**** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_moliere *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_moliere Chapelle, l'interrompons-nous ? Mais, si c'est à un ami, nous commettons une imprudence. Nous avions craint de vous déranger, et nous étions à nous disputer⁎ si c'étoit à un amant ou à un ami que vous écriviez. Vous n'écriviez donc à personne ? Je gagerois que c'est notre Grand-Prieur amoureux. Qu'a-t-il fait de nouveau ? Voyons : (il lit.) Elle est trop fade. Et vous lui avez répondu ? C'est délicieux : la réponse vous fera honneur. Ecoute, Chapelle, la sotte épigramme et la jolie réponse : « Indigne de mes feux, indigne de mes larmes, Je renonce sans peine à tes foibles appas : Mon amour te prêtoit des charmes, Ingrate, que tu n'avois pas ». Et du petit faiseur. « Insensible à tes feux, insensible à tes larmes, Je te vois renoncer à mes foibles appas : Mais si l'amour prête des charmes, Pourquoi n'en empruntois-tu pas ? Pour celui-là, il ne sera jamais votre ami. Moi, je me charge de la répandre : vous ne craignez pas la publicité de son épigramme. La pitié : Eh bien ! elle en est capable ; mais vous êtes trop bonne. Je veux faire connoître le stile de Monsieur le Grand-Prieur. Cela trouvera sa place, je vous en réponds. Eh bien, Madame de Villarceaux ? Quelle femme ridicule ! Cela va me faire une scène délicieuse. Il me semble voir les uns se cachant pour rire, les autres pour l'appaiser, l'enfant déconcerté, et le Précepteur la bouche béante : il y a de quoi faire une situation théâtrale. Oh non : pas si tôt ; mais je m'en occuperai. Dans ce moment j'ai un sujet bien épineux à traiter, dans lequel vos avis, Ninon, me seront très-utiles. Oh ! non pas, s'il vous plaît ; cela n'est pas à sa portée. Il lui faut de la grosse gaieté, et mon sujet est trop noble pour le soumettre à son jugement. Il me faut plus qu'un esprit naturel… Un génie éclairé, dont le goût délicat saisisse les traits du caractère que je vais mettre sur la scène. C'est l'opposé. Personne ne m'a deviné que vous. Oui, mais vous voir et vous entendre sans désirer de régner-là : (montrant son cœur), est une chose bien difficile. Mon Misantrope même n'y tiendroit pas, et je veux le faire amoureux : de ce moment, je change mon plan, cela sera plus original, et son caractère plus dans la nature. Cette singularité bizarre, produira des effets neufs au théâtre… O ma divinité ! mon Apollon, adorable Ninon ! je vous dois de nouvelles lumières. Si j'étois bien sage, est-ce que je ferois des Pièces de Théâtre, en connoissant tous les inconvéniens. Vous m'honorez trop ; je n'ai pas plus de mérite qu'un autre ; mais peut-être dois-je ma gloire à mon bonheur. Je sors à l'instant de chez lui, j'allois vous en parler. En homme. Du plus loin qu'il m'a vu : « Mo/ /lière, a-t-il crié, avancez donc, il semble que vous n'osiez pas approcher ». Aussi-tôt, vous eussiez vu s'ouvrir un passage pour aller jusqu'à lui. Mon Prince, lui dis-je, je craignois… Il m'arrête. – « Que dites-vous, mon ami ? apprenez que je ne vois pas d'homme plus fait pour m'approcher, que vous ; et vous me ferez plaisir de me venir voir le plus souvent qu'il vous sera possible. On s'instruit dans votre entretien, (en réfléchissant), comme si ce grand homme avoit besoin d'apprendre quelque chose ». Ensuite il fut beaucoup question de vous, (parlant à Ninon). Et vous pensez bien que la conversation ne finit pas sitôt. J'ai entrevu dans ses discours que vous ne passerez peut-être pas la journée, sans qu'il vienne vous rendre son hommage. Mais cette Reine du Nord qui fixe tous les regards, et qui touche au moment de son départ, pourra bien le retarder. Vous avez votre mérite comme elle a le sien. Ah ! je l'avais oublié ; c'est ma jeune fille de qualité. Je m'applaudis qu'elle soit venue me trouver ici ; vous m'aiderez, Ninon, à calmer cette tête exaltée et à la faire rentrer dans son devoir. Vous voulez bien me permettre de vous la présenter. Je m'en vais vous lire sa lettre et vous la connaîtrez en peu de mots. « Monsieur, C'est l'être le plus infortuné, la fille la plus à plaindre, qui prend la liberté de vous instruire de ses malheurs. Je n'espère qu'en vos bontés, Monsieur ; je connais vos nobles procédés, votre génie et tous vos ouvrages. J'étais née, peut-être, avec d'heureuses⁎ dispositions pour la Comédie ; mon rang, ma fortune m'ont empêché de suivre mon penchant. La nécessité me force aujourd'hui de prendre ce parti. Je n'ai que seize ans ; on veut m'unir à un homme de soixante. J'aime, je suis aimée d'un jeune homme bien né à qui mes parens me refusent cruellement ; j'ai réfléchi sur le pas que j'allais faire ; j'ai vu que le préjugé avait plus de part à la tâche de Comédien qu'à l'état même ; qu'un engagement dans votre troupe ne pouvait déroger ni à mon nom, ni à mes sentimens. J'irai me présenter demain chez-vous. Je sais par cœur tout votre Théâtre ; vous examinerez à quel emploi je puis-être propre. » Il s'agit bien de plaisanter. Croyez-vous que je sois Comédien dans toutes les époques de ma vie ? La probité fait trêve à ma frénésie ; mais la voici. Quel dommage ! Et sans considérer votre illustre famille, vous voulez, Mademoiselle, vous jetter dans la Comédie. Je n'en ai pas mieux fait, et si j'étois à recommencer, je ne sais pas si je le préférerois. Mes amis, mes chers amis, vous ne voyez que les roses qu'on sème par-ci par-là sur mes pas, et que votre amitié me cueille ; eh bien, moi, je ne trouve à chaque instant que des épines sur mon passage. Mademoiselle, voulez-vous en connoître la cause ? C'est que je suis Comédien. Je ne dégrade pas par ce mot mon état, je crois qu'il est même noble par lui-même, et qu'il ne convient qu'à ceux qui ont de l'ame ; mais tous en ont-ils ? Et le Public n'est-il pas aussi injuste dans ses souhaits et dans ses caprices ? Tarare⁎. Toutes celles qui vous feront plaisir. Attendez… Mais oui, un peu de la vieille gouvernante de mon oncle. J'étois bien jeune. Oh ! vous avez raison. Allez vous jetter aux pieds de vos parens, leur demander pardon de votre imprudence, de votre désertion, et de toutes les expressions qui peuvent condamner votre démarche ; je vous y conduirai ; s'il le faut, je parlerai à vos parens, à votre père, ils m'écouteront, et j'espère obtenir votre pardon. Eh ! vous le perdriez bien plutôt à la Comédie. Apprenez, Mademoiselle, que sagesse et constance, sont deux qualités proscrites du Théâtre. Je veux croire même que vous les possédiez ; et quand vous auriez une vertu⁎ des plus austères, on n'y croira pas ; et si vous avez le malheur qu'on y ajoute foi, point d'amis, point d'applaudissemens : vous entendrez crier du fond de la salle : Ah ! voilà cette Bégueule⁎ ! Où a-t-elle été nicher sa vertu⁎, et pourquoi n'entroit-elle pas plutôt au Couvent qu'à la Comédie ? Et en plus grand malheur encore, votre Amant lui-même vous punira peut-être plus de votre démarche, que votre père. Distrait par des objets charmans, las de soupirer et d'attendre un tems plus favorable, il vous oubliera ; le changement est si naturel à l'homme. Expliquez-vous, Mademoiselle. J'ai bien peur… Le mauvais Gouverneur que vous avez là, Mademoiselle. Cela est trop juste : mais il faut le prévenir par votre soumission ; et dans cet Hôtel où vous vous êtes retirée, votre Amant ne s'y est il pas rendu ? Elle a raison ; cachons-la aujourd'hui. Il faut que vous lui donniez l'hospitalité. Ensuite nous verrons les moyens pour aborder ce père inéxorable. Elle a raison. Elle te connaît bien ; plus tu as à faire, moins tu fais. Garde pour ce moment tes observations et songe à servir cette jeune personne. Si tu ne trouves pas Saint-Evremont, j'irai moi-même trouver Monsieur de Chateauroux. J'en suis bien persuadé. Je vois un moyen infaillible. Vous verrez Monsieur de Chateauroux, vous lui peindrez les dangers que court sa fille, dans lesquels sa cruauté peut la précipiter ; mais je n'ai pas besoin de vous dire ce qu'il faut faire ; vous avez mille ressources pour le toucher, et je suis sûr que ce n'est qu'à vous qu'est réservé l'honneur du succès. Il s'avise un peu tard de ce qu'il vous devait. Vous avez raison ; un bien qu'on nous a confié est un dépôt sacré. Et cependant votre conduite l'étonne, tant l'abus de confiance est commun parmi les hommes ; mais moi je n'en suis pas surpris de votre part. Ah ! coquin, si je pouvois te saisir comme tu es en effet ; combien je m'applaudirois de le faire reconnoître à son odieux portrait, et de pouvoir justement faire la guerre au vice. Je te tiendrai un jour, et tu ne m'échapperas pas. Ah ! je vous en réponds. J'y avois déjà songé. Je connoissois à-peu-près un caractère d'homme… Mais je vous avouerai, que je ne m'attendois pas à voir l'hypocrisie et l'imposture portées à ce degré. Fourbe abominable ! si je ne craignois pas d'affoiblir mon sujet par l'empressement de le traiter, je prendrois à l'instant la plume. Les moments leur sont chers, Monsieur Gourville : croyez-moi, imitez-moi : Ninon, j'ai affaire et je vous laisse. En êtes-vous jaloux ? La voilà ! Amie pour la vie ? Amante pour l'instant. Il faut convenir que vous le traitez avec un peu trop de rigueur. Nous allons vous laisser : donnez-lui au moins la satisfaction de vous baiser la main sans témoins. Vous nous trouverez sur votre passage. Si ton Maître étoit instruit que c'est Mademoiselle de l'Enclos, il ne lui refuseroit pas sa porte. Je reste anéanti. Est-ce un rêve ? Est-ce une folie ? Chapelle avoit raison. Est-il possible ! je ne l'aurois jamais cru. L'amour produit des évènemens bien singuliers. Ninon a raison, et j'aime mieux le trouver heureux dans ses idées pastorales, que malheureux dans toute l'énergie de son esprit. Je ne désirerois pas d'autre fin. Voyez à quel point vos amis vous sont fidèles. Sa folie me paroît cent fois plus intéressante. Bon ! Cette jeune fille qu'on nomme la Dupuis ? Elle est, ma foi, jolie, et on ne la dit pas sotte. Monsieur de Gourville, n'employons point de remèdes violens, il faut au contraire que l'amitié se prête à la situation de son état. Si on pouvoit le ramener dans la société avec sa bergère ; peut être le guéririons-nous par ce moyen. Cela n'est pas bien difficile à deviner ; et ne voyez-vous pas que tout est factice ici, et que ce paysan n'est pas aussi au fait que les autres. Francisque ne sait où il en est : c'est une énigme pour lui. Ah ! que n'ai-je un Ballet et un Chœur tout prêt, dans le fond du jardin. C'est tout comme à l'Opéra. Il y a de l'enchantement ici. D'où viennent ces Bergers et ces Bergères ? Comment diable ! du caractère dans la danse ! Adieu, mon vieil ami ; que le Ciel vous tienne dans cette heureuse⁎ rêverie. Fin du second Acte. Et elle a travaillé en vous attendant. Et bien jolis, je vous en réponds, par ce que j'en vois. Allons, ne te fâche pas, mon camarade et mon cher confrère ; nous faisons l'un et l'autre de notre mieux, pour rendre hommage à tant de rares qualités, et à tant de grandeur d'ame. Ah, l'agréable pénitence ! Quelle facilité ! quelle heureuse⁎ gaité ! Que je suis loin d'approcher de cette sublime Philosophie, (En embrassant Scaron.) Mon ami, je suis un petit enfant auprès de vous. Ah ! mon Prince, je vous demande un million de pardons. Adieux aux Marais, par le plus fidèle oiseau des Tournelles. Adieu, bien que ne soyez blonde, Fille, dont parle tout le monde. Charmant objet, belle Ninon, La Maîtresse d'Agamemnon (N'eut jamais rien de comparable, A tout ce qui vous rend aimable ;) Etoit sans voix, étoit sans luth, Et mit pourtant les Grecs en rut De si furieuse manière, Que, ma foi, ne s'en fallut guère Que tout leur camp n'en fût gâté, Par Messire Hector irrité. Tant est vrai que fille trop belle, N'engendre jamais que querelle. De peur qu'il n'en arrive autant, Tâchez de n'en blesser pas tant ; Et commandez à vos œillades, De faire un peu moins de malades. Elle en est capable : son bonheur n'existe que dans celui de ses amis. C'est le seul talent que la Nature vous ait refusé. Je suis anéanti. Pourquoi ne suis-je qu'un simple particulier ? Mon Prince, mon état… Mon ami, je m'en vais vous prendre à brasse-corps. Ma foi, il l'emporte tout seul, quel homme ! ah ! il n'y en a pas beaucoup de cette trempe. Mon Prince, j'aurois volé si j'avois pu le prévoir. Vous tirer d'embarras ! Mon Prince, il faudroit être aussi intrépide que vous, il faudroit un autre vous-même, et il n'y a que le sang des Bourbons qui produise vos pareils. Je le crois, mon Prince ; mais convenez que le dernier vous est inconnu. Mon Prince, je suis confus de tant de bontés, et le Roi, en parlant ainsi, craignoit de trouver dans son bras droit, l'ennemi de ses plaisirs : il vous a bien nommé quand il a vu ce noble retour sur vous-même. « Désormais, dit-il, on peut le nommer le Grand-Condé ». Oui, mon Prince ; et de plus de la visite que la Reine Christine veut lui rendre ; et déjà tout Paris le sait. Je vais me mettre en quatre. Mon Prince, permettez que je prenne congé de Votre Altesse, et que j'aille mettre la main à l'œuvre. Saint-Evremont et Chapelle vont vous rendre compte de leur mission : tout s'arrangera, si vous le voulez bien. Je viens vous communiquer le plan de votre fête, mais je ne vous réponds pas qu'il soit de votre goût. Que vois-je ? Quelle nouvelle inquiétude paroît vous agiter ? Comment donc ? La Châtre vous occuperoit-il encore ? Il est cependant loin depuis ce matin. Déjà. Point du tout : mais c'est l'air avec lequel vous me l'annoncez. Que vous êtes heureuse⁎ de traiter l'amour comme un enfant qu'il est. En vérité, je vous en crois la mère. Vous êtes Vénus sous les traits de Ninon. Pour nous tromper, et nous séduire, elle ne pouvoit pas en trouver de plus parfaits. Allons, ne me boudez pas ; ce n'est pas votre habitude. Apprenez-moi quel est le fortuné qui vous intéresse actuellement ? Ah ! oui, je m'en doute : celui qui vouloit tantôt… A ce geste, j'aurois dû le reconnoître. Il a du courage. Il est aimable, en un mot, il est fait pour être votre Amant. Cela n'est pas possible… Au surplus, peut-être vous craint-il, et la fuite, en pareil cas, est bien pardonnable. Je vous prédis Ninon, qu'à quatre-vingt ans vous ferez encore des passions. Je voudrois vivre jusques-là pour le voir ; mais vous êtes encore jeune, et moi, j'approche de ma quarantaine. Cela n'est pas possible ; vous avez la beauté et la fraîcheur de quinze ans. Ne me demandez pas de conseils sur cette matière ; car je vous assure que vous me trouveriez moins raisonnable que vous. C'est interrompre bien adroitement la conversation. Que fait Mademoiselle de Châteauroux ? Vous vous en mêlez, il n'y a pas de doute. Vous devriez traiter ce sujet, Monsieur Mignard, il n'y a qu'un peintre comme vous qui puisse rendre ce tableau. Votre antipathie pour les citations vous ferait même préférer la plus profonde ignorance. Il n'y a que des hypocrites, des femmes sans principes d'honneur et de probité qui cherchent à ternir votre réputation. Quelle grandeur d'ame ! Quel esprit ! Quelle délicatesse ! Ah ! femmes, femmes qui vous gendarmez contre elle ; apprenez à l'imiter, et vous vous éleverez. Quel modèle à suivre ! Ses foiblesses, ses erreurs, font ressortir davantage ses grandes et sublimes qualités. Se seroit-on jamais douté, dans sa modeste conversation, qu'elle attend ce soir chez elle la Reine de Suède ? Après cet hommage, elle pouvoit recevoir, ce me semble, deux Demoiselles de qualité, sans craindre de porter la moindre atteinte à leur réputation. Ah ! vous voilà, Monsieur le Comte. Ma foi, je crains bien pour vous que vous ne soyez arrivé trop tard. On a réfléchi. Mais aussi, Monsieur le Comte, quel homme êtes-vous, de laisser à une femme le tems de la réflexion, et sur-tout à Ninon… Allons, embrassez-moi, vous serez des nôtres. L'amitié vous récompensera des pertes de l'amour. Pas tant à dédaigner. Tous les hommes n'en sont pas dignes. Un jour l'a vu commencer et finir ; mais vous conviendrez à votre tour, que le jour qui fait le bonheur d'un Amant, est un des plus beaux jours de sa vie. Tant mieux pour vous, si vous pouvez l'éviter. Un Amant calme n'est pas ce qui lui convient. Je l'entends parfaitement, et vous l'avez saisi aussi-bien que moi. Ah ! voilà le courage qui lui manque ; je le vois à ses genoux. Pour moi, j'y cours d'autant plus, que j'ai à finir ma besogne, dans laquelle Scaron pourra m'être très-utile. (Il sort.) Madame, ses amis sont dignes d'elle, et voilà mon plus grand mérite. C'est encore un nouveau lustre, Madame, que vous allez ajouter à la société, et dont les siècles à venir n'auront peut-être point d'autre exemple : elle réunit chez elle les Héros et les Rois, ce qu'il y a de plus distingué parmi les hommes de Lettres, et ce qu'il y a de plus estimable dans les Artistes. Egale avec tous, modeste sans affectation, elle obtient les vœux de toutes les classes, et l'amour des grandes ames. Je venois vous en avertir. Le bon homme, mon ami, il vivra plus que nous. D'où part le son de ce chalumeau ? Ah ! c'est charmant ; cette scène vaut mieux que notre fête. C'est une fille d'honneur. Je le crois bien : vous le nommez par son nom. Et avez-vous oublié qu'il n'est plus que le Berger Coridon. Si vous étiez une Bergère, il seroit bientôt infidèle. On a beau changer de folie ; le caractère de l'homme perce toujours. Mon ami, c'est cette grande Reine du Nord, cette fameuse Christine de Suede. Ecoute, mon ami, ces grands génies paroissent ce qu'ils veulent être. Quand tu l'as vue à cheval, tu l'as vue comme une Reine guerrière, semblable à ces anciennes Amazônes qui réunissoient la beauté avec cet air martial qui en imposoit. Il n'y a qu'elle maintenant au monde de ce caractère ; elle a abandonné son Trône à son Successeur, et tu vois qu'ici l'amitié lui en élève un autre. Elle n'en sera pas la dupe, je t'assure. Non ; mais les auteurs de ses jours doivent s'applaudir de l'avoir pour fils. Vous êtes sa mère ? Jeune homme, remerciez le Ciel de vous avoir donné pour mère Mademoiselle de l'Enclos. Il faut que je l'embrasse. Mon ami, vous serez marié, c'est moi qui vous en réponds. Je ne vous reconnois pas, Mademoiselle de l'Enclos, et quelle opinion avez-vous actuellement des hommes ! Monsieur de Chateauroux est un brave officier, il est père, il sera juste et prudent. Lisez, Monsieur ; instruisez-vous sur le compte de Mademoiselle votre fille. Courage, morbleu ! ce n'est pas vous qui devez en manquer. Monsieur, j'ai vu le jeune homme. Il ne me paroît pas si indigne de vos bontés, et de votre estime. Un fils naturel⁎ ! eh ! qu'importe, Monsieur, si ce jeune homme a de l'honneur, des sentimens⁎ distingués. N'est il pas un homme ; n'a-t-il pas des droits à l'estime publique s'il la mérite ? Que son état m'afflige ! D'autant plus qu'elle est forte, elle en doit souffrir davantage. Jamais je ne l'ai vue dans cet état. Mettez-vous, Monsieur, à la place de Mademoiselle de l'Enclos. Douée de tous les avantages de la Nature, et d'une riche éducation, plus attaquée qu'une autre, et sans doute plus sensible, elle a aimé, elle fut adorée, vous ne l'ignorez point, et que savez vous si elle n'a pas été mère ? Croyez-vous que la manière dont vous avez parlé d'un fils naturel⁎, ne l'ait point affligée dans le fond de son ame. Plus cette ame est grande et délicate, plus l'outrage est offensant. Ah ! Monsieur, gardez-vous de suspecter la conduite de Monsieur de Coligny. Il n'a gardé le silence que par respect pour la femme qu'il avoit rendue mère. Je suis de votre avis, Monsieur : mais si cette mère infortunée étoit aussi intéressante que Mademoiselle de l'Enclos, aussi estimable par ses rares qualités, que feriez-vous, Monsieur ? Ah ! croyez, Monsieur, que son silence a bien été cruel pour son cœur. Quel spectacle ! Il semble qu'il soit fait pour moi, pour ma sensibilité. Je jouis donc dans ce moment pour moi seul, et c'est une récompense de mes veilles et de mes soins. Le hasard conduit tout. Combien je m'applau/ /dis qu'il vous ait amenée jusques chez Mademoiselle de l'Enclos, en qui vous trouvez une mère et une mère comme il n'y en a pas. Rapportez-vous-en, Monsieur, à sa pénétration⁎. Ce que vous dites-là est-il bien possible, Mademoiselle de l'Enclos ? Quoi ? Vous abandonneriez votre société, vos amis ; c'est ordonner leur supplice, les enterrer tout-vivans. Je tremble ; elle est si forte dans ses résolutions. Oui, mes amis ; joignez-vous à mes instances, et détournons-la de ce fatal projet. Elle vient de faire le bonheur de ses enfans ; mais vous qui l'avez étudiée dans toutes les circonstances de sa vie, et qui la connoissez depuis plus longtems que nous, pouvons-nous craindre cette fatale résolution ? **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_le-grand-conde *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_legrandconde Levez-vous, Desyveteaux ; est-ce une fête que vous me donnez ? On vous reconnoît toujours par votre aimable galanterie. Je vois avec plaisir qu'on s'est trompé sur votre compte, et que vous êtes au contraire très-heureux. Enfin, Mademoiselle l'Enclos, je vous vois : que j'ai souffert d'avoir tardé si long-tems, mais j'y étois forcé. Je sors de chez vous, et je ne m'en serois pas retourné sans vous avoir vue. Ah ! j'en suis bien persuadé, et je n'ai jamais perdu de vue vos conseils. Ils me seront toujours chers, puisqu'ils ne tendent qu'à ma gloire. Bon-jour, Molière, bon-jour, mes amis. Avec quel plaisir je revois, Ninon, votre aimable société ; mais pourquoi cette Bergère, ce lieu champêtre ? Sans doute, Desyveteaux vous a préparé cette surprise. Il eut toujours du goût pour la vie pastorale. Ce que vous me dites, est-il vrai, là, en bonne conscience, et ne vous amusez-vous pas ? Pardon, pardon, Mademoiselle de l'Enclos. Je vois maintenant tout ce qui en est. Ah ! ah ! Quel est cet homme ? Il me plaît beaucoup. Je te rends graces⁎, mon ami. Sommes-nous transportés dans un lieu de féérie ? Tout ce que je vois me paroît un songe. Jamais fou n'a eu de goût plus agréable. Je vous assure que tout ceci m'a amusé, quand je croyois que c'étoit préparé ; mais je me divertis bien davantage de voir ceci au naturel. Je veux vous donner la main, Mademoiselle de l'Enclos ; car je ne vous tiens pas quitte de ma visite. Comte de Fiesque, vous ne serez pas fâché⁎ que je vous présente. Il craignoit d'être banni de votre société, après y avoir été accueilli, et en être digne. Ce procédé n'est pas fait pour vous. Avez-vous essayé, Mademoiselle l'Enclos, de ramener Desyveteaux dans le sein de ses amis ? Il me paroît bien douteux, mais n'importe, pour vous plaire, je m'en vais le tenter. Seigneur Desyveteaux, voulez-vous me suivre à l'armée ? Je vous promets un service honorable et distingué. Je l'avois bien dit, il n'y a rien à faire. Ainsi laissons-le jouir, comme il vient de nous l'exprimer, paisiblement dans cet heureux⁎ asyle. Qu'est-ce qu'elle a donc fait ? Ce n'est donc que dans cette maison que je vois régner la pure et simple amitié. Je ne m'en étonne point, si tous les honnêtes gens s'y rassemblent. Et quelle punition pour la société ! N'êtes-vous pas homme par l'esprit et le courage ? Allons, Molière, lisez-nous cette jolie production. Tant de modestie est rare. Molière, vous oubliez que vous avez des Vers à nous lire. Ainsi, faites trève à vos charmes, ou donnez-nous la force d'y résister. Et vous croyez que Madame vous cédera son droit. Il paroît que vous avez échoué, Comte de Fiesque ? Je devois souper ce soir à la Cour, mais, mes amis, je suis des vôtres. Est-ce qu'on s'arrête au caquet des Prudes ? Expliquez-vous de grace, Monsieur de Saint-Faur ; je connois votre honnêteté, et vous ne voudriez pas nous laisser dans l'erreur sur les griefs qu'on impute à Ninon. Ventrebleu⁎ ! Messieurs, vous oubliez que je suis ici ; et ne savez-vous pas que je saurai mieux la défendre que vous tous ensemble ; et si j'ai pris les armes pour un parti qui a imprimé une tache à ma gloire, du moins, je l'effacerai en cette circonstance, en défendant la femme la plus recommandable, et celle qui ne s'est jamais écartée de l'honneur, ni de la probité. Monsieur de Saint-Faur, voulez-vous retourner avec moi sur le champ auprès de la Reine. Je vais faire revoquer cet ordre déplacé, persuader Sa Majesté de la vérité, et lui faire connoître l'atrocité d'une telle calomnie. Je l'espère. Maréchal d'Estrée, suivez-moi. Sans doute, mon cher Scaron : Messieurs, il faut faire encore plus, il faut que toute la société se rende dans la galerie des Thuileries, et que je fasse voir à la Reine quels sont les amis de Ninon. Vous serez du nombre, Molière. Est ce votre état que l'on regarde ? c'est l'homme qu'on considère. A nous deux, Molière. C'est pour essayer si j'ai perdu mes forces. Je viens, Mademoiselle de l'Enclos, m'acquitter des ordres de la Reine, et vous assurer de sa part qu'elle est fâchée⁎ qu'on lui ait fait de faux rapports sur votre compte ; qu'elle en punira les délateurs, et que sa faveur ne s'étendra jamais sur les femmes perfides qui ont ôsé vous calomnier auprès d'Elle. Non, le Maréchal d'Estrées avoit déjà plaidé votre cause en présence de la Reine de Suède, l'illustre Christine, qui brûle de vous voir, et qui a demandé au Maréchal la grace⁎ de vous la presenter. Vous lui ferez donc refuser votre porte, car je vous préviens que le Maréchal d'Estrées et moi, nous vous la présentons ce soir. Il arrive fort à propos. Je vous salue, Messieurs ; (à Molière.) arrivez donc, Monsieur Molière : nous vous attendons, mon ami, avec la dernière impatience. Vous ne prévoyez pas non plus, mon ami, que vous nous allez tirer d'embarras ? Je suis sensible aux choses obligeantes que vous me dites ; mais, Messieurs, et vous aussi, Ninon, il ne s'agit ni de ma gloire ni de ma valeur. Si c'étoit pour monter à l'assaut, ou pour lever un siège, je n'appellerois pas Molière à mon secours. Le courage et la force ne peuvent répondre de ces évènemens. Il est souvent prudent de se retirer à propos, et quelquefois une seconde tentative est plus heureuse⁎ que la première. C'est l'art de la guerre, ainsi ne parlons plus que de la paix. La splendeur de la Cour annonce un Règne aussi florissant que celui d'Auguste. Tous les jours, son amitié pour moi augmente avec l'âge, et tous les jours son goût se développant avec son amour pour les Arts et pour ses sujets, prouve que nous aurons en lui un grand Roi. Molière, il me parloit de vous hier au soir : « mon cousin, disoit-il, que pensez-vous de cet homme et de ses ouvrages ? Sire, lui dis-je, je vois les derniers comme des chef-d'œuvres, et dans sa conversation, je trouve toujours de quoi apprendre ». « Vous me faites plaisir, me dit-il, de me montrer que vous joignez à l'art de la guerre l'art de connoître et d'apprécier les talens. Je vous en fais mon compliment, car ordinairement les plus grands Guerriers sont sauvages, et ne connoissent d'autre mérite que le courage de se battre, et ils semblent n'être nés que pour cet état. » Lequel de vous ou de moi, Molière, a plus à se louer de ce jeune Monarque ? Vous êtes instruit, Molière, du retour de la Reine en faveur de Ninon ? Je vais aussi me retirer, et vous laisser, Ninon, le tems de vous préparer… Ninon, restez de grace. Elle est digne de l'un et de l'autre. Je crois, Madame, que c'est remplir vos desirs que de vous laisser la liberté de l'entretenir sans témoins. Je vais profiter de ce moment pour me rendre au conseil de la Reine. Maréchal d'Estrées, vous allez me suivre, nous reviendrons ensemble vous retrouver. Et vous Comte de Fiesque, vous n'êtes pas non plus nécessaire ici. Je suis peut-être arrivé trop tôt, Madame, et je crains d'avoir commis une indiscrétion. Reine, permettez qu'un brave Soldat vous place sur un Trône que l'amitié vous offre. Madame, je vais en peu de mots vous raconter son aventure. Elle sait tirer avec esprit, parti des circonstances. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_la-chatre *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lachatre L'ingrate ! la voilà ; ai-je pu compter un instant sur sa constance ? Oui, un ami à genoux, de la maniere dont il a été avec vous ; mais comme vous dites bien, il arrive, et moi je pars. Je ne vous entends pas, Monsieur : ce que vous me dites-là est de l'Hébreu pour moi. Ah ! Ninon, ah ! Gourville ; moi seul, je suis à plaindre, vous allez jouir de son amitié, du bonheur de la voir tous les jours, et moi, je pars. Moliere est absorbé : voyez comme il est occupé. Les beaux jours sont à Paris actuellement. Les fureurs⁎ des guerres civiles sont éteintes, la Cour est brillante, la maison de Ninon est le séjour des plaisirs et de la bonne société ; et moi, je pars pour aller prodiguer ma vie, en combattant l'ennemi ; mais je suis François, et l'amour ne l'emportera pas sur la gloire. Il sera dit qu'elle ne me donnera pas un instant, mais l'amour a ses droits ainsi que l'amitié. Courage ! il ne manquoit plus que de me laisser partir sans me rien dire. Enfin, je respire. « Non, cruelle, vous allez m'oublier et me trahir : je connois votre cœur, il m'allarme, il m'épouvante ; il m'est encore fidèle, je le sais, je le vois, vous ne me trompez point en ce moment. Mais je vous parle moi-même de mon amour : qui vous le rappellera quand je serai parti ? L'amour que vous savez inspirer, Ninon, est bien différent de celui que vous sentez. Vous serez toujours présente à mes yeux : l'absence est un nouveau feu qui va me consumer, et l'absence est pour vous le terme de la tendresse. Tous les objets, loin de vous, vont me paroître odieux ; ils vont tous vous intéresser ». « Ecoutez, Ninon ; vous êtes, sans contredit, à mille égards, une femme extraordinaire : ce qui peut me tranquilliser, doit l'être aussi. Je veux intéresser à mon bonheur quelque chose de plus que l'amour même. J'exige que vous me fassiez un billet, par lequel vous vous engagerez à me tenir la fidélité la plus inviolable. Je vais vous le dicter dans la forme la plus sacrée des engagemens humains. Je ne vous quitte point, que je n'aie obtenu ce gage de votre constance ; il est nécessaire à mon repos ». Ah ! Ninon, qu'il est heureux⁎ de vous plaire, mais qu'il est cruel de perdre votre cœur ! Oui, je promets par l'honneur, par la probité… Qui a toujours fait la base de mes sentimens, de ne m'attacher désormais à personne…en amour. Et de rester fidelle pour la vie à l'amour que j'ai juré à la Châtre. Nul mortel ne pourra me faire renoncer à mon engagement. Je le jure foi de Ninon. Muni de ce titre, je vole aux combats et je suis le plus fortuné des hommes. Adieu, mon adorable Ninon : il faut nous séparer. O ma chère Ninon, évitez sa présence : vous m'avez avoué que s'il n'était pas parti pour son voyage de Rome, vous l'auriez aimé. Il est jeune, aimable, instruit ; que de qualités pour vous faire oublier vos sermens ! songez qu'actuellement vous êtes engagée à moi par l'honneur. Peut être, dites-vous vrai ? Venez, Madame Scaron, je vous recommande ma chère Ninon, que votre amitié ne l'abandonne pas. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_gourville *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gourville Je suis confus de paraître devant elle, sur-tout après l'avoir soupçonnée d'une si grande bassesse : peut être n'ai-je point tort. Voyons si je trouverai dans cette femme étonnante⁎ plus de probité que dans cet homme de bien. Je m'y attendais ; ceci ne me surprend pas ; à ce début, ma cassette va se trouver volée. Je suis anéanti, et c'est moi qui suis un homme vil d'avoir pu soupçonner une si belle ame. Quoi ! c'est vous, Ninon, qui êtes capable d'un aussi beau procédé. Je tombe à vos genoux ; non, ce n'est qu'à vos pieds que je dois expier l'injure cruelle que j'ai pu vous faire. Non, et c'est en présence du grand Moliere que je veux faire cet aveu. Monsieur, je dois sans doute envier votre sort ; mais apprenez à respecter mieux un cœur où vous avez regné, une ame pure comme le jour : c'est devant vous, Messieurs, que je vais m'accuser d'avoir pu, (A la Chatre) comme vous, la croire capable de mauvais procédés. En peu de mots vous m'allez entendre : lorsque je partis pour rejoindre le Prince, pendant les guerres civiles, il fallut mettre à couvert une médiocre fortune et soixante mille écus étoient tout ce que je possedais. Je partageai cette somme et je priai Ninon de m'en garder la moitié à titre de dépôt secret. Je confiai pareille somme à cet homme de bien tant cité dans Paris par l'austérité de ses mœurs. J'arrive, et mon premier soin⁎ est de me transporter chez lui. Je le prie de vouloir bien me remettre le dépôt dont il avoit bien voulu se charger pendant le six mois de mon absence. Il parait étonné quelques instans, et me dit d'un ton pieux et naïf : « Mon Dieu, mon cher Monsieur, j'ignore ce dont vous me parlez » Quelle fut encore ma surprise, quand il ajouta qu'on avait coutume dans leur monastère de ne recevoir que des deniers destinés à être distribués aux pauvres ; obligation à la quelle on avoit soin de satisfaire aussitôt. J'ai beau supplier, insister, on me congédie jusqu'à la porte avec des bénédictions, en m'assurant qu'on ne m'oublieroit point dans les prieres : que Dieu me rendrait le bien que j'avais fait aux malheureux. Il accompagna ces expressions de gestes, avec les deux mains jointes vers le Ciel, et s'en fut sans vouloir m'entendre davantage. Furieux, désespéré, que pouvais-je attendre d'une femme, quand un homme de Dieu, un ministre de paix portait à ce point l'abus de confiance. Ninon apprend mon retour, me fait solliciter de passer chez elle, m'écrit elle-même pour m'y engager. J'arrive, elle badine⁎ sur l'amour, et me rend mon dépôt, me donne par dessus son amitié : et voilà, Monsieur, le motif qui m'a fait tomber à ses genoux. Etes-vous encore jaloux de la lâcheté que j'ai eu de soupçonner un cœur aussi noble. C'est un honnête homme, je n'en suis pas étonné. Le génie chez lui ne corrompt point les mœurs. Il ne fait que les épurer. Je sors avec vous, Monsieur Molière. Un homme qui eut tant d'esprit : je n'en reviens pas. Morbleu, mes amis, essayons de le rappeller à la raison ; puisque l'amitié a tant d'empire sur son cœur, elle en aura sans doute sur son esprit. Allons, Mademoiselle de l'Enclos, profitez de l'ascendant⁎ que vous avez sur lui. En voici bien d'un autre ! Qu'est-ce que cela veut dire ? **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_le-comte-de-fiesque *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lecomtedefiesque Cet aveu me dédommage de la fausse allarme qu'on m'a donnée, ce matin, de votre part. Qui peut s'empêcher d'y prétendre ? Heureux⁎ qui pourra l'attaquer avec succès ! Oui, mon Prince ; mais je ne perds pas pour cela courage. Je le crois. Moi, je défendrai Mademoiselle de l'Enclos jusqu'à la dernière goutte de mon sang. C'est affreux. Je ne vous quitte pas, et jusqu'à ce que cette affaire ne soit éclaircie, je réponds de vous et des suites. Songez que je tiens la place de l'Exempt, et que sans compromettre son honnêteté, on ne peut vous laisser livrée à vous-même. Qu'il est heureux⁎ celui qui vous rend insensible et indifférente à l'amour que vous savez si bien inspirer ? Plus que jamais. Mais, si je suis bien informé, vous êtes près d'être libre. L'ami la Châtre n'est-il pas parti ce matin ? Il est déjà à trente lieues de vous ; et moi j'en suis tout près. Je vous vois, je vous entends ; ah ! Ninon, aurais je eu le malheur de vous déplaire pour la vie, et l'homme le plus passionné pourroit-il vous être indifférent ? Songez, adorable Ninon, que vous faites mon tourment depuis un an, que j'ai cru pouvoir vous oublier dans mon voyage ; que j'arrive, que je vous revois, et que je reprends ma chaine. Je n'employerai point, comme tous les Amans, les menaces, les larmes ; je ne vous dirai point non plus, que j'aurais pu me distraire avec quelqu'autre objet, je n'en ai pas cherché l'occasion. Vous êtes libre, je me présente, je vous aime ; m'acceptez-vous ? Que dites-vous ? est ce vous, Ninon, qui craignez de vous expliquer ? Elle est si aisée à obtenir, qu'il est indifférent que je la sollicite, mais il n'en est pas de même de mon amour. Je suis bien persuadé que la Reine sera moins inflexible que vous à mon égard. O la plus belle, et la plus aimable des femmes, achevez et prononcez mon bonheur ; songez que vous voyez à vos pieds l'Amant le plus tendre. C'est est toujours quelque chose que d'avoir quelque rapport avec l'absent. Eh bien, en faveur de cette ressemblance, aimez-moi, Ninon, et faites le bonheur d'un homme qui n'a jamais brûlé d'un véritable amour, que depuis qu'il vous connoît. Vous voulez donc ma mort. Eh bien, je dois renoncer à la vie, puisque je n'ai pas le bonheur de vous plaire ; aussi bien, elle me serait insupportable. Ce que je veux ? ah ! Ninon, pouvez-vous le demander ? ce cœur que je brûle d'obtenir. Ah ! Ninon, que me dites-vous ? que je suis heureux ! Le regrettez-vous encore ? Eh bien, qu'est ce qu'on dirait ? que vous ne perdez pas votre tems ; et qu'une femme d'esprit comme vous, doit toujours être occupée. Ninon se repent de s'être tant avancée avec moi, et je la loue ; car plus je l'aime, et plus je la crains. Quel est l'homme qui pourroit résister à une femme si séduisante, qui réunit l'esprit, les talens, les graces⁎, la beauté, et cent rares qualités étrangères chez les femmes. Ah ! Ninon, en faisant mon bonheur, vous allez me rendre l'homme le plus malheureux. Aurai-je la force de résister au sort qui m'attend ? non, je n'ai que ce qu'il en faut pour éviter le danger pour jamais. Fuyons Ninon, et son aimable société. Comment, seroit-il possible ? Ma foi, voilà une heureuse⁎ consolation. Je l'avoue, mais vous conviendrez que mon règne n'a pas été long ; à peine a-t-il commencé. J'aime mieux la fuir toujours, que de faire mon malheur de ce jour que vous trouvez si fortuné. Ai, ai, ai, tout est perdu, puisqu'elle me raille. Ninon, qu'il est heureux⁎ de vous aimer, mais qu'il est cruel de vous plaire. Je crains tous les deux, puisqu'il faut vous le dire. Ce ne sera que par la fuite que je reclamerai l'amitié, si j'ai la force de vous fuir. Vous auriez bien le courage⁎ de me laisser tout seul. Mais c'est à vous que je pense. Je n'ai que vous devant les yeux, vous êtes ce que j'ai de plus cher au monde, mais je crains… Que dites-vous, Ninon ? Eh bien, n'en faisons plus ni l'un ni l'autre, et laissez-moi me flatter de croire que je serai longtems heureux. Quelle imprudence j'ai fait commettre à Ninon ! Mon Prince, j'allois me retirer. Je suis jaloux jusqu'au baiser qu'elle donne à la simple amitié. Voyez si l'amour peut quelque chose sur cette grande ame. Elle n'a pas encore jeté les yeux une seule fois sur moi. Oui, Madame, j'en conviens ; mais je n'ai pas le talent comme vous d'admirer, ou pour mieux dire, nos prétentions sont différentes. Je ne loue jamais les hommes. Il y paroit. Puis-je parler à Mademoiselle de l'Enclos ? Mais, tout de suite. Je ne saurois la laisser plus long-tems dans cette cruelle incertitude. Je m'en vais entrer chez elle. Eh bien, allez-donc vîte : vous me regardez-là comme si vous ne m'aviez jamais vu. Ah ! mon ami, que me dites-vous ? Courez donc vîte, et soyez persuadé que je la détournerai de ce cruel projet. C'est moi qui en suis la cause ; malheureux⁎ que je suis ! j'étois aimé, et j'ai pu affliger le cœur le plus sensible !... M'envoyer ses cheveux pour réponse ; que d'esprit ! que de délicatesse ! que de passion ! dut-elle m'abandonner dans huit jours, je ne la quitte plus : quel homme plus fortuné que moi d'avoir fixé Mademoiselle de l'Enclos, de régner dans son cœur, d'en être adoré ; et je pourrais être insensible à tant d'amour ! La voici… quelle est belle dans ce simple négligé ! O femme trop adorable, je viens abjurer à vos pieds mes torts, mon erreur, et vous jurer un amour éternel ; moi, vous eviter ! moi, vous oublier ! cet effort n'est pas en ma puissance… Je jure… Ah ! Ninon, me croyez-vous aussi insensible, et pouvez-vous penser que mon cœur ne ressente pas tout ce que le vôtre éprouve ? Vous n'êtes point faite pour démentir vos propres sentimens ; Vous m'avez laissé entrevoir que je ne vous étais pas indifférent, ou plutôt vous m'avez prouvé les effets de la plus vive tendresse ; ainsi pardonnez à mes vives allarmes, qui n'étoient que l'effet de la crainte de vous perdre. Mais où rend ce discours, Ninon, qui me glace d'effroi ? et qu'a de rapport, je vous prie, votre âge avec ma passion ? n'avez-vous pas la beauté, les graces⁎ de la plus riante jeunesse ? L'amour ne m'aveugle point. Je vous vois telle que vous êtes. Oui, je vous connais, mon sort est résolu, femme inconcevable, et que cependant j'admire. Eh bien, j'accepte l'offre que vous me faites, mais apprenez qu'en l'acceptant, il m'en coûte le repos de mon cœur pour la mériter. Si pour renoncer au droit que vous avez de plaire, et de faire le bonheur d'un Amant, vous allez incessamment vivre dans la solitude, moi, je quitte dès aujourd'hui Paris, et je n'y reviendrai que quand j'apprendrai que Mademoiselle de l'Enclos en fait les délices. Je vais me retirer, Mademoiselle de l'Enclos ; permettez-moi de vous faire mes adieux, et de vous demander la permission de m'informer de vos nouvelles. Vous n'ôtez point à l'amitié la liberté de vous écrire, et d'entretenir avec vous une aimable correspondance. Adieu, Ninon. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_de-belfort *date_1788 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_debelfort Je suis tout déconcerté, je ne puis définir la cause de ma timidité. Mademoiselle, vous connoissez le motif qui m'a fait prendre la liberté de me présenter chez vous. Mademoiselle, pardonnez mon embarras ; mais à peine vous ai-je apperçue, qu'une crainte soudaine a saisi tous mes sens. Mademoiselle, mon nom est le Chevalier De Belfort. Ah ! Mademoiselle, vous ne connoissez pas tous mes malheurs. Ah ! Mademoiselle, vous m'inspirez tant de con/ /fiance, que je n'en aurais pas davantage pour ma mère, si j'avais le bonheur de la connaître. Ma naissance est un mystère, j'ignore à qui je dois le jour. Ah ! Madame, quel nom avez-vous prononcé ? j'ai perdu mon plus grand protecteur, mon ami, (A demi voix.) et peut être, mon père. Ah ! Mademoiselle, que dites-vous ? ma mère serait la dernière des femmes que je la respecterais, que je la chérirais ; mais je me sens l'ame trop élevée pour avoir puisé mes sentimens⁎ dans un sang vil. Que dites-vous, Mademoiselle ? aurais-je le bonheur de trouver en vous une mère si intéressante ? Ah ! que me dites-vous ? Quoi ! je serois votre fils… Bonheur inexprimable ! Je suis le plus heureux des hommes. Moi, taire que vous êtes ma mère ! Je veux m'en orgueillir par-tout. Mais que dis-je ? En me déclarant votre fils, c'est peut-être nuire à votre réputation. Ah ! croyez que si je me résous à garder le silence, croyez, ma mère, que ce n'est que pour vous, pour votre gloire. Non, ma mère, ou du moins il ne m'en a rien fait paroître. Mais je suis heureux ! Ah ! que je m'applaudis d'être le vôtre ! Je ne pourrois jamais trouver sur la terre une mère plus respectable, et plus intéressante à-la-fois. Oui, je l'en remercierai éternellement. Hélas ! je serois mort de douleur de ne point obtenir Mademoiselle de Châteauroux, mais à présent que le Ciel m'a donné une mère comme Mademoiselle de l'Enclos, je ne sais pas si je n'oublierai pas jusqu'à l'amour même. La Nature a fait sur mon cœur un effet si prompt, que Mademoiselle de Châteauroux n'y règne plus qu'après ma mère. J'ai été élevé près de vous, puis-je avoir une façon de penser différente, et les bons principes que j'ai reçus ont-ils pu manquer de perfectionner ce que m'a donné la Nature ? Et si Mademoiselle de l'Enclos fait aujourd'hui mon bonheur, en décidant Monsieur votre père en ma faveur, que ne lui devrai-je pas à-la-fois ? Monsieur, puis-je vous nommer mon père ? O ma mère, mon incomparable mère, quelle félicité pour moi de vous devoir le jour. Vous, ma mère ! Je ne puis y consentir. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_chapelle *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_chapelle Oui, si c'est à un amant qu'elle écrit. Excepté ces deux sentimens, qui peut dans l'univers vous occuper ? Est-ce l'humanité souffrante ? De petits Vers. Qui ne vous a pas piquée⁎ ? On voit du Grand-Prieur tout pur. Voyons la réponse. Quelle est la femme qui n'auroit pas voulu recevoir une semblable méchanceté, si elle avoit eu, comme vous, l'esprit d'y répondre avec tant de graces⁎ ? Il faut envoyer les Vers à leur auteur. Il est en bonnes mains ; te voilà dans ton centre. Les ridicules ne lui échappent pas. C'est lui qui est le plus à plaindre. En vous parlant, je gagerois qu'il compose déjà sa Pièce. N'est-ce pas ton homme de Cour ? Molière, tu occupes l'esprit, et tout le monde n'en peut pas dire autant. Permettez-moi de lui en porter envie. En vérité, il est fou. Son génie l'emporte sur sa raison. Il est aussi modeste que vous. Hé bien ! comment t'a-t-il reçu ? Vous l'admirez comme elle le ferait, si elle avait le bonheur de vous connaître comme nous. Au rôle d'amoureuse, à coup sûr : cela va te faire un sujet bien intéressant. Voilà l'homme ! il ne sera jamais content. Celui ci est couvert de gloire, et il se plaint encore. Le bon perce⁎ toujours. C'est qu'il est juste et bien appliqué. Cela s'entend. Mademoiselle me paroît trop instruite pour ne pas le sentir. Tout est fait : elle peut entrer actuellement à la Comédie. Oh ! tu peux l'engager. Attendez… un de nos amis communs est lié étroitement avec lui. C'est Saint-Evremont. Je vais le trouver de ce pas, et vous ne me reverrez que quand j'aurai de bonnes nouvelles à vous donner. J'ai fait plus de courses que vous n'imaginez, et toutes ont été infructueuses. Cela se demande-t-il ? n'ai-je pas deux motifs actuellement ? Oh ! je conviens que je diffère bien de vous deux ; toi, tu trouves toujours le tems trop court, et tu n'en a jamais assez pour traiter les sujets qui te passent par la tête ; elle de même pour faire l'amour et pour obliger ses amis. Nous nous verrons ce soir. (il sort.) Je crois, Ninon, que la gloire vous enflamme. Le voir. Il ne seroit pas digne d'être père, s'il résiste à vos argumens. Nous allons vous laisser. Vous avez mis ce soin en trop bonnes mains, pour que nous osions nous mêler de la partie. A propos, vous auriez dû, Ninon, présenter à la Reine le bon homme puisqu'elle le demande. Puis-je croire ce qui vient de se répandre dans tout Paris ? on dit que vous allez nous quitter, Ninon ? Venez voir arriver tous vos amis en foule chez vous, jusqu'au malheureuse⁎ Scaron qui s'est fait asseoir à travers la porte pour vous en barrer la sortie. Venez les voir tous plus morts que vifs. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_saint-evremont *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_saintevremont Vous vous amusez, Ninon, mais pour toute autre que vous j'aurais grand-peur. Oui, mais c'est le plus intraitable des hommes. Il n'y a que vous qui puissiez en venir à bout. Demain matin, je vous le présente, si vous le jugez à propos. D'ailleurs, le Marquis desire fort d'être admis dans votre société. J'ai l'honneur de vous présenter, Mademoiselle, un brave Officier, un bon ami du Comte de Coligny et qui a été témoin de sa cruelle fin. Vous voyez, Mademoiselle de l'Enclos, le plus infortuné des pères à qui vos conseils seront bien salutaires. Allons, mon ami, ouvrez votre cœur à Mademoiselle de l'Enclos, et croyez que vous trouverez dans le sien la consolation que vous pouvez desirer. Permettez que je vous laisse causer ensemble. Son esprit nous l'enlève, mais son cœur nous la rendra. Fin de la Pièce. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_scaron *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_scaron Je ne suis bien qu'ici. Adieu, mes enfans, jusqu'au revoir, à ce soir. Coquins ! j'ai beau vous donner pour boire, je ne m'en porte pas mieux, et je ne veux pas m'exposer à me faire casser le col. C'est bien assez que j'aye le corps brisé. Je veux conserver ma tête pour mes amis. Comment te portes-tu, ma poule ? et mon ange Ninon, la colombe est déjà dénichée, et les oiseaux des tournelles sont aux champs. Ah ! que tu me fais plaisir ! Sans doute, Ninon en est instruite. Et sait-on où le bonhomme s'étoit caché pendant six mois ? Mais il en étoit dégoûté. Il eut toujours du goût pour la vie champêtre ; aussi a-t-il fait des pastorales. Cette nouvelle redouble mon impatience de voir mon adorable Ninon. Mais écoute, ma poule ; profitons du tems, donne-moi du papier et une écritoire, que je fasse mes adieux à ce charmant Marais, à la Reine des cœurs, à qui jamais aucun ne sera rebelle. Ce n'est pas moi qui vous quitte : ce sont mes infirmités qui m'y forcent, et cette vilaine camarde qui me mitonne depuis long-tems, et qui bientôt, avec sa faulx, me donnera dans la visière ; mais comme je ne suis pas sa dupe, je veux profiter du tems qu'il me reste. Je suis votre serviteur, Monsieur le Maréchal ; je suis votre Valet, Monsieur le Président. Je connois déjà votre affaire. Cette contestation fait assez de bruit dans le monde, et est d'une nature à faire connoître ses auteurs ; elle fait honneur à la femme et aux hommes. Que diable ! Monsieur le Président, vous êtes un mauvais chronologiste, avec toute votre gentillesse. C'est le secret des femmes que vous voulez calculer. Le premier Mathématicien du monde y perdrait son algèbre ; mais ce qui me surpasse davantage, c'est de voir votre petit rabat prêter le collet à un Maréchal de France. Eh bien, je m'en vais prononcer comme le Roi Salomon, non que j'ordonne de partager le Poupon, mais vous allez le tirer aux dez. A coup sûr, il ira au-dessous. Ceci demande de l'attention. Voici deux champions d'égale valeur. Comment diable ! un Robin⁎ tient tête à un Maréchal de France : allons, Messieurs, il faut recommencer. J'en suis bien aise, je suis flatté que le sort ait tourné en faveur du Maréchal, et que cet enfant lui appartienne, il en fera un brave Soldat, plus utile à la patrie qu'un être oisif. Cette dispute est favorable à mes vers ; je vais à son arrivée lui en faire l'hommage. Est-ce qu'il a été avec elle chez Desyveteaux ? Pour-moi, je ne bouge pas, assis comme un Empereur de la Chine, me voilà sur mon Trône. Et quelquefois, les meilleurs. On peut dire que c'est un grand homme sous des cotillons⁎. Ce mal me gagne dès que je ne vous vois pas, et c'est le plus insupportable de mes maux ; mais n'êtes-vous pas toujours présente à mon imagination. Ah ! bon jour, Madame Scaron. Et toi, de quoi te mêles-tu ? Il faudroit t'imiter pour faire quelque chose digne de Ninon. Pour ton indiscrétion, tu vas lire les Vers. Ce n'est point mon aimable Ninon qui doit appréhender les atteintes de ce sexe trop foible et trop présomptueux. Quel enfant ! Je m'en rapporte à vous, mon Prince ; il me passe sur le corps à cent piques par dessus la tête. Il faudroit être, comme moi, pauvre estropié, pour avoir la force de les braver⁎. Mon Prince, voilà ma femme, et voici mon amie. Comment, point d'Amant, mon bel ange. Ah ! Messieurs, vous ne me laisserez pas long-tems la place libre. A propos, mon adorable, j'avois oublié de vous en demander des nouvelles ; en vous voyant, on oublie tout l'Univers ; mais allons ; faites-moi part de toutes ses extravagances. Pourquoi troubler celui de Desyveteaux. N'est-il pas dans l'âge de rentrer dans cette heureuse enfance. Ah ! que je serai content d'embrasser ce tendre Desyveteaux pour la dernière fois ; nous ferons nos adieux ensemble ; mais quelle différence ! Lui, dans les plaisirs, moi, dans les tourmens. Qu'est-ce que cela veut dire ? Ah ! si j'étois ingambe, comme je partirois sur le champ ! On m'enfermera avec elle, car je ne la quitte pas. Que pourroit-on craindre d'un homme qui n'a plus que la tête ? Ce n'est pas possible. A coup sûr, ce n'est pas un Couvent de femmes qu'elle choisirait. Son esprit est trop grand, trop sublime pour descendre jusqu'aux minuties des cloîtres féminins. Helas ! mon Prince, si je pouvais vous suivre ! la Reine a eu pour moi jadis quelqu'estime, et quelques bontés…Mes infirmités, mes souffrances adoucies et soulagées par ses soins, par son amitié, pourroient prouver à la Reine que Mademoiselle de l'Enclos est la personne la plus respectable de l'Europe. Allons, qu'on appelle des gens pour me mettre dans une chaise à porteurs. Mon Prince, que faites-vous ? C'est, grande Reine, le pauvre Cul-de jatte qui ne peut saluer Votre Majesté qu'assis. On oublie jusqu'à ses maux dans cette maison. Sa gloire ne vieillira jamais. Ses Fables seront du goût de tous les tems. Je n'en reviens pas. Pauvre cher homme ! Comme le voilà défiguré. On ne le reconnoîtroit jamais. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_desyveteaux *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_desyveteaux « De mes Moutons le nombre augmente, L'Agneau suit la brebis bélante ; Autour des fleurs de ce séjour, Mille fleurs naissent chaque jour : Le lierre croît au pied du lierre, Des jeunes pins s'élèvent sous les Cieux ; Ah ! dis-moi donc, dis-moi, ma chère, Pourquoi toujours ne restons-nous que deux ? » Venez adorable bergère ; approchez-vous de votre cher Coridon, pendant que nos moutons bondissent sur ces gazons fleuris, au bord de cette fontaine. Va joindre le troupeau. Ne t'écarte point du chien fidèle qui te préservera de la cruauté du loup. Asseyons-nous, bergère, sur ce banc de gazon, à l'ombre de ce verd feuillage. Tous les matins, dans ces paisibles lieux, mon amour prévient l'aurore. Vous arrivez ensemble, et plus belle qu'elle, je la vois jalouse de la préférence que je vous donne. Le changement est fait, Bergère, Coridon n'a plus rien à craindre. Les Dieux lui ont donné un Printemps éternel. Ce changement est dû au charme de votre voix, aux sons mélodieux de votre lyre. Apollon, qui toujours me protégea, et qui me promit une récompense pour les veilles que je lui ai consacrées, me disoit dans mes douces rêveries : une Bergère des Alpes ira te chercher, et t'arracher d'une vie tumultueuse, pour te faire connoître le bonheur champêtre, en ouvrant tes yeux sur le passé. Chantez, adorable Bergère, la Chanson de Lise et de Colin. Elle avoit un père à craindre, comme nous avons le vôtre. J'attends, charmante Bergère, et je soupire. Bergère aimable, voilà votre père. Ah ! Monsieur Mathurin, permettez que je vous demande une grace⁎. Elle s'éloigne de moi, un cruel devoir me prive de sa présence. O mon père ! Je me jette à vos pieds, j'implore votre clémence, accordez-moi la Bergère Colinette et devenez mon père. Votre sévérité me jette dans un mortel désespoir, et si vous résistez plus long-tems à m'accorder l'objet qui m'aime et que j'adore, je meurs à vos genoux d'amour et de douleur. OPERE fortuné de la Bergère la plus respectable ! Mais qu'elle tarde à paroître ! allons vers son agneau : que ses cris bélans me retracent l'image de son amour ; ô Bergère adorable, pour qui j'ai tout quitté, parens, amis, et vous, célébre Ninon, dont l'aimable société faisoit mes délices, je vous ai abandonnée ; mais pardonnez, l'amour est mon excuse. Eh ! Ninon, qui peut mieux que vous me justifier ? si vous pouviez concevoir mon bonheur ! l'amour cependant ne m'a point rendu ingrat. Votre ruban chéri, gage de votre amitié, fait la parure de mon chapeau, et me sera toujours précieux. O délices de mon cœur ! quel charme succède à ma douleur ? J'ai peine à croire à toute ma félicité. Nous allons boire ensemble, dans la même tasse, de cette eau argentine, plus agréable aux bergers que le nectar des Dieux. Rassurez-vous, Blaise ; et vous aussi, Mathurin. Je me suis démis qu'un peu le pied. Voilà qu'il se remet depuis que je suis assis. Le son de cette voix ne m'est point inconnu. Ah ! je reconnois cette voix enchanteresse : c'est celle de mon aimable Ninon. O ma bien-aimée ! ne craignez point cet outrage. Le berger Coridon vous sera toujours fidèle, et le même tombeau renfermera nos deux cœurs. Je le suis en amitié ; mais en amour, je suis le berger Coridon, et voilà ma bergère. S'il est agréable à ma bergère, sans doute il me sera cher. Mais je lui ai consacré tous mes plaisirs, ma vie et tout ce que j'ai de plus cher sur la terre, hors le gage chéri que votre main divine attacha à mon chapeau, et qui, depuis quinze ans, orne ma tête. Par-tout je suivrai ses pas, et l'aimable Ninon me sera toujours chère. Je n'ai des yeux que pour ma bergère. Si la Bergère y consent, je suis prêt à le recevoir. Allons, Bergère ; allons au-devant du plus grand des Mortels, de notre Seigneur, de notre Maître. Le Dieu Mars vient donc visiter la chaumière du paisible Laboureur. Le Berger Coridon lui présente sa fille, et lui demande, à genoux, d'accorder à son amour la Bergère Colinette. Bergère, chantez au Grand-Condé une de vos aimables chansons, et que tous les échos d'alentour la répètent dans la plaine. Approchez, Bergers et Bergères : venez saluer le Dieu des combats. Que le son des Musettes se mêle aux cris d'allégresse, qu'un peuple assemblé vole sur ses pas. Ah ! Bergère Colinette, avez-vous entendu ces ordres, et ne frémissez-vous pas ? Non, Bergère, non jamais la gloire ne fera de moi un second Renaud. Le Berger Coridon mourra plutôt à vos pieds que d'abandonner cet heureux⁎ asyle ; mais témoignons au Prince l'impossibilité de me rendre à ses ordres honorables. Déesse, que je ne connois point, et qui me paroissez étrangère en cette Cour, sans doute, vous êtes Bellone, à côté du Dieu Mars. Souffrez que le Berger Coridon avec sa Bergère vous offre son hommage. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_chateauroux *date_1788 *sexe_masculin *age_veteran *statut_maitre *fonction_pere *role_chateauroux Je crains d'être indiscret, en vous faisant part de mes ennuis dans une première visite. Hélas ! elle m'est bien nécessaire. Faut-il que nos enfans, du moment de leur naissance, fassent le tourment de notre vie. Cette amitié m'est bien funeste aujourd'hui, Mademoiselle, je voudrois ne l'avoir jamais connu. Aucun. Elle est sans tache, mais la confiance qu'il a eue en moi, sera à jamais le déshonneur de ma famille. Je suis père, et je me vois privé pour la vie, d'une fille qui faisoit toute ma consolation. Ah ! plût au Ciel que le même tombeau l'eût enfermée avec sa mère ! le tems m'en auroit consolé. J'aurois pu gémir sur sa perte, comme sur celle de mon épouse. Elle est l'unique fruit de notre amour, et je pleure aujourd'hui sur son existence. Elle s'est dérobée à mon pouvoir, pour suivre un jeune homme sans nom et sans état, que mes mains bienfaisantes ont élevé imprudemment dans ma maison. Je n'aurois point désiré d'autre fils, je lui croyois toutes les vertus⁎ ; mais il a séduit ma fille, il l'a dérobée à mon pouvoir, rien ne peut le justifier, ni le mettre à l'abri de mes poursuites. Ah ! Mademoiselle de l'Enclos, que me dites-vous ? Quoi ! ma fille ne seroit point coupable ! Elle ne seroit point déshonorée ! Elle ne m'auroit point couvert d'opprobre ! Ah ! parlez, sa grace⁎ est dans mon sein. Je sais, Mademoiselle, que c'est un parfait honnête homme, que les plus honnêtes gens en font le plus grand cas. Je vois actuellement ce que vous m'allez annoncer. Ma fille, sans doute, s'est adressée à ce grand homme pour se soustraire à mon pouvoir ; et je ne crains plus rien, s'il est instruit de ce qu'elle est. La fureur⁎ qu'elle avoit pour la Comédie, lui aura peut-être suggéré le moyen de m'échapper. La malheureuse⁎ ! elle a donc pris son parti, et pretend que je refuse de l'unir à un jeune homme bien né. Elle ne connaît point son histoire, et je n'ai pas dû l'en instruire. Moi-même longtems j'ai ignoré qui il était. Quoi, Monsieur, puis-je donner ma fille à un fils naturel⁎ ! Il est le fils d'un brave homme, je le sais d'un ami qui me fut cher ; mais qui sait quelle est sa mère ? peut-être quelque vil objet, et je donnerais à ma fille pour belle-mère une femme qui la ferait rougir, et qui la condamnerait à des remords éternels ! Monsieur Molière, quel mal subit a pu prendre à Mademoiselle de l'Enclos ? Elle a pâli, changé de couleur tout-à-coup. Son état m'inquiète. Vous qui la connoissez, dites-moi si elle est souvent affligée de ces petites indispositions ? Ah ! Monsieur Molière, que me dites-vous là ? Je sens que j'ai tort, et vous m'en voyez au désespoir. Mais mon observation a-t-elle quelque rapport avec Mademoiselle de l'Enclos, d'une vile créature à une femme si respectable. Est-ce que mon ami m'auroit caché le nom de la mère de ce fils ? si elle eut été une femme estimable, ce n'est même qu'à son dernier moment qu'il m'a déclaré en être le père. Il ne me l'avoit confié que comme un dépôt d'une famille malheureuse. Cela se peut, Monsieur Molière, mais je n'en suis pas certain, et le doute m'empêchera toujours d'accorder ma fille à un jeune homme qui ne connoît point sa mère, et qui peut-être se feroit connoître sous un aspect trop désagréable pour moi. Je m'en rapporte à votre génie et vos sentimens⁎. Ce que je ferois, Monsieur Molière ! si elle ressembloit à Mademoiselle de l'Enclos, j'irois me jetter à ses pieds, abjurer mes erreurs, et lui demander comme une grace⁎ insigne, d'unir son fils avec ma fille. Que faites-vous, Mademoiselle de l'Enclos ? Expliquez-vous, de grace. Quoi ! vous étiez sa mère, et vous me l'avez laissé ignorer ! Oui, tu le peux, tu le dois ; levez-vous mes enfans ; embrasse-moi, ma fille ; ton choix m'honore actuellement. Pourquoi nous condamner au silence ? Je ne puis que m'honorer d'avoir donné ma fille au fils d'un brave homme, et d'une femme que tout le monde respecte. Eh bien, soit, il faut faire ce que vous voulez, adorable Ninon. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_francisque *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_francisque Je suis tout moulu. Les Maîtres regardent un canapé comme un meuble fort commode ; et moi, je trouve qu'on n'y dort pas à son aise. Il faut convenir que l'état de Valet est un métier bien pénible. On ne nous laisse, ni le tems de prendre nos repas, ni celui de reposer. Cependant, mon sort est moins à plaindre que celui de ceux de mon état. Etre au service de l'aimable et de la sensible Ninon, n'est-ce pas servir toutes les Divinités ensemble ? Il n'est pas tard, tout le monde repose encore : allons, essayons de refaire un petit somme. Comment c'est vous, Mademoiselle le Roi ? Eh ! qui peut vous avoir éveillée si matin ? Que voulez-vous que je vous dise, Mademoiselle ? Je n'ai pas la force de me coucher quand les autres se lèvent. Est-il possible qu'un brave serviteur abuse des bontés de la Maîtresse ! Je vous avoue, Mademoiselle, que c'est par zèle que je lui désobéis. Est-ce par méfiance, qu'elle prend ses précautions ? Cependant nous n'ignorons de rien. Oh ! c'est une femme qui ne ressemble pas aux autres ! Aussi le célèbre Molière disoit-il à Monsieur de Saint-Evremont et à Monsieur de la Rochefoucault ; « Ninon est un brave homme sous les traits d'une femme », et les plus grands de la Cour pensent de même sur son compte. A propos, nous n'avons pas encore vu, depuis son retour de l'armée, Monsieur le Prince de Condé. Celle-ci aura le même sort que toutes les autres. Il ne veut, ni répondre, ni revoir Ninon. Et voilà précisément ce qui le fâche⁎. Je crois avoir entrevu qu'il en est encore amoureux, et qu'il craint que la passion ne se rallume en la revoyant. D'ailleurs, il n'ignore pas que Monsieur de Villarceaux l'a remplacé ; mais il n'est pas instruit, à ce qu'il paroît, que Monsieur de la Châtre a succédé à celui-là. Que me dites-vous là ? Et de quand cette nouvelle ? Je m'en vais bien vîte porter cette lettre, car un Amant qui arrive, a plus beau jeu qu'un Amant qui part. Mais, qui nous vient si matin ? Moi, je me sauve. Monsieur, mon devoir m'appelle ailleurs. Fi donc, Monsieur ; je ne reconnais pas dans ce procédé le Grand-Prieur de Malthe ; si vous vous oubliez à ce point, pouvez-vous oublier quels sont les principes d'honneur et de probité de Mademoiselle de l'Enclos. On paye les Valets d'une fille d'Opéra ; mais nous, on ne nous interroge même pas. Mademoiselle, voici Monsieur de Gourville. Mademoiselle, Madame la Marquise de la Sablière vous fait savoir, que Monsieur Desyvetaux est retrouvé, qu'il est dans sa maison de campagne du Fauxbourg Saint Germain, qu'il se cache, et que ses gens sont habillés en paysans. Monsieur le Comte de Fiesque fait demander, Mademoiselle, si vous êtes visible. Mademoiselle, Monsieur le Prince de Condé est dans sa voiture, à la porte : il vous fait demander s'il peut vous voir, ainsi que Monsieur Desyveteaux. Il a été pour vous voir, et Mademoiselle le Roi l'a instruit de tout. Mais ce qu'il me paroît, il est mal informé sur son désastre. Monsieur le Comte de Fiesque l'accompagne avec plusieurs autres Seigneurs. Eh vîte, vîte, Mademoiselle, préparez des fauteuils, notre maîtresse arrive avec le grand Condé. Non, mais il est venu l'y trouver, et revient avec elle ; leurs deux voitures sont pleines, permettez-moi, Messieurs, de préparer des sièges. Madame la Marquise de la Sablière et Monsieur Mignard font demander, Mademoiselle, si vous êtes visible. Mesdemoiselles de la Sablière. Le Sallon commence à se remplir, Mademoiselle ; Monsieur Scaron a pris déjà sa place, et vous demande à grands cris, ainsi que Monsieur Molière. Je n'y manquerai pas, Mademoiselle. Mademoiselle, j'ai été surpris ; je n'ai point entendu de voiture. Quel évènement subit ! C'est ce Monsieur le Comte de Fiesque qui bien au contraire est en cause. Est-il possible ? Quoi, Mademoiselle de l'Enclos, fille d'esprit, feroit une semblable folie ? Elle n'en est pas capable, et vous vous trompez, Mademoiselle le Roi. J'y cours ; mais, Mademoiselle, n'aurait-elle pas à m'envoyer quelque part auparavant ? Mademoiselle de Châteauroux. Ma foi, je n'aurai plus le courage de servir personne, si j'ai le malheur de perdre Mademoiselle de l'Enclos. Quelle Maitresse ! Je n'en trouverai jamais de semblable. Mais, qui nous arrive ?... C'est ce Monsieur le Comte de Fiesque : le diable puisse-t-il lui avoir cassé le col quand il mit les pieds ici ! Non, Monsieur, s'il vous plaît ; ayez la complaisance d'attendre que je vous aye annoncé. Il est vrai que vous me semblez extraordinaire aujourd'hui ; mais je vous passerois cette pétulence⁎ de bon cœur, si vous aviez détourné Mademoiselle de l'Enclos d'aller s'enterrer dans un Couvent à la fleur de son âge. A la bonne heure, et je cours vous annoncer. Monsieur de Saint-Evremont, Monsieur de Chateauroux. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_mathurin *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_mathurin Tatiguenne⁎ ! que ça me paroît drôle de faire comme si j'avions bien des bestiaux à garder, j'avons beau répéter tous les jours la même manigance, ça nous paroît toujours comme un songe. Pas tant seulement une seconde, je voudrions seulement savoir pourquoi notre Maître veut que je devenions le père d'une fille que je n'avons jamais ni vue, ni connue, et qui nous paroît ben drôlette pas moins da. Jarnigoi⁎ ! que vous êtes cocasse ! Et quel conte vous me faites l'un et l'autre. Je n'avons pas tout-à-fait la berlue, pour ne pas voir que notre Maître est un vieux fou. Je ne le connoissons que depuis six mois ; et je ne lui avons pas vu encore six minutes de bon sens. Oh ! oh ! seroit-il possible, il a l'air d'un benêt. Mademoiselle Ninon de l'Enclos. Je ne la connois pas. Je ne connoissons à Paris que notre bergère des Alpes. Mille escadrons, si j'en avons entendu parler. J'avons un cousin qui a servi avec lui. Qu'il servoit ou qu'il commandoit. De soldat à soldat, il n'y a que la main. Bon ! je le crois bien, ma foi. Si vous entendiez deviser mon cousin sur son compte, il vous en diroit bien d'autres, ma foi ! Il est la cause, par ses biaux discours, que les trois quarts des garçons du Village se sont engagés, sans compter les hommes mariés. On diroit que c'est comme un sort. Mais, que diantre ! je n'entendons rien aux fagots que vous nous faites : et d'où vient donc qu'il a perdu son bon sens, puisqu'il a fréquenté de si biaux esprits ? Et je ne pourrons pas savoir le fin mot ; tati/ /guenne⁎ ! je sommes cependant ben curieux, et puis le berger Coridon, la bergère des Alpes, un grand Prince, tout cela nous paroît si drôle. M'est avis qu'oui, dans ce que vous dites. Dieu m'en préserve ; c'est avec ça qu'on vous ensorcelle ; et je voyons ben que notre Maître a perdu son bon sens, avec ses belles lectures. Allez vous encore vous gausser de nous ? A cela ne tienne, j'allons ouvrir bien fort les oreilles. Par la sanguenne⁎ ! c'est bien dommage, car il me semble que si je n'avions pas de la peine ; je ne vieillirions jamais. J'écoutons ; mais tout ceci nous paroît si extraordinaire, que je ne croyons pas même ce que je voyons. Dégoisez⁎-nous donc le reste. Pas plus que ça : je ne sommes plus étonnés s'il n'a plus son bon esprit ; et sa bergère est-elle aussi jeune que lui ? Ça n'est pas biaucoup. Il la fit entrer ? Mais, pourquoi veut-il que je soyons le père de cette dévergondée qui couroit comme ça les rues de Paris, pour que quelqu'un la ramassit. Oh, oh, oh ! ah ! que tout ce que vous me contez est donc drôle ; mais le voici avec ses moutons et sa bergère ; j'allons rire de plus belle. Ah ! celui-là n'est pas mauvais. Je sommes un pere bien à craindre puisqu'on me commande de l'être. Ah ! jarnigoi⁎, la drôle d'Histoire ! on ne la croira jamais dans notre Village. Ecoutons la chanson, car c'est ce qui nous divartissons le plus de toutes les extravagances que je voyons ici. Il a beau attendre et soupirer, il n'en fera que ça… Vouloir faire l'amour quand on est si vieux, ah ! quelle extravagance ! Ah ! voyons : essayons pour nous divartir, d'ar/ /river à propos, comme le père de Lise. Tartiguenne, que ça va donc être drôle, voyons, s'il s'en ira aussi vite que le jeune Gas. Oui, ventre sanguenne⁎ ! nous vla. Je vous y attrapons donc biau Berger, à conter fleurette à notre fille. De grace⁎, je n'en avons pas à vous faire. Je vous défendons même de lui en conter⁎ davantage. N'avez-vous pas vergogne d'abuser comme vous le faites de l'innocence d'une jeune fille. Il prend la chose tout de bon : Ah ! le singulier corps ! Au lieu de veiller sur votre troupeau et d'empêcher le loup de manger les brebis, et vous êtes vous-même un loup qui dévorez des yeux cette brebis, et vous n'y mordez pas tant seulement. Eh bien, mon père ? comme ça a le ton mielleux. Va, va, je te connoissons, fine mouche ; va-t'en toujours autour du troupeau qui parait s'écarter de ce côté-là. Moi, son père ! diantre ! comme il y va. Il faudrait donc que je soyons aussi vieux que le Juif-errant pour ça ; mais laissons-le dégoiser⁎ à son aise : il va nous en conter⁎ de bonnes. Ah ! je ne savons plus que lui dire et j'étouffons : si stapendant il allait le bonhomme mourir tout de bon, il est bien d'âge à nous jouer ce tour là. Je ne voulons pas en être la cause. Allons, levez-vous, mon biau fils, et reprenez courrage⁎ ; car vous en avez grand besoin ; ne pleurez plus tant, j'allons vous envoyer votre bien-aimée, et je vous promettons de ne vous plus chagriner dans vos amours. En vérité, j'avons la conscience qui nous répugne, et je voulons sarvir sa folie, Tatiguenne⁎ ! il nous amuse tant par ses contes et ses chansons que je serions ben fâché⁎ qu'il devint à présent plus raisonnable ; qu'est ce que c'est que notre esprit ? Il n'est pas plus solide que le tems. Eh bien ! qu'est-ce qu'il y a ? Eh bien ! il ne se noyera pas, puisqu'elle est à sec. Tatiguenne⁎ ! que j'avons ben fait d'avoir eu cette advertance⁎, et où en seroit-y, le cher homme ? Pour cette fois, il auroit bu tout à son aise. Allons, chantez-lui une brave chanson pour lui ravigoter le cœur : il en est tout pâle. Une gentille chanson de votre bergère achevera de le racommoder. Oh ! la bergère calcule bien différemment ; et ce n'est pas là son compte. Tatiguenne⁎ ? Je vous regardons, parce que vous êtes bonne à voir, ainsi que ste belle Dame qui vous accompagnont. Tu en as menti, je n'en sommes le père que par exprès et non tout de bon. Gare ! gare ! Voici, ma foi, du biau monde… Ah ! les biaux habits. Jarnigoi⁎ ! laissez-moi donc le voir, vous autres, tout à mon aise. Tatiguenne⁎ ! que mon cousin avoit ben raison de dire qu'il avoit la figure martiale, et le port noble et imposant. J'aimons à le voir, et j'avons la chair de poule qui nous gagne par-tout le corps. Tatiguenne⁎ ! Monsieur le grand Guerrier, je ne sommes qu'un paysan, et j'aimons bien à voir un brave homme comme vous dà. Et si je ne vous avons pas vu jusqu'à présent, je n'en avons pas moins entendu parler. Quel récit on fait de vous. On dit que vous n'avez pas tant seulement plus peur d'un boulet de Canon que moi d'une bouteille de vin. Quel homme vous êtes. On diroit qu'on vous a forgé de pierres à fusils et de bayonnettes. Je ne sommes plus étonné, jarnigoi⁎ ! si vous êtes si bien construit. La tatidienne⁎ ! c'est plutôt nous qui devons la rendre au hasard de nous avoir donné un si grand homme : il pouvoit si bien nous donner un homme inutile à la patrie, comme tant d'autres, et je ne serions pas à même de faire la barbe à l'ennemi, comme j'en sommes capables avec votre bras. Gare, gare, place au Berger Coridon et à la Bergère Colinette !... Ah ! que de biau monde. Ah ! je vous en réponds… Mais dites, Monsieur, vous qui nous avez l'air bien expérimenté, quelle est cette grande Dame aux côtés de ce biau Prince, qui ly parlions tout bas. Tatidienne⁎ ! m'est avis qu'oui. Je l'avons vu quand elle a fait sa brave entrée à Paris. Il me semblions encore la voir sur son cheval blanc, avec un biau habit d'écarlate, et tout plein de plumes blanches à son chapiau. Mais dites-nous donc, brave Monsieur, elle avoit l'air d'un homme à cheval, et ici elle a l'air d'une belle Dame. Jarnigoi⁎ ! que c'est bien fait, et qu'elle a bien l'air d'une Reine là-dessus ! Elle va lui en conter⁎ de belles, ma foi, la Bergère : ah ! la fine mouche ! Elle en revendra encore à la Reine. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_blaise *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_blaise Défais-toi donc du nom de la Fleur, puisqu'il a pris fantaisie à mon maître de me débaptiser pour me donner le nom de Blaise et à toi celui de Lucas. Il ne nous pardonnerait pas la plus petite distraction à ce sujet, et sur le champ notre compte serait au bout. J'aime autant garder des moutons que de valeter du matin au soir dans Paris. On voit bien que tu es un Parisien. Tous ces Badauds s'en vont les Dimanches aux environs de Paris contempler les beautés de la campagne. Quelles beautés ! Ils n'en apperçoivent que les laideurs. Ils voudraient que la journée ne finît jamais ; mais s'ils étaient condamnés à y passer huit jours, ils se croiraient enterrés. Pour moi qui suis né aux champs, cette vie champêtre me plaît mieux que celle de la Ville. Aussi, je m'accorde bien avec Mathurin qui est un bon Paysan comme moi. Mais je l'entens déjà avec sa cloche. Tu crois cela ; et bien, moi, je pense au contraire qu'elle en riroit beaucoup. Elle est encore, ma foi, ben plus rusée ; comme elle fait l'innocente ; comme elle entend bien à servir la folie de mon Maître. On diroit que c'est une simple bergère qui n'a jamais soupiré que pour le berger Coridon. Vous ignorez quel homme c'est. Apprenez qu'il fut un grand Seigneur, de beaucoup d'esprit, et qui a le premier appris à lire à un Roi de France. Mais tu as peut-être entendu parler, dans ton village, du grand Condé. C'est juste, Mathurin, et ce grand homme ne se trouveroit pas offensé de la comparaison. Eh bien ! ce grand Prince qui fait des merveilles jusques dans ton Village, apprends qu'il aima long-tems Monsieur Desyveteaux, devenu le berger Coridon. Tu n'as donc jamais lu des contes de Fées ? Il y a quelque vraisemblance dans ce que tu dis ; mais, en deux mots, je vais t'instruire sur son compte. Non ; fais attention seulement. Apprends que notre Maître fut un des hommes les plus aimables de son tems, riche, spirituel, il a vieilli dans les plaisirs. Ecoute donc jusqu'au bout. Tu as raison ; mais il n'est pas moins vrai que tout ce qui te paroît s'écarter de la vraisemblance, sont des choses très-certaines. Ce jeune berger que tu vois promener son troupeau, et soupirant aux pieds de sa bergère, n'a que quatre-vingt-dix ans. Un soir qu'il rentroit fort tard, il la trouva assise sur le pas de la porte. Tout juste ; et comme il avoit beaucoup de goût pour la vie champêtre ; il se mit en tête de s'enfermer avec sa bergère dans ce jardin, dont il a fait une bergerie. Tu vois que rien n'y manque, si ce n'est le local qui ne répond pas à ses projets. A peine pouvons-nous y renfermer une trentaine de moutons ; mais le bruit de la cloche nous tient lieu de tous les bestiaux qui nous manquent. Pour donner plus de vraisemblance à sa folie, et comme il entend l'épouser, il ne veut l'obtenir que du consentement de son père. Le berger Coridon est chaste dans ses vieilles amours. Garde-toi bien de faire paroître ce que tu sais, et mêle-toi seulement de faire sonner ta cloche. Bon Dieu ! à l'aide, vîte, le berger Coridon a la moitié du corps dans la fontaine. Tu n'y as donc pas mis d'eau ce matin ? Etes-vous blessé, beau berger ? En vérité, cependant, cela me fend le cœur. Cet honnête homme que vous voyez, Mesdames, est le respectable père de la bergère Colinette. Te tairas-tu : suis-nous, tu n'as rien à faire ici. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_lucas *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lucas Eh bien, la Fleur, les extravagances de notre Maître ne font que croître et embellir tous les jours. Cette vie paisible m'a plû les premiers jours ; mais je t'avoue qu'actuellement elle m'ennuye beaucoup. Ah ! que je voudrois que Mademoiselle de l'Enclos nous vit dans cet accoûtrement ! Comme elle se moqueroit de nous. C'est bien, à-peu-prés, la même chose. Et ça ne vous ennuye pas. Ce sont de ces bergères qui ont abandonné leurs troupeaux, et qui viennent s'égarer dans la Capitale. Ce benêt a fait les plaisirs de Paris, et on le regrette dans les meilleures sociétés, et entr'autres dans celle d'une femme célèbre, Mademoiselle Ninon de l'Enclos. Dis donc, imbécille, qu'il a servi soldat dans l'armée qu'il commandoit. Il y a bien des choses à dire là-dessus. Il y a des choses dans le monde si surprenantes, qu'on diroit qu'il y a du sortilège. Il te le semble. Que tu es borné ! mon pauvre Mathurin : elle n'en a que soixante-dix de moins. Mademoiselle, c'est avec peine que je vous refuse : mais tels sont les ordres de mon Maître. Ah ! Monsieur, si vous saviez dans quel état il est ! Vous ne connoissez que cela : c'est cette joueuse de guitare. Ce sont des Bergers et Bergères de la Bergerie de Monsieur Desyveteaux. C'est-à-dire les aimables Compagnes de Mademoiselle Dupuis. La folie de notre Maître est achevée, et ces diablesses font tout ce qu'elles veulent. Je viens de leur voir arranger tous leurs beaux complimens : elles entendent fort bien cela. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_reine-christine *date_1788 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_autres *role_reinechristine Vous ! Mademoiselle de l'Enclos à mes genoux ! je vous le pardonne. On est si souvent aux vôtres. Il faut d'abord, pour vous mettre plus à votre aise, que je vous embrasse. Je veux que deux baisers soient les prémices de notre liaison. Songez que je suis ici une simple particulière, et que je ne veux point de distinction. Il faut avoir quelque analogie de caractère avec le vôtre, Mademoiselle, pour désirer aussi vivement que moi de faire votre connoissance. Je ne suis pas surprise, Prince, si elle a votre estime et votre amitié. Asseyons-nous maintenant. Que je sais bon gré au Prince de nous avoir laissées, je n'osois le lui demander. On ne pouvoit deviner plus à propos mon intention. Il est heureux⁎ pour la Cour de France d'avoir, dans un Prince de son Sang, un si grand Capitaine. Si j'avois eu à la tête de mes armées ce foudre de guerre, j'aurois pu avec gloire conserver ma Couronne, et faire le bonheur de mon peuple ; mais j'ai entrevu de loin son ingratitude ; et n'étant fecondée que foiblement, je suis descendue du trône avec la même tranquillité que j'y étois montée. Alors j'ai vu l'amour et les regrets de mes sujets ; retour superflu ! Le parti étoit pris. J'ai détaché de ma tête le diadème pour le placer moi-même sur le front de mon Successeur. Cette abdication a calmé les esprits ; et maîtresse de mon sort, sans rang et sans éclat, j'ai commencé à régner pour moi-même. Ajoutez encore qu'ils le sont de leurs cruels devoirs. Un Roi n'a pas le droit de penser ni d'agir comme un homme ordinaire. Toujours s'observant, toujours observé et forcé, à toute heure du jour, de représenter un faux personnage ; il se lasse à la fin de ce rôle trop pénible ; et s'il est assez Philosophe, il en arrache le masque, et reprend sans peine son véritable caractère. Cet amour est si sujet au caprice ; croyez-moi, Mademoiselle, je n'ai point quitté mes Etats par orgueil, ni par mécontentement, mais je n'ai pas voulu m'exposer à la haine de mes sujets, quand j'ai sacrifié mon penchant, pour assurer leur bonheur. Brisons là-dessus, Mademoiselle de l'Enclos, et laissons le poid de la Couronne à ceux qui en sont chargés. Je vous ai trop entretenue sur cette matière ; mais j'ai voulu vous ouvrir mon ame toute entière. Parlons maintenant de vos amis, de votre société ; on dit qu'elle est charmante, qu'elle réunit des hommes du plus grand génie, du premier rang ; enfin, que la meilleure compagnie de Paris se trouve chez vous. Cela fait bien votre éloge ; et je ne m'étonne pas si vous excitez la jalousie des femmes, et sur-tout des prudes. Vous lui faites bien plus de grace⁎ : aussi, dit-on, que c'est dans votre maison qu'il a fixé sa cour. C'est charmant ! On n'est pas plus aimable, plus vraie, plus sincère ; mais sous quel point de vue le considérez-vous ? Pourquoi fait-il le bonheur des uns et le tourment des autres ? Il me semble avoir ouï dire que vous le traitez philosophiquement. Quelle femme ! Il y a plus d'héroïsme dans son ame que de foiblesse. Ma bonne amie ! vous me permettrez désormais de vous nommer ainsi. Par les qualités qui vous mettent au-dessus de votre sexe : je voudrois, Ninon, qu'une heureuse⁎ circonstance vous rapprochât de moi. Vous n'avez pas voyagé, il faudroit m'accompagner à Rome. Je suis persuadée de la sincérité et de la délicatesse de vos sentimens⁎, et sans vouloir insister davantage sur ce que j'aurois le plus désiré, c'étoit de m'instruire avec vous dans mon voyage ; je ne vous dirai pas moins, ma chère l'Enclos, que nous n'aimons la gloire que pour nos amis. Quand on a l'estime de soi, on est au-dessus des préjugés. Celui qui voit d'un œil philosophique le cours de la vie, ne s'arrête point aux vaines opinions des hommes, il met son bonheur dans la société de ceux qui sympatisent avec lui, sans s'embarrasser des idées populaires. Voilà ses avantages, voilà sa supériorité, le reste est le fruit de son inconséquence. Non, ma chère Ninon, vous ne serez pas seule généreuse : vous ne consultiez que ma gloire dans votre refus ; et moi, je ne voyois que ma satisfaction, en vous arrachant d'une société à laquelle vous devez être tendrement attachée. Vous en êtes adorée, faites-en l'ornement et l'honneur. Restez dans des lieux où l'on chérit votre présence, je me bornerai à vous écrire, je veux entretenir notre connoissance dans une aimable correspondance. Eh ! vous avez sur moi de plus grands avantages ; mais soyons égales, Ninon ; et puisque tout nous vient de la Nature, et qu'elle a mis tant de rapport entre nous deux, remplissons son but, en mettant dans notre liaison toute l'amitié d'une tendre fraternité. Je serois bien curieuse de voir votre société, vos amis, entre autres le célèbre Molière et le Philosophe Scaron, on dit qu'il supporte ses maux avec une gaieté admirable. Je vous avoue, Prince, que je ne me suis point apperçue du tems dans la conversation de Mademoiselle de l'Enclos, que c'est la seule femme de France que l'on doive citer et admirer. Ce que vous m'en avez dit, Maréchal d'Estrées, est bien au-dessous de ce que je vois, et comme vous disiez bien, les plus grands éloges ne peuvent exprimer ce qu'elle mérite. Il faut la voir pour savoir l'apprécier, et c'est avec la plus grande reconnoissance que je vous fais mes remerciemens de m'avoir mis à même de connoître une femme aussi essentielle. Approchez, homme célèbre, je suis enchantée de voir l'ami de Mademoiselle de l'Enclos. Ce titre fait bien votre éloge. Vous me permettrez, Monsieur Molière, d'en augmenter le nombre. Ce sera, je vous prie, ma chère Ninon, quand je ne serai plus à Paris. Où suis je ? Je n'ai jamais rien vu de plus galant⁎ ! Que j'accepte avec plaisir ! Mais quel est ce Hérault d'Armes sur cette colonne ? Qu'il y a d'expression dans sa tête. Est-ce l'estimable la Fontaine ? Le voilà donc cet homme souffrant, et si aimable à-la-fois. Toujours le vrai mérite rend justice aux talens. Sont-ils de la fête ceux-ci, Mademoiselle de l'Enclos ? ils imitent si bien le naturel que j'avoue ma surprise. Desyveteaux ! Mais je connois quelques bons ouvrages qui portent ce nom. Ce que vous me dites, Prince, est étonnant : je veux questionner la Bergère. Apprenez-moi, Bergère, depuis quand vous avez fixé le plus galant⁎ des Bergers, et comment avez-vous pu l'enlever du sein de sa société, et lui faire oublier son nom ? Elle entend à merveille son rôle. Jamais je n'ai reçu d'hommage qui m'ait plus flattée que celui que je reçois dans votre aimable société, Mademoiselle de l'Enclos : il me sera toujours cher, et jamais je ne l'oublierai. Il est tems cependant de vous faire mes remerciemens et mes adieux. Je ne me sépare d'une si aimable assemblée (saluant tout le monde) qu'avec tous les regrets imaginables. Nous nous écrirons, Mademoiselle de l'Enclos, et j'espère que vous me rappellerez dans l'esprit de vos amis. J'y compte. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_ninon *date_1788 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_ninon Quel homme insupportable ! il faut donc, une bonne fois, m'expliquer avec lui. Je vous fais un million d'excuses, Monsieur le Grand-Prieur, de paraître devant vous dans le négligé du matin. Ordinairement on ne visite pas les femmes de si bonne heure ; sans être coquette, je tiens à la décence. Voulez vous bien m'écouter, Monsieur le Grand-Prieur, et me permettre de vous ouvrir mon ame toute entière. Je le crois ; mais je ne puis répondre à vos sentimens. L'amitié que je vous propose est plus sûre et plus durable. L'acceptez-vous ? Y pensez-vous, Monsieur ? Tous les hommes qui font le charme de ma société, ont-ils été mes amans ? L'Abbé Gedoin, Monsieur de la Rochefoucault, L'Abbé de Château-Neuf, Chapelle, Scaron, Desyveteaux ; tous ces hommes recommandables n'ont jamais aspiré qu'à mon estime. La manière, dont vous vous exprimez, m'est tout-à-fait étrangère ; mais elle répond parfaitement aux sentimens que je vous soupçonnois : croyez-moi, Monsieur le Grand-Prieur, il vaut mieux commander des Galères à Malthe, que de servir ici ce petit fripon d'amour, qui, plus obstiné encore que capricieux, se plaît à braver⁎ ceux qui ne savent pas se le rendre favorable. Pour moi, qui n'ai su jamais induire une personne en erreur, je vois avec peine que vous vous obstinez à vouloir devenir mon amant ; et si vous insistez davantage, vous perdrez mon estime, sans obtenir mon amitié. La perte n'est pas indifférente, faites-y attention. Il croit m'offenser et humilier mon amour-propre, il m'inspire au contraire la plus grande pitié ; je suis assez bonne pour lui faire grace⁎, et même pour le plaindre. Mais la Châtre ne revient point, qui peut le retenir ? Voudroit-il me cacher son départ. Ah ! cruelle destinée ! L'amour me causera-t-il toujours de nouvelles alarmes. Que vois-je ? un billet doux ! Ah ! sans doute il ne l'est que par la forme. Le style sera aigre. Je ne me suis pas trompée : l'épigramme est méchante, mais elle ne me pique⁎ pas. Voyons comment je vais y répondre. Ah ! vous voilà, Monsieur Molière : vous arrivez fort à propos, l'un et l'autre, pour juger cet écrit. Ma foi, pour la première fois, ce n'est ni à l'un ni à l'autre. La pitié. Oui, si l'amour méprisé fait souffrir et rend l'homme injuste. Tout juste. Et une Epigramme qui sent bien son auteur. Il faut convenir qu'il faudroit le sel de Boileau, pour la rendre soutenable. Oui, j'en ai eu le courage⁎. Il n'en est pas digne : ainsi n'en parlons plus. Cela n'est pas nécessaire : épargnons-lui le ridicule d'ajouter à ma réponse, que le dépit me l'a dictée. Pourquoi la craindrois-je ? Ce ne seroit que pour lui. Mais il n'y a pas-là de quoi faire un sujet de Comédie. A propos, il faut que je vous raconte, mon cher Molière, une bonhommie⁎ de Madame de Villarceaux. Elle tient un peu à son ignorance et à la petitesse de son esprit. Elle ignore sans doute que son mari la venge secrettement, avec Madame Scaron, du larcin que je lui avois fait de son cœur. L'amour et l'amitié me trahissent à la fois, mais je leur pardonne. La Châtre d'ailleurs règne seul dans mon ame depuis quelque tems. Il part ce matin, et voilà mon plus grand malheur. Elle avoit l'autre jour grande société chez elle : elle voulut faire voir à la compagnie les progrès et le savoir de son fils : elle le fit venir avec son Précepteur, à qui elle ordonna de lui faire quelques questions sur les dernières choses qu'il avoit étudiées : aussi-tôt le Précepteur lui demanda : Quem habuit successorem Belus Rex Assyriorum ? L'enfant répondit : Ninum. Aussi-tôt cette femme jalouse entra dans une fureur⁎ qui déconcerta toute l'assemblée. « Il vous convient bien, dit-elle, en apostrophant le pauvre Précepteur, de l'entretenir des folies de son père ». Tout le cercle eut beau lui protester que Ninum ne vouloit pas dire Ninon ; elle n'en fut que plus furieuse, et elle finit par dire qu'il étoit affreux que tout le monde applaudit à mes sottises. Comme il saisit avec facilité toutes les nuances ! Après ceux de votre servante. Et vous me croyez capable de prononcer plus sainement qu'un esprit naturel. Le Misantrope ? Je m'en applaudirai toujours. Combien, dans la situation où je me trouve, votre confiance m'est nécessaire ! Vos aimables lectures me font oublier souvent ce que j'ai de plus cher, et dans cette circonstance elles me consoleront de la perte que je vais faire. Ce règne est plus solide, et rien ne peut en altérer la durée. Ah ! laissez vous conduire toujours par lui. Il fait ce qu'il fait mieux que cette sotte raison qui vous feroit naître des obstacles que votre génie applanira toujours. L'on pourra vous imiter ; mais pour vous égaler, non, jamais. Molière, vos Pièces sont le fondement de la bonne Comédie : elles en seront toujours le plus solide ornement. Le mauvais goût pourra s'introduire, mais on en reviendra toujours à vos chef-d'œuvres. A propos, Molière, avez-vous vu le Prince chéri ? Je le connois, il veut se débarrasser des affaires d'Etat, afin de nous laisser jouir avec plus de liberté de son auguste présence. Cette femme est bien étonnante⁎ ! on ne se fait pas d'idée d'une si grande philosophie. Eh bien, mes amis, me regarderez-vous encore comme une femme supérieure à mon sexe. Aurais-je jamais eu le courage d'abandonner la Couronne à vingt-sept ans ? Ornement si flatteur pour une jeune souveraine. Qu'est-ce ? Mademoiselle, allez la chercher et la conduisez ici. Quelle est son aventure ? Qu'elle est belle !... Approchez, Mademoiselle. Desirez-vous parler en particulier à Molière ; nous allons vous laisser avec lui. Ah ! vous les avez déjà… Sa candeur, son âge… Mademoiselle, comment vous nommez-vous ? En effet, je ne vous conçois pas, Molière ; quand tout le monde fait votre éloge. Voilà son proverbe familier. Il falloit en effet que vous le fussiez beaucoup ; mais ce n'étoit pas là une passion. Et Mademoiselle ne prend le parti violent de la Comédie, qu'après avoir consulté son cœur. Ah ! Mademoiselle, qu'avez-vous fait ? Je n'aime pas les sermens d'amour, il semble qu'ils ne soient prononcés que pour être violés ; mais ce jeune homme m'intéresse autant que vous sans le connoître. Ah ! Monsieur, Monsieur de Coligny, qu'avez-vous fait ? Faut-il qu'au seul nom d'un inconnu, je sente dans le fond de mon ame se réveiller la nature ! Molière a raison, et vous devez l'en croire, Mademoiselle. Qui veut dire l'homme, veut dire la femme aussi, Mademoiselle. Il l'obtiendra sans peine. Mais cette Bonne me parait bien traitable. Que vous êtes heureuse⁎ de prévoir de si loin et d'être aussi forte. Moi, mon enfant, elle vous ferait du tort dans le monde. Si vous n'en donnez pas de plus promptes que celles de Desyveteaux, Mademoiselle les attendra longtems, vous m'aviez cependant bien promis de le déterrer. Venez, Mademoiselle, je vais vous conduire dans un Sallon où, sans doute, vous ne vous déplairez pas. Ma Bibliothéque est à côté, et vous trouverez de quoi vous distraire dans le choix de mes livres. Je suis à vous dans l'instant, Moliere. Sans doute on vous verra ce soir, Monsieur Chapelle ? C'est pour cette raison que je crains que vous n'y manquiez. Je vous avoue, mon cher Moliere, que cette jeune personne m'intéresse infiniment. Mais si Monsieur de Saint-Evremont ne réussit pas, et vous-même quand vous en feriez la démarche, je ne vous cache pas que je serais désespérée de l'avoir connue. Quel est-il ? J'y consens, d'après la bonne idée que vous avez de mes moyens. Enfin, il en est tems. Nous ignorons ses raisons ; mais, nous allons les apprendre. Approchez, Gourville, nous sommes confus tous les deux, et nous craignons de nous expliquer. Dans votre absence, il m'est arrivé un grand malheur, que je vous prie de me pardonner. J'ai perdu le goût que j'avais pour vous ; mais je n'ai point perdu la mémoire. Voilà dans cette cassette les trente mille écus que vous m'aviez confiés avant de partir. Ils sont encore dans le même état que vous me les avez donnés ; remportez-les, et ne nous revoyons plus que comme amis. D'où vient votre surprise ? vous m'affligez, Gourville. Mais je ne vois rien là de méritoire ; y a-t-il rien de plus juste que de restituer un dépôt et de rendre un bien qu'on nous a confié ? j'en appelle à Moliere. Y pensez-vous, Gourville : levez-vous donc. Que faites-vous là, la Châtre ; approchez : c'est un ami de plus qui m'arrive. La Châtre, ne m'affligez pas davantage ; et vous, Monsieur de Gourville, je dois vous en vouloir d'avoir pu oublier que j'étois Ninon et non pas un Religieux. Ah ! Gourville, ce que vous venez de raconter le fait frémir. Voilà, Molière, un genre d'homme, digne de vos attentions. A cette indignation, Messieurs, reconnoissez-vous le but respectable de l'Auteur célèbre, et de l'homme estimable. Molière, un instant. Il a raison. Il n'a pas de rivaux plus à craindre que mes amis. Je vais sur le champ faire mettre mes chevaux ; Molière, vous m'accompagnerez. Voulez-vous être de la partie, Monsieur de Gourville ? Pour vous, La Châtre, c'est impossible. Francisque, prenez cette cassette et suivez Monsieur. Vous allez vous plaindre, et je suis cent fois plus à plaindre que vous. Je cherche dans l'amitié la consolation du chagrin que votre absence va me causer, et je sens bien que je ne l'y trouverai pas. Ah ! la Châtre, que pourrois-je faire pour vous convaincre de ma constance et de ma fidélité ? Je ne puis blâmer vos allarmes, mais vous avez moins à craindre que personne. Il y a un temps pour tout, et je commence à croire qu'à mon âge, l'amour est plus solide. J'y consens : vouloir vous persuader que cette précaution est inutile, ce seroit vous donner de nouvelles allarmes, et j'ai trop de plaisir à vous satisfaire sur ce point. La Châtre, que ne puis-je vous suivre. Je ne sais si je fais une folie en écrivant ce billet, mais je soulage mon cœur en faisant ce que vous désirez. Probité… A la bonne heure. En amour. A la Châtre… Foi….de….Ninon. Quoi ? si-tôt ! Je veux bien vous en faire le sacrifice, plus pour vous obliger que par crainte pour moi-même. Dites à Monsieur le Comte de Fiesque que je suis bien fâchée⁎ de ne pouvoir le recevoir. Pourquoi interpréter mal ma manière de m'exprimer ? Il est parti ! Que je suis malheureuse⁎ ! Je suis la femme la plus infortunée ! Quoi ! l'Amour me causera t-il sans-cesse de nouveaux tourmens ? L'engagement que j'ai pris, m'est un sûr garant que ce sont les derniers, et si je perds la Châtre, je n'aimerai plus personne. Que vous me faites plaisir, ma bonne amie, d'être venue dans ce moment. Il faut prendre mon parti ; un soin⁎ bien différent m'occupe. Voulez-vous vous joindre à moi pour aller consoler le pauvre Desyveteaux que Madame de la Sabliere m'a découvert. J'en suis bien sûre. Ne perdons pas de tems, j'ai un bout de toilette à faire ; mais elle ne sera pas longue. Fin du premier Acte. Je te dis que je veux le voir, lui parler. Tu augmentes davantage mon inquiétude et mon impatience. Je ne t'écoute plus. Mes amis, est-ce bien lui ? Mais oui : je ne me trompe pas : c'est lui-même. Quelle métamorphose ! Desyveteaux, mon ami, ne me reconnoissez-vous pas, et n'êtes-vous plus le même ? Mes amis, respectons sa folie, et craignons de l'affliger, en lui ôtant ses douces rêveries ; ce seroit peut-être lui ôter son bonheur. Je suis de votre avis, Molière ; mais peut-être le sort ne nous accordera pas cette faveur. Essayons de le prendre par son foible. Loin de troubler vos plaisirs, berger Coridon, vos amis viennent les partager. Pourriez-vous refuser leur hommage. Il m'en est plus cher. Je ne m'en défends pas ; sa situation et sa constance me touchent jusqu'aux larmes. Qui que vous soyez, Mademoiselle, vous ne serez pas assez inhumaine pour nous priver du plaisir de le voir. Je n'en doute nullement. Mais quelle est cette fille ? Je le crois, et nous obtiendrons tout d'elle. Dieu m'en préserve, je ne suivrai que l'avis de Molière. Nous avons étudié tous deux, plus que vous, le cœur humain. Et vous, Mademoiselle, puis-je attendre de votre complaisance, que vous le ramènerez quelquefois à ses anciens amis. Et vous ne me regardez point. J'en conviens. Quel est celui-ci qui nous regarde avec tant d'attention. Je n'ai point vu cet homme chez Desyveteaux. Que veux-tu ? Tu as l'air bien agité. Mais par quel hasard sait-il que je suis ici ? Je ne suis point surprise de sa démarche : il joint au grand art de la guerre, les qualités d'un bon citoyen, d'un bon ami. Mais je dois auparavant demander à Desyveteaux la permission de lui présenter le Prince. Berger Coridon, les Héros, ainsi que les Dieux, veulent honorer votre retraite. Le Grand-Condé demande à vous voir. Dites au Prince qu'il peut entrer avec sa suite. Quelle surprise pour lui ! Mon Prince, n'appercevez-vous pas ? Je suis on ne peut pas plus sensible et reconnoissante, mon Prince, de l'honneur que vous me faites. Je partage, avec la Nation, le plaisir de vous revoir dans votre Patrie, mais j'y prends encore un intérêt particulier. Ce goût pastoral est aujourd'hui, Monseigneur, bien naturel chez lui ; et comme vous dites bien, j'en ai été surprise comme vous, et Desyveteaux ne m'attendoit point. Ce n'est plus cet homme du monde : c'est le Berger Coridon, soupirant pour la vie aux pieds de la Bergère. Je n'en impose⁎ jamais, et ce ne seroit pas par vous, mon Prince, que je voudrois commencer. J'ai été comme vous surprise. J'ai versé d'abord des larmes sur son sort ; mais voyant qu'il est heureux dans ses idées chimériques, je suis moins affligée. Mon Prince, on peut vous faire un éloge plus pompeux, mais non pas plus vrai et plus sincère. Mon Prince, j'en suis comme vous émerveillée, et dans les siècles à venir, on regardera l'histoire de Desyveteaux comme un fait fabuleux, et qui cependant se passe sous vos yeux. Mon Prince, je suis fâchée⁎ qu'une circonstance bien-pardonnable, je vous assure, m'ait empêchée de recevoir Monsieur le Comte, et je lui en fais un million d'excuses. Je me ferai toujours un plaisir de le voir dans ma société. Cet homme a une ressemblance à s'y méprendre avec la Châtre, si je le connoissois moins. Oui, mon Prince, mais je n'ai point réussi : Vous seul, peut-être, Monseigneur, pouvez l'enflammer du côté de la gloire. Proposez-lui de servir sous vos Drapeaux… Qui sait ? Peut-être ce moyen… Allons, prenons congé de sa Bergerie ; mais il faut que je l'embrasse avant de le quitter. Adieu, mon pauvre Desyveteaux ; continuez d'être heureux avec votre Bergère, mais ne nous abandonnez pas tout-à-fait. Mademoiselle, j'en suis persuadée. Oh ! mon cher ami, vous étiez chez moi, et j'étois absente. Ne vous êtes-vous pas ennuyé, mon ami ? En vérité, vous me gâtez, je vous le dis tous les jours ; et vous, mon Prince, vous, dont les actions héroïques sont au dessus des adulations qui, tôt ou tard, perdent les femmes… Quelquefois je l'ai cru ; mais je crains mon sexe ; et en avançant en âge, il devient foible. Moins que tant de courage. Ah ! Monseigneur, que vous devez être fort devant l'ennemi… La distraction est excusable. Vous allez donc nous quitter ; et vous croyez que je ne vous suivrai pas. Mon ami, je veux être votre première Garde-malade. Et l'amitié règne seule actuellement… J'aime à voir qu'on ne se rebute point ; mais, Messieurs, ne finirez-vous point sur mon compte, et n'avons-nous pas à nous occuper de ce malheureux Desyveteaux ; quoiqu'heureux dans son asyle ? Il finit comme il a vécu : il a déjà quatre-vingt et tant d'années, et il rajeunit tous les jours dans ses folies ; si vous le voyiez, mon ami, avec un habit de Berger, la houlette à la main, et la Pannetière au côté, son chapeau de paille, orné de rubans, parmi lesquels on distingue une fontange jaune, dont je l'ai décoré il y a quinze ans. On ne sait si l'on doit rire ou pleurer au premier abord, mais à peine l'a-t-on entendu que la pitié fait place à la gaieté. Il m'a fallu applaudir et louer son extravagance. Non, Monsieur le Maréchal, il a tout son bon-sens ; vous en jugerez au premier moment. J'ai exigé de son ancienne amitié qu'il vint revoir ses bons amis du monde, et que puisqu'il avoit abandonné la société qui devoit lui être chère, il lui devoit au moins ses adieux. Mon ami, vous nous affligez. Mais, mon Prince, malgré le bonheur qu'on éprouve en vous possédant, nous préférons votre gloire à nos plaisirs. Vous le savez, Monseigneur, j'ai des ennemis à la Cour. C'est précisément parce que j'ai trop d'amis. Madame Scaron a raison : ne les comptez-vous pour rien ? Quelquefois, Monseigneur ! Elles se vengent souvent de celles qui n'ont jamais sçu les imiter. Mais n'ai-je pas été aussi un peu trop l'opposé de ce caractère. Ah ! Monsieur, que me dites-vous là ? Molière, on vient enlever chez moi cette jeune personne. Comment, Monsieur, ces ordres ne regardent que moi ; ah ! vous me rassurez, je vous jure, je craignois… Mon Prince, modérez ce transport de générosité, et n'altérez pas votre gloire par un excès impardonnable. Qu'ai-je de commun avec l'Etat ? Mon exil ou ma prison, ne doit pas être bien rigoureux ; et mes amis, peut-être, auront le droit de venir quelquefois s'informer de ma santé ? Expliquez-vous enfin, Monsieur de Saint-Faur ; où veut-on que je me retire ? Vous avez raison ; car je ne suis ni fille, ni repentie. Ah ! si on laisse le choix à ma disposition, je pourrois encore exciter de nouveau les clameurs, et je me ferais une querelle irréconciliable. Comment, vous m'allez laisser toute seule : en vérité, je préférerois six mois du Couvent. Je ne reste point avec vous, vous êtes trop dangereux. Ce n'est pas mal-adroit, mais croyez que je suis très paisible, et qu'il n'y a rien à craindre. Quoi ! vous y songez encore ? Et votre voyage en Italie n'a donc pas pu vous distraire ? j'avoue que vous êtes malheureux⁎, car c'est toujours quand j'ai le cœur pris que vous me parlez d'amour. Comment donc cela, s'il vous plait ? Mais je l'aime toujours. Qu'il est expressif ! en vérité, on n'est pas plus aimable. Vous êtes libre, je me présente, je vous aime, m'acceptez-vous ? ce ton leste déconcerteroit une begueule⁎ Cet homme-ci est bien plus aimable que le Grand-Prieur ; s'il continue, je n'aurai jamais la force de lui résister. Mais pourquoi, Monsieur, avez-vous resté avec moi ? et pourquoi n'allez-vous pas comme tous mes amis, solliciter ma grace⁎. Et qui vous a dit, Monsieur, que je suis bien courroucée contre vous ? Je ne sais plus ce que je fais, ni ce que je dis. Courage ! il ne manquait plus que de se mettre à mes genoux : ma foi, je n'y tiens plus. Il a quelques traits de la Châtre, et le même son de voix, mais c'est à s'y méprendre. Vous badinez⁎ ; mais en vérité vous lui ressemblez beaucoup. Il faut que je vous fuye ; je le veux, je le dois. Arrêtez, mon cher de Fiesque. Vous êtes, en vérité, un terrible homme, mais que voulez-vous de moi dans la cruelle position où je me trouve. Eh ! vous l'avez déjà. Ah ! le bon billet qu'a la Châtre ! Non ? pas tant que ce matin ; mais il m'est bien permis d'y penser encore. En vérité, c'est incroyable : tous mes amis sollicitent ma grace⁎, et moi, je suis ici à faire l'amour à mon aise avec Monsieur. Ah ! si l'on savoit cette nouvelle anecdote, il ne serait pas si facile de l'obtenir. J'en conviens, mais ce genre d'occupation, ne me fait point honneur. A propos j'oublie l'intéressante Olimpe. Allons la rassurer, elle doit être bien agitée, mais elle ne l'est pas plus que moi. Je vous laisse pour un instant, une circonstance de bienséance m'appelle ailleurs. Il sort… Mais je crois, ma foi, qu'il s'en va tout de bon. Ah ! Monsieur le Comte de Fiesque, c'est bien mal à vous. Dois-je le blâmer ? n'est-il pas convaincu de ma légèreté et de mon inconstance ? Mais je n'étois pas tout-à-fait séduite… Ah ! Monsieur le Comte, Mon/ /sieur le Comte, vous me bravez⁎. Oh ! je vous ferai voir que je ne suis pas de ces femmes que l'on subjugue par de semblables moyens. Je n'en attendois pas moins de la justice et des bontés de Sa Majesté ; mais, mon Prince, je vous les dois, et sans votre assistance, je serois, peut-être, encore aux yeux de cette grande Reine une femme livrée aux plus grands excès. Quoi ! mon Prince, y pensez-vous ? moi, Ninon, simple particulière, puis-je être en état de recevoir cette grande Reine ? non, cet honneur n'est pas fait pour moi. Je dois ce grand éloge au récit de mes amis trop prévenus⁎ en ma faveur, et je ne puis les approuver sans une vanité déplacée. Il serait, sans doute, glorieux pour moi de recevoir cette grande Reine dont l'esprit et les lumières nous frappent sans nous étonner de sa part, et qui, descendue du Trône par une philosophie rare et sublime, voit l'univers à ses pieds, et dans l'admiration de ses hautes qualités et de ses connoissances profondes. Si sa démarche restait inconnue, je serais au comble du bonheur de jouir, moi seule, de son auguste présence ; cette faveur me ferait trop d'ennemis, et je craindrois moi-même d'en devenir trop vaine. Eh bien, il faut jouir de cette faveur. Je recevrai donc cette illustre Souveraine, mais encore faut-il que je la reçoive avec la dignité que l'on doit à son rang. Ma foi, mes amis, nous la fêterons tous ensemble du mieux qu'il nous sera possible. Si Molière pouvoit arriver, son génie nous seroit d'une grande ressource. Il a tant de facilité qu'il n'y a que lui qui puisse nous tirer d'embarras. Le nom de Condé sera toujours cher à la postérité. Vous en êtes, mon Prince, le plus ferme soutien. Le jeune Monarque dans son Berceau a vu son Trône chancelant, raffermi par votre bras invincible. Mais comment la recevoir ? Il faut, Molière, que vous veniez à mon aide, et qu'un agréable impromptu de votre façon lui donne une bonne idée de ma société. Quel bonheur pour moi d'avoir règné dans le cœur de ce grand Prince ! Que voulez-vous ? on perdrait la tête à moins. On m'estime, on m'honnore, une grande Reine vient aujourd'hui me visiter : en vérité, mes amis, si vous ne prenez pas garde à moi, je vais devenir folle, et je ne serais propre ensuite qu'à la compagnie de Desyveteaux ; lui, dans de douces rêveries et des plaisirs champêtres ; moi, dans des folies pompeuses et martiales. Les Canons, les Trompettes formeront mon cortège, et vous verrez le Trône aux pieds d'une cabane. Si je ne suis pas folle, cela y ressemble beaucoup. Ça, parlons de cette pauvre enfant qui ne s'amuse guères, renfermée seule avec sa Gouvernante, avez-vous vu son père, Monsieur de Saint-Evremont ? Ah ! que me dites-vous là ? Et que faut-il que je fasse ? Je ferai tout ce qui dépendra de moi, mais il faut au moins que vous me le fassiez connoître. J'en suis bien aise : ainsi, nous n'avons à nous occuper ce soir, que de la Reine de Suède. Saint-Evremond, vous ornerez la fête ; et vous, Chapelle, vous n'y manquerez pas. Soit ; mais occupez-vous de quelques couplets en l'honneur de cette femme étonnante⁎. Vous voulez des complimens, et je ne sais que dire des vérités à mes amis. Nous en ferons tous ; et les plus mauvais, seront les plus sincères : c'est le cœur qui les dictera, et non pas le génie. Fin du troisième Acte. Oui, Mademoiselle ; demain je verrai Monsieur votre père, et soyez persuadée qu'il ne dépendra pas de moi, si vous n'obtenez point l'époux que votre cœur a choisi. Non, Mademoiselle ; malgré l'embarras où la visite de la Reine de Suède me jette, j'ai le plus grand plaisir de jouir de votre aimable présence. Je ne puis vous offrir de vous trouver à cette fête, ce seroit compromettre vos intérêts, qui me sont plus chers que les miens. Permettez-moi de vous faire reconduire : mes chevaux sont à ma voiture… Mademoiselle le Roi ! Conduisez Mademoiselle jusqu'à ma voiture. Adieu Mademoiselle. Que cette enfant m'intéresse ! Que son amour est pur ! Que n'ai-je aimé de même ! Mais ce Comte de Fiesque, c'est un homme insupportable. Eh bien ! cet homme m'occupe malgré moi : que je suis foible ! et je veux avoir du courage. Mon sexe l'emporte, et je suis toujours femme. Ah ! mon cher Molière, j'ai bien besoin de votre présence : mon ami, je suis plus folle que jamais. Oh ! je vous en réponds : un autre a déjà pris sa place. Cela vous étonne ? Amusez-vous, Molière, sur mon compte, vous le pouvez, et je le mérite. Ne le devinez-vous pas ? Mais il me brave⁎, et semble même me dédaigner. Eh bien, prenons mon parti : je veux désormais ne m'occuper que de mes amis ; aussi bien, je pourrois finir plus désagréablement que ce misérable Desyveteaux. Il a trouvé, dans ses vieux jours, une Bergère qui le console, et moi, à cet âge, je ne trouverois pas de Berger. A propos j'ai donné parole pour cette époque à l'Abbé Gedoin. Mais où serons-nous dans ce tems l'un et l'autre ? Le pauvre vieux, que je le plains. Portez-moi, je vous prie, respect, car je suis votre aînée de cinq ou six ans. Tout ce qu'il vous plaira ; mais il n'est pas moins vrai que j'ai passé de quelques années la quarantaine : ainsi vous êtes trop sage pour ne pas me conseiller de renoncer à plaire et à me laisser séduire. Eh bien, voyons donc votre plan. C'est charmant ; mais que peut-on attendre de vous, si ce n'est des choses admirables : ah ! vous êtes bien l'unique. Je l'ai renvoyée, mon ami. Il n'étoit pas prudent que je la retinsse davantage, dans un moment où ma maison va se trouver ouverte à toutes mes connoissances ; mais demain matin elle se trouvera ici avant l'arrivée de son père : vous ne manquerez pas de vous y rendre, et nous travaillerons, je l'espere, avec succès, au bonheur de cette aimable personne. Il est vrai que je serai bien forte quand je vous aurai pour appui. Faites-entrer. Enfin, je vous suis redevable, Madame la Marquise, d'avoir retrouvé ce pauvre Desyveteaux. Ah ! je vous en assure. A propos, Monsieur Mignard, comment se porte Mademoiselle votre fille. C'est un Amour pour la beauté, Vénus pour les graces⁎, et Minerve pour les talens. Elle n'a pas de mémoire ! ah ! Monsieur Mignard, que vous êtes heureux⁎ ! elle ne citera pas. Je l'avoue, et j'aime mieux un esprit médiocre que les gens savans qui trouvent l'occasion de citer à tout propos. Soyez persuadé, Monsieur Mignard, d'après ce que vous me dites, que Mademoiselle votre fille sera une femme fort aimable. Ce sont Mesdemoiselles de la Sablière. Je les reconnois à la faveur qu'elles veulent me faire, et à la modestie de leur mère. J'attends depuis longtems le plaisir de les embrasser. Permettez-moi, Madame la Marquise, de m'opposer à l'honneur que vous voulez me faire de me présenter vos Demoiselles. Elles sont jeunes, belles, riches, aimables et bien nées ; elles sont faites pour prétendre aux plus grands partis, et si l'on sçavait dans le monde qu'elles fussent venues chez moi, cette démarche pourrait leur faire le plus grand tort. Mon Dieu, j'ambitionne plus votre estime, que je ne redoute leurs atteintes ; mais la médisance et la calomnie peuvent être si nuisibles à de jeunes Demoiselles qui fixent déjà l'attention des Maisons les plus illustres, qu'il faut ôter aux méchans, le malin plaisir de répandre leur venin. Permettez-moi, Madame, d'aller les recevoir à la porte, et de les embrasser. Moliere, on vous attend… Ah ! vous voilà, Monsieur ! Quelle nouvelle nous apportez-vous ? Elles sont bonnes, sans doute, car vous avez eu le tems d'y réfléchir ? Molière n'est pas de trop, nous pouvons nous expliquer devant lui. Dépêchez-vous donc, votre phlegme m'impatiente. Molière, pouvez-vous résoudre ce problème ? Revenez donc : on ne s'en va pas pour avoir entortillé un aveu par une Epigramme. Je conçois actuellement que vous me craignez plus comme Amante, que comme amie. Vous m'avertirez dès que vous verrez arriver la Reine. Qu'on est bête quand on est amoureux. Je voudrais lui parler et je ne sais par où commencer. J'en suis en vérité honteuse ; pour l'éviter je vais m'en aller. Quand les gens aiment à rêver, il ne faut pas les priver de ce plaisir, et moi, je n'aime à gêner personne. L'amant qui craint l'avenir, et qui fait provision de constance, est bien près de violer ses sermens. L'Amour veut être libre, et c'est en l'enchaînant qu'il s'échappe. Si la Châtre m'avait crue… Rien…c'est une réflexion… Ah ! je l'espère. Ciel ! je suis toute déconcertée. Je tombe aux pieds de Votre Majesté, je lui rends grace⁎ de la faveur dont elle daigne m'honorer. Ah ! Madame, je me croyais quelque chose en femme, et je vois que je ne suis rien en comparaison de tant de Philosophie, de courage, de noblesse, et de modestie. Le Prince, Madame, fait bien ce qu'il fait. Rien n'échappe à sa pénétration⁎ ; et ce qu'il y a de plus admirable, c'est que ce héros, à qui rien ne résiste, est simple et modeste avec ses amis. Ce ne sont pas ses égaux qu'il honore le plus de son amitié. Il ne l'accorde qu'au vrai mérite et aux grands talens, quand ils sont accompagnés des sentimens⁎ qui distinguent l'homme et qui montrent son véritable caractère. Le vulgaire regarde une Couronne comme un don du Ciel ; mais je conçois aisément, Madame, que les Rois sont les victimes de ce préjugé, et qu'en faisant tout pour le bonheur de leurs sujets, ils n'ont pas encore assez fait. Ils donnent des lois, et sont esclaves au milieu de l'éclat qui les environne. Tous les Souverains pensent comme vous, Madame ; mais, quel est celui qui aura le courage de vous imiter. Il est si flatteur pour la vanité de commander à tout un peuple, et d'en être adoré. En quittant la Couronne, vous en êtes plus grande aux yeux de l'univers. Il est vrai, Madame, que les hommes de ma société se sont presque tous rendus recommandables à leur siècle, et que j'ai le bonheur de les rassembler chez moi, sans que rien puisse troubler cette union. Ce sont les pédans, censeurs de l'amour. Il est vrai qu'il m'est assez favorable ; mais je voudrois que ce Dieu fit comme Thétis, qu'il me rendit invulnérable aux atteintes de la vieillesse, et qu'il me cachât les rides sous le talon, afin que je fusse plus long-tems soumise à ses loix. Jusqu'à un certain point. Cependant, les circonstances et sur-tout les événemens de la guerre, m'ont exposée quelquefois au changement. Je me suis vue même forcée, en certains cas, d'étouffer l'amour dans mon cœur, pour rendre à la gloire ceux que j'aimois ; mais, en le considérant tel qu'il est, l'amour ne m'a paru qu'un goût fondé sur les sens, un sentiment aveugle qui ne suppose aucun mérite dans l'objet qui le fait naître, et ne l'engage à aucune reconnoissance ; en un mot, un caprice dont la durée ne dépend pas de nous, et que suivent le dégoût et le repentir. Je ferai tout pour conserver cette faveur ; mais comment ai-je pu la mériter ? Ce seroit mon goût et mon désir, si je ne consultois que mon plaisir et ma gloire, mais, grande Reine, l'Univers a les yeux ouverts sur vous, il retentit de vos éloges, et peut-être son suffrage se changeroit-il en satyre. N'avez-vous pas été témoin, Madame, combien j'ai excité l'envie et la calomnie ; et que seroit-ce, si l'on me voyoit à votre suite ? Votre génie, vos vertus⁎ vous mettent au-dessus de la censure, mais avec moi, Madame, vous n'en seriez point exempte. Il m'en coûte sans doute de refuser une proposition si flatteuse ; mais je ne consulte que votre gloire. Vous vous exprimez, Madame, avec tant d'énergie que je ne sais que répondre. Vos raisons sont sans réplique ; ainsi, Madame, disposez de ma personne ; je suis prête à vous suivre. C'est de cet instant que date mon vrai bonheur ; ce n'est donc qu'avec Christine de Suède que j'ai pu trouver de l'analogie avec ma façon de penser ; mais pour être digne d'elle, il m'auroit fallu quelques-unes de ses vertus⁎. Vous me comblez par cette faveur. Il faut le voir, Madame, pour en être persuadé. Ils sont tous les deux chez moi avec l'aimable Madame Scaron ; ainsi que la plupart de mes amis, qui tous n'aspirent qu'au bonheur de jouir de votre auguste présence. Que ne dois-je pas à Monsieur le Maréchal qui m'a si fort élevée dans votre esprit, puisqu'il m'a procuré l'avantage inappréciable de me voir estimée et aimée de la femme la plus sublime de l'Univers… Voici, Madame, un homme qui n'est pas moins digne de votre estime. Mes amis me gâtent, Madame, et je ne m'en plains pas. Je suis si habituée à les entendre chanter mes louanges, que je suis tentée de croire que l'amitié a son bandeau comme l'amour. Je veux, pour m'en convaincre, consulter mes ennemis. Tout est il prêt ? Allons, mes amis, que les talens, le zèle et le mérite couronnent cette Reine auguste. Que l'amitié par-tout lui offre un Trône, et qu'elle règne sur tous les cœurs. Vous me le demandez, je l'ignore plus que vous. La Bergère m'a tenu parole. Nous partageons tous cette même surprise, et nous n'attendions pas Monsieur Desyveteaux sous ce costume. Mon cher Desyveteaux, que j'ai de plaisir de vous revoir. Il ne me reconnoît plus. Ah ! c'est vrai. Berger Coridon, est-ce que vous n'aimez plus votre Ninon ? Molière, il me prend la main en cachette. Voyez comme ce grand homme sait se mettre à la portée de tout le monde, de tous les caractères : comme il est simple avec ce Paysan ! Tant pis pour vous. Cela ne fait pas honneur à votre discernement au moins… Vous avez, je crois, l'air fâché, cela m'inquiète. Observez-vous donc un peu plus, et songez que je ne peux pas faire autrement. Vous serez toujours présente à leur mémoire. Fin du quatrième Acte. Prenez ma voiture, Francisque, et allez chercher Mademoiselle de Châteauroux. Non, je n'ai point d'autre commission. Allez vîte. Ma toilette, Mademoiselle, sera bientôt faite… Un grand bonnêt. Me suis-je bien consultée ? Ai-je bien connu mon cœur ? Oh ! oui, ma raison le domptera, et l'amour ne sera pas mon maître. Mais la Nature, mes enfans ! cette idée m'arrache des larmes. Ils ne peuvent m'avouer pour leur mère qu'en rougissant. Eh bien, je garderai le silence, je me ferai cet effort ; mais puis-je m'empêcher de les voir, de m'intéresser à leur sort ? L'exemple de Monsieur de Coligny m'apprendra à craindre de livrer mes enfans aux soins paternels. Envain Monsieur le Maréchal d'Estrées me presse pour lui abandonner tout-à fait mon sang. Eh ! bientôt il agiroit comme Monsieur de Coligny, qui m'a caché, tant qu'il a vécu, le nom, le sort de la victime de mes premières erreurs…Cher enfant, dont j'ignore l'existence depuis dix-huit années. Hélas ! peut-être, je m'allarme envain sur son sort ; et qui sait si la mort même ne me l'a point enlevé ? Ce doute me désespère… On ne me présente point de jeune homme en qui je ne croye retrouver un fils. Non, Mademoiselle. Je vous ai dit que je mettrois un grand bonnêt. L'avez-vous apporté ? Qui est-ce ? Donnez : Voudroit-il se justifier, ou peut-être sont-ce de nouveaux reproches ? « Je n'ai point, Mademoiselle, de reproches à vous faire. Je m'étois bien trompée. Mais voyons la fin. Peut-être, moi seul en méritai je… J'en appelle à la justesse de votre esprit. Vous traitez l'amour avec d'autres principes que les miens, et nous aimons l'un et l'autre bien différemment. Vous êtes forte quand vous voulez vous détacher. Un Amant que vous voulez quitter, ou que les circonstances éloignent de vous, vous rend Philosophe. Moi, je ne le suis, au contraire, que quand je crains de m'attacher à un objet auprès duquel j'entrevois plus de tourment que de plaisir. Je crois que, sans vous offenser, on court ce risque avec vous. Je vais donc être Philosophe, et commencer par où vous finissez. Si jamais je suis assez calme pour vous revoir, j'espère que vous ne me refuserez pas le titre d'ami ; et comme on est sans allarmes avec ce titre, avec vous, je m'en vais travailler à l'obtenir le plutôt qu'il me sera possible ». Voilà l'homme qu'il me falloit trouver pour reconnoître tous mes torts, et malheureusement j'aime cet homme. Je m'en punirai. Tenez, Monsieur, prenez ces cheveux, portez-les à votre maître, et dites-lui que c'est là ma réponse. Vos représentations⁎ sont inutiles. Ce grand bonnet m'ira mieux actuellement. Eh bien ! que voulez-vous que j'y fasse ? Il faut prendre son parti. Oh ! j'en suis bien sûre… Il est neuf heures, et Mademoiselle de Chateauroux n'est pas encore arrivée ! Qui peut la retenir ? Allez voir, Mademoiselle, qui peut frapper chez moi. Ce ne peut être que Mademoiselle de Chateauroux. Faites entrer. C'est sans doute le jeune Belfort. Ah ! la jolie tournure ; que sa figure est intéressante ! Quel trouble s'empare de moi ! Le son de sa voix, son âge, ses traits… C'est l'image vivante du Comte de Coligny. Plus je le considère, plus je me sens émue… Seroit-il possible ? Dois-je l'interroger ? Et si c'étoit ce fils, que je brûle de retrouver… Ah ! Nature, tu l'emportes… et il faut absolument que je m'éclaircisse de ce doute. Puis-je vous demander, Monsieur, comment vous vous nommez ? Monsieur, puis-je encore vous demander si Monsieur votre père se nomme Monsieur De Belfort. Vous n'êtes pas, à ce qu'il me parait, l'aîné de votre maison. Vous detournez les yeux, et semblez être étonné⁎, Monsieur Le Chevalier, des questions que je vous fais. Aurais-je commis une indiscrétion, en les faisant ? Vous éprouvez des chagrins, Monsieur le Chevalier, et autres que ceux de l'amour. Ne puis-je les connaître ? comptez sur ma discrétion, et sur tout mon zèle à vous être favorable. Plus je le considère, plus mon trouble augmente. Ne me cachez rien, et regardez-moi comme votre meilleure amie. Je frémis. Etouffons la nature, et achevons de nous convaincre sans rien découvrir. Vous ne connoissez point votre mère, mais au moins vous connaissez l'auteur de vos jours. C'est lui ! je n'en puis douter davantage ; ô destin ! Ce sont là de tes coups. Auriez-vous par hazard connu Monsieur le Comte de Coligni ? Et peut être votre père… Il ne vous reste sans doute qu'une mère, que vous ne pourriez reconnoître qu'avec indignation. Je n'y tiens plus ; nature ! tu l'emportes. Oui, mon fils, je suis votre mère, et je n'en puis plus douter. Mon fils, cachons notre bonheur, et gardons le secret sur ce que je vous suis. N'en instruisez pas même votre Amante. Soyez persuadé, mon fils, que je ne considère pas ma réputation. Le Marquis de Châteauroux ignore donc ce que vous êtes devenu depuis quelque tems, à ce que m'a dit sa fille, et croyez-vous qu'il ne sache rien de votre naissance ? Je saurai bientôt s'il en est instruit. Je verrai dans sa conversation si la seule répugnance est d'unir sa fille avec un fils naturel⁎. Ah ! mon ami, mon cher Molière, vous douteriez-vous jamais à qui appartient le Chevalier de Belfort ? Avez-vous oublié, mon ami, ce que je vous ai confié au sujet du Comte de Coligny, et de cet enfant que je croyois perdu ? J'en suis sûre. Qu'il est intéressant ! Ah ! mon cœur a bien changé aussi : je ne vois plus que mon fils, que son bonheur. Gardons-nous bien, mon fils, et vous mon cher Molière, de lui rien faire paroître. Approchez, Mademoiselle, vous trouvez réunis vos plus grands amis. Qu'il est dommage, Mademoiselle, que Monsieur votre père ne pense pas comme vous ! Il craint de donner sa fille à un jeune homme dont la naissance est obscure, et vous n'avez pas craint de vous y attacher. Que vous m'êtes chers tous deux ! Mais rentrons. Holà, Francisque ! Vous m'avertirez quand Monsieur de Saint-Evremont viendra accompagné d'une autre personne. Ecoutez-moi, Monsieur le Comte, et levez-vous. Nous allons raisonner, si vous le voulez bien, et croyez sur tout que ce n'est point pour braver⁎ votre retour ; il me plait et m'afflige en même-/ /tems. J'ai sû aimer, Monsieur le Comte ; mais jamais feindre. Je n'ai point sû non plus employer les grimaces, les ressources des coquettes qui garantissent leur cœur par le travers de leur esprit, et qui jouent la passion avec un cœur glacé. « Il y a une manière d'envisager l'amour, et ses principes, dont l'estime n'est pas toujours le fondement. La disposition que j'ai à réfléchir m'a fait porter mes regards sur le partage inégal des qualités qu'on est convenu d'exiger des deux sexes. J'en sens l'injustice, et ne puis la soutenir. Je vois qu'on nous a chargées de ce qu'il y a de plus frivole, et que les hommes se sont réservé le droit aux qualités essentielles. De ce moment, je me fais homme. Je ne rougirai donc plus de l'usage que j'ai fait des dons précieux que j'avois reçus de la nature. Si l'on pouvoit rajeunir et si je revenois à l'âge de quinze ans, je ne changerais en rien le plan de vie que j'ai suivi ; mais j'approche de ma cinquantaine… cela vous etonne, et sur tout que j'aye la force de l'avouer ». Mais moi, je ne me vois pas avec vos yeux, et je me vois aujourd'hui bien différente de ce que j'étais hier, sur-tout à votre égard. Mais devenez mon ami, vous ne perdrez rien au change ; même dans la retraite où je me propose de me retirer, je n'entends pas perdre la douceur de voir mes amis quelquefois ; mais de puissantes raisons, que je ne puis vous revèler, me forcent à prendre ce parti. Ne soupçonnez pas qu'il entre dans ma conduite ni dépit ni remords ; je vous l'ai déja dit, Monsieur le Comte, la bonne Philosophie existe à se mortifier quelquefois avec plaisir. Dans la première jeunesse, le feu des passions fait taire cette Philosophie. Dans un âge plus avancé, elle prend le dessus, avouez que vous même, sans une foiblesse de ma part, dans un moment où j'avais le cœur disposé à recevoir toutes les empreintes du sentiment, vous ne seriez revenu sur mon compte. Je ne puis revenir sur le vôtre, j'ai pris mon parti, et ce parti est inébranlable. Vous me connoissez, Monsieur le Comte, soyez mon ami, et ne parlons plus d'amour. Avec plaisir j'en accepte la proposition. Je suis enchantée, Monsieur de Saint-Evremont, de faire la connoissance de Monsieur, et de vous en être redevable. Vous me faites tort, Monsieur, en prenant cette opinion de moi. J'espère que dans la suite vous me rendrez plus de justice, et que vous serez persuadé qu'on ne peut me rendre un plus grand service que d'avoir recours à moi. Asseyons-nous, Monsieur. Molière est chez moi, dites-lui qu'il n'entre que quand il en sera tems. Vous étiez l'ami d'un homme, Monsieur, qui portoit un nom bien cher à la France, et qui ne le fut pas moins lui-même, Monsieur le Comte de Coligny. Que me dites-vous là, Monsieur ? Et quel reproche avez-vous à faire à sa mémoire ? Je vous plains, Monsieur, mais puis-je savoir pourquoi vous vous croyez privé pour jamais de cette fille ? La mort ne vous l'a point enlevée. Et quel est ce jeune homme qui s'est rendu si peu digne de vos soins ? Il est donc né ingrat, et d'un sang vil ? Pour la première fois, je doute de mon ascendant⁎. Ah ! la cause me touche de trop près, et je crains davantage. Permettez-moi, Monsieur, de vous représenter⁎, que peut-être ce jeune homme n'est pas aussi coupable qu'il vous le paroît ; et que savez-vous si votre fille ne s'est pas dérobée à votre pouvoir, sans se déshonorer ? Si vous me promettiez d'être un père calme et clément, plutôt qu'un Juge sévère, je pourrois vous donner quelques renseignemens. Vous connoissez, Monsieur, les principes de probité de Monsieur Molière. Quoique Comédien, il fait l'honneur des plus illustres sociétés de Paris. Le Grand-Condé l'aime et l'estime. Voici Molière. Il va lui-même vous instruire, Monsieur, du parti violent auquel vous avez exposé votre fille. Moliere, voilà Monsieur de Chateauroux, dont la fille est venue hier vous trouver chez moi, à qui vous avez parlé en ma présence, comme un père, comme un ami ; il ne nous reste plus qu'à désarmer le père le plus tendre. Si nous pouvions lui ôter l'erreur du préjugé ; mais je tremble que nos instances ne soient sans effet. Ah ! je n'y tiens pas. Je n'aurai jamais la force de lui avouer que je suis la mère du jeune homme qui cause ses chagrins. Je vais vous laisser avec lui, vous acheverez l'entreprise. Je n'en ai plus. Je suis mère, Moliere. Je n'en puis plus. J'étouffe ! Ah ! Monsieur, souffrez que je me retire. Je ne me trouve pas bien. Je reviendrai à vous quand je serai un peu remise. C'est d'aujourd'hui que je connois les véritables chagrins. Ah ! il n'y en a pas de plus forts que ceux de la nature. Je frémis… C'est à moi, Monsieur, d'embrasser vos genoux… Approchez, mes enfans… Monsieur, voilà votre fille, et voilà mon fils ; en prononçant leur bonheur, vous ferez le mien. Ah ! Molière, cachons dans le fond de notre ame ce mystère : et vous, Monsieur le Marquis, vous qui daignez vous allier avec moi, ne soyons unis que pour en jouir dans le silence. Le préjugé est terrible, vous le savez. A mon égard, il n'a point eu d'effet de votre part ; mais cette alliance formée, il s'éleveroit un orage qui viendroit assiéger le bonheur de ces enfans. Monsieur, je ne veux point être leur mère dans le monde ; jouir de ce titre en particulier avec vous, avec Monsieur Molière, ce sera un bonheur plus parfait pour moi que l'honneur que vous voulez me faire. Accordez-moi cette grace⁎, et croyez qu'elle ne tend qu'à leur bonheur et à votre tranquillité. Vous ne serez pas non plus étonné que j'aille me retirer dans un Couvent. Mon fils, il le faut ; avant de vous connoître, mon parti étoit pris, et vous ne faites que le raffermir. Mon ami, j'en suis fâchée⁎, mais ce parti est nécessaire. Je me le dois, je le dois à mon fils. Leur tendre amitié m'afflige, mais elle ne peut changer ma résolution. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_olympe *date_1788 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_olympe Je ne crains point de m'expliquer devant vous, Mademoiselle, vos rares vertus⁎ me sont connues et mes malheurs intéresseront votre ame. Heureuse⁎ si je peux obtenir votre estime et votre appui ! Olimpe, fille unique du Marquis de Chateauroux. Il s'agit de mon bonheur. Lorsque vous prîtes cet état, Monsieur, permettez-moi de m'expliquer librement, c'est au plus grand Génie de l'Europe à qui je viens m'adresser, et en présence de la femme la plus admirable : rien a-t-il pu vous détourner de composer pour l'honneur de la France, et de joindre au titre d'Auteur celui d'Acteur ? n'avez-vous pas préféré d'être Directeur de Comédiens aux places honorables qu'on vous a offertes ? Vous êtes trop rigide pour vous-même, et vous n'êtes pas heureux. On me l'avoit bien dit. Mais puis-je, Monsieur Molière, vous faire une question ? Etiez-vous amoureux, quand vous prîtes la Comédie ? Il est vrai, Mademoiselle, et je suis d'autant plus affligée, que mon Amant est sans parents, et n'a d'autre protecteur, d'autre appui que mon père ; il a tout perdu, en perdant son amitié ; et il ne lui reste d'autre ressource que la Comédie. Ressource, qui doit nous unir un jour l'un à l'autre ; et résolus de prendre ce parti, nous nous sommes jurés une foi éternelle. Mais, que puis-je faire de mieux dans la cruelle position où je me trouve, que d'embrasser la Comédie ? Et je perdrois mon Amant ! Je me rends, Monsieur Molière, à vos observations, et je conçois à présent tout le danger de ma démarche ; mais enfin, je ne dois rien vous cacher. Il y a trois jours que j'ai disparu de chez moi avec une femme-de-Chambre qui m'a élevée. Je ne suis sortie qu'aujourd'hui d'un Hôtel garni où nous nous étions réfugiés, un Valet de mon père, tout-à-fait dans mes intérêts, m'a avertie ce matin, qu'il étoit à la Cour et qu'il sollicitait un ordre pour me faire enfermer. Non, Monsieur ; je ne lui ai même jamais parlé chez mon père qu'en présence de ma Bonne. J'en conviens ; mais je n'ai jamais mis à l'épreuve une facilité qui m'aurait perdue. Ah ! Mademoiselle de l'Enclos, honorez-moi de votre bienveillance. Il faudrait désarmer mon père avant de me présenter à lui. Monsieur, comment se nomme t-il ? Il est vrai ; ils sont amis dès la plus tendre enfance. Ah ! j'en suis bien sûre ; mais je crains de vous déranger, Mademoiselle, et je vais me retirer. Que j'en suis pénétrée⁎ : si la plus sincère amitié peut m'acquitter un jour, combien je vous prou/ /verai ma reconnoissance ! Mais souffrez que je n'abuse pas plus long-temps de votre complaisance. Je vais me retirer. Ah ! j'en suis bien persuadée, Mademoiselle. Que sont la naissance et les titres à l'homme qui n'en soutient pas l'honneur ? Le premier homme dans la société est l'homme estimable qui n'a d'autres principes que ceux des ames bien nées, et que le sentiment⁎ et l'éducation ont élevé au-dessus du vulgaire. Mon pere, pardonnez à votre fille. O mon bienfaiteur ! mon cher Monsieur Molière, si ma reconnoissance pouvoit vivre aussi long-tems que votre mémoire, je desirerois qu'elle apprit aux siècles à venir tout ce que je vous dois. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_mad-scaron *date_1788 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madscaron C'en est fait. Tout ce qui peut vous être agréable, ma chère Ninon, ne me l'est il pas ? On n'est pas plus fou que cela, et son extravagance est au comble. Sa frénésie n'a point détruit le sentiment⁎ chez lui. Comment donc, ma tendre amie, vous voilà toute émue. Sa figure ne m'est point inconnue. Pour moi je n'en crois rien, et je suis de l'avis de Monsieur de Gourville. Il faudroit plutôt, par de bons raisonnemens, lui faire appercevoir son ridicule. Vous avouerez, ma bonne amie, que c'est trop complaisant pour pouvoir s'empêcher de rire. Sa figure est tout-à-fait plaisante. Ce sont des Vers qu'il a faits. Ah ! de grace, faites-nous-en part. Et les Bégueules⁎, Messieurs ? Quelle indignité ! Quelle horreur ! Je vous laisse, ma bonne amie ; je ne dois pas dans cette circonstance quitter mon époux. Grande Reine, acceptez cette couronne d'olivier que le respect et l'amitié vous offrent. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_marquise-sabliere *date_1788 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marquisesabliere Je sais son aventure. Monsieur de Gourville vient de me la raconter. Elle est on ne peut pas plus plaisante, et sa folie est aussi gaie qu'inconcevable. Je suis chargée, Mademoiselle de l'Enclos, de vous demander une grace⁎ de la part de deux jeunes demoiselles, moins intéressantes que Mademoiselle Mignard, mais qui ne brûlent pas moins de faire votre connoissance. Elles auront la satisfaction de dîner demain avec vous et avec la Fontaine. Je compte sur Monsieur Molière. Quelle fête pour elles ! mais elles veulent devancer ce plaisir en venant vous faire leur visite aujourd'hui. Ma voiture est allée les prendre au Couvent, et je les attends pour vous les présenter. Y pensez-vous, Mademoiselle de l'Enclos ? Eh, quelles sont les personnes qui pourroient prendre une impression aussi défavorable. Pour moi, je m'applaudis d'être d'un avis différent sur votre compte, de celui de ces prétendues femmes de bien. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_mlle-le-roi *date_1788 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_mlleleroi Mais vous, Monsieur Francisque, vous l'êtes bien. Mademoiselle de l'Enclos ne prétend pas que ses gens veillent aussi tard qu'elle ; nous avons ordre de nous coucher à minuit, pourquoi ne vous y conformez-vous pas ? A la bonne heure, si cela vous plaît ; je ferois de même que vous, si Mademoiselle Ninon n'exigeoit pas que je me retirasse dans ma chambre après le souper. Elle n'est, ni assez dissimulée⁎, ni assez hypocrite, pour nous cacher sa conduite. Sans nous faire ses confidens, elle ne s'inquiète pas de ce que nous pouvons appercevoir. Oh ! je vous en réponds ! Oh ! Je suis bien sûre qu'il ne manquera pas de venir voir Mademoiselle ; ce n'est pas ce qui m'inquiète. Mais ce qui m'allarme pour elle, c'est ce Monsieur Desyvetaux, qui ne reparoît plus depuis six mois. Elle a mis je ne sais combien de gens en campagne pour le découvrir sans en avoir encore aucune nouvelle… A propos, Mademoiselle m'a fort recommandé de vous donner ce matin cette lettre pour la porter à Monsieur de Gourville. Monsieur de Gourville est un sot personnage, et ce n'est pas savoir vivre : il refuse de voir Ninon quand les plus grands du Royaume n'aspirent qu'à lui faire leur cour. Son règne ne sera pas long, puisqu'il part ce matin pour l'armée. D'hier au soir. L'état de Monsieur de la Châtre est inexprimable. Mademoiselle est désolée. Et toutes les attentions de Madame Scaron, qui ne l'a point quittée, n'ont pu la consoler, ni la calmer un seul moment. C'est Monsieur le Grand-Prieur ! que nous veut ce triste personnage ? il va trouver Mademoiselle dans une disposition propre à le congédier. Car elle ne possède pas la vertu⁎ de s'ennuyer patiemment. C'est à mon tour maintenant ; mais vous allez voir si je suis plus traitable que mon camarade. Vous lui faites beaucoup d'honneur, à merveille Monsieur : si ce n'est une peine réelle qui la trouble en ce moment. C'est la perte d'un ami qui l'afflige extrêmement. Moi, Monsieur ! je l'ignore ; j'ignore même si ma maîtresse dans ses amours fait des heureux⁎. Je ne suis pas, Monsieur, plus innocente qu'une autre. Mademoiselle Ninon de l'Enclos sait non seulement se faire respecter de tous ceux qui la connoissent, mais encore de ses gens, art très difficile à saisir, mais plus encore à exercer. Tout ce que je puis faire, Monsieur, pour votre générosité et votre discrétion, c'est de vous annoncer à ma maitresse et j'y cours. C'est une jeune Demoiselle qui est là-bas dans une voiture, et qui demande à parler à Monsieur Molière : elle a, dit-elle, des choses de la dernière conséquence à lui communiquer, dont elle lui a déjà fait part dans une lettre. Mademoiselle, voilà Monsieur Molière. Comme la maison est déserte quand Mlle n'y est pas ! Le Grand Condé a été la rejoindre chez Monsieur Desyveteaux : peut-être reviendront-ils ensemble… Mais cette jeune personne, qui est enfermée avec sa bonne dans le Sallon d'été, qu'a-t-elle de commun avec Ninon ? C'est là leur secret, et je n'ai rien à y voir. On arrive… C'est le cher Monsieur Scaron. Arrangeons vîte sa place. Comme il souffre, le cher homme, et comme il est gai. Il va me dire, suivant sa coutume, quelque chose de drôle. C'est bien fait, Monsieur Scaron ; car hier ces marauts étoient sous comme des grives. Ah ! Monsieur Scaron, vous ne savez pas une grande nouvelle ? Monsieur Desyveteaux est retrouvé. Oui, puisqu'elle a volé chez lui sur le champ. Dans sa maison du fauxbourg Saint-Marceau. On n'en a pas appris davantage à Mademoiselle de l'Enclos, sinon que ses Valets sont tous habillés en paysans. Nous apprendrons tout au retour de ma Maîtresse. Tenez, faites agir votre esprit et votre ame pour ma Maîtresse ; mais pourquoi nous quitter ? Quelle heureuse⁎ philosophie ! C'est, en vérité, grand dommage, quand des hommes de cet esprit et de cette gaité sont exposés aux souffrances et à perdre la vie. Voici, fort à propos, Monsieur le Maréchal d'Estrées, avec le Président Deffiat, pour lui tenir compagnie. Messieurs, j'entends des voitures, je crois que voilà Mademoiselle. Monsieur et Madame Scaron viennent d'arriver, et je viens d'entendre plusieurs voitures entrer dans la cour. Mais qui auroit pu s'attendre à un changement si prompt, après tant d'honneurs, de fêtes et de plaisirs ?... Je ne reconnois plus Mademoiselle de l'Enclos. Elle est inquiète, rêveuse, seroit-ce le départ de Monsieur de la Châtre qui la met au désespoir, et qui lui inspire le parti de la retraite ? Seroit-il possible ? Jamais je ne l'ai vue aussi triste. Mon enfant, m'a-t-elle dit, à peine étoit-il six heures, ce matin, je vais vous affliger. Plusieurs considérations me déterminent à quitter le monde et ma société, qui est ce que je regrette le plus. Elle a versé quelques pleurs en se représentant le chagrin qu'elle alloit causer à ses amis, mais bientôt son courage a repris le dessus, et aussi-tôt elle a appellé sa vieille Gouvernante : c'est toi, ma Bonne lui a-t-elle dit, qui me suivras. Pour vous, Mademoiselle, a-t-elle ajouté, je vous paye un an de gages, ainsi qu'à Francisque, et je me retire dès aujourd'hui au Couvent des Capucines. Les personnes d'esprit, Monsieur Francisque, font souvent de grandes sottises, et les réparent quelquefois trop tard, car je connois l'esprit et le cœur de Mademoiselle Ninon. La solitude n'est pas son élément, la vie du Couvent est si ennuyeuse ! Elle n'y sera pas quatre jours qu'elle y périra d'ennui ; et le caractère des Béguines est-il fait pour s'accorder avec le sien ? Acariâtres, minutieuses, médisantes et fausses comme des femmes qui sont privées de la société des hommes, et qui détestent celles qui ont vécu dans le grand monde. Allez-vous, Mademoiselle, vous mettre à votre toilette ? Haye ! haye ! haye ! ceci sent bien le Couvent. Mademoiselle ne se fait donc pas coëffer aujourd'hui ? En voilà plusieurs, vous choisirez celui que vous voudrez. Voici quelqu'un. Ciel ! quelle fureur⁎ ! quel désespoir ! Mademoiselle, permettez-moi de vous représenter⁎… Elle a raison. Quelle femme forte ! Je ne sais que lui répondre. Je ferai mieux de me taire. Peu de femmes auroient fait un pareil sacrifice, c'est un ornement qui ajoute tant de charmes à la beauté. Ma foi, Mademoiselle, j'en suis plus affligée que vous. Mademoiselle, c'est un jeune homme fort bien mis, et d'une figure charmante, qui me paroît Etranger, et qui dit n'être pas connu de vous, mais qui vient vous parler de Monsieur Molière. Monsieur, voilà Mademoiselle. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_mignard *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mignard Je viens d'en entendre le récit, et j'en ai encore l'imagination remplie. Oui… Un grand Prince, l'amour de la patrie… dans un lieu champêtre, la surprise des Paysans, le Berger Coridon. Nous en parlerons, Monsieur Moliere. Oui, mais elle n'a point de mémoire. Dénuées de qualités estimables, elles cherchent à les obscurcir en la personne qui les possède : eh ! quelle est la femme qui mérite mieux que vous, Mademoiselle, l'éloge de tous les honnêtes gens. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_la-dupuis *date_1788 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_ladupuis Cet agneau chéri que vos mains mènent paître, abandonnez-le à son instinct innocent. Qu'il paisse avec la même liberté que celle dont vous m'entretenez de vos amours. Tous les jours le soleil éclaire mes yeux, et je vous vois, berger, toujours plus amoureux. Ah ! si j'avois son art, et qu'il fut en mon pouvoir de vous rajeunir, comme elle fit à Titon, vous ne craindriez plus, Berger, l'outrage des années. Le pauvre cher homme, il ne s'apperçoit pas qu'au contraire il les ferme. Mais il faut le laisser dans son erreur, puisqu'elle fait son bonheur et mon profit. Lise, l'autre jour, naviguoit Avec Colin sur la rivière ; Je sens un mouvement secret, Dit-elle, d'un air de mystère : Lorsque je vogue sur cette eau, Et que mon cœur si fort palpite ; Est-ce le roulis du bateau, Colin, ou l'amour qui l'agite ? Colin d'abord pour le savoir, La descendit sur le rivage ; Maintenant, Lise, tu peux voir Si le mal provient du voyage : Je le vois, dit-elle, à présent, Colin, ce n'est pas la rivière ; Je sens le même mouvement, Quand près de toi je suis à terre. Le père à l'instant arriva, Et Colin s'enfuit du rivage ; Puis avec sa fille il monta, Et revira vers le village : L'onde fit bientôt balancer La barque légère et mobile ; Lise se sentit agiter, Mais son cœur demeura tranquile. Mon père !... J'y cours, mon père. Il joue fort bien son rôle. O CHER Coridon, quel bonheur ! mon père permet que je vous parle. Venez, berger ; venez vous rafraîchir à cette onde pure, symbole de notre amour. A moi ! vîte, au secours, le berger Coridon se noye, si vous n'arrivez promptement. Je vais vous pincer un air qui va vous rendre le courage⁎. Ah ! berger Coridon, quel nouveau malheur nous menace ! Entendez-vous ce bruit à l'entrée du bercail. Ah ! cher Coridon, on vient vous arracher de mes bras. Vous pouvez en être assurée, Mademoiselle ; je mettrai mon bonheur désormais à l'entretenir dans l'amitié qu'il vous a vouée pour la vie. Je m'en ferai toujours un devoir. Si j'y consens ; pouvez-vous me le demander, aimable Berger ? Ce moment est trop glorieux pour moi pour le laisser échapper. Je vois qu'un grand Guerrier vous appelle à la gloire, et que ma perte est certaine. Je vous promets de vous le mener souvent, et ce sera désormais mon unique soin. AIR NOTÉ. Depuis six mois, entre mes bras repose Mon seul appui, mon Amant, mon Epoux ; De son amour, c'est moi qui suis la cause, Je l'aime trop, le Ciel en est jaloux. A mille traits ma tendresse l'expose, De ses amis j'excite le courroux. Quand ses écrits célébroient la victoire, Je le retins dans un charmant séjour : C'est dans mes bras qu'il oublia sa gloire, Pour s'en punir, il quitta cette Cour ; Et ma douleur, qui venge sa mémoire, Expie en moi le crime de l'amour. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_marechal-estrees *date_1788 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_marechalestrees Mais j'ai ces mêmes droits, et vous ne pouvez me les ravir, sans la plus grande injustice. L'ami Scaron va nous juger, et nous tirer de peine. Vous en rapporterez-vous à sa décision ? Croyez-vous qu'il ne la devinera pas. Je suis le père du gage précieux qu'elle m'a donné de son amour. Il n'y a point de rang ni d'état qui empêche un père de réclamer son enfant, et c'est en quoi je loue Monsieur le Président. Oui ; en voici qui vont vuider notre querelle. Allons, au passe-dix. Rafle de six ; à vous Monsieur le Président. Bon ! il n'a amené que neuf ; à mon tour, pour la dernière fois. Douze. Bon ! j'ai gagné. Ninon n'en sera pas fâchée⁎. Monsieur le Président, son amitié me dédommagera de cette perte. On n'est pas plus aimable avec ses amis. Aussi l'aimable Ninon lui consacre tous ses momens. Mon Prince, voilà deux hommes qui ne se doutent pas de leur mérite. Quel effort pour votre sagesse. S'il a perdu la raison, à la bonne heure. Pas en hommes ; toujours. J'ai quelqu'ascendant⁎ sur l'esprit de la Reine, je vais… Il y a quelque tems qu'elle me demanda si je voulois la conduire chez vous ; mais comme elle n'en parloit plus, je crus que des raisons de bienséance l'en avoient détournée. Aujourd'hui, elle arrive chez la Reine, à l'instant que je confondois vos vils calomniateurs. Le Prince paroît avec toute son escorte, jusqu'au Philosophe Scaron, qui a fait à la Reine un sensible plaisir. Sa Majesté a daigné parler à tous vos amis. La Reine Christine, à l'appui du Prince et de Sa Majesté, a dit tout haut : je me fais un vrai plaisir et un honneur d'aller rendre mon hommage à cette fille célèbre, dont la beauté et les talens sont les moindres ornemens de ses rares qualités. Le voici avec Chapelle, et Saint-Evremont. La remarque est juste. Heureux⁎, mon Prince, ceux qui ont servi sous vos drapeaux. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_exempt *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_exempt Je viens, Mademoiselle, la larme à l'œil, vous signifier des ordres désagréables et cruels à remplir pour un galant⁎ homme, mais que le devoir impose. Ah ! Mademoiselle, que je voudrois que ces ordres regardassent toute autre que vous. Les voici, mon Prince : il s'est élevé des clameurs contre Mademoiselle de l'Enclos. Les dévotes sur-tout, ont répandu toute leur animosité, pour noircir la femme la plus aimable de son siècle : on a supposé même des choses d'une nature à n'être pas répétées ici. Enfin, tout ce que la calomnie a de plus affreux, on l'a prêté à Mademoiselle Ninon. Monsieur le Comte, cet acte de violence est déplacé, il ne m'arrêteroit pas si je voulois employer la force ; mais soyez persuadé que je suis aussi éloigné que vous, de remplir les ordres dont on m'a chargé. Mademoiselle, je suis honteux de vous le dire ; c'est aux Filles Repenties.⁎) C'étoient d'abord les intentions de la Reine, cependant elle vous laisse le choix du Couvent. Monseigneur, je n'ai rien à vous refuser, d'autant plus que je crois sans peine, que la Reine aura égard à vos représentations⁎. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_president-effiat *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_presidenteffiat Non, Monsieur le Maréchal, je ne puis vous céder mes droits sur ce point ; ce sont ceux de la nature, et je les réclame. Oui, mais il ne faut pas nommer la personne. Mais Monsieur le Maréchal n'a régné qu'après moi. Je suis plus sûr des dates, et vous êtes dans l'erreur, Monsieur le Maréchal. J'y consens. Je puis amener le même point. Ne l'avais-je pas bien dit ? Toujours gai au milieu des tourmens. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_grand-prieur *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_grandprieur Ecoute, mon ami, j'ai à te parler pour tes intérêts et les miens. Mais, écoute-moi, de grace ; sois-moi favorable et ta fortune est faite. Tu n'ignores pas que j'adore Ninon, et pour te prouver toute ma reconnoissance, commence par accepter cette bourse. Ce drôle joue le sentiment⁎ ! voyons si je réussirai mieux auprès de la suivante. Bon jour, Mademoiselle le Roi, comment se porte l'incomparable Ninon ? Ne puis-je savoir le sujet de son affliction ? Quel est l'heureux⁎ actuellement ? La pauvre innocente ! elle ne sait rien. Il faut rendre justice à la confidente de Ninon et convenir que personne n'est plus digne qu'elle d'apprécier le mérite rare de sa maitresse ; mais Mademoiselle, vous pouvez, sans comprometre votre délicatesse, vous intéresser un peu pour moi, voilà un diamant de deux mille écus, acceptez-le, servez-moi, je vous prie, et soyez persuadée que jamais Ninon n'en sera instruite. Je commence à m'appercevoir que le mépris que ces gens-là font de mes dons est plutôt l'effet du dédain que leur maitresse a pour mes sentimens, que celui de leur désintéressement. C'est ce dont je viens me convaincre pour la dernière fois. Ah ! cruelle Ninon, favorable à tant de personnages qui ne me valent pas, s'il faut que j'échoue auprès de toi, une bonne épigramme me vengera de tes rigueurs. Tenons-la toute prête : voilà justement tout ce qu'il faut pour écrire… J'y suis : elle est sanglante… Plions ceci pour en faire usage quand il sera tems. L'amour est mon excuse, et je me suis flatté que… Je préférerais d'intéresser votre cœur. Sans doute, elle feroit mon bonheur, si j'avois commencé, comme vos amis, par obtenir un titre plus doux. Ces gens-là, sans doute, ont un autre caractère que le mien. Ils espèrent finir avec vous, comme j'aurois voulu commencer : pour moi, je me déclare, et je n'attends pas. Je saurai me passer de l'une et de l'autre. Je vous vois actuellement telle que vous êtes ; vous ne serez plus importunée de mes assiduités. Bien/ /tôt vous saurez à quoi vous en tenir sur mon compte. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_porteur1 *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_porteur1 Jarnigoi⁎ ! Monsieur Scaron, si vous donniez quelques sous, j'irions boire à votre santé. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_porteur2 *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_porteur2 Tiens, prenons notre parti, il n'y a rien à faire pour aujourd'hui. **** *creator_gouges *book_gouges_moliereninon *style_prose *genre_comedy *dist1_gouges_prose_comedy_moliereninon *dist2_gouges_prose_comedy *id_le-valet-de-chambre *date_1788 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_levaletdechambre C'est de la part de Monsieur le Comte de Fiesque.