**** *creator_lemierre *book_lemierre_veuvemalabar *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_veuvemalabar *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_FATIME *date_1770 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_fatime Madame, à quelle loi vous êtes-vous soumise ? Je frémis d'y penser ! Votre malheur m'accable, et vous semblez tranquille. Les regrets qu'il vous laisse ont-ils pu dans ce jour, Jusque-là de la vie éteindre en vous l'amour ? Qu'importe à votre époux, à son ombre insensible, De vos ans les plus beaux le sacrifice horrible ? Autant que vous l'aimiez, s'il vous aimait, hélas ! Aurait-il exigé... Elle est injuste, affreuse. Comment a-t-on souffert cette loi meurtrière ? Quelle femme assez faible y céda la première, Et prit sur le bûcher de son barbare époux, Ce parti de douleur, embrassé jusqu'à vous ? L'époux traîne à la mort son épouse fidèle ; Mais lui, lorsqu'il survit, s'immole-t-il pour elle ? Au-delà du tombeau lui garde-t-il sa foi ? Quel droit de vivre a-t-il, que d'avoir fait la loi ? Sans peine il l'imposa sur un sexe timide, Tandis qu'il s'affranchit de ce joug homicide. Qu'entends-je ? Ma surprise égale mon effroi. Eh quoi ! Dans votre hymen vous n'étiez point heureuse ? Au fond de votre coeur quel désespoir j'ai lu ! Vous me cachez vos pleurs. Parlez : quelle douleur trop longtemps renfermée... Grands dieux ! Et votre époux vous immole aujourd'hui ! Quoi ! Vous ne l'aimiez point, et vous mourez pour lui ! Son trépas rompt le cours de vos jeunes années ; Il dévore en un jour toutes vos destinées : Votre bûcher dressé sous cet horrible ciel, Va servir de trophée aux mânes d'un cruel ; Le sort vous en délivre, et sa faveur est vaine ! Vous redoublez ma peine. Mais où vit votre amant ? Ah ! Que m'apprenez-vous ? Après un tel hymen, quel étrange partage ! Ciel ! Je vois de ce temple avancer un ministre ; Je lis la cruauté dans son regard sinistre. Eh bien ! Qu'annoncez-vous ? Sans doute le trépas, Le deuil et la terreur accompagnent vos pas : Venez-vous réclamer une affreuse promesse ? Venez-vous de mes bras arracher ma maîtresse ? Ah ! Madame, une trêve avec ces étrangers Arrête le carnage et suspend les dangers ; Il est vrai qu'on la borne au cours d'une journée ; Mais j'en ai plus d'espoir, plus la trêve est bornée. Dans nos murs la terreur et le trouble est partout : Et sans doute à céder l'indien se résout. Le général français, sans dépouiller l'audace, Avec le gouverneur traite devant la place, Et le ton dont il parle annonce qu'au plus tôt La ville doit se rendre ou s'attendre à l'assaut. Et prête à voir changer la loi qui vous accable, Vous précipiteriez votre fin déplorable ! Vous n'en pouvez douter, madame, vous vivrez, Du moment qu'aux français ces murs seront livrés. Mais quel trouble nouveau vous presse et vous domine ? Sans doute l'entretien de ce jeune bramine, Qui dans la fleur des ans porte un coeur si cruel, Jette dans votre esprit ce désespoir mortel. Et vous voulez mourir dans d'horribles souffrances ! De vos autres parents les barbares instances, L'emportent dans ce coeur tristement affermi ! Un frère en vain vous aime ! Eh ! Pourquoi vous tracer sous de noires couleurs Ce qui peut au contraire abréger vos malheurs ? Pourquoi désespérer ? Tout vous presse de vivre, La trêve qu'en ces lieux la conquête peut suivre, Un frère retrouvé ; le dirai-je ! Un espoir Plus cher à votre coeur et qu'il peut concevoir. Eh ! Qui sait, dans le camp s'ils n'ont pas connaissance De cet européen dont vous pleurez l'absence ? Vous n'avez point, madame, à craindre la présence Du chef des assiégeants qui prend votre défense, Et n'ayant pu vous voir, ni même l'espérer, Il ne vous cherchera que pour vous délivrer. Mais contre la rigueur d'un usage barbare, Trop hautement, pour vous, ce guerrier se déclare. Ce héros dans ces lieux n'est point en sûreté : J'ai vu le fanatisme et ce peuple irrité ; Le bramine jaloux de garder sa victime, Contre cet étranger lui-même les anime ; Il le peint dans nos murs comme un monstre odieux, L'ennemi de nos lois, l'ennemi de nos dieux. Je crains de ces clameurs quelque suite sanglante. Engagez-le à cacher l'appui qu'il vous présente, Ou les soins du guerrier qui vous sert aujourd'hui, Peut-être vains pour vous, vont tourner contre lui. Ô ciel ! Qu'allez-vous faire ? Où portez-vous vos pas, et quel soin vous anime ? Ainsi toute espérance est pour jamais détruite. Quel spectacle d'horreur ! **** *creator_lemierre *book_lemierre_veuvemalabar *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_veuvemalabar *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_LEGRANDBRAMINE *date_1770 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_legrandbramine Un illustre indien a terminé sa vie : Sachez donc si sa veuve, à l'usage asservie, Conformant sa conduite aux moeurs de nos climats, Dès ce jour met sa gloire à le suivre au trépas : C'est un usage saint, inviolable, antique, Et la religion, jointe à la politique, Le maintient jusqu'ici dans ces états divers, Que traverse le Gange et qu'entourent les mers. Allez. Je vous attends. Oui, c'est vous dont le zèle Conduira de sa mort la pompe solennelle. Qu'importe qu'en mourant il n'ait point reçu d'elle Le serment de le suivre en la nuit éternelle ? Pensez-vous que du sang dont on sait qu'elle sort, Elle puisse à son gré disposer de son sort ? Au nom de son époux, sa famille inquiète, L'environne déjà pour exiger sa dette ; L'affront dont en vivant elle se couvrirait, Sur ses tristes parents à jamais s'étendrait, Et de sa propre gloire une fois dépouillée, Que faire de la vie après l'avoir souillée ? Où serait son espoir ? Sans honneur et sans biens, Devenue et l'esclave et le rebut des siens, Vile à ses propres yeux dans cet état servile, Ou plutôt dans l'horreur de cette mort civile, Elle ne traînerait que des jours languissants, S'abreuverait de pleurs et mourrait plus longtemps. Et vous, ignorez-vous sous quel sceptre d'airain L'usage impérieux courbe le genre humain ? Observez le tableau des moeurs universelles, Vous verrez le pouvoir des coutumes cruelles : L'empereur japonais descendant chez les morts, Trouve encor des flatteurs pour mourir sur son corps. Les enfants pour périr ou vivre au choix du père, Ailleurs sont désignés dans le sein de leur mère. Le massagète immole, et c'est par piété, Son père qui languit sous la caducité. Le sauvage vieilli, dans sa douleur stupide, De son fils qu'il implore, obtient un parricide. Sur les bords du Niger, l'homme est mis à l'encan : En montant sur le trône, on a vu le sultan Au lacet meurtrier abandonner ses frères, Et dans l'Europe même, au centre des lumières, Au reste de la terre, un honneur étranger, De sang-froid, pour un mot, force à s'entr'égorger. Quel langage inouï ! Quelle erreur te domine ! N'es-tu donc dans le coeur indien, ni bramine ? La femme naît pour nous ; et par un fol égard, Tu veux que dans l'hymen elle ait ses droits à part ! Prends-tu les préjugés des nations profanes ? On doit tout à l'époux, on doit tout à ses mânes. Elle-même a senti dans ses attachements Le prix qu'elle doit mettre à ces grands dévouements : L'appareil des bûchers et leur magnificence, Ne peut appartenir qu'à la fière opulence ; Mais la veuve du pauvre accompagne le mort, Se couvre de sa terre et près de lui s'endort. Même dans ces cantons, où la loi moins sévère Se relâche en faveur de l'épouse vulgaire, Celle qui croit sortir d'un assez noble sang, Réclame les bûchers comme un droit de son rang. Recule dans le temps, et voit dans l'Inde antique, Combien l'on a brigué ce trépas héroïque. Songe au fils de Porus ; remets-toi sous les yeux Des veuves de Céteus le combat glorieux : L'une, à qui de l'hymen aucun gage ne reste, Tire son droit de mort d'un état si funeste ; L'autre, du gage même enfermé dans son sein ; Et celle que la loi force à céder enfin, Qui se voit enlever le trépas qu'elle envie, N'entend qu'avec horreur sa sentence de vie. Tu les plains de mourir, toi qui connais nos lois, Ces victoires sur nous, ces maux de notre choix ! Ici tout est extrême. Eh ! Vois nos solitaires, Des fakirs, des joghis les tourmenps⁎⁎⁎ volontaires. Vois chacun d'eux dans l'Inde à souffrir assidu, L'un, le corps renversé, dans les airs suspendu, Sur les feux d'un brasier pour épurer son âme, L'attiser de ses bras balancés dans la flamme ; Les autres se servant eux-mêmes de bourreaux, Se plaire à déchirer tout leur corps par lambeaux ; L'autre habiter un antre ou des déserts stériles ; Sous un soleil brûlant plusieurs vivre immobiles ; Celui-ci sur sa tête entretenir les feux Qui calcinent son front en l'honneur de nos dieux. Vois sur le haut des monts le bramine en prières, Pour vaincre le sommeil s'arracher les paupières ; Quelques-uns se jeter au passage des chars, Écrasés sous la roue, et sur la terre épars : Tous abréger la vie et souffrir sans murmure, Tous braver la douleur et dompter la nature. Eh bien ! Qu'avez-vous su ? Cette veuve fidèle Aux mânes d'un époux se sacrifiera-t-elle ? A-t-elle enfin promis ? Je n'espérais pas moins ; et je vois sans surprise, Surtout dans ces moments, sa conduite soumise. Le siége avance, amis ; l'européen jaloux, Au métier des combats plus exercé que nous, Plus habile en effet, ou plus heureux peut-être, Dans nos remparts forcés est près d'entrer en maître : De la loi des bûchers maintenons la rigueur, Et qu'après la conquête elle reste en vigueur. Cette veuve bientôt se rendra-t-elle au temple ? Entends une autre voix qui te parle et te crie : Qu'attends-tu de ce monde ? Est-ce là ta patrie ? Nous naissons pour les maux, n'en sois point abattu, Apprends que sans souffrance il n'est point de vertu. De Brama, dans ce temple, entends la voix terrible : Tu deviens sacrilège, et tu te crois sensible. Vous êtes le dernier de nos initiés ; C'est à vous au bûcher de guider la victime, Et d'affermir encor le zèle qui l'anime. Cet honneur vous regarde ; allez donc aux lieux saints L'attendre, et suivre en tout mes ordres souverains. La loi veut, il suffit ; courbez-vous devant elle ; Soyez humble du moins, si vous n'êtes fidèle. Quel sujet si pressant vous amène vers nous ? Eh bien ! Qu'annoncez-vous ? Allez, dans un moment je vais l'entretenir. Attendre ! Différer ce qu'il faut maintenir ! Quel est donc son dessein ? Quand on craint la conquête, À conserver nos moeurs est-ce ainsi qu'on s'apprête ? De sa fausse prudence il faut nous défier, Lui-même à mon dessein je le vais employer. Oui, quoi que dans ce jour le gouverneur propose, De Brama sur ces bords soutenons mieux la cause, Loin que le sacrifice en ces lieux attendu, Pour le siége un moment doive être suspendu, Ah ! N'est-ce pas plutôt par de tels sacrifices, Qu'il faut à nos guerriers rendre les dieux propices ? Cet usage établi par la nécessité, Par la religion fut encore adopté, Et la loi des bûchers une fois rejetée, Où s'arrêterait-on ? Une coutume ôtée, L'autre tombe ; nos droits les plus saints, les plus chers, Nos honneurs sont détruits, nos temples sont déserts. Plus la coutume est dure, et plus elle est puissante ; Toujours devant ces lois de mort et d'épouvante, Les peuples étonnés se sont courbés plus bas : Si ces étranges moeurs n'étaient dans nos climats, Quel respect aurait-on pour le bramine austère ? Des maux qu'il s'imposa la rigueur volontaire Serait traitée alors de démence et d'erreur ; Mais quand d'autres mortels, imitant sa rigueur, Portent l'enthousiasme à des efforts suprêmes, Et savent comme nous se renoncer eux-mêmes, Alors le peuple admire, il adore et frémit ; L'ordre naît, l'encens fume et l'autel s'affermit. Superbe européen, quels sont donc ces murmures ? De l'époux qui n'est plus cet hommage attendu, Ce digne sacrifice est presque suspendu ; Au mépris de la trêve on répand les alarmes, Les tiens même ont parlé de courir à leurs armes ; Sans respect pour le temple, en ce parvis sacré, En tumulte par eux je viens d'être entouré. Tu leur donnais cet ordre ? Quelle est donc ton audace ? Es-tu vainqueur ici pour nous parler en maître ? Et moi comme organe des cieux, Comme un prêtre, un mortel inspiré par ses dieux. Quel es-tu, pour juger des moeurs de ma patrie, Pour vouloir renverser et plonger dans l'oubli Sur des siècles sans nombre un usage établi ? Crois-tu déraciner de ta main faible et fière Cet antique cyprès qui couvre l'Inde entière ? Éteindras-tu l'amour ? Éteindras-tu le zèle, Le courage fondé sur la base immortelle De la religion qui confond dans ces lieux Le respect de l'époux et le respect des dieux ? Un généreux amour, conservé dans les âmes, De la mort parmi nous fait triompher les femmes ; Si de ce dévouement leur grand coeur est jaloux, Crois-tu que nous soyons plus indulgents pour nous ? Sais-tu pourquoi je suis le premier des bramines ? Je parvins à ce rang par des chemins d'épines ; J'ai déchiré ce sein de blessures couvert ; Sans courir à la mort, j'ai fait plus, j'ai souffert. Quant à la loi cruelle où la veuve est soumise, Autant que la raison, l'équité l'autorise ; Les femmes autrefois, ne l'as-tu point appris ? Hâtaient par le poison la mort de leurs maris. Tu te flattes en vain que ton bras la délivre, Qu'assez lâche aujourd'hui pour consentir à vivre, Elle aille sous ses pieds disperser sans remords La cendre de l'époux qui l'attend chez les morts. A-t-elle un père, un frère ? Eh bien ! De la nature Leur juste fermeté fait taire le murmure ; À leur exemple ici sois donc moins effrayé : Ils domptent la nature, étouffe la pitié. Sortons. Modère ce transport et quitte cet espoir ; Se soustraire aux regards est pour elle un devoir : Jamais un étranger ne peut approcher d'elle : Et dans la solitude où ce moment l'appelle, Des expiations, des soins religieux Dérobent même encor sa présence à nos yeux. Et c'est où je t'arrête ; oui, c'est sa gloire même, Qui de mourir ici lui fait la loi suprême. Penses-tu qu'oubliant tout ce qu'elle se doit, Pour l'intérêt de vivre, elle en perde le droit ? Elle a promis sa mort ; la pitié qui te presse Ne peut rien sur son âme et rien sur sa promesse. Loin de plaindre son sort, admire son grand coeur ; Ne le soupçonne point de faiblesse ou d'erreur ; L'honneur engage enfin cette épouse fidèle : Quand je te céderais, tu n'obtiendrais rien d'elle. La parole, Madame, à vos parents donnée, Ne laisse aucun retour à votre âme enchaînée. Au sang dont vous sortez votre vertu répond ; Et si j'en crois la paix qu'on voit sur votre front, Vous chérissez sans doute une promesse austère, Qui ne vous permet plus un regard vers la terre. Votre âme a déjà pris, dans ses devoirs pressants, Un courage au-dessus des révoltes des sens ; Elle s'élance aux cieux, où, pure et sans mélange, Sa source fut cachée avec celle du Gange. Si vous quittez la vie et ses vaines douceurs, Vous honorez nos lois, vous consacrez nos moeurs ; Vous en raffermissez les profondes racines ; Vous transmettez l'exemple à d'autres héroïnes ; Vous conservez l'honneur de ceux qui vous sont chers ; Du bûcher vous régnez jusque sur les enfers, Et si pour expier jusqu'aux moindres souillures, Votre époux est tombé dans ces lieux de tortures, Votre mort le rachète, et votre dévouement En un bonheur sans fin va changer son tourment. C'est peu de joindre ici votre image aux statues De celles que l'effroi ni la mort n'ont vaincues, Tandis que votre nom sur la terre vivra, Du pays Malabare aux sommets d'Eswara, Dans des astres sereins vous rejoindrez ces veuves, Qui de la foi promise ont su donner ces preuves, Et qui pour leurs époux n'ont pas cru dans le ciel Trop payer de leur mort un repos éternel. Qu'osez-vous souhaiter ? Qu'avez-vous dit, madame ? Étouffez un tel voeu dans le fond de votre âme. L'humanité ! Faiblesse ! Impuissance du bien, Des mortels corrompus chimérique lien ! Ce voeu trop indiscret dont votre âme est séduite, De votre sacrifice affaiblit le mérite ; Mais je vous connais mieux, de vous-même jamais Vous n'auriez pu former ces aveugles souhaits. Ces fiers européens jusqu'en nos esprits même Ont soufflé le poison de leur lâche système ; Mais plus ces étrangers, nous infectant d'erreurs, Veulent nous inspirer leur doctrine et leurs moeurs, Plus il faut par l'éclat des exemples sublimes, Combattre et repousser de funestes maximes : D'une âme haute et ferme au-dessus de son sort, Telle enfin que la vôtre, on attend cet effort. Songez en ces moments que l'Inde vous contemple, Et de votre courage exige un grand exemple. Profane, crois-tu donc que sa vertu constante... Quand tu vois que son sort et même ses souhaits... Quel est donc cet excès de démence et de rage ? Jusqu'au pied des autels l'insolent nous outrage. De la religion il attaque les droits ; Pour sauver la victime il veut changer nos lois. Ne perdons point de temps, écartons la tempête ; Que dis-je, l'écarter ? Tournons-là sur sa tête, Et par sa perte, amis, vengeons avec éclat Nos usages, nos lois, et ce temple et l'état. Peuples, soyez en paix ; c'est moi qui vous délivre De ces européens ardents à vous poursuivre ; Une fois dans la ville entrés victorieux, Ils y changeaient nos moeurs, ils en chassaient nos dieux. Pour mieux exécuter le dessein que j'achève, J'ai devancé l'instant qui terminait la trêve ; Mais si j'étais réduit à cette extrémité, J'accordais la justice et la nécessité. Voyez nos citoyens immolés sur ces rives ; C'est du pied de ces murs que tant d'ombres plaintives, Semblent en se levant m'avouer de concert Du coup inattendu qui les venge et vous sert. J'ai vu de vos esprits la révolte soudaine, Au premier bruit semé, que d'une main hautaine Le chef des assiégeants prétendait arracher Une fidèle veuve aux honneurs du bûcher ; Brama qui la protège, et dont l'Inde est chérie, Raffermit la coutume en sauvant la patrie ; Il repousse par moi d'audacieux mortels, Il conserve vos murs, et venge vos autels. C'est vous que j'ai chargé d'amener la victime ; Allez, ne tardez pas. Qu'entends-je ? Tu formais une trame si noire, Et m'oses insulter, toi, traître ? Vois donc où t'a conduit une folle pitié, Tu livrais ton pays ! Effroyable blasphème, outrage inconcevable ! Brama ne tonne point sur ta tête coupable ! Ô comble de l'injure ! De nos lois, de nos moeurs, tu te faisais le juge, Tu veux sa honte ! Un frère ! Amenez la victime. Un autre plus soumis Va remplir cet emploi que je t'avais commis. Impie ! Ah ! Lanassa, condamnant ton audace, À la mort d'elle-même avance dans la place. Est tombé sous mes coups. D'un chef audacieux, aujourd'hui ma victime. Quel mot prononcez-vous ? Qu'avez-vous osé dire ? Ne sortirez-vous point de ce honteux délire ? D'un indigne secours j'ai su vous délivrer, Oubliez un profane. Votre époux vous attend. Arrêtez cet impie. Quel bruit se fait entendre ? Ai-je perdu mes soins ? Ô revers ! Notre ennemi vivant ! **** *creator_lemierre *book_lemierre_veuvemalabar *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_veuvemalabar *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_LEJEUNEBRAMINE *date_1770 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lejeunebramine Quoi ! Les Européens, accourus vers nos ports, De leurs vaisseaux nombreux investissent ces bords ; Tant de foudres lancés sur les murs de la ville, De leurs coups redoublés, ébranlent notre asile ; Et c'est peu qu'aujourd'hui la guerre et ses fureurs Fassent de ce rivage un théâtre d'horreurs ! Au milieu des dangers, au milieu des alarmes, Que répand dans nos murs le tumulte des armes, Nous préparons encore un spectacle cruel, Qui me plonge d'avance en un trouble mortel ; Nous dressons ces bûchers, consacrés par l'usage, Qui font du Malabar fumer au loin la plage. Non, je dois l'avouer, je ne pourrai jamais Accoutumer mes yeux à de pareils objets. Eh ! Ne peut-on sauver la victime nouvelle ? Son époux, dans ces lieux, n'est point mort auprès d'elle, Elle ne l'a point vu dans ces derniers moments, Si puissants sur notre âme et sur nos sentiments, Où d'une épouse en pleurs, l'époux qui se sépare, Exige de sa foi cette preuve barbare ; Où dans l'illusion d'un douloureux ennui, Elle voit comme un bien de mourir avec lui. Il est vrai ; cependant, pour peu qu'on soit sensible, Avouez avec moi qu'il doit paraître horrible Qu'on réserve à la femme un si funeste sort, Et qu'elle n'ait de choix que l'opprobre ou la mort. Les lois même contre elle ont pu fournir ces armes ! La femme en ces climats n'a pour dot que ses charmes, Et l'époux s'en arroge un empire odieux Qu'il laisse à ses enfants lorsqu'il ferme les yeux. Il faut qu'elle périsse, ou bien leur barbarie Ose lui reprocher d'avoir aimé la vie, L'en punir, la priver avec indignité Des droits toujours sacrés de la maternité. Eh quoi ! Pour honorer la cendre de leur père, Ont-ils donc oublié que sa veuve est leur mère ? Ainsi, l'exemple affreux des coutumes barbares, Autorise et maintient des excès si bizarres ; Ainsi, quand des autels la femme ose approcher, Les flambeaux de l'hymen sont ceux de son bûcher. Du destin qui l'attend l'horreur anticipée, Se présente sans cesse à son âme frappée : Esclave de l'époux, même lorsqu'il n'est plus, Liée encor des noeuds que la mort a rompus, Entendez-là crier d'une voix lamentable : Cruels, qu'avez-vous fait par un arrêt coupable ? Hélas ! Déjà le ciel nous impose en naissant Un tribut de douleurs, dont l'homme fut exempt ; Et votre aveugle loi, votre âme injuste et dure, Ajoute encor pour nous au joug de la nature, Et bien loin d'adoucir, de plaindre notre sort, C'est vous qui nous donnez l'esclavage et la mort. Ah ! Du moins à souffrir aucun d'eux n'est contraint, Ne gémit de ses maux, et ne veut être plaint ; Mais ici par l'honneur la femme est poursuivie ; Il la force, en tyran d'abandonner la vie. Pardonnez, j'avais cru qu'exposés aux malheurs, Sans appeler à nous la mort, ni les douleurs, Ce devait être assez pour la constance humaine, De supporter les maux que la nature amène : D'inexplicables lois, par de secrets liens, Sur la terre ont uni les maux avec les biens ; Mais de l'insecte à l'homme on peut assez connaître Que le soin de soi-même est l'instinct de chaque être. Les dieux comme immortels, et surtout comme heureux, À tout être sensible ont inspiré ces voeux : L'homme, l'homme lui seul, dans la nature entière, A porté sur lui-même une main meurtrière ; Comme s'il était né sous des dieux malfaisants, Dont il dût à jamais repousser les présents. Ah ! La secrète voix de ces êtres augustes, Crie au fond de nos coeurs, soyez bons, soyez justes ; Mais nous demandent-ils ces cruels abandons, Ce mépris de nos jours, cet oubli de leurs dons ? Cette haine de soi n'est-elle point coupable ? Qui se hait trop lui-même aime peu son semblable : Et le ciel pourrait-il nous avoir fait la loi D'aimer tous les humains, pour ne haïr que soi ? Elle va donc mourir ! Hélas ! Que je la plains ! Brillante encor d'attraits, et dans la fleur de l'âge, Ah ! Qu'il est douloureux d'exercer ce courage, Et d'éteindre au tombeau des jours remplis d'appas, Que la nature encor ne redemandait pas ! Des usages ainsi l'innocence est victime ; Ce n'est point seulement par la haine et le crime, Que la cruauté règne, et proscrit le bonheur ; C'est sous les noms sacrés de justice, d'honneur, De piété, de loi ; la coutume bizarre A su légitimer l'excès le plus barbare ; Et par un pacte affreux, le préjugé hautain A soumis l'être faible au mortel inhumain. Pour le bonheur commun ils n'ont point su s'entendre : Au lieu de s'entraider par l'accord le plus tendre, Aux peines de la vie ils n'ont fait qu'ajouter ; Ils ont mis leur étude à se persécuter. Non, les divers fléaux, tant de maux nécessaires, Dont le ciel en naissant nous rendit tributaires, Dont l'homme ne peut fuir ni détourner les traits, Ne sont rien près des maux que lui-même il s'est faits. Ah ! Si dans d'autres mains ici vous remettiez... Je reçois ainsi des deux côtés Des reproches cruels et si peu mérités. Vous me croyez, madame, inhumain, inflexible, Tandis qu'à notre chef je parois trop sensible. Ses regards, attachés au séjour éternel, Semblent ne plus rien voir dans le séjour mortel ; Et devant les objets que les cieux lui retracent, Les peines de ce monde et la pitié s'effacent. Je ne m'en défends point, je suis trop loin de lui ; Je sens que je suis né pour souffrir dans autrui ; J'obéis à mon coeur, et quand je le consulte, Je ne crois point trahir mon pays ni mon culte. Mais sur mes sentiments quel douloureux effort ! C'est moi qui dois, grands dieux ! Vous conduire à la mort, Moi qui, rempli d'horreur pour ce barbare office, Renverserais plutôt l'autel du sacrifice, Cet odieux bûcher, le premier qu'en ces lieux Une aveugle coutume aura mis sous mes yeux. Hélas ! Plus je vous vois, plus mon âme attendrie Répugne à cet arrêt qui vous ôte la vie. Hélas ! De ses destins quel mortel est le maître ? Je fus infortuné du jour qui me vit naître. Faut-il que le mortel qui prévint mon trépas M'ait ici du Bengale apporté dans ses bras ? Faut-il avoir si tôt, pour voir votre misère, Perdu l'infortuné qui m'a servi de père ? Orphelin par sa mort, à moi-même livré, Dans ces murs, dans ce temple à peine suis-je entré. Je trouve donc partout un usage sinistre ; J'échappe à l'un, de l'autre on me fait le ministre. L'usage meurtrier, Qui trois jours fait suspendre aux branches d'un palmier Tout enfant nouveau-né dont la lèvre indocile Fuit le premier soutien de son être fragile ; Qu'il refuse le sein par trois fois présenté, Dans les ondes du Gange il est précipité. J'allais périr ! Où vont mes plaintes importunes ? Je ne dois m'attendrir que sur vos infortunes, Et c'est de mes malheurs que je vous entretiens. Votre frère, madame, il périt au Bengale ? Telle était dans Ougly mon étoile fatale. C'est là que je suis né. Eh ! Qui donc êtes-vous ? Ah ! Ma soeur ! Embrasse et reconnais ton frère. Le ciel se manifeste. Que me dis-tu ? Moi ! Vouloir ton trépas ? Quel délire ! Ah ! Ma soeur ! Mes yeux sont dessillés, je te dois mon secours ; Je ne connais plus rien que le soin de tes jours. Que m'importent vos lois ? Que me fait votre usage ? De tout braver pour toi je me sens le courage. Tu m'opposes en vain l'exemple des cruels, Qui, pour hâter ta mort, t'assiégent aux autels. Tu l'as vu, de ta fin la douloureuse attente, Quoique étranger pour toi, me glaçait d'épouvante ; Et cette humanité dont j'écoutais la voix, Mêlée au cri du sang aurait perdu ses droits ! Si l'homme a sur ces bords renversé la nature, Rétablissons pour nous la loi qu'il défigure : Non, ce n'est pas à moi, sans doute, après mon sort, À devoir respecter des coutumes de mort. Si j'ai pensé jadis périr loin de ces plages, Victime comme toi des barbares usages, De malheurs entre nous cette conformité, Va, ne me permet point l'insensibilité. Je ne suis point ce frère inflexible et barbare, Qu'endurcissent nos moeurs, que la démence égare ; Je suis par la nature un coeur simple entraîné, Je suis le frère enfin que le ciel t'a donné. Qu'oses-tu m'annoncer ? Arrête. Quoi ! Tant de fanatisme a-t-il pu t'aveugler ? Dois-je me plaindre au ciel de t'avoir retrouvée ? Cesse d'être ma soeur, si ce nom veut ta mort. Attends du moins, attends d'un esprit plus tranquille Que la guerre ait fixé le sort de notre ville, Et que ce droit qu'ici tu crois avoir perdu, Ce droit de vivre, enfin, te puisse être rendu. Eh bien ! Ma soeur, hé bien ! Terminons ce débat, Change de destinée en changeant de climat : Ces effroyables moeurs parmi nous consacrées, Ce devoir que tu suis ne tient qu'à nos contrées ; Fuyons l'Inde, et si loin que de féroces lois Ne puissent jusqu'à nous faire entendre leur voix : Nous n'avons, de tes jours pour ne rendre aucun compte, Qu'à mettre l'océan entre nous et la honte ; Contre l'opinion dans des climats plus doux, Il est, si tu le veux, des asiles pour nous ; Là nous suivrons ces moeurs à jamais conservées, Que chez tous les humains la nature a gravées, Ces vrais devoirs sentis et non pas convenus, Immuables partout, et partout reconnus, Lois que le ciel, non l'homme, à la terre a prescrites, Et qui n'ont ni les temps ni les mers pour limites. Poursuis, respecte encore une homicide loi, Crains l'époux comme un dieu prêt à tonner sur toi. Hélas ! Moi seul des tiens je t'aime et je te reste, Je ne te suis connu que de ce jour funeste ; De l'horreur de ton sort ton frère a beau souffrir, Non, cruelle ! Il n'a pas le droit de t'attendrir ; Mais j'ai celui du moins, dans ce péril extrême, D'oser te secourir contre ton aveu même. Tu me parles d'honneur ! Le mien est de quitter Ces profanes autels que je dois détester ; J'y vais rester encor pour te sauver la vie ; Mais une fois ici mon attente remplie, Il n'est mer, ni désert, ni climat si lointain, Qui me sépare assez de ce temple inhumain. J'accours vers toi, ma soeur, tu vas changer de sort ; Connais mon espérance et renonce à la mort. Du chef des assiégeants la généreuse envie Auprès du gouverneur hautement t'a servie : Tu vivras, il l'exige ; un dieu consolateur De ce vaillant guerrier fait ton libérateur. Non ; l'humanité seule et l'inspire et l'anime. Avec quelle chaleur sa pitié, son courroux, Son indignation éclatait devant nous ! Il n'aurait point montré d'ardeur plus véhémente Pour défendre une soeur ou sauver une amante. À de si beaux transports je brûlais d'applaudir ; Mais aux yeux du bramine à ce point m'enhardir, C'était faire à des coeurs dont le mien se défie, Soupçonner l'intérêt que je prends à ta vie. Qu'il est dur de cacher la pitié dans son sein, Et de dissimuler pour paraître inhumain ! Hélas ! L'européen, ne pouvant me connaître, Me voyait du même oeil qu'il voyait le grand-prêtre. Ah ! Combien j'en souffrais ! Il court au gouverneur ; À te sauver la vie il a mis son honneur, Et sans tes surveillants, dans sa fureur extrême, Il viendrait en ce lieu t'en arracher lui-même. J'ai vu l'instant, te dis-je, où pour l'humanité, Des lois de l'honneur même il se fût écarté. Oui, prêt à tout oser, prêt à rompre la trêve, Plutôt que de souffrir que ton bûcher s'élève. Aux transports vertueux de sa noble fureur, Je prenais l'Inde entière et nos lois en horreur. Et je le souffrirais ! Ton danger fait le sien : ma soeur, consens à vivre, Et ce peuple aujourd'hui cesse de le poursuivre. Ne l'abandonnez pas : pour chercher le grand-prêtre, Le général français ici va reparaître ; J'attendrai ce guerrier, j'obtiendrai qu'aujourd'hui Il dissimule encor pour ma soeur et pour lui. Ainsi le fanatisme aveugle ses victimes ! Héroïque mortel, plein de transports sublimes, Faut-il donc pour toi-même avoir à redouter Le généreux appui que tu veux nous prêter ! Seigneur, où courez-vous ? Je mérite peut-être... Qu'au moins vous daigniez me connaître. Ah ! Je diffère d'eux plus que vous ne pensez. Je plains le destin déplorable De celle qu'en ces lieux notre coutume accable. Non, seigneur, que mon coeur vous révèle... Quel puissant intérêt m'est inspiré par elle. À la mort qui l'attend vous voulez la ravir, Je le veux plus que vous, et puis vous y servir. Connaissez en un mot toute ma destinée : J'ai retrouvé ma soeur dans cette infortunée. Elle-même. Ils le sont moins, seigneur. Ne me confondez point, par grâce, avec les miens ; Non, je sais mieux du sang respecter les liens : Ma soeur, prête à périr par des lois inhumaines, Sur un bûcher ! Ah ! Dieux ! Son sang crie en mes veines ; Pour un objet si cher je pourrai tout braver, Je suis européen dès qu'il faut la sauver ; Attendez tout de moi, seigneur. Vous en seriez surpris, vous en seriez touché. À son cruel devoir son coeur est attaché ; Devoir d'autant plus dur à son âme asservie, Qu'on croit que cet hymen qui lui coûte la vie, N'était point le lien que son coeur eût choisi. Sans doute en d'autres lieux le ciel l'a retenu : Mais qu'avec mes destins mon coeur vous soit connu : Autant que je le puis, je répare l'injure Qu'en ce climat barbare on fait à la nature : Loin d'exhorter ma soeur à subir le trépas, C'est moi qui vous cherchais, c'est moi qui, sur vos pas, Venais me joindre à vous pour lui sauver la vie. J'ai tout tenté près d'elle, et ne l'ai point fléchie ; Mais je suis trop heureux dans ces moments d'effroi, Puisqu'elle trouve en vous même intérêt qu'en moi. Vous êtes né sensible, et le ciel nous ordonne De sauver, s'il se peut, des jours qu'elle abandonne ; Arrachons Lanassa... Quel cri, seigneur, vous est donc échappé ? Elle vous est connue ? Seigneur... Vous l'aimeriez ? Qui, vous ? D'impénétrables murs ne vous permettront pas... Et la trêve interdit, seigneur, la force ouverte ; Oui, ce serait courir vous-même à votre perte. N'allons point rendre vains, par d'aveugles transports, Les prodiges qu'un Dieu fait pour nous sur ces bords. Ah ! Seigneur, commandez encore à vos esprits. Redoutez aujourd'hui ce zèle fanatique, D'où sortirait bientôt la révolte publique ; Avec nous, dans ce temple, on sait votre entretien ; Les esprits soulevés n'écouteraient plus rien. Pour sauver Lanassa, quelque soin que je prisse, Vous-même vous feriez presser le sacrifice. Regagnez votre camp, pour Lanassa, pour vous ; Dérobez-vous surtout à de perfides coups. Que dites-vous ? Non, non ; il me faut, au contraire, Feindre encor de garder ce fatal ministère : Il serait aussitôt remis en d'autres mains ; Le délai nous sert mieux contres des inhumains. Ma soeur me résistait ; mais je vais l'informer Quel bras en sa faveur aujourd'hui va s'armer. Le grand-prêtre s'avance ; adieu, seigneur ; je tremble Que le barbare ici ne nous surprenne ensemble ; Adieu, comptez sur moi. Ma soeur n'a plus d'appui, tout est perdu, Fatime. Vous avez cette nuit entendu vers le fort Quels éclats ont soudain retenti sur le port ; Des traîtres corrompus par les dons du bramine, Sur la flotte ont porté la flamme et la ruine, Et du camp aux vaisseaux, volant à leur secours, Leur chef dans ce désastre a terminé ses jours ; L'escadre européenne, à demi consumée, De ses tristes débris laisse la mer semée, Et sur quelques vaisseaux tout le camp remonté, D'une fuite rapide au loin s'est écarté. De cet événement voyez déjà la suite ; Le bûcher est dressé. On va me commander d'y conduire ma soeur ; Mais avant d'obéir, de me séparer d'elle, Dût fondre sur ma tête une foule cruelle, Loin d'être de sa mort le ministre odieux, Il faudra que moi-même on m'immole en ces lieux. Et loin d'elle au moment... Sa prudence inquiète M'interdit avec soin l'accès de sa retraite, Tant elle a craint mon zèle, et surtout les secours De cet européen qui protégeait ses jours ! Courez vers elle encor, portez-lui la prière, La résolution, le désespoir d'un frère. Fatime, assurez-la que de tout mon effort, Aux yeux du peuple entier, j'empêcherai sa mort. Dans un si beau dessein cet étranger succombe ; Ma déplorable soeur dans l'abîme retombe. J'espérais que son coeur, qui me brave aujourd'hui, Balancerait au moins entre la mort et lui. Cruelle ! Avec transport je courais pour t'apprendre Que le bras d'un amant s'armait pour te défendre ! Heureuse maintenant d'ignorer quelle main Te prêtait un secours que le ciel rend si vain ! Qui ! Moi ! Qu'après ton crime, Soumis à tes fureurs, je coure la chercher ? Que je traîne une femme à ce fatal bûcher ? Tu violes la trêve et ces lois mutuelles, Ce droit des nations au fort de leurs querelles ; Et lâche incendiaire, odieux destructeur, Tu voudrais me paraître un dieu libérateur ! Ah ! Lorsque ta fureur et ta haine couverte, Du chef de ces français précipite la perte, Connais-moi tout entier, et sache qu'aujourd'hui, Pour sauver Lanassa, je me joignais à lui. Et j'en fais gloire. Je l'étais envers toi, non comme toi, cruel, Pour commettre le crime à l'ombre de l'autel ; Je l'étais pour sauver d'une mort effroyable Un sexe infortuné que ta coutume accable. J'en sauvais la moitié, La moitié la plus faible, et la plus malheureuse ; Celle que poursuivait une loi monstrueuse ; Celle qu'en tous les temps, d'un si cruel accord, Notre sexe opprima par le droit du plus fort ; Celle pourtant qu'on voit, à nos destins unie, Nous aider à porter les peines de la vie, Et dont le charme inné, toujours victorieux, Partout adoucit l'homme, excepté dans ces lieux. Tu ne sais pas encor ce que j'osais ici, De quel crime à tes yeux je suis encor noirci ; En sauvant Lanassa, je servais la nature, La victime est ma soeur. Sur la férocité d'un usage odieux, Sur d'affreux préjugés que n'ai-je ouvert ses yeux ? Un vertueux transfuge, Qui brûle de sortir et pour jamais d'un lieu Où d'une loi de sang il fait le désaveu. Oui, barbare, à la mort j'ai voulu la soustraire : Pour la sacrifier je ne suis point son frère, Je le suis pour l'aimer, pour être son soutien ; Le ciel me fit un coeur bien différent du tien. Périsse sur ces bords ta coutume cruelle ! Je connais la nature, et je ne connais qu'elle. Va, si j'ai dans ce jour un reproche à me faire, C'est d'avoir accepté ce fatal ministère, De t'avoir obéi, de t'avoir écouté ; Je rougis du respect que je t'avais porté, De mon humble réserve, et des doutes timides Dont j'avais combattu tes leçons homicides. Peuples, c'est devant vous que j'abjure à jamais Vos coutumes, vos lois, vos solennels forfaits : Ma raison par vos moeurs ne peut être obscurcie, Ni mon instinct changé, ni mon âme endurcie ; Malgré l'opinion, malgré sa cruauté, Le sentiment l'emporte et mon coeur m'est resté. Oui, par les droits du sang, méconnus sur ce bord, J'empêcherai ma soeur de courir à la mort. Arrêtez, inhumains qui formez son cortége, Et par ma faible voix quand le ciel la protége, Aux horreurs de son sort ne l'abandonnez pas : Devez-vous plus qu'un frère exiger son trépas ? Ne meurs plus pour sauver un guerrier secourable, Ton appui, ce héros... Il venait t'arracher... De ton fier défenseur, d'un guerrier magnanime. Ah ! Tu dois le pleurer. Il est mort pour toi seule et presque sous ta vue. Peux-tu, cruelle ? Ah ! Quel horrible instant ! Ton frère est à tes pieds. Ma soeur ! Qui de vous deux, cruels, a plus de barbarie ? On pénètre en ces lieux. M'exaucez-vous, grands dieux ? Ô bonheur ! C'est vous, seigneur, c'est vous, double faveur céleste ! Vous vivez, je vous vois, grands dieux ! Qui l'aurait cru ? Digne prix de vos soins, vous ne croyiez d'abord Ravir qu'une inconnue aux horreurs de sa mort, Et le ciel vous devait la faveur éclatante De retrouver en elle et sauver une amante. **** *creator_lemierre *book_lemierre_veuvemalabar *style_verse *genre_tragedy *dist1_lemierre_verse_tragedy_veuvemalabar *dist2_lemierre_verse_tragedy *id_UNBRAMINE *date_1770 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_unbramine La veuve a dépouillé dans l'enceinte sacrée Les pompeux ornements dont elle était parée ; On vous attend, on veut remettre entre vos mains Les offrandes.