir vu déjà dans un autre monde, sinon dans celui-ci... Vous avez parlé, le son de votre voix m'a fait tressaillir et m'a inondée d'une mélodie familière à mon oreille ! Vous avez dit votre nom, Don Juan, ce nom... Certes, je ne connaissais aucun homme de ce nom !... Eh bien, il m'a semblé que c'était un nom familier à mon coeur, il m'a semblé que je l'avais prononcé déjà... Où, je ne sais... À quelle occasion, je l'ignore... Car il y a un voile entre mon corps et mon âme, car il me semble que j'obéis, en ce moment même, malgré moi, à un pouvoir surhumain qui me pousse vers vous, qui fait renaître d'anciennes pensées dans mon esprit, qui arrache du plus profond de mon coeur des paroles qui y dormaient oubliées... Don Juan, j'aime votre nom !... Don Juan, j'aime votre voix !... Don Juan... Pardonnez-moi, mon Dieu ! Prenez pitié ! Ici, dans votre église, dans votre maison sainte, j'allais lui dire : « Don Juan, je vous aime ! » Oui, lorsque leur amour n'est pas un crime. Oubliez-vous que je suis liée par des voeux éternels ? Le Saint-père !... Ensemble ? Et comment ? Avec mon amant ? Ah ! Et, à compter de ce jour, je suis votre fiancée. Non, Don Juan, non, ne mêlons pas le néant de la mort aux espérances de la vie... Vous m'avez engagé votre foi devant Dieu, Dieu a entendu votre serment, et cela suffit. Voici la cloche qui nous appelle à la prière du soir ; si je ne m'y rendais pas, on s'apercevrait de mon absence... Je reviendrai... Mais vous, vous retrouverai-je ? Tant mieux ! Car, si je ne vous retrouve pas, je mourrai !... Don Juan, me voilà ; je suis prête à vous suivre... Don Juan, où êtes-vous ? Don Juan, mon fiancé, mon époux ! Merci, bel ange, merci ! Oh ! Ton souffle m'a enlevé du front un cercle de feu... Où es-tu, que je t'adore ?... Rien, rien... Allons, c'était une dernière vision de ma folie, un dernier fantôme de ma fièvre. C'est vous, Ursule... Oui ; j'ai eu le délire, n'est-ce pas ? Non, car je ne suis plus folle... Ne vous pressez pas trop, ma soeur ; car Dieu m'a rendue à la raison et non à la vie, il m'a repris ma folie et non mon amour... Courez, je vous prie, chercher notre saint directeur, et dites-lui qu'une mourante réclame son ministère. Oh ! Jamais il n'arrivera à temps ; oh mon Dieu !... Oh ! Je sens que je meurs. Mourir sans revoir Don Juan ! Mourir sans lui entendre dire une fois encore qu'il m'aime ! Mourir en le laissant au milieu du monde où il m'oubliera, où il en aimera une autre ! Oh ! Mille ans de mon éternité pour un jour passé près de Don Juan ! Qui me parle ? Que viens-tu faire ? Oui. Mais il n'y a qu'avec Dieu, ou avec Satan, qu'on puisse faire un pareil pacte ! Tu es le mauvais esprit... Oh ! Oh ! Tu as raison, je ne vois plus, et j'entends à peine. Je veux le revoir !... Oui... Oui, je le veux à tout prix ! Que faut-il faire ? Que contient-il ? Mille ans pour un jour ! Et quand le reverrai-je ? Oh ! Je serai morte avant qu'il entre dans cette chambre ! Donne-moi la plume. Ah ! En aurai-je la force ? Ah ! Ah ! Je me meurs. Ah ! Don Juan ! Don Juan ! À toi mon dernier soupir ! À toi ma dernière pensée. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_TERESINA *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_teresina Paquita ! Est-ce que le livre que tu lis t'amuse ? À la mort ! Des vertus de très grande et très noble dame Pénélope, épouse de Monseigneur Ulysse, roi d'Ithaque. Et le tien ? Avec le fils, tu veux dire ? Cela ne se peut pas. Vous êtes folle, Paquita. Pourquoi ? Et quels sont les trois souhaits que tu formeras ? Lequel ? Et tu te trouverais heureuse ? Et comment cela ? Quelle langue ? Mais sais-tu bien, Paquita, qu'une aventure à peu près pareille m'est arrivée aujourd'hui ? Oui, j'étais assise à la porte du parc qui donne sur la route de Santa-Cruz, lorsque je vis passer un beau cavalier ; ce devait être un grand seigneur, car il était suivi d'un écuyer et de plusieurs hommes d'armes ; il me salua en passant ; alors je me sentis tellement rougir, que je me cachai derrière mon éventail. Sans doute, il crut que je le regardais, car à peine eut-il fait cent pas, qu'il jeta la bride aux mains de son écuyer, descendit de cheval, et vint vers moi à pied. Tu comprends que je ne l'attendis pas, et même je rentrai si vite que... Mon Dieu ! Que je crois avoir oublié mon éventail sur le banc. Oh ! J'espère bien que ce jeune seigneur n'y a pas même fait attention, car ce fut un oubli et pas autre chose ; demain, dès le matin, Paquita, tu iras le chercher à la petite porte du parc. Oh ! Mon Dieu ! Oui ; mais si Don Josès savait... Que fais-tu ? Je te le défends ! Imprudente !... Oh ! Puisqu'elle est ouverte... Le voilà ! C'est bien lui... Je le reconnais à sa plume rouge. Paquita ! Heureusement que nous sommes enfermées dans ce vieux château, et qu'il n'y a pas à craindre que ce cavalier y entre ! Aussi, je suis tranquille. Quoi ? Fermez cette porte, Paquita ! On frappe ! Demande. Paquita ! N'importe, je ne puis le recevoir. Que dis-tu donc ? Tu as raison. Paquita, je me retire dans ma chambre... Tu lui diras qu'il m'était impossible de le recevoir, que je suis fiancée à Don Josès, et qu'il sait qu'en pareille circonstance, les jeunes filles espagnoles ne paraissent devant aucun autre cavalier que leur mari. Il est parti ! Qu'y a-t-il ? Eh bien, ce cavalier ? Ses manières ? Quoi ? Vraiment ?... Et t'a-t-il parlé de moi ? Que t'a-t-il dit ? Après ?... C'est tout ? Tu lui as dit que j'étais fiancée à Don Josès ? Pourquoi ? C'est bien... Aidez-moi à me déshabiller, Paquita. Quoi ? Où ? Ils s'approchent. On s'éloigne. Attends encore. Oui, je crois... Avec un papier ? C'est vrai. Remets cette cassette où tu l'as prise. Quoi ?... Attends, que je voie. C'est un écrin royal. Reporte-le ! À l'instant ! Quel magnifique collier ! Et ces bracelets ! Regarde. Et ces pendants d'oreilles, ce bandeau, cette ceinture. Malheureusement, nous ne pouvons pas accepter ce qu'il nous donne. Oui ; mais tu sais que Don Josès aime la vie retirée, et ce sont des bijoux à porter à la cour. Flatteuse ! Non. Non. Oui. Tu les viendras chercher demain matin. Demain matin, entends-tu ? N'y manque pas. Je puis du moins les garder cette nuit, les essayer même ; car je suis seule, et personne ne peut me voir : ce sera comme un songe doré dans ma vie, et une fois je me serai vue riche et parée à l'égal d'une reine ! « Une fleur dans tes cheveux », me dit Don Josès. Quelle différence ! Oh ! Que c'est étrange ! Jamais je n'avais eu de pareilles pensées... C'est le feu de ces diamants qui m'éblouit ; c'est ce bandeau qui brûle mon front ; c'est ce collier qui embrase ma poitrine... Oh ! l'air que je respire est de flamme... Ma vue se trouble. J'étouffe. Don Juan !... Don Juan !... Grand Dieu ! Oh ! Rien. Et ces bijoux ! Oh ! N'allez pas croire que je voulais les garder... Ce matin, Paquita devait vous les rendre, et, puisque vous voilà... Vous les remporterez, n'est-ce pas ? Oh ! je vous supplie... Taisez-vous, taisez-vous ! Vos paroles vibrent dans ma poitrine, comme si elles étaient celles du mauvais esprit... Oh ! Ce fut un instant de folie enivrante, Monseigneur, laissez-moi l'oublier : silence ! Silence ! Songe ! Songe que tout cela ! Don Juan, je vous demande grâce !... Laissez-moi, laissez-moi... Mon Dieu, ayez pitié de moi ; envoyez à mon secours quelqu'un de vos anges, ou, sans cela, oh ! Mon Dieu ! Je le sens, je ne pourrai pas supporter cette lutte. Ah ! Oui, va, va !... Don Josès ! Oh ! Je suis sauvée !...Merci, mon Dieu, merci ! Oh ! Josès, Josès, vous voilà donc ! Dieu soit béni ! Car je suis bien heureuse de votre retour ! Merci, vous ne vous êtes pas trompé, Don Josès ; la voix vous disait vrai, et votre retour m'a sauvée ! Non, mon ami, elles m'eussent plutôt protégée, je crois, en faveur de mon amour pour vous. Ce ne sont point les morts, ce sont les vivants qui sont à craindre. Hier, un voyageur est venu demander l'hospitalité à la porte de ton château. Oui ; mais il a désiré me remercier. Non, je l'ai refusée ; alors il m'a envoyé un écrin plein de bijoux, adressé à la fiancée de Don Josès. Les voici. J'avais donné ordre à Paquita de les lui reporter ce matin. Mais je suis femme, Don Josès, vous me pardonnerez, n'est-c e pas ? Et, faible devant une pareille séduction... Voyez comme ces diamants sont beaux !... Avant de les lui renvoyer, j'ai voulu essayer comment une telle parure m'irait... Eh bien... Oh ! Il faut que ces bijoux soient enchantés, car à peine ont-ils été sur mon front, sur mon cou, qu'un nuage a passé sur mes yeux, que toutes mes idées ont été perdues, qu'une voix est venue bruire à mon oreille, me parlant de titres, de richesses, de triomphes. Quand je suis revenue de ce délire, cet homme, cet étranger, ce démon tentateur était là, à mes genoux, à mes pieds... J'ai résisté, Don Josès ; mais il y avait un accent infernal, une magie enivrante, un entraînement fascinateur dans tout ce qu'il disait... J'ai résisté ; mais, si je l'avais vu une seconde fois... Mais vous voilà, Don Josès !... Et je suis forte, car vous ne m'exposerez plus par votre absence, n'est-ce pas ? Don Juan. Tu le connais donc ? Eh bien, je suis ta fiancée, n'est-ce pas ? Je devrais à cette heure être ta femme, si la lettre qui te rappelait au lit de mort de ton père n'était venue nous séparer presque au pied de l'autel ; sans cette lettre, je t'appartiendrais maintenant... Eh bien, Don Josès, appelle le chapelain, qu'à l'instant même il nous unisse... Une fois ta femme, oh ! Je serai forte, sois tranquille. Vous êtes bon, Monseigneur ! Oh ! Je ne reverrai plus cet homme, n'est-ce pas ? Don Josès ! Don Juan ! Qu'y a-t-il ? Mais qu'y a-t-il ?... Est-ce vrai, Don Josès ? Ah ! Je suis doña Teresina, fiancée de Don Josès. Don Juan m'enleva évanouie ; lorsque je revins à moi, j'étais déshonorée ; je n'ai pu survivre à ma honte, je me suis précipitée dans le Mançanarès... Vengeance contre le meurtrier ! Vengeance ! **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_INES *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_ines Merci. Que vous est-il arrivé ? Qu'avez-vous, Don Luis ? Seriez-vous blessé ? Un étranger ! un inconnu ! Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Laissons cela, señor. Où est Don Luis-de-Sandoval ? Que fait-il ? Mais pourquoi lui au Prado, et vous ici ? Mais donnez donc ! Ne voyez-vous pas que je meurs d'impatience ? Cette lettre n'est pas de Sandoval. Si fait, par Notre-Dame, c'est bien la sienne ! Mais, écoutez, je ne comprends pas bien encore ; expliquez-moi tout cela. Mais je ne vous aime pas, moi. Oh ! Si j'étais sûre qu'il eût commis cette infamie... Oui, oui. Voilà bien sa signature, la même qu'il ose mettre au bas de la première lettre où il me dit : « Doña Inès, vous êtes belle ; Doña-Inès, je vous aime. DON LUIS DE SANDOVAL D'OJEDO.»Un nom de noble que je croyais un noble nom ; Sandoval, c'est-à-dire l'homme que je préférais à tout dans ce monde, à ma soeur, à ma mère, à Dieu ! Et c'est celui-là, le même, le seul pour qui j'eusse dû demeurer sacrée, qui me joue, qui me perd, qui me livre, et c'est bien vrai tout cela, vrai sur l'honneur d'un Espagnol, vrai sur la foi d'un gentilhomme ? Oh ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Maintenant, je le méprise. Vous êtes noble ? Vous êtes brave ? Et vous vous nommez ? Don Juan, je t'aime ! Écoutez, cependant. Il m'a vendue, il en avait le droit, puisque je m'étais donnée... c'est bien ; mais vous qui m'avez achetée, vous ne saviez sans doute pas que j'avais fait un serment ? De ne point appartenir à un autre tant qu'il serait vivant... Vous voyez donc bien qu'il faut qu'il meure pour que je puisse être à vous. C'est bien vrai, au moins, ce que vous m'avez dit ? Allez donc ! Et amenez-le là... Là, devant cette fenêtre, pour que je sois sûre qu'il m'a trahie... Et, quand il sera là, frappez, et que je le voie tomber, afin que je sois sûre qu'il est mort. Maître ! Des glaces, des sorbets... Je soupe chez vous avec ce gentilhomme... Ou, si mieux vous aimez, prenez la clef et enfermez-moi !... Ô Sandoval ! Sandoval !... c'est bien infâme de me traiter ainsi, comme on fait d'une courtisane que l'on donne quand on n'en veut plus... Moi qui habite un palais, me faire venir dans une taverne ! Bien, notre hôte, merci ! Je t'avais fait maître de ma personne, Sandoval, je t'avais confié mon honneur, et voilà ce que tu as fait de ce trésor !... N'importe, ta dernière volonté me sera sacrée, j'acquitterai ta dette, mais pas un de nous trois ne se lèvera demain pour raconter à Madrid le secret de notre triple mort. Fermez les yeux, sainte mère du Christ, vous qui n'êtes qu'indulgence et charité, car une oeuvre de vengeance va s'accomplir. Fermez les yeux et priez, priez pour moi. Ces cavaliers orgueilleux, ils croient, parce qu'ils portent une épée au côté, qu'il n'y a qu'eux qui puissent se venger, et que le fer seul donne la mort !... Et, dans cette croyance, ils rient de nous, de nous autres, pauvres femmes, sans défense et sans courage... Et maintenant, Don Juan, viens me prendre, je t'attends. Des pas... Deux hommes !... Ils viennent de ce côté, ils s'arrêtent sous cette fenêtre. Ce sont eux. La nuit est si noire, que je ne puis distinguer lequel est Don Luis et lequel est Don Juan... Ils tirent leurs épées !... Ils se battent. Un cri !... L'un des deux tombe !... Lequel ?... Si c'était Don Juan !... Malheur ! Qui me vengerait de Sandoval ?... On vient... On monte... Don Juan !... Oui, je l'ai vu tomber. C'est bon, je reviens. M'assurer que c'est lui et non pas un autre. Sommes-nous ici pour parler de lui ? À nos amours, Don Juan ! Rien ! Rien ! Oui, dites à ma soeur, qui est une sainte fille du couvent de Notre-Dame du Rosaire, qu'elle ait à prier pour l'âme d'une pécheresse. Sainte mère de Dieu, ayez pitié de moi ! Celle-ci. Viens. Regarde ! **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_VITTORIA *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_vittoria Non pas, Monseigneur ! J'aime Don Juan et pas un autre. Si tu as quelque chose à me donner, Monseigneur, donne-moi ton poignard. Que t'importe ? Si fait ; je te dis que, tel que tu es, Don Juan, maudit et damné d'avance, je t'aime ; et je te dis encore que, si Carolina vient au rendez-vous que tu lui donnes, foi d'Espagnole, je la tuerai. Je suis doña Vittoria de Séville. Don Juan me quitta pour une autre femme ; j'attendis sa nouvelle maîtresse et je la frappai. L'inquisition me condamna au bûcher. Mon crime et ma mort sont à Don Juan... Vengeance contre le meurtrier ! Vengeance ! **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_PAQUITA *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_paquita Madame ? Prodigieusement ! Est-ce que le livre que lit madame l'ennuie ? De quoi traite-t-il ? Des amours de la princesse Boudour avec les fils du roi de Serendib. Avec les fils, je dis. Pardon, Señora, elle les a aimés chacun leur tour : le premier, un peu ; le second, beaucoup, et le troisième, passionnément ; la progression ordinaire. C'est toujours le dernier qu'on aime davantage. Mais le plus joli de tout cela, madame, c'est qu'un jour, en se promenant au bord de la mer, elle trouva sur le rivage un vase de grès scellé avec du plomb ; elle s'approcha de ce vase, et elle entendit une petite voix plaintive qui en sortait ; elle le fit briser aussitôt, et elle se trouva en face d'un beau génie qui lui dit de souhaiter trois choses, et qu'elles seraient accomplies... Quand nous nous promènerons au bord de la mer, il faudra bien regarder ! Parce que, comme la princesse Boudour, nous trouverons peut-être un génie. Moi, je n'en formerai qu'un. Celui d'être à la place de Madame. Certes ! Car, lorsqu'on est jeune et jolie, ce ne sont plus trois souhaits qu'on peut former, ce sont mille caprices qu'on peut avoir. Croyez-moi, señora, l'éventail d'une jolie femme est plus puissant que la baguette d'une fée. D'abord cela parle, un éventail. La plus jolie de toutes, la langue de l'amour. Écoutez. Vous êtes à la promenade, un jeune seigneur passe et vous salue ; s'il ne vous convient pas, vous regardez dédaigneusement les dessins ; cela veut dire clairement : « Passez au large, mon beau seigneur, car vous n'obtiendrez rien de nous. » Au lieu de cela, le cavalier qui passe vous plaît-il, oh ! Alors, comme vous ne pouvez pas tout de suite lui rendre son salut, vous vous couvrez la figure ainsi, comme si vous ne vouliez pas le voir, et vous le regardez à travers les branches ; cela signifie : « Vous êtes assez de notre goût, mon gentilhomme, et, si votre naissance et votre fortune répondent à votre tournure, on aura peut-être la faiblesse de vous aimer. » Le gentilhomme comprend cela comme si une duègne venait de le lui dire à l'oreille ; dix minutes après, il repasse, et trouve que la señora, en partant, a oublié son éventail sur sa chaise ; il s'approche de l'éventail, le prend, le porte à ses lèvres, et l'éventail lui dit : « Ma maîtresse ne vous voit pas avec indifférence ; rapportez-moi chez elle, car elle serait désolée de me perdre. » Vous entendez une sérénade sous votre balcon ; c'est votre éventail qui revient et qui vous dit : « Ma belle maîtresse, je suis aux mains d'un seigneur qui vous aime ; voyez comme il m'embrasse après chaque couplet ; c'est que vos jolies mains m'ont touché ; maintenant, répétez la ritournelle de l'air que la musique vient d'exécuter... Très bien, ma belle maîtresse ! Ne vous ennuyez pas trop de nous, bientôt nous viendrons vous remercier. En effet, dix minutes après, on entend des pas dans le corridor ; c'est un page qui annonce le seigneur Don Ramire Mendoce ou Don Alphonse, c'est notre gentilhomme. » Il entre ; vous examinez son costume, pour voir s'il est riche et de bon goût ; vous regardez son page, pour voir s'il a une livrée ; vous jetez un coup d'oeil sur sa litière, pour voir si elle a des armoiries ; et, s'il est beau, s'il est riche, s'il est noble, vous lui dites : « Je veux trois choses », et il vous les donne !... Vraiment ? Bien ! Que ?... Très bien ! Alors nous allons avoir la sérénade. Tenez, ce n'est pas la peine ; entendez-vous ? Eh bien, qu'y a-t-il là d'effrayant ? Ah ! Voilà la grande affaire... Il ne le saura pas. Je vais ouvrir. Ah ! Mon Dieu ! Vous avez parlé trop tard. Voulez-vous que je la referme ? Vous avez raison. Venez tout doucement. Écoutez !... La ritournelle est délicieuse. La la la la la... Oh ! c'est vrai ; et moi qui ne pense pas... Oui, très heureusement ! Écoutez ! On marche dans le corridor !... On s'arrête ! Il faut savoir qui cela est. Qui est là ? Silence !... Et que veut le Comte Don Juan ? Ses hommages !... C'est bien respectueux. Eh bien, allez dire au comte Don Juan que, ce soir, il est trop tard... Demain, nous verrons. Je répète vos paroles mot pour mot. À la camérière, je n'y vois pas d'inconvénient... D'ailleurs, il faut que je lui redemande votre éventail... Vous ne pouvez le laisser entre les mains de ce jeune homme, ce serait lui donner des espérances. Allez dire au comte Don Juan que la camérière de doña Teresina consent à lui accorder l'entrevue qu'il sollicite. C'est bien, c'est bien, c'est bien ! Seule. Seigneur cavalier, ma maîtresse... Paquita. Vous êtes sorcier, Monseigneur ! Noble ? Riche ? Et magnifique ? Vous croirai-je sur parole ? Je vous crois, Monseigneur. Elle a... Elle s'appelle... Elle est fiancée... Qu'elle... Qu'elle aime. Croit aimer. Je ne lui en connais aucun. Elle est un peu curieuse, un peu coquette, un peu vaine... Et elle n'avait pas de femme de chambre. Vous vous en allez ? Reviendrez-vous ? Au revoir, Monseigneur. Oh ! Pardon. Ah ! Rien ; j'ai laissé tomber mon flambeau. C'est un noble seigneur. D'un prince !... Et avec cela... Timide !... Oh ! mais timide comme un écolier... De qui vouliez-vous qu'il me parlât ? Que vous étiez belle comme une madone. Qu'il vous aimait comme un fou. Et qu'il mourrait si vous ne lui ordonniez pas de vivre. Oh ! Mon Dieu, oui... Mais je m'en suis bien repentie, allez !... Parce que cela a paru lui faire une peine !... Chut !... Des pas !... Là ! On place quelque chose à la porte. Il faut voir ce que c'est. Maintenant ? Une cassette ! « À doña Teresina, fiancée de Don Josès. » Elle est pour vous ! Oh ! Mon Dieu ! Elle s'est ouverte toute seule... Des perles, des diamants ! Voyez... « À doña Teresina, fiancée de Don Josès. » Ce soir ? Mais je ne sais où est logé le comte, moi, et il me semble qu'il sera temps demain matin. Comme ces perles iraient à votre cou ! C'est le fils de quelque empereur. Nous avons trouvé notre génie. Pourquoi pas ? Ces bijoux sont offerts à la fiancée de Don Josès, et l'on accepte un cadeau de noces. N'y allez pas : la reine en tomberait malade de jalousie, et l'infant en mourrait d'amour. La señora veut-elle que je lui essaye ces bijoux ? Madame veut-elle que je la déshabille ? Madame me permet-elle de me retirer ? À propos, ces bijoux ? Comme madame voudra. C'est chose dite. Señora, señora, Monseigneur Don Josès arrive... Je vais l'arrêter un instant. Encore ici, Monseigneur !... Laquelle ? Pour reprendre sa maîtresse ? Si cet homme n'est pas le démon, c'est au moins la créature humaine qui lui ressemble le plus. J'y vais, Monseigneur. Monseigneur ! Voilà, Monseigneur, voilà ! Personne ! Où sont-ils ? C'est la voix de Don Josès. Il vient ! S'il apprenait... Mon Dieu ! Notre-Dame de la Garde, ayez pitié de moi ! **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_CAROLINA *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_carolina Me voilà, Monseigneur !... Il ne m'enlève pas, je te quitte. Parce que, depuis trois jours que nous nous connaissons, il y en a deux que je ne t'aime plus, et un que je te déteste. Si tu fais de tels cadeaux à la femme que tu n'aimes plus, que donneras-tu à celle que tu commences à aimer ? Tu es magnifique, seigneur Don Juan ; mais je serai encore plus généreuse que toi... Je ne veux pas que tu me donnes, je veux que tu me rendes. Mais, comme tu n'es que comte, je me contenterai d'un de tes châteaux. Combien en as-tu ? C'est égal, je te prête dessus. L'infant deviendra roi. Adieu, Don Juan ; j'espère que Dieu me pardonnera dans l'autre monde de t'avoir aimé un instant dans celui-ci. Jamais ! J'y serai. Je suis doña-Carolina de Valence. Comme j'allais au rendez-vous que Don Juan m'avait donné, j'ai rencontré une rivale sur mon chemin ; elle m'a poignardée en me disant : « Carolina, c'est Don Juan qui te tue !... » Vengeance contre le meurtrier ! Vengeance ! **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_JUANA *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_juana Au contraire, j'agis par pure charité chrétienne : ce pauvre Christoval est si triste d'avoir perdu Carolina, qu'il mourrait de chagrin s'il ne trouvait à la minute quelqu'un qui le consolât. Mais il est donc décidé à vivre toujours, le vieux comte ? Adieu, Don Juan ; tu es un impie, et tu perdrais l'âme d'une sainte en soufflant dessus. **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_URSULE *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_ursule Eh bien, ma soeur ? Vous me reconnaissez ? Et vous vous êtes sauvée ; vous avez quitté le couvent, vous avez erré par les plaines et par les montagnes, exposée à la chaleur du jour, au vent de la nuit... Vous ne nous donnerez plus de semblables inquiétudes, n'est-ce pas ? Quel bonheur pour notre sainte communauté, à qui je vais annoncer cette bonne nouvelle ! J'y vais, ma soeur... Don Sanchez n'était point au couvent, ma soeur ; mais un saint homme que j'ai rencontré, et qui se charge de le remplacer... **** *creator_dumas *book_dumas_donjuan *style_prose *genre_show *dist1_dumas_prose_show_donjuan *dist2_dumas_prose_show *id_UNANGE *date_1836 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_unange Pauvre créature brisée, Qui, pour briller un jour en ce monde mortel, Comme une goutte de rosée, Une aurore, tombas du ciel, La mère de toute clémence, Qui ne peut oublier que tu fus notre soeur, Voyant ton esprit en démence Perdu dans la nuit de l'erreur, Pour toi craint un trépas funeste, Et m'envoie à ton lit, messager consolant, Afin que mon souffle céleste Rafraîchisse ton front brûlant ; Et, dans cette heure qui délivre, Son pouvoir, impuissant à te mieux secourir, À défaut de force pour vivre, Te rend la raison pour mourir. Afin que ton âme choisisse, Libre, comme l'esprit doit l'être au dernier jour, Ou des rigueurs de la justice, Ou bien des trésors de l'amour.