**** *creator_lemierre *book_lemierre_guillaumetell *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_guillaumetell *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_GESLER *date_1766 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gesler Je suis bien indigné qu'une horde grossière Contre l'autorité lève sa tête altière ; L'habitude des fers ne pourra donc agir ! Dans sa chaîne toujours je l'entendrai rugir. En discours impuissants laisse-les tout oser, Se débattre en leurs fers. Non ; des plaintes, crois-moi, la frivole licence, Sert à donner le change à leur impatience ; Ce peuple la soulage en croyant s'y livrer ; Quelque superbe espoir qui les puisse enivrer, Dans ces âmes qu'au frein ma puissance accoutume, S'il est quelque vigueur, la plainte la consume. Non ce n'est plus, Ulric, ce peuple de gaulois, Fier de son origine, et qu'on vit autrefois Dans la témérité de ses fougues guerrières, Las d'habiter ses rocs, embraser ses chaumières, Pour se forcer lui-même au-delà de ses monts À chercher par le fer des pays plus féconds, Et bravant des romains la puissance suprême Jusqu'aux bords de la Saône attaquer César même. Sous le joug féodal tout ce peuple abattu A perdu dès longtemps son antique vertu ; Et de tant de vaillance à lui-même funeste, L'opiniâtreté, voilà ce qui lui reste. Loin de le redouter, j'amènerai le temps Où ces esprits hautains devenus impuissants ; À force de porter leur chaîne appesantie, Ne la sentiront plus ; où ces mots de patrie, Ces mots de liberté, quoiqu'encore entendus, À leur oreille, ami, ne retentiront plus, Où les destins passés de ce peuple farouche Ne seront plus enfin qu'une fable en sa bouche. On ne peut les gagner, il faut donc les réduire, Rodolph ménagea trop leurs droits qu'il dut détruire, Ce peuple, au lieu d'un maître, avait un protecteur ; Ils vivaient sous l'empire et non sous l'empereur ; Son fils, moins indulgent et meilleur politique N'a point plié son sceptre à leur voeu chimérique ; Et si de ce pays il m'a fait gouverneur, Du rang qu'il m'a donné je soutiendrai l'honneur. Pour réprimer ce peuple et son audace extrême, J'irai plus loin encor qu'Albert n'irait lui-même. D'armer avec les temps Tous les autres cantons contre ces mécontents, Et d'entraîner ainsi dans la chaîne commune Ce qui reste à dompter d'une horde importune. Je vais, en attendant, je vais plus que jamais Resserrer dans leurs fers ces esprits inquiets. Puisqu'à mes lois, Ulric, ils veulent se soustraire ; Je déploierai sur eux le pouvoir arbitraire. Vouloir les gouverner, sur un plan modéré, C'est traiter avec eux, c'est régner à leur gré, C'est conduire leur pas dans la route éclairée. Qu'avant nous leur raison leur a déjà montrée ; C'est d'elle, et non de nous qu'ils dépendent alors ; Que dis-je ? Leur laisser l'examen des ressorts, Nous-mêmes c'est sur nous tourner la dépendance ; Et s'il vient un moment où leur obéissance Doive suivre soudain nos ordres absolus, Trop faits à nous juger, ils n'obéiront plus. Notre conduite ainsi serait donc incertaine, Nos ordres limités, notre autorité vaine ? Il faut, pour s'assurer de leur soumission, S'asservir leur pensée, éteindre leur raison, Et leur donnant des lois bizarres, inutiles, Ne laisser que l'instinct à leurs esprits serviles. Peuple indocile et vain, dont l'aveugle hauteur, Ainsi que mes bontés, croit braver ma rigueur, Il n'est rien que je n'ose et que je n'imagine Pour abaisser l'orgueil où ta haine s'obstine. Je te gouvernerai seulement par l'effroi, Le front dans la poussière et tremblant devant moi ; Sous mon joug, quel qu'il soit, il faut que tu fléchisses ; Et respectes de moi tout, jusqu'à mes caprices ; Et qu'enfin ton esprit par la crainte dompté N'ose plus rien vouloir que par ma volonté. Tiens... de la liberté tel fut jadis l'emblème... J'en veux faire un trophée au despotisme même ; Je prétends que ce peuple asservi sous ma loi Rende à ce signe vain le même honneur qu'à moi. Qu'on l'attache à l'instant au milieu de la place ; Que sans lui rendre hommage aucun mortel n'y passe. Prends ma garde, parais devant ces mécontents, Et viens m'informer du succès que j'attends. Oui, de l'autorité tout acte despotique Est dans d'habiles mains un ressort politique. On a trop condamné l'affront dont au sénat Un empereur altier couvrit le consulat Et tous ces autres traits de libre fantaisie Que se permit des grands la puissance hardie ; Qu'importe le moyen ou le signe employé, Pourvu que sous la loi le peuple soit ployé ; Pour frapper les esprits, hé ! Faut-il tant d'étude ? Les signes ont toujours conduit la multitude ; Et pour être reçus, pour être respectés, Il suffit qu'au hasard ils lui soient présentés. Hé que sont dans les cours tant de signes frivoles, Des rangs et des honneurs arbitraires symboles ? Quel vrai rapport ont-ils à l'objet du respect Qu'on voulut qu'aux esprits imprimât leur aspect ; On attache l'idée, et l'on obtient l'hommage, Ce qu'inventa l'orgueil se soutient par l'usage. Le signe que je donne aura plus d'un effet ; Il façonne à mon joug tout ce peuple inquiet, En portant les mutins à quelques imprudences, Peut m'éclairer encor sur leurs intelligences. Je ne puis croire encor le trouble général, De l'audace d'un fils quand j'ai puni Melchtal, J'ai cessé de poursuivre un jeune téméraire, Qui lui-même en fuyant m'avait livré son père ; N'est-ce point ce Melchtal, dont l'esprit factieux, De la rébellion allume ici les feux, Et qui de son canton, par ses amis peut-être, Dans Altdorff... mais je vois un inconnu paraître Ce vêtement est simple et me cache à ses yeux, Je veux l'entretenir un moment dans ces lieux. Le hasard peut offrir une clarté soudaine. Qu'on s'éloigne un instant. Sa démarche incertaine... Il hésite, il ignore Qui je suis... avançons... instruisez-moi. Sait-on Quels nouveaux mouvements ont troublé ce canton ? Vous parlez de Gesler. Le peuple aime à former des présages sinistres ; Il hait souvent la place autant que les ministres ; Aux soupçons de tout temps son esprit est ouvert ; Mais enfin, s'il se plaint, ce doit être d'Albert. C'en est un dans l'état qu'il soit des mécontents ; Et leur parti, dit-on, s'est formé dès longtemps. Ce peuple avec rigueur, je l'avoue, est traité ; Mais à de douces lois lui-même a résisté ? Vainement la faveur, vainement les promesses... Qu'il s'étonne donc moins que la rigueur agisse. Haï ! Arrête. Arrête, téméraire ? Gardes, qu'on le saisisse. Oui, traître. Toi, rebelle ! Allez, et dans la tour qu'on entraîne ses pas. Ce traître dans Altdorff avait eu l'insolence De paraître en ces lieux après sa résistance ! Mais le sort me le livre. Eh ! Depuis quand crois-tu Que dans les murs d'Altdorff ce rebelle ait paru ? Il faut qu'il m'éclaircisse. Soudain dans ses discours je l'ai vu s'arrêter ; Il s'est fait violence et n'osait éclater ; Il se déguise en vain, et sa seule présence Montre qu'il arrivait conduit par la vengeance. Mais cependant, Ulric, ai-je enfin d'un coup d'oeil, De ce peuple à mes pieds fait tomber tout l'orgueil ? Je te l'avais bien dit. Va, c'est ainsi, crois-moi, que le peuple est conduit ; C'est par sa propre main qu'on lui forge sa chaîne. Qu'importe des esprits le murmure ou la haine ? Le coursier obéit à la plus faible main, Il ignore sa force, et c'est son premier frein. Va, cours interroger ce jeune téméraire ; Porte sur ses discours un examen sévère, J'attendrai ton rapport : et cet audacieux, S'il formait des complots, va périr à leur yeux. Quoi ! C'est peu de Melchtal ! Un autre téméraire Dans le même moment s'expose à ma colère ; Dans la place, malgré l'ordre que j'ai donné Un seul debout, Ulric, quand tout est prosterné, Il signale en public son imprudente audace, Enseigne la révolte en bravant ma menace ! Ah ! Qu'il va payer cher son crime et mon injure ! Hé quel est ce mortel ? Hé ! Lorsqu'on l'a saisi pour venger mes injures, Tu n'as point dans le peuple entendu de murmures ? Puis-je en douter ? Il est de ces séditieux, Qui troublant en secret ce canton par leur plainte, À mon autorité voudraient porter atteinte. Qu'on amène Melchtal ; je veux le confronter Devant l'audacieux que l'on vient d'arrêter. Un secret sentiment qui flatte ma vengeance, Me dit qu'avec Melchtal il est d'intelligence ; Mais n'eût-il point de part aux troubles des cantons, M'avoir désobéi, voilà ses trahisons ; Tant d'audace à mes yeux le rend assez coupable, Lui-même des complots il sera responsable. Approche, vil mortel. Quelle témérité Révolte ton néant contre ma volonté ? Quel es-tu pour m'oser refuser ton hommage ? Frémis, audacieux, Gesler s'est déclaré ; Sous le signe qu'il donne il veut être honoré. Méconnaître mes lois et braver ma puissance ! Est-ce à toi d'en juger ? C'est à toi d'obéir. Tu troublais ce canton. Mortel opiniâtre, aveugle en ta hauteur, Hé ! Que t'en coûterait-il pour obéir ? Rebelle, j'ai souffert trop longtemps ton audace, Au lieu de m'implorer, de demander ta grâce, D'aller la mériter en remplissant ma loi, En saluant l'image où j'ai voulu... Tu le connais ? Tu quittais ton canton pour le chercher ici ; Traîtres, de vos desseins c'est m'avoir éclairci. Au milieu de la place, Je devais par ta mort châtier ton audace ; Je change de pensée. Écoute, tu te plains Que j'asservis la Suisse à mes caprices vains, Mais enfin cette loi que toi seul viens d'enfreindre, Qu'il fallait respecter, qu'au moins il fallait craindre, Arbitraire peut-être, absurde si tu veux, N'avait rien de pénible et rien de dangereux ; C'était l'ordre d'un jour, c'était la loi commune ; Tu l'as bravée ; hé bien je vais t'en prescrire une, Arbitraire de même et plus dure pour toi, Qui fera ton supplice ou du moins ton effroi. On dit que par ta main une flèche lancée Vole aisément au but où tu l'as adressée ; Pour punir ton audace et ta témérité, Je remets tes destins à ton habileté, Voilà ton fils ! Je veux qu'une pomme à ma vue Sur sa tête à l'instant par toi soit abattue. Qu'on entoure son fils, gardes, répondez m'en. Viens expier ton crime, Viens aux yeux de ce peuple autour de nous rangé Dans cette même place où tu m'as outragé. Songe à remplir mon ordre. Obéis, ou ton sang... Non, pour te dérober à la loi que j'impose, Vainement pour ton fils ta tendresse compose ; Je t'ai donné mon ordre, on ne peut l'éluder ; Je veux être obéi, mourir n'est pas céder. En remplissant ma loi, la fortune ou l'adresse Sont la ressource encor que ma bonté te laisse ; Tu peux me satisfaire et conserver ton fils. Mais si ton coeur s'obstine, et si tu n'obéis, Tu péris pour ton fils, mais sa mort est certaine, Je l'immole avec toi. Tu connais ton arrêt. Va chercher une flèche, un arc, que tout soit prêt ; Gardes, vous le suivrez. Consulte ta tendresse, Je puis te pardonner seulement ton adresse ; Dans la place d'Altdorff que son fils soit conduit. Je trouve un châtiment digne de leur audace ; Qu'on emmène Melchtal. Nous, courons vers la place. Tu savais de Gesler quelle était la menace, Tu savais à quel sort t'exposait ton audace, J'ai fait ton châtiment seulement d'un danger, Songe que d'autres coups auraient dû me venger, Et pour les jours d'un fils quand tu cesses de craindre, Lorsque tu l'as sauvé, cesse enfin de te plaindre. À toi qui me bravais, dont la témérité... Est-ce là ton attente ? Est-ce là ma promesse ? D'un fils tu conserves les jours, Je veux bien t'épargner pour prix de ton adresse, Tu m'outrageas, tu vis après ta hardiesse ; Rends grâce à ma clémence. Mais quelle flèche encor vois-je sous tes habits ? Traître, tu la cachais, qu'en prétendais-tu faire ? Oui, réponds, téméraire. Et de son meurtrier punissant la furie, J'eusse encor d'un tyran délivré ma patrie. Qu'on le charge de fers, qu'on l'ôte de mes yeux ; Allez délivrez-moi de cet audacieux. J'ordonnerai bientôt le châtiment du traître ; Il servira d'exemple. Un tel excès d'audace en un rang aussi bas ! Son orgueil sur le mien n'aura pas la victoire, Et dès ce jour... mais, non, ne précipitons rien, Ce traître dans Altdorff n'était pas sans soutien. Tu le vois, sa fureur attentait à ma vie, Et jusqu'à s'en vanter, le perfide s'oublie Ce n'est point tout d'un coup qu'avec sécurité On s'élève en public contre l'autorité ; Que la rébellion la plus impatiente, Avec tant de fureur dans une âme fermente ; Il faut dans les esprits, à tout événement, S'être formé de loin un secret ralliement ; Tout annonce en ce traître une âme fanatique, Une volonté forte est qui se communique, Il est un vrai complot ; mais ce dessein hardi, Ailleurs que dans Altdorff doit être approfondi. Tout le peuple avec joie a vu sa résistance, Cette témérité flattait leur impuissance ; Ils aimaient un mortel qui semblait en leur nom Venir briser le joug où j'ai mis ce canton, Et cet heureux succès qu'il doit à son adresse, De leur secret triomphe augmente encor l'ivresse. Non, ne laissons point croire aux esprits prévenus, Que contre mon pouvoir on osait encor plus ; Des regards de ce peuple éloignons le perfide, Éloignons ce Melchtal que le même esprit guide, Je veux dès ce moment pour mieux m'assurer d'eux, Moi-même dans Kus-Nac les conduire tous deux ; Là pour développer leurs intrigues obscures. Pour tirer leur aveu j'emploierai les tortures. La vérité connue, il me suffit, Ulric, Sans rendre dans Altdorff leur crime trop public, Je rétablirai l'ordre et quant à ces rebelles, Quant aux autres mutins entrés dans leurs querelles, J'étudierai les coups que je dois leur porter, Et le sévère arrêt que je saurai dicter, Me paiera bien du temps ou mon courroux s'arrête. Sur le lac à l'instant qu'une barque soit prête, De ce bord isolé qu'on le fasse approcher, Cours, vole, cher Ulric, et reviens me chercher ; Ils connaîtront Gesler, ils apprendront, les traîtres, Si c'est impunément qu'on s'attaque à ses maîtres. Les perfides ! Cherchons Tell, que ce traître aux supplices en proie... Sort cruel ! **** *creator_lemierre *book_lemierre_guillaumetell *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_guillaumetell *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_MELCHTAL *date_1766 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_melchtal Quoi ! Nos cantons ; cher Tell, sont-ils si séparés ? Quoi ! Mes malheurs ici, seraient-ils ignorés ? Le barbare Gesler !... ami, tu vois les larmes, Le désespoir d'un fils. Ce cruel gouverneur sur la Suisse élevé, De mes pleurs, de mon sang, Gesler s'est abreuvé. Nul plus que moi, cher Tell, n'éprouva sa furie. Au pied de ces monts Qui bordent Undervald et que nous habitons, Mon père dans son champ conduisait sa charrue ; Un soldat de Gesler se présente à sa vue, Et d'un bras forcené saisit les animaux Qui servaient à pas lents ses champêtres travaux. Gesler l'ordonne ainsi, toute prière est vaine. Déjà le satellite à ses yeux les emmène, Je l'aperçois, j'y vole, et le fer à la main Je combats de Gesler le soldat inhumain, Le désarme, et le force à relâcher sa proie ; Je revole à mon père. Ah ! Que je ne te voie De longtemps, me dit-il, fuis, mon fils, quitte-moi, Fuis Gesler : le cruel se vengerait de toi ; Obéis-moi, te dis-je, épargne ma tendresse, Ne laisse point porter ce coup à ma vieillesse. Je voulus, mais en vain, combattre son effroi ; À ses voeux, à ses pleurs je cédai malgré moi. Je pars, j'erre en ces rocs, dont partout se hérisse Cette chaîne de monts qui couronnent la Suisse ; Ô trop fatal exil ! Pourquoi t'ai-je cherché Tandis que ces rochers me retenaient caché, Gesler ne respirant que sang et que vengeance, Gesler fait amener mon père en sa présence. Que fait ton fils, dit-il ? Ton supplice est tout prêt, Trouve et livre Melchtal, ou subis ton arrêt. Mon père pour réponse offre au tyran sa vie ; Et le cruel Gesler !... Ô crime !... Ô barbarie !... Dans les yeux de mon père... un glaive... Ah ! Je frémis ; Le sang se glace encor dans le coeur de son fils. J'ai perdu par ce coup mon trop malheureux père ; Et quand dans les chagrins dont je suis dévoré, Je vois qu'en le quittant, c'est moi qui l'ai livré, À moi-même, cher Tell, j'impute son supplice, Et d'un monstre inhumain je me crois le complice. D'approcher du tyran, de lui percer le sein, De laver dans son sang le plus horrible outrage. Eh ! Qui donc ? Ah cher Tell ! Ah ! Vers toi c'est le ciel qui m'envoie, J'embrasse ton dessein, je confonds avec joie Tous mes ressentiments, tous mes voeux dans les tiens, Dans l'indignation de mes concitoyens. J'accepte avec transport ces fortunés présages, Captifs sous nos tyrans, nos stériles courages, Ainsi que sans emploi demeurant sans éclat, Partageaient le sommeil du reste de l'état ; Nous n'eussions ni vécu, ni laissé de mémoire, Il s'ouvre devant nous un vaste champ de gloire, Échappés pour jamais à notre obscurité, La vengeance nous mène à l'immortalité, Et sans rien emprunter de la gloire étrangère Que l'on reçoit d'un nom qui n'est qu'héréditaire, Anoblis par nos mains et par d'illustres coups, La splendeur de nos noms n'appartiendra qu'à nous. Nul ne fut par Gesler outragé plus que moi, Et c'est le cri du sang qui garantit ma foi. Quel serait ce mortel donc l'aspect importun... S'unirait-il à nous pour l'intérêt commun ? Aucun de mes amis ne se présente encore, Qui peut les arrêter ? On sait que sous Gesler... que pourrais-je vous dire ? Je ne puis vous instruire Le peuple voit assez qu'il n'est plus de repos, Et sous de dures lois n'augure que des maux. Albert ne connaît pas le sort de nos provinces, Albert ne voit pas tout, c'est le malheur des princes. Il n'est point de partis, et même il n'en peut être ; Le murmure commun s'est assez fait connaître. Par-tout le joug public pèse d'un poids égal ; Mais que peut la vertu dans le sort général ! Le ciel qui voit nos maux, qui les permet encore, Leur a marqué sans doute un terme que j'ignore. Hé ce sont ces faveurs, hé ce sont ces caresses Qui, plus que tout le reste, ont aigri les esprits ; C'est à la violence ajouter le mépris, Que d'oser chez un peuple, aussi libre que brave, Forcer la volonté d'être elle-même esclave ; Mais en vain aux esprits on crut donner ce pli, Ce peuple aime mieux être opprimé qu'avili. Et Gesler de se voir si haï dans la Suisse. C'en est assez. Rompons cet entretien. Vous servez les tyrans, je cherche un citoyen. Et de quel droit ? Eh quoi ! Du gouverneur serais-tu l'émissaire ? Ô surprise ! Ô fureur ! Suis-je aux mains de Gesler ? Ah Dieu ! Ah fortune cruelle ! C'est toi, monstre, et mon coeur n'en a rien pressenti ? Ma haine à ton aspect ne m'a point averti ? Le ciel qui veut ma perte, et qui veut mon outrage, En t'offrant à mes yeux te soustrait à ma rage ! Loin d'un père et laissant ses jours sous le couteau, Près de toi, sans avoir reconnu son bourreau, Inhabile à venger une tête si chère, Deux fois un sort cruel m'a fait trahir mon père. Poursuis, tyran, poursuis, comble tes attentats ; Que ta fureur s'épuise à me chercher des crimes ; Dans la même famille immole deux victimes ; Punis-moi des malheurs où je suis parvenu ; Mais punis-moi surtout de t'avoir méconnu. Ah Dieu ! Quelle fureur t'anime ? Cher et malheureux Tell ! Eh ! Quel est donc son crime ? Je quittais mon canton ! Hé ! Pouvais-je, barbare, Quand d'un père immolé ta fureur me sépare, Pouvais-je demeurer sous l'image des coups Qu'aux rochers d'Underval lui porta ton courroux ? Je viens répandre ici dans cette horrible injure Au sein de l'amitié les pleurs de la nature ; Mais je ne croyais pas, en m'approchant de lui, Respirer avec toi le même air aujourd'hui. Après m'avoir puni sur mon malheureux père, Punis-moi sur moi-même, assouvis ta colère ; Mais lorsque ton courroux se sera satisfait, Tu perdras ta vengeance et tu n'auras rien fait ; Et si tu crois devoir ordonner nos supplices, Punis les trois cantons, tous trois sont nos complices. Barbare ! Quoi partout tu poursuis la faiblesse ! Ces deux âges sacrés l'enfance et la vieillesse, Tout ce qui peut fléchir même la cruauté N'est qu'un attrait de plus pour ta férocité. Il est libre. Au comble des revers notre fortune change. Nous traversions le lac, et Gesler, l'oeil sur nous, Lui-même exécutant l'arrêt de son courroux, Voguait sur notre barque avec toute sa suite ; Soudain l'air s'obscurcit, l'onde s'enfle et s'agite, Et les vents en fureur déchaînés sur les flots Déconcertent l'effort et l'art des matelots. Déjà Gesler pâlit, et tremble pour sa vie ; Le ciel semble en effet punir sa barbarie ; Mais c'est sur son orgueil qu'avec étonnement Nous avons vu tomber le premier châtiment. Admirez avec moi le ciel dont la puissance Abaisse des humains et confond l'insolence. Tandis que tout s'alarme, et Gesler et les siens, Que l'orage s'accroît, que l'art est sans moyens, On avertit Gesler, que, conducteur habile, Tell seul peut commander à la vague indocile ; À cet avis propice, autant qu'inattendu, Un cri partout s'élève, et l'espoir est rendu. Gesler est combattu, Gesler frémit de rage, Mais le péril pressant, mais l'aspect du naufrage, De tous les passagers les cris impérieux, Son pouvoir éclipsé devant celui des cieux, Tout le force à céder. Gesler contraint sa haine ; De Tell avec dépit il détache la chaîne ; Tell passe au gouvernail en ces extrémités, Exigeant que Melchtal soit libre à ses côtés ; Quel spectacle ! Un tyran que la vengeance anime ; Forcé d'avoir recours à sa propre victime, Voyant le sort des siens, son destin tout entier À la seule merci de son fier prisonnier. Tell du milieu du lac arrache, non sans peine, La barque que la vague aussitôt y ramène, La pousse vers un bord moins battu par les flots Où la pointe d'un roc s'élève sur les eaux. L'espérance renaît il s'efforce, il approche, S'élance en un clin d'oeil avec moi sur la roche, D'où repoussant du pied la barque et nos tyrans, Nous les avons plongés dans les flots écumants. Il m'envoyait vers vous en cet événement Pour vous instruire ici de ce grand changement ; Et sauvé du danger, sa première pensée, Est d'ôter la terreur qu'il vous avait laissée. Au bord de ces rochers il est encor resté, Pour voir quel est le sort d'un tyran détesté, Cependant on accourt de loin sur son passage, Les uns de ces rochers, les autres du rivage ; Ils cherchent un mortel qui peut tout surmonter, Que le péril approche, et semble respecter. De revoler vers lui j'ai donné ma parole, Souffrez que de ce pas... Ah ciel ! Notre victime ! J'y cours. Brave Tell, ton discours comme des traits de flammes, Tu le vois dans leurs yeux, vient d'embraser leurs âmes, La victoire ou la mort. **** *creator_lemierre *book_lemierre_guillaumetell *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_guillaumetell *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_FURST *date_1766 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_furst Nos nouveaux députés sont rentrés dans la Suisse, Mais sans avoir d'Albert pu fléchir l'injustice ; Ils ont vu rejeter leur plainte avec mépris. Je jure que mon bras servira ton courage. Ah ! Savez-vous quel bruit se répand sourdement. Le gouverneur ici craint quelque mouvement. On dit, que des complots pour prévenir les suites, Il place autour d'Altdorff de nouveaux satellites, Et cachant le courroux dont il est transporté, Pour tromper les mutins feint de s'être écarté. Ah ! Nous perdons Melchtal, il vient d'être arrêté, De Gesler il a dû redouter la colère, Gesler sur les chemins eut plus d'un émissaire Dont la fureur vénale et les yeux ennemis ! Après le père encore auront cherché le fils. Ah ! Tu ne peux douter que mon coeur ne partage Ton indignation à ce nouvel outrage. Mais dans le grand dessein, où tous nous avons part, Donner trop au courroux, c'est donner au hasard. Devant tous les châteaux que nous devons surprendre, Et nous et nos amis nous ne pourrions nous rendre. N'attaquer aujourd'hui que Sarne et Rotzemberg, Ce serait avertir le cruel Landenberg, Cet autre affreux tyran dont les mains vengeresses Auraient bientôt muni les autres forteresses. Il faut pour le succès de nos communs efforts, Il faut en même temps investir tous les forts. Non, il vit, Cléofé ; le ciel vous le renvoie. Dans la place d'Altdorff près d'un arbre attaché, Aux yeux de tout ce peuple interdit et touché, Il attendait son sort : le gouverneur arrive, Il traverse avec Tell cette foule attentive ; Tell voit son fils, s'arrête, et jette vers le ciel Un regard où se peint son désespoir mortel. Le tyran qu'enflammait la soif de la vengeance, Laisse voir dans ses yeux sa barbare espérance ; Tout le peuple en silence observe avec terreur. Cependant votre époux surmontant sa douleur, S'éloigne à la distance où le tyran l'exige, Il tire ; et soit hasard, soit qu'un si grand prodige À la nature seule eût été réservé, La pomme est abattue, et son fils est sauvé. Le peuple vers le ciel pousse des cris de joie, De Tell dans tous les coeurs le bonheur se déploie, Plus ils tremblaient pour lui, plus son habileté À sortir d'un péril si grand, si redouté Vient d'enflammer pour lui leur âme soulagée, En admiration la pitié s'est changée, Et l'inhumain Gesler que sa fureur trahit, A peine à renfermer l'excès de son dépit. Nous, saisissons l'instant où le cruel Gesler Devient plus odieux, et mon ami plus cher. Où courez-vous ? Ô ciel ! Et quel est ce transport ? Ah ! De votre douleur redoutez l'imprudence. Plus que vous ne croyez, l'instant heureux avance, Où de ses oppresseurs ce peuple est délivré. Pour venger la patrie et toutes nos injures, Nous n'avons attendu vos maux, ni vos murmures, Et l'infâme Gesler par ses derniers forfaits, Précipite aujourd'hui l'effet de nos projets. Tandis que sur le lac infecté par ses crimes, Le perfide lui-même entraîne ses victimes, C'est sur le même lac que le brave Werner A couru vers Kus-Nac et devancé Gesler ; Avec impatience au delà de la rive, Werner et tous les siens attendent qu'il arrive ; Et fondant tout-à-coup sur ce lâche mortel, De ses barbares mains ils vont délivrer Tell. Regardez cette tour Qui des hauteurs d'Altdorff domine sur ce bourg, Ce fort dont le nom seul est l'insulte publique, Et le triomphe affreux du pouvoir despotique ; Là mettant à profit l'absence de Gesler, Nous devons tous entrer, chacun cachant un fer ; Un de nous vers la nuit doit dans la forteresse Nous introduire tous par une heureuse adresse. Contre un monstre puissant la ruse est notre appui, Et si nous l'employons, le crime en est à lui. Une fois dans le fort notre troupe élancée, Une fois de ses murs la garnison chassée, Nos mains de toutes parts aux châteaux des tyrans Porteront et la hache et les feux dévorants, Jusqu'en ses fondements détruiront leur asile. Attendez ces grands coups d'un esprit plus tranquille. L'heure approche où je dois rejoindre mes amis, Plus de retardements ne peut m'être permis ; Je vais, par les effets confirmant ma promesse, Justifier ici l'espoir que je vous laisse, Tandis qu'ailleurs Werner court, frappant d'autres coups, Et délivrer Melchtal et vous rendre un époux. **** *creator_lemierre *book_lemierre_guillaumetell *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_guillaumetell *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_WERNER *date_1766 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_werner On nous oppose, ami, Zug, Lucerne, Glaris, Ces cantons, qui d'Albert devenus la conquête, À son joug dès longtemps ont présenté leur tête. Albert nous offre encor ses superbes bontés, Si nous voulons fléchir devant ses volontés ; Autrement plus de paix pour nos tristes provinces ; Et l'affreux lieutenant du plus altier des princes, Ne va de jour en jour au crime encouragé, Qu'appesantir le joug dont ce peuple est chargé. Par le même serment avec toi je m'engage. **** *creator_lemierre *book_lemierre_guillaumetell *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_guillaumetell *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_ULRIC *date_1766 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ulric Oui Seigneur c'est ici, c'est du moins vers ces lieux, Qu'on a vu s'assembler de ces séditieux. Désormais dans Altdorff votre seule présence Peut imposer encore à l'aveugle licence, Et prévenir l'effet de tous ces mouvements Qui semblent augmenter de moments en moments. Vous connaissez, Seigneur, quelle humeur inflexible, Rendit à vos bontés tout ce peuple insensible. Leur orgueilleuse main repoussa la faveur. Ce que votre bonté n'a pu sur leur hauteur, Pensez-vous aujourd'hui que la rigueur le puisse ? Ils conservent l'espoir de révolter la Suisse, Rien ne peut détacher leur esprit indompté De ce fantôme vain qu'ils nomment liberté. Les murmures partout, les plaintes retentissent, Et tous ces mécontents l'un par l'autre s'aigrissent. Ils peuvent les briser. Cependant ces cantons de l'Autriche ennemis Lui résistent encor, lorsque tout est soumis. Hé que résolvez-vous ? Seigneur, J'accours vers vous. Sachez... Reconnaissez le fils de Melchtal. Sitôt que de son père il a su le supplice Sans doute ; mais j'ignore... Jusqu'ici sous vos lois on fléchit dans la place ; Nul encor de Gesler ne brave la menace, Et leur soumission... Seigneur, par votre garde il vient d'être arrêté ; Il va, chargé de fers, vous être présenté. Sa fortune est obscure. C'est un de ces humains, qui courbés dans leurs champs, De la terre avec peine arrachent les présents ; Mais dans son sort obscur, seigneur, dans sa bassesse, Il s'est fait remarquer longtemps par son adresse ; Une flèche, dit-on, sous son coup d'oeil certain Frappa toujours le but au sortir de sa main. D'un désir curieux tout le peuple excité, En tumulte a couru, le voyant arrêté ; Ils murmuraient, Seigneur ; mais pour sa délivrance On n'ose rien tenter, au moins en apparence ; Nul ne s'est déclaré pour lui servir d'appui. Au milieu de ce peuple, en foule autour de lui, Le prisonnier marchait, sans que sur son visage On vît du repentir le moindre témoignage ; Je ne sais quoi d'altier paraissait dans ses yeux. Votre autre prisonnier amené dans ces lieux, Seigneur, vient sur mes pas reparaître à vos yeux. Il est de ces mortels dans les plus vils états, De ces audacieux aigris par leur bassesse, Qui pour se distinguer n'ont que la hardiesse, Plus leur sort est obscur, plus leur rang est abject, Plus ils osent franchir les bornes du respect ; Point de milieu pour eux, la crainte ou la licence, L'obéissance extrême, ou l'extrême insolence ; Ne prétendant à rien, qu'ont-ils à ménager ? Pour changer de fortune, ils bravent le danger, À leurs yeux insensés la révolte est la gloire.