**** *creator_jodelle *book_jodelle_cleopatre *style_verse *genre_tragedy *dist1_jodelle_verse_tragedy_cleopatre *dist2_jodelle_verse_tragedy *id_LOMBREDANTOINE *date_1574 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lombredantoine Dans le val ténébreux, où les nuits éternelles Font éternelle peine aux ombres criminelles, Cédant à mon destin je suis volé naguère, Jà jà fait compagnon de la troupe légère, Moi (dis-je) Marc Antoine horreur de la grand' Rome, Mais en ma triste fin cent fois misérable homme. Car un ardent amour, bourreau de mes moelles, Me dévorant sans fin sous ses flammes cruelles, Avait été commis par quelque destinée Des Dieux jaloux de moi, afin que terminée Fût en peine et malheur ma pitoyable vie, D'heur, de joie et de biens par avant assouvie. Ô moi dès lors chétif, que mon oeil trop folâtre S'égara dans les yeux de cette Cléopâtre ! Depuis ce seul moment je sentis bien ma plaie, Descendre par l'oeil traître en l'âme encore gaie, Ne songeant point alors quelle poison extrême J'avais ce jour reçu au plus creux de moi-même : Mais hélas ! en mon dam, las ! en mon dam et perte Cette plaie cachée enfin fut découverte, Me rendant odieux, foulant ma renommée D'avoir enragement ma Cléopâtre aimée : Et forcené après comme si cent furies Exerçant dedans moi toutes bourrelleries, Embrouillant mon cerveau, empêtrant mes entrailles, M'eussent fait le gibier des mordantes tenailles : Dedans moi condamné, faisant sans fin renaître Mes tourments journaliers, ainsi qu'on voit repaître Sur le Caucase froid la poitrine empiétée, Et sans fin renaissante à son vieil Prométhée. Car combien qu'elle fut Reine et de race royale, Comme tout aveuglé sous cette ardeur fatale Je lui fis les présents qui chacun étonnèrent, Et qui jà contre moi ma Rome aiguillonnèrent : Même le fier César ne tâchant qu'à défaire Celui qui à César compagnon ne pût plaire, S'embrasant pour un crime indigne d'un Antoine, Qui tramait le malheur encouru par ma Reine : Et qui encore au val des durables ténèbres Me va renouvelant mille plaintes funèbres, Échauffant les serpents des soeurs échevelées, Qui ont au plus chétif mes peines égalées : C'est que jà jà charmé, enseveli des flammes, Ma femme Octavienne honneur des autres Dames, Et mes mollets enfants je vins chasser arrière, Nourrissant en mon sein ma serpente meurtrière, Qui m'entortillonnant trompant l'âme ravie, Versa dans ma poitrine un venin de ma vie, Me transformant ainsi sous ses poisons infuses, Qu'on serait du regard de cent mille Méduses. Or pour punir ce crime horriblement infâme, D'avoir banni les miens, et rejeté ma femme, Les Dieux ont à mon chef la vengeance avancée, Et dessus moi l'horreur de leurs bras élancée : Dont la sainte équité, bien qu'elle soit tardive, Ayant les pieds de laine, elle n'est point oisive, Ains dessus les humains d'heure en heure regarde, Et d'une main de fer son trait enflammé darde. Car tôt après César jure contre ma tête, Et mon piteux exil de ce monde m'apprête. Me voilà jà croyant ma Reine, ains ma ruine, Me voilà bataillant en la plaine marine, Lorsque plus fort j'étais sur la solide terre : Me voilà jà fuyant oublieux de la guerre, Pour suivre Cléopâtre, en faisant l'heur des armes Céder à ce malheur des amoureux alarmes. Me voilà dans sa ville où j'ivrogne et putasse, Me paissant de plaisirs, pendant que César trace Son chemin devers nous, pendant qu'il a l'armée Que sur terre j'avais, d'une gueule affamée, Ainsi que le Lion vagabond à la quête, Me voulant dévorer, et pendant qu'il apprête Son camp devant la ville, où bientôt il refuse De me faire un parti, tant que malheureux j'use Du malheureux remède, et poussant mon épée Au travers des boyaux en mon sang l'ai trempée, Me donnant guérison par l'outrageuse plaie. Mais avant que mourir, avant que du tout j'aie Sangloté mes esprits, las las ! quel si dur homme Eût pu voir sans pleurer un tel honneur de Rome, Un tel dominateur, un Empereur Antoine, Qui jà frappé à mort sa misérable Reine De deux femmes aidée angoisseusement pâle Tirait par la fenêtre en sa chambre royale. César même n'eût pu regarder Cléopâtre Couper sur moi son poil, se déchirer et battre, Et moi la consoler avecque ma parole, Ma pauvre âme soufflant qui tout soudain s'envole, Pour aux sombres enfers endurer plus de rage Que celui qui a soif au milieu du breuvage, Ou que celui qui roue une peine éternelle, Ou que les pâles Soeurs, dont la dextre cruelle Égorgea les maris : Ou que celui qui vire Sa pierre sans porter son faix où il aspire. Encore en mon tourment tout seul je ne puis être, Avant que ce Soleil qui vient ores de naître, Ayant tracé son jour chez sa tante se plonge, Cléopâtre mourra, je me suis ore en songe À ses yeux présenté, lui commandant de faire L'honneur à man sépulcre, et après se défaire, Plutôt qu'être dans Rome en triomphe portée, L'ayant par le désir de la mort confortée ; L'appelant avec moi, qui jà jà la demande Pour venir endurer en notre pâle bande : Or' se faisant campagne en ma peine et tristesse, Qui s'est faite longtemps compagne en ma liesse. **** *creator_jodelle *book_jodelle_cleopatre *style_verse *genre_tragedy *dist1_jodelle_verse_tragedy_cleopatre *dist2_jodelle_verse_tragedy *id_CLEOPATRE *date_1574 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_cleopatre Que gagnez-vous hélas ! En la parole vaine ? Mais pourquoi perdez-vous vos peines ocieuses ? Qu'est-ce qui adviendrait plus horrible à la vue ? Permettez mes sanglots même aux fiers Dieux se prendre. Il ne faut que ma mort pour bannir ma complainte. Antoine jà m'appelle, Antoine il me faut suivre. Ô vision étrange ! Ô pitoyable songe ! Ô Dieux à quel malheur m'avez-vous alléchée ? Mais (ô Dieux) à quel bien, si ce jour jr dévie. Ha pourrais-je donc bien moi la plus malheureuse ; Que puisse regarder la voûte radieuse, Pourrais-je bien tenir la bride à mes complaintes, Quand sans fin mon malheur redouble ses atteintes ? Quand je remâche en moi que je suis la meurtrière Par mes trompeurs appâts, d'un, qui sous sa main fière Faisait crouler la terre ? Ha Dieux pourrais-je traire Hors de mon coeur le tort que je lui pus faire Qu'il me donna Syrie, et Chypres, et Phénice, La Judée embaumée, Arabie, et Cilice, Encourant par cela de son peuple la haine ? Ha pourrais-je oublier ma gloire et pompe vaine, Qui l'appâtait ainsi au mal, qui nous talonne, Et malheureusement les malheureux guerdonne, Que la troupe des eaux en l'appât est trompée ? Ha l'orgueil, et les ris, la perle détrempée, La délicate vie efféminant ses forces, Étaient de nos malheurs les subtiles amorces ! Quoi ? pourrais-oublier que par raide secousse Pour moi seule il souffrit des Parthes la repousse, Qu'il eût bien subjugués et rendus à sa Rome, Si les songeards amours n'occupaient tout un homme, Et s'il n'eût en désir d'abandonner sa guerre Pour revenir soudain hiverner en ma terre ? Ou pourrais-je oublier que pour ma plus grand' gloire, Il traîna en triomphe et loyer de victoire, Dedans Alexandrie un puissant Artavade Roi des Arméniens, vu que telle bravade N'appartenait sinon qu'à sa ville orgueilleuse, Qui se rendit alors davantage haineuse ? Pourrais-je oublier mille et mille et mille choses, En qui l'amour pour moi a ses paupières closes, En cela mêmement que pour cette amour mienne On lui vit délaisser l'Octavienne sienne ? En cela que pour moi il voulut faire guerre Par la fatale mer, étant plus fort par terre ? En cela qu'il suivit ma nef au vent donnée, Ayant en son besoin sa troupe abandonnée ? En cela qu'il prenait doucement mes amorces, Alors que son César prenait toutes ses forces ? En cela que feignant être prête à m'occire, Ce pitoyable mot soudain je lui fis dire ? Ô Ciel faudra-t-il donc que Cléopâtre morte Antoine vive encor ? Sus sus Page conforte Mes douleurs par ma mort. Et lors voyant son page Soi-même se tuer, tu donnes témoignage, Ô Eunuque (dit-il) comme il faut que je meure ! Et vomissant un cri il s'enferra sur l'heure. Ha Dames, aa faut-il que ce malheur je taise ? Ho ho retenez-moi, je je. Las las ! À grand Ciel que j'endure ! Encore l'avoir vu cette nuit en figure Hé ! Hé hé Antoine était. En la sorte. Comme alors que sa plaie. Comme alors que sa plaie avait ce corps tractable Ensanglanté partout. Qu'à sa tombe je fasse L'honneur qui lui est dû. Que je trace Par ma mort un chemin pour rencontrer son ombre Me racontant encor. Une éternelle nuit doit de ceux être aimée, Qui souffrent en ce jour une peine éternelle. Ôtez-vous le désir de s'efforcer à celle Qui libre veut mourir pour ne vivre captive ? Non non, mourons mourons, arrachons la victoire, Encore que soyons par César surmontées. Que plutôt cette terre au fond de ses entrailles M'engloutisse à présent, que toutes les tenailles De ces bourrelles Soeurs horreur de l'onde basse, M'arrachent les boyaux, que la tête on me casse D'un foudre inusité, qu'ainsi je me conseille, Et que la peur de mort entre dans mon oreille. Ô quels piteux alarmes ! Las que dirais-je ! Hé, jà pour moi mes larmes Parlent assez, qui non pas la justice, Mais de pitié cherchent le bénéfice. Pourtant, César, s'il est à moi possible De tirer hors d'une âme tant passible, Cette voix rauque à mes soupirs mêlée Écoute encor l'esclave désolée, Las ! qui ne met tant d'espoir aux paroles Qu'en ta pitié, dont jà tu me consoles. Songe, César, combien peut la puissance D'un traître amour, même en sa jouissance : Et pense encor que mon faible courage N'eût pas souffert sans l'amoureuse rage, Entre vous deux ces batailles tonnantes, Dessus mon chef à la fin retournantes. Mais mon amour me forçait de permettre Ces fiers débats, et toute aide promettre, Vu qu'il fallait rompre paix, et combattre, Ou séparer Antoine ou Cléopâtre Séparer, las ! ce mot me fait faillir, Ce mot me fait par la Parque assaillir. Ah ah César, ah. Feindre hélas ! ô. Si la douleur en ce coeur prisonnière Ne surmontait cette plainte dernière, Tu n'aurais pas ta pauvre esclave ainsi : Mais je ne peux égaler au souci, Que pétillant m'écorche le dedans, Mes pleurs, mes plaints, et mes soupirs ardents. T'ébahis-tu si ce mot séparer, A fait ainsi mes forces retirer ? Séparer (Dieux) séparer je l'ai vu, Et si n'ai point à ces débats pourvu ! Mieux il te fût (ô captive ravie) Te séparer même durant sa vie ! J'eusse la guerre et sa mort empêchée, Et à mon heur quelque atteinte lâchée, Vu que j'eusse eu le moyen et l'espace D'espérer voir secrètement sa face : Mais mais cent fois, cent cent fois malheureuse, J'ai jà souffert cette guerre odieuse : J'ai j'ai perdu par cette étrange guerre, J'ai perdu tout et mes biens et ma terre : Et si ai vu ma vie et mon support, Mon heur, mon tout, se donner à la mort, Que tout sanglant jà tout froid et tout blême, Je réchauffais des larmes de moi-même, Me séparant de moi-même à demi Voyant par mort séparer mon ami. Ha dieux, grands Dieux ! Ha grands Dieux ! Constante suis, séparer je me sens, Mais séparer on ne me peut longtemps : La pâle mort m'en fera la raison, Bientôt Pluton m'ouvrira sa maison, Où même encor l'aiguillon qui me touche Ferait rejoindre et ma bouche et sa bouche : S'on me tuait, le dueil qui crèverait Parmi le coup plus de bien me ferait, Que je n'aurais de mal à voir sortir Mon sang pourpré et mon âme partir. Mais vous m'ôtez l'occasion de mort, Et pour mourir me défaut mon espoir Qui s'alentit d'heure en heure dans moi, Tant qu'il faudra vivre malgré l'émoi : Vivre il me faut, ne crains que je me tue, Pour me tuer trop peu je m'évertue. Mais puisqu'il faut que j'allonge ma vie, Et que de vivre en moi revient l'envie, Au moins César vois la pauvre faiblette, Qui à tes pieds, et derechef se jette : Au moins César des gouttes de mes yeux Amollis-toi, pour me pardonner mieux : De cette humeur la pierre on cave bien, Et sur ton coeur ne pourront-elles rien ? Ne t'ont donc pu les lettres émouvoir Qu'à tes deux yeux j'avais tantôt fait voir, Lettres je dis de ton père reçues, Certain témoin de nos amours conçues ? N'ai-je donc pu détourner ton courage, Te découvrant et maint et !maint image De ce tien père à celle-là loyal, Qui de son fils recevra tout son mal ? Celui souvent trop tôt borne sa gloire Qui jusqu'au bout se venge en sa victoire. Prends donc pitié, tes glaives triomphants D'Antoine et moi pardonnent aux enfants. Pourrais-tu voir les horreurs maternelles, S'on meurtrissait ceux qui ces deux mamelles, Qu'ore tu vois maigres et déchirées, Et qui seraient de cent coups empirées, Ont allaité ? Orrais-tu mêmement Des deux côtés le dur gémissement ? Non non, César, contente-toi du père, Laisse durer les enfants et la mère En ce malheur, où les Dieux nous ont mis. Mais fûmes-nous jamais tes ennemis, Tant acharnés que n'eussions pardonné, Si le trophée à nous se fût donné ? Quant est de moi, en mes fautes commises Antoine était chef de mes entreprises, Las qui venait à tel malheur m'induire, Eussé-je pu mon Antoine éconduire ? Ore, César, chétive je m'accuse, En m'excusant de ma première excuse, Reconnaissant que ta seule pitié Peut donner bride à mon inimité, Que jà pour moi tellement se commande, Que tu ne veux de moi faire une offrande Aux Dieux nombreux, ni des enfants aussi Que j'ai tourné en ces entrailles-ci. De ce peu donc de mon pouvoir resté Je rends je rends grâce à ta majesté : Et pour donner à César témoignage, Que je suis sienne et le suis de courage, Je veux ; César, te déceler tout l'or, L'argent, les biens, que je tiens en trésor. À faux meurtrier ! À faux traître, arraché Sera le poil de ta tête cruelle, Que plût aux Dieux que ce fut ta cervelle ! Tiens traître, tiens. Ô chose détestable ! Un serf un serf ! Et quoi, m'accuses-tu ? Me pensais-tu veuve de ma vertu Comme d'Antoine. Aa traître ! Voilà Tous mes bienfaits. Hou ! Le dueil qui m'efforce, Donne à mon coeur langoureux telle force, Que je pourrais, ce me semble, froisser Du poing tes os, et tes flancs crevasser À coups de pied. Mais quoi, mais quoi ? Mon Empereur, est-il un tel émoi Au monde encor que ce paillard me donne ? Sa lâcheté ton esprit même étonne, Comme je crois, quand moi Reine d'ici, De mon vassal suis accusée ainsi, Que toi, César, as daigné visiter, Et par ta voix à repos inciter. Hé si j'avais retenu des joyaux, Et quelque part de mes habits royaux, L'aurai-je fait pour moi las malheureuse ! Moi, qui de moi ne suis plus curieuse ? Mais telle était cette espérance mienne, Qu'à ta Livie et ton Octavienne De ces joyaux le présent je ferai, Et leur pitiés ainsi pourchasserai, Pour (n'étant point de mes présents ingrates) Envers César être mes avocates. Ainsi vous soit ami Tout le Destin, comm' il m'est ennemi. Penserait donc César être du tout vainqueur ? Penserait donc César abâtardir ce coeur, Vu que des tiges vieux cette vigueur j'hérite, De ne pouvoir céder qu'à la Parque dépite ? La Parque et non César aura sur moi le pris, La Parque et non César soulage mes esprits, La Parque et non César triomphera de moi, La Parque et non César finira mon émoi : Et si j'ai ce jourd'hui usé de quelque feinte, Afin que ma portée en son sang ne fut teinte. Quoi ? César pensait-il que ce que dit j'avais Peut bien aller ensemble et de coeur et de voix ? César César César , il te serait facile De subjuguer ce coeur aux liens indocile : Mais la pitié que j'ai du sang de mes enfants, Rendaient sur mon vouloir mes propos triomphants, Non la pitié que j'ai si par moi misérable Est rompu le filet à moi jà trop durable. Courage donc courage (ô compagnes fatales) Jadis serves à moi, mais en la mort égales, Vous avez reconnu Cléopâtre princesse, Or' ne reconnaissez que la Parque maîtresse. Mourons donc, chères soeurs, ayons plutôt ce coeur De servir à Pluton qu'à César mon vainqueur : Mais avant que mourir faire il nous conviendra Les obsèques d'Antoine, et puis mourir il faudra, Je l'ai tantôt mandé à César ; qui veut bien Que Monseigneur j'honore, hélas ! et l'ami mien. Abaisse-toi donc ciel, et avant que je meure Viens voir le dernier dueil qu'il faut faire à cette heure : Peut-être tu seras marri de m'être tel, Te fâchant de mon dueil étrangement mortel. Allons donc chères soeurs : de pleurs, de cris, de larmes, Venons-nous affaiblir, afin qu'en ses alarmes Notre voisine mort nous soit ores moins dure, Quand aurons demi fait aux esprits ouverture. Antoine, ô cher Antoine, Antoine ma moitié, Si Antoine n'eût eu des cieux l'inimitié, Antoine Antoine, hélas ! Dont le malheur me prive, Entends la faible voix d'une faible captive, Qui de ses propres mains avait la cendre mise Au clos de ce tombeau n'étant encore prise : Mais qui prise et captive à son malheur guidée, Sujette et prisonnière en sa ville gardée, Ore te sacrifie, et non sans quelque crainte De faire trop durer en ce lieu ma complainte, Vu qu'on a l'oeil sur moi, de peur que la douleur Ne fasse par la mort la fin de mon malheur : Et afin que mon corps de sa douleur privé Soit au Romain triomphe en la fin réservé : Triomphe, dis-je, las ! Qu'on veut orner de moi, Triomphe, dis-je, les ! que l'on fera de toi. Il ne faut plus desor de moi que tu attendes Quelques autres honneurs, quelques autres offrandes, L'honneur que je te fais, l'honneur dernier sera Qu'à son Antoine mort Cléopâtre fera. Et bien que toi vivant la force et violence Ne nous ait point forcé d'écarter l'alliance, Et de nous séparer : toutefois je crains fort Que nous nous séparions l'un de l'autre à la mort, Et qu'Antoine Romain en Égypte demeure, Et moi Égyptienne dedans Rome je meure. Mais si les puissants Dieux ont pouvoir en ce lieu Où maintenant tu es, fais fais que quelque Dieu Ne permette jamais qu'en m'entraînant d'ici On triomphe de toi en ma personne ainsi : Ains que ce tien cercueil, ô spectacle piteux, De deux pauvres amants nous raccouple tous deux. Cercueil qu'encor un jour l'Égypte honorera, Et peut-être à nous deux l'épitaphe fera. Ici sont deux amants qui heureux en leur vie, D'heur, d'honneur, de liesse, ont leur âme assouvie : Mais en fin tel malheur on les vit encourir, Que le bonheur des deux fut de bientôt mourir. Reçois reçois-moi donc avant que César parte, Que plutôt mon esprit que mon honneur s'écarte. Car entre tout le mal, peine, douleur, encombre, Soupirs, regrets, soucis, que j'ai souffert sans nombre, J'estime le plus grief ce bien petit de temps Que de toi, ô Antoine, éloigner je me sens. Allons donc chères soeurs, et prenons doucement De nos tristes malheurs l'heureux allègement. **** *creator_jodelle *book_jodelle_cleopatre *style_verse *genre_tragedy *dist1_jodelle_verse_tragedy_cleopatre *dist2_jodelle_verse_tragedy *id_ERAS *date_1574 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_eras Que gagnez-vous hélas ! de vous être inhumaine ? Qu'est-ce qui pourrait voir une tant dépourvue ? Il ne faut point mourir avant sa vie éteinte. Ô pitoyable Reine, ô quel tourment te ronge ? Mais ne plaignez donc point, et suivez votre envie. Soulagez votre peine, Efforcez vos esprits. Hé, rien que la mort ne ferme au deuil la porte. En quelle sorte donc ? Ô plaisir que tu mènes, Un horrible troupeau de déplaisirs et peines ! Sera donc celle-là de la Parque craintive, Qui au-défaut de mort verra mourir sa gloire ? Pourrions-nous bien être en triomphe portées ? Ha mort, ô douce mort, mort seule guérison Des esprits oppressés d'une étrange prison, Pourquoi souffres-tu tant à tes droits faire tort ? T'avons-nous fait offense, ô douce et douce mort ? Pourquoi n'approches-tu, ô Parque trop tardive ? Pourquoi veux-tu souffrir cette bande captive, Qui n'aura pas plutôt le don de liberté, Que cet esprit ne soit par ton dard écarté ? Hâte donc hâte-toi, vanter tu te pourras Que même sur César une dépouille auras : Ne permets point alors que Phébus qui nous luit En dévalant sera chez son oncle conduit, Que ta soeur pitoyable, hélas à nous cruelle, Tire encore le fil dont elle nous bourrelle : Ne permets que des peurs la pâlissante bande Empêche ce jourd'hui de te faire une offrande, L'occasion est sûre, et nul à ce courage Ce jour nuire ne peut, qu'on ne te fasse hommage. César cuide pour vrai que jà nous soyons prêtes D'aller, et donner témoignage des quêtes. Suivre vous ne pouvez, sans suivre la détresse. Est-il si ferme esprit, qui presque ne s'envole Au piteux écouter de si triste parole ? **** *creator_jodelle *book_jodelle_cleopatre *style_verse *genre_tragedy *dist1_jodelle_verse_tragedy_cleopatre *dist2_jodelle_verse_tragedy *id_CHARMIUM *date_1574 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_charmium Mais quel malaise Pourrait être plus grand ? Tenez la rêne Au deUil empoisonnant. Mais comment ? Mais levez-vous un peu, que gêner on essaie Ce qui gêne la voix. Ô songe épouvantable ! Mais que demandait-il ? Quoi encor ? La basse porte sombre Est à l'aller ouverte, et au retour fermée. Encore que les maux par ma Reine endurés, Encore que les cieux contre nous conjurés, Encore que la terre envers nous courroucée, Encore que fortune envers nous insensée, Encore que d'Antoine une mort misérable, Encore que la pompe à César désirable, Encore que l'arrêt que nous fîmes ensemble, Qu'il faut qu'un même jour aux enfers nous assemble, Aiguillonnât assez mon esprit courageux D'être contre soi-même un vainqueur outrageux, Ce remède de mort, contrepoison de dueil, S'est tantôt présenté davantage à mon oeil : Car ce bon Dolabelle ami de notre affaire, Combien que pour César il soit notre adversaire, T'a fait savoir (ô Reine) après que l'Empereur Est parti d'avec toi, et après ta fureur Tant équitablement à Séleuque montrée, Que dans trois jours préfix cette douce contrée Il nous faudra laisser, pour à Rome menées Donner un beau spectacle à leurs efféminées. Triste elle s'en va voir des sépulcres le clos, Où la mort a caché de son ami les os. Ô cendre bien heureuse étant hors de la terre ! L'homme n'est point heureux tant qu'un cercueil l'enserre. **** *creator_jodelle *book_jodelle_cleopatre *style_verse *genre_tragedy *dist1_jodelle_verse_tragedy_cleopatre *dist2_jodelle_verse_tragedy *id_AGRIPPE *date_1574 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_agrippe Mais de quel lieu ces mots ? L'orgueil est tel, qui d'un malheur guerdonne La malheureuse et superbe personne : Mêmes ainsi que d'une onde le branle, Lorsque le Nord dedans la mer l'ébranle, Ne cesse point de courir et glisser, Virevolter, rouler, et se dresser, Tant qu'à la fin dépiteux il arrive, Bruyant sa mort, à l'écumeuse rive. Ainsi ceux-là que l'orgueil trompe ici, Ne cessent point de se dresser ainsi, Courir tourner, tant qu'ils soient agités Contre les bords de leurs félicités. C'était assez que l'orgueil pour Antoine Précipiter avec sa pauvre Reine, Si les amours lascifs et les délices N'eussent aidé à rouer leurs supplices : Tant qu'on ne sait comment ces déréglés D'un noir bandeau se sont tant aveuglés, Qu'ils n'ont su voir et cent et cent augures, Pronostiqueurs des misères futures. Ne vit-on pas Pisaure l'ancienne Pronostiquer la petite Antonienne, Qui de soldats Antoniens armée Fût engloutie et dans terre abîmée ? Ne vit-on pas dedans Albe une image Suer longtemps ? Ne vit-on pas l'orage Qui de Patras la ville environnait, Alors qu'Antoine en Patras séjournait, Et que le feu qui par l'air s'éclata, Héraklion en pièces écarta ? Ne vit-on pas alors que dans Athènes En un théâtre on lui montrait les peines, Ou pour néant les serpents-pieds se mirent, Quand aux rochers les rochers ils joignirent, Du Dieu Bacchus l'image en bas poussée, Des vents qui l'ont comm' à l'envi cassée, Vu que Bacchus un conducteur était, Pour qui Antoine un même nom portait ? Ne vit-on pas d'une flamme fatale Rompre l'image et d'Eumène et d'Attale, À Marc Antoine en ce lieu dédiées, Puis maintes voix fatalement criées, Tant de gésiers, et tant d'autres merveilles, Tant de corbeaux, et senestres corneilles, Tant de sommets rompus et mis en poudre, Que montraient-ils que ta future foudre, Qui ce rocher devait ainsi combattre ? Qu'admonestait la nef de Cléopâtre, Et qui d'Antoine avait le nom par elle, Où l'hirondelle exila l'hirondelle Et toutefois en sillant leur lumière N'y voyaient point ce qui suivait derrière ? Vante-toi donc les ayant pourchassés, Comme vengeur des grands Dieux offensés : Éjouis-toi en leur sang et te baigne, De leurs enfants fais rougir la campagne, Racle leur nom, efface leur mémoire : Poursuis poursuis jusqu'au bout ta victoire. Il vaudrait mieux dessus elle veiller, Sonder, courir, épier, travailler, Que du berger la vue gardienne Ne s'arrêtait sur son Inachienne, Que nous nuira si nous la confortons, Si doucement sa faiblesse portons ? Par tels moyens s'envolera l'envie De faire change à sa mort de sa vie : Ainsi sa vie heureusement traitée Ne pourra voir sa quenouille arrêtée : Ainsi ainsi jusqu'à Rome elle ira, Ainsi ainsi ton souci finira. Et quant aux plains, veux-tu plaindre celui Qui de tout temps te brassa tout ennui ? Qui n'était né sans ta dextre divine, Que pour la tienne et la nôtre ruine ? Te souvient-il que pour dresser la guerre Tu fus haï de toute notre terre, Qui se piquait mutinant contre toi, Et refusait se courber sous ta loi, Lorsque tu pris pour guerroyer Antoine, Des hommes francs le quart du patrimoine, Des serviteurs la huitième partie De leur vaillant : tant que jà divertie Presque s'était l'Italie troublée ? Mais quelle était sa plainte redoublée, Dont il tâchait embraser les Romains, Pour ce Lépide exilé par tes mains ? Te souvient-il de cette horrible armée Que contre nous il avait animée ? Tant de Rois donc qui voulurent le suivre, Y venaient ils pour nous y faire vivre ? Pensaient-ils bien nous foudroyer exprès, Pour déplorer notre ruine après ? Le Roi Bocchus, le Roi Cilicien, Archélaüs Roi Cappadocien, Et Philadelphe, et Adalle de Thrace, Et Mithridate usaient-ils de menace Moindre sur nous, que de porter en joie Notre dépouille et leur guerrière proie, Pour à leurs Dieux joyeusement les pendre, Et maint et maint sacrifice leur rendre ? Voilà les pleurs que doit un adversaire Après la mort de son ennemi faire. **** *creator_jodelle *book_jodelle_cleopatre *style_verse *genre_tragedy *dist1_jodelle_verse_tragedy_cleopatre *dist2_jodelle_verse_tragedy *id_PROCULEE *date_1574 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_proculee L'orgueil et la bravade Ont fait Antoine ainsi qu'un Ancelade, Qui se voulant prendre aux Dieux, D'un trait horrible et non lancé des Cieux, Mais de ta main à la vengeance adextre, Senti combien peut d'un grand Dieu la dextre. Que plaignez-vous si l'orgueil justement À l'orgueilleux donne son paiement ? Mais pourrait-elle à Rome être traînée, Vu qu'elle n'a sans fin autre désir, Que par sa mort sa liberté choisir ? Savez-vous pas lorsque nous échelâmes, Et que par ruse en sa Cour nous allâmes, Que tout soudain qu'en la Cour on me vit, En s'écriant une des femmes dit : Ö pauvre Reine ! Es-tu donc prise vive ? Vis-tu encor pour trépasser captive ? Et qu'elle ainsi sous telle voix ravie Voulait trancher le filet de sa vie, Du cimeterre à son côté pendu, Si saisissant je n'eusse défendu Son estomac jà déjà menacé, Du bras meurtrier à l'encontre haussé. Savez-vous pas que depuis ce jour même Elle est tombée en maladie extrême, Et qu'elle a feint de ne pouvoir manger, Pour par la faim à la fin se ranger ? Pensez-vous pas qu'outre telle finesse Elle ne trouve à la mort quelque adresse ? Si bien partout mon devoir se fera, Que mon César de moi se vantera. Ô s'il me faut ores un peu dresser L'esprit plus haut et seul en moi penser : Cent et cent fois misérable est celui Qui en ce monde a mis aucun appui : Et tant s'en faut qu'il ne fâche de vivre À ceux qu'on voit par fortune poursuivre, Que moi qui suis du sort assez content Je suis fâché de me voir vivre tant. Où es-tu, Mort, si la prospérité N'est sous les cieux qu'une infélicité ? Voyons les grands, et ceux qui de leur tête Semblent déjà défier la tempête, Quel heur ont-ils pour, une frêle gloire ? Mille serpents rongears en leur mémoire, Mille soucis mêlés d'effrayement, Sans fin désir, jamais contentement : Dès que le Ciel son foudre pirouette, Il semble jà que sur eux il se jette : Dès lors que Mars près de leur terre tonne, Il semble jà leur ravir la couronne : Dès que la peste en leur règne tracasse, Il semble jà que leur chef on menace : Bref, à la mort ils ne peuvent penser Sans soupirer, blêmir, et s'offenser, Voyant qu'il faut par mort quitter la gloire, Et bien souvent enterrer la mémoire. Ou celui-là qui solitairement En peu de biens cherche contentement, Ne pâlit pas si la fatale Parque Le fait penser à la dernière barque : Ne pâlit pas, non si le ciel et l'onde Se rebrouillaient au vieil Chaos du monde. Telle est telle est la médiocrité Où gît le but de la félicité : Mais qui me fait en ce discours me plaire Quand il convient exploiter mon affaire ? Trop tôt trop tôt se fera mon message, Et toujours tard un homme se fait sage. Ô juste Ciel, si ce grief maléfice Ne t'accusait justement d'injustice, Par quel destin de tes Dieux conjuré, Ou par quel cours des astres mesuré, A le malheur pillé telle victoire, Qu'en la voyant on ne la pourrait croire ? Ô vous les Dieux des bas enfers et sombres, Qui retirez fatalement les ombres Hors de nos corps, quelle pâle Mégère Était commise en si rare misère ? Ô fière Terre à toute heure souillée Des corps des tiens, et en leur sang touillée, As-tu jamais soutenu sous les flancs Quelque fureur de courages plus grands ? Non, quand tes fils Jupiter échelèrent, Et contre lui serpentins se mêlèrent. Car eux pour être exempts du droit des cieux Voulurent même embûcher les grands Dieux, Desquels en fin fièrement assaillis, Furent aux creux de leurs monts recueillis. Mais ces trois ci, dont le caché courage N'eût point été mécru de telle rage, Qui n'étaient point géantes serpentines, En redoublant leurs rages féminines, Pour au vouloir de César n'obéir, Leur propre vie ont bien voulu trahir. Ô Jupiter ! Ô Dieux ! Quelles rigueurs Permets-tu donc à ces superbes coeurs ? Quelles horreurs es-tu fait ores naître, Qui des neveux pourront aux bouches être, Tant que le tour de la machine tienne Par contrepoids balancé se maintienne ? Dites-moi donc vous brandons flamboyants, Brandons du Ciel toutes choses voyant, Avez-vous pu dans ce val tant instable Découvrir rien de plus épouvantable ? Accusez-vous maintenant ô Destins, Accusez-vous ô flambeaux argentins : Et toi Égypte à l'envi matinée, Maudis cent fois l'injuste destinée : Et toi César, et vous autres Romains Contristez-vous, la Parque de vos mains A Cléopâtre à cette heure arrachée, Et malgré vous votre attente empêchée. Ha je ne puis à ce crime penser, Si je ne veux en pensant m'offenser : Et si mon coeur à ce malheur ne pense, En le fermant je lui fais plus d'offense. Écoutez donc, Citoyens, écoutez, Et m'écoutant votre mal lamentez. J'étais venu pour le mal supporter De Cléopâtre, et la réconforter, Quand j'ai trouvé ces gardes qui frappaient Contre sa chambre, et sa porte rompaient : Et qu'en entrant en cette chambre close, J'ai vu (ô rare et misérable chose !) Ma Cléopâtre en son royal habit, Et sa couronne, au long d'un riche lit Peint et doté, blême et morte couchée, Sans qu'elle fût d'aucun glaive touchée, Avec Éras sa femme, à ses pieds morte, Et Charmium vive, qu'en telle sorte J'ai lors blâmée : Aa Charmium, est-ce Noblement fait ? Oui oui c'est de noblesse De tant de Rois Égyptiens venue Un témoignage. Et lors peu soutenue En chancelant, et s'accrochant en vain, Tombe à l'envers, restant un tronc humain. Voilà des trois la fin épouvantable, Voilà des trois le destin lamentable : L'amour ne veut séparer les deux corps, Qu'il avait joints par longs et longs accords : Le Ciel ne veut permettre toute chose, Que bien souvent le courageux propose. César verra perdant ce qu'il attend, Que nul ne peut au monde être contant : L'Égypte aura renfort de sa détresse, Perdant après son bonheur, sa maîtresse : Mêmement moi qui suis son ennemi, En y pensant, je me pâme à demi, Ma voix s'infirme, et mon penser défaut : Ô qu'incertain est l'ordre de là-haut ! Mais que dirai-je à César ? Ô l'horreur, Qui sortira de l'étrange fureur ! Que dira-t-il de mourir sans blessure En telle sorte ? Est-ce point par morsure De quelque Aspic ? Aurait-ce point été Quelque venin secrètement porté ? Mais tant y a qu'il faut que l'espérance Que nous avions, cède à cette constance ? **** *creator_jodelle *book_jodelle_cleopatre *style_verse *genre_tragedy *dist1_jodelle_verse_tragedy_cleopatre *dist2_jodelle_verse_tragedy *id_SELEUQUE *date_1574 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_seleuque Comment, César, si l'humble petitesse Ose adresser sa voix à sa hautesse, Comment peux-tu ce trésor estimer Que ma Princesse a voulu te nommer ? Cuides-tu bien, si accuser je l'ose, Que son trésor tienne si peu de chose ? La moindre Reine à ta loi fléchissante Est en trésor autant riche et puissante, Qui autant peu ma Cléopâtre égale, Que par les champs une case rurale Au fier Château ne peut être égalée, Ou bien la motte à la roche gelée. Celle sous qui tout l'Égypte fléchit, Et qui du Nil l'eau fertile franchit, À qui le Juif, et le Phénicien, L'Arabien, et le Cilicien, Avant ton foudre ore tombé sur nous, Soulaient courber les hommagers genoux : Qui aux trésors d'Antoine commandait, Qui tout ce monde en pompes excédait, Ne pourrait-elle avoir que ce trésor ? Crois, César, crois qu'elle a de tout son or, Et autres biens tout le meilleur caché. Ô Dieux ! Retiens-la, Puissant César, retiens-la donc. Je cours, fuyant l'envenimé courroux. Je ne fuis pas ni César ni ses hommes. Il n'y a rien, sinon l'offense d'une. Non non, mais j'ai notre Reine offensée. Que sert ma faute, ou bien mon innocence ? Dit, il n'apporte à la ville aucun bien. Mais tant y a que jà puni j'en suis. Étant puni plus fort je me dépite, Et jà dans moi je sens une furie, Me menaçant que telle fâcherie Poindra sans fin mon âme furieuse, Lorsque la Reine et triste et courageuse Devant César aux cheveux m'a tiré, Et de son poing mon visage empiré : S'elle m'eût fait mort en terre gésir, Elle eût prévu à mon présent désir, Vue que la mort n'eût point été tant dure Que l'éternelle et mordante pointure, Qui jà déjà jusques au fond me blesse D'avoir blessé ma Reine et ma maîtresse. Ô saint propos, ô vérité certaine ! Pareille aux dés est notre chance humaine.