**** *creator_lachapelle *book_lachapelle_zaide *style_verse *genre_tragedy *dist1_lachapelle_verse_tragedy_zaide *dist2_lachapelle_verse_tragedy *id_ABDERAMEN *date_1681 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_abderamen Savez-vous qu'Alamir a quitté mon armée, Qu'il revient en ces lieux sans mon ordre ? Il faut pour satisfaire à ma juste fureur, De ce présomptueux humilier l'audace : Zulemar, que l'effet devance la menace, Prenez ma Garde, allez l'arrêter aujourd'hui, Qu'une obscure prison me réponde de lui. Arrêtez. Ce n'est pas un avis qu'ici je vous demande, Zulemar, apprenez qu'un Roi lorsqu'il commande, Veut de l'obéissance, et non pas des raisons ; Votre esprit va trop loin chercher de vains soupçons. Prenez ma garde, allez que rien ne vous étonne, Partez, obéissez, c'est moi qui vous l'ordonne. Ah ! Zulemar, que me venez vous dire. Gardes, qu'on se retire ; Abendax, laissez-nous. Quoi qu'ait fait d'Alamir la valeur sans seconde, Eût-il sauvé l'État, fût-il vainqueur du monde, Rien ne l'arracherait aux rigueurs de la Loi, Si le Ciel ne m'avait fait naître que son Roi ; Mais je suis son Rival. Fatime a su me plaire, Voila ce qui suspend la mort d'un téméraire, Que l'on imputerait dans la postérité Plutôt à mon amour qu'à la témérité : Mais lorsque ma colère est à demi calmée, S'il ne va sans me voir retrouver mon armée, Si ce présomptueux ne rentre en son devoir, Si sa présence encor vient braver mon pouvoir, Il n'est auprès de moi rien qui le justifie, Et le moindre refus lui coûtera la vie ; Confident de mon coeur, sûr de mes volontés, Pour instruire Alamir de mes ordres, partez. Songez bien quel devoir vous presse l'un et l'autre, Retourner est le sien, l'y résoudre est le vôtre, Il importe à tous deux d'être exacts : pensez y, C'est ce qu'ordonne un Roi qui veut être obéi. Observez le silence, Alamir ; votre orgueil demande ma présence, Je l'accorde, je fais ce que vous souhaitez, Mais avant qu'expliquer vos raisons, écoutez. Vous êtes grand, fameux, mille exploits pleins de gloire Affleurent de vos jours l'éclatante mémoire. Vous avez cru peut-être en violant les lois ; Qu'elles devaient se taire au bruit de vos exploits : Mais non, plus les sujets sont prés des diadèmes, Plus un devoir exact doit régner sur eux-mêmes. De l'Univers entier observez ; c'est sur eux Que les Rois pour donner des exemples fameux Avec plus de splendeur signalent leurs puissances, Par des punitions ou par des récompenses. Si j'avais voulu croire un trop juste courroux, Votre retour m'offrait ce grand exemple en vous ; Mais vos rares vertus, et ma reconnaissance Avaient de mes transports calmé la violence, Sans examiner rien je vous faisais partir, Il ne vous en aurait coûté qu'un repentir : Vous n'avez pas daigné profiter de ma grâce, Au contraire à cet offre augmentant votre audace, Vous avez demandé fièrement à me voir. Me voici ; votre sort n'est plus en mon pouvoir, Aux lois de mon État il faut que j'obéisse, Que je vous récompense, ou que je vous punisse. Voila ce qu'ont produit vos désirs imprudents, Il suffit ; à présent parlez, je vous entends. De ces vaines couleurs je crois peu l'apparence ; Mais de tous vos desseins je connais l'innocence : Alamir mon esprit étouffe les soupçons, Et cède à la bonté plutôt qu'à vos raisons ; Je répandrai sur vous tant de biens, tant de gloire Que de votre disgrâce on perdra la mémoire : Mais suivi désormais du peuple et des soldats, Que vous verrez marcher en foule sur vos pas, Dés ce jour même, allez rejoindre mon armée Et faites pour mon choix parler la renommée. Elle est digne de vous, vous êtes digne d'elle Vous mérités sans doute un objet si charmant ; Alamir, mais le Ciel en dispose autrement, Et pour vous dire tout, une loi souveraine, Pour jamais vous sépare, et la fait votre Reine. Je l'épouse étouffant votre espoir, Ce n'est plus qu'en sujet que vous la devez voir. J'ai prévu vos douleurs, j'en ai senti l'atteinte, Pour fermer contre moi votre bouche à la plainte, Longtemps à mes désirs je me suis opposé : Mais j'aime, je suis Roi. Dieux ! Qu'il est mal aisé, Lors que l'amour sur nous règne avec violence, De ne se pas servir de toute sa puissance ; Mais enfin pour m'ôter le nom de Prince ingrat, Alamir disposez, de moi, de mon État, Souhaitez, demandez, épuisez ma puissance, Il n'est rien au dessus de votre récompense. Je vous entends, je vois ce que vous pouvez faire. Je saurai profiter de cet aveu sincère. Pensez-y. Tandis que mes sujets sont dans l'étonnement, Et d'un jour si pompeux craignent l'événement : Souffrez que sans témoins je vous parle, Madame, Et vous découvre ici les secrets de mon âme. Je vous aime : Mes soins, mes regards, mes soupirs, Ont malgré moi sans doute expliqué mes désirs ; Mais jusqu'ici ma bouche auprès de vous muette, D'aujourd'hui seulement en devient l'interprète. Non qu'une crainte indigne, et de vous et de moi, Ait pu vous disputer l'amour de votre Roi : Mais comme l'État doit régler nos hyménées, Les passions des rois sont toujours soupçonnées : Lorsqu'aucun intérêt n'appuyant leurs projets, On les voit adorer le sang de leurs sujets. J'ai craint qu'on n'imputât mes plus tendres hommages, Au fol empressement de ces ardeurs volages, Qui ne font naître en nous que d'injustes désirs, Et qui n'ont pour objet que de faibles plaisirs. Madame à votre Roi votre gloire était chère, Je me suis fait pour elle une loi de me taire. Je parle maintenant, et veux que ce grand jour Par un heureux hymen, vous prouve mon amour. Je pénètre aisément d'où naît votre embarras : Pour le sort d'Alamir dont le coeur vous adore, Une juste pitié vous sollicite encore. Vos regards attendris n'envisagent mon rang, Que comme un triste honneur cimenté de mon sang. Vous avez pu savoir que sa coupable audace, Désormais devant moi ne trouve plus de grâce. Que la mort va l'ôter du nombre des humains : Mais n'appréhendez rien, sa grâce est en vos mains : Oui, lorsqu'à mon destin vous allez être unie, Je veux qu'en vous perdant il vous doive la vie, Et qu'ainsi le pardon d'un fameux criminel, Attache à votre règne un honneur éternel. Je vous ai réservé cette grâce éclatante : Connaissez le bonheur que le sort vous présente. Combien est-il de rois comblés d'ans et d'honneurs, Qui par mille bontés ont charmé tous les coeurs, Et n'ont pu sur le trône élevés dès l'enfance, Sur d'aussi grands sujets signaler leur clémence. Venez donc à l'autel en me donnant la foi, Vous assurer.... Quand vous allez régner, lorsqu'un roi qui vous aime, Remet entre vos mains avec son diadème, Le sort d'un orgueilleux qu'il a droit de punir, Quand tout doit vous presser, qui vous peut retenir ? Ne vous informez point de ce qu'on pourra croire, C'est à moi d'avoir soin de mon rang, de ma gloire ; Et c'est à mes sujets sans s'en inquiéter, De voir mes passions, et de les respecter. A ce suprême honneur que je prétends vous faire, Madame, j'avais cru vous trouver moins contraire ; Si c'est trop m'abaisser, que d'être votre époux, Je ne m'attendais pas d'en être instruit par vous. Ce conseil généreux part d'un coeur magnanime, Mais ce coeur, est-ce enfin la gloire qui l'anime. Des intérêts plus chers n'y sont-ils point mêlez ? N'enveloppe-t-il point d'autres secrets... Parlez, Madame, et sans détour que votre coeur s'explique. Oui je puis perdre le téméraire, Qui m'ose disputer le bonheur de vous plaire. Le succès de mes feux décide de son sort ; Cet aveu, vos refus précipitent sa mort. Songez-y ; sur ce point c'est à vous de résoudre, Vous n'avez qu'un moment pour retenir la foudre. Gardes à moi. Encor un coup parlez. Les juges au Sénat par mon ordre assemblez, Sur le sort d'Alamir attendent ma réponse, Quel arrêt voulez-vous que ma bouche prononce C'est de vous que dépend ou sa vie ou se mort. C'est trop par vos refus exciter mon courroux. Allez porter mon ordre au Sénat tout à l'heure. Zulemar. Alamir est coupable, qu'il meure. En sa faveur elle ose rejeter Le Sceptre que ma main vient de lui présenter. Un sujet insolent accablé de ma haine, Dont l'univers sans moi se souviendrait à peine : À mon sceptre, à mon rang se verra préféré ; Ils pourront me braver, et je le souffrirai ? D'une ingrate, d'un traître il faut que je me venge ; Qu'il expire à ses yeux, je l'ordonne. Vous vous chargez trop tôt du soin de le défendre, Pour me faire douter de ce qu'il veut m'apprendre. Vos yeux épouvantés, votre front interdit, Ne confirment que trop ce que sa bouche a dit. Vous l'aimez, je le vois, Princesse trop ingrate, Et plus vous le niez, plus votre amour éclate. Pour toi que mes bienfaits prodigués chaque jour, Ingrat avaient rendu le premier de ma Cour ; Pour toi qui de mon coeur trahis la confidence, N'espère pas que rien t'arrache à ma vengeance. Tu périras. Grands Dieux ! Tout me dédaigne ainsi, tout m'abandonne ! Le plus affreux trépas n'a rien qui les étonne : Quel est donc mon malheur ? Quel destin envieux Me rend quoi que je fasse à ce point odieux, Un ingrat que mon coeur de ses bontés honore, Une cruelle, enfin que j'aime, que j'adore, Conspirent l'un et l'autre à me percer le coeur : Mais qui vient en ces lieux ? Que me veux-t-on ? Il suffit, qu'on le fasse venir. Pensez-vous que cédant à vos lâches envies, Je vous laisse jouir de tant de perfidies ? Vous n'insulterez point au malheur de mes feux. Qu'en leurs appartements on les garde tous deux. Rendez grâces au Ciel, dont la bonté m'éclaire, Alamir, et dissipe une injuste colère. Vous n'êtes point coupable, on nous trahit tous deux : Zulemar est le seul qui s'oppose à mes voeux ; Mais enfin oublions tous les sujets de plainte, Rentrez dans ma faveur sans retour et sans feinte : Amant abandonné malheureux comme moi. Excusez mes transports, et plaignez votre Roi. Soyez plus que jamais l'appui de ma Couronne. Vivez pour mon état, pour moi, je vous l'ordonne. Vous vivrez Alamir, et toujours triomphant, Vous rendrez par vos soins mon règne florissant : Cependant je veux bien dans un aveu sincère, Exposer à vos yeux mon âme toute entière. Zulemar plus que vous occupait ma faveur, Il savait mes secrets, il régnait dans mon coeur, Il ne vous y laissait qu'une stérile estime ; Qui l'eut cru ? Cependant il adorait Fatime, Il s'en faisait aimer, et mes feux offensés Allaient seul vous punir des maux qu'il a causés. Vengez-vous, vengez-moi d'une erreur si funeste, Il est sorti d'un sang que le vôtre déteste, Vous auriez triomphé déjà sans ma pitié ; Le parti des Zegris était humilié, Et j'ai craint que le sort en éteignant leur race À celle des vainqueurs n'inspirât trop d'audace ; Mais enfin, c'en est fait, je n'écoute plus rien, Je prends votre parti, j'abandonne le sien. Non ne me quittez pas : du destin d'un perfide. Je veux à votre tour que votre avis décide, Venez donc en résoudre, et contre cet ingrat, Faisons de notre haine un intérêt d'État. Levez-vous. De l'amour à mon coeur la faiblesse est trop chère, Pour ne pas pardonner les fautes qu'il fait faire, Alamir à ses voeux cesse de résister ; Vois par où sa tendresse a su te mériter : Qu'entre vos deux partis la haine soit bannie, Accepte son hymen, c'est ton Roi qui t'en prie. Ne perdons point de temps, viens, suis-moi dans le temple, Les Dieux t'inspireront sans doute, et mon exemple. Vous, Madame, quittez ce vain déguisement, Donnez à votre sexe un plus digne ornement : Étouffez désormais une honte timide, Et vivez dans ma Cour sous le nom de Zaïde. **** *creator_lachapelle *book_lachapelle_zaide *style_verse *genre_tragedy *dist1_lachapelle_verse_tragedy_zaide *dist2_lachapelle_verse_tragedy *id_FATIME *date_1681 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_fatime Dois-je croire, Seigneur, ce que m'apprend le Roi : Alamir s'est trouvé digne de votre estime, Vous opposez vos soins au destin qui l'opprime ; Je veux bien l'avouer, je tremblais pour ses jours ; Mais le Roi s'est laissé fléchir à vos discours, Achevez, détournez le coup qui le menace. Moi, Seigneur ? Les bontés, les bienfaits, l'empressement du Roi, Le temps que chaque jour il passe auprès de moi : Ses regards, ses soupirs, et son silence même, Tout me dit, tout m'apprend, tout confirme qu'il m'aime : Cependant oserai-je à votre esprit discret, De mon bizarre sort confier le secret ? Le Ciel ne m'a point fait une âme ambitieuse, Et l'espoir de régner ne me rend point heureuse. Le Roi m'accable en vain, de biens à tous moments, Je ne sens point pour lui ces tendres mouvements, Dont les amants se font de douces habitudes, Soins de plaire, transports, craintes, inquiétudes, Je souffre sans regret qu'il s'éloigne de moi ; Mon âme est sans plaisir lorsque je le revois, Distraite auprès de lui, tranquille en son absence, Ce qu'il dit, ce qu'il fait ne me plaît ni m'offense ; Non que rien ait caché son mérite à mon coeur, L'air grand, jeune héros, tendre amant, Roi vainqueur ; Je connais tout le prix de sa personne auguste, Et mon aveugle erreur ne me rend point injuste ; Mais qui peut de l'amour éviter le poison ? L'âme est-elle toujours soumise à la raison ? Le Roi par ses bienfaits n'aspire qu'à me plaire ; Je le vois, je le sais ; tout ce que je puis faire, C'est malgré mon penchant de voir avec ennui Les faiblesses d'un coeur qui n'est pas fait pour lui. Oui, Seigneur, il a su me toucher, Il m'a plu, je ne veux, je ne puis m'en cacher, Sa grande âme a la gloire uniquement sensible, Au milieu des flatteurs, constante, incorruptible, Cette droite vertu, cette intrépidité, Ce mépris des honneurs, cette sincérité : Enfin mille raisons me le rendaient aimable, Je croyais mon amour, fidèle, inviolable ; J'en attestais des Dieux le pouvoir absolu, Mes yeux, alors, mes yeux ne vous avaient pas vu. L'aveu qu'ici je vous confie, Offense le devoir, blesse la modestie : Avant que d'en venir à cette extrémité, Quels efforts, quels combats ne m'a-t-il point coûté. Croyez, lors que l'amour prend sur nous trop d'empire, Qu'il n'est rien qu'on ne souffre avant que de le dire ; Un destin rigoureux m'entraîne malgré moi. Mais n'en redoublez point le trouble où je vous vois : Si j'ai trop de mes feux montré la violence, Je saurai m'en punir par une longue absence, Et mon coeur trop sensible à ces folles amours, Vous les dit une fois pour les taire toujours. Que vois-je, est-ce Alamir, en croirai-je mes yeux ? Sans suite, sans éclat, quel retour, quel silence ! Qu'est devenue enfin cette magnificence, Ces lauriers, cette Cour, ce peuple, ces soldats, Dont la foule autrefois accompagnait vos pas : Ah ! Seigneur, si c'est vous, après votre victoire ! Où sont tous ces témoins pour me le faire croire ? Moi, Seigneur ? Mais du courroux du Roi, qui pourra vous défendre ? Sur son autorité vous semblez entreprendre, Sans son ordre il vous voit revenir en ces lieux, Lorsque vous paraîtrez tantôt devant ses yeux, Qu'à vous interroger il descendra lui-même : Que lui répondrez-vous, Seigneur ? Ne vous y fiez pas, cet amour vous perdra. Vous le dirai-je enfin, quittez un lieu funeste ; De votre vie, ailleurs allez porter le reste, Sous un Ciel plus serein, loin de vos envieux, Courez mettre à l'abri des jours si précieux. On ne voit plus régner ici que l'injustice, Fuyez, abandonnez une Cour où le vice N'expose à vos regards que des coeurs corrompus. Que dites-vous ? Quelle est l'erreur où je vous vois ? C'est trop vous affermir dans cette confiance, Ici trop de malheurs ont suivi votre absence, Et je ne me sens point assez de fermeté, Pour cacher à vos yeux la triste vérité, Vous avez en ces lieux, Seigneur, qui l'eût pu croire, Des rivaux pour l'amour, ainsi que pour la gloire. Par le trouble où je suis, jugez de ma douleur, Et pour ne point moi-même affliger votre coeur, Souffrez que je vous cache un ennui qui m'accable. Du destin d'Alamir, Seigneur, daignez m'instruire ; Vous venez de le voir, que vous a-t-il pu dire, Aux volontés du Roi ? S'est-t-il enfin rendu ? Qu'en doit-t-on espérer ? Moi ? Que pour Alamir j'aille parler au Roi ? Si le penchant secret que ce Prince a pour moi Lui fait tout accorder, si j'en obtiens ce gage, Songez-vous bien, Seigneur, où sa bonté m'engage ? Ah ! Que me dites vous ? Quoi ma bouche cruelle L'accablerait encor d'une douleur mortelle : J'irais lui révéler mon infidélité ; Que me demandez-vous, à quelle extrémité ? Portez-vous de mon coeur l'innocence tendresse ? Ah ! De grâce, Seigneur, épargnez ma faiblesse ! Moi lui dire son sort, ignorante du mien ? Hélas ! Suis-je en état de l'instruire du sien ? Non il vaut mieux suivant ma triste destinée, Aller traîner ailleurs ma vie infortunée : De souffrir mon départ, je vais presser le Roi, Venez, Seigneur, venez vous joindre avecque moi. Ici par mon exil tout changera de face ; Alamir obtiendra facilement sa grâce : L'équitable raison éclairera le Roi, Chacun sera content, tout sera calme : Et moi Je fuirai des regards que ma présence gêne, Et qui sur moi, Seigneur, ne tombent qu'avec peine. Au nom des Dieux ne me résistez pas, Je sais que ce dessein avance mon trépas ; Mais cette vie, hélas ! que chacun tient si chère , Ne me plaisait qu'autant qu'elle pouvait vous plaire ; Et puis que rien en vous ne flatte mon espoir, Je vais priver mes yeux du plaisir de vous voir. Ah ! que viens-je de voir ? Seigneur, le Roi vous quitte. Le front triste, la vue égarée, interdite, Ses regards menaçants où règne la fureur. Aux coeurs les plus hardis impriment la terreur, Que je crains pour vos jours, l'orage qui s'apprête De ces terribles coups détournez votre tête, Encor un coup quittez ces détestables lieux. Seigneur, de tous les soins que l'amour vous suggère, Le plus pressant pour vous, et le plus salutaire, C'est de partir. Où me vois-je réduite ? Grands Dieux ! que mon destin est affreux, est cruel ; Quand la honte m'impose un silence éternel, Le tyrannique honneur me défend de me taire, L'un et l'autre à mon coeur parle d'un ton sévère ; Mais de mille malheurs dut le Ciel m'accabler, Le péril est trop grand, trop proche, il faut parler : Sortez, Seigneur, sortez de l'erreur où vous êtes ; Apprenez qui je suis, voyez ce que vous faites : Cessez de fuir pour moi tant de prospérités, Rebelle à vos désirs, ingrate à vos bontés ; Indigne pour jamais du feu qui vous anime ; Je ne mérite plus vos voeux ni votre estime. Les Dieux, les cruels Dieux jaloux de mon bonheur, Se sont fait un plaisir de verser dans mon coeur Un poison, dont soudain la funeste puissance A noirci de mes jours, a détruit l'innocence. L'état où je vous vois m'arrache cet aveu Oubliez tout de moi, jusqu'à mon nom : Adieu. Pour quel dessein fait-on des apprêts si contraires, Et qui m'expliquera ces funestes mystères : Qui livrent mon esprit à de cruels soupçons ? Seigneur de vos projets, étonnée, interdite, Je ne puis vous cacher le trouble qui m'agite, Tant de soins, tant d'honneurs que je n'attendais pas... Seigneur, qu'exigez-vous de moi ? Si vous perdez pour moi le soin de votre gloire ; Seigneur, dois-je pour vous en perdre la mémoire. Quel est votre dessein, lors que de toutes parts, Votre hymen souhaité suspend tous les regards ; Quand l'Afrique vous offre avecque ses princesses. Le secours de ses rois, ses ports et ses richesses. De ce pompeux hymen vous voulez m'honorer, Moi qui de tout l'éclat dont je puis me parer, Ne compte que l'honneur d'être votre sujette, Pour vos seuls intérêts, pour vous-même inquiète, Souffrez que je m'oppose à cet aveugle amour : Que croiraient vos sujets, que dirait votre cour ? Vous me le commandez, j'obéis sans réplique, On ne peut rien cacher aux rois, non plus qu'aux Dieux. Si le Ciel sur le trône avait mis mes aïeux, J'aurais fait mes plaisirs, j'aurais fait mon envie, D'assurer le bonheur de votre illustre vie : J'aurais tout employé pour mériter le choix, Seigneur, du plus parfait, et du plus grand des rois. Mais dans un rang plus bas, réduite dés l'enfance, Mon coeur s'est fait un choix conforme à ma naissance, Pour un de vos sujets. L'amour l'a su toucher, C'est en vain qu'à vos yeux je voudrais le cacher : Si malgré cet aveu votre amour persévère, Si le don de ma main peut encore vous plaire, Vous n'avez qu'à parler, elle est à vous, Seigneur : Mais quand je ne vous puis répondre de mon coeur, Pourriez-vous... Le Ciel qui vous a fait le maître de son sort, Daigne de ce héros vous prouver l'innocence, Mais n'attendez de moi qu'un malheureux silence : Le don de notre coeur ne dépend point de nous. N'en croyez pas, Seigneur, un sujet trop fidèle, Qui voulant à l'État conserver un appui, Se rend auprès de vous coupable au lieu de lui. Hé, bien pour m'avoir trop su plaire, Seigneur, pour avoir fait un aveu trop sincère Des sentiments d'un coeur qui n'eût pu le trahir, On vous fait donc coupable, et vous allez mourir. Moi qu'à l'ambition j'abandonne mon âme ? Que je vous laisse en proie aux fureurs... Non, vous ne mourrez point, quittez cette pensée, Ma vie à vous sauver est trop intéressée, Votre grâce, dit-on, dépend encor de moi, Je n'ai pour l'obtenir qu'à feindre auprès du Roi, Qu'à demander du temps pour l'hymen qu'il souhaite ; Nous choisirons après quelque sûre retraite. Pour nous venger de lui tout nous sera permis, J'ai du pouvoir ici, vous avez des amis, Assistez d'eux sans bruit, quittant ce lieu funeste... C'est assez m'expliquer, vous entendez le reste. J'envisage en tremblant une telle action, Et vos yeux sont témoins de ma confusion ; Mais enfin pour sauver une teste si chère Je ne ménage rien. J'y cours. **** *creator_lachapelle *book_lachapelle_zaide *style_verse *genre_tragedy *dist1_lachapelle_verse_tragedy_zaide *dist2_lachapelle_verse_tragedy *id_ALAMIR *date_1681 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_alamir Non, ne nous flattons point d'une vaine espérance, Plus mes exploits sont grands, plus mon retour l'offense ; J'ai vaincu, mais je viens sans son ordre en ces lieux, Et je ne montre enfin qu'un coupable à ses yeux, Je ne m'aveugle point sur ma triste conduite, Je sais quel est mon crime, et j'en prévois la suite ; Mais qu'il me fasse grâce, ou m'envoie à la mort, Je verrai du même oeil et l'un et l'autre sort. Non, le trouble où tu vois que mon coeur s'abandonne, N'est point d'un malheureux que le supplice étonne ; Mais de tant d'ennemis, triomphant et vainqueur, Puis-je me regarder moi-même sans douleur ? Lorsqu'il faut qu'un pardon honteux à ma mémoire, Soit pour sauver mes jours le prix de ma victoire, Vous qui prenez plaisir à former de vos mains Quelques mortels plus grands que les autres humains. À quelles passions, Dieux ! À combien d'outrages. Sans cesse exposez-vous vos plus nobles ouvrages. Gazul on nous élève au rang des immortels, Partout à nos vertus on dresse des autels, Mais hélas ! Tôt ou tard nous détrompons les hommes, Et toujours quelque faible apprend ce que nous sommes : De cette triste loi, moi-même à nos neveux, Cher ami, je vais être un exemple fameux, J'abandonne l'armée, et je trahis ma gloire, Pour des raisons qu'un jour on aura peine à croire. Tu fais à ma faiblesse encore trop d'honneur, L'ambition n'est pas ce qui trouble mon coeur : Je suis, je l'avouerai jaloux de cette gloire, Qui fait vivre à jamais les grands noms dans l'Histoire. Dés ma plus tendre enfance ennemi du repos, Je me suis proposé l'exemple des héros, Pour la faveur des rois qu'au gré de leurs caprices, Ils accordent souvent à de légers services ; J'en cède l'avantage aux moindres courtisans, Qui savent mieux que moi prodiguer leurs encens : Je n'ai point cru flatté d'un espoir téméraire, Être seul à l'État, et toujours nécessaire Pour commander l'Armée, et dispenser ses lois. Le Roi peut honorer Zulemar de son choix, On ne me verra point par de secrètes brigues, De l'heureux favori détruire les intrigues ; Son crédit n'aura rien de chagrinant pour moi, Et ma seule vertu me tiendra lieu d'emploi, Tels sont mes sentiments, telle est ma politique, Et je pense en effet ce que ma bouche explique. Cependant ce coeur plein de ces grands sentiments, A toutes les erreurs des plus faibles amants ; Oui, dans ces lieux, Gazul, c'est l'amour qui m'entraîne, Captif, trop glorieux pour une telle chaîne. Non, je ne rougis pas D'avoir d'une Princesse adoré les appas : Il n'est point de vertu que l'amour ne surmonte, Fatime m'écoutait, j'ai pu l'aimer sans honte, Mais que l'amour sur moi prenne tant de pouvoir, Qu'une crainte, un soupçon m'arrache à mon devoir, C'est-là le seul moyen que je prête à l'envie, Pour ternir quelque jour tout l'éclat de ma vie. Quelque affreux changement qu'apporte mon retour, Vous me voyez, Madame, avec le même amour ; L'honneur de vous revoir est le seul où j'aspire Heureux, et plus heureux que je ne vous puis dire ; Si de ce prompt retour vous approuvez l'ardeur, Et si je vous retrouve avec le même coeur. Jusqu'ici j'ai tout fait pour la gloire, Madame, après avoir assuré ma mémoire : Cherchant à respirer, ne pourrai-je un moment Paraître moins vainqueur, pour être plus amant. Que je vous aime. L'Amour a fait mon crime, il me justifiera. Le vôtre ne l'est point, que voudrais-je de plus ? Dussai-je en cette Cour trouver la mort certaine, D'eût m'accabler le Roi d'une implacable haine, Quand je verrais pour moi tous les coeurs sans pitié, Rien ne m'affligerait que votre inimitié ; Certain de vos bontés sur qui je me repose, Quoi que fasse le Ciel contre moi, quoi qu'il ose, J'ai tant de confiance en vous, en votre foi : Ah! Gazul, mon soupçon n'est que trop véritable, Lorsqu'un bruit incertain m'apprit qu'en cette Cour, Un Rival dangereux traversait mon amour : De ses premiers transports mon âme revenue, Zulemar fut le seul qui s'offrit à ma vue ; Son crédit près du Roi, ses nouvelles grandeurs, Cette haine, Gazul, qui divise nos coeurs, Tout me le dit, percé d'une douleur trop vive, J'abandonne mon camp, ma gloire, tout, j'arrive, Ce soupçon par Fatime est enfin confirmé, N'en doutons point, il l'aime. De l'amour la faiblesse est commune ; Les yeux les mieux fermés s'ouvrent à la fortune, D'un favori naissant, l'éclat est séducteur, Mais je connais Fatime, et réponds de son coeur, Son trouble, ses regards, ses discours, son silence, Tout m'apprend les combats rendus en mon absence, Pour me garder un coeur qu'elle sait qui m'est dû, Mais allons cher Gazul, où je suis attendu : Quoi que de Zulemar le pouvoir soit extrême, Mes exploits prés du Roi parleront pour moi-même, Il me rendra l'estime acquise à mon devoir. Entrons. À moi ? A cette indignité, Dieux, me réserviez-vous ? Quand viendra-t-il ? Zulemar, car enfin éloigné de ces lieux, Je n'ai point encor su tes titres glorieux. Le Roi pour mon retour prévenu de colère, De son pouvoir sur moi t'a fait dépositaire : Tu le dis, mais enfin pour m'offrir ton secours. Pour te voir en effet l'arbitre de mes jours, Apprends moi quels exploits t'ont rendu remarquable ? Et qu'a fait jusqu'ici ton bras de mémorable ? De cent jeunes beautés qui brillent à la Cour ; Frivole adorateur tu sais faire l'amour ; Et c'est enfin sur quoi tout ton orgueil se fonde. Mais puisqu'à tes bontés il faut que je réponde : Écoute et suis l'avis que je vais te donner, À m'offrir ton appui cesse de t'obstiner, Ton indigne pitié me ferait trop d'outrage, Montre-toi vrai Zegri, contre un Abincerrage ; L'honneur le plus certain et le plus grand pour toi, C'est d'être l'ennemi d'un homme tel que moi. Rien. Si savoir mes desseins est son ordre suprême : Me voila prêt, il peut m'interroger lui-même ; Pourquoi m'évite-t-il ? Si le sort envieux M'avait fait en vaincu retourner dans ces lieux ; Dis moi que ferait-t-on de plus pour me confondre ? Enfin ce n'est qu'au Roi que je prétends répondre, Et je verrai couler sans regret tout mon sang, Plutôt que de rien faire indigne de mon rang. Adieu. Seigneur... Seigneur, je ne veux point chercher pour ma défense Tout ce qui peut ici demander ma présence ; J'aurais mille raisons pour me justifier, Si sur de tels secours je voulais m'appuyer ; Je l'avoue, et ma gloire en ce moment blessée Ne me punit que trop d'une ardeur insensée... J'aime : si de l'amour les trop puissantes Lois, Dans toutes leur rigueur pressaient le coeur des rois ; Si de son ascendant vous connaissiez l'empire, Pour paraître innocent je n'aurais rien à dire. Oui, Seigneur, entraîné par ce fatal pouvoir, J'ai violé les lois, j'ai trahi mon devoir ; J'ai mérité la mort, et perds toute espérance, Si la justice en vous ne cède à la clémence, Peut-être aurais-je pu, fier d'un peu de bonheur Raconter mes exploits pour toucher votre coeur ; Vous dire que mon bras, grâces aux Dieux propices, A su rendre à l'État d'assez heureux services, Et que mon sang pour vous répandu mille fois Doit affranchir mon sort de la rigueur des Lois. Mais qu'ai-je fait, Seigneur, dont l'honneur de le faire Dans le même moment, n'ait été le salaire. Vos ordres, il est vrai, me pressaient de partir, Mais à ne vous point voir je n'ai pu consentir. Non, Seigneur, qu'obstiné dans ma coupable audace, J'aie approuvé mon crime, et refusé ma grâce ; Votre seul intérêt a pu dans votre Cour Pour quelque temps encor prolonger mon séjour. Objet infortuné d'une haine trop juste, Malheureux et privé de votre aspect auguste. Aurais-je osé, Seigneur, commander vos soldats ? Auraient-ils désormais voulu suivre mes pas ? Lors qu'un camp empressé nous sert et nous révère, C'est vous seul, c'est son Roi qu'en nous il considère, Et qui d'un favori veut bien suivre les lois, D'un malheureux banni me connaîtrait la voix. Par une grâce encor daignez combler mes voeux : La Princesse Fatime est l'objet de mes feux, Permettez qu'à jamais une foi mutuelle... Quoi, Seigneur... Surpris, saisi, frappé de ce que j'entends dire, Dans mon étonnement à peine je respire : Vous mon rival, c'est vous qui m'enlevez la foi... D'un coeur dont tous les voeux auraient été pour moi ; Avant que ma douleur ait franchi les limites, Des inhumaines lois à mon respect prescrites : Permettez-moi d'aller dans de sauvages lieux Me plaindre en liberté de mon sort et des Dieux. Qu'ai-je affaire, Seigneur, de rang, de dignités ? Et quel bien peut payer le coeur que vous m'ôtez ? Fatime est l'objet seul pour qui j'aimais la vie, C'était tout mon espoir, vous me l'avez ravie : Je n'écoute plus rien, promesse ni danger, Je n'ai plus rien à craindre, et rien à ménager. Ah ! Quand de mes exploits vous perdez la mémoire, Si je perdais aussi tout le soin de ma gloire, Chef de tant de soldats, et tant de fois vainqueur, Qu'aisément je pourrais mériter mon malheur. Qu'ai-je à craindre en l'état où je suis : Est-il quelques malheurs plus grands que mes ennuis ? Mon maître est mon Rival, il m'enlève Fatime : Roi barbare, crois-tu jouir de son estime ? Crois-tu toucher son coeur, non ne t'en flatte pas. Ton trône, ta grandeur, tes soins n'ont point d'appas. Qui puissent de son âme effacer la mémoire, De tout ce qu'elle doit à ma flamme, à sa gloire, Je la connais ; certain que ses voeux sont pour moi. Je me tiens beaucoup moins infortuné que toi. Non, Madame, il m'est doux de mourir à vos yeux, Pour rendre à mes regards, ce séjour formidable, Pour me faire quitter cette Cour détestable, Il faudrait qu'un rival occupant votre coeur, Eût contre moi changé votre amour en horreur : J'irais cacher ailleurs ma honte et ma faiblesse, Mais tant que je serai sûr de votre tendresse, On ne me verra point inquiété, surpris, Fuir, craindre des malheurs, dont Fatime est le prix. Hé bien, Madame, je vous crois ; Vous l'ordonnez, je parts, mais partez avec moi. Venez suivant l'amour que l'honneur autorise, M'assurer de la foi que vous m'avez promise. Allons en d'autres lieux cacher notre malheur : Vous ne répondez rien, et changez de couleur, Que présage à mes yeux ce silence timide ? Croyez-vous qu'Alamir soit un lâche, un perfide, Qui...Non vous n'avez point ce doute injurieux, Vous suivrez un époux approuvé par les Dieux : Pourquoi craindre, pourquoi soupçonner ma conduite. Ma Princesse, parlez. Où suis-je, juste Ciel ! L'ai-je bien entendue ? Fatime se déclare infidèle à ma vue. Des malheurs que tâchaient de prévenir mes soins : Hélas ! voila celui que je craignais le moins ! Lorsque je la croyais de moi seul occupée. La cruelle... Mon épée ? À quel trouble honteux s'abandonne mon coeur ! Tenez. Il suffit, je rends grâce, Osmar, à vos bontés. Marchez, conduisez-moi, je vous suis. Tu me braves encor : Poursuis dans cette audace. L'ordre de m'arrêter est conduit prudemment. Si tu l'avais osé devancer d'un moment, Mon bras t'eût épargné les peines que te donne, Le soin qu'auprès du Roi tu prends de ma personne. Si j'étais libre enfin, ton insolente voix Ne m'insulterait pas une seconde fois. Qui moi ? d'une Zegri je deviendrais l'époux ? Eut-elle à me donner tout l'Empire du monde, En esprit, en beauté, fut-elle sans seconde ; Son coeur d'un tendre amour fut-il épris pour moi, C'est assez qu'elle soit du même sang que toi. Pour mettre dans mon coeur, pour allumer contre elle Une haine invincible, une horreur éternelle : Que dis-je, en écoutant l'offre que tu m'en fais, Je la déteste encor plus que je ne te hais. Je ne veux rien apprendre. Assez, et trop longtemps j'ai souffert à t'entendre. Gardes délivrez-moi d'un objet odieux. Je reçois le pardon que vous me présentés, Et je veux bien devoir ma grâce à vos bontés ; Seigneur ; non qu'en l'état où ma vie est réduite, La mort soit désormais un malheur que j'évite : Heureux si prévenant mon funeste retour, Elle m'eut épargné la honte de ce jour. Je ne le cèle point, contraint à vous déplaire, Sans en être étonné j'ai vu votre colère. Ce n'est point aux mortels nourris dans les combats À demander au Ciel d'éloigner leur trépas. Quand les bras affaiblis gémissent sous les armes, Pour un héros, Seigneur, la vie a peu de charmes, L'exemple en est commun, des plus fameux guerriers, Un long âge a souvent flétri tous les lauriers, Sous un chef chargé d'ans la fortune se lasse, Et quitte un Général que la vieillesse glace. Avecque trop d'éclat jusqu'ici j'ai vécu, En mille lieux divers sous vos lois j'ai vaincu, Dans le même bonheur incertain de poursuivre, Je puis mourir trop tard, et je crains de trop vivre. Prêt à souffrir des Lois les dernières rigueurs, À quitter une vie assez pleine d'honneurs, Par ces raisons, Seigneur, je rassurais mon âme. Je mourais il est vrai par une main infâme ; Mais dans tous les esprits le crime d'un amant N'est pas crime, ou du moins se pardonne aisément, Et d'un indigne sort quelque soit le caprice, La honte est dans le crime, et non dans le supplice. Ordonnez qu'à vos yeux nos haines s'assouvissent, Et qu'en un seul combat nos démêlés finissent, Je saurais me venger : et si pour moi , Seigneur, Un reste de bonté touche encor votre coeur, Permettez qu'aussitôt, las de tant d'infortune, J'achève loin de vous une vie importune, Et que de tous côtés, trahi, désespéré, Je cache les ennuis dont je suis déchiré. Non, j'obéis au Roi qui veut que je te vois, Quoiqu'il doive punir ton amour indiscret, Il condamne au trépas ta jeunesse à regret, À ta grâce sans peine, on le verra souscrire, Mille autres de sa part auraient pu te le dire, Mais voulant par mes soins m'acquitter envers toi, Moi-même auprès de lui j'ai brigué cet emploi. Pour garantir tes jours d'un indigne supplice : Crois moi, de ton amour fais lui le sacrifice, Dans une folle ardeur cesse de t'obstiner, C'est le sincère avis que je viens te donner. Hé me crois-tu le coeur si rempli de rudesse, Quelque fier qu'il paroisse, il n'est pas sans faiblesse. Ce beau feu dont Fatime avait su l'animer, N'est pas un de ces feux prompts à se consommer, Qu'un revers diminue, et qu'éteint une absence ; J'en rougis, mais enfin malgré son inconstance, Je ne puis de Fatime oublier les attraits, Et je sens que je l'aime encor plus que jamais. Je le veux bien avouer à ma honte. Non, que si le retour d'une tendresse prompte, Forçait en ma faveur son âme au repentir, À l'épouser jamais je pusse consentir. Il suffit qu'une fois elle soit infidèle, Malgré tout cet amour dont je brûle pour elle, Le nom de son époux est indigne de moi, Et mon coeur l'abandonne à son manque de foi. Les Dieux m'en vengeront, son illustre conquête, Ces brillants ornements qui pareront sa teste, Ne mettront point son âme à l'abri des remords ; J'espère que rendue à ses premiers transports, Nous la verrons en proie à ses propres faiblesses, A des retours vengeurs, des perfides tendresses, Elle te quittera toi-même pour régner, Ne t'en afflige point, vis pour la dédaigner, Je t'offre mes conseils, et mon exemple à suivre. Tu feras bien : Le sang dont nous sommes formés Ne doit jamais verser dans nos coeurs animés, Que des transports d'horreur, que des desseins d'outrages. C'est le sort des Zegris, et des Abencerrages. Puisque nous sommes nés chefs de ces deux partis, Crois moi n'en rendons point les destins démentis, Nous ne devons avoir qu'une pareille audace ; Toi d'éteindre mon nom, moi d'étouffer ta race, Ce doit être entre nous un devoir mutuel. Vis donc pour me haïr. Qu'entends-je juste Ciel ! Muet d'étonnement, parmi tant de traverses, J'ai peine à concevoir nos fortunes diverses, Je vois que du destin que l'on ne peut tromper... Interdit, étonné de tout ce que je vois ; Seigneur, pour vous répondre à peine suis-je à moi. Madame, cependant à vos désirs rebelle, Mon coeur n'oppose plus une fierté cruelle : Et si l'amour déjà ne s'y fait pas sentir, L'injuste haine au moins commence d'en sortir. **** *creator_lachapelle *book_lachapelle_zaide *style_verse *genre_tragedy *dist1_lachapelle_verse_tragedy_zaide *dist2_lachapelle_verse_tragedy *id_OSMAR *date_1681 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_osmar Oui, Seigneur Seigneur, le Roi vous défend de le voir. Votre retour sans ordre est une offense, Qui soustrait à vos yeux son auguste présence. Zulemar est chargé de ses ordres secrets, Pour vous en avertir, je les devance exprès. Ce Prince de sa part vous les doit faire entendre, Il va se rendre ici, c'est à vous de l'attendre. Seigneur, le voici. Seigneur, donnez moi votre épée : C'est par l'ordre du Roi. Oui, Seigneur. C'est malgré moi qu'un ordre qui m'accable, Fait passer dans mes mains ce fer si redoutable. Seigneur, Les Juges d'Alamir ont suivant nos maximes, Écouté sa défense, examiné ses crimes ; On n'attend plus de vous qu'un mot pour le punir Et je viens... Si vous voulez sa grâce, Le Roi vous la promet, il est rien qu'il ne fasse, Pourvu que votre coeur propice à ses souhaits, Soit par un doux hymen le prix de ses bienfaits ; Zulemar par son ordre ici vient de se rendre. Le voici, vous pouvez lui parler et l'entendre : Madame en jouissant d'un entretien si doux, Songez bien que son sort ne dépend que de vous. Qu'on se retire. Votre sort vient d'être révélé : Le Roi sait votre sexe, Abendax a parlé. Il paraît tout en pleurs, il demande audience ; À ses cris douloureux chacun prête licence ; Il dit en peu de mot votre déguisement, Il ajoute aux raisons de ce grand changement, Combien pour Alamir votre flamme est constante. Le Roi par ces discours vous voyant innocente, Admire avec plaisir quelle était son erreur, Et fait à son courroux succéder la douceur. Fatime en ce moment de tous les siens suivie, Vient offrir son hymen pour vous sauver la vie ; À ses bontés pour vous le Roi même applaudit, Et lui raconte enfin ce qu'Abendax a dit. Surprise à ce récit d'une douleur profonde, Elle veut dérober sa honte aux yeux du monde, Mais avec tant de soins, mais avec tant d'ardeur : Le Roi sait rassurer sa craintive pudeur, Qu'à sa gloire, à l'éclat de la grandeur suprême, Ouvrant enfin les yeux... mais le Roi vient lui-même. **** *creator_lachapelle *book_lachapelle_zaide *style_verse *genre_tragedy *dist1_lachapelle_verse_tragedy_zaide *dist2_lachapelle_verse_tragedy *id_ABENDAX *date_1681 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_abendax N'en doutez point, Seigneur, il est toujours le même Il craint son inconstance, et cependant il l'aime, Des bruits que j'ai semés trop vivement frappé, De mille soins jaloux de craintes occupé Il veut par son retour confondre une infidèle. Il revient. Oui, Seigneur, vos desseins auraient eu leur effet Si le rare bonheur qui par tout l'accompagne, Ne vous le ramenait triomphant de l'Espagne. En vain les Rois ligués et les peuples unis Armaient contre nous seuls un monde d'ennemis. Leurs troupes, leurs remparts , et leurs vastes rivières N'ont pu nous opposer que de faibles barrières. Vaincus en cent combats, dispersez et défaits, Ils offrent un tribut, et demandent la paix. Quoi qu'ait fait Alamir, cette grande victoire Met trop en assurance et ses jours et sa gloire. Hé bien par sa disgrâce, Le destin à vos voeux offre une auguste place ; Que la mort soit le prix de sa témérité, Vous l'avez souhaité. Et n'est-ce pas, Seigneur, pour servir votre haine, Pour rendre d'Alamir la perte plus certaine, Que je fus envoyé dans son armée ? Vous soupirez: Qu'entends-je ? Hé quoi n'avez vous pas Toujours pour Alamir cette haine mortelle... Quoi vous, Seigneur ? Surpris, confus, troublé de ce déguisement, À peine je reviens de mon étonnement. Qu'entends-je ! Zulemar est une fille ! Elle aime ! Hé qui ? Quel est l'objet de son amour extrême ! Grands Dieux ! C'est Alamir l'ennemi des Zegris ! Avez vous oublié ses injustes mépris ? Ne vous souvient-il plus de la haine d'un père, Songez qu'elle doit être en vous héréditaire. Le Roi vient ; cachez lui votre flamme alarmée. Avant que votre coeur s'abandonne à la plainte, Apprenez d'Alamir le retour en ces lieux ; Ce héros qu'on plaçait au rang des demi-dieux, Qui voyait autrefois retournant de l'armée, Au devant de son char voler la renommée ; Et le zèle empressé d'un Peuple adorateur Parfumer son chemin, exalter sa valeur, Accablé maintenant d'une douleur profonde, Sans pompe, sans honneur, et fuis de tout le monde, Inquiet, étonné, revient, entre sans bruit, À peine accompagné d'un ami qui le suit. Vous le voyez ; une haine invincible À toutes vos bontés rend son coeur insensible : Hé bien pour vous marquer, qu'il dédaigne vos soins ; En peut-il faire plus ? Ô Dieux ! Qu'allez-vous faire ? Lui croyez-vous un coeur capable de pitié ? Pensez-vous triompher de son inimitié ; Enfin ignorez-vous qu'il adore Fatime, Il lui sacrifiera l'aveu de votre estime. Quelle honte ! Et le Roi pour comble de malheur, Apprenant votre sort verra-t-il sans douleur, Qu'il a mis ses secrets dans le sein d'une fille, Vous êtes tout l'espoir d'une illustre famille ; Songez, si vous parlez dans quel triste embarras... Venez. Auprès de vous le Roi même m'envoie, Sans témoins en ces lieux il veut que je vous vois, Et je puis vous parler sur l'affreux changement, Que dans votre fortune a fait un seul moment. J'ai peine encor à croire, Qu'un seul instant ait pu détruire tant de gloire, Le même jour vous voit dans un rang glorieux, Sur vous seule attirer tous les coeurs, tous les yeux, Et bientôt du destin éprouvant l'injustice, Pour vos jours innocents craindre un cruel supplice. Ah Dieux ! Quelle raison, quelle bonté funeste, Pour sauver un ingrat qui toujours vous déteste, Vous fait d'un Roi sévère affronter le courroux, Et découvrir l'amour que Fatime a pour vous ; Je croyais Alamir au bord du précipice, Vous alliez disiez-vous avancer son supplice ; Vous vouliez vous venger, et le perdre aujourd'hui : Quelle vengeance, hélas ! Vous vous perdez pour lui. Il n'est plus d'intérêt, ni de raisons secrètes, Il est temps de parler, d'avouer qui vous êtes. Et je vais.... **** *creator_lachapelle *book_lachapelle_zaide *style_verse *genre_tragedy *dist1_lachapelle_verse_tragedy_zaide *dist2_lachapelle_verse_tragedy *id_GAZUL *date_1681 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gazul Pourquoi de ce retour après votre victoire, Vous faites vous, Seigneur, une image si noire ; Si les Dieux et les Rois ne pardonnaient jamais, Les malheureux mortels pourraient-ils vivre en paix ? Je l'avouerai, Seigneur, puisque votre bonté Me donne auprès de vous entière liberté, Plus sur votre retour en secret je médite, Plus cherchant vos raisons, mon âme est interdite. Je sais que Zulemar, jeune, présomptueux Des passions du roi, flatteur, respectueux, Nouveau dans les secrets du grand art militaire. Et pour toute vertu, savant en l'art de plaire ; Depuis six mois à peine à la Cour arrivé, Est déjà par la brigue aux emplois élevé, Son crédit vous irrite, et par votre présence Vous venez balancer sa nouvelle puissance. Seigneur, que dites-vous ? Seigneur, je vois Fatime, elle vient en ces lieux. En serait-t-il aimé ? Lui, Seigneur.