**** *creator_marivaux *book_marivaux_provinciale *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_provinciale *dist2_marivaux_prose_comedy *id_CATHOS *date_1750 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_cathos Nous sommes revenues ; et Madame la Marquise s'est arrêtée dans le jardin. Vous avez donc encore du monde ? Est-ce moi que Monsieur veut dire ? Je me doute qui c'est, par-ci, par-là. Je ne cours pourtant pas trop fort ; et vous me contez des fleurettes, Monsieur. Ah ! Dame ! Il faut le temps de faire réponse. Il n'y a qu'à mettre Cathos, pour vous servir, si j'en suis capable. Oui, Monsieur. Oh ! Mais je m'appelle aussi Charlotte. Ma main ? Eh mais, c'est de bonne heure. Bon, du crédit ! C'est qu'il raille ; c'est ma main qu'il voulait baiser, et qu'il ne baisera que tantôt. Oui, l'affaire est remise. À l'égard du garçon, c'est l'homme de chambre d'un jeune chevalier de nos amis ; et la Marquise, c'est Madame : voilà tout. Elle-même. D'avant-hier matin : cela se conclut une heure après son dîner. Pardi, on se sert de ce qu'on a. Bon ! Madame Riquet, pendant qu'on a un château de qualité ! Madame sait les belles compagnies sur le bout de son doigt ; elle nous apprend toutes les pratiques galantes, et la coutume des marquises, comtesses et duchesses : voyez si cela peut gâter le monde. Tenez, la voilà qui vient. Ha, ha, ha ! C'est moi qui lui ai enseigné cet arabe-là pour rire. D'un lourd, d'un malappris ! J'avance aussi, moi, n'est-ce pas ? Je me polis. Quel plaisir ! Je serai Lisette par-ci, Lisette par-là... Ce nom me dégourdit. En voyez-vous une qu'on m'a donnée seulement debout, mais avec des civilités ? Oui, Marquise, chacune la nôtre. Dame ! Oui, voilà ce que la vertu de chez nous en pense. Quand ce serait une feuille tout entière ? Et cela, pour un chiffon de papier. Oh ! Pardi, pour moi, je n'ai pas fait la bégueule. Allons, voilà la mienne ouverte, et si je ne la lis, ni ne réponds, je vous prends à témoin que c'est que je ne sais ni lire ni écrire. Grand merci ! Il faudra bien, afin de sauver ma réputation. Je crois aussi que celle de mon galant aura bien des charmes, car il va si vite dans le propos ; il me considère si peu, que c'est un plaisir, le petit folichon qu'il est. Quel trésor ! Elle trouve tout fait : il n'y a plus qu'à aller. Hé, hé, hé... Oui, mais en cas d'époux, cela est défendu. Comprends-tu bien ce qu'on te dit là, Colin ? Cathos ! Avec ta Cathos ! Il t'appartient bien de parler de la manière. Madame Lépine, le respect ne veut-il pas que la livrée m'appelle Mademoiselle tout court ? Le benêt ! Oh ! Laissez-moi faire ; je m'entends à présent à la civilité. Oh ! Pour cela non : il n'y a pas de sagesse à cela ; pas un brin. Et à cause de quoi donc ? Un poulet ? Je n'ai point vu de poulet. Ah ! Cela s'appelle un poulet ! Oh ! Je le sais bien, mais laissez faire. Ce n'est pas la modestie qui me tient ; je ne recule pas plus qu'une Marquise : mais il faut du temps, et vous n'avez qu'à vous en aller un peu, vous aurez votre affaire toute griffonnée. Bon, vingt écus ! Avec soixante francs de monnaie, vous en serez quitte. Eh dame ! On est belle âme tout comme une autre. Ah çà, notre chère dame, pendant que nous sommes seules, ouvrons le billet ; vous savez bien que vous m'avez promis de le lire ? Voyons ce qu'il chante. Qu'il est gentil avec cette prunelle qui le filoute ! Il me filoutera aussi, moi ! Cet effronté ! Savez-vous qu'il ne ment pas d'un mot, Madame Lépine ? Oui, je pense qu'il est mon souffleur. Or çà, la réponse, vous me la ferez donc ? C'est mon poulet à moi, où il est dit que mon minois est un larron, et que ma prunelle escamote le coeur du monde. Cela viendra au second. On ne perd pas l'esprit tout d'un coup. On vous le rendra, Monsieur, on vous le rendra. Les jolies paroles ! Elles sont toutes en l'air. Il y a une finesse là-dessous. Voyez, je vous prie ! Si on ne dit pas que vous êtes amoureuse, c'est tant pis pour votre honneur... Ce que c'est que l'ignorance ! Comme un charme. Jour de Dieu ! Des mains, chez nous, ce n'est pas des prunes. Morbleu ! Que les bégueles ne s'y frottent pas avec Madame : elle vous les revirerait... Allons, courage, Madame, on n'a rien pour rien. Il n'y a qu'à avoir un bon billet par-devant notaire. Pardi, allez ! Voilà une belle place que le second rang ! Si j'étais aussi riche qu'elle, je serais bientôt au premier étage. Oui ! Tout ce que vous avez dit pour elle est donc aussi pour moi ? Ah ! Mais la mienne ? Attendez donc, Madame Lépine ! Vous dites que tous vos enseignements à Madame me regardent aussi. Quoi ! La politesse glorieuse avec mes rivales, la folie des paroles en devisant, et les mains qu'on baise ?... Et l'argent aussi ? Et l'honneur de La Ramée pour notaire ? Ha ! Les masques... Je vous les détignonnerai. Oh ! Dame, passez-vous-en, mon cher homme ; je ne sais faire que des pieds de mouche, et j'aime mieux vous donner mon écriture en paroles ; il n'y a pas tant de façon. Votre billet est bien troussé, il m'a été fort agréable ; c'est bien fait de me l'avoir mandé. Il dit que ma mine vous a filouté, j'en suis bien aise ; c'est queussi, queumi. Vous demandez la jouissance de mon coeur, et vous l'aurez. Es-tu content, mon mignon ? Si je t'aime ? Pour qui me prends-tu donc ? Est-ce que tu crois que l'amour me fait peur ? Oh que nenni ! Je t'aime comme une étourdie ; je ne sais à qui le dire. Quand tu voudras baiser ma main, ne t'en fais point faute. Est-ce la droite ? Est-ce la gauche ? Prends, on sait bien que ce n'est que des mains. Tiens ! Je ne barguigne point, car je sais vivre. Fort peu de Cathos. C'est à présent Lisette. Je t'aime d'abord par inclination. Cela est bon, cela ? Et puis par belles manières. Écoute : je prétends que mon amour soit connu d'un chacun. N'en fais pas un secret, au moins : ne me joue point ce tour-là. Ai-je bien des rivales ? Montrez-m'en quelqu'une, afin que je la méprise poliment, ou bien que je la décoiffe. Oh ! Merci de ma vie ! C'est moi qui veux être ruinée toute seule, en attendant restitution. Son honneur !... Voilà le notaire. As-tu fini avec ton cabaretier ? Elle est bien osée. Allons, prends cette bague qui m'a coûté trente bons francs. Eh bien, attends-moi ; je vais te chercher quelques louis d'or que j'ai dans mon coffre...; en prendra-t-il ? Je vais revenir : prends toujours la bague. Avec l'argent que vous portez, bavarde ? Ha, votre cornette vous pèse ! et vous voulez qu'on vous détignonne... Les laides, avec leur pied de nez ! Doucement ! Arrête là. Quels misérables avec leur réputation ! **** *creator_marivaux *book_marivaux_provinciale *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_provinciale *dist2_marivaux_prose_comedy *id_COLIN *date_1750 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_colin Oui, notre maîtresse... Non, non : oui, Marquise, hé, je veux dire Madame. Eh ! Pardi oui, droit sur ses jambes, dans le jardin, où il se promène. **** *creator_marivaux *book_marivaux_provinciale *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_provinciale *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MADAMELEPINE *date_1750 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamelepine Ah ! Vraiment, il est bien temps de venir : je n'ai plus le loisir de vous entretenir ; il y a une heure que je vous attends, et que vous devriez être ici. Madame La Thibaudière est presque habillée : elle ou Lisette peut descendre dans cette salle-ci, et il faut être plus exact. Une femme de province, qui n'est ici que depuis huit jours ; qui est venue occuper un très grand appartement, précisément dans l'hôtel où je suis logée ; avec qui j'ai lié connaissance le surlendemain de son arrivée ; qui est veuve depuis un an ; qui a presque toujours demeuré à la campagne, qui jamais n'a vu Paris, ni quitté la province ; qui, depuis six mois, a hérité d'un oncle qui la laisse prodigieusement riche ; et qui, le jour même où je la connus, reçut un remboursement de plus de cent mille livres, qu'elle a encore. Elle-même. Vous comprenez à présent pourquoi j'affectai tant de vous connaître et de vous saluer ; pourquoi je vous glissai à l'oreille de la lorgner beaucoup, et de vous trouver le même jour au Luxembourg, où je serais avec elle, et d'y continuer vos lorgneries. Que La Ramée entrât dans la salle où nous dînions, Madame La Thibaudière et moi ; qu'elle le reconnût pour l'avoir vu la veille avec vous, et qu'elle se doutât que vous ne vouliez venir me parler que pour tâcher de la voir encore, comme en effet elle s'en est doutée. Je vous le disais bien ; c'est elle-même ! Et je ne vous ai pas dit la moitié de ce qu'il faut que vous sachiez. Mais heureusement je pense qu'elle va sortir pour quelque achat qu'elle doit faire ce matin. Contentez-vous à présent de la saluer en homme qui ne vient voir que moi. Je n'en doute pas, moi qui la connais. Oui, mais elle va revenir, et je ne veux pas qu'elle vous retrouve. Laissez-moi seulement La Ramée, que je vais instruire de ce qu'il est bon que vous sachiez. Il ira vous rejoindre, et vous reviendrez ensemble. Chevalier, un mot. Souvenez-vous de nos conventions après le succès de cette aventure-ci, au moins. Oui, il a raison. Allons, La Ramée, on récompensera bien tes services, je te le promets. Déserter ! Garde-t-en bien, La Ramée ! Tu seras content du Chevalier et de moi ; je te le garantis : ton payement sera le premier levé. Dis-moi : cette lettre qu'il m'a laissée, est-elle dans le goût que j'ai demandé ? Et voilà précisément comme il nous le faut avec notre provinciale, préparée comme elle l'est ! C'est cette impertinence-là qui en fera le mérite auprès d'elle. Oh ! Rien n'y manque. Oh ! C'est un de nos galants du bel air, et des plus répandus que j'aie jamais connu chez tout ce qu'il y a de plus distingué. Mon enfant, dans une qualité assez équivoque, et j'allais te le dire. Je ne suis ni son égale, ni son inférieure. Elle a voulu que je demeurasse avec elle : elle me loge, me nourrit, m'a déjà fait quelques petits présents, que j'ai d'abord refusés par décence, et que j'ai acceptés par amitié. Voici mon histoire : je suis une jeune dame veuve, qui était à son aise, mais qui a de la peine à présent à soutenir noblesse, à cause de la perte d'un grand procès, qui me force à vivre retirée. Avant mon mariage, j'ai passé quelques années avec des duchesses et même des princesses, dont j'avais l'honneur d'être la compagne gagée et qui me menaient partout, ce qui m'a acquis une expérience consommée sur les usages du beau monde, en vertu de laquelle je gouverne notre provinciale. Mais comme, d'un autre côté, la fortune lui donne de grands avantages sur une dame ruinée, j'ai la modestie de négliger les cérémonies avec la Marquise de la Thibaudière, de lui céder les honneurs du pas, et de laisser, entre elle et moi, une petite distance qui me gagne sa vanité, et qui ne me coûte que des égards et quelques flatteries, de façon que je suis tour à tour, et sa complaisante, et son oracle. Votre Marquise, au reste, n'a encore reçu de visite que d'un de ses parents, homme de province assez âgé, et qui, pour terminer une grande affaire qu'elle a ici, vient la marier avec un homme de considération, qu'il doit lui amener incessamment, et qui la fixerait à Paris. Entends-tu ? Cela serait trop difficile, et puis j'irais directement contre mes préceptes : je lui ai déjà dit que, pour le bon air, il était indécent d'aimer son mari, et qu'il ne fallait garder l'amour que pour la galanterie, et non pas pour le mariage : ainsi il n'y a pas moyen. Adieu, va-t'en, tout est dit. Tu peux t'en fier à moi ; pars. St, st, La Ramée ! Je rêve que nous aurions besoin d'une femme qui, sur le pied d'amante de ton maître, et d'amante jalouse, se douterait de son intrigue avec la Marquise, et viendrait hardiment ici, ou pour l'y chercher, ou pour examiner sa rivale, et lui dirait en même temps de la suivre chez un notaire, afin d'y achever le paiement d'un régiment qu'il achèterait. Oui, que je lui donne, et qu'on supposera. Tantôt, quand le Chevalier sera revenu. Adieu donc. Non. Parle. Qu'est-ce que c'est qu'une pour toi ? Est-ce que tu écris aussi à la Marquise ? Par la même commodité !... Monsieur de la Ramée, vous me manquez de respect. Mais à quoi vous conduira cet amour-là ? Soit ; je glisserai à tout hasard quelques mots en votre faveur. À l'égard de votre papier, faites-lui votre commission vous-même, puisque la voilà qui vient ; et puis, partez pour rejoindre votre maître. Oui, c'est Monsieur de la Ramée qui m'apporte un billet que Monsieur le Chevalier avait oublié de me donner. Ha, ha, ha, courage !... Monsieur de la Ramée est un illustre au moins, un garçon très couru. Je pense comme toi, La Ramée. Madame La Thibaudière m'a dit qu'elle avait une terre qui portait ce titre, et elle l'a pris elle-même, ce qui est assez d'usage. Je les gâte, Monsieur ? Je les gâte ?... Vous ne mesurez pas vos discours ; et ces termes-là ne conviennent pas à une femme comme moi. Il n'y a rien de si commun. Ha ! Que ce gentilhomme est grossier, Marquise ! Que Monsieur votre cousin est campagnard ! Savez-vous bien, au reste, que vous venez de m'étonner, Marquise ? Oui, m'étonner ! Je vous admire ! Vous avez eu tout à l'heure des façons de parler aussi distinguées, d'un aussi bon ton, des tours d'une finesse et d'une ironie d'un aussi bon goût qu'il y en ait à la cour. Vous excellerez, Marquise, vous excellerez. Pas mal, Cathos, pas mal. Vous me charmez ! Il faut que je vous embrasse, Marquise, je n'y saurais tenir ; voilà un dégoût qui part du sentiment le plus exquis, et que vous avez sans le secours de personne, ce qui est particulier... Oui, vous avez raison : Cathos ne vaut rien, il rappelle son ménage de province. Fort bien. Au moment où nous parlons, vous faites peut-être plus de bruit que vous ne pensez. Je sais un cavalier des plus aimables, qui vous donne actuellement la préférence sur nombre de femmes, qui en sont bien piquées. Voyez-vous cette lettre-là qu'on est venu tantôt à genoux me prier de vous rendre ? Celle-ci est du Chevalier, qui, sans contredit, est l'homme de France le plus à la mode. Ne pas le recevoir ? Je serais curieuse de savoir sur quoi vous fondez cette opinion-là. La plaisante superstition ! Quel rapport y a-t-il d'une demi-feuille de papier à de la vertu ? Renvoyez un billet vous seriez perdue ; il n'y aurait plus de réputation à espérer pour vous. À Paris, manquez-vous de moeurs ? On en rit, et on vous le pardonne. Manquez-vous d'usage ? Vous n'en revenez point, vous êtes noyée. Allons, Marquise, femme de qualité, ouvrez le billet, et lisez ferme. Non : pourvu que vous répondiez aussi hardiment, tout ira bien. Quoi ? Je vous ai cru étonnée, j'ai craint une rechute. Une suffira. Garde-la ; je te la lirai. Eh bien, Marquise, êtes-vous contente du style du Chevalier ? Je le crois. Le Chevalier, qui sait son monde, vous traite en femme instruite. Êtes-vous comme moi, Marquise ? Je n'ai fait que vous voir, et je me meurs ; je ne saurais plus vivre ; dites, ma reine, en quel état êtes-vous ? À peu près de même, n'est-ce pas ? Je m'en doute bien ; mon coeur ne serait pas parti si vite, si le vôtre avait dû vous rester. C'est ici une affaire de sympathie ; notre étoile était de nous aimer : hâtons-nous de la remplir ; j'ai besoin de vous voir ; vous m'attendez sans doute. À quelle heure viendrai-je ? Le tendre et respectueux Chevalier de la Trigaudière. C'est assez d'une pareille lettre, pour illustrer toute la vie d'une femme. Et qui ne met rien sur le compte de son mérite ! Remarquez la modestie... Point de sot respect. Gardez-vous en bien ! Qu'on le voie si on veut ; la discrétion là-dessus serait d'une platitude ignoble. Eh bien, qu'importe ? Avez-vous envie de l'aimer, d'être amoureuse de votre mari ? Prenez-y garde. Il n'est pas même question d'aimer avec le Chevalier, il ne faut en avoir que l'air ; on ne nous demande que cela. Est-ce que les femmes du monde ont besoin d'un amour réel, en fait de galanterie ? Non, Marquise ; quand il y en a, on le prend ; quand il n'y en a point, on en contrefait, et quelquefois il en vient. On s'étourdit de sentiments imaginaires. Je crois vous l'avoir déjà dit. Tout ceci n'est fait que pour votre réputation. Attendez... Ce garçon-ci fait une faute dont il est important de le corriger. Mon enfant, quand vous parlez à votre maîtresse, ce n'est pas à vous à l'appeler Marquise tout court ; c'est un manque de respect. Dites-lui Madame, entendez-vous ? C'est-à-dire que c'est sous ce nom-là que vous devez la servir, et que les étrangers doivent la demander. Sans difficulté, comment donc ! La suivante de Madame ! Ôtez-lui aussi le nom de Colin, qui sonne mal, et qui est campagnard. Tant pis ! La réception lui aura paru étrange. Je voulais vous le conseiller. Tranquillisez-vous ; un moment de conversation raccommodera tout. À l'égard du billet, vous y répondrez. Je le certifierai. Oui-da ! Il reviendra. Aussi bien ai-je encore quelques préparations essentielles à vous donner. Eh bien, congédiez votre soupirant après les premiers compliments. Non, Chevalier, Madame n'a point tort. C'est que Madame la Marquise a toujours été en affaire, et n'a pas eu le temps d'écrire. Et le témoignage du Chevalier sera sans appel. Un moment... L'affaire de votre régiment est-elle terminée, Monsieur le Chevalier ? Ha, ha, ha !... Encore un boudeur. Hélas ! Mon enfant, je souhaite que non. Va, va, elle sait ce que tu vaux. Volontiers, Lisette. Vantez-vous-en, mignonne : le minois que vous portez est le plus subtil filou que je connaisse ; il lui a suffi de jouer un instant de la prunelle, pour escamoter mon coeur. C'est bien son intention. Mais continuons. Il lui a suffi de jouer un instant de la prunelle pour escamoter mon coeur. Ce sont vingt nymphes, de compte fait, qui en mourront de douleur ; qu'elles s'accommodent ! Mais, à propos de coeur, si vous avez perdu le vôtre, n'en soyez point en peine ; c'est moi qui l'ai trouvé, m'amie Cathos. Je vous l'ai soufflé pendant que vous rafliez le mien. Ainsi il faudra que nous nous ajustions là-dessus. Comment ? Cela ne vaudrait rien, Lisette. Mais voilà la Marquise. Attends ; je te dirai comment tu t'en tireras. Avez-vous écrit, Marquise ? Folle, très folle, Marquise ; de l'étourdi, il n'y a pas à opter. C'est une preuve d'usage et d'expérience. Et dont le coeur n'est pas assez déniaisé. La réflexion est bonne. Le tendre a quelque chose d'écolier, à moins qu'il ne soit emporté. L'emportement le corrige. Voyons. Admirablement ! Eh oui, il ne s'agit que d'être sur la liste des jolies femmes qui ont occupé le Chevalier. Il n'y a rien de si brillant, en fait de réputation, que d'avoir été sur son compte. Oh ! vous jouez de bonheur. Lui, se taire ? Oh ! soyez en repos là-dessus ; tout le monde saura qu'il vous aime, et, qui plus est, que vous l'aimez. Si vous y serez ! Oui, certes ; vous préserve le ciel de n'y être pas ! Eh ! s'il n'était pas indiscret, je ne vous l'aurais pas donné. C'est son heureuse indiscrétion qui vous fera connaître, qui vous mettra en spectacle. Votre célébrité dépend de là. Vous n'y êtes plus ? Eh mais ! Ce qui caractérise une femme à la mode, et du bel air, c'est de soutenir audacieusement le bruit qui se répand d'elle ; c'est de le répandre elle-même. On sait bien qu'une provinciale ou qu'une petite bourgeoise ne s'en accommoderait pas ; et vous n'avez qu'à voir si vous voulez qu'on dise que vous fuyez le Chevalier ; qu'une intrigue vous fait peur ; que vous vous en faites un monstre. Vous n'avez qu'à voir. Il n'est pas capable d'y manquer ; c'est la règle. En deux mots, voici un modèle que vous suivrez. Supposez que je suis le Chevalier. J'arrive ; je vous salue ; je m'arrête. Mais, Marquise, je n'y comprends rien ! Vous êtes encore plus belle que vous ne l'étiez il y a une heure ; un coeur ne sait que devenir avec vous, vous ne le ménagez pas, vous l'excédez ; il en faudrait une douzaine pour y suffire. Répondez. À merveille ! Je reprends... Moi ! Vous aimer, Marquise, vous n'y songez pas. Qu'est-ce que c'est qu'aimer ? Est-ce qu'on vous aime ? Ah ! Que cela serait mince... Eh non, ma reine, on vous idolâtre. Doucement, vous n'y êtes plus. Il ne faut pas retirer la main. Ce n'est qu'une main après tout. Avec une politesse aisée, tranquille et riante, qui ravalera ses charmes, qui marquera le peu de souci que vous en avez, et la supériorité des vôtres. Comme un démon ! Jalouse avec éclat ; jusqu'à faire des scènes. Oh ! Cet orgueil alors va comme il peut chez les femmes, il ne raisonne point. Jalouse avec fracas, vous dis-je : point de mollesse là-dessus. Rien en pareil cas ne fait aller une réputation si vite... C'est là le fin de votre état. Il y a une chose que j'omettais, et qui vous mettrait tout d'un coup au pair de tout ce qu'il y a de plus distingué en fait de femmes à la mode, et qui est même nécessaire, qui met le sceau à la bonne renommée... Ne plaignez-vous pas l'argent ? Vous ne le dépenserez pas : on vous le rendra presque de la main à la main. Je sais qu'il manque encore une somme au Chevalier pour achever de payer un régiment dont il est en marché. La circonstance est heureuse pour rendre votre nom fameux. Prêtez-lui la somme qu'il lui faut, pourvu qu'il y consente ; car il faudra l'y forcer. D'ailleurs ces sorte d'emprunts sont sacrés. Eh ! Bien, prenez que je n'ai rien dit. C'est une voie que je vous ouvrais pour abréger. Le Chevalier ne sera pas en peine ; et il y a vingt femmes qui ne manqueront pas ce coup-là. N'en parlons plus, vous dis-je. Puisque la grande distinction ne vous tente pas, il n'y a qu'à aller plus terre à terre. Non pas, s'il vos plaît, Lisette ; on a mieux que cela. Le notaire, ici, c'est l'honneur : et le billet, c'est la parole du débiteur. Voilà ce qu'on appelle des sûretés. Il n'y a rien de si fort. Petite ou grande, n'importe, dès que c'est l'honneur qui engage ; et puis, ce n'est point précisément par besoin qu'un cavalier emprunte en pareil cas ; c'est par galanterie ; pour faire briller une femme ; c'est un service qu'il lui rend. Mais laissons ce que cela répand d'éclat ; contentons-nous d'une célébrité médiocre : vous serez au second rang parmi les subalternes. Comme vous voudrez, Marquise ; j'ai fait l'acquit de ma conscience. Il ne tient qu'à toi de t'y placer parmi celles de ton état. C'est la même chose, proportion gardée. Adieu. Je suis d'avis d'aller lui aider à faire sa lettre. Dis à La Ramée que tu écris si mal, qu'il n'aurait pu lire ton écriture. Sans doute ! Oui, suivant tes moyens. Il n'y a nulle différence, sinon qu'il te sera permis d'être jalouse jusqu'à décoiffer tes rivales. Et que tu observeras de tutoyer La Ramée, comme il te tutoiera lui-même ; c'est l'usage. Adieu, le voilà qui vient, je te laisse. Lisez, lisez, Monsieur le méfiant... Vous y verrez vos questions résolues. Il y a apparence qu'il ne se plaindra pas, car il rit. **** *creator_marivaux *book_marivaux_provinciale *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_provinciale *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LECHEVALIER *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lechevalier C'est la faute de ce coquin-là, qui m'a éveillé trop tard. Ne vous fâchez pas. De quoi s'agit-il ? Mettez-moi au fait en deux mots : qu'est-ce que c'est d'abord que Madame La Thibaudière ? Qu'elle a encore ? Et c'est cette femme-là, sans doute, avec qui je vous rencontrai avant-hier à midi dans la boutique de ce marchand, où j'étais moi-même avec ces deux dames ? Oui, je commence à être au fait. Vous me dîtes aussi d'envoyer La Ramée le lendemain à votre hôtel, à l'heure de votre dîner, sous prétexte de savoir à quelle heure je pourrais vous voir aujourd'hui. Quelle était votre idée, Madame Lépine ? Ne vous inquiétez point. Déranger, Madame ? Quant à moi, je ne sache rien qui m'arrange tant que le plaisir de vous voir. Oh ! Oui, Madame Lépine : à vue de pays, nous viendrons à bout de cette femme-là. Elle a des façons qui nous le promettent, et je prévois que nous la subjuguerons, en la flattant d'avoir de bons airs. Elle me paraît faite pour la lettre que je lui ai écrite, en supposant que je ne la visse pas chez vous, et qu'elle ne refusera pas de prendre de votre main. Soit. Je vais donc t'attendre chez moi. Pouvez-vous vous méfier de moi ? Que me veux-tu ? Qu'appelles-tu un règlement ? Tu nous parles comme à des fripons. Assurément. Il y aura cinquante pistoles pour toi ; adieu. Enfin ! Vous voici donc, Marquise ? Mon amour a bien de la peine à percer jusqu'à vos charmes : il y a longtemps qu'il attend à votre porte. Eh ! Depuis quand l'Amour est-il si mal venu chez sa mère ? Cathos et La Ramée se font, du geste et des yeux, beaucoup d'amitié. Ne me disputez pas l'entrée de votre coeur, et je pardonne à ceux qui m'ont disputé l'entrée de votre chambre. À propos de coeur, Marquise, j'ai à vous quereller... Je suis mécontent. Oui, je gronde. Madame Lépine a sans doute eu la bonté de vous remettre certain billet pressant ; et cependant vous êtes en arrière ; il ne m'est pas venu de revanche. D'où vient cela, je vous prie ? C'est la Marquise de France la plus aimable et la plus dégagée que j'attaque ce matin, et qui laisse passer deux mortelles heures, sans donner signe de vie. Deux heures, vous dis-je ! l'amour sait compter. Qu'est-ce que c'est donc que cette paresse dans les devoirs les plus indispensables de galanterie ? Serait-ce que vous me tenez rigueur ? Et qu'une femme de qualité recule ? Il n'est pas croyable que mon billet ait été pour vous un sujet de scandale ; votre sagesse sait vivre apparemment, et n'est ni bourgeoise ni farouche. Pardon, Marquise ! Pardon à mon tour : votre conduite est d'une aisance incontestable ; on ne saurait moins disputer le terrain que vous ne le faites, ni se présenter de meilleure grâce à une affaire de coeur ; et je vais, en réparation de mes soupçons, annoncer à la ville et aux faubourgs que vous êtes la beauté de l'Europe la plus accessible et la plus légère de scrupules et de modestie populaire. On en fait quelque cas dans le monde. Adieu, reine ; je m'éloigne pour un quart d'heure ; je reviendrai prendre votre billet moi-même ; et je m'attends à n'y pas trouver plus de réserve que dans vos façons. Ne m'oubliez pas, ma chère Madame Lépine, et servez-moi auprès de la Marquise, car mon coeur est pressé... Jusqu'au revoir, notre chère amie. Il ne me faut plus que dix mille écus ; et je vais voir si mon notaire me les a trouvés. Oui. Sais-tu si nos affaires sont avancées ? Tout de bon ? Oui : on est allé avertir la Marquise, avec qui je n'aurai pas une longue conversation ; car, à te dire vrai, cette folle-là m'ennuie ; et j'arrive avec la personne que tu sais, que j'ai laissée dans un fiacre là-bas, et qui doit entrer quelques instants après moi. Eh mais ! Que sait-on ? Cela dépend des termes du billet. Y verrai-je que vous m'aimez ? Que vous n'aimez que moi ? Vous me transportez, Marquise ! Vous me pénétrez ! Quel feu d'expressions ! Je veux les apprendre à tout l'univers, afin que tout l'univers me porte envie. C'est l'Amour même qui vous les a dictées ; c'est lui qui vous a tenu la main. Que cette main m'est chère ! Me sera-t-il permis ?... Donnez ! Que mille baisers lui marquent mes transports. Eh, Mesdames ! Vous me mortifiez. Gardez votre argent, je vous conjure. Je n'en veux point ; ma somme est trouvée. Quand je dis trouvée, du moins m'a-t-on comme assuré qu'on me la donnerait peut-être ce soir. D'accord. Eh ! Laissez donc, Marquise ! Et vous, n'insistez point, Comtesse. Oh ! Votre emportement décide : vous insultez Madame ; et pour la venger, j'avouerai que je l'aime, et c'est son argent que j'accepte. Donnez, Marquise, donnez tout à l'heure, afin que la préférence soit éclatante. Sont-ce des billets que vous avez dans le portefeuille ? Le prend-on sur ce ton-là ?... Je ne m'en soucie guère. **** *creator_marivaux *book_marivaux_provinciale *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_provinciale *dist2_marivaux_prose_comedy *id_LARAMEE *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_laramee Ma foi, c'est que je ne me suis pas éveillé plus tôt. Quand on dort, on ne se ressouvient pas de se lever. Qu'elle a encore !... Cela est beau ! Parbleu, cela n'est pas difficile ! Le remboursement rend cela plus clair que le jour. J'entends quelqu'un. Oui, Monsieur. Monsieur, Monsieur, un autre petit mot, s'il vous plaît. Vous oubliez un règlement pour moi. Non pas, mais comme à des espiègles dont j'ai l'honneur d'être associé. Vous allez attaquer un coeur novice dont vous aurez le pillage ; vous serez les chefs de l'action : regardez-moi comme un soldat qui demande sa paye. Grand merci, mon capitaine. Et votre lieutenant, quelle est sa pensée un peu au net ? Madame Lépine, il s'agit ici d'une espèce de parti bleu honnête contre une cassette ; et par ma foi, cinquante pistoles, ce n'est pas assez. Si je désertais chez l'ennemi, ma désertion me vaudrait davantage. Oh ! Ne craignez rien : ce n'est qu'une petite réflexion dont je vous avise. Tant mieux ! Comptez sur le billet doux le plus cavalier, le plus leste, le plus dégagé... Vous verrez ! Vous verrez ! Ce n'est pas pour me vanter, mais j'y ai quelque part. Il n'a pas plus de sept ou huit lignes ; et en honneur, c'est un chef-d'oeuvre d'impertinence. Soyez sûre qu'une femme sensée, en pareil cas, en ferait jeter l'auteur par les fenêtres. Il est parfait, vous dis-je ; il est écrit sous ma dictée ; bien entendu que ladite Marquise soit assez folle pour le soutenir. Le succès dépend de l'état où vous avez mis sa tête. Et puis, c'est une tête de femme, ce qui prête beaucoup. Et le Chevalier, à propos, l'avez-vous fait de grande maison, tout fils de bourgeois qu'il est ? Et en quelle qualité êtes-vous avec elle ? Ne serait-il pas nécessaire de le savoir ? On peut vous appeler un ambigu. Le joli roman ! Quel génie supérieur ! Ah ! Madame Lépine, avec un pareil don du ciel, le patrimoine du prochain sera toujours le vôtre ! Malepeste ! Voilà un mariage qu'il faut gagner de vitesse, de peur que le remboursement ne change de place, et ne soit stipulé dans le contrat. Mais, Madame Lépine, au lieu de nous en tenir à ces petits bénéfices de passage, si nous épousions la future ; si nous tâchions de saisir le gros de l'arbre, au lieu des branches ? Je sors donc, songez à mes intérêts. D'un régiment fabuleux, de votre invention ? Je ferai votre affaire. Il s'agit d'une virtuose, et nous en connaissons tant... Je vous en fournirai une, moi... Elle ne sera pas de votre force, Madame Lépine ; mais elle ne sera pas mal. Sont-ce là tous les outils qu'il vous faut ?... Quand voulez-vous celui-là ? Vous serez servie. Adieu. N'avez-vous plus rien à me dire ? Je ne suis pas de même... Je rêve aussi, moi. Vous avez une lettre du Chevalier à rendre à la Marquise... Oserais-je en toute humilité vous en confier une pour mon petit compte ? Non, c'est une porte plus bas ; c'est à Cathos dont je ne sais le nom que de tout à l'heure, à ce petit minois de femme de chambre, qui était avec vous chez ce marchand, qui me parut niaise, mais jolie, et avec qui, par inspiration, j'ébauchai une petite conversation de regards, où elle joua assez bien sa partie ; et hier, quand le Chevalier m'envoya chez vous, en redescendant, je la trouvai sur la porte d'un entre-sol, où je repris le fil du discours par un : Votre valet très humble, Mademoiselle, et par une ou deux révérences, aussi bien troussées, soutenues d'un déhanchement aussi parfait !... Je sentis, en vérité, que cela lui allait au coeur. Nous venons encore de nous entre-saluer ici ; et à l'exemple de mon maître, dont vous rendrez le billet, voici un petit bout de papier que j'ai écrit, et que je vous supplierai de lui remettre par la même commodité. Oh ! Vous êtes si fort au-dessus de cette puérile délicatesse-là ; vous êtes si serviable !... Hélas ! À ce qu'il pourra. Je ne m'attends pas qu'on ait rien remboursé à Cathos ; mais si vous vouliez, chemin faisant, la mettre un peu en goût d'être du bel air avec moi, je n'aurai point de régiment à acheter, mais j'aurai quelque payement à faire, et tout m'est bon : je glanerai ; ce qui viendra, je le prendrai. Vous allez voir mon aisance. Et il m'en reste encore un dont l'objet de mes soupirs aura, s'il vous plaît, la bonté de me défaire. Et qui donc, divine brunette ? Vous n'ignorez pas l'objet que j'aime ! Et ce garçon si couru, c'est vous qui l'avez attrapé. Oh ! Palsambleu, beauté sans pair, vous avez lu dans mes yeux que je vous adore, et je requiers de pouvoir en lire autant dans les vôtres. Vous m'avez promis dans un regard ou deux que je n'attendrais pas, et je suis impatient. C'est ce que vous verrez dans cette petite épître qui vous entretiendra de moi jusqu'à mon retour, et que je n'ai pu qu'adresser à Mademoiselle, Mademoiselle en blanc, faute d'être instruit de votre nom. Comment vous appelle-t-on, mes amours, afin que je l'écrive ? Très capable ! Extrêmement capable ! Madame Lépine, je vous demande pardon de la liberté que je prends devant vous, mais ce petit minois m'étourdit ; il est céleste, il m'égare ; il s'agit d'amour, et cela passe partout... N'est-ce pas Cathos que vous dites, charme de ma vie ? Ce nom-là m'est familier ; je connais une des plus belles pies du monde qui s'appelle de même. La pie n'a pas cet honneur-là, et tous vos noms sont des enchantements. Prenez, Charlotte, prenez cette lettre, et souvenez-vous que c'est Charlot de la Ramée qui vous la présente, et qui brûle d'en avoir réponse. Adieu, bel oeil ; adieu, figure triomphante, et adieu, bijou tout neuf ! Madame, votre approbation met le comble à son éloge. À propos ! J'oubliais votre main... Donnez-moi, que je la baise. Hé bien, je vous fais crédit jusqu'à tantôt. À la merveilleuse Cathos, suivante de Madame la Marquise, Monsieur. C'est une bagatelle, et nous les aurons tantôt. Je laisse partir Monsieur le Chevalier, pour avoir une petite explication avec mes amours. Soubrette de mon âme ! Je boude aussi, moi. Ne suis-je pas en avance avec vous d'un certain poulet ? J'entends certain billet. Griffonnez, brunette ; je vous donne vingt minutes pour m'exprimer vos transports. Je vais, en attendant, haranguer certain cabaretier, à qui je dois vingt écus, et qui a comme envie de manquer de patience avec moi. S'il m'honorait d'une assignation, il faudrait encore la payer ; j'aime mieux la boire. Mais il n'y a que vingt écus. Est-ce trop, Madame Lépine ? Ce n'est tant que dix mille. Et mon ange, qu'en pense-t-il ? Chacun a son régiment : voilà le mien. Eh oui, c'est de la mitraille ! J'aime à vous voir mépriser cette somme-là : cela sent la soubrette de cour, qui ne s'effraye de rien. La belle âme que Cathos ! Je suis si content de votre façon de penser, que je me repens de n'avoir pas bu davantage. Adieu, mes yeux noirs ! Je vous rejoins incessamment. Madame Lépine, protégez-moi toujours auprès de ce grand coeur, qui regarde vingt écus comme de la monnaie. Mon épître et point de quartier. Comblé, m'amie ! Je vois bien que tu m'aimes, ma petite merveille. Je me reconnais au désordre de ta tête : il est digne de mon mérite, et tu me ravis... Tu vaux ton pesant d'or. Tu me les donnes à si bon marché que je les prendrai toutes deux. Oh ! Il y paraît, malepeste ! Il est rare de trouver une honnête fille qui pousse la civilité aussi loin que toi. Tu es une originale, ma Cathos. C'est bien fait : tu es taillée pour la dignité de ce nom-là. Mais j'en reviens à ton coeur... Conte-moi un peu ce qui s'y passe. Délicieux. Tu me remues, tu m'attendris. Quel dommage d'être un fourbe avec elle ! Non, ma brebis, je te ferai afficher. On ne saurait les compter ; Paris en fourmille. Va, ma petite cervelle, tu en verras tant que tu voudras. Hélas ! Il ne tient qu'à moi de les ruiner toutes. Ma poule, je t'accorde la préférence. Quant à la restitution, je te la garantis sur mon honneur. Pas encore, parce qu'il y a une certaine Marton plus opiniâtre qu'un démon, qui veut à toute force que j'accepte sa monnaie pour payer le vin que j'ai bu. Ta bague à mon cabaretier ? Le coquin n'a pas, à ses deux pattes, un seul doigt qui ne soit plus gros que ta main. Oh oui ! Il est homme à s'en accommoder. Vous voilà déjà, Monsieur ? Ma foi, je crois que nous sommes au jour de l'échéance. La soubrette vient d'entrer en payement avec moi, et j'attends un peu d'or qu'elle va m'apporter encore. Oh ! La débâcle arrive, Monsieur. Vous êtes-vous fait annoncer ? Doucement ! Je vois la Marquise. Allons, Cathos, amène... Je te venge aussi, moi. Et toi, Marton, va te cacher. Tiens, reprends ta bague : je n'ai pas reçu d'autre acompte. Non, Monsieur, nous ne sommes que des fourbes ; je vous le jure ! Pour la mettre en vogue ; pour lui donner de belles manières. Oh ! Tout à fait jolie. C'est dommage qu'elle ait manqué. La réputation de Madame y perd. **** *creator_marivaux *book_marivaux_provinciale *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_provinciale *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MONSIEURLORMEAU *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurlormeau Qu'est-ce que c'est que cet homme-là, Cathos ? À qui donc parlez-vous de faire crédit ici ? Ce drôle-là a l'air d'un fripon ; Madame Lépine, que signifie ce crédit et cette Marquise ? Qu'il ne baisera que tantôt, qu'est-ce que cela signifie ? Quelle Madame ? Ma parente ? Eh ! Depuis quand est-elle marquise ? de quelle promotion l'est-elle ? Madame, ne m'apprendrez-vous pas ce que c'est que ce marquisat ? Elle n'y songe pas. Est-elle folle ? Je ne l'appellerai jamais que Madame Riquet ; c'est son nom, et non pas La Thibaudière. Fort bien ! En voilà une à qui la tête a tourné aussi. Madame Lépine, voulez-vous que je vous dise ? Je crois que vous me gâtez la maîtresse et la servante. Vous êtes en de bonnes mains à ce qui me semble, et vous me paraissez déjà fort avancée. Au surplus, Madame Riquet est sa maîtresse. Où est-elle ? Peut-on la voir ? N'y aura-t-il point quelque coutume galante qui m'en empêche ? Bonjour, ma cousine. Autre pratique galante !... D'où vient donc ? Est-il vrai que vous avez changé de nom ? De Cathos, qui m'a voulu faire accroire que vous avez pris le nom de Marquise de la Thibaudière. Vous voyez, assez bien, Dieu merci... Mais, ma cousine, encore un petit mot. Feu Monsieur Riquet... Madame, ou Marquise... Lequel aimez-vous le mieux ? Feu votre mari s'appelait Monsieur Riquet, n'est-il pas vrai ? Il s'ensuit donc que vous êtes la veuve Riquet. Oui, Marquise ; et je venais vous dire que je vous amènerai tantôt la personne avec qui je travaille à vous marier, pour vous éviter le procès que vous auriez ensemble touchant votre succession ; c'est un homme de distinction qui vous donnera un assez beau rang. Mais, de grâce, ne changez rien aux manières que vous aviez il n'y a pas plus de huit jours ; et laissez là les pratiques galantes, et la coutume des comtesses, marquises et duchesses... Adieu, cousine. Madame, voici Monsieur Derval que je vous présente. On ne peut rien ajouter à l'empressement qu'il avait de vous voir. S'il s'agit de répondre à des nouvelles de province, le courrier ne part que demain. Un billet doux, Madame ! Vous plaisantez ; vous ne vous en vanteriez pas. Dès qu'il ne s'agit que d'en badiner, à la bonne heure ! Mais je craignais que ce fût quelque jeune étourdi qui eût eu l'impertinence de vous écrire. Vous ne songez pas, Madame, que ce billet doux peut inquiéter Monsieur Derval. Que veut-elle dire avec son hors-d'oeuvre ? Ce ne serait pas trop là mon sentiment, mais nous retenons Madame qui veut écrire, Monsieur ; et nous aurons l'honneur de la revoir. On vous a renversé l'esprit, cousine. Ma cousine, voici les soeurs de Monsieur Derval, qu'il vous amène, et qui ont voulu vous prévenir... Mais à qui en a cette dame-là qui paraît si emportée ? Et que faites-vous de ce portefeuille ? Fripons que vous êtes ! Renvoyons ce maraud-là, et qu'il ne soit plus parlé de cette malheureuse affaire. **** *creator_marivaux *book_marivaux_provinciale *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_provinciale *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MONSIEURDERVAL *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurderval Je sens bien que j'en aurai encore davantage. Mais, Madame, ne prenons-nous pas mal notre temps ? Je vois que vous tenez une lettre, qui demande peut-être une réponse prompte. Nous ne voulons point vous gêner, Madame. Sortons, Monsieur ; nous reviendrons. Madame est la maîtresse de ses actions. Je me trouverais cependant fort à plaindre, si le coeur ne suivait pas la main. Quelqu'un abuse de la crédulité de votre parente. Qui ? Monsieur ? Lui, un régiment ? Lui, chevalier ? Si je le connais ? C'est le fils de mon procureur. Et pourquoi tirer dix mille écus de Madame ? **** *creator_marivaux *book_marivaux_provinciale *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_provinciale *dist2_marivaux_prose_comedy *id_MARTON *date_1750 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marton Un instant de patience, Madame ; que je parle à mon tour. Et vous, Mons de la Ramée, qui vous amusez ici à tourner la tête de ce petit oison de chambrière, qu'on détale, et qu'on marche devant moi tout à l'heure, pour aller payer ce marchand de vin avec l'argent que je porte et qu'un huissier vous demande !