**** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_HERMIANE *date_1744 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_hermiane Où allons-nous, Seigneur, voici le lieu du monde le plus sauvage et le plus solitaire, et rien n'y annonce la fête que vous m'avez promise. Je n'y comprends rien ; qu'est-ce que c'est que cette maison où vous me faites entrer, et qui forme un édifice si singulier ? Que signifie la hauteur prodigieuse des différents murs qui l'environnent : où me menez-vous ? Oui, Seigneur, je le soutiens encore. La première inconstance, ou la première infidélité, n'a pu commencer que par quelqu'un d'assez hardi pour ne rougir de rien. Oh ! Comment veut-on que les femmes, avec la pudeur et la timidité naturelles qu'elles avaient, et qu'elles ont encore depuis que le monde et sa corruption durent, comment veut-on qu'elles soient tombées les premières dans des vices de coeur qui demandent autant d'audace, autant de libertinage de sentiment, autant d'effronterie que ceux dont nous parlons ? Cela n'est pas croyable. Oui, vous en êtes par pure galanterie, je l'ai bien remarqué. Ce discours-là sent bien l'ironie. Que voulez-vous dire ? Expliquez-vous, je ne vous entends point. Sans doute, mais nous n'y étions pas. Vous excitez ma curiosité, je l'avoue. Non, laissez-moi, Prince je n'en veux pas voir davantage ; cette Adine et cette Eglé me sont insupportables, il faut que le sort soit tombé sur ce qu'il y aura jamais de plus haïssable parmi mon sexe. L'aimable enfant ! Je me charge de sa fortune. Ah ! Je vous prie, mettez-y quelque différence : votre sexe est d'une perfidie horrible, il change à propos de rien, sans chercher même de prétexte. Croyez-moi, nous n'avons pas lieu de plaisanter. Partons. **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LEPRINCE *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leprince Tout y est prêt. À un spectacle très curieux ; vous savez la question que nous agitâmes hier au soir. Vous souteniez contre toute ma cour que ce n'était pas votre sexe, mais le nôtre, qui avait le premier donné l'exemple de l'inconstance et de l'infidélité en amour. Eh ! Sans doute, Hermiane, je n'y trouve pas plus d'apparence que vous, ce n'est pas moi qu'il faut combattre là-dessus, je suis de votre sentiment contre tout le monde, vous le savez. Si c'est par galanterie, je ne m'en doute pas. Il est vrai que je vous aime, et que mon extrême envie de vous plaire peut fort bien me persuader que vous avez raison, mais ce qui est de certain, c'est qu'elle me le persuade si finement que je ne m'en aperçois pas. Je n'estime point le coeur des hommes, et je vous l'abandonne ; je le crois sans comparaison plus sujet à l'inconstance et à l'infidélité que celui des femmes ; je n'en excepte que le mien, à qui même je ne ferais pas cet honneur-là si j'en aimais une autre que vous. J'en serai donc bientôt puni ; car je vais vous donner de quoi me confondre, si je ne pense pas comme vous. Oui, c'est la nature elle-même que nous allons interroger, il n'y a qu'elle qui puisse décider la question sans réplique, et sûrement elle prononcera en votre faveur. Pour bien savoir si la première inconstance ou la première infidélité est venue d'un homme, comme vous le prétendez, et moi aussi, il faudrait avoir assisté au commencement du monde et de la société. Nous allons y être ; oui, les hommes et les femmes de ce temps-là, le monde et ses premières amours vont reparaître à nos yeux tels qu'ils étaient, ou du moins tels qu'ils ont dû être ; ce ne seront peut-être pas les mêmes aventures, mais ce seront les mêmes caractères ; vous allez voir le même état de coeur, des âmes tout aussi neuves que les premières, encore plus neuves s'il est possible. Carise, et vous, Mesrou, partez, et quand il sera temps que nous nous retirions, faites le signal dont nous sommes convenus. Et vous, qu'on nous laisse. Voici le fait : il y a dix-huit ou dix-neuf ans que la dispute d'aujourd'hui s'éleva à la cour de mon père, s'échauffa beaucoup et dura très longtemps. Mon père, naturellement assez philosophe, et qui n'était pas de votre sentiment, résolut de savoir à quoi s'en tenir, par une épreuve qui ne laissât rien à désirer. Quatre enfants au berceau, deux de votre sexe et deux du nôtre, furent portés dans la forêt où il avait fait bâtir cette maison exprès pour eux, où chacun d'eux fut ! logé à part, et où actuellement même il occupe un terrain dont il n'est jamais sorti, de sorte qu'ils ne se sont jamais vus. Ils ne connaissent encore que Mesrou et sa soeur qui les ont élevés, et qui ont toujours eu soin d'eux, et qui furent choisis de la couleur dont ils sont, afin que leurs élèves en fussent plus étonnés quand ils verraient d'autres hommes. On va donc pour la première fois leur laisser la liberté de sortir de leur enceinte, et de se connaître ; on leur a appris la langue que nous parlons ; on peut regarder le commerce qu'ils vont avoir ensemble comme le premier âge du monde ; les premières amours vont recommencer, nous verrons ce qui en arrivera. Mais hâtons-nous de nous retirer, j'entends le signal qui nous en avertit, nos jeunes gens vont paraître ; voici une galerie qui règne tout le long de l'édifice, et d'où nous pourrons les voir et les écouter, de quelque côté qu'ils sortent de chez eux. Partons. Et moi de celle de Meslis. On ne vous séparera pas ; allez, Carise, qu'on les mette à part et qu'on place les autres suivant mes ordres. Les deux sexes n'ont rien à se reprocher, Madame : vices et vertus, tout est égal entre eux. Je l'avoue, le procédé du vôtre est du moins plus hypocrite, et par là plus décent, il fait plus de façon avec sa conscience que le nôtre. **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MESROU *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mesrou Elle a même les yeux plus attendris qu'à l'ordinaire. Je sais qui c'est, je crois même l'avoir entrevu qui se retirait ; cet objet s'appelle un homme, c'est Azor, nous le connaissons. L'un est l'homme, et l'autre la femme. N'en riez pas, elle vous donne un très bon conseil, ce n'est qu'en pratiquant ce qu'elle vous dit là, et qu'en nous séparant quelquefois, que nous continuons de nous aimer, Carise et moi. Nous ne vous proposons de vous séparer que deux ou trois heures seulement dans la journée. Tant pis. J'en conviens, mais que sait-on ce qui peut arriver ? Supposons, par exemple, que je devinsse aussi aimable qu'Azor, que Carise devînt aussi belle qu'Eglé. Comme vous voudrez. Il est vrai qu'il vous adore. Du moins cela il représente. Choisissez de son portrait ou du vôtre. Oh ! Il faut opter, s'il vous plaît, je suis bien aise d'en garder un. Il s'échappe de moi, il veut être inconstant, empêchez-le d'approcher. Mesrin, imitez Eglé, ne soyez point infidèle. Pourquoi quitter Adine ? Avez-vous à vous plaindre d'elle ? Voici Azor. **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_CARISE *date_1744 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_carise Venez, Eglé, suivez-moi ; voici de nouvelles terres que vous n'avez jamais vues, et que vous pouvez parcourir en sûreté. C'est toujours le même, mais vous n'en connaissez pas toute l'étendue. Vous avez raison, et c'est ce qu'on appelle un ruisseau. Eh ! Non, c'est vous que vous y voyez tous les ruisseaux font cet effet-là. Sans doute. Il est vrai que vous êtes belle. Promenez-vous à votre aise, je vous laisse pour rentrer dans votre habitation, où j'ai quelque chose à faire. Eglé, je vous retrouve inquiète, ce me semble, qu'avez-vous ? Qui vous tenait la main, Eglé ! Que n'avez-vous a appelé à votre secours ? Je ne m'étonne point qu'il vous aime et que vous l'aimiez, vous êtes faits l'un pour l'autre. Mes enfants, je vous l'ai déjà dit, votre destination naturelle est d'être charmés l'un de l'autre. Mais il y a une chose à observer, si vous voulez vous aimer toujours. Au contraire, c'est qu'il faut de temps en temps vous priver du plaisir de vous voir. Oui, vous dis-je, sans quoi ce plaisir diminuerait et vous deviendrait indifférent. Non, mais vous cesserez de sentir que vous l'êtes. Peut-être alors que, rassasiés de vous voir, vous seriez tentés de vous quitter tous deux pour nous aimer. Que de tendresse ! J'en suis enchantée moi-même ! Mais il n'y a qu'un moyen de la conserver, c'est de nous en croire ; et si vous avez la sagesse de vous y déterminer, tenez, Eglé, donnez ceci à Azor, ce sera de quoi l'aider à supporter votre absence. Le voilà d'une autre manière. Cela s'appelle un miroir, il n'y a qu'à presser cet endroit pour l'ouvrir. Adieu, nous reviendrons vous trouver dans quelque temps, mais, de grâce, songez aux petites absences. Que faites-vous donc là toutes deux éloignées l'une de l'autre, et sans vous parler ? Doucement, ne vous emportez point ; profitez plutôt du hasard qui vous a fait faire connaissance ensemble, unissons-nous tous, devenez compagnes, et joignez l'agrément de vous voir à la douceur d'être toutes deux adorées, Eglé par l'aimable Azor qu'elle chérit, Adine par l'aimable Mesrin qu'elle aime ; allons, raccommodez-vous. Allons, laissez-la dire. Sortons d'ici, voilà l'heure de votre leçon de musique, je ne pourrai pas vous la donner si vous tardez. Vous venez de le quitter. Abrégez, car j'ai autre chose à faire. C'est qu'elle était fâchée. C'en est une aussi. Eglé. Allons, tout est dit, partons. Laissez-la donc, Mesrin, je suis pressée. À quoi rêvez-vous donc ? Avez-vous du chagrin ? D'ou vient-il ? Il est vrai. Mais qu'avez-vous ? Pourquoi fâchée contre vous ? Serait-il possible ? Je soupçonne que vous lui cherchez querelle. Vous êtes en effet de bien mauvaise humeur ; mais que vous a fait Azor ? Quoi ? Vous cesserez de l'aimer ? Vous nous avez soutenu que cela ne se pouvait pas. Eglé, ce ne peut pas être son trop d'empressement à vous voir qui lui nuit auprès de vous, il n'y a pas assez longtemps que vous le connaissez. Vous ne dites pas son véritable tort, encore une fois. Et qui est-ce qui a voulu les baiser ? Et qui est aimable ? Non, mais il a craint que son camarade ne vous plût. Tenez, votre dégoût pour Azor ne vient pas de tout ce que vous dites là, mais de ce que vous aimez mieux à présent son camarade que lui. Eh ! Dites-moi, ne rougissez-vous pas un peu de votre inconstance ? Ce n'en est pas une, vous aviez tant promis de l'aimer constamment. Avouez que ces raisons-là ne sont point bonnes, vous les aviez tantôt réfutées d'avance. Vous vous méprenez encore là-dessus, ce n'est pas qu'il vaille mieux, c'est qu'il a l'avantage d'être nouveau venu. Ajoutez que ce nouveau venu vous aimera. Au lieu qu'Azor n'en est pas à vous aimer. Quels étranges motifs de changement ! Je gagerais bien que vous n'en êtes pas contente. Consultez votre bon coeur, vous sentirez qu'il condamne votre inconstance. Savez-vous le parti qu'il faut prendre ? C'est de fuir le camarade d'Azor ; allons, venez ; vous n'aurez pas la peine de combattre. N'importe, efforcez-vous, courage ! Ne le regardez pas. N'avancez pas. C'est que je vous le défends ; Mesrou et moi, nous devons avoir quelque autorité sur vous, nous sommes vos maîtres. Eh bien ! Je ne vous le commande plus, je vous en prie, et la belle Eglé joint sa prière à la mienne. Retirons-nous, vous n'êtes pas encore sûre qu'il vous aime. Azor et elle vont être au désespoir. Si vous voulez, je sais le moyen de faire cesser leur affliction avec leur tendresse. À sa contenance, on dirait qu'il devine le tort que vous lui faites. Demeurez tous, n'ayez point de peur ; voici de nouveaux camarades qui viennent, ne les épouvantez point, et voyons ce qu'ils pensent. Il y a autant de femmes que d'hommes ; voilà les unes, et voici les autres ; voyez, Meslis, si parmi les femmes vous n'en verriez pas quelqu'une qui vous plairait encore plus que Dina, on vous la donnerait. Choisissez-en une autre. Et vous, Dina, examinez. **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_EGLE *date_1744 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_egle Que vois-je ? Quelle quantité de nouveaux mondes ! Que de pays ! Que d'habitations ! Il me semble que je ne suis plus rien dans un si grand espace, cela me fait plaisir et peur. Qu'est-ce que c'est que cette eau ne je vois et qui roule à terre ? Je n'ai rien vu de semblable à cela dans le monde d'où je sors. Ah ! Carise, approchez, venez voir, il y a quelque chose qui habite dans le ruisseau qui est fait comme une personne, et elle paraît aussi étonnée de moi que je le suis d'elle. Quoi ! C'est là moi, c'est mon visage ? Mais savez-vous bien que cela est très beau, que cela fait un objet charmant ? Quel dommage de ne l'avoir pas su plus tôt ! Comment, belle, admirable ! Cette découverte-là m'enchante. Le ruisseau fait toutes mes mines, et toutes me plaisent. Vous devez avoir eu bien du plaisir à me regarder, Mesrou et vous. Je passerais ma vie à me contempler ; que je vais m'aimer à présent ! Allez, allez, je ne m'ennuierai pas avec le ruisseau. Je ne me lasse point de moi. Qu'est-ce que c'est que cela, une personne comme moi ?...N'approchez point. La personne rit, on dirait qu'elle m'admire. Attendez... Ses regards sont pourtant bien doux... Savez-vous parler ? La personne m'entend, me répond, et si agréablement ! Tant mieux. Vous me plaisez aussi. Je ne vous le défends plus de bon coeur. J'en ai bien envie. Arrêtez un peu... Que je suis émue !. Elle obéit ; venez donc tout à fait, afin d'être à moi de plus près. Ah ! La voilà, c'est vous, qu'elle est bien faite ! En vérité, vous êtes aussi belle que moi. Eh ! c'est tout comme moi. Je soupire. C'est ma pensée, mais on ne peut pas se voir davantage, car nous sommes là. Tenez, le mien vous les donne ; êtes-vous plus contente ? C'est ce qui m'arrive, nous nous ressemblons en tout. Les vôtres si vifs ! Oui, mais je vous assure qu'il vous sied fort bien de ne l'être pas tant que moi, je ne voudrais pas que vous fussiez autrement, c'est une autre perfection, je ne nie pas la mienne, gardez-moi la vôtre. Ah çà ! Dites-moi, où étiez-vous quand je ne vous connaissais pas ? Ni mes mains se passer de votre bouche ; mais j'entends du bruit, ce sont des personnes de mon monde : de peur de les effrayer, cachez-vous derrière les arbres, je vais vous rappeler. Non, vous n'avez qu'à regarder dans cette eau qui coule, mon visage y est, vous l'y verrez. Ah ! je m'ennuie déjà de son absence. C'est qu'il y a une grande nouvelle ; vous croyez que nous ne sommes que trois, je vous avertis que nous sommes quatre ; j'ai fait l'acquisition d'un objet qui me tenait la main tout à l'heure. Du secours contre quoi ? Contre le plaisir qu'il me faisait ? J'étais bien aise qu'il me la tint ; il me la tenait par ma permission : il la baisait tant qu'il pouvait, et je ne l'aurai pas plus tôt rappelé qu'il la baisera encore pour mon plaisir et le sien. C'est Azor ? Le joli nom ! Le cher Azor ! Le cher homme ! Il va venir. Justement, nous l'avons deviné de nous-mêmes. Azor, mon Azor, venez vite, l'homme ! Ils me l'ont dit, vous êtes fait exprès pour moi, moi faite exprès pour vous, ils me l'apprennent : voilà pourquoi nous nous aimons tant, je suis votre Eglé, vous mon Azor. Tenez, voilà ma main, consolez-vous d'avoir été caché. Regardez, voilà comme il faisait tantôt, fallait-il appeler à mon secours ? Il n'y a rien de si clair. Oui, je comprends, c'est d'être toujours ensemble. Comment ? Indifférent, indifférent, mon Azor ! Ah ! Ah ! Ah !... La plaisante pensée ! Vraiment, je le crois bien, cela peut vous être bon à vous autres qui êtes tous deux si noirs, et qui avez dû vous enfuir de peur la première fois que vous vous êtes vus. Et vous seriez bientôt rebutés de vous voir si vous ne vous quittiez jamais, car vous n'avez rien de beau à vous montrer ; moi qui vous aime, par exemple, quand je ne vous vois pas, je me passe de vous, je n'ai pas besoin de votre présence, pourquoi ? C'est que vous ne me charmez pas ; au lieu que nous nous charmons, Azor et moi ; il est si beau, moi si admirable, si attrayante, que nous nous ravissons en nous contemplant. L'homme a raison, tout ce qu'il vous dit là, je le sens ; voilà pourtant où nous en sommes, et vous qui. Parlez de notre plaisir, vous ne savez pas ce que c'est, nous ne le comprenons pas, nous qui le sentons, il est infini. Pas d'une minute. Vous m'impatientez, Mesrou ; est-ce qu'à force de nous voir nous deviendrons laids ? Cesserons-nous d'être charmants ? Eh ! Qu'est-ce qui nous empêchera de le sentir puisque nous le sommes ? Azor toujours Azor. Qu'est-ce que cela nous ferait ? Pourquoi tentés ? Quitte-t-on ce qu'on aime ? Est-ce là raisonner ? Azor et moi, nous nous aimons, voilà qui est fini, devenez beau tant qu'il vous plaira, que nous importe ? Ce sera votre affaire, la nôtre est arrêtée. Entendez-vous ce qu'il dit, sa vie ? Comment me quitterait-il ? Il faut bien qu'il vive, et moi aussi. J'aime tant qu'il m'admire ! Adorez donc, mais donnez-moi le temps de respirer ; ah ! Comment donc ! Je me reconnais ; c'est encore moi, et bien mieux que dans les eaux du ruisseau, c'est toute ma beauté, c'est moi, quel plaisir de se trouver partout ! Regardez, Azor, regardez mes charmes. Je n'y trouve qu'un défaut, quand il le baise, ma copie a tout. Ah çà ! J'en veux autant pour m'amuser. Je les retiens tous deux. Eh bien ! En ce cas-là je n'ai que faire de vous pour avoir Azor ; car j'ai déjà son portrait dans mon esprit, ainsi donnez-moi le mien, je les aurai tous deux. Voyons, je ne saurais l'ouvrir ; essayez, Azor, c'est là qu'elle a dit de presser. Ah ! Ah ! Que je voie donc ! Eh ! Point du tout, cher homme, c'est plus moi que jamais, c'est réellement votre Eglé, la véritable, tenez, approchez. Ah ! Je suis bien aise d'y voir un peu de vous aussi, vous n'y gâtez rien ; avancez encore, tenez-vous bien. Je vous sens bien, et je le trouve bon.. Oh ! Vous nous dérangez, à présent je ne vois plus que moi, l'aimable invention qu'un miroir !. Carise et Mesrou sont pourtant de bonnes gens. Sur ces absences, n'est-ce pas ? J'y rêvais aussi. Prenez garde à vous-même, ne vous lassez pas de m'adorer, en vérité, toute belle que je suis, votre peur m'effraie aussi. Allons, allons, tout bien examiné, mon parti est pris : donnons-nous du chagrin, séparons-nous pour deux heures, j'aime encore mieux votre coeur et son adoration que votre présence, qui m'est pourtant bien douce. Ah ! Si vous ne me prenez pas au mot, tout à l'heure je ne le voudrai plus. Tant pis, je vous déclare que le mien se passe. Vous pleurez ? Eh bien ! Restez donc pourvu qu'il n'y ait point de danger. Partez donc. Ah ! il n'y est plus, je suis seule, je n'entends plus sa voix, il n'y a plus que le miroir. J'ai eu tort de renvoyer mon homme, Carise et Mesrou ne savent ce qu'ils disent. Si je m'étais mieux considérée, Azor ne serait point parti. Pour aimer toujours ce que je vois là, il n'avait pas besoin de l'absence... Allons, je vais m'asseoir auprès du ruisseau, c'est encore un miroir de plus. Mais que vois-je ? Encore une autre personne ! Elle me considère avec attention, mais ne m'admire point, ce n'est pas là un Azor. C'est encore moins une Eglé... Je crois pourtant qu'elle se compare. Elle est d'une espèce qui ne me revient point. Oui assurément, et très personne. Non, d'ordinaire on me prévient, c'est à moi qu'on parle. De vous ? C'est moi qui charme les autres. Hélas ! Ni bien aise ni fâchée, qu'est-ce que cela me fait ? Mais qu'est-ce que c'est que vous ? Est-il question de vous ? Je vous dis que c'est d'abord moi qu'on voit, moi qu'on informe de ce qu'on pense, voilà comme cela se pratique, et vous voulez que ce soit moi qui vous contemple pendant que je suis présente ! Eh bien, étonnez-vous donc ! On vous répond qu'elle attend. Je ne connais pas vos personnes, mais je sais qu'il y en a trois que je ravis et qui me traitent de merveille. Que me contez-vous là ? Je ne me considère jamais que je ne sois enchantée, moi qui vous parle. Je la battrais de bon coeur avec sa justice. Mais c'est aussi en voyant, que je vous trouve assez laide. Il n'y a que votre visage qui m'en empêche. Les eaux du ruisseau, qui se moquent de vous, m'apprendront qu'il n'y a rien de si beau que moi, et elles me l'ont déjà appris, je ne sais ce que c'est qu'un Mesrin, mais il ne vous regarderait pas s'il me voyait ; j'ai un Azor qui vaut mieux que lui, un Azor que j'aime, qui est presque aussi admirable que moi, et qui dit que je suis sa vie ; vous n'êtes la vie de personne, vous ; et puis j'ai un miroir qui achève de me confirmer tout ce que mon Azor et le ruisseau assurent ; y a-t-il rien de plus fort ? Ah ! Ah ! Ah !... N'ai-je pas deviné qu'elle me déplairait ?. Jetez les yeux sur celui-ci pour y savoir votre médiocrité, et la modestie qui vous est convenable avec moi. Et moi, j'ignore que vous êtes là. Quelle visionnaire, de quel monde cela sort-il ? Que diriez-vous de ce fade objet, de cette ridicule espèce de personne qui aspire à m'étonner, qui me demande ce que je sens en la voyant, qui veut que j'aie du plaisir à la voir, qui me dit : Eh ! Contemplez-moi donc ! Eh ! Comment me trouvez-vous ? Et qui prétend être aussi belle que moi ! Mais qu'elle se voie donc dans celui-ci, si elle ose ! Qu'elle se défasse donc de sa vision de beauté qui m'ennuie. Où est son imbécile Mesrin ? Malheur à elle, si je le rencontre ! Adieu, je m'écarte, car je ne saurais la souffrir. Ah ! Ah ! Ah ! Quelle grimace ! Qu'est-ce que c'est que cela : qui plaît tant ? C'est donc un nouvel ami qui nous a apparu tout d'un coup ? En avez-vous plus que dans le vôtre ? Eh bien ! L'homme, il n'y a qu'à y rester. Ah ! Il n'y a pas de mal ; mais, à propos, allez vous-en, Azor, vous savez bien que l'absence est nécessaire, il n'y a pas assez longtemps que la nôtre dure. Vous vous trompez, il n'y a pas assez longtemps que, vous dis-je ; je sais bien compter, et ce que j'ai résolu je le veux tenir. Eh bien ! Je m'en contenterai. Pourquoi m'obstinez-vous ? Ne vous a-t-on pas dit qu'il n'y a rien de si dangereux que de nous voir ? Et moi je me doute que ce n'est pas un mensonge. Quoi ? Il faut qu'il se repose. Oui, il empêcherait. Partons ! Je rêve que je ne suis pas de bonne humeur. Ce n'est pas du chagrin non plus, c'est de l'embarras d'esprit. Vous nous disiez tantôt qu'en fait d'amitié on ne sait ce peut arriver ? Eh bien ! Je ne sais ce qui m'arrive. Il me semble que je suis fâchée contre moi, que je suis fâchée contre Azor, je ne sais à qui j'en ai. C'est que j'ai dessein d'aimer toujours Azor, et j'ai peur d'y manquer. Oui, j'en veux à Azor, parce que ses manières en sont cause. Vous n'avez qu'a me répondre toujours de même, je serai bientôt fâchée contre vous aussi. Ce qu'il m'a fait ? Nous convenons de nous séparer : il part, il revient sur-le-champ, il voudrait toujours être là ; à la fin, ce que vous lui avez perdit lui arrivera. Sans doute ; si le plaisir de se voir s'en va quand on le prend trop souvent, est-ce ma faute à moi ? Ne me chicanez donc pas ; que savais-je ? Je l'ai soutenu par ignorance. Pas mal de temps ; nous avons déjà eu trois conversations ensemble, et apparemment que la longueur des entretiens est contraire. Oh ! Il en a encore un et même deux, il en a je ne sais combien : premièrement, il m'a contrariée ; car mes mains sont à moi, je pense, elles m'appartiennent, et il défend qu'on les baise ! Un camarade qu'il a découvert tout nouvellement, et qui s'appelle homme. Oh ! Charmant, plus doux qu'Azor, et qui proposait aussi de demeurer pour me tenir compagnie ; et ce fantasque d'Azor ne lui a permis ni la main, ni la compagnie, l'a querellé et l'a emmené brusquement sans consulter mon désir : ah ! Ah ! Je ne suis donc pas ma maîtresse ? Il ne se fie donc pas à moi ? Il a donc peur qu'on ne m'aime ? Eh bien ! Il n'a qu'a me plaire davantage, car à l'égard d'être aimée, je suis bien aise de l'être, je le déclare, et au lieu d'un camarade, en eût-il cent, je voudrais qu'ils m'aimassent tous, c'est mon plaisir ; il veut que ma beauté soit pour lui tout seul, et moi je prétends qu'elle soit pour tout le monde. Croyez-vous ? Vous pourriez bien avoir raison. Il me parait que oui, mon accident me fait honte, j'ai encore cette ignorance-là. Attendez, quand je l'ai promis, il n'y avait que lui, il fallait donc qu'il restât seul, le camarade n'était pas de mon compte. Il est vrai que je ne les estime pas beaucoup ; il y en a pourtant une excellente, c'est que le camarade vaut mieux qu'Azor. Mais cet avantage-là est considérable, n'est-ce rien que d'être nouveau venu ? N'est-ce rien que d'être un autre ? Cela est fort joli, au moins, ce sont des perfections qu'Azor n'a pas. Justement, il m'aimera, je l'espère, il a encore cette qualité-là. Eh ! Non, car il m'aime déjà. Je ne suis contente de rien, d'un côté, le changement me fait peine, de l'autre, il me fait plaisir ; je ne puis pas plus empêcher l'un que l'autre ; ils sont tous deux de conséquence ; auquel des deux suis-je le plus obligée ? Faut-il me faire de la peine ? Faut-il me faire du plaisir ? Je vous défie de le dire. Vous n'écoutez donc pas ; mon bon coeur le condamne, mon bon coeur l'approuve, il dit oui, il dit non, il est de deux avis, il n'y a donc qu'a choisir le plus commode. Oui, mais nous fuyons bien tard : voilà le combat qui vient, le camarade arrive. Moi ! Point du tout, je ne joins point de prière. Oh ! Je n'espère pas le contraire, il n'y a qu'à lui demander ce qui en est. Que souhaitez-vous, le joli camarade ? Vous voyez bien qu'il parle de son âme ; est-ce que vous m'aimez ? Ne l'avais-je pas bien dit ? Je voudrais bien m'en dispenser si je le pouvais, à cause d'Azor qui compte sur moi. Mesrin ! L'homme s'appelle Mesrin ! L'ami d'Adine ? Son portrait et l'ami d'Adine ! Il a encore ce mérite-là ; ah ! Ah ! Carise, voila trop de qualités, il n'y a pas moyen de résister ; Mesrin, venez que je vous aime. L'incomparable ami que je gagne ! C'est qu'il a des yeux, voilà tout. Oui, je l'y contrains, nous nous contraignons tous deux. Quel remède ? Eh ! Non, je serai bien aise qu'Azor me regrette, moi ; ma beauté le mérite ; il n'y a pas de mal aussi qu'Adine soupire un peu, pour lui apprendre à se méconnaître. Oui, il est triste ; ah ! Il y a bien de quoi. Êtes-vous bien fâché, Azor ? Beaucoup ? Il y paraît, eh ! Comment savez-vous que j'aime Mesrin ? Il est vrai. Arrêtez donc, que voulez-vous dire, vous ne m'aimez plus, qu'est-ce que cela signifie ? Eh ! Laissez-moi faire, je ne vous en aimerai que mieux, si je puis le ravoir, c'est seulement que je ne veux rien perdre. Le beau sujet de rire ! Tenez, je vous rends le vôtre, qui ne vaut pas la peine que je le garde. Allons, Azor, venez que je vous parle. Qu'est-ce que c'est que toutes ces figures-là, qui arrivent en grondant ? Je me sauve.Ils veulent tous fuir. J'aimerais bien son amitié. **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_AZOR *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_azor Le plaisir de vous voir m'a d'abord ôté la parole. Vous me ravissez. Vous m'enchantez. Pourquoi donc me défendez-vous d'avancer ? Je vais donc approcher. J'obéis, car je suis à vous. Je meurs de joie d'être auprès de vous, je me donne à vous, je ne sais pas ce que je sens, je ne saurais le dire. Je suis heureux, je suis agité. J'ai beau être auprès de vous, je ne vous vois pas encore assez. Mon coeur désire vos mains. Oui, mais non pas plus tranquille Oh ! Quelle différence ! Tout ce que je suis ne vaut pas vos yeux, ils sont si tendres ! Vous êtes si mignonne, si délicate ! Je n'en changerai point, je l'aurai toujours. Dans un monde à moi, où je ne retournerai plus, puisque vous n'en êtes pas, et que je veux toujours avoir vos mains ; ni moi ni ma bouche ne saurions plus nous passer d'elles. Oui, mais je vous perdrai de vue. Eh ! C'est Carise et Mesrou, ce sont mes amis. Mon Eglé, mon charme, mes délices, et ma femme ! Quoi ? Comme elle s'y entend ! Tout ce que vous avez pu faire, c'est de vous supporter l'un et l'autre. La seule main d'Eglé, voyez-vous, sa main seule, je souffre quand je ne la tiens pas et quand je la tiens, je me meurs si je ne la baise, et quand je l'ai baisée, je me meurs encore. Eglé sera toujours Eglé. Ils n'y comprendront jamais rien, il faut être nous pour savoir ce qui en est. Mon amitié, c'est ma vie. Oui, ma vie, comment est-il possible qu'on soit si belle, qu'on ait de si beaux regards, une si belle bouche, et tout si beau ? Ah ! Que c'est bien dit, je l'adore ! Mesrou me comprend, je vous adore. Ah ! C'est Eglé, c'est ma chère femme, la voilà, sinon que la véritable est encore plus belle. Oui, cela la fait désirer. Otons ce défaut-là. Bon ! Ce n'est que moi, je pense, c'est ma mine que le ruisseau d'ici près m'a montrée. Eh ! Oui, c'est vous, attendez donc, c'est nous deux, c'est moitié l'un et moitié l'autre ; j'aimerais mieux que ce fût vous toute seule, car je m'empêche de vous voir tout entière. Nos visages vont se toucher, voilà qu'ils se touchent, quel bonheur pour le mien ! Quel ravissement ! Si nos bouches s'approchaient ! Ah ! Le portrait est aussi une excellente chose. Ils ne veulent que notre bien, j'allais vous parler d'eux, et de ce conseil qu'ils nous ont donné. Oui, mon Eglé, leur prédiction me fait quelque peur ; je n'appréhende rien de ma part, mais n'allez pas vous ennuyer de moi, au moins, je serais désespéré. À merveille ! Ce n'est pas à vous de trembler... À quoi rêvez-vous ? Quoi ! Nous quitter ! Hélas ! Le courage me manque. Adieu, Eglé, puisqu'il le faut. Mais s'il y en avait ! Je m'enfuis. Vous êtes pareille à moi, ce me semble ? Vous êtes donc un homme ? On m'en a dit de moi tout autant. Oh ! Oui, je les connais toutes, deux noires et une blanche. Du monde. Ah ! Je n'en sais rien, car il y en a tant ! Oui-da ; vous me réjouissez, je me plais à vous voir sans que vous ayez des charmes. Voilà ce que c'est, je vous trouve de même, un bon camarade, moi un autre bon camarade, je me moque du visage. Tous les jours. Moi de même, et nous serons deux, peut-être quatre, car je le dirai à ma blanche qui a un visage : il faut voir ! Ah ! Ah ! C'est elle qui en a un qui vaut mieux que nous deux. Des mains, camarade ? Est-ce que ma blanche n'en a pas aussi qui sont célestes, et que je caresse tant qu'il me plaît ? Je les attends. C'est ma blanche, c'est Eglé. Ah ! Que je suis heureux ! Oui, c'est un camarade que j'ai fait, qui s'appelle homme, et qui arrive d'un monde ici près. C'est ce que nous disions, car il est tout à fait bon et joyeux ; je l'aime, non pas comme j'aime ma ravissante Eglé que j'adore, au lieu qu'à lui je n'y prends seulement pas garde, il n'y a que sa compagnie que je cherche pour parler de vous, de votre bouche, de vos yeux, de vos mains, après qui je languissais. Oh ! Doucement, ce n'est pas ici votre blanche, c'est la mienne, ces deux mains sont à moi, vous n'y avez rien. Comment ! Il y a je ne sais combien d'heures que je ne vous ai vue. Mais vous allez rester seule. Je crois que vous vous fâchez contre moi. Ce n'est peut-être pas la vérité. Je pars donc pour vous complaire, mais je serai bientôt de retour, allons, camarade, qui avez affaire, venez avec moi pour m'aider à passer le temps. N'a-t-elle pas dit qu'elle voulait être seule ? Sans cela, je la désennuierais encore mieux que vous. Partons ! Oui, Eglé. Assurément. Comment ? Eglé vous aime, elle ne se soucie plus de moi ? Eh ! Tant mieux ; continuez, je ne me soucie plus de vous non plus, attendez-moi, je reviens. Tout à l'heure vous saurez le reste. **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ADINE *date_1744 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_adine Ah ! Ah ! Qu'est-ce que c'est que ce nouvel objet-ci ?Elle avance. Je ne sais que penser de cette figure-là, je ne sais ce qui lui manque, elle a quelque chose d'insipide. A-t-elle un langage ?... Voyons... Êtes-vous une personne ? Eh bien ! N'avez-vous rien à me dire ? Mais n'êtes-vous pas charmée de moi ? Quoi ! Vous n'êtes pas bien aise de me voir ? Voilà qui est particulier ! Vous me considérez, je me montre, et vous ne sentez rien ? C'est que vous regardez ailleurs ; contemplez-moi un peu attentivement, là, comment me trouvez-vous ? Sans doute, c'est la plus belle à attendre qu'on la remarque et qu'on s'étonne. Vous ne m'entendez donc pas ? On vous dit que c'est à la plus belle à attendre. Mais si ce n'est pas moi, où est-elle ? Je suis pourtant l'admiration de trois autres personnes qui habitent dans le monde. Et moi je sais que je suis si belle, si belle, que je me charme moi-même toutes les fois que je me regarde, voyez ce que c'est. Enchantée ! Il est vrai que vous êtes passable, et même assez gentille, je vous rends justice, je ne suis pas comme vous. Mais de croire que vous pouvez entrer en dispute avec moi, c'est se moquer, il n'y a qu'à voir. Bon ! C'est que vous me portez envie, et que vous vous empêchez de me trouver belle. Mon visage ! Oh ! Je n'en suis pas en peine, car je l'ai vu, allez demander ce qu'il est aux eaux du ruisseau qui coule, demandez-le à Mesrin qui m'adore. Un miroir ! vous avez aussi un miroir ! Eh ! À quoi vous sert-il ? À vous regarder ? Ah ! Ah ! Ah ! Tenez, en voilà un meilleur, venez apprendre à vous connaître et à vous taire. Passez votre chemin : dès que vous refusez de prendre du plaisir à me considérer, vous ne m'êtes bonne à rien, je ne vous parle plus. Quelle folle ! C'est une nouvelle figure que j'ai rencontrée et que ma beauté désespère. Je ne dis pas cela, je dis plus belle, comme cela se voit dans le miroir. Je ne lui demande qu'un coup d'oeil dans le mien, qui est le véritable. Tenez, je sais le moyen de lui faire entendre raison, je n'ai qu'à lui ôter son Azor dont je ne me soucie pas, mais rien que pour avoir la paix. Ah ! Ah ! Ah !.. Mon mérite est son aversion. Vraiment, bien entendu ; elle me fait pitié. Je vous suis, mais j'aperçois Mesrin, je n'ai qu'un mot à lui dire. Je ne serai qu'un moment en passant. Mesrin ! Eh ! Non, remettez votre joie, je ne suis pas revenue, je m'en retourne, ce n'est que par hasard que je suis ici. Écoutez, écoutez ce qui vient de m'arriver. J'ai fait Je suis belle, n'est-ce pas ? Il n'hésite pas, lui, il dit ce qu'il voit. Eh ! Oui, je n'en doute pas ; et cependant, vous, Carise et moi, nous nous trompons, je suis laide. Elle-même ; en vous quittant, j'ai trouvé une nouvelle personne qui est d'un autre monde, et qui, au lieu d'être étonnée de moi, d'être transportée comme vous l'êtes et comme elle devrait l'être, voulait au contraire que je fusse charmée d'elle, et sur le refus que j'en ai fait, m'a accusée d'être laide. M'a soutenu que vous me quitteriez quand vous l'auriez vue. Elle dit que oui, et elle en paraît une, à peu près. Elle reviendra sans doute, et je veux absolument que vous la méprisiez, quand vous la trouverez, je veux qu'elle vous fasse peur. Elle s'appelle... Attendez, elle s'appelle... Oui, c'est une Eglé. Voici à présent comme elle est faite : c'est un visage fâché, renfrogné, qui n'est pas comme celui de Carise, qui n'est pas blanc comme le mien non plus, c'est une couleur qu'on ne peut pas bien dire. Oh ! Point du tout, couleur indifférente ; elle a des yeux, comment vous dirai-je ? Des yeux qui ne font pas plaisir, qui regardent, voilà tout ; une bouche ni grande ni petite, une bouche qui lui sert à parler ; une figure toute droite, toute droite et qui serait pourtant à peu près comme la nôtre, si elle était bien faite ; qui a des mains qui vont et qui viennent, des doigts longs et maigres, je pense ; avec une voix rude et aigre ; oh ! Vous la reconnaîtrez bien. Bien humiliée, bien désolée. Eh ! Prenez-la, c'est pour vous que je l'ai. Quand il aura achevé de baiser ma main. Adieu tout ce que j'aime, je ne serai pas longtemps, songez à ma vengeance. Bonjour, la belle Eglé, quand vous voudrez vous voir, adressez-vous à moi, j'ai votre portrait, on me l'a cédé. Comment ! Mesrin, mon portrait ! Et comment l'a-t-elle ? Passez ici, Mesrin, que faites-vous là, vous extravaguez, je pense. **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MESRIN *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mesrin Quoi ! C'est vous, c'est mon Adine qui est revenue ; que j'ai de joie ! Que j'étais impatient ! Il fallait donc y être avec moi par hasard. Belle ! Si vous êtes belle ! Si vous êtes divine ! La beauté même. Mon Adine ! Vous me mettez d'une colère ! Mais, est-ce bien une personne ? Elle doit être horrible ? Et qui ne plaît pas ? Il me semble que je la vois, laissez-moi faire : il faut la renvoyer dans un autre monde, après que je l'aurai bien mortifiée. Et bien moquée, oh ! Ne vous embarrassez pas, et donnez-moi cette main. Adieu tout mon charme ! Je suis furieux. Une couleur ni noire ni blanche, une figure toute droite, une bouche qui parle... Où pourrais-je la trouver ? Mais j'aperçois quelqu'un, c'est une personne comme moi, serait-ce Eglé ? Non, car elle n'est point difforme. C'est ce que je pensais. On m'a dit que oui. On vous a dit : est-ce que vous connaissez des personnes Moi, c'est la même chose, d'où venez-vous ? Est-ce du mien ? Qu'importe ? Votre mine me convient, mettez votre main dans la mienne, il faut nous aimer. Ni vous non plus ; je ne me soucie pas de vous, sinon que vous êtes bonhomme. Eh ! Quoi donc, c'est par la bonne humeur que je vous regarde ; à propos, prenez-vous vos repas ? Eh bien ! Je les prends aussi ; prenons-les ensemble pour notre divertissement, afin de nous tenir gaillards ; allons, ce sera pour tantôt : nous rirons, nous sauterons, n'est-il pas vrai ? J'en saute déjà. Oh ! Je le crois, camarade, car vous n'êtes rien du tout, ni moi non plus, auprès d'une autre mine que je connais, que nous mettrons avec nous, qui me transporte, et qui a des mains si douces, si blanches, qu'elle me laisse tant baiser ! Tant mieux, je viens de quitter les miennes, et il faut que je vous quitte aussi pour une petite affaire ; restez ici jusqu'à ce que je revienne avec mon Adine, et sautons encore pour nous réjouir de l'heureuse rencontre. Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Le bel objet qui nous écoute ! Eglé, c'est là ce visage fâché ? Ah ! Qu'on a de plaisir dans celui-ci ! Oh ! Je vous assure. Je vais donc prendre l'autre. Ne la chagrinez pas, camarade. Oui, mais... C'est qu'il y a longtemps que je me promène. Et j'aurais empêché que la belle femme ne s'ennuie. Pourquoi ? Mes maîtres ! Qu'est-ce que c'est qu'un maître ? Vous voir, vous contempler, vous admirer, vous appeler mon âme. Comme un perdu. M'aimez-vous aussi ? Eh ! Oui. C'est moi qui l'étais, et qui n'ai plus besoin de son portrait. Ah ! Délicieuse main que je possède ! Non, c'est ce beau visage-là qui veut que je la laisse. Oh ! Pour infidèle je le suis, mais je n'y saurais que faire. Tant pis. Eh bien ! Faites. Le camarade m'embarrasse, il va être bien étonné. Oui, camarade. Vous le rappelez, je pense, eh ! D'où vient ? Qu'avez-vous affaire à lui, puisque vous m'aimez ? C'est que je l'ai donné. Que vous lui parliez ! Et moi ? **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MESLIS *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_meslis Ah ! Chère Dina, que de personnes ! Sans doute, il n'y en a pas une qui vous ressemble. Ah ! C'est vous, Carise et Mesrou, tout cela est-il hommes ou femmes ? Ne l'aimez point, car vous ne l'aurez pas. Je vous remercie, elles ne me déplaisent point, mais je ne me soucie pas d'elles, il n'y a qu'une Dina dans le monde. **** *creator_marivaux *book_marivaux_dispute *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_dispute *dist2_marivaux_prose_comedy *id_DINA *date_1744 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_dina Oui, mais nous n'avons que faire d'elles. Que c'est bien dit ! Tout est vu ; allons-nous-en. Nous avons assez de nous deux.