**** *creator_marivaux *book_marivaux_colonie *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_colonie *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ARTHENICE *date_1750 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_arthenice Ah çà ! Madame Sorbin, ou plutôt ma compagne, car vous l'êtes, puisque les femmes de votre état viennent de vous revêtir du même pouvoir dont les femmes nobles m'ont revêtue moi-même, donnons-nous la main, unissons-nous et n'ayons qu'un même esprit toutes les deux. Nous voici chargées du plus grand intérêt que notre sexe ait jamais eu, et cela dans la conjoncture du monde la plus favorable pour discuter notre droit vis-à-vis les hommes. Depuis qu'il a fallu nous sauver avec eux dans cette île où nous sommes fixées, le gouvernement de notre patrie a cessé. Fort bien, vous sentez-vous en effet un courage qui réponde à la dignité de votre emploi ? Je vous garantis un nom immortel. Et quand même nous ne réussirions pas, nos petites-filles réussiront. Qu'est-ce que c'est que Timagène, Madame Sorbin ? Je ne le connais plus depuis notre projet ; tenez ferme et ne songez qu'à m'imiter. Oh ! J'en conviens. Eh bien ? C'était mon idée, sinon qu'au lieu du tambour, je voulais faire afficher notre ordonnance à son de trompe. Voici Timagène et votre mari qui passent sans nous voir. Soit, nous les interrogerons sur ce qui se passe. Et vous, Timagène, que m'apprendrez-vous ? Parle-t-on des femmes parmi vous ? Pas un mot, c'est fort bien fait. Eh ! Dites-moi, Timagène, où allez-vous tous deux d'un air si pensif ? Qu'y a-t-il donc là de si plaisant ? Elle a raison, elle en fera, j'en ferai moi-même. Assurément. La gaieté, Timagène ? Attendez, j'aurais une ou deux réflexions à communiquer à Monsieur l'Élu de la noblesse. Un peu d'attention ; nous avons été obligés, grands et petits, nobles, bourgeois et gens du peuple, de quitter notre patrie pour éviter la mort ou pour fuir l'esclave de l'ennemi qui nous a vaincus. Nos vaisseaux nous ont portés dans ce pays sauvage, et le pays est bon. Le dessein est formé d'y rester, et comme nous y sommes tous arrivés pêle-mêle, que la fortune y est égale entre tous, que personne n'a droit d'y commander, et que tout y est en confusion, il faut des maîtres, il en faut un ou plusieurs, il faut des lois. Qui, nous ? Qui entendez-vous par nous ? Doucement, ces lois, qui est-ce qui va les faire, de qui viendront-elles ? Ces maîtres, ou bien ce maître, de qui le tiendra-t-on ? Qui sera-t-il ? Et toujours des hommes et jamais de femmes, qu'en pensez-vous, Timagène ? Car le gros jugement de votre adjoint ne va pas jusqu'à savoir ce que je veux dire. Vous ne l'entendez pas ? Il suffit, laissez-nous. Mais, Monsieur, vous me déplaisez là. Partez, Monsieur, vous le saurez au retour de votre Conseil. C'est nous faire un nouvel outrage que de ne nous pas entendre. Écartez ce jeune homme, Madame Sorbin ; les circonstances présentes nous obligent de rompre avec toute son espèce. Et le mariage, tel qu'il a été jusqu'ici, n'est plus aussi qu'une pure servitude que nous abolissons, ma belle enfant ; car il faut bien la mettre un peu au fait pour la consoler. Vous savez, Lina, que les femmes jusqu'ici ont toujours été soumises à leurs maris. Ne vous emportez point, elle n'a pas été de nos délibérations, à cause de son âge, mais je vous réponds d'elle, dès qu'elle sera instruite. Je vous assure qu'elle sera charmée d'avoir autant d'autorité que son mari dans son petit ménage, et quand il dira : Je veux, de pouvoir répliquer : Moi, je ne veux pas. Je vois quelques-unes de nos amies qui viennent et qui paraissent avoir à nous parler, sachons ce qu'elles nous veulent. Illustres députées, nous aurions volontiers supprimé le faste dont on nous pare. Il nous aurait suffi d'être ornées de nos vertus ; c'est à ces marques qu'on doit nous reconnaître. Nous acceptons cependant la distinction dont on nous honore, et nous allons nous acquitter de nos serments, dont l'omission a été très judicieusement remarquée ; je commence. Je fais voeu de vivre pour soutenir les droits de mon sexe opprimé ; je consacre ma vie à sa gloire ; j'en jure par ma dignité de femme, par mon inexorable fierté de coeur, qui est un présent du ciel, il ne faut pas s'y tromper ; enfin par l'indocilité d'esprit que j'ai toujours eue dans mon mariage, et qui m'a préservée de l'affront d'obéir à feu mon bourru de mari, j'ai dit. À vous, Madame Sorbin. Embrassons-nous, mes amies ; notre serment mutuel vient de nous imposer de grands devoirs, et pour vous exciter à remplir les vôtres, je suis d'avis de vous retracer en ce moment une vive image de l'abaissement où nous avons langui jusqu'à ce jour ; nous ne ferons en cela que nous conformer à l'usage de tous les chefs de parti. Mais la décence veut que nous soyons assises, on en parle plus à son aise. Pourquoi non ? Que cet homme nous serve, j'en accepte l'augure. J'admire la liberté que vous prenez, petit garçon, ôtez-vous de là, on n'a plus besoin de vous. L'oppression dans laquelle nous vivons sous nos tyrans, pour être si ancienne, n'en est pas devenue plus raisonnable ; n'attendons pas que les hommes se corrigent d'eux-mêmes ; l'insuffisance de leurs lois a beau les punir de les avoir faites à leur tête et sans nous, rien ne les ramène à la justice qu'ils nous doivent, ils ont oublié qu'ils nous la refusent. Dans l'arrangement des affaires, il est décidé que nous n'avons pas le sens commun, mais tellement décidé que cela va tout seul, et que nous n'en appelons pas nous-mêmes. Je ne suis qu'une femme, dit Madame Sorbin, cela est admirable ! Il faut qu'il y ait en nous une défiance bien louable de nos lumières pour avoir adopté ce jargon-là ; qu'on me trouve des hommes qui en disent autant d'eux ; cela les passe ; revenons au vrai pourtant : vous n'êtes qu'une femme, dites-vous ? Hé ! Que voulez-vous donc être pour être mieux ? Examinons ce que nous sommes, et arrêtez-moi, si j'en dis trop ; qu'est-ce qu'une femme, seulement à la voir ? En vérité, ne dirait-on pas que les dieux en ont fait l'objet de leurs plus tendres complaisances ? Regardez-la, c'est le plaisir des yeux. Souffrez que j'achève. Je recommence : regardez-la, c'est le plaisir des yeux ; les grâces et la beauté, déguisées sous toutes sortes de formes, se disputent à qui versera le plus de charmes sur son visage et sur sa figure. Eh ! Qui est-ce qui peut définir le nombre et la variété de ces charmes ? Le sentiment les saisit, nos expressions n'y sauraient atteindre. La femme a l'air noble, et cependant son air de douceur enchante. C'est une beauté fière, et pourtant une beauté mignarde ; elle imprime un respect qu'on n'ose perdre, si elle ne s'en mêle ; elle inspire un amour qui ne saurait se taire ; dire qu'elle est belle, qu'elle est aimable, ce n'est que commencer son portrait ; dire que sa beauté surprend, qu'elle occupe, qu'elle attendrit, qu'elle ravit, c'est dire, à peu près, ce qu'on en voit, ce n'est pas effleurer ce qu'on en pense. Venons à l'esprit, et voyez combien le nôtre a paru redoutable à nos tyrans ; jugez-en par les précautions qu'ils ont prises pour l'étouffer, pour nous empêcher d'en faire usage ; c'est à filer, c'est à la quenouille, c'est à l'économie de leur maison, c'est au misérable tracas d'un ménage, enfin c'est à faire des noeuds, que ces messieurs nous condamnent. Ou bien, c'est à savoir prononcer sur des ajustements, c'est à les réjouir dans leurs soupers, c'est à leur inspirer d'agréables passions, c'est à régner dans la bagatelle, c'est à n'être nous-mêmes que la première de toutes les bagatelles ; voilà toutes les fonctions qu'ils nous laissent ici-bas ; à nous qui les avons polis, qui leur avons donné des moeurs, qui avons corrigé la férocité de leur âme ; à nous, sans qui la terre ne serait qu'un séjour de sauvages, qui ne mériteraient pas le nom d'hommes. Il est vrai qu'on nous traite de charmantes, que nous sommes des astres, qu'on nous distribue des teints de lis et de roses, qu'on nous chante dans les vers, où le soleil insulté pâlit de honte à notre aspect, et, comme vous voyez, cela est considérable ; et puis les transports, les extases, les désespoirs dont on nous régale, quand il nous plaît. Et qu'en arrive-t-il ? Que par simplicité nous nous entêtons du vil honneur de leur plaire, et que nous nous amusons bonnement à être coquettes, car nous le sommes, il en faut convenir. Sans doute ; mais ce qu'il y a d'admirable, c'est que la supériorité de notre âme est si invincible, si opiniâtre, qu'elle résiste à tout ce que je dis là, c'est qu'elle éclate et perce encore à travers cet avilissement où nous tombons ; nous sommes coquettes, d'accord, mais notre coquetterie même est un prodige. Quand je songe à tout le génie, toute la sagacité, toute l'intelligence que chacune de nous y met en se jouant, et que nous ne pouvons mettre que là, cela est immense ; il y entre plus de profondeur d'esprit qu'il n'en faudrait pour gouverner deux mondes comme le nôtre, et tant d'esprit est en pure perte. Tant d'esprit n'aboutit qu'à renverser de petites cervelles qui ne sauraient le soutenir, et qu'à nous procurer de sots compliments, que leurs vices et leur démence, et non pas leur raison, nous prodiguent ; leur raison ne nous a jamais dit que des injures. J'y consens. Vous avez tort, ma bonne, et je trouve le projet de Madame Sorbin très sage. Qu'est-ce que cela signifie ? M'attaquer moi-même ? Et pour contenter ces femmes-ci, notre édit n'exceptera qu'elles, il leur sera permis de s'embellir, si elles le peuvent. Retirez-vous ; vos serments vous lient, obéissez ; je romps la séance. Retirez-vous, vous dis-je, ou je vous ferai mettre aux arrêts. Modérons-nous, ce sont des folles ; nous avons une ordonnance à faire, allons la tenir prête. Messieurs, daignez répondre à notre question ; vous allez faire des règlements pour la République, n'y travaillerons-nous pas de concert ? A quoi nous destinez-vous là-dessus ? Elle vous apprendra que nous voulons nous mêler de tout, être associées à tout, exercer avec vous tous les emplois, ceux de finance, de judicature et d'épée. Oui d'épée, Monsieur ; sachez que jusqu'ici nous n'avons été poltronnes que par éducation. Il n'y a que de l'habitude à tout. Je pense qu'on ne nous disputera pas le don de la parole. Et qu'est-ce que c'est qu'un bonnet carré, Messieurs ? Qu'a-t-il de plus important qu'une autre coiffure ? D'ailleurs, il n'est pas de notre bail non plus que votre Code ; jusqu'ici c'est votre justice et non pas la nôtre ; justice qui va comme il plaît à nos beaux yeux, quand ils veulent s'en donner la peine, et si nous avons part à l'institution des lois, nous verrons ce que nous ferons de cette justice-là, aussi bien que du bonnet carré, qui pourrait bien devenir octogone si on nous fâche ; la veuve ni l'orphelin n'y perdront rien. Monsieur, je n'ai plus qu'un mot à dire, profitez-en ; il n'y a point de nation qui ne se plaigne des défauts de son gouvernement ; d'où viennent-ils, ces défauts ? C'est que notre esprit manque à la terre dans l'institution de ses lois, c'est que vous ne faites rien de la moitié de l'esprit humain que nous avons, et que vous n'employez jamais que la vôtre, qui est la plus faible. C'est que le mariage qui se fait entre les hommes et nous devrait aussi se faire entre leurs pensées et les nôtres ; c'était l'intention des dieux, elle n'est pas remplie, et voilà la source de l'imperfection des lois ; l'univers en est la victime et nous le servons en vous résistant. J'ai dit ; il serait inutile de me répondre, prenez votre parti, nous vous donnons encore une heure, après quoi la séparation est sans retour, si vous ne vous rendez pas ; suivez-moi, Madame Sorbin, sortons. Finissez avec lui ; je vous reviens prendre dans le moment. Je ne vous conseille pas de la fâcher. Je n'insisterai plus que sur un article. Comment donc, Madame Sorbin, vous supprimez les nobles ? Vous, Hermocrate ? Je n'y consentirai jamais ; je suis née avec un avantage que je garderai, s'il vous plaît, Madame l'artisane. Allez vous justifier de la rusticité dont on vous accuse ! Il est un peu plus sensé que le vôtre, la Sorbin ; il regarde l'amour et le mariage ; toute infidélité déshonore une femme ; je veux que l'homme soit traité de même. Ce que je dis ne vaut rien ? Cette extravagante ! Eh ! Le moyen de rien statuer avec cette harengère ? La brutalité de cette femme-là me dégoûte de tout, et je renonce à un projet impraticable avec elle. **** *creator_marivaux *book_marivaux_colonie *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_colonie *dist2_marivaux_prose_comedy *id_TIMAGENE *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_timagene Ah ! Pardon, belle Arthénice, je ne vous croyais pas si près. Non, Madame, je ne sais rien qui les concerne ; on n'en dit pas un mot. Au Conseil, où l'on nous appelle, et où la noblesse et tous les notables d'une part, et le peuple de l'autre, nous menacent, cet honnête homme et moi, de nous nommer pour travailler aux lois, et j'avoue que mon incapacité me fait déjà trembler. Hé ! Hé ! Hé ! Hé !... Vous, Madame ? Pourquoi ? La gaieté est toujours de saison. Parlez, Madame. Écoutons. Hé, c'est à quoi nous allons pourvoir, Madame. J'avoue, Madame, que je n'entends pas bien la difficulté non plus. Mais, Madame... Vous m'affligez, Madame, si vous me laissez partir sans m'instruire de ce qui vous indispose contre moi. Dans l'inquiétude où je suis, je reviendrai, Madame, le plus tôt qu'il me sera possible. Ce qu'il nous dit est-il possible ? Vous le voyez. Ce qui me surprend, c'est qu'Arthénice se soit mise de la partie. Voulez-vous bien vous expliquer, Madame ? Madame... Doucement, Madame Sorbin ; sied-il bien à une femme aussi sensée que vous l'êtes de perdre jusque-là les égards qu'elle doit à son mari ? Mais où irez-vous ? De quoi vivrez-vous ? La pauvre enfant tremble de ce que vous lui faites faire. J'excuse votre attendrissement. Soit, agissez, nous vous donnons nos pouvoirs. Voulez-vous que nous nous retirions ? Sortons. Madame, on vient d'apercevoir une foule innombrable de sauvages qui descendent dans la plaine pour nous attaquer ; nous avons déjà assemblé les hommes ; hâtez-vous de votre côté d'assembler les femmes, et commandez-nous aujourd'hui avec Madame Sorbin, pour entrer en exercice des emplois militaires ; voilà des armes que nous vous apportons. Je me réjouis de voir l'affaire terminée. Ne vous inquiétez point, Mesdames ; allez vous mettre à l'abri de la guerre, on aura soin de vos droits dans les usages qu'on va établir. **** *creator_marivaux *book_marivaux_colonie *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_colonie *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LINA *date_1750 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lina Qu'il s'en retourne ! Eh ! D'où vient, ma mère ? Il n'a qu'à nous suivre de loin. Adieu, Persinet, jusqu'au revoir ; n'obstinons point ma mère. Pourquoi donc le maltraitez-vous, ma mère ? Est-ce que vous ne voulez plus qu'il m'aime, ou qu'il m'épouse ? Hélas ! Quel dommage ! Abolir le mariage ! Et que mettra-t-on à la place ? Cela est bien court. Oui, Madame, c'est une coutume qui n'empêche pas l'amour. Quand il y est, comment l'ôter ? Je ne l'ai pas pris ; c'est lui qui m'a prise, et puis je ne refuse pas la soumission. Je n'en aurai pas la peine ; Persinet et moi, nous voudrons toujours la même chose ; nous en sommes convenus entre nous. Je vois Persinet qui passe, il est plus fort que moi, et il m'aidera, si vous voulez. Persinet ! Persinet ! Aidez-moi à pousser ces bancs jusqu'ici. Il ne tient presque pas de place, ma mère, il n'a que la moitié de la mienne. Ah ! Si vous entendiez Persinet là-dessus, c'est lui qui est pénétré suivant nos mérites. Pour moi, je ne dis mot. Tredame, ni vous non plus pour une étoile. Ma mère, une Sorbin ! Hélas ! Ma mère, pour apaiser tout, laissez-nous gardez nos mules et nos corsets. Mais... Oui, ma mère. Quel train ! Quel désordre ! Quand me mariera-t-on à cette heure ? Je n'en sais plus rien. Hélas ! Ce cher petit homme, si je pouvais lui parler dans son affliction. Mais on me l'a défendu, on ne veut pas seulement que je le regarde, et je suis sûre qu'on m'épie. Il est vrai qu'il peut me parler, lui, on ne m'a pas ordonné de l'en empêcher. Si pourtant, dans l'occurrence, il n'y avait qu'un regard qui pût sauver mon Persinet, oh ! Ma mère aurait beau dire, je ne le laisserais pas mourir. Et s'il ne suffisait pas d'un regard, je lui en donnerais deux, trois, tant qu'il faudrait. Persinet ne sait pas que nous sommes révoltées. Et que ce sont les affaires d'État qui nous sont contraires. Et que les femmes ont résolu de gouverner le monde et de faire des lois. Il ne sait pas qu'il va tout à l'heure nous être enjoint de rompre avec les hommes. Qu'il sera enjoint d'être laides et mal faites avec eux, de peur qu'ils n'aient du plaisir à nous voir, et le tout par le moyen d'un placard au son de la trompe. De sorte que je n'aurai plus ni mules, ni corset, que ma coiffure ira de travers et que je serai peut-être habillée d'un sac ; voyez à quoi je ressemblerai. Mais voilà les hommes qui sortent, je m'enfuis pour avertir ma mère. Ah ! Persinet ! Persinet ! Ma chère mère, mon avis... Ma chère mère, mon avis, c'est, comme vous l'avez dit, que nous soyons dames et maîtresses par égale portion avec ces messieurs ; que nous travaillons comme eux à la fabrique des lois, et puis qu'on tire, comme on dit, à la courte paille pour savoir qui de nous sera roi ou reine ; sinon, que chacun s'en aille de son côté, nous à droite, eux à gauche, du mieux qu'on pourra. Est-ce là tout, ma mère ? C'est que c'est le plus difficile à retenir ; votre avis est encore que l'amour n'est plus qu'un sot. Hélas ! Le mien serait d'emmener mon amant et son amour avec nous. Oui, mais on m'a commandé de vous déclarer un adieu dont on ne verra ni le bout ni la fin. **** *creator_marivaux *book_marivaux_colonie *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_colonie *dist2_marivaux_prose_comedy *id_PERSINET *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_persinet Je viens à vous, vénérable et future belle-mère ; vous m'avez promis la charmante Lina ; et je suis bien impatient d'être son époux ; je l'aime tant, que je ne saurais plus supporter l'amour sans le mariage. J'attends réponse. Hélas ! Je vous intercède, et j'accompagne ma non-pareille Lina. Oui, je serai content de me tenir humblement derrière. Mais qui est-ce qui a rompu la paix ? Maudite guerre, en attendant que tu finisses, je vais m'affliger tout à mon aise, en mon petit particulier. Qu'y a-t-il, mon amour ? Avec plaisir, mais n'y touchez pas, vos petites mains sont trop délicates, laissez-moi faire. Voilà qui est bien dur ! Eh bien, Lina, ma chère Lina, contez-moi mon désastre ; d'où vient que Madame Sorbin me chasse ? J'en suis encore tout tremblant, je n'en puis plus, je me meurs. Eh bien ! Vous le pouvez, je ne suis pas ailleurs. Quoi ! Me retrancher vos yeux ? Lina, ma Lina, pourquoi me mettez-vous à une lieue d'ici ? Si vous n'avez pas compassion de moi, je n'ai pas longtemps à vivre ; il me faut même actuellement un coup d'oeil pour me soutenir. Ah ! Le bon remède ! Je sens qu'il me rend la vie ; répétez, m'amour, encore un tour de prunelle pour me remettre tout à fait. Ah ! Me voilà un peu revenu ; dites-moi le reste à présent ; mais parlez-moi de plus près et non pas en mon absence. Révoltées contre moi ? Eh ! De quoi se mêlent-elles ? Est-ce moi qui les en empêche ? Mais non pas avec les garçons ? Et moi je défie toutes les trompes et tous les placards du monde de vous empêcher d'être jolie. Toujours à vous, mon petit coeur. Attendez donc, j'y suis ; ah ! Maudites lois, faisons ma plainte à ces messieurs. Messieurs, permettez l'importunité : je viens à vous, Monsieur Sorbin ; les affaires d'État me coupent la gorge, je suis abîmé ; vous croyez que vous aurez un gendre et c'est ce qui vous trompe ; Madame Sorbin m'a cassé tout net jusqu'à la paix ; on vous casse aussi, on ne veut plus des personnes de notre étoffe, toute face d'homme est bannie ; on va nous retrancher à son de trompe, et je vous demande votre protection contre un tumulte. C'est une émeute, une ligue, un tintamarre, un charivari sur le gouvernement du royaume ; vous saurez que les femmes se sont mises tout en un tas pour être laides, elles vont quitter les pantoufles, on parle même de changer de robes, de se vêtir d'un sac, et de porter les cornettes de côté pour nous déplaire ; j'ai vu préparer un grand colloque, j'ai moi-même approché les bancs pour la commodité de la conversation ; je voulais m'y asseoir, on m'a chassé comme un gredin ; le monde va périr, et le tout à cause de vos lois, que ces braves dames veulent faire en communauté avec vous, et dont je vous conseille de leur céder la moitié de la façon, comme cela est juste. Qu'est-ce que c'est que des lois ? Voilà une belle bagatelle en comparaison de la tendresse des dames ! Quel vertigo prend-il donc à tout le monde ? De quelque côté que j'aille, on me dit partout : Va-t'en ; je n'y comprends rien. Eh bien, payez, Monsieur Sorbin, payez, payons tous. Et qui font le sujet de mon admiration. Elle parle d'or, en vérité. Voyez la bonté de coeur, le beau naturel pour l'amour. Miséricorde ! Voilà une départie qui me procure la mort, je n'irai jamais jusqu'au souper. Si vous voulez voir de belles larmes et d'une belle grosseur, il n'y a qu'à regarder les miennes. Qui est-ce qui n'aime pas le beau sexe ? C'est vous qui êtes le plus mutin de la bande, seigneur Hermocrate ; car voilà Monsieur Sorbin qui est le meilleur acabit d'homme ; voilà moi qui m'afflige à faire plaisir ; voilà le seigneur Timagène qui le trouve bon ; personne n'est tigre, il n'y a que vous ici qui portiez des griffes, et sans vous, nous partagerions la ferme. Oh ! Pardi, j'irai comme le vent, je saute comme un cabri. Tout subitement. Ces belles personnes me suivent, et voilà pour vos écritures, Monsieur le notaire ; tâchez de nous griffonner le papier sur ce papier. **** *creator_marivaux *book_marivaux_colonie *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_colonie *dist2_marivaux_prose_comedy *id_HERMOCRATE *date_1750 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_hermocrate Non, seigneur Timagène, nous ne pouvons pas mieux choisir ; le peuple n'a pas hésité sur Monsieur Sorbin, le reste des citoyens n'a eu qu'une voix pour vous, et nous sommes en de bonnes mains. Retirez-vous, jeune homme. Heureusement, l'aventure est plus comique que dangereuse. À rien, comme à l'ordinaire. Mais, qu'est-ce que c'est que cette mauvaise plaisanterie-là ? Parlez-leur donc, seigneur Timagène, sachez de quoi il est question. D'épée, Madame ? Vous n'y songez pas, la gravité de la magistrature et la décence du barreau ne s'accorderaient jamais avec un bonnet carré sur une cornette... Seigneur Timagène, donnez vos ordres, et délivrez-nous de ces criailleries. Vous voyez bien que cette entreprise ne saurait se soutenir. Cela va jusqu'à la fureur. Répondez-lui donc. Je crois que vous avez envie de pleurer, Monsieur Sorbin ? Laissez-nous, petit homme. Attendez, Messieurs, on en viendra à un accommodement, si vous le souhaitez, puisque les partis violents vous déplaisent ; mais il me vient une idée, voulez-vous vous en fier à moi ? Courez, Persinet, rappelez-les, hâtez-vous, elles ne sont pas loin. Ne manquez pas aussi de m'apporter ici tout à l'heure une petite table et de quoi écrire. Oui, mais comme nous avons la guerre avec les sauvages de cette île, revenez tous deux dans quelques moments nous dire qu'on les voit descendre en grand nombre de leurs montagnes et qu'ils viennent nous attaquer, rien que cela. Vous pouvez aussi amener avec vous quelques hommes qui porteront des armes, que vous leur présenterez pour le combat. Vous l'emportez, Madame, vous triomphez d'une résistance qui nous priverait du bonheur de vivre avec vous, et qui n'aurait pas duré longtemps si toutes les femmes de la colonie ressemblaient à la noble Arthénice ; sa raison, sa politesse, ses grâces et sa naissance nous auraient déterminés bien vite ; mais à vous parler franchement, le caractère de Madame Sorbin, qui va partager avec vous le pouvoir de faire les lois, nous a d'abord arrêtés, non qu'on ne la croie femme de mérite à sa façon, mais la petitesse de sa condition, qui ne va pas ordinairement sans rusticité, disent-ils... Ce n'est pas moi qui parle, je vous dis ce qu'on a pensé ; on ajoute même qu'Arthénice, polie comme elle est, doit avoir bien de la peine à s'accommoder de vous. Quant à moi, qui ne vous accuse de rien, je m'en tiens à vous dire de la part de ces messieurs que vous aurez part à tous les emplois, et que j'ai ordre d'en dresser l'acte en votre présence ; mais, voyez avant que je commence, si vous avez encore quelque chose de particulier à demander. J'aime assez cette suppression. Pardon, Madame, j'ai deux petites raisons pour cela, je suis bourgeois et philosophe. En vérité, elle raisonne comme Socrate ; rendez-vous, Madame, je vais écrire. Doucement, Mesdames, laissons cet article-ci en litige, nous y reviendrons. Je ne serais pas de votre sentiment là-dessus, Madame Sorbin ; je trouve la chose équitable, tout homme que je suis. Que lui répondez-vous, Madame, et que faut-il que j'écrive ?