**** *creator_laharpe *book_laharpe_melanie *style_verse *genre_drame *dist1_laharpe_verse_drame_melanie *dist2_laharpe_verse_drame *id_MELANIE *date_1792 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_melanie Ô ! Dieu ! Changez mon coeur ou bien changez mon sort ! Dieu ! Fléchissez mon père ou m'envoyez la mort ! Je ne sais où je suis... ayez pitié de moi. Tout dans un pareil jour doit inspirer l'effroi. D'un père rigoureux n'êtes-vous pas complice ? Venez-vous m'annoncer l'instant du sacrifice ? C'est celui de mes jours... C'est celui de mon coeur... Il est affreux, barbare... Il me glace d'horreur... Ah ! Qu'on l'achève au moins, qu'on l'achève sur l'heure... Traînez-moi vers l'autel... Traînez-moi... Que j'y meure. C'est tout ce que l'on veut et j'y consens. Un père !... Il m'en faut un... Que n'ai-je un père, hélas ! Il plaindrait mes tourments, il m'ouvrirait ses bras. Ce nom doit consoler... ce nom me désespère. Faut-il éterniser mes tourments, ma misère, Livrer à la douleur le reste de mes jours, Promettre de souffrir et de pleurer toujours ? Je n'en ai pas la force et ma raison s'égare. La nature et le ciel, tout me semble barbare. Est-il vrai ? Vous ! Ô ! Ciel ! Vous prendrez ma défense ! Vous me le promettez !... L'aurais-je pu prévoir ! Vous éloignez de moi l'horrible désespoir. Vous me l'aviez bien dit, oui, vous êtes mon père. Oui, vous me restez seul dans la nature entière. Oui, je vous le confesse ; Cette maison, Monsieur, fut chère à ma jeunesse. Je m'y voyais fêtée, on s'occupait de moi. Chacun de m'amuser se faisait un emploi. On détournait mes yeux de tout devoir pénible. À tant d'empressement pouvais-je être insensible, Dans un âge où le coeur est si prompt à s'ouvrir Aux premiers sentiments qui se viennent offrir, Où les jours sont si purs, le bonheur si facile ? Je crus qu'il habitait au sein de cet asile. Je ne trouvais partout que des soins complaisants, Des égards recherchés et des yeux caressants. Ce plaisir si flatteur d'intéresser les autres, Les préjugés d'autrui qui deviennent les nôtres, Tout ce que j'entendais du monde et de ses moeurs, Les discours séduisants, les tendresses des soeurs, Le penchant qui nous lie au séjour de l'enfance, Enfin l'amitié même et la reconnaissance, Tout me fit une loi d'attacher pour toujours, À ce qui m'entourait, mes destins et mes jours. Vous allez le savoir ; c'est un événement Qui décida dès lors du destin de ma vie, Et dont en vous parlant j'ai l'âme encor remplie. Je veillais près du lit où l'une de nos soeurs D'une lente agonie éprouvait les horreurs. Cherchant à signaler les soins d'une novice, J'avais brigué moi-même un si lugubre office. Un prêtre l'exhortait, et ses pieux discours De la religion prodiguaient les secours. Mais la voyant garder un obstiné silence, Et commençant peut-être à perdre l'espérance, Il s'éloigna de nous pendant quelques instants, Alors levant ses yeux baissés depuis longtemps, Elle parut gémir sur moi plus que sur elle, Quelques larmes mouillaient sa murante prunelle ; Elle fit un effort pour pouvoir me parler. Et m'adressa ces mots qui me firent trembler. "On vous trompe, on vous perd, ma chère Mélanie. À votre âge on sent peu ce que l'on sacrifie, En se faisant esclave et prenant cet habit, Vous l'apprendrez trop tard : je sais qu'on vous a dit, Je sais que vous croyez que dans nos saints asiles Tous les jours sont sereins, tous les coeurs sont tranquilles ; Mais pour vous abuser sachez qu'on est d'accord. On ne vit en ces lieux qu'en désirant la mort, Et l'on n'y meurt jamais qu'en détestant sa vie. Que mon exemple au moins détrompe Mélanie. " Elle m'apprit son sort : un malheureux amour, Qu'il fallut dans ce cloître étouffer sans retour, Avait rempli son âme et consumé sa vie. Du récit de ses maux je demeurai saisie. C'étaient les derniers cris et les gémissements D'un coeur que ses chagrins ont oppressé longtemps C'était d'un long malheur l'histoire attendrissante, Que l'accent de la mort rendait plus déchirante. Je n'y pus résister : pleine de ses douleurs, Je tombai sur son lit en l'arrosant de pleurs. Un si juste intérêt pouvait-il se contraindre ? Pour la première fois elle s'entendit plaindre, Et ma pitié parut adoucir son trépas. L'infortunée alors me serra dans ses bras. Je sentis que ses pleurs inondaient mon visage, De mes sens trop émus je perdis tout usage, Et quand je les repris, elle ne vivait plus. Ses bras déjà glacés sur ma tête étendus, Ses yeux de la douleur gardant le caractère, Et vers le ciel encor élevant leur paupière, Semblaient lui demander d'épargner à mon coeur Tous les maux dont sa mort m'avait tracé l'horreur. J'eus toujours devant moi cette effroyable image. Elle me poursuivait : mes esprits agités N'entrevoyaient partout que d'affreuses clartés. Je ne pouvais penser que cette infortunée, Sans raison, sans motif eut plaint ma destinée. Qui peut vouloir tromper à ses derniers moments ? Mais si je l'en croyais, quels tristes sentiments S'élevaient dans mon âme et la glaçaient de crainte ! "Eh ! Quoi ! De tous côtés l'artifice et la feinte ! On séduit ma candeur, on veut m'en imposer ! Et tout ce que j'aimais conspire à m'abuser " : Ces soupçons m'inspiraient une sombre tristesse, L'effroi, l'abattement flétrissaient ma jeunesse. Le cloître m'effrayait : je rencontrais partout L'odieuse contrainte et l'importun dégoût. Je détestai dès lors cet habit de novice, J'abjurai dans mon coeur mon fatal sacrifice. Je n'osais cependant avouer mes chagrins, De mon père sur moi je savais les desseins, J'espérais quelquefois pouvoir le satisfaire. Je songeais pour charmer mon ennui solitaire, Qu'au moins les passions ne rongeaient point mon coeur, Que de l'amour encor le poison séducteur, Dont j'avais une fois contemplé la furie, À des maux plus cuisants ne livrait point ma vie. Mais ce repos hélas ! Ne dura pas longtemps... Malheureuse ! Ô ! Mon guide ! Ô ! Mon père Qu'aisément avec vous je puis être sincère ! Que mon âme à la vôtre aime à se confier ! Ah ! C'est de mes plaisirs peut-être le dernier. Ma consolation dans ces lieux, la plus chère C'était de voir souvent ma respectable mère, Ma mère qui toujours m'aima si tendrement ! Elle vit dans mon zèle un refroidissement. Mais je lui dérobai ma profonde tristesse, Qui pouvait sur mon sort alarmer sa tendresse. Un parent (c'est Monval) voulut un jour me voir. Il arrive avec elle en ce même parloir. On m'avertit, j'accours... ma surprise à sa vue, Sur son front, dans ses traits la grâce répandue, Son maintien, de ses yeux la touchante douceur, Et le son de sa voix, encor plus enchanteur, Tout à mes sens troublés dût faire reconnaître Qu'en ce moment mon coeur venait de voir son maître. Il s'assit, parla peu, me regarda toujours. J'ai retenu de lui jusqu'au moindre discours. Il parut de mon sort pénétrer le mystère, Je vis qu'il me jugeait beaucoup mieux que ma mère. Des mots perdus pour elle il sentait la valeur, Et tout ce qu'il disait répondait à mon coeur. Je feignis malgré moi de ne le pas entendre. Que je lui savais gré d'un intérêt si tendre ! J'entrevis quelques pleurs qu'il voulait dévorer, Il semblait à la fois me plaindre et m'adorer. Ô ! Que cet entretien est gravé dans mon âme ! Il ne m'avait rien dit qui déclarât sa flamme, Rien qui pût ressembler aux discours des amans, Mais ses derniers regards valaient tous les serments, Et moi-même en secret de lui toute remplie Je jurai qu'à lui seul appartiendrait ma vie. Dans ce premier moment je fus loin de prévoir. Tous les maux que prépare un amour sans espoir, Et mon âme, embrassant un sentiment si tendre S'élança vers l'objet qu'elle semblait attendre, Et crut en lui livrant un pouvoir absolu, Satisfaire un besoin jusqu'alors inconnu. Hélas ; j'en jouissais sans trouble et sans alarmes, Et sans affliction je répandais des larmes. Mon coeur s'applaudissait d'échapper à l'ennui, D'avoir un sentiment, de trouver un appui. Contre l'amour sans doute il n'est point de défense ; Mais que la solitude ajoute à sa puissance ! Que ses traits pénétrants ailleurs trop émoussés Descendent plus avant au fond des coeurs blessés ! Je n'ai du monde encore aucune expérience, Mais s'il faut sur ce point dire ce que je pense, Dans ce monde bruyant comment peut on souffrir, Que les distractions, les soins et le plaisir, De l'âme à tout moment éloignent ce qu'on aime ? Peut-on se voir ainsi séparé de soi-même ! Ah ! Lorsque tant d'objets ont partagé le jour, Ce qui doit en rester, est bien peu pour l'amour. Mais ici tout le sert et rien ne le balance. Le coeur de son penchant s'entretient en silence. Rien ne s'offre à nos yeux qui le fasse oublier ; Chaque instant à l'amour appartient tout entier. Je l'ai bien éprouvé : Monval dans ces demeures Monval m'occupait seul et remplissait mes heures. Lorsque tout sommeillait, dans l'ombre de la nuit, Je répétais souvent tout ce qu'il m'avait dit. Seule durant le jour, craignant d'être obsédée, Craignant qu'on m'arrachât à cette douce idée, Rappelant ses regards, ses gestes, ses soupirs, Mon âme autour de soi recueillait ses plaisirs. Ô ! Combien j'aimerais à pouvoir le lui dire ! Mais jamais à ma bouche un mot n'est échappé, Qui pût trahir ce coeur ainsi préoccupé. Qu'il m'en coûtait. Ô ! Ciel ! Surtout en sa présence, Que je me reprochais ce rigoureux silence ! Loin de lui je cherchais à l'en dédommager ; Je lui parlais alors sans crainte et sans danger, Et dans cet entretien qu'il ne pouvait entendre, J'exprimais beaucoup plus qu'il n'eut osé prétendre. Cependant je songeai quel serait mon destin, Mes yeux longtemps distraits s'y fixèrent enfin. L'effrayant avenir où s'égarait ma vue Ne m'offrait qu'un abîme où j'étais attendue. Je vis que j'y tombais sans espoir d'en sortir, Et j'entendis la voix de l'affreux repentir. Je vis que dès l'enfance au cloître destinée, Moi-même par mon choix je m'étais enchaînée, Que mon père affermi dans ses engagements, Ne consulterait pas mes nouveaux sentiments, Qu'à son ambition j'allais être immolée ; Je me sentis alors de mes maux accablée, Alors je m'indignai du fardeau de mes fers, Et je tendais les mains à des liens plus chers. J'aurais voulu franchir la terrible barrière, Et me réfugier dans le sein de ma mère. Au moins j'y déposai mes plaintes, mes douleurs, Mes feux longtemps secrets, mes funestes ardeurs. Elle a vu de ce coeur la cruelle blessure, Elle a versé sur moi les pleurs de la nature, Promis de tout tenter pour adoucir mon sort, Mais que me sert hélas ! Un inutile effort ? Que peut-elle ? Elle-même est dans la dépendance, Son époux a sur elle une entière puissance. Enfin vous le voyez, on a marqué ce jour Pour prononcer des voeux, et des voeux sans retour, On m'impose une loi que je ne peux plus suivre ; On ne s'informe pas si j'y pourrai survivre. Qu'ai-je donc fait hélas ! Pour tant de cruauté ! Et j'irais aux autels trahir la vérité ! J'irais mentir au dieu qui lira dans mon âme ! Lui consacrer un coeur que tant d'amour enflamme ! Non, j'abhorre un serment trompeur, injurieux. Ma voix s'arrêterait en prononçant mes voeux. Avant de les former, ciel ! Fais que Mélanie Exhale à tes autels sa malheureuse vie ! Hélas ! Ma destinée est donc bien déplorable ! Avec tant de soutiens est-on si misérable ? Cependant il m'est doux de confier du moins Mes secrets à votre âme et mon sort à vos soins. Monval !... Ma mère ! Mon père, votre voix m'accable et m'épouvante, Pardonnez... devant vous vous me voyez tremblante, Votre ton, vos discours m'inspirent plus d'effroi, Que ces voeux si cruels qu'on exige de moi. Je vois trop qu'à vos yeux je suis une étrangère, Ce coeur qui m'est fermé, ne s'ouvre qu'à mon frère. Qu'il me soit préféré, je ne demande rien, Ma dépouille est à lui, donnez lui tout mon bien, Qu'il soit, puisqu'on le veut, l'espoir de sa famille ; Mais pourquoi loin de vous exiler votre fille ? Des droits de ma naissance, à mon frère transmis, Qu'un seul me reste au moins, et qu'il me soit permis D'habiter près de vous le toit où je suis née. Pourquoi de mes parents serais-je abandonnée ? Je n'ai jusqu'ici que trop vécu loin d'eux, Hélas ! De tous mes maux le principe odieux, C'est cet éloignement qui depuis ma naissance, À vos yeux, à vos soins déroba mon enfance. Votre sang aujourd'hui ne peut plus vous toucher. Faut-il que de vos bras on ait pû m'arracher ? Faut-il que cette absence et si longue et si dure, Ait effacé les traits qu'imprime la nature ! Que ma voix, que mes pleurs les rappellent en vous. Ô ! Mon père ! Mon père ! ... eh ! Quoi ! Ce nom si doux, Pour moi seule à jamais doit-il être terrible ? Au cri de ma douleur êtes-vous insensible ? ... J'embrasse vos genoux... ne m'en repoussez pas. Recevez-moi chez vous : daignez, daignez hélas ! Ne point y rebuter les soins de ma tendresse ; Que ma mère avec vous les partage sans cesse, Eh ! Vos yeux à me voir pourront s'accoutumer ; Vous pourrez me souffrir ; et peut-être m'aimer ; Oui, m'aimer... Est-ce donc un effort pour un père ? Qu'entends-je ? Ô ! Ciel ! Ah ! Ce comble d'injure De mon coeur révolté fait sortir la nature. Le vôtre dès longtemps avait su la bannir, Et j'apprends de vous seul à ne la plus sentir. Vous en avez détruit jusqu'à la moindre trace, Un affreux désespoir en mon sein la remplace, Vous osez insulter à mes sens effrayés ! Vous menacez encor, quand je meurs à vos pieds ! Et qu'ajouteriez-vous aux maux que vous me faites ? Je puis vous défier, tout cruel que vous êtes. Si je peux vous haïr, qu'ai-je à craindre de plus ? Mes jours étaient maudits quand je les ai reçus, La malédiction a tonné sur ma tête, À l'instant où ma mère... Non... Non... Je ne me connais plus. Je cède à des transports qui m'étaient inconnus. Vous ! Oser attester le ciel qui vous condamne ! Qui ! Vous ! De son courroux vous vous croyez l'organe, En joignant l'injustice à l'inhumanité ! Ah ! Vous-même tremblez que ce cri redouté Qu'élève vers les cieux d'une voix désolée Sous les pieds des tyrans l'innocence foulée, Ce cri qu'un dieu vengeur n'a jamais repoussé, Ne sorte de mon âme et ne soit exaucé. Qu'ai-je dit ! Je m'emporte... ma mère ! Cet assaut douloureux, soutenu contre un père, Vient d'épuiser ma force... elle succombe... hélas ! Si je pouvais mourir ! ... recevez dans vos bras... Je me meurs. Où suis-je ? Ô ! Cieux ! Que vois-je ? Pour la dernière fois il consent à m'entendre. Que sert cet entretien ? Que puis-je encore attendre ? Il a pris son parti. Je dois prendre le mien. Un père ! Quoi ! Son sang ! Quoi ! Je n'obtiendrai rien ! Ainsi l'on foule aux pieds la faiblesse éplorée ! Ah ! D'indignation mon âme est pénétrée ; Mon âme se soulève. Ô ! Monval ! C'est en toi Que j'ai cru voir un coeur qui sentit comme moi. Le mien t'appelle en vain... quelle est mon espérance ? ... Avec quelle chaleur il a pris ma défense ! Quel feu dans ses discours ! Et que mon coeur saisi S'applaudissait tout bas d'avoir si bien choisi ! Hélas ! Ce transport même à tous deux est contraire. Monval est à jamais l'ennemi de mon père. On ne pardonne point à qui nous fait rougir ; Et d'après ses conseils quand j'oserais agir, Quel en serait l'effet ? ... non, jamais Mélanie Au sort de son amant ne peut se voir unie. Que dis-je ? On veut armer mon frère contre lui ; Mon père réclamait un vengeur, un appui. Quelle horreur se répand sur ma famille entière ! Mon frère est exposé, je désole ma mère. Je perds ce que j'adore ! Il faut se décider. Mon père me méprise et croit m'intimider. Il ne voit rien en moi qu'une esclave tremblante ; Il verra si j'ai l'âme intrépide et constante. Je le vois ; la retraite et la réflexion, D'un sentiment contraint la longue impression, Donne aux sens recueillis un courage tranquille. Allons, pour Mélanie il n'est qu'un seul asile. Il est tems d'y courir. On nous dit qu'autrefois, La vierge de Vesta que condamnaient les lois, Calmant par son trépas la publique épouvante, Vers la tombe entraînée y descendait vivante. De cette horrible mort qui fait frémir les sens, Peu d'heures après tout achevaient les tourments. Mais alors qu'une fois on a courbé sa tête Sous le voile effrayant que pour moi l'on apprête, Lorsque l'on a promis d'oublier les vivants, La tombe se referme et l'on y meurt longtemps. Quel sort ! Et toi Monval, hélas ! Sans Mélanie, (Si je connais ton coeur) souffriras-tu la vie ? Je l'abhorre sans toi : l'on vient. Il faut parler. Son aspect malgré moi me fait toujours trembler. J'ai voulu vous redire une seconde fois Que le joug du couvent à mes yeux est horrible ; Que la mort - oui, la mort - me semble moins terrible ; Que s'il faut à ce joug que mon sort soit livré, On peut attendre tout d'un coeur désespéré ; Que de ce désespoir qui de tout est capable, D'avance devant Dieu je vous rends responsable. Le courage ! J'en ai, J'en saurai faire usage. Je n'ajoute qu'un mot : si vous étiez certain Que l'heure où dans le temple un serment inhumain Aurait à ce couvent enchaîné ma misère, De mes jours dévoués serait l'heure dernière. Si vous en étiez sûr, pourriez-vous le vouloir ? Eh ! Bien, je le ferai, souffrez que je vous quitte. Je sens qu'il faut encore au trouble qui m'agite, Un moment de repos dans ces lieux retirés ; vous allez voir bientôt ce que vous désirez. Voilà le seul moment que j'ai dû redouter. Quels adieux ! Je croyais trouver ici... Mon père ! Dites-vous ? Non, votre époux, ma mère, Votre ennemi, le mien, mon barbare oppresseur. Tous mes noeuds sont rompus en ce moment d'horreur. On le commande, on veut que je m'ensevelisse ! J'obéis. Vous êtes leur victime hélas ! Ainsi que moi. Je vous connais ; je sais tout ce que je vous dois. C'est là mon seul regret. De quoi me parlez-vous ? Pourriez-vous m'annoncer quelque nouveau supplice ? L'adieu que je vous dis finit mon sacrifice. Il est d'autres adieux où je n'ose penser Si j'avais pu pourtant ! Il y faut renoncer. Parlez-lui quelque fois, parlez de Mélanie. Ce n'est que pour vous deux que j'eusse aimé la vie. Qu'il apprenne de vous à quel point je l'aimais ! De cette bouche hélas ! Il ne l'apprit jamais. Vous le savez trop bien. Dieu ! Quel sort est le nôtre ! Allons, il faut, il faut nous quitter l'un et l'autre. Jamais, jamais, ma mère. Ma mère, cet adieu, vous ne l'entendez pas. Non. On n'a plus de parents dans ma froide demeure. Il en est que j'abhorre, il en est que je pleure, Vivez du moins, vivez, plus heureuse que moi. Mais quel trouble est le vôtre : Vous détournez de moi vos regards et vos pas ? Il n'est plus temps de craindre, et qu'avez-vous ? Ciel ! Ô ! Ciel, de quel feu je me sens dévorer ! Toute ma fermeté cède au mal qui me tue, J'espérais dérober ma mort à votre vue... Que celui qui la cause en serait seul témoin. Le poison... Non, demeurez. Ce soin Ne me sauverait pas, il n'est plus de remède. Il n'en est plus. Ô ! Monval ! Ton amante qui meurt pour te rester fidèle. Je vivais pour t'aimer. Ma mort est moins cruelle, Puisque je puis du moins, justifiant ton choix, T'avouer mon amour pour la première fois. Un breuvage mortel m'arrache à l'esclavage, Du jour où je t'ai vu, je jurai d'être à toi, L'amour à tous les deux dicta la même loi, Ma mère y souscrivait, si le ciel en colère Ne m'eut fait rencontrer un tyran dans un père, Il versa dans mon sein le poison des douleurs, Plus cruel mille fois que celui dont je meurs, Cet homme injuste et dur accabla Mélanie Du pouvoir qu'il reçut pour protéger ma vie. Il vit mon désespoir avec tranquillité, La nature en son coeur n'a jamais habité. La mort est dans le mien, des serpents le déchirent. Ô ! Vous, que mes malheurs à ce spectacle attirent, Et vous qui ressentiez les feux dont j'ai brûlé, Qui dormez sous ce marbre où mes pleurs ont coulé, Levez-vous à ma voix, victimes malheureuses. Levez-vous, entendez mes plaintes douloureuses, Accablez avec moi l'oppresseur abhorré, Dont je n'ai pu fléchir le coeur dénaturé. Dieu ! Que le dernier cri de sa fille expirante, Retentisse à jamais dans son âme tremblante, Et s'il t'ose implorer au jour de son trépas, Rejette sa prière et ne pardonne pas. **** *creator_laharpe *book_laharpe_melanie *style_verse *genre_drame *dist1_laharpe_verse_drame_melanie *dist2_laharpe_verse_drame *id_MONVAL *date_1792 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monval Et pourquoi me contraindre ? Qui n'a plus rien à perdre a-t-il encore à craindre ? L'aspect de votre époux ne peut m'intimider ; Je n'ai plus avec lui de mesure à garder. Non, je ne lui saurais pardonner de ma vie ; Il va sacrifier l'aimable Mélanie ! Et vous l'avez souffert ! Et vous l'avez permis ! Il faudra que livrée à d'éternels ennemis... Pouvez-vous me traiter avec tant d'injustice ? Quand je suis au moment du plus cruel supplice, Pensez-vous que j'embrasse avec présomption Du bonheur d'être aimé la douce illusion ? Rien ne m'occupe ici, non, rien que Mélanie. Il s'agit de son sort, il s'agit de sa vie, Et non pas d'un amour trop inutile hélas ! Je n'en parlerai plus, vous ne le voulez pas ; Mais qu'elle ne soit point esclave, infortunée ; Sans raison, dites-vous, je plains sa destinée. Croyez que sur ce point on ne peut me tromper ; Que rien à mes regards ne pouvait échapper ; Que j'ai vu de ses maux les secrètes atteintes, Et qu'au fond de mon coeur j'entends toujours ses plaintes. Je n'en suis que trop sur ; elle souffre et gémit. Vous même, pardonnez, quoique vous ayez dit, Vous-même, je le vois, vous gémissez comme elle. Vous étouffez en vain la douleur maternelle. Pourquoi vouloir tromper votre coeur et le mien ? Réunissons nos maux, qu'ils soient notre entretien. Un tyrannique époux vous défend d'être mère. Eh ! Soyez-le avec moi. Le plus coupable encor c'est cet indigne frère. Lui seul jouit du mal que pour lui l'on commet ; Son hymen, sa fortune est le prix d'un forfait. Il s'enrichit des pleurs de sa soeur qu'on opprime ; Il s'en repaît ; il boit le sang de la victime. Et c'est un frère. Ô ! Ciel ! Lui que vous implorez !... Existe-t-il des coeurs ainsi dénaturés ? Et... Vient-il contempler cette fête cruelle ? Je veux de mon malheur m'assurer par mes yeux, Voir l'affreux sacrifice et tout ce qu'il m'enlève ! Vous le dirai-je enfin ? Je doute qu'il s'achève. On le prépare en vain ; je ne puis concevoir Qu'on soit assez barbare et qu'on puisse vouloir... Que dis-je ? Il est trop sur que tout est sans remède. À deux coeurs endurcis il faut donc que tout cède ! Que tant d'amour s'exhale en regrets superflus ! ... Mais j'ai pris mon parti ; vous ne me verrez plus. J'y suis déterminé ; je l'ai dit à ma mère. J'abandonne un pays à mes voeux si contraire. Le lieu de mon exil est au-delà des mers. Je vais servir mon roi dans un autre univers. Je cours m'y renfermer et je renonce au nôtre. Ce n'est pas qu'en effet j'augure mieux de l'autre. Les humains sont partout à l'intérêt livrés Et les coeurs vertueux sont partout déchirés. J'en ai douté longtemps ; j'en ai l'expérience. Mais je fuirai du moins des lieux où tout m'offense, Et je n'entendrai point les lamentables cris... Malheureux ! Quelle erreur et qu'est-ce que je dis ? Ah ! Je croirai partout voir la pompe funeste, Entendre prononcer le voeu que je déteste ; Je trouverai partout ce parloir où mes yeux... Vous vous en souvenez... ces lieux, ces mêmes lieux Pour la première fois l'ont offerte à ma vue ; Là je crus sur son front voir cette âme ingénue : J'entendis ces accents à mon coeur si nouveaux ! ... Elle passait ses mains à travers ces barreaux... C'est ici... C'est ici... La rage est dans mon âme. Je sens mon désespoir s'accroître avec ma flamme. C'est de ce lieu fatal l'inévitable effet ; Pourquoi m'y meniez-vous ?... Que vous avais-je fait !... Pardonnez ; je m'égare. Pardonnez à ce coeur ; il vous est bien connu ; Il ressent vos bontés ; combien il eut voulu !... Comment ! Que dites-vous ? N'abusez point mon coeur ! Ne vous trompez-vous pas ? Parlez... par quel bonheur Tous mes sens sont saisis et de crainte et de joie. Ah ! Du moins c'est un rayon d'espoir. N'allez pas me l'ôter ; souffrez que je respire ; Que... Que faudra-t-il, hélas ! Qu'aujourd'hui je devienne ? Je sors, mais permettez que du moins je revienne... Allons attendre mon destin. Madame... Et c'est donc là ce que l'on m'a promis ? Tous ceux de l'innocence, Tous ceux de la justice et de l'humanité. J'oserai l'avouer, oui, ce n'est point un crime, Oui, je l'aime, monsieur, je le dois, je le veux, Je suis sûr de sentir un penchant vertueux, J'avais su le contraindre, et malgré ma tendresse. J'ai toujours respecté son état, sa jeunesse, Je le déclare à vous qui croyez m'imposer, Qui croyez à la fois répondre et m'accuser, Je le dis au moment de perdre ce que j'aime ; Mais je parle pour elle et non pas pour moi même. Je ne suis rien ici qu'un témoin étranger, Qu'un homme, et c'est assez, monsieur, pour vous juger ; C'est assez pour vous dire au nom de la nature, Que vous abusez trop d'une autorité dure, Que vous êtes armé d'une injuste rigueur. Et quel droit avez vous d'ordonner son malheur ? Nul être, quel qu'il soit, n'a ce droit sur un autre ; Ce droit, fût-il fondé, doit-il être le vôtre ? Et contre votre sang devez vous l'exercer ? Si c'était votre fils, l'oseriez vous forcer À fléchir malgré lui sous le joug monastique ? Il braverait bientôt une puissance inique, Il fuirait loin de vous, réclamerait les lois. Mais ce sexe est sans force, on étouffe sa voix, On l'opprime sans crainte... Ah ! L'innocence aimable, Pour être désarmée, en est plus respectable, Les larmes du malheur sont un objet sacré. Si ce sexe en nos mains sans secours est livré, La nature dans nous préparant sa défense, Prit soin de lui donner contre la violence Ce qui de tous les coeurs fléchit la dureté, Ce qui désarme tout, les pleurs et la beauté. Vous seul y résistez. Un père ! Vous ! Soyez-le et je tombe à vos pieds, Non, vous ne l'êtes pas. Malheureux ! ... Mélanie ! ... Elle ne m'entend plus... du secours... venez tous. Et qu'importe grand dieu ! Mélanie est mourante ; Et je cours... Regardez ces objets lamentables ; Regardez... quoi ! Vos yeux, vos yeux impitoyables Soutiennent froidement cet horrible tableau ! Vous êtes un tyran ; vous êtes un bourreau. Ah ! D'un pouvoir barbare Elle peut après tout braver les cruautés. Elle peut s'affranchir... Rien ne me retient plus : mon sang bout dans mes veines. Va, tu peux te soustraire à des lois inhumaines, Ô ! Chère infortunée ! Écoute ton amant. Ne crois rien que l'amour dans un pareil moment. Crois que dans l'univers il n'est point de puissance Qui jamais contre toi porte la violence Jusques à t'arracher d'involontaires voeux. Le courage suffit pour nous sauver tous deux. Approche sans trembler de l'autel qu'on prépare, Et loin de prononcer ce serment si barbare Que Dieu rejetterait, que dément notre amour, Atteste l'éternel présent dans ce séjour, Prends-le, dis-je, à témoin contre la tyrannie, Et si j'ai quelque droit sur ton coeur, sur ta vie, Ajoute, il en est tems, que des feux mutuels Nous enchaînent tous deux par des noeuds immortels ; Qu'on impose à ton âme un effort impossible ; Tout ce qui sut aimer, tout ce qui fut sensible, Doit en notre faveur s'émouvoir à la fois ; Moi pour te seconder j'élèverai ma voix, Je volerai vers toi sans craindre aucun obstacle. Tes larmes, nos malheurs et ce touchant spectacle, Nos cris et nos transports, la sainteté du lieu, Et ce nom si sacré dans le temple d'un dieu, L'humanité, voilà ce qui doit nous défendre ; Père injuste, voilà ce que j'ose entreprendre. Croyez que de ces lieux rien ne peut m'arracher. Je dirai ce qu'en vain vous voudriez cacher, Ce qui n'a point ému votre coeur implacable. Je la retracerai cette scène effroyable, Votre fille expirante et votre épouse en pleurs, Votre épouse à vos yeux contraignant ses douleurs, Que vous faites mourir par de lentes atteintes, Que vous assassinez en étouffant ses plaintes ; J'attendrirai les coeurs, je les remplirai tous D'horreur pour un barbare et de pitié pour nous. Qui ! Lui ! De vos fureurs le complice odieux ! Melcour ! Malheur à lui s'il s'offrait à mes yeux. Et moi jusques au bout je vous suis dans ces lieux. Dans mes justes desseins s'il faut que je succombe, Sous l'autel où je cours puisse s'ouvrir ma tombe. Que ce temple fatal où l'on nous attend tous, S'écroule sur ma tête et m'écrase avec vous. Ô ! Mélanie !... On me l'arrache !... Ô ! Cieux ! Du moins vengez mes maux ; ils seront moins affreux. Ah ! Quels maux accablent votre vie ! Le ciel a trop vengé les pleurs de Mélanie. J'ai voulu vainement... Quelle voix ! Elle m'appelle encor !... Ah ! Qu'est-ce que je vois ? Tu m'aimes et tu meurs ! Ô ! Mélanie ! Ô ! Rage ! Non, attends, que rien ne nous sépare... Elle n'est plus ! Eh ! Bien, es-tu content, barbare ? Tigre, d'un tel objet viens te rassasier ; Contemple tous tes coups, et jouis du dernier. **** *creator_laharpe *book_laharpe_melanie *style_verse *genre_drame *dist1_laharpe_verse_drame_melanie *dist2_laharpe_verse_drame *id_LECURE *date_1792 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lecure Je sais ce qu'ici je dois faire Et je ne trahirai vous ni mon ministère. Avant de vous répondre et de promettre rien, Il me faut avec elle avoir un entretien. Je veux lire en son coeur, je veux le bien connaître. Sur ses devoirs alors, sur les vôtres peut-être, Je pourrai vous parler avec sincérité. Vous entendrez de moi la simple vérité. N'espérez rien de plus. Allons... je vais encor voir une infortunée Qu'un intérêt cruel au cloître a condamnée ; Que l'on ensevelit de peur de la doter ; Qui pousse des soupirs que l'on craint d'écouter, Et donne, en détestant sa retraite profonde, Au ciel des voeux forcés et des regrets au monde. Approchez, mon enfant, et soyez sans alarmes. Si je viens près de vous, c'est pour sécher vos larmes. Ne me les cachez point et laissez les couler. Sans témoins, sans réserve on peut ici parler. Nul n'osera troubler cette sainte entrevue. Vous frémissez... eh ! Quoi ! Redoutez-vous ma vue ? Hélas ! Au but qui me conduit ne vous méprenez pas. J'apporte à vos douleurs l'intérêt le plus tendre. Je puis les adoucir, si vous voulez m'entendre. Donnez-leur avec moi ce libre épanchement Qui pour les malheureux est un soulagement. Les consoler, ma fille, est tout mon ministère ; Vous me devez enfin regarder comme un père. C'est que tous deux, ma fille, ont été méconnus. Commandez un moment à vos sens éperdus, Et d'un consolateur écoutez le langage. Tout doit m'intéresser, votre état et votre âge. De m'employer pour vous je me fais un devoir. L'emporter sur un père est hors de mon pouvoir Mais je lui parlerai contre la violence... J'offre ce que je puis, des soins et des souhaits. Je réponds de mon zèle et non pas du succès. Il dépendra surtout de votre confiance. Faites de vos secrets l'exacte confidence. Permettez que ce coeur vous ose interroger ; Aux sentiments du vôtre il n'est point étranger. Placez-vous près de moi ; venez, ma chère fille. Je chéris dès longtemps votre noble famille. On m'a dit qu'élevée en ces paisibles lieux Vous y passiez des jours qui paraissaient heureux. Et que du voile saint à seize ans revêtue, D'aucun regret encor vous n'étiez combattue. Votre état vous plaisait : souvent on m'a vanté Votre zèle naissant, votre félicité. M'a t'on dit vrai ? Parlez. De semblables motifs n'ont rien que d'estimable. Eh ! Bien, qui pût troubler cet état désirable ? Qui produisit en vous un si grand changement ? Ô ! Parents inhumains ! Voilà donc votre ouvrage ! Achevez ces aveux importants. Parlez, ne craignez rien. Monval n'a-t-il pas su tout ce qu'il vous inspire ? Écoutez, mon enfant : votre ingénuité. Sans doute a droit de plaire au dieu de la bonté. Il ne veut point de nous d'offrande involontaire. Je n'irai point non plus par un langage austère, Joindre encor à vos maux un effroi douloureux, Qui, loin de les guérir, les rendrait plus affreux. Ainsi sans m'élever contre un amour profane Que la religion dans votre état condamne, Je m'occupe avec vous de vos seuls intérêts. On m'appelle bien tard : vous savez quels projets, Pour avancer son fils, a formé votre père, Et quand on a conclu l'hymen de votre frère, Quand tout est décidé, lorsque le jour est pris Où vos engagements doivent être remplis ; Revenir sur ses pas, renverser son ouvrage, (excusez un moment ce sinistre langage) Est un effort pénible, et dont il faut douter ; Les obstacles pourtant ne sauraient m'arrêter. Je dirai ce qu'il faut pour fléchir votre père, Mon devoir me l'ordonne, et j'y vais satisfaire. Ce n'est que par degrés qu'on le peut ramener : Le péril est pressant, il le faut détourner. D'abord votre santé qui parait affaiblie, Exige le délai de la cérémonie, Et si j'obtiens ce point, nous pouvons espérer, Mais dans tous ses desseins s'il veut persévérer, S'il brave mes discours et votre résistance, Ma fille, contre lui, quelle est votre défense ? On vous opposera votre consentement, Pourquoi, vous dira-t-on, ce soudain changement ? Pourquoi faire si tard éclater vos murmures, Pour nous ravir le fruit des plus justes mesures ; Tout sera contre vous. Pardonnez ce discours. Je dois vous protéger, je le veux et j'y cours. Mais n'attendez pas tout des soins où je m'engage, Comptez plus sur vous même et sur votre courage. Le ciel voit vos chagrins, il pourra les calmer, Il veille sur ce coeur qu'il se plût à former. Vous vaincrez un amour qui peut être excusable, Mais qui fait vos tourments et vous rendrait coupable. Allez, rassurez-vous, vous êtes sous les yeux Du dieu consolateur qui reste au malheureux. Comptez sur mes secours : souffrez que ma présence Vous porte quelquefois une faible assistance. Vous aurez en tout temps contre un sort ennemi Le ciel et vos vertus, une mère, un ami. Seconde, Dieu clément, mes efforts et mon zèle. L'intérêt qui dégrade une âme paternelle Ose emprunter ton nom pour consacrer ses lois ; Contre sa tyrannie ô ! Dieu ! Soutiens ma voix. Daigne de cet enfant protéger l'innocence. Dieu ! Je crois te servir en prenant sa défense. Le malheur corrompt tout dans les coeurs abattus, Et la rendre au bonheur, c'est la rendre aux vertus. Votre fille a besoin des secours de sa mère. Ne l'abandonnez pas. J'attends ici son père. Je m'en vais lui parler. Tout dépend de ce dieu qui dispose des coeurs. Je n'épargnerai rien. Hélas que votre sort n'est-il entre mes mains ! Que ne puis-je extirper ces abus inhumains ! Faut-il longtemps ?... Écoutez-moi, monsieur. Quand le ciel sur vos jours signalant sa faveur, Pour la première fois offrit à vos caresses Le gage heureux et cher de vos pures tendresses, N'avez-vous pas alors promis à votre coeur De chérir cet enfant, de faire son bonheur, D'assurer sous l'abri de votre expérience À son âme, à ses jours la paix et l'innocence ? Répondez seulement. Voulez-vous en effet respecter ce serment ? Le croyez-vous sacré ? Eh ! Bien, il n'est plus rien que de vous je redoute. Il suffit qu'à vos yeux brille la vérité. J'annonce au nom du ciel et de l'humanité Qu'on dicte à votre fille en cet instant funeste Des voeux que Dieu réprouve et que son coeur déteste, Et si dans ce dessein vous persistez toujours, Vous mettez en danger son salut et ses jours. Votre bouche à ce mot se récrie. Vous semblez moins frappé du danger de sa vie. Tous deux pourtant sont chers, tous deux également Dépendent aujourd'hui du même évènement. Ne vous y trompez pas : le temps, le péril presse. Souffrez que l'amitié qui pour vous m'intéresse Retrace à vos regards ce que vous oubliez. C'est votre fille, hélas ! Que vous sacrifiez. Je viens de lui parler : cette âme douce et pure Épanchait ses chagrins sans fiel et sans murmure Et sans vous accuser déplorait son malheur, De toutes les vertus le germe est dans son coeur. Sous les yeux paternels ce germe s'en va croître ; Ah ! Ne l'étouffez pas dans les ennuis du cloître. Pourquoi vous refuser la douceur d'en jouir ? Loin de le cultiver, pourquoi l'ensevelir ? Votre fille en naissant enlevée à son père, Si vous la connaissiez, vous deviendrait plus chère. Elle va devant vous paraître toute en pleurs ; Vous ne soutiendrez point l'aspect de ses douleurs. Elle a pour le couvent une invincible haine ; Et n'imaginez pas que le temps la ramène. Cette horreur est trop forte, et c'est un sentiment Dans le fond de son coeur gravé profondément. Ce zèle qui du monde à jamais nous sépare, Est peut-être du ciel le présent le plus rare. Quand vous verrez ses jours au désespoir livrés, Vous en serez la cause, et vous en gémirez. Il ne sera plus temps. Des raisons ! Vous pensez Que je puis contre vous n'en pas avoir assez ! Vous ! Ministre des lois, dont l'autorité sainte Annule tous les voeux formés par la contrainte, Organe des arrêts de leur temple émanés, Osez-vous faire ici ce que vous condamnez ? À votre tribunal que tout autre en appelle ; Il trouvera dans vous un magistrat fidèle, Contre l'oppression vous serez son appui, Vous agirez en juge, et jusques aujourd'hui Vous avez soutenu ce caractère auguste, Pour votre fille seule allez vous être injuste ? De tous vos jugements comptable à l'équité, Croyez-vous de ce droit votre sang excepté ? Si les lois ont aux voeux mis un frein salutaire, Croyez-vous donc le ciel moins juste que la terre ? Pensez-vous qu'il reçoive un hommage forcé ? Qu'il bénisse un tribut dont il est offensé ? Eh ! Le voeu le plus libre et le plus volontaire Au dieu qui prévoit tout, peut sembler téméraire ; Peut-être qu'il faudrait que l'homme, le chrétien Demandât tout au ciel, et ne lui promît rien. Dans nos livres sacrés, la céleste vengeance Confond deux fois des voeux la coupable imprudence. Dans Jephté, dans Saül nous la voyons punir Ce souhait orgueilleux d'enchaîner l'avenir. Leur voeu devient un crime, et leur succès un piége. L'un se rend parricide, et l'autre sacrilège. Tant le ciel veut apprendre aux aveugles humains, À ne point prononcer sur leurs propres destins. Ces héros des déserts, ces premiers cénobites Vivaient unis entre eux sous des règles prescrites. Le travail, la prière occupaient leurs instants. Ils étaient des forêts les libres habitants. Libres, ils préféraient leur retraite profonde, Leur cabane rustique aux voluptés du monde, Et rien ne cimentait cette société, Que les liens du zèle et de la piété. Eh ! Bien, qu'à cet exemple on forme des asiles ; Qu'on ouvre, si l'on veut, des demeures tranquilles Au mortel gémissant que le sort a frappé ; Au repentir qui pleure, au vieillard détrompé. Mais loin de nous des voeux la chaîne dangereuse. Tombez, portes de fer, barrière injurieuse ; Et que l'homme épurant son hommage et son coeur, Par l'amour des vertus, s'élève à son auteur. L'église ! Je la prends pour arbitre entre nous. Il est, je le confesse, et je dois y souscrire, Des voeux qu'elle autorise, et qu'un pur zèle inspire ; Mais elle veut toujours qu'on soit libre en son choix. Elle veut, quand du cloître on embrasse les lois, Que le ciel, le salut soient nos motifs augustes ; Mais les erreurs du siècle et les projets injustes ! Mais d'une faible enfant se rendre l'oppresseur ; Lui commander des voeux qui lui sont en horreur, Que l'avarice attend, et que la crainte souille ! Offrir son âme à Dieu pour ravir sa dépouille ! Faire entre deux enfants qu'on a reçus des cieux, De l'amour, de la haine un partage odieux ! Grand dieu ! Que de l'orgueil cet horrible édifice S'écroule et disparaisse aux yeux de ta justice ! C'est l'église, monsieur, qui parlerait ainsi : Vous osiez l'attester, et je l'atteste aussi. Craignez de mériter son terrible anathème, Craignez le ciel vengeur, craignez votre coeur même ; Le remords vous attend : soyez père et chrétien. Faites votre devoir, j'ai satisfait au mien. Je blâme les excès, je blâme les abus. Il n'est que trop d'esprits lâches et corrompus Qui vivent sans principe et pensent sans courage, Sourds à la vérité, mais soumis à l'usage, Et qui, dans un état lorsqu'ils sont engagés, Au rang de leurs devoirs comptent ses préjugés. Je suis loin d'adopter ce mérite stérile. Ma règle est d'être vrai, mon état d'être utile. Quant au titre de sage en nos jours prodigué, Dénigré par la haine et par l'orgueil brigué, Celui qui le mérite honore la nature. L'ignorance et l'envie en ont fait une injure, L'hypocrite, un forfait, l'honnête homme, un devoir. Je vois que mes discours sont sur vous sans pouvoir, Et que du directeur l'avis et le suffrage, Flattant vos passions, ont sur moi l'avantage. Les formes sont pour vous, je le sais, mais, monsieur, Vous ne séduirez point le ciel ni votre coeur. C'est assez, votre fille attend sa destinée, Vous allez à jamais la rendre infortunée, Vous dédaignez ses pleurs, vous la désespérez. C'est un crime, Monsieur et vous en répondrez, Pesez ces derniers mots. Vous vous en direz quelque jour davantage ; Pour vous tirer d'erreur je n'ai rien ménagé, C'est sur notre entretien que vous serez jugé. Adieu, monsieur. Oh ! Monsieur ! Oh ! Mère infortunée ! Je n'ose vous parler, je respecte vos pleurs. C'est le ciel qui vous frappe, offrez-lui vos douleurs. Que je vous plains tous deux. Vous me faites frémir, et ce coup est horrible. Faut-il vous en porter un autre aussi sensible ? Pourrai-je vous apprendre... Hélas ! Il est trop vrai. Monval cherchait Melcour, et que sais-je ? Peut-être De ses premiers transports il n'eut pas été maître. Il voit leur choc de loin, il court les séparer ; Mais il est arrivé pour le voir expirer. Ô ! Ma fille ! Abjurez ces sentiments coupables. Dieu ! Dieu ! N'entendez pas ces souhaits exécrables, Le désespoir, la mort ont exhalé ces voeux, Tout mon coeur les dément, pardonnez, justes cieux ! Pardonnez à mon père aussi bien qu'à moi-même, Cher Monval, cher amant, toi que j'aimai... que j'aime... Vous qui m'avez rendu des soins si généreux ! Et vous, ma mère, vous, venez fermer mes yeux, Venez, ces yeux éteints vous distinguent à peine, Que mon dernier soupir ne soit point pour la haine Qu'il soit pour la nature hélas ! Et pour l'amour ! Serrez-moi dans vos bras, Monval, c'est sans retour ! Cher Monval. Arrêtez ! Ah ! C'est trop multiplier les crimes, Ce jour infortuné compte assez de victimes. D'un repentir tardif je vous vois déchiré. Dieu vengeur ! À quel prix vous m'avez éclairé !