**** *creator_gueullette *book_gueullette_parade2 *style_prose *genre_farce *dist1_gueullette_prose_farce_parade2 *dist2_gueullette_prose_farce *id_GILLES *date_1715 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gilles Ce sont des gens qui m'en veulent qui vous ont parlé ainsi. Il est vrai qu'il m'est arrivé quelquefois d'avoir à faire à des filous bien subtils. Mais, ma foi, de plus fins que moi y auraient été attrapés. Aujourd'hui, Monsieur, je suis plus sur mes gardes, et je veux que le diable m'arrache quatre de vos meilleures dents s'ils ont quelque prise sur moi. Oui, Monsieur. Oh ! Vous verrez comme je m'acquitterai de cette commission. Oh ! Parguenne, pour le coup, je veux faire voir à mon maître que je ne suis pas un sot. Il faut que le diable s'en mêle si je ne porte pas ces lapins-là à son procureur. Oh ! Oh ! Voilà un drôle de marchand. Eh ! Dites-moi, s'il vous plaît, mon ami, quel commerce faites-vous là ? Aux ?... Diable ! Vous faites là un joli métier. Ne pourrais-je pas repasser aussi quelqu'une de ces peaux-là ? Bon ! Cela s'apprend tout seul. Oh ! Quel butor ! Ah ! Que non. Les peaux de connins, cela s'entend de reste. Oh ! Oh ! Je ne savais pas celui-là, et je m'imaginais tout autre chose. Qu'appelez-vous chats ? Est-ce que vous êtes fou ? Oh ! Parbleu, il est bon là ! Des lapins de la garenne de mon maître, les appeler des chats ! Non, parbleu ! Je ne veux pas rire. Et que voulez-vous donc que ce soit ? Une lapine ? Ouais ! Qu'est-ce que cela veut dire ? Mon maître voudrait-il se moquer de moi ? Mais non, parbleu ! Ce sont des lapins. Je ne possède que vingt-quatre sols, que mon maître me doit. Mais, parbleu ! Je gagerais bien le contraire à ce prix. Tope ! Mais qui est-ce qui nous jugera ? Cela est juste. Oh ! le benêt !... Tenez, j'aperçois un homme en robe qui vient de ce côté. Priez-le de décider notre différend. Je vous jure que non. L'écu passera bientôt dans ma poche ; car sûrement ce sont deux lapins de garenne que je tiens là. Monsieur, c'est que cet homme et moi nous sommes en dispute. Ce monsieur robin est bien difficile à aborder. Monsieur, si l'on osait vous interrompre pour un moment. Pour vous prier d'être juge entre cet homme et moi. Je ne sais pas ce que c'est que le vinage. Et pour quelle raison, s'il vous plaît ? Des chats ? Comment, Monsieur, ce sont là des chats ? Des chats ! Ce ne sont pas des lapins ? Oui-da !... Du diable si j'en suis la dupe ! Je ne suis pas assez sot pour exécuter cette commission. Prenne ces chats qui voudra. C'est pour l'écorcheur. Oh ! Faites-en ce qu'il vous plaira. Pour moi, je ne veux pas être berné. Ah ! Que je ne suis pas si bête ! Oh ! Le gros fin ! Pour être berné par ses clercs ! Eh ! Oui, oui ! J'irai lui porter un chat au lieu d'un lapin, afin qu'il me fasse étriller !... Qu'est-ce que vous m'avez donné à porter à votre procureur ? Ah ! Oui. Deux lapins. Fiez-vous-y ! J'étais dans la bonne foi, moi. Vous me dîtes : Gilles, porte ces lapins à mon procureur. J'y vais. Doucement ! J'allais sottement exécuter vos ordres... Un galant homme que j'ai heureusement rencontré et qui fait commerce de peaux de connins. Il les repasse, ces peaux de connins. Ensuite il les vend aux fou... aux fou... Oui, justement, à ces gens-là. M'y voici. Il m'a demandé si je voulais lui vendre la peau de mes deux chats. Eh ! Parbleu, de vos prétendus lapins de garenne. Attendez, vous n'y êtes pas. Écoutez jusqu'au bout. Je me suis fâché d'abord. Je lui ai soutenu que c'étaient des lapins ; il s'est moqué de moi. Enfin nous avons parié, lui que c'étaient des chats, moi, des lapins, et nous avons pris pour juge le premier passant. Il s'est heureusement trouvé que c'était un échevin. Dans les vingt-quatre sols que vous me devez. Non, pas moi ; mais lui, il a mis un écu qu'il avait dans sa poche. Je vous dis que c'est sa poche. C'est ce qui vous trompe, j'ai perdu la gageure. Il a décidé gravement que c'étaient deux chats, et m'a dit que c'était sans doute une plaisanterie de votre part pour me faire berner par les clercs de votre procureur. C'est très vrai, Monsieur. Dites donc de vos deux chats. Oui, Monsieur, cela est jugé. Par cet échevin. Ah ! Vous en convenez donc ! Parguenne, que vouliez-vous que j'en fisse ? Je les ai jetés au nez de celui contre qui j'avais gagé. Il les a ramassés seulement à cause de la peau ; mais quoiqu'il eût gagné la gageure, il a eu la politesse de ne pas me demander ma pièce de vingt-quatre sols. Ah ! Monsieur, ce sont d'honnêtes gens et qui ne se connaissaient sûrement pas. Non, Monsieur ; parguenne, je m'en serais bien aperçu. Je suis plus fin que vous ne pensez. Ah ! Parguenne, Monsieur notre maître, ne me faites pas l'affront d'en charger un autre. On ne dira pas que ce sont des chats. Au pis aller, s'il m'arrive quelque accident au sujet de ce panier, vous en rabattrez le prix sur mes gages. Cela n'arrivera pas, sur ma parole. Les affaires font les hommes, et j'aurai toute l'attention possible pour que votre commission soit bien faite. Je vous dis, Monsieur, que vous n'ayez aucune inquiétude. Votre panier sera rendu. Parguenne ! serait-il possible que ces deux hommes de tantôt fussent des filous ? Ils n'en avaient pas la mine. Voilà un homme qui me paraît bien affligé ! Une pistole par heure ! Ma foi, cela est bon à gagner. Voyons un peu de quoi il s'agit. Monsieur, dites-moi un peu pourquoi vous êtes si triste. Je le vois bien ; mais pourquoi ? Je conçois cela, mais vous parliez de donner une pistole par heure ! Pourquoi faire, s'il vous plaît ? Dans l'oeil ? Houlas! Mille écus ? Morguenne, je ne vois pas là de quoi vous désespérer. Eh bien ! Il faut le raccommoder. Cela est-il difficile ? Cela est plaisant ! Et qu'est-ce que ça veut dire ? Diable ! Ça change la thèse et me paraît de conséquence pour vous. Mais quel remède y voyez-vous ? Et vous donnerez une pistole par heure ? Eh bien ! J'ai trouvé votre homme. Oui, c'est moi-même. Volontiers ; mais écoutez, camarade. Quand je serai tout seul avec le mort, si je viens à avoir peur ? Vous avez raison. Et votre nom, s'il vous plaît ? Abracadabra ? Voilà un drôle de nom. Mais avec quoi chasserai-je les mouches ? Fort bien ! Vous n'avez maintenant qu'à aller à vos affaires. Ma foi, je ne suis pas trop rassuré... Abracadabra, Abracadabra ! J'ai jeté un coup d'oeil sur votre marquis de Regniababo. Ne m'avez-vous pas dit qu'il a été tué d'un coup de boulet de canon dans l'oeil ? Et il a encore ses deux yeux ? Houlas ! Abracadabra ! Le mort vient de me faire une grimace épouvantable. Oh ! Je ne savais pas. Et cette contradiction de nerfs lui fait faire une si laide grimace ? Cela suffit. Tu peux t'en aller. Pour ne pas m'effrayer, je vais me placer du côté des pieds. Abracadabra ! Abracadabra ! Tiens, regarde ! Tu ne vois pas ce qui est arrivé ? Il n'y a qu'un moment qu'il avait les pieds là. À présent il les a à la tête. C'est donc la peur qui me fait voir double. Pour le coup, je vais changer de place. Miséricorde ! je ne sais ce que je fais. Je me mets encore du côté de la tête. Songeons à mon panier de gibier, c'est essentiel. Eh ! Eh ! Abracadabra ! Tiens ! Tiens, regarde sa main en l'air. Il m'a donné un coup de poing de toute sa force. Oh ! Je n'ai rien à dire à cela. Parguenne ! Voilà qui est bien singulier. Voyons un peu si j'en viendrais à bout. Tu as raison. Ah ! Oui. Tu n'as qu'à aller chez le charron. Eh ! Eh ! Abracadabra ! Dame ! C'est bien autre chose que le bras. Il m'a sanglé deux coups de pied dans le dos. Comment, cela m'étonne ? C'est la contradiction des nerfs, n'est-ce pas ? À moi ! À moi ! Ne vois-tu pas le mort qui m'embrasse avec des yeux de fureur ? Voilà qui est fini. Tu peux partir... Tiens ! Tiens ! Le voilà dans une autre posture ! L'entends-tu ? Est-ce que je rêve ? Là ! Comment appelles-tu cela ? Il pue comme une charogne ! Volontiers. Va-t'en, va ! Je ne t'appellerai plus. Ma foi, pour chasser la peur, j'ai envie de chanter. La, la, la, la ! etc. Abracadabra ! Abracadabra !... Au secours ! Voilà bien une autre paire de manches. Je chantais pour me désennuyer. Eh bien ! Ne voilà-t-il pas mon diable de mort qui s'est mis à danser ! Oui ! À danser! Dame, je l'ai vu. Ce ne sont pas des contes. Qu'appelles-tu esprits animaux ? Esprits vitaux ! J'entends cela. Et dans une femme, comment appelle-t-on ces esprits-là ? Parguenne ! Ce drôle-là, avec ses esprits vitaux, de quoi diable s'avise-t-il de danser ! Je vais bien l'attraper. Je vais chanter une chanson si triste qu'il n'en aura pas d'envie. Monsieur Lapalice est mort, Il est mort de maladie. Hélas ! S'il n'était pas mort, Il serait encore en vie. Abracadabra ! Abracadabra ! Ah ! Parguenne, on crierait à moins. J'avais chanté, il n'y a qu'un moment, sur un air gai, il s'est mis à danser. J'ai dit en moi-même : «Je l'attraperai bien ; je vais chanter sur un ton si lugubre qu'il ne branlera pas de sa place.» À peine ai-je eu achevé ma chanson qu'il s'est levé, a grincé des dents horriblement et m'a rossé à tour de bras. Et quelle est-elle ? Justement, c'est elle-même que j'ai chantée. Parguenne, camarade, voyons en ta présence si elle fera sur lui le même effet. À moi ! À moi ! Ah ! Je n'en puis plus. Voilà bien le diable. Le mort s'est sauvé, l'autre court après. Il ne rattrapera jamais, et ma pistole est bien aventurée. Mais où est donc mon panier ! Abracadabra !... Mon panier ! Abracadabra ! Ah ! Malheureux que je suis ! Monsieur de Regniababo l'aura emporté. Au voleur ! Au secours ! Ah ! Parguenne, notre maître, voilà une drôle d'aventure. Vous ne vous imagineriez jamais. Vous m'aviez donné un panier de gibier pour porter à Mademoiselle Isabelle. Vous allez trop vite. Non, Monsieur. C'est que je ne lui ai pas porté. La voici. C'est qu'il s'agissait d'une petite fortune pour moi. Oui, Monsieur ; d'une pistole par heure. Oui, Monsieur ; et le diable vient d'emporter le mort avec le panier de gibier. C'est pourtant bien clair ! Le mort s'appelait le comte de Regniababo. Il a été tué à l'armée d'un boulet de canon qui lui est entré dans l'oeil et qui lui est sorti par l'oreille. Je vous dis qu'on le reportait à sa terre ; le chariot a rompu pendant qu'on le raccommodait. Il fallait quelqu'un qui chassât les mouches d'autour de lui. On m'a offert une pistole par heure pour cela ; une pistole est bonne à gagner. Je l'émouchais de toutes mes forces quand, après plusieurs coups de poing, de pied, de bâton, que le mort m'a donnés, il a disparu avec le panier de gibier. Ma foi. Monsieur, ce n'est pas ma faute ; je ne pouvais pas me méfier d'un mort. Parguenne, il faut que le monde soit bien méchant. Mais écoutez, Monsieur, je crois avoir vu celui qui m'avait donné le mort à garder entrer dans la porte à côté de la fruitière d'ici près. Je m'en vas lui redemander mon panier ; vous verrez que ce n'est qu'une plaisanterie qu'on m'aura voulu faire. Tenez-vous seulement à quatre pas d'ici. Toc, toc, toc. Je vous demande mon panier, Monsieur ? Eh ! Oui, mon panier que vous m'avez pris pour rire. Monsieur, j'ai heurté à la porte ; j'ai demandé mon panier. On m'a répondu : «N'y a point de panier, n'y a point de panier, n'y a point de panier.» Mais je ne me tiens pas bien battu ; j'y veux retourner. Éloignez-vous seulement. Comment, Monsieur, vous me donnez effectivement mon congé ? Parguenne ! Je suis bien chanceux ! Voilà qui est fini ; je ne veux plus être valet. J'ai entendu dire que notre voisin, le barbier, avait besoin d'un garçon ; je vais me présenter chez lui. Holà ! Est-ce qu'il n'y a personne ici ? Monsieur, on m'a dit que vous cherchiez un bon garçon pour être à votre boutique. Oh ! Que oui, Monsieur. Oh ! Que oui, Monsieur. Je ferais tout Paris en une heure. Oh ! Non, Monsieur. Nullement. Oh ! Que non, Monsieur. Je sais faire chauffer de l'eau pour faire la barbe. Je sais encore faire mousser les savonnettes et ébrécher les rasoirs. Mais, pour faire le poil, je ne l'ai jamais essayé que sur un barbet. Encore était-ce avec des ciseaux. Qu'est-ce que c'est que des conditions ? Cela est-il difficile à exécuter ? Oh ! Oh ! J'en serai fort content. Je m'accommoderai assez de tout cela. Diantre ! Voilà une bonne condition. Et de la viande ? Pardi, je l'apporterai bien moi-même. Beaucoup. Ma foi, je vois bien la table et les assiettes, mais je ne vois rien dessus. Délicieux ! Je n'y comprends rien. C'est une plaisanterie ! Il faut nous y prêter. Comme il vous plaira. Morguenne ! Qu'ils sont délicats ! Le verjus de grain n'y est pas épargné. Ils sont exquis. Mais si nous buvions un coup ? Il est, ma foi, excellent. Mais vous me faites trop manger. Si je l'aime ! À merveille. Ah ! Monsieur, j'aurai bien de la peine à en venir à bout. Qu'est-ce que cela ? Diantre ! C'est donc de grand vin ? La peste ! Il gratte le gosier. Très volontiers. Ils sont bons, mais il faudrait un peu de moutarde. Le diable m'emporte si je la voyais. Tope ! À la vôtre ! Aux vôtres ! Ah ! Mais, Monsieur, laissez-moi respirer. Vous me griserez et je vous avertis que j'ai le vin mauvais. Rira bien qui rira le dernier. Je ne puis plus boire. Tout coup vaille ! Versez donc plein mon verre. Je bois toujours ainsi le vin muscat. Je n'ai pas eu le temps de le goûter. Encore un coup pour Boire à son toureloure, Boire à son tirelire lire Boire à son tour. Je vous l'avais bien dit... Heu !... Voilà ce que c'est ! Bouffon toi-même. Je te trouve bien plaisant de m'insulter sur le pavé du roi ! Passe ton chemin. Sais-tu bien à qui tu parles... Heu ? Eh bien ! Apprends que je suis un homme d'esprit, heu !.... Qui ai eu l'honneur, heu !... D'être refusé à l'Académie, quoique j'aie plus usé de papier à torcher mon cul que tu n'en as employé toute ta vie à écrire. Et tu es un insolent drès-là de me parler comme tu fais... Heu ! À la bonne heure. Porte-moi donc le respect qui m'est dû ! Tu es un ivrogne ! Je suis sobre, moi. Ma foi, quand j'ai bien bu, je crois Que toute la terre est à moi... Je chante comme je puis ! Heu... Vive qui le pourrait ! Pourquoi m'as-tu fait tant boire ?... Heu ! Qu'appelles-tu coquin ? Coquin toi-même. Eh bien ! Laisse-moi cuver mon vin. Ah ! Ma foi, Monsieur le barbier, je vous ai eu le poil. Me voilà. Que voulez-vous ? Oui, mon ami. Vous êtes donc bien pressé ? Eh bien ! mon ami, mettez-vous là et tenez-vous bien droit. Ne dites-vous pas que vous êtes pressé ? Eh bien ! Je veux vous couper la tête afin de vous faire la barbe tout à mon aise. Vous pourrez, pendant ce temps, aller chez votre maîtresse. Asseyez-vous donc comme il faut. Tenez, voilà ce qui s'appelle du linge blanc. C'est pour brûler les poils follets. On peut dire que voilà une barbe bien faite ! Faut-il vous surfaire ? Mais je crois que cela vaut bien quinze francs. Eh bien ! Mettez-en douze. Ce sera six francs pour le maître et six francs pour le garçon. Monsieur le manant, je n'aime pas les plaisanteries. Au secours ! Au secours ! Ah ! Monsieur notre maître... À moi ! Oui, c'est lui. Cela signifie que ce drôle-là nous a donné des coups de bâton. Parce que je lui ai demandé douze francs pour lui avoir fait la barbe : savoir, six francs pour le maître et autant pour moi. Ah ! Monsieur, vous êtes le maître pour recevoir les profits de la boutique. Tout beau, Monsieur le raseur. C'est-à-dire que chez vous, on ne mange qu'en imagination et que l'on est battu avec réalité. Eh bien ! Je suis votre serviteur. Pourvoyez-vous d'un autre garçon. Me voilà donc hors de condition et sans argent. Mais, parguenne, j'oubliais bien le meilleur. Quand j'ai quitté Monsieur Cassandre, il ne m'a pas payé un mémoire de la dépense que j'avais faite pour lui. Il ne sera pas assez déraisonnable pour ne m'en pas rembourser. D'ailleurs, j'ai à lui remettre la lettre qu'il m'avait donnée pour Mademoiselle Isabelle et à lui rendre réponse de celle que je lui ai portée hier. Parguenne, voici Monsieur Cassandre bien à propos. Bonjour, notre défunt maître. Je vous en rendrai bien compte ; et moi, je ne m'étais pas souvenu d'un petit mémoire de dépense que voici. Tout autant, Monsieur, encore n'était-il pas neuf. Oh ! Monsieur, il n'y a rien à rabattre. Je suis exact, comme vous voyez. Oh ! Je n'ai rien oublié. C'est moi, Monsieur ; je l'ai dicté à un écrivain de dessous le charnier des Innocents. Oui, Monsieur, que vous aurez la bonté de me donner, si vous n'aimez mieux me reprendre à votre service ; auquel cas je vous ferai crédit. Ah ! Dame, Monsieur, tout le monde n'en a pas un si grand que vous. Celle d'aujourd'hui, la voilà. Je ne l'ai pas rendue, comme vous savez bien. Pour celle d'hier, je l'ai donnée en mains propres. Mais, allez, j'ai eu diablement peur. Il était arrivé un grand malheur à Mademoiselle Isabelle ! Elle l'a, morguenne, échappée belle ! Tenez, Monsieur, quand je suis entré dans sa chambre, je l'ai trouvée pendue à sa cheminée... Dame, oui ! Elle ne grouillait ni pieds ni pattes. La frayeur m'a saisi d'abord, mais cependant je n'ai pas perdu le jugement. Je suis vite monté à l'échelle ; j'ai bravement coupé la corde. Patatras, voilà Mademoiselle Isabelle par terre ! Non, Monsieur, pas encore. Quand j'ai vu qu'elle ne me parlait pas, j'ai pris votre lettre et je la lui ai attachée à la main avec une grosse épingle. Non, Monsieur, elle n'en a rien senti. Non, Monsieur ; elle est revenue... de la ville un instant après. Oui, vraiment, Monsieur, revenue de la ville. Je n'ai jamais eu si peur de la voir double. Vous avez gagné, Monsieur, c'était sa portraiture. Dame ! Je croyais que c'était Mademoiselle Isabelle elle-même. Non, Monsieur ; elle était d'abord bien en colère ; mais, comme il n'y a rien eu de cassé, elle s'est mise à rire comme une folle en voyant ma frayeur. Ensuite, elle m'a fait asseoir à côté d'elle auprès du feu et m'a fait boire deux ou trois coups... Oh ! Pour cela, Monsieur, c'est une bonne fille. Mais, parguenne, il y a eu quelque chose de bien plus drôle, allez ! C'est, ma foi, une bonne diablesse. Oh ! Vous vous fâchez toujours. On ne saurait vous parler... Par la sambille, j'ai vu pourtant chez elle une plaisante chose. Ma foi, je ne sais pas trop ! Mais j'ai bien ri en la voyant. Monsieur, permettez auparavant que je vous propose quelques questions. Un chat a des oreilles ? Ce n'était donc pas un chat ! Tenez, Monsieur, il faut vous expliquer cela. Il faisait froid. Nous étions auprès du feu, Mademoiselle Isabelle et moi. Elle était jambe deçà, jambe delà. Les pieds sur la pomme des chenets. En voulant ramasser mon chapeau, qui était tombé par terre... J'ai aperçu... Monsieur, a-t-il le poil noir ? Cela étant, c'était son chat. Il faut donc que ce soit son chat, car elle le caressait de la main. Mais, Monsieur, il me vient un scrupule. Y a-t-il des chats qui aient la gueule fendue de cette façon ? Oh ! Par la sanguenne, ce n'était donc pas son chat que j'ai vu. Oh ! Monsieur, je l'ai vu distinctement. Il n'avait pas de queue. Non, Monsieur, très sûrement ; mais je suis sûr qu'il en aurait bien voulu avoir. Dame ! Si c'eût été à moi qu'elle eût fait ces caresses-là, il y aurait eu quelque différence au moins ! Je n'oserais vous le dire, Monsieur, vous en mourriez subitement. Cela signifie que Mademoiselle Isabelle m'a dit de vous dire qu'elle viendrait ce soir souper avec vous. Quel galimatias ! Ma foi, Monsieur, l'amour vous fait perdre le peu d'esprit que vous aviez. Vous allez être servi promptement. Je vais prendre un panier pour apporter tout cela. On parle de mon maître ! Mademoiselle Isabelle, empoisonnée ? Houlas ! Voilà bien le diable ! Dites donc, mon ami, qu'est-ce que vous parlez là tout seul de Mademoiselle Isabelle ? Et comment cela ? Elle a avalé une araignée ! Eh bien ? L'a-t-il soulagée ? J'ai cru qu'il n'arrachait que les dents. Eh bien ! Il faut les lui donner. Mais est-ce que ses voisines ne peuvent pas lui prêter le surplus ? Mais combien donc manque-t-il à Mademoiselle Isabelle ? Cela ne laisse pas que d'être embarrassant. Mais êtes-vous bien sûr du remède du gros Thomas ? Vous avez vu les pattes de l'araignée ? Et où ? Et vous étiez là présent ? Elle est donc sortie ? Ah ! Le misérable ! Et a-t-elle toujours le cul à l'air ? Cela doit être curieux à voir. Écoutez, mon ami, j'appartiens à Monsieur Cassandre qui, comptant avoir ce soir Mademoiselle Isabelle à souper, m'avait donné vingt-quatre sols pour aller chercher de quoi la régaler. Mais j'estime qu'ils seront bien mieux employés à donner au gros Thomas. Tenez, les voilà ! Gilles Bambinois Cadet L'Aîné, fort à votre service. Allez vite, sinon son derrière gagnera quelque bon rhume. Parguenne, je suis bien heureux de m'être rencontré ici aussi à propos ! Eh bien ? Monsieur, ne voilà-t-il pas un terrible accident ? Mademoiselle Isabelle ! Elle n'en mourra pas grâce à moi. Cela veut dire que Mademoiselle Isabelle est morte, ou peu s'en faut, et que vous en êtes la cause. Oh ! Que non ! C'est elle-même en propre original qui s'est empoisonnée. Oui, Monsieur, et par rapport à vous. Mais ne vous effrayez pas encore. Mademoiselle Isabelle, en buvant à votre santé, avait avalé une araignée... Elle se mourait. Le gros Thomas a passé par là. Il voulait bien la guérir ; mais il demandait six francs et elle n'avait que quatre francs seize sols. Patience ! Il vous l'a couchée sur ses genoux, lui a mis au derrière une mouche d'une espèce singulière. L'araignée est venue pour la gober, et, moyennant les vingt-quatre sols que j'ai donnés pour faire la somme complète, je compte que cette vilaine bête lui est sortie du corps à l'heure que je vous parle. Non, Monsieur, je ne suis pas fou. Je vous dis la vérité pure. Je la tiens d'un galant homme à qui j'ai donné les vingt-quatre sols qui manquaient à Mademoiselle Isabelle. Il m'a tout raconté comme je vous le dis. Trente aunes de boyaux ? Est-ce que vous avez mesuré les boyaux de Mademoiselle Isabelle ? Dame ! Pour moi, je n'en sais pas tant. On me dit qu'elle est empoisonnée, qu'elle va mourir ! Que, faute de vingt-quatre sols qui manquent pour payer le gros Thomas, elle court risque de la vie. Parguenne, pour la lui sauver, je n'ai pas fait difficulté de les donner. Je le souhaite. Mais, parguenne, je crains bien que l'histoire de l'araignée ne soit que trop vraie. À propos, nôtre maître, j'ai oublié de vous dire, de la part de Mademoiselle Isabelle, que vous ne lui donniez pas de tripaille. Elle dit que toutes les fois qu'elle vous voit vous ne lui présentez que du mou. Dame ! elle en est bien lasse. **** *creator_gueullette *book_gueullette_parade2 *style_prose *genre_farce *dist1_gueullette_prose_farce_parade2 *dist2_gueullette_prose_farce *id_PRENDSTOUT *date_1715 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_prendstout Oh ! Parbleu, camarade, je viens d'entendre Monsieur Cassandre donner à Gilles une commission qui m'a fait grand plaisir. Nous n'avons rien de gras pour souper ce soir. Il faut que nous enlevions une couple de lapins qu'il va porter au procureur de ce vieux fou. Comment veux-tu que nous les mangions ? En civet ou à la broche ? Cela est égal, mon ami ; je les compte à nous. Sois seulement attentif à ce qu'il faut que tu fasses pour y parvenir. Je cours promptement me déguiser. Le Ciel t'assiste, mon ami. Eh ! Passe ton chemin et laisse-nous en repos. « Oui, Messieurs, ce n'est pas sans confusion que je me suis vu élevé, par vos suffrages, à la place d'échevin de cette ville. Je ne pouvais pas y prétendre par ma naissance. Elle devait sûrement m'en exclure.» Peste soit de l'animal qui a composé cette harangue ! De quoi s'avise-t-il d'aller parler de mon père ? Oh ! je lui laverai la tête comme il faut. C'est un sot, ou j'ai l'esprit bouché... Pourquoi faire, mon ami ? Cela regarde-t-il l'échevinage ? Va l'apprendre, bête que tu es, et me laisse étudier ma harangue. Cela étant, je vous écoute. Ouf ! Passez les qualités, mon ami, au fait ! Et pourquoi voulez-vous sevrer ce pauvre diable d'huissier de la galanterie qu'on veut lui faire ? Il est vrai que la raillerie est un peu trop forte. On ne se moque pas ainsi d'un membre de la ville ; et son maître et lui mériteraient qu'on les envoya pour quinze jours à la Charbonnière. Parce que c'est insulter un honnête homme que de lui envoyer des chats en présent. Qu'est-ce que cela signifie ? Ce n'est pas possible. Mais il faut être aveugle pour ne pas voir ce que c'est. Il a sûrement perdu la gageure. Mais il ne convient pas que vous preniez les vingt-quatre sols. Ne voyez-vous pas bien que c'est un imbécile ? On n'en peut douter. Mais retirez-vous, vous êtes jugés. Oui, des chats. Je me connais un peu en peausserie. Mon père en vendait. Non vraiment, et si vous les portiez à l'un de nos huissiers, il vous ferait donner cent coups de bâton. Adieu, mon ami. Oh ! Parbleu, Monsieur Cassandre, puisque vous êtes assez bon pour confier encore à Gilles votre panier de gibier, Mademoiselle Isabelle n'en croquera que d'une dent. Malgré cela, il sera bien fin s'il nous échappe. Il faut le prendre du côté de l'intérêt. Parbleu ! Mon rôle ne sera pas bien difficile ! Je n'ai pas le mot à dire. M'y voilà. Que voulez-vous, Monsieur ? Ton... Ton... Ton panier ? Ton panier ? N'y a point de panier, n'y a point de panier, n'y a point de panier ! Parbleu, il faut que Monsieur Cassandre soit imbécile pour avoir encore repris Gilles à son service. Il ne sera pas dit que ce sera impunément. Non, quand ce ne serait que pour me réjouir, il faut que je lui escamote la pièce de 24 sols qu'il vient de lui donner. Je l'aperçois, commençons notre fourberie. Ah ! Pauvre Monsieur Cassandre, que deviendras-tu quand tu sauras cette triste nouvelle ? Tu mourras de douleur quand tu apprendras que Mademoiselle Isabelle est empoisonnée. Hélas ! Je dis que, par le plus grand des malheurs, elle s'est empoisonnée. En voulant boire à la santé de Monsieur Cassandre, une araignée est tombée dans son verre, et elle l'a avalée sans s'en apercevoir. Oui, mon ami, et qui avait des pattes grandes comme cela ! Dans le moment, sa langue s'est épaissie, la gorge lui a enflé, ses yeux se sont fermés, et elle allait mourir sans le secours du gros Thomas, qui heureusement passait devant sa maison au moment que toutes ses voisines témoignaient leur embarras par des cris très perçants. Bon ! Il a des secrets merveilleux pour les maladies les plus singulières. Il nous a d'abord rassurés en nous disant qu'il avait un remède excellent pour l'accident arrivé à Mademoiselle Isabelle ; il a même commencé son opération, mais il ne veut pas l'achever à moins de six francs. C'est bien dit. Mais Mademoiselle Isabelle, qui revenait de faire ses provisions, ne se trouve pas avoir chez elle cette somme. Il ne lui reste que quatre francs seize sols, et le gros Thomas ne veut pas achever son opération à moins de six francs. Il est cher comme le diable ! Bon ! Quand elles ont entendu parler d'argent, elles ont aussitôt décampé l'une après l'autre. Je crois que cela peut aller à vingt-quatre sols. C'est une misère et je vais mettre mon habit engage pour cela. Mais, avant que j'aie été à la friperie, la pauvre Mademoiselle Isabelle ne sera peut-être plus en vie, et j'en serais bien fâché, car c'est une bonne voisine. Oh ! Très sûr. On aperçoit déjà les pattes de l'araignée, et je les ai vues comme je vous vois. Je vais vous le dire. Pour faire connaître qu'il n'est pas un charlatan, le gros Thomas n'a pas eu plutôt reçu les quatre francs seize sols à compte, qu'il a pris Mademoiselle Isabelle et vous l'a mise sur ses genoux comme un petit enfant que l'on veut fouetter. Il lui a troussé sa jaquette, lui a mis le derrière à l'air vis-à-vis la fenêtre... Sans doute ! Il n'y avait que moi et le gros Thomas. Alors il a tiré de sa poche une petite boîte d'ivoire dans laquelle étaient cinq ou six mouches en vie qu'il ne nourrit, à ce qu'il m'a dit, qu'avec de la cervelle de cirons, et il n'en a pas eu plutôt approché une du clos Bruneau de la pauvre malade que l'araignée a montré le bout du nez et a sorti deux grandes pattes pour attraper la mouche. Non, pas tout à fait. Faute des vingt-quatre sols, l'araignée est rentrée, et le gros Thomas n'a pas voulu achever l'opération. Depuis ce temps-là, Mademoiselle Isabelle est dans une agitation des plus violentes. Mais je crois que oui. Oh ! Ma foi, quand on souffre, on ne s'embarrasse pas de tout cela. Mais, vous m'amusez mal à propos. Je suis bien sot de vous raconter toutes ces choses-là pendant que je devrais avoir déjà été mettre mon habit en gage. Ce retard coûtera peut-être la vie à Mademoiselle Isabelle. Eh ! Que ne les avez-vous donnés il y a un quart d'heure ? Je cours à toutes jambes porter du secours à Mademoiselle Isabelle, s'il en est encore temps ; sinon, je viens vous rejoindre ici pour vous remettre la pièce de vingt-quatre sols. Comment vous appelez-vous ? Adieu, Monsieur Gilles Cadet L'Aîné. **** *creator_gueullette *book_gueullette_parade2 *style_prose *genre_farce *dist1_gueullette_prose_farce_parade2 *dist2_gueullette_prose_farce *id_LAISSERIEN *date_1715 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_laisserien C'est, mordi, bien imaginé. Je crois qu'il faudrait commencer par nous rendre maîtres des lapins avant que de décider à quelle sauce nous les mangerons. Cela vaut fait. Ne t'embarrasse de rien ; je jouerai bien mon rôle ; mais ne perds pas de temps. J'aperçois Gilles, je vais commencer la fourberie et tu viendras y donner la dernière main. Peaux de connins ! Peaux de connins ! Qui est-ce qui veut vendre des peaux de connins ? J'achète des peaux de connins, je les repasse et je les revends aux fourreurs. Aux fourreurs. Mais, Monsieur, il faut avoir appris son métier pour cela. Je ne vous comprends pas, Monsieur ; pour moi j'ai été six grands mois à l'apprendre. Mais, Monsieur, je vois bien que nous ne nous entendons pas. Vous pensez peut-être à malice ? Oui, cela s'entend. Ce sont des peaux de lapins que j'achète. On conserve toujours dans les arts les mots propres, et, autrefois, les lapins ne s'appelaient pas autrement que connils et connins. J'ai bien vu que vous étiez dans l'erreur. Nous achetons aussi des peaux de toute sorte d'animaux : des chats, par exemple ; mais elles ne sont pas si chères que celles des lapins. Je paie une peau de connin, suivant l'ancien style, quatre sols, et je n'en pourrais donner au plus que deux de celles des chats que vous portez. Non, vraiment. Des lapins, dites-vous ? Ah ! Ah ! Ah ! Il est bouffon. Vous voulez rire, apparemment. À vous permis ! Comme il vous plaira. Il m'est fort indifférent, à moi, que ce soit là un chat ou un lapin. Mais il faut ne pas avoir le sens commun pour dire que c'est là un lapin. Non, mon ami, un chat, et cet autre encore un chat. Je le soutiendrai devant tous les garenniers et tous les écorcheurs de France. Voudriez-vous gager un petit écu que ce ne sont pas des lapins ? Mais non ; il y aurait de la conscience, car je suis sûr de mon fait. Eh bien ! Va, mon écu contre vos vingt-quatre sols ! Qui vous voudrez, pourvu que ce soit quelqu'un qui ne nous connaisse ni l'un ni l'autre. Je le veux bien. Mais n'est-il pas de votre connaissance ? Cela étant, je vais le prier d'être notre juge. Monsieur, ayez la bonté de vouloir bien... Je ne vous demande pas l'aumône, Monsieur. Il faut qu'il ait quelque chose dans la tête. C'est peut-être un avocat. C'est qu'il étudie apparemment quelque discours... Il faut lui faire à croire que notre contestation regarde l'échevinage. Mon camarade ne sait pas ce qu'il dit, Monsieur. C'est un fait qui regarde la police de la ville. Monseigneur... Je crois vous reconnaître pour vous avoir vu hier dans votre boutique... Voici de quoi il s'agit : Le maître de ce garçon l'a chargé de porter à un des huissiers de la ville (à Gilles : Il ne faut pas lui dire que c'est au procureur de votre barbon) un présent honnête ; mais je ne lui ai pas conseillé de le faire. Pourquoi ? Vous n'avez qu'à jeter la vue sur la nature du présent... Vous voyez que je ne lui fais pas dire. C'est, Monsieur, qu'il y a un quart d'heure que ce garçon-là me veut soutenir que ce sont des lapins. Je vous dis la vérité pure, Monsieur ; j'ai eu beau lui dire que c'étaient des chats, il n'en a voulu rien croire. Il a fait plus, il a voulu parier vingt-quatre sols que son maître lui doit contre moi un écu. Savez-vous ce que je pense de ceci ? Votre maître veut se réjouir à vos dépens et vous faire payer votre béjaune. C'est un tour de carnaval. Il veut vous faire berner par les clercs de votre procureur. Allez, mon garçon, allez lui porter votre accolade de chats. Si je les ramasse, ce n'est que pour en avoir la peau. Serviteur ! Allons rejoindre Prends-Tout et manger ensemble nos lapins. Camarade, il faut ici user d'adresse. Gilles est sur ses gardes. C'est bien dit. Tu feras, pour cet effet, le comte de Regniababo. Cela est vrai, mais il faut pourtant s'en tirer avec adresse. Je crois entendre Gilles. Mets-toi vite tout de ton long sur ce banc. Oh ! Malheur des malheurs ! Accident des accidents ! Ah ! Mon pauvre maître! Quoi ! Je n'aurai pas la satisfaction de vous conduire convenablement dans vos terres ! Est-il possible que je ne trouverai personne qui veuille me rendre service en cette occasion ? Je le payerais volontiers sur le pied d'une pistole par heure. Ah ! Monsieur, c'est que je suis dans une grande affliction. Par la mort de mon bon maître, Monsieur le comte de Regniababo. Mon ami, il faut que tu saches que mon maître est mort à l'armée d'un boulet de canon qui lui est entré dans l'oeil. Comme il avait un pressentiment que la campagne lui serait funeste, il a fait son testament. Il a ordonné qu'après sa mort on le transporterait à sa terre de Regniababo. Il m'a chargé de ce soin et me donne mille écus pour ma peine. Ah ! Que vous êtes vif ! Écoutez jusqu'au bout. Il est vrai qu'il me donne mille écus, mais à condition que, dans trois jours, je le ferai conduire à sa terre sans accident et aussi entier qu'il se trouvera être au moment de sa mort ; et le chariot qui le portait vient de verser à quatre pas d'ici. C'est aussi ce que l'on fait. Mais, pendant ce temps, qui sera au moins de trois ou quatre heures, il faut empêcher que les mouches ne mangent mon cher maître. C'est qu'en arrivant à son château, si on lui trouve seulement une piqûre de mouche, voilà mes mille écus perdus. C'est de trouver quelqu'un qui chasse les mouches d'autour de mon maître pendant que je serai occupé à faire raccommoder le chariot. Cela s'entend. Vous voyez bien que j'y gagnerai encore. Sérieusement ? Ah ! Mon ami, vous me ravissez d'aise. Tenez, mettez-vous là ! Eh ! Fi donc ! Vous êtes grand comme père et mère. Savez-vous ce que vous ferez pour vous dissiper ? Vous n'aurez qu'à chanter. Après tout, je ne serai qu'au tournant de la rue, chez le charron. Si la frayeur vous prenait, vous n'avez qu'à m'appeler. Abracadabra. Avec ce mouchoir. Qu'est-ce qu'il y a ? Oui, mon ami. Cela est vrai. Le boulet ne lui a emporté que la prunelle de l'oeil gauche et est sorti par l'oreille droite. Adieu. Tu te trompes, mon ami. C'est que, lorsque ce boulet de canon lui passa à travers l'oeil, cela lui a causé une contraction de nerfs qui lui a dérangé la physionomie. Oui vraiment. Que me veux-tu donc ? Je ne vois rien. Non vraiment. Erreur, mon ami. Il a toujours été placé de cette manière. Cela se peut. Allons, rassure-toi ! À qui diable en as-tu donc ? La chose n'est pas impossible et ne doit pas te surprendre. Le boulet de canon l'ayant frappé droit dans la visière, il y porta d'abord la main, et la contraction des nerfs... Et nous avons eu toute la peine du monde à lui remettre la main dans une position conforme à son état. Vois plutôt. T'en voilà bien convaincu à présent. La main s'abaissera tout doucement. Tiens, vois-tu, la voilà à sa place. Or çà, tu me laisseras peut-être à présent en repos ? Mais ça ne finira point ! Eh bien ! Cela t'étonne ? Sans doute. Cela part du même principe. Lorsqu'il fut atteint par le boulet de canon, il en fut renversé cul par-dessus tête et tomba les jambes en haut, comme tu le vois actuellement, et par la même raison naturelle, c'est-à-dire par la contraction des nerfs, nous aurons bien de la peine à le redresser ; mais j'espère en venir à bout avec ton secours. Tire les jambes à toi. Qu'as-tu donc ? Ne suis-je pas avec toi ? Je n'ai rien vu. Mais c'est le raidissement des nerfs qui fait cette opération. Si tu me retiens toujours, je ne pourrai jamais faire raccommoder mon chariot. C'est que tu l'avais mal placé. Eh ! Mais... Cela s'appelle... Cela s'appelle faire un pet à la mort. Effectivement : ça ne sent pas bon. Tiens, prends une prise de tabac. Tu piailleras donc toujours ? Eh bien ? À danser ? Tu te moques de moi. Il est vrai pourtant que, comme Provençal, de son vivant il aimait passionnément la danse et que, sitôt qu'il entendait ou chanter ou jouer des instruments, il ne pouvait s'empêcher de danser. Il faut, si tu dis vrai, que ce soient les esprits animaux qui jouent leur rôle. Esprits animaux, c'est-à-dire esprits vitaux. Oh ! Que diable, avec tes questions impertinentes, tu m'occuperas tout le reste de la journée. Fais ton ouvrage et laisse-moi aller à mes affaires. À qui donc en as-tu ? Tu cries comme un enragé. Parbleu ! Mon ami, tu joues de malheur ! Il n'y a qu'une seule chanson capable de mettre les esprits animaux dans une pareille agitation. Il l'avait en horreur ; apparemment que tu l'auras chantée. La voici : Monsieur Lapalice est mort... Volontiers. Ah ! Misérable ! Avec ta maudite chanson, je suis moulu de coups. Je ne sais à quoi il tient que je ne t'assomme !... Mais, ciel ! Voilà Monsieur le comte de Regniababo parti et mes mille écus au diable.