**** *creator_euripide *book_euripide_heraclides *style_prose *genre_tragedy *dist1_euripide_prose_tragedy_heraclides *dist2_euripide_prose_tragedy *id_IOLAS *date_1880 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_iolas Je suis convaincu depuis longtemps de cette vérité, que l'homme juste est dévoué à ses semblables, tandis que celui dont le coeur est possédé de l'amour du gain, inutile à l'État et d'un commerce désagréable, n'est bon que pour lui seul. Or, ce n'est pas pour l'avoir entendu dire que je le sais. Quand je pouvais vivre tranquille à Argos, fidèle à l'honneur et aux liens de la parenté, je me suis associé, seul, aux nombreux travaux d'Hercule, alors qu'il était au milieu de nous ; maintenant qu'il habite au ciel, j'abrite ses enfants sous mon aile et je veille à leur salut, quoique j'aie besoin moi-même de protection. Lorsque leur père eût quitté la terre, Eurysthée commença par vouloir nous tuer ; mais nous échappâmes à ses coups ; et, si notre patrie disparut, notre vie fut sauve. Nous promenons en tous lieux notre exil et passons d'une contrée dans une autre. Car à tous les maux qui nous accablent, Eurysthée a jugé bon d'ajouter un nouvel outrage : en quelque lieu de la Grèce qu'il nous sache arrêtés, il envoie des hérauts qui nous réclament, et il nous chasse du pays, mettant en avant la ville d'Argos, puissante par son amitié comme par sa haine, et l'éclat de sa propre fortune. Quand on voit ma faiblesse et l'âge tendre de ces orphelins, on s'incline devant le plus fort, et l'on nous chasse du pays. Pour moi, j'accompagne ces enfants dans leur fuite, et je partage leur infortune ; je rougirais de les abandonner et que l'on pût dire : « Voyez, depuis que ces enfants n'ont plus leur père, Iolas a cessé de les défendre, quoiqu'il soit leur parent. » Repoussés de toute la Grèce, nous sommes venus à Marathon et dans le pays qui en dépend nous asseoir en suppliants devant les autels des Dieux pour implorer leur appui. Car on dit que les fils de Thésée, issus de Pandion, habitent cette contrée qui leur est échue par le sort, ce sont les proches des enfants d'Hercule : voilà pourquoi nous avons dirigé nos pas vers le territoire de l'illustre Athènes. Deux vieillards guident cette troupe d'exilés : moi, je m'occupe de ces pauvres enfants ; Alcmène est dans l'intérieur de ce temple avec les filles qu'abrite sa tendresse : car il nous semble malséant que de jeunes vierges assiègent les autels, mêlées à la foule. Hyllus et ses frères plus avancés en âge cherchent en quel lieu nous trouverons un refuge, si nous sommes chassés de ce pays par la force. Ô mes enfants, mes enfants ! Venez près de moi et attachez-vous à mes vêtements. Je vois s'avancer vers nous le héraut d'Eurysthée, celui qui nous poursuit et nous chasse, pauvres vagabonds, de tout pays. Homme odieux, puisses-tu périr et celui qui t'envoie ! C'est toi qui, de cette même bouche, as dénoncé tant d'ordres cruels à leur généreux père. Non pas ; l'autel du Dieu et cette terre libre où nous avons mis le pied sauront nous protéger. Non, tu n'entraîneras ni moi ni ces enfants par la force. Cela ne sera pas, moi vivant. Antiques habitants d'Athènes, à l'aide ! Nous sommes les suppliants de Jupiter Agoréen, et l'on nous fait violence, et l'on souille nos bandelettes ; c'est une insulte pour la ville, un outrage pour les Dieux. Voyez un faible vieillard renversé sur le sol ! Ah ! Malheureux que je suis ! C'est lui, étrangers, qui, au mépris de vos dieux, m'arrache violemment de l'autel de Jupiter. Non, étrangers, je ne suis pas un insulaire ; c'est de Mycènes que nous sommes arrivés dans ton pays. Peut-être connaissez-vous Iolas, le compagnon d'Hercule : car ma personne est assez célèbre. Ce sont les fils d'Hercule, ô étrangers ! Tes suppliants et ceux de ta patrie. Ils demandent à ne pas être livrés, à ne pas etre arrachés par la force des autels de vos dieux et conduits à Argos. Prince, je jouis dans tes États de cet avantage qu'il m'est permis d'entendre et de parler à mon tour, et que personne ne me chassera d'abord, comme on a fait ailleurs. Rien de commun entre cet homme et nous ; car, puisque nous n'avons plus de rapport avec Argos en vertu du décret rendu, et que nous sommes exilés de notre patrie, à quel titre cet homme pourrait-il nous réclamer comme Argiens, nous qui avons été expulsés du pays ? Nous sommes dès lors étrangers. Trouvez-vous juste qu'on jette hors des frontières de la Grèce quiconque a été banni d'Argos ? Ce ne sera pas du moins hors d'Athènes ; jamais par crainte des Argiens elle ne proscrira les enfants d'Hercule. Nous ne sommes pas ici à Trachine ou dans une petite ville d'Achaïe, d'où tu as chassé ces malheureux, assis en suppliants aux pieds des autels, contrairement à toute justice et en exaltant Argos, comme tu le fais maintenant. Si cela arrivait, et que les Athéniens approuvassent ton langage, je ne croirais plus à l'indépendance d'Athènes. Mais je connais les sentiments et le caractère des Athéniens : ils aimeront mieux mourir ; car pour les coeurs généreux l'honneur a plus de prix que la vie. Mais c'est assez parler d'Athènes : car à louer trop on se rend importun, et je sais que des louanges outrées m'ont mécontenté moi-même plus d'une fois. Mais puisque tu gouvernes ce pays, je te dirai comment tu es obligé de sauver ces infortunés. Pitthée est fils de Pélops ; or Pitthée est père d'Æthra, et c'est à elle que Thésée, ton père, doit la naissance. D'autre part, écoute la généalogie de ces enfants : Hercule était fils de Jupiter et d'Alcmène, et celle-ci est la petite-fille de Pélops : ton père et celui de ces enfants étaient donc cousins. Ainsi les liens du sang t'unissent à eux, Démophon. Il y a de plus, sans parler de la parenté, une dette de reconnaissance que tu dois acquitter envers ces enfants. J'accompagnai jadis leur père, dont je portais le bouclier, dans la navigation entreprise pour la conquête de ce baudrier qui fit couler tant de sang, et ce fut lui qui ramena ton père du fond ténébreux des Enfers. La Grèce entière est là pour attester ce fait. Pour prix de ce bienfait, ces enfants te demandent de n'être pas livrés à leur ennemi, arrachés par la force des autels de tes dieux et chassés de ce pays. Ce serait une honte pour toi, sans compter que ta patrie en souffrirait, que des suppliants, des proscrits, des parents (hélas ! regarde, jette les yeux sur eux) fussent victimes d'une pareille violence. Eh bien, je t'en conjure par ces rameaux sacrés dont je te couronne, par ces mains, par ce menton que je touche, ne repousse pas les enfants d'Hercule, et reçois-les dans tes bras ; sois pour eux un parent, un ami, un père, un frère, un maître ; tout vaut mieux que de tomber au pouvoir des Argiens. Il n'est pas de plus précieux avantage pour les enfants que d'être nés d'un père honnête et vertueux, et de s'allier à d'honnêtes familles ; celui qui, vaincu par l'amour, s'est uni à des méchants, je ne l'approuverai pas de laisser l'opprobre à ses enfants en cédant à l'attrait de la volupté. Une noble origine nous protège mieux contre l'infortune qu'une basse naissance. C'est ainsi que, tombés au dernier degré du malheur, nous avons rencontré ces amis et ces parents, qui, seuls parmi tant de peuples grecs, nous ont prêté leur appui. Donnez, ah ! Donnez-leur la main, mes enfants ; et vous, donnez-la à ces enfants ; approchez-vous les uns des autres. Ô mes enfants, vous venez de mettre leur amitié à l'épreuve. Que si vous revoyez jamais votre patrie, si vous rentrez en possession des demeures et des honneurs paternels, regardez-les toujours comme des sauveurs et des amis ; ne tournez jamais une lance hostile contre ce pays ; mais que cette ville, en souvenir de ce bienfait, soit pour vous la plus chère de toutes. Ils méritent que vous les honoriez, eux qui, vous voyant proscrits et errants, ne vous ont point livrés ni rejetés de leur sein, mais se sont attiré pour vous défendre l'inimitié d'un pays si puissant et du peuple pélasgique. Pour moi, vivant et mort, je te comblerai de mes louanges ; après mon trépas, j'irai trouver Thésée, et je réjouirai son coeur en lui disant que tu nous as bien accueillis, que tu as défendu la postérité d'Hercule, que, fils bien né, tu soutiens en Grèce la gloire paternelle, et que, sorti de nobles parents, tu ne te montres point, comme tant d'autres, inférieur à ton père. Car à peine trouverait-on un homme sur mille qui n'ait point dégénéré de son père. Je ne quitterai pas cet autel ; nous demeurons en suppliants sur ces degrés, attendant ici l'heureux succès de tes armes ; quand tu seras sorti vainqueur de cette lutte, nous entrerons dans le palais. Les dieux qui combattent pour nous, prince, ne sont point inférieurs à ceux des Argiens : Junon, l'épouse de Jupiter, tient pour eux, et Minerve pour nous. Or, je prétends que c'est aussi un élément de succès que d'avoir pour soi des divinités plus puissantes : car Minerve ne se laissera point dérober la victoire. Ô mon fils, pourquoi vois-je la tristesse empreinte sur ton visage ? As-tu du nouveau à nous apprendre sur le compte des ennemis ? Se préparent-ils ou sont-ils déjà sous nos murs ? Qu'as-tu appris ? Sans doute, le langage du héraut n'est pas trompeur. Leur chef, que la fortune a favorisé jusqu'à ce jour, marchera, je le sais bien, contre Athènes, rempli d'orgueilleuses pensées. Mais Jupiter châtie l'insolente fierté des mortels. Ô mes enfants ! Nous ressemblons à des navigateurs, qui, échappés à la fureur de la tempête et touchant presque déjà au port, se sont vus repoussés du rivage et relancés au large par les vents contraires. De même, nous sommes rejetés loin de cette terre, quand nous y avions déjà mis le pied et nous croyions sauvés. Hélas ! Pourquoi, cruelle espérance, as-tu charmé mon coeur, puisque tu ne devais pas tenir tes promesses ? Néanmoins, il ne faut pas en vouloir à ce prince, s'il refuse d'immoler les enfants de ses sujets ; je loue également le zèle de cette cité ; et, si les dieux ont décidé que tel fût mon sort, ma reconnaissance ne t'est pas moins acquise pour cela. Chers enfants ! Je ne sais comment pourvoir à votre salut ? De quel côté nous tourner ? Car est-il un dieu que nous n'ayons pas couronné de nos rameaux suppliants ? Une terre, où nous ne soyons pas venus chercher un refuge ? Nous périrons, mes enfants ; nous tomberons assurément aux mains de notre ennemi. Pour moi, s'il faut mourir, je ne le regrette qu'à cause du plaisir que ma mort causera à nos ennemis. Mais vous, enfants, je pleure sur vous, et je plains la vieille Alcmène, la mère de votre père. Malheureuse femme, d'avoir tant I vécu ! Malheureux que je suis moi-même, d'avoir pris tant de peine en vain ! Fallait-il donc que, tombés aux mains d'un implacable ennemi, nous subissions un trépas honteux et cruel ! Mais tu peux faire encore quelque chose pour moi, et je n'ai point perdu toute espérance de sauver ces enfants. Livre-moi aux Argiens à leur place ; assure par là et ton repos et le salut de ces malheureux ; je n'ai pas lieu de tenir à la vie ; j'en fais le sacrifice. C'est de moi surtout qu'Eurysthée voudrait s'emparer pour humilier le compagnon d'Hercule : car cet homme a perdu l'esprit. Le sage doit souhaiter de rencontrer dans son ennemi la sagesse, et non un sot orgueil ; alors, s'il est malheureux, il sera traité avec de grands égards. Ma fille, ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai lieu de te louer entre tous les enfants d'Hercule. Nous croyions le salut de sa famille assuré, et la voilà retombée dans un inextricable péril. Ce prince, en effet, annonce que les oracles ordonnent d'immoler, non point un taureau ou une génisse, mais une vierge issue d'un noble sang, si nous voulons assurer et notre salut et celui de cet État. Juge de notre anxiété : car Démophon se refuse à immoler ses propres enfants ou ceux d'un de ses sujets. Et, s'il ne me dit clairement, il me fait entendre que, faute de trouver un expédient, nous devrons chercher ailleurs un asile, attendu qu'il veut sauver son pays. À cette condition : du reste, tout va bien pour nous. Ô mon enfant, tu ne démens pas ton origine ; tu es bien la fille d'Hercule, une émanation de son essence divine ; mais, si je ne désapprouve pas tes paroles, je déplore ta fortune. Ce que veut la justice, je vais te le dire : appelle ici toutes tes soeurs, et que celle-là meure pour les siens, que le sort aura désignée ; il n'est pas juste que tu meures sans l'avoir consulté. Ah ! Voilà des paroles plus nobles encore que les premières, bien qu'on ne pût mieux parler ; tu te surpasses en courage et en générosité. Toutefois, je ne veux, ma fille, ni t'ordonner ni te défendre de mourir : en mourant tu seras utile à tes frères. Je ne saurais être témoin de ton trépas. Ô toi, dont la grandeur d'âme jette le plus vif éclat, nous t'honorerons, sache-le, entre toutes les femmes, et pendant ta vie et après ta mort. Adieu ! Je crains de blesser par de mauvaises paroles la déesse, fille de Cérès, à qui ton corps est consacré. Ô mes enfants ! Je me meurs, mes membres sont brisés par la douleur ; soutenez-moi et asseyez-moi sur ces degrés en m'enveloppant de ce vêtement. Le sacrifice qui s'apprête me désole, et pourtant nous n'aurions pu vivre sans l'accomplissement de l'oracle ; si ce malheur est grand, un plus grand désastre nous menaçait. Me voici ; autant du moins que ma présence est possible. Il m'est survenu un chagrin domestique auquel je succombais. Je suis vieux et n'ai plus aucune vigueur. Qui es-tu ? Où t'ai-je rencontré ? Je ne m'en souviens plus. Ô cher ami, viens-tu nous délivrer des maux qui nous accablent ? Ô mère d'un héros, Alcmène, sors et viens entendre la plus heureuse nouvelle. Car, tourmentée depuis longtemps du sort de tes enfants, tu te désolais à la pensée qu'ils ne reviendraient pas. Rassure-toi, Alcmène ; ne crains rien : il n'est venu d'Argos aucun héraut, porteur de paroles menaçantes. Pour que tu sortisses du temple et vinsses près de moi. Il annonce l'arrivée de ton petit-fils. Tu en as le droit ; mais il m'importe, à moi, de te questionner. Amène-t-il avec lui un grand nombre d'alliés ? Les généraux Athéniens en sont instruits, je suppose. L'armée est-elle déjà disposée en ordre de bataille ? À quelle distance se trouve l'armée des Argiens ? Que fait-il ? Est-il occupé à mettre ses soldats en ligne ? Je suivrai tes pas ; nous sommes d'accord, à ce qu'il semble, pour assister nos amis par notre présence. Et j'aurais tort de ne point partager avec mes amis les périls de la lutte. Eh quoi ! Ne puis-je pas frapper, moi aussi, dans la mêlée ? Nul parmi les ennemis ne soutiendra mon regard. Mais, du moins, je combattrai contre des guerriers non moins nombreux. Ne m'arrête pas : je suis prêt à agir. Tu peux dire tout ce que tu voudras, je ne resterai pas. Le temple renferme des armes enlevées à l'ennemi ; j'en ferai usage, et je les rendrai, si j'échappe à la mort ; si je succombe, le Dieu ne me les redemandera pas. Entre, détache et apporte-moi au plus vite une armure complète. Honte à qui garde la maison et se tient coi par lâcheté quand les autres combattent ! Le rôle des hommes est de combattre ; le tien est de veiller sur ces orphelins. Les enfants de ton fils qui survivront y pourvoiront. Ces étrangers ne t'abandonneront pas, ne crains rien. Jupiter aussi, je le sais, s'intéresse à tes infortunes. Tu as raison : prends ces armes et tiens-les à ma portée. Donne-moi la lance et soutiens mon bras gauche en guidant mes pas. Pour prévenir un sinistre présage il importe de marcher sans broncher. Hâte-toi : je suis perdu si j'arrive après le combat. Ne vois-tu pas comme mes jambes font diligence ? Tu parleras autrement, quand tu me verras là-bas. Tu me verras frapper l'ennemi dans la mêlée. Hélas ! Que ne peux-tu me seconder, ô mon bras, et déployer cette vigueur que tu possédais, je m'en souviens, lorsque tu dévastais Sparte avec Hercule ! Tu mettrais en fuite Eurysthée : car il est trop lâche pour soutenir le choc des lances. On a le tort de mesurer la bravoure sur la puissance et de croire que l'homme heureux sait tout à fond. **** *creator_euripide *book_euripide_heraclides *style_prose *genre_tragedy *dist1_euripide_prose_tragedy_heraclides *dist2_euripide_prose_tragedy *id_COPREE *date_1880 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_copree Tu te crois sans doute assis en sûreté dans ce lieu, et tu comptes sur l'assistance de cette ville : erreur ! Car il n'est personne capable de préférer ton débile appui à la puissance d'Eurysthée. Va-t'en : pourquoi te donner une peine inutile ? Il faut te lever et prendre le chemin d'Argos, où l'on t'attend pour te lapider. Veux-tu donc donner à ce bras de la besogne ? C'est ce que tu verras ; tu n'es pas bon prophète en ce point. Arrière ! Je les emmènerai, malgré toi, pour les rendre à Eurysthée auquel ils appartiennent. Mais cela ne fera pas le compte de tes maîtres, qui ont pouvoir sur toi et te retrouvent ici. Chasse donc du pays ces sujets d'Eurysthée, et je n'aurai pas recours à la violence. Il est sage de s'épargner des embarras en s'inspirant de meilleurs avis. Quel est le roi de ce pays et de cette cité ? Eh bien, c'est avec lui que je discuterai cette question : tout ce que j'ai dit est non avenu. Je suis Argien, puisque tu désires le savoir ; je veux bien dire pour quelle raison je viens et de quelle part. Le roi de Mycènes, Eurysthée, m'envoie ici pour emmener ces enfants et ce vieillard ; et je suis venu, étranger, ayant pour agir et parler ainsi plus d'un juste motif. En effet, Argien moi-même, j'emmène des Argiens, des fugitifs qui ont déserté mon pays, quand nos lois les avaient condamnés à mort. Or, il est juste que, chefs d'État, ce soit nous qui fassions exécuter les jugements prononcés contre nos sujets. Ils se sont présentés aux foyers de bien d'autres peuples, ,et nous nous sommes tenus aux mêmes déclarations, sans que personne ait osé se compromettre pour eux. S'ils sont venus ici, c'est qu'ils ont aperçu en toi quelque grain de folie, ou que, réduits au désespoir, ils veulent éprouver si tu feras ou non ce qu'ils souhaitent : car ils ne se flattent pas qu'étant dans ton bon sens tu puisses t'apitoyer sur leur incurable malheur, seul, parmi tant de villes grecques qu'ils ont parcourues. Voyons, compare un peu ce que tu gagneras à les accueillir dans tes États ou à nous les laisser emmener. Or, les avantages que nous pouvons te procurer, les voici : toutes les forces d'Argos, toute la puissance d'Eurysthée seront acquises à ta patrie. Mais si tu regardes à leurs raisons et à leurs plaintes et que tu te laisses attendrir, c'est le sort des armes qui trancher le différend : car ne pense pas que nous renoncions à nos prétentions sans combat. Que diras-tu alors ? Où sont les champs qu'on t'a enlevés pour que tu entres en guerre avec Tirynthe et Argos ? Quels sont les alliés dont tu prends la défense, et à quel propos donneras-tu la sépulture aux morts couchés dans la poussière ? Assurément, tu acquerras un mauvais renom auprès des citoyens, si, pour un vieillard qui n'est plus qu'une ombre, et pour ces enfants, tu t'enfonces dans un bourbier. Tu diras, c'est ce qu'il y a de mieux à dire, que tu mets ton espoir dans l'avenir ; mais cet avenir est loin de valoir le présent : car ces enfants, parvenus à l'âge d'homme, si c'est là ce qui t'enfle le coeur, te seconderaient mal dans une lutte contre les Argiens, et jusque-là s'écoulera un longtemps pendant lequel vous pourriez bien être écrasés. Crois-moi, sans faire aucun sacrifice, en me laissant prendre ce qui m'appartient, gagne l'alliance de Mycènes ; garde-toi de suivre les errements de ton pays et de préférer des amis faibles, quand tu pourrais en choisir de puissants. Quoi ! Si ma cause est juste, et que je te convainque par mes raisons ? La honte, après tout, sera pour moi, et tu ne souffriras aucun dommage. Jette-les hors de ce territoire, après quoi nous les emmènerons. C'est ici, paraît-il, que les méchants doivent se réfugier. À Mycènes, on ne sera pas de cet avis. À condition que tu aies la sagesse de ne point faire tort à Mycènes. Je ne désire pas que tu sois en guerre avec les Argiens. Et moi je mettrai la main sur eux, parce qu'ils m'appartiennent. Je le saurai bientôt pour en avoir fait l'expérience. Je pars ; car, à combattre seul, on est sans force. Mais je reviendrai ici, amenant avec moi une armée nombreuse d'Argiens tout couverts d'airain : dix mille guerriers m'attendent, commandés par le roi Eurysthée en personne ; il reste sur l'extrême frontière d'Alcathos, attendant l'issue de ma démarche. Quand il apprendra ton insolence, il apparaîtra terrible à toi-même, à tes citoyens, à cette terre et à ses productions. C'est en vain que nous posséderions à Argos une jeunesse aussi nombreuse, si nous te laissions impuni. **** *creator_euripide *book_euripide_heraclides *style_prose *genre_tragedy *dist1_euripide_prose_tragedy_heraclides *dist2_euripide_prose_tragedy *id_LECHOEUR *date_1880 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_lechoeur Hé ! Hé ! Quel cri a retenti près de l'autel ? Quel malheur va-t-il nous révéler ? Qui donc t'a fait faire cette déplorable chute ? Et toi, vieillard, de quelle contrée es-tu venu chez le peuple qui compose la Tétrapole ? Est-ce en vous aidant de la rame que vous avez abordé ici, après avoir quitté le rivage de l'Eubée ? De quel nom, vieillard, t'appelait le peuple de Mycènes ? Dès longtemps j'ai entendu prononcer ton nom ; mais dis-moi qui sont ces jeunes enfants que tu tiens dans tes bras. Que leur faut-il ? veulent-ils, dis-moi, qu'on les abouche avec les chefs de la cité ? Il convient de respecter les suppliants des dieux, étranger ; et ce n'est point par la violence qu'ils doivent sortir des temples sacrés : l'auguste Justice ne le souffrira pas. Une ville offense les Dieux en rejetant les supplications des étrangers. Eh bien, tu devais t'adresser au roi de ce pays avant de montrer cette audace, et respecter une ville libre, au lieu d'arracher ces étrangers des autels. Démophon, fils du vaillant Thésée. Le voici précisément qui vient en toute hâte avec son frère Acamas ; ils entendront tes raisons. Tu vois, prince, les fils d'Hercule assis devant cet autel qu'ils ont couronné de rameaux suppliants : Iolas, le fidèle compagnon de leur père, est avec eux. Cet homme, en cherchant à les arracher de l'autel, a provoqué leurs cris, et il a renversé le vieillard : j'en ai pleuré de pitié. Qui pourrait juger un procès ou connaître une cause avant d'avoir entendu nettement les deux parties s'expliquer ? Laisse-toi toucher, Prince, au récit de leurs malheurs. Jamais je ne vis la fortune triompher plus cruellement de la noblesse : car, issus du plus illustre père, ils souffrent des maux immérités. Au nom des dieux, garde-toi de frapper un héraut. Va-t'en ; et toi, prince, ne le touche pas. Le moment est venu d'aviser, avant que l'armée d'Argos s'approche de nos frontières : ses guerriers sont vifs et ardents, et, après ce qui s'est passé, ils le seront plus encore ; car les hérauts ont tous l'habitude de grossir et d'exagérer les faits. Je te laisse à penser tout ce qu'il va dire au roi, qu'il a subi d'indignes traitements et qu'il a été en danger, ou peu s'en faut, de perdre la vie. Notre patrie est toujours prête à secourir les malheureux, quand leur cause est juste. Aussi avons-nous déjà soutenu pour nos amis des travaux sans nombre, et maintenant voici un nouvel assaut à livrer. Tu as beau te vanter, étranger venu d'Argos, on ne s'inquiète pas plus de toi pour cela ; et, malgré ta jactance, tu n'effraieras point mon coeur ; tu ne saurais émouvoir Athènes, la grande cité aux beaux choeurs de danses. Vous êtes insensés, toi et le tyran d'Argos, fils de Sthénélus. Entré dans une ville étrangère, qui ne le cède point à Argos, tu veux emmener par la force des suppliants, des proscrits ! Et cela, en dépit de nos rois, sans rien dire qui justifie cette violence ! Où trouver un homme sensé pour approuver cette conduite ? Certes, j'aime la paix ; mais, si tu marches contre notre ville, ô monarque insensé, tu n'atteindras pas le but que tu poursuis : la lance et le bouclier d'airain ne sont pas à toi seul ; cependant je n'ai pas de goût pour la guerre. Ne viens pas, le fer en main, porter le trouble dans une cité où règnent les Grâces ; modère-toi plutôt. Ainsi le ciel s'oppose à ce que notre cité, quelque désir qu'elle en ait, prête à ces étrangers l'assistance qu'ils réclament § Ô vieillard, n'accuse pas maintenant notre ville : s'il y a profit pour nous, la honte est grande néanmoins à trahir des hôtes suppliants. Ciel ! Comment ne pas applaudir aux généreuses paroles de cette jeune vierge qui veut mourir pour ses frères ? Quel homme pourrait tenir un plus noble langage ou se conduire plus noblement ? Il sera fait ainsi, vierge infortunée : il serait honteux pour moi, et pour plusieurs raisons, de ne point te traiter avec honneur ; ta grandeur d'âme et la justice m'en font surtout une loi : tu es la plus courageuse femme que j'aie vue. Mais, si tu veux parler à tes frères et à ce vieillard, le moment est venu de leur adresser tes derniers adieux. Nul mortel, sans la volonté des dieux, ne goûte le bonheur et ne connaît l'infortune ; on ne voit point la même maison jouir d'une constante prospérité, et le sort change pour nous sans cesse. Tel est précipité du faite au plus bas degré ; tel autre passe de l'obscurité à une fortune brillante. Impossible d'échapper aux décrets du destin ; on ne peut s'y soustraire par la sagesse ; l'essayer, c'est s'imposer toujours un vain travail. Pour toi, Iolas, au lieu de te prosterner, accepte les arrêts des Dieux, et ne te désole pas outre mesure. C'est un trépas glorieux que celui de l'infortunée qui meurt pour ses frères et pour cette cité, et un brillant renom l'attend parmi les hommes. La vertu marche à travers les souffrances. Un pareil dévouement est digne d'Hercule, digne d'un si noble sang. Si tu honores la mort des gens de bien, je me joins à toi. Le temps n'a point encore abattu ton courage ; il est dans toute sa force, mais ton corps est impuissant. Pourquoi prendre une peine inutile ? Ton zèle te perdra et sera d'un faible secours à notre ville. Il faut faire l'aveu de ta faiblesse et ne pas tenter l'impossible. N'espère pas recouvrer ta jeunesse. Ô terre ! Ô lune, astre des nuits ! Et toi, soleil, dont les rayons étincelants éclairent les mortels ! Répandez la nouvelle ; que vos voix la portent au ciel jusqu'au trône du maître des dieux, dans le séjour de la glauque Minerve. Pour avoir accueilli des suppliants, je dois repousser avec le fer brillant, repousser le péril qui menace ma patrie et mes foyers. Il est dangereux qu'une cité florissante, comme Mycènes, et fameuse par la gloire des armes, nourrisse contre mon pays un ressentiment fatal ; mais il eût été honteux, ô mes concitoyens, d'obéir aux ordres d'Argos et de livrer des hôtes suppliants. Jupiter combat pour nous, je n'ai rien à craindre ; Jupiter me sait justement gré de ma conduite. Jamais je ne verrai les dieux vaincus par des immortels. Mais toi, auguste déesse (car ce sol t'appartient ; tues la mère, la souveraine, la gardienne de cette terre), éloigne celui qui, au mépris de la justice, mène contre nous l'armée des Argiens ; car il n'est pas juste que, pour prix de ma piété, je sois chassé de mes foyers. Nous t'honorons toujours par de nombreux sacrifices ; le jour où le mois finit, ni les chants des jeunes gens, ni les jeux et les danses ne te font défaut ; et sur la colline battue des vents retentissent, la nuit, les cris joyeux des jeunes vierges qui frappent la terre en cadence. Ô Jupiter, qui donnes la victoire, il m'est permis désormais de voir le jour, exempt d'une terrible crainte. J'aime la danse, quand les sons harmonieux de la flûte embellissent un festin ; Vénus a aussi des charmes pour moi ; mais il est agréable également d'assister au bonheur de ses amis jusqu'alors humiliés. La Parque, qui mène toute chose à sa fin, et le Temps, fils de Saturne, sont féconds en résultats. Tu suis la voie de la justice, ô ma patrie (il ne faut jamais t'en écarter), en honorant les dieux : quiconque le nie s'égare jusqu'à la folie ; ce que nous voyons ici le prouve. Oui, Dieu nous avertit par d'éclatants exemples en confondant sans cesse l'orgueil de l'homme injuste. Ton fils, vénérable Alcmène, habite au ciel, et dément ceux qui le disent descendu dans le séjour de Pluton, lorsque la flamme dévorante eut consumé son corps ; il partage la couche de l'aimable Hébé dans le palais doré des Dieux. Ô Hyménée, tu as dignement uni deux enfants de Jupiter. Que de rapprochements à faire ! Pallas fut, dit-on, l'auxiliaire du père de ces enfants ; et c'est la cité, le peuple que protège cette déesse, qui ont sauvé ces enfants et réprimé l'insolence de cet homme violent qui sacrifiait la justice à sa fureur. Que jamais l'orgueil et l'insatiable passion n'entrent dans mon coeur ! La haine qui t'anime contre cet homme est violente et excusable, ô femme, je ne l'ignore pas. Je veux te donner un petit conseil, Alcmène : laisse aller cet homme, puisque tel est le sentiment de la ville. Rien de mieux ; comment donc la chose est-elle possible ? J'approuve ce langage. Allez, serviteurs. Car, pour ce qui nous concerne, nos rois n'auront pas de meurtre à expier. **** *creator_euripide *book_euripide_heraclides *style_prose *genre_tragedy *dist1_euripide_prose_tragedy_heraclides *dist2_euripide_prose_tragedy *id_DEMOPHON *date_1880 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_demophon Puisque, tout vieux que tu es, tu nous as devancés à la course, nous autres jeunes gens, jusqu'à cet autel de Jupiter, dis-nous quel événement rassemble cette foule. Pourquoi donc ces cris plaintifs en pareille occurrence ? S'il porte le costume et les vêtements d'un Grec, ses actes sont ceux d'un barbare. À toi maintenant de t'expliquer, et sans retard. Quel pays as-tu quitté pour venir en ces lieux ? Trois motifs dans cette triste conjoncture me font une loi, Iolas, de ne pas repousser les hôtes que tu me présentes : j'obéis, avant tout, à Jupiter, à l'autel duquel tu es assis, entouré de ces jeunes enfants ; puis, les liens du sang et la reconnaissance me pressent de pourvoir à leur bonheur en mémoire du père ; enfin, je redoute la honte dont il faut surtout nous garder. Si, je laisse un étranger dépouiller par la force cet autel, je paraîtrai non plus habiter un pays libre, mais céder à la crainte en livrant des suppliants aux Argiens : il vaudrait presque autant se pendre. Plût au ciel que tu fusses venu sous de plus heureux auspices ! Toutefois, ne crains pas qu'on t'arrache violemment de l'autel avec ces enfants. Toi, retourne à Argos, et reporte mes paroles à Eurysthée ; ajoute que, s'il a quelque grief contre ces étrangers, il obtiendra justice : pour eux, tu ne les emmèneras jamais. Peut-il être juste d'emmener un suppliant de force ? Il y aura, certes, dommage pour moi, si je permets que tu les entraînes de force. Voyez le sot, qui se croit plus sage qu'un dieu. L'autel des dieux est un refuge ouvert à tous. Ne suis-je donc pas le maître à Marathon ? Qu'il lui soit fait tort, pourvu que je n'outrage pas les dieux. Ni moi non plus ; mais je ne renverrai pas ces suppliants. Alors tu auras de la peine à revenir à Argos. Si tu les touches, tu t'en repentiras, et ce ne sera pas long. Oui, s'il apprend à se montrer raisonnable. Va-t'en à la malheure ! Je ne crains pas ton Argos. Aussi bien ne devais-tu pas, en me déshonorant, emmener d'ici ces malheureux par la force : car je suis roi d'une ville libre et non sujette d'Argos. Tu as bien parlé, vieillard, et je prétends que tels seront les devoirs de ces enfants : ils garderont le souvenir de ce bienfait. Je vais convoquer l'assemblée des citoyens, et prendre des mesures pour recevoir avec des forces considérables l'armée des Argiens. Je commencerai par envoyer des éclaireurs pour qu'elle ne tombe pas sur nous à l'improviste : car tout guerrier d'ArgosBest rapide à la course ; puis, je réunirai les devins et sacrifierai. Toi, quitte l'autel de Jupiter et entre avec ces enfants dans le palais ; tu y trouveras, en mon absence, des gens pour veiller sur toi. Allons, entre dans le palais, vieillard. L'armée argienne s'avance avec son roi Eurysthée : c'est moi-même qui l'ai vue ; quiconque, en effet, prétend savoir l'art de commander, ne doit pas emprunter les yeux d'autrui pour observer l'ennemi. Il n'a pas encore lancé ses troupes sur nos plaines ; mais il a pris position sur une colline escarpée, d'où il examine dans quel ordre de bataille il fera avancer son armée, et sur quel point de ce territoire il campera le plus sûrement. De mon côté, j'ai pris toutes les dispositions convenables : la ville est en armes ; les victimes qu'on doit immoler aux dieux sont prêtes, et les devins font les sacrifices propres à repousser l'ennemi et à sauver notre cité. De plus, j'ai réuni tous les interprètes d'oracles, et j'ai examiné les anciennes prédictions, publiques ou secrètes, qui intéressent le salut de ce pays. Grande est la diversité de ces oracles sous d'autres rapports ; mais tous s'accordent clairement en un point : ils m'ordonnent d'immoler à la fille de Cérès une vierge née d'un père illustre. Tu vois combien est grand le zèle que je montre pour vous servir ; mais je ne tuerai pas mon enfant, et je ne forcerai personne de mes sujets à sacrifier la sienne malgré lui : quel homme a perdu le sens, au point de livrer volontairement à la mort ce qu'il a de plus cher ? Maintenant des groupes animés se forment dans la ville : les uns disent qu'il est juste de secourir des hôtes suppliants, les autres m'accusent de folie. Si je poursuis mon dessein, c'est la guerre civile que j'allume parmi nous. Vois donc, et avise avec moi aux moyens d'assurer votre salut et celui de ce pays, sans m'exposer au blâme de mes concitoyens. Car je n'exerce pas ici le pouvoir que les rois ont sur les Barbares, et c'est à la condition d'être juste que je serai traité avec justice. Ce que tu dis part d'un noble coeur, mais est impossible. Ce n'est pas parce que tu lui fais faute qu'Eurysthée conduit son armée contre nous : quel avantage reviendrait à ce prince de ta mort ? C'est la postérité d'Hercule qu'il veut anéantir ; un ennemi ne voit pas sans terreur grandir des fils généreux, pleins du souvenir des injures faites à leur père : voilà à quoi Eurysthée doit pourvoir. Si tu connais une autre voie de jsalut plus praticable, mets-toi à l'oeuvre : car je ne sais que faire, et les oracles que j'ai entendus m'ont rempli d'effroi. **** *creator_euripide *book_euripide_heraclides *style_prose *genre_tragedy *dist1_euripide_prose_tragedy_heraclides *dist2_euripide_prose_tragedy *id_MACARIE *date_1880 *sexe_masculin *age_jeune *statut_exterieur *fonction_autres *role_macarie Étrangers, si je suis sortie de ce temple, ne me reprochez pas ma hardiesse ; c'est la première grâce que je vous demanderai : le silence et la modestie sont les plus beaux ornements d'une femme, et son rôle est de se tenir tranquille dans l'intérieur de la maison. Mais j'ai entendu tes lamentations, Iolas, et je suis sortie, sans avoir reçu aucune mission de ma famille ; toutefois, j'y suis autorisée par le tendre intérêt que je porte à mes frères ; et, dans mon propre intérêt, je désire savoir si quelque infortune nouvelle est venue s'ajouter à nos anciens maux et déchirer ton coeur. C'est à cette condition que nous attachons notre salut ? Ne crains plus désormais les lances d'Argos. De moi-même, ô vieillard, et avant d'y être contrainte, je suis prête à mourir et j'offre ma tête au fer. Pourrions- nous, en effet, quand cette ville brave volontairement pour nous les plus grands dangers, laisser la peine aux autres, et, pouvant assurer notre salut, nous soustraire à la mort ? Non, certes ; nous deviendrions justement la risée d'autrui, si, prosternés en suppliants au pied des autels, nous nous montrions lâches, nous, la postérité d'un tel père. En quel lieu les honnêtes gens approuveraient-ils cette conduite ? Peut-être ferais-je mieux d'attendre que, cette ville étant prise, ce qu'aux Dieux ne plaise, je tombasse moi-même aux mains de l'ennemi, afin qu'ayant subi ses outrages, moi, la fille d'un héros, je n'en finisse pas moins par aller voir Pluton ? Mais si, chassée de cette terre, je reprends ma vie errante, ne rougirai-je pas de honte, lorsque j'entendrai dire : « Que venez-vous chercher ici avec vos rameaux : de suppliants, êtres pusillanimes ? Sortez d'ici : ce n'est point à des lâches que nous accordons notre appui. Je n'ai pas même, s'ils périssent et que je me sauve seule, l'espoir d'un heureux avenir. Qui voudra prendre pour épouse une fille abandonnée, et la rendre mère ? Mieux vaut donc mourir que d'être réduite à un sort indigne de moi et fait plutôt pour une autre femme de race moins illustre. Conduisez-moi où il faut que je meure ; ceignez mon front de bandelettes et prenez les auspices, si telle est votre envie, et triomphez de vos ennemis. Je vous abandonne ma vie, volontairement et sans contrainte, et je me déclare prête à mourir pour mes frères et pour moi-même. L'existence a pour moi peu de prix, et j'ai trouvé la plus belle occasion d'en sortir avec gloire. Je ne veux point mourir, si le hasard en décide : car, alors, où est le mérite ? N'en parle plus, vieillard. Mais si vous m'acceptez et que vous consentiez à mettre à profit mon dévouement, je donne ma vie volontairement pour ces enfants ; je ne veux pas être forcée de le faire. C'est sagement parler. Ne crains pas que mon sang retombe sur ta tête : c'est librement que je meurs. Suis-moi, vieillard : car je veux mourir dans tes bras : voilà pour cacher mon corps avec mes vêtements : car je vais me présenter au coup fatal, en digne fille du héros que je nomme mon père. Obtiens du moins de cet étranger que j'exhale ma vie loin du regard des hommes, entre les mains des femmes. Adieu, vieillard, adieu ! Charge-toi d'élever ces enfants, de les rendre en tout sages comme toi-même, rien de plus ; c'est assez pour eux. Tâche de les conserver, et pour cela ne te hâte point de mourir : nous sommes tes enfants ; c'est de tes mains que nous fûmes nourris. Moi-même, tu le vois, dans la saison de L'hymen, je leur donne ma vie, je meurs pour eux. Et vous, mes frères, qui vous pressez autour de moi, soyez heureux, et puissiez-vous jouir de tous les biens que mon trépas doit vous assurer par avance. Ce vieillard, cette femme chargée d'années, réfugiée dans ce temple, Alcmène, la mère de mon père, honorez-la ; honorez ces étrangers. Quand vous serez, grâce aux dieux, sortis de vos épreuves et rentrés dans votre patrie, n'oubliez pas de donner à celle qui vous aura sauvés la sépulture, une sépulture magnifique : cela est juste, car je ne vous ai point failli, je meurs pour les miens. Ce tombeau me tiendra lieu d'enfants et d'hyménée, s'il reste sous la terre quelque sentiment. Ah ! Plutôt qu'il n'en reste aucun ! Car si les mortels, une fois morts, doivent encore souffrir là-bas, où chercher alors un refuge ? La mort passe, en effet, pour être le souverain remède à tous les maux. **** *creator_euripide *book_euripide_heraclides *style_prose *genre_tragedy *dist1_euripide_prose_tragedy_heraclides *dist2_euripide_prose_tragedy *id_ALCMENE *date_1880 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_alcmene Pourquoi remplir tout ce temple de tes cris, Iolas ? Est-il encore venu d'Argos un héraut qui te fait violence ? Mes forces sont usées par l'âge ; mais sache bien, étranger, que, moi vivante, tu n'emmèneras point ces enfants, ou je consens qu'on ne m'appelle plus la mère d'Hercule. Si tu les touches seulement de la main, il te faudra lutter, et la gloire sera mince, avec deux vieillards. Alors, pourquoi as-tu poussé ces cris effrayants ? J'ignorais qu'il en fût ainsi. Mais quel est cet homme ? Oh ! Merci pour cette bonne nouvelle ! Mais pourquoi, s'il a mis le pied dans ce pays, ne le vois-je point en ce moment ? Quel motif l'arrêtait et l'empêchait de réjouir mon coeur par sa présence ? Il ne m'appartient pas de prolonger cet entretien. Pourquoi, dans le transport qui t'égare, me laisser dans l'abandon avec mes enfants ? Et comment, si tu péris, serai-je sauvée ? Mais si, ce qu'aux dieux ne plaise, il leur arrive malheur ? C'est là mon unique assurance, je n'en ai pas d'autre. Ah ! Je ne médirai point de Jupiter ; il sait bien lui-même s'il est juste à mon égard. Cher ami, je veux t'affranchir en ce jour pour prix de la nouvelle que tu m'annonces. Mais il est une inquiétude dont tu ne m'as point encore soulagée ; vivent-ils, ceux que je souhaite de voir sains et saufs. Et le vieil Iolas existe-t-il encore ? Eh quoi ! S'est-il signalé par quelque exploit ? Ce que tu dis est prodigieux ; mais je veux que tu me racontes d'abord l'heureux dénouement du combat qu'ont livré nos amis. Ô Jupiter, tu n'as que bien tard jeté un regard sur mes maux ; néanmoins je te suis reconnaissante de ce que tu as fait pour moi : je ne croyais pas jusqu'ici que mon fils habitât avec les dieux ; maintenant j'en ai la preuve certaine. Ô mes enfants, vous voilà délivrés de vos souffrances, délivrés du misérable Eurysthée : vous reverrez la ville de votre père, vous rentrerez en possession de son héritage, et vous sacrifierez à ces dieux de la patrie que votre existence errante et misérable ne vous permettait pas d'honorer. Mais dis-moi dans quelle pensée secrète Iolas a ménagé les jours d'Eurysthée ; pour moi, je ne juge pas prudent d'épargner un ennemi qu'on tient entre ses mains. Te voilà, monstre ! Enfin la justice a mis la main sur toi. Tourne d'abord ton visage de mon côté, et ose regarder tes ennemis en face : car tu es devenu esclave, de maître que tu étais. Est-ce bien toi, scélérat, je veux le savoir, qui n'as pas craint d'accabler d'outrages mon fils, aujourd'hui compagnon des Dieux ? Car il n'est pas de mauvais traitement que tu lui aies épargné ? Tu l'as même forcé à descendre vivant aux enfers, et tu le chargeais de détruire les hydres et les lions. Je ne parle pas des autres cruautés que tu as imaginées ; le récit en serait trop long.. Là ne s'est pas arrêtée ta fureur ; de toute la Grèce tu nous chassais, moi et ces enfants, assis en suppliants aux autels des dieux, les uns courbés par l'âge, les autres encore enfants. Mais tu as trouvé des hommes et une cité libre qui n'ont pas tremblé devant toi. Il faut que tu meures misérablement. Ce sera tout profit pour toi : car tu as mérité mille morts, après les nombreux forfaits que tu as commis. Alors c'est en vain que nous l'avons fait prisonnier. Quelle loi interdit de le mettre à mort ? Qu'est-ce à dire ? N'est-il pas glorieux pour eux de tuer un ennemi ? Et Hyllus a souscrit à cet arrêt ? Il fallait que ce monstre pérît et ne vît plus la lumière. Il est donc encore à propos de le punir. Je suis là, et je prétends compter pour quelqu'un. J'aime cette ville, je n'y contredis pas ; mais, puisque ce monstre est tombé entre mes mains, nul parmi les mortels ne saurait me l'arracher. Après cela, permis à qui voudra de me trouver hardie et plus osée qu'il ne sied à une femme ; cet acte, je l'accomplirai. Mais, s'il meurt sans que nous désobéissions à la ville ? Je te l'apprendrai facilement : je tuerai mon ennemi, puis je donnerai son cadavre aux amis venus pour le réclamer : ainsi, pour ce qui est de son corps, je ne désobéirai point aux lois de ce pays ; et lui, par sa mort, me donnera satisfaction. Pourquoi balancer, après cette déclaration, a le sacrifier, puisqu'il doit assurer le salut de cette ville et de vos descendants ? Il vous montre la voie la plus sûre : vivant, il est votre énnemi ; mort, votre protecteur. Emmenez-le, esclaves, et, après l'avoir tué, livrez son cadavre aux chiens. Car n'espère plus m'échapper et me proscrire encore de ma terre natale. **** *creator_euripide *book_euripide_heraclides *style_prose *genre_tragedy *dist1_euripide_prose_tragedy_heraclides *dist2_euripide_prose_tragedy *id_EURYSTHEE *date_1880 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_eurysthee Sache bien, femme, que je ne te flatterai pas, et que je ne dirai rien pour sauver mes jours qui puisse me faire accuser de lâcheté. C'est malgré moi que je vous ai persécutés : je savais bien que j'étais ton cousin et uni par le sang à ton fils Hercule ; mais que je le voulusse ou non, Junon (car c'est une déesse qu'il faut accuser) m'a soufflé ces sentiments haineux. Dès que je devins l'ennemi d'Hercule et que je sus quelle lutte j'avais à soutenir, j'inventai mainte épreuve pénible, et je passais les nuits rêver aux moyens de repousser et d'anéantir mes ennemis pour vivre désormais à l'abri de la crainte, sachant bien que ton fils n'était pas un être vulgaire, mais vraiment un homme : car, quoiqu'il ait été mon ennemi, je lui rendrai hommage parce que ce fut un héros. Débarrassé de lui, ne devais-je pas, me sachant haï de ces enfants, héritiers de la haine paternelle, tout machiner, tout mettre en oeuvre pour les tuer et les proscrire ? Ma sûreté était à ce prix. Toi-même, à ma place, n'aurais-tu pas poursuivi sans pitié ces nourrissons odieux d'un lion terrible, ou, plus modérée, les aurais-tu laissés habiter Argos ? C'est ce que tu ne feras croire à personne. Aujourd'hui qu'ils ne m'ont pas tué malgré mon ardeur guerrière, ma mort, d'après les lois de la Grèce, sera une souillure pour celui qui m'aura tué, et Athènes a fait sagement en me laissant aller ; elle respecte plus les Dieux que votre haine. À ce que tu as dit, voilà ma réponse : il me reste à invoquer le dieu protecteur des suppliants et des braves. Toutefois, pour que tu saches où j'en suis, je ne désire pas mourir, mais je quitterai la vie sans regret. Tue-moi, je ne te demande pas la vie ; mais cette ville qui m'a épargné et a refusé de me faire périr, je la récompenserai par un vieil oracle d'Apollon, à qui lui servira un jour plus qu'on ne pense. Vous enterrerez mon corps au lieu fixé par le destin, à l'entrée du temple de la vierge Pallas. Sous cette terre où je reposerai quoique étranger, je serai pour vous et pour cette ville un ami, un sauveur ; je serai pour les descendants des Héraclides un ennemi implacable, lorsque, oubliant votre bienfait, ils viendront ici avec une armée nombreuse : voilà les hôtes que vous avez couverts de votre protection. Comment se fait-il que, sachant cela, je sois venu ici, et n'aie point redouté l'oracle du Dieu ? Je croyais que Junon, plus puissante que des oracles, ne m'abandonnerait pas. Mais gardez-vous de m'offrir des libations et de verser du sang sur mon tombeau ; en récompense,je donnerai à vos ennemis un funeste retour. Ma mort vous sera donc doublement profitable ; j'assure en périssant votre salut et leur ruine.