**** *creator_marivaux *book_marivaux_triompheplutus *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_triompheplutus *dist2_marivaux_prose_comedy *id_APOLLON *date_1728 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_apollon Que vois-je ? Je crois que c'est Plutus déguisé en financier. Venez donc que je vous embrasse. Peut-on vous demander ce que vous venez faire ici ? C'est-à-dire, pour parler d'une façon plus convenable, que vous y avez une inclination. Apparemment que la petite contestation que nous avons eue l'autre jour vous a piqué ; vous n'en voulez pas avoir le démenti, c'est fort bien fait. Eh ! Dites-moi, votre maîtresse est-elle aimable ? Écoutez, Seigneur Plutus, si elle a l'esprit délicat, je ne vous conseille pas de vous servir avec elle d'expressions si massives : un morceau à croquer ; lui en dire deux mots ; ce style de douanier la rebuterait. Ah ! Je ne songeais pas à vos ducats ; ce sont effectivement de grands orateurs. Je connais pourtant des femmes qu'ils ne persuaderont pas, et je viens, comme vous, voir ici une jolie personne auprès de qui je soupçonne que je ne serais rien, si je n'avais que cette ressource ; votre maîtresse sera peut-être de même. C'est une fille. La mienne est sous la direction d'un oncle qui cherche à la marier ; elle est assez riche, et il lui veut un bon parti. C'est cela même. Nous aimons donc en même lieu, seigneur Plutus ? Ah ! Ah ! Ah ! Franchement, vous n'êtes pas fait pour me disputer un coeur. Nous verrons, nous verrons ; j'ai une petite chose à vous dire : c'est que votre belle, je la connais, je lui ai déjà parlé, et, sans vanité, elle est dans d'assez bonnes dispositions pour nous. Je ne vous crains point, mon cher rival ; mais vous savez que voici où loge la belle. J'en vois sortir sa femme de chambre, je vais l'aborder, je ne me suis déguisé que pour cela. Vous pouvez ici rester, si vous voulez, et lui parler à votre tour ; voyez bien que je suis de bonne composition, quand je ne vois point de danger. Bonjour, ma chère Spinette ; comment se porte ta maîtresse ? Je n'en serai point ingrat, et je t'en témoignerai ma reconnaissance. Tu ne perdras rien pour attendre, Spinette ; je suis né généreux. C'est un de mes amis qui m'a suivi, et dont je veux donner la connaissance à Armidas, l'oncle d'Aminte. Cela passe l'air. Mais je te quitte, Spinette ; mon impatience ne me permet pas de différer davantage d'entrer. Venez, Monsieur. Soit, vous êtes le maître. Là, là, là ! Je prélude, Madame, et voici des acteurs pour exécuter la pièce. Monsieur Armidas, vous serez bien aise d'entendre cela ; je le crois joli, pas tout à fait si amusant que la conversation de Monsieur Richard, mais n'importe. Il vous ennuyait, je gage, et je suis venu bien à propos. Allons, Messieurs, commencez. Il semble que cela n'ait point été de votre goût, Monsieur Armidas. Et vous, Madame, vous a-t-elle déplu ? Doucement ! il n'est pas besoin que vous payiez mes musiciens. Que veux-tu ? Y a-t-il quelque chose de nouveau ? Je voudrais bien savoir de quoi tu te mêles ; sont-ce là tes affaires ? Ces airs-là sont-ils aussi de votre goût, Mademoiselle ? Vous ne dites rien. Ah ! Je ne vois que trop ce que ce silence m'annonce. Qui vous aurait cru de ce caractère, ingrate que vous êtes ! Perfide, est-ce là les fruits de tant de soins ? Méritez-vous tant d'amour ? Arrêtez ! Êtes-vous de moitié dans l'affront que l'on me fait ? Approuvez-vous le procédé de Mademoiselle votre nièce ? Vous m'avez pourtant fait espérer... Qu'entends-je ? Est-ce là tout ce que vous avez à me dire ? Spinette, de grâce, un petit mot. Quoi ! Spinette, où en sommes-nous donc ? M'abandonnes-tu aussi ? Tu avais tant de bonté pour moi ! Oh parbleu, tu me diras la raison de tout ce que je vois. Que ta maîtresse me fuit, que tout le monde m'abandonne. Monsieur Richard est donc maître du champ de bataille ? Tu ne m'entends point ? Ignores-tu de quel oeil nous nous regardons, ta maîtresse et moi ? Ah ! Mon pauvre Arlequin, approche ; je suis au désespoir. Que dis-tu de ce qui se passe aujourd'hui à mon égard ? Veux-tu faire aussi l'imbécile avec moi ? Ton maître ? Eh ! Qui l'est donc, si ce n'est moi ? Comment, misérable ! Avec qui es-tu venu ici ? Quoi ! Il n'y a pas jusqu'à mon valet qui me méconnaisse ! Coquin ! L'insolent ! Ah ! Monsieur, je suis bien aise de vous trouver. Je vous avais ordonné une fête pour ce soir ; mais il ne s'agit plus de cela ; ainsi, je vous dégage. Il ne manquait plus que ce trait pour achever ma défaite ; et me voilà pleinement convaincu que l'or est l'unique divinité à qui les hommes sacrifient. Puisque les voilà tous qui se rendent ici, arrêtons un moment pour leur faire voir la honte de leur choix. Plutus, vous l'emportez sur Apollon ; mais je ne suis point jaloux de votre triomphe. Il n'est point honteux pour le dieu du mérite d'être au-dessous du dieu des vices dans le coeur des hommes. Dans ce séjour on met tout à l'enchère, Rien ne se fait sans l'appât du salaire. Valets, portiers, Clercs et greffiers Commis, fermiers, Sont sans quartier ; On a beau gémir et crier, Le temps n'y peut rien faire. Mais si l'on joint l'argent à la prière, Le plus rétif, Le plus tardif, Devient actif, Expéditif ; Tout est vif, exact, attentif, Un jour finit l'affaire. **** *creator_marivaux *book_marivaux_triompheplutus *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_triompheplutus *dist2_marivaux_prose_comedy *id_PLUTUS *date_1728 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_plutus J'aperçois Apollon ; il est descendu dans ces lieux pour y faire sa cour à sa nouvelle maîtresse. Je m'avisai l'autre jour de lui dire que je voulais en avoir une ; Monsieur le blondin me railla fort ; il me défia d'en être aimé, me traita comme un imbécile, et je viens ici exprès pour souffler la sienne. Il ne se doute de rien ; nous allons voir beau jeu. Cet aigrefin de dieu qui veut tenir contre Plutus ? Contre le dieu des trésors ! Chut !... Le voilà ! Ne faisons semblant de rien. Bonjour, bonjour, seigneur Apollon. J'y viens faire l'amour à une fille. Une fille ou une inclination, n'est-ce pas la même chose ? C'est un morceau à croquer ; je l'ai vue l'autre jour en traversant les airs, et je veux lui en dire deux mots. Bon ! Bon ! Vous voilà toujours avec votre esprit pindarisé ; je parle net et clair, et outre cela mes ducats ont un style qui vaut bien celui de l'Académie. Entendez-vous ? Et qui épargnent bien des fleurs de rhétorique. Qu'elle soit comme elle voudra, je ne m'embarrasse point ; avec de l'argent j'ai tout ce qu'il me faut ; mais qu'est-ce que votre maîtresse à vous ? Est-elle veuve, fille, et cætera ? La mienne aussi. Oh ! Oh ! C'est là l'histoire de ma petite brune ; elle est aussi chez un oncle qui s'appelle Armidas. Ma foi, j'en suis fâché pour vous. Vous riez, Monsieur le faiseur de madrigaux ! Déguisé en muguet, vous vous moquez de moi à cause de votre bel esprit et de vos cheveux blonds. Parce que je suis fait pour l'emporter d'emblée. Qu'est-ce que cela me fait à moi ? J'ai un écrin plein de bijoux qui se moque de toutes ces dispositions-là ; laissez-moi faire. Bon, je le veux bien, abordez, j'irai mon train, et vous le vôtre. Eh ! Donnez-lui quelque madrigal. Oui, on m'a dit que c'était un si honnête homme, et j'aime tous les honnêtes gens, moi. Allez toujours m'annoncer. Je serais bien aise de causer un moment avec ce joli enfant-ci ; vous viendrez me reprendre. Je ne te veux que du bien. Oh ! Ce n'est pas de même ; je ne m'appelle pas Ergaste, moi ; j'ai nom Richard, et je suis bien nommé ; en voici la preuve. Prends, prends ; si ce n'est pas assez d'une preuve, je ne suis pas en peine d'en donner deux, et même trois. Voilà pour le doute qui te prend. Tu n'as qu'à parler ; mais c'est à condition que tu seras de mes amies. Oh ! Garde ton honneur, ce n'est pas là ma fantaisie. C'est que j'aime ta maîtresse ; je suis riche, un richissime négociant, à qui l'or et l'argent ne coûtent rien, et je voudrais bien n'aimer pas tout seul. Mais cela n'empêche pas qu'on ne s'aime. Tant que tu voudras. Oui-da, je ferai tout ce qu'on voudra, moi. Et moi je suis riche ; cela vaut mieux que tout ce qu'il a ; car je t'avertis qu'il n'a pour tout vaillant que sa figure. Aime-t-elle la dépense, ta maîtresse ? Nous la tenons, Spinette ; ne t'embarrasse pas. Vante-moi seulement auprès d'elle, je lui donnerai tout ce qu'elle voudra ; elle n'aura qu'à souhaiter ; d'ailleurs je ne me trouve pas si mal fait, moi, on peut passer avec mon air ; et pour mon visage, il y en a de pires. J'ai l'humeur franche et sans façon. Dis-lui tout cela ; dis-lui encore que mon or et mon argent sont toujours beaux ; cela ne prend point de rides ; un louis d'or de quatre-vingts ans est tout aussi beau qu'un louis d'or d'un jour, et cela est considérable d'être toujours jeune du côté du coffre-fort. Oh ! J'aurai des charmes, je t'en assure ; je te ferai ta fortune, mais une fortune qui sera bien nourrie ; tu verras, tu verras. Quelqu'un vient à nous ; qui est-ce ? Bonjour, mon garçon. Eh bien ! Mon fils, tu sers donc Ergaste ? Est-ce que tu n'es pas grassement chez lui ? Et tes gages sont-ils bons ? As-tu besoin d'argent ? Tu me touches, tu as la physionomie d'un bon enfant. Tiens, voilà de quoi boire à ma santé. Je veux que tu sois de mes amis aussi. J'aime la maîtresse d'Ergaste. Oui ; Spinette m'a promis de me servir auprès d'elle, et je serai bien aise que tu en sois de moitié. Si Ergaste ne te paie pas tes gages, je te les paierai, moi. Tiens, je ne compte pas avec toi ; je te paie à mon taux. Monsieur, Spinette m'a dit que vous vous appelez Monsieur Armidas. C'est que si mon amitié pouvait vous accommoder, la vôtre me conviendrait on ne peut pas mieux. J'y vais rondement, comme vous voyez ; mais franchise vaut mieux que politesse, n'est-ce pas ? Et je m'amusais, en attendant, à demander de vos nouvelles à cet enfant. Ah ! Pour une affaire, voulez-vous bien me la dire ? C'est que j'ai des expédients pour les affaires, moi. Touchez là, Monsieur Armidas. Touchez là. La terre est à moi, et l'argent à vous. Je vais vous la payer. Point du tout, j'aime tous les pays, moi ; n'est-ce pas des arbres et des campagnes partout ? Je ne m'y connais pas ; il suffit, c'est une terre ; je ne l'ai point vue, mais je vous vois ; vous avez la physionomie d'un honnête homme, et votre terre vous ressemble. Tenez, connaissez-vous ce billet-là, et la signature ? Ah ! çà ! Si le marché ne vous plaît pas demain, je vous la revendrai, moi ; et je vous ferai crédit, afin que cela ne vous incommode point. Oh ! Que si, vous les reconnaîtriez, si vous vouliez. Votre nièce est bien jolie, Monsieur Armidas. Eh bien, troquons ; reprenez la terre gratis, et je prends la nièce sur le même pied. Oui, il y a quelques mois que, passant par ici, j'aperçus une moitié de visage qui me fit grand plaisir. Je m'en suis toujours ressouvenu. J'ai demandé qui c'était. On me dit que c'était Mademoiselle Aminte, nièce d'un homme de bien, nommé Monsieur Armidas. Parbleu ! Dis-je en moi-même, ce visage-là tout entier doit être bien aimable. Je fis dessein de l'avoir à moi. Ergaste, mon ami, me dit quelques jours après qu'il venait ici ; je l'ai suivi pour le supplanter ; car il aime aussi votre nièce, et je ne m'en soucie guère, si nous sommes d'accord. C'est mon ami, mais je n'y saurais que faire ; l'amour se moque de l'amitié, et moi aussi ; je suis trop franc pour être scrupuleux. Bon ! Bon ! La voilà bien lotie, la pauvre fille ! Homme de mérite, lui ! Il n'a pas le sol. Moi, j'ai des millions de père en fils ; voilà mon principal métier, et par amusement je fais un gros commerce, qui me rapporte des sommes considérables, et tout cela pour me divertir, comme je vous dis. Ce gain-là sera pour les menus plaisirs de ma femme. Au reste, je prouverai sur table, au moins. Voilà ce qu'on appelle avoir du mérite, de l'esprit et de la taille, qui ne me manquent pourtant pas, ni l'un ni l'autre. Est-ce que, si vous étiez fille à marier, ma figure romprait le marché ? On voit bien que je fais bonne chère ; mon embonpoint fait l'éloge de ma table. Vraiment, si j'épouse Mademoiselle Aminte, je prétends bien que dans six mois vous soyez plus en chair que vous n'êtes. Voilà un menton qui triplera, sur ma parole ; et puis du ventre !... Elle est aussi commode que ma fortune. Pardi ! Un homme comme moi, c'est un trésor. Oh ! Pour de la musique, Mademoiselle, il vous en apprendra tant, que vous pourrez la montrer vous-même. Oh ! Point du tout, je ne suis qu'un bon homme ; mais j'ai de bons yeux ; je me connais en beautés, et je déclare tout net que Mademoiselle en est une. Voilà mes galanteries, à moi ; je ne sais point chercher mes phrases, Mademoiselle : vous êtes belle comme un astre, et le tout sans compliment. Ma foi, je vous la donne comme elle m'est venue. Oh ! cela est vrai, on m'aime toujours quand on me connaît bien. Elle n'a pas goûté ma comparaison ; une autre fois, je l'attraperai mieux. Il ne tient qu'à moi, par exemple, de vous comparer à Vénus. Aimez-vous mieux celle-là ? Vous n'avez qu'à choisir. Je ne serais pas pourtant bien aise que vous lui ressemblassiez tout à fait ; la bonne dame a un mari dont je ne voudrais pas être la copie. Ce que j'en dis n'est que pour plaisanter. Mais à propos, Ergaste fait des vers à votre louange, et moi il faut bien aussi que je vous imagine quelque chose ; je vous quitte pour y rêver. Notre oncle, je me recommande à vous : allez droit en besogne. Eh bien, sommes-nous en joie, ma reine ? Mais comment faites-vous donc ? Vous êtes encore plus belle que vous n'étiez tout à l'heure. Ergaste vous fait là-haut des vers ; chacun a sa poésie, et voilà la mienne. Oh ! nous rimerons, nous rimerons ; j'ai la rime dans ma poche. Les vers se lisent, et cela se met au bras ; voilà toute la différence. Présentez le bras, ma déesse. Voilà le premier oncle du monde. Tenez, j'ai donné mon coeur, et quand cela est parti, le reste en coûte plus rien à déménager ; car je vous aime, il n'y a que moi qui puisse aimer comme cela ; et cela ira toujours en augmentant. Quel plaisir ! Goûtez-en un peu, mon adorable ; je suis le meilleur garçon du monde ; j'apprendrai à faire des sornettes, des vaudevilles, des couplets ; j'ai bon esprit, mais je n'aime pas à le gêner, il n'y a que mon coeur que je laisse aller. Il va à vous ; prenez-le, ma charmante, et en attendant, placez ce petit bracelet. Là, dites-moi comment vous me trouvez. Tant mieux, je m'en doutais un peu ; m'aimeriez-vous aussi ? Mon humeur vous revient-elle ? On fait de moi ce que l'on veut. Vous serez si heureuse, vous aurez tant de bon temps, que vous n'en saurez que faire. Allons, est-ce marché fait ? Je suis pressé ; car vos yeux sont si vite en besogne ! Finissons-nous, mon oncle ? Mettons-nous à genoux devant elle. Spinette, à notre secours ! Je vous en conjure avec cent mille écus que j'ai porté sur moi pour échantillon de ma cassette. Tenez, prenez-les, vous les examinerez vous-même. Eh bien ! Il partira, et je lui paierai son voyage. Grand merci, notre oncle, je la soutiendrai toujours de même. Qu'en dites-vous, ma reine ? Êtes-vous de leur avis ? C'est que les musiciens ont la voix enrouée ; il faut un peu graisser ces gosiers-là. C'est bien dit ; contente-les, si tu peux. J'ai aussi une fête à vous donner, moi, et une musique qui se mesure à l'aune ; j'attends ceux qui doivent y danser. Monsieur Armidas, vous allez entendre une drôle de musique. Des sons moelleux, magnifiques, une harmonie qui fait danser tout le monde ; il n'y a personne qui n'ait de l'oreille pour cette musique-là. Oui-da, cela ne gâtera rien, et vous vous joindrez à mes danseurs que je vois entrer. Ce qu'il y a de commode, c'est que cela se chante à livre ouvert. Allez porter toutes ces musiques-là chez Monsieur Armidas. Hé bien, Mademoiselle, qu'en dites-vous ? Ah ! Ah ! Tu te fâches ? Oh ! Que voilà qui est chromatique ! Faisons une petite fugue, ma reine ; allons-nous-en. Et allons, séparez-vous bons amis, et ne vous revoyez jamais. Il n'y a rien de si beau que les bienséances ; crois-moi, Ergaste, ne te fâche que dans un sonnet, ou bien, pour te consoler, va composer un opéra ; cela te vaudra toujours quelque chose. Hé, hé, hé ! Que le voilà beau garçon avec son mérite ! Cela signifie qu'Ergaste est Apollon, et moi Plutus, qui lui a escroqué sa maîtresse. Ne vous alarmez pas ; je vous laisse les présents que je vous ai faits. Vous vous passerez bien de moi avec cela ; n'est-ce pas ? Adieu, la compagnie. Vous êtes de bonnes gens ; vous m'avez fait gagner la gageure, et je vais bien faire rire l'Olympe de cette aventure. Allons, divertissez-vous ; les musiciens sont payés, la fête est prête, qu'on l'exécute ! **** *creator_marivaux *book_marivaux_triompheplutus *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_triompheplutus *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ARMIDAS *date_1728 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_armidas Ah ! Te voilà, Arlequin ; est-ce que ton maître est arrivé ? Tu es le maître. Oui, Monsieur ; que vous plaît-il de moi ? Monsieur, vous me faites bien de l'honneur ; le compliment est singulier. Monsieur, mon amitié est due à tous les honnêtes gens ; et quand j'aurai l'honneur de vous connaître... Monsieur, vous ne pouviez manquer d'être bien venu sous les auspices de Monsieur Ergaste, que j'estime beaucoup. Je suis fâché de n'être pas venu plus tôt ; mais j'ai été occupé d'une affaire que je voulais finir. Eh bien ! Monsieur, c'est une terre que j'ai, assez éloignée d'ici, qui n'est pas à ma bienséance, et que je voudrais vendre. J'ai dessein de marier ma nièce près de moi, et je lui donnerai en mariage le provenu de la vente. Elle est de vingt mille écus ; mais la personne qui la marchande ne veut m'en donner que quinze, et nous ne saurions nous accommoder. Comment ! Que voulez-vous dire ? Mais, Monsieur, j'ai peine à vous la vendre de cette manière ; vous ne l'avez pas vue, et vous n'aimeriez peut-être pas le pays où elle est ? Je vous en donnerai le plan, si vous voulez. Puisque vous le voulez, Monsieur, j'y consens. Oh ! Monsieur, cela est excellent ; je vous suis entièrement obligé. Vous me comblez d'honnêtetés, Monsieur, je ne sais comment les reconnaître. Dites-m'en les moyens. Eh bien, Monsieur ? Vous l'avez donc vue ma nièce, Monsieur ? Il est vrai, Monsieur, qu'Ergaste me paraît rechercher ma nièce. Il se dit gentilhomme assez accommodé et il parle de s'établir ici. Il est d'ailleurs homme de mérite. Si cela est, c'est un grand défaut, et je suis bien aise que vous m'avertissiez. Mais, Monsieur, peut-on vous demander de quelle profession vous êtes ? Votre humeur me convient à merveille. Et je parlerai à ma nièce, je vous assure ; je suis sûr qu'elle se conformera à mes volontés. La voilà qui vient : si vous le voulez bien, après le premier compliment, vous nous laisserez un moment ensemble, et vous irez vous rafraîchir chez moi en attendant. Ma nièce, où est donc le seigneur Ergaste ? Oui, ma nièce, Monsieur est un galant homme ; qui, depuis le peu de temps que je le connais, m'a déjà donné pour lui une estime toute particulière. Passons, passons. Ma nièce, je vous prie de regarder Monsieur comme mon ami, et comme le meilleur que j'aie encore trouvé. Monsieur, ma nièce... Ma nièce, cet homme que vous trouvez si ridicule, encore une fois, je ne puis l'estimer assez. Gageons qu'il te l'a donnée ? Sais-tu bien, ma nièce, que Monsieur Richard fait un commerce étonnant qui lui procure des biens immenses ? Devine à quoi il destine ce gain ? À tes menus plaisirs. Tu ne sais pas ? J'ai vendu cette terre dont je destinais l'argent pour te marier. Bon ! Il est bien question de cela ! C'est Monsieur Richard qui a acheté la terre sans l'avoir vue, sur ma parole, au prix que je demandais, sans hésiter. Tenez, m'a-t-il dit, vous voilà payé. En effet, voici des billets que j'en ai reçus. Lui, rustique ! Allons, allons, Ergaste disparaît au prix de cela ; sans compter qu'il a le caractère un peu gascon. Que nous veux-tu, Arlequin ? Parle ; voilà qui est bien mystérieux ! Cela est étonnant. Qu'appelles-tu : tu l'épouses ? Ma nièce, il ne faut point que cet homme-là vous échappe. Ma nièce, je vous permets de l'accepter. Rends-toi, ma nièce ; peux-tu trouver mieux ? Le voilà qui arrive avec sa chanson. Que diable, avec sa musique ! On a bien affaire de cela. Et soutenue d'un bout à l'autre. Oh ! Ne prenez point garde à moi ; toute la musique m'ennuie. Je la crois curieuse. J'ai grande envie de l'entendre. Je vous avoue, Monsieur, que je n'ai point encore entendu de symphonie de ce goût-là. Elle serait bien difficile. Allons, ma nièce, c'est trop s'amuser ; suis-moi. Mais... C'est une fille assez raisonnable, comme vous savez. Espérer ! Et quand cela ? Je ne me souviens de rien. Tenez, vous êtes aujourd'hui de mauvaise humeur ; nous aurons le temps de nous revoir. Vous ne partez pas ce soir ; à demain. J'y vais. Votre valet très humble. Que signifie ce que nous venons d'entendre ? **** *creator_marivaux *book_marivaux_triompheplutus *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_triompheplutus *dist2_marivaux_prose_comedy *id_AMINTE *date_1728 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_aminte Il s'est enfermé dans une chambre pour composer un divertissement qu'il veut me donner en musique. Ce n'est pas l'usage que j'en veux faire. Mais Monsieur n'est-il pas la personne qu'Ergaste a amené avec lui ? Il ressemble au portrait qu'il m'en a fait. La comparaison est forte, quoique ordinaire. Je vous obéirai, mon cher oncle. Voudriez-vous bien, Monsieur, me dire pourquoi cet homme-là vous plaît tant ; ce qui a pu vous le rendre si estimable en un quart d'heure ? Pour moi, je le trouve si ridicule, qu'il m'en paraît original. Comment ! Elle est fort jolie. D'où cela te vient-il ? Sur ce pied-là, je l'avoue, on ne saurait lui disputer le titre d'homme généreux et magnifique. Quoi ? À bâtir ? Il faut tomber d'accord que vous me contez là des espèces de fables. Est-ce que vous ne le voulez plus, mon cher oncle ? Ah ! Quel dommage qu'un homme d'une si brillante fortune soit si rustique ! Ah ! Vous conviendrez qu'il n'a pas d'esprit, et qu'il est d'une figure épaisse. Mais, mon oncle, le rival que vous lui substituez est bien grossier ; cela m'arrête, car je me pique de quelque délicatesse. Eh bien ! De quoi s'agit-il ? Ah ! Monsieur, des vers, une chanson, se reçoivent ; mais pour un bracelet de cette magnificence, ce n'est pas de même. Monsieur, en vérité, ce serait trop... En vérité, je vous trouve bien pressant. Mais, je vous trouve bien. Mais vous m'accablez. Je veux mourir si je suis la maîtresse de dire non. Il y a dans ses manières je ne sais quoi d'engageant qui vous entraîne. Il est plusieurs sortes de mérites, et vous avez le vôtre, Monsieur ; mais que deviendrait Ergaste ? Assurément. Voyons donc votre musique. Il y a quelque chose de galant, mais l'exécution m'en a paru un peu froide. Mais, en effet, je vous trouve admirable, d'en venir avec moi aux invectives ! Qu'appelez-vous ingrate ? Loin de ces lieux, une riche héritière N'est point l'objet qu'un amant considère ; Sagesse, honneur, Vertu, douceur, Sont de son coeur L'attrait vainqueur ; Ses feux ont toujours même ardeur ; Le temps n'y peut rien faire. De nos amants la maxime est contraire. Bons revenus, Contrats, écus, Sur les vertus Ont le dessus. De tels noeuds sont bientôt rompus ; Un jour en fait l'affaire. **** *creator_marivaux *book_marivaux_triompheplutus *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_triompheplutus *dist2_marivaux_prose_comedy *id_ARLEQUIN *date_1728 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin Bonjour, Spinette, comment te portes-tu ? Je suis bien aise de te revoir. Mon maître est-il arrivé ? Que le ciel vous le rende ! Voilà un galant homme qui me salue sans me connaître. Hélas ! Oui, Monsieur ; je le sers par amitié, faut dire ; car ce n'est pas pour ma fortune. Non, je suis aussi maigre qu'il était quand il m'a pris. Bons ou mauvais, je ne les ai pas encore vus. Cependant tous les jours je demande à en avoir un petit échantillon ; mais, à vous parler franchement, je crois que mon maître n'a ni l'échantillon ni la pièce. Oh ! Besoin, depuis que je suis au monde, je n'ai que ce besoin-là. Mais, Monsieur, cela me confond ; suis-je bien réveillé ? Dix louis d'or pour boire à votre santé ! Spinette, fait-il jour ? N'est-ce pas un rêve ? Voilà un rêve qui me mènera réellement au cabaret. Pardi ! Quand vous ne le voudriez pas, je ne saurais m'en empêcher. Mademoiselle Aminte ? Ne vous embarrassez pas. Vous pouvez en toute sûreté m'en avancer le premier quartier ; aussi bien y a-t-il longtemps qu'il me l'a promis. Ce serait bien dommage, Monsieur est si bon ! Et moi, je ne regarde pas après vous ; je suis sûr d'avoir mon compte. Que voilà un honnête gentilhomme ! Oh ! Monsieur, vos manières sont inimitables. On dit que oui, Monsieur ; car je ne fais que d'arriver moi-même : je m'étais arrêté dans un village pour m'y rafraîchir ; et comme il fait extrêmement chaud, vous me permettrez d'en aller faire autant dans l'office. Je venais, ne vous en déplaise, Monsieur, m'acquitter d'une petite commission auprès de Mademoiselle Aminte. Oh ! Mais, je n'oserais parler à cause de Monsieur ; cependant, comme je suis hardi de mon naturel, si vous me laissez faire, j'aurai bientôt dit. C'est que j'ai des louis d'or dans ma poche à qui j'ai promis de vous recommander Monsieur Richard, ma belle demoiselle. Il m'a fait l'honneur de me demander ma protection auprès de vous, et, ma foi, il l'a bien payée ce qu'elle vaut. C'est lui qui m'a payé les gages que Monsieur Ergaste me doit ; cela est bien honnête. Je l'épouse aussi, moi, cela est résolu. Oui, je me donne à lui ; il m'a déjà fait les présents de noce. Il vous aime comme un perdu ; il est drôle, bouffon, gaillard. Il dit toujours : tiens, prends ; et ne dit jamais : rends. Il a une face de jubilation. Tenez, le voilà lui-même, voyez-le plutôt. Mais il m'a donné une commission, j'y vais. Monsieur ! Oui, Monsieur ; mais cela ne vous regarde point. Je viens dire à Monsieur Richard que les musiciens qu'il a mandés seront ici dans un moment. Voilà ma chanson, à moi, et je déloge. Spinette, on va servir. Et moi, j'ai une faim canine. Mais je n'ai rien vu passer de nouveau ; je ne sais ce que vous voulez dire. À qui en avez-vous donc ? Mon maître m'attend, dépêchez. Je vous ai servi, moi ! Cela est vrai ; nous nous tenions compagnie dans le chemin. Attendez, attendez ; j'ai quelque souvenir éloigné d'avoir autrefois servi un certain Monsieur... Aidez-moi, aidez-moi : Monsieur Orga, Orga, Er, Er, Ergaste, oui, Ergaste. Non, ce n'était pas un coquin ; c'était un fort honnête homme qui ne payait pas ses gens. Oh ! Nous avons changé tout cela ; et je l'ai troqué contre un certain Monsieur Richard, qui habille et paie encore mieux. Oh ! Cela vaut mieux que Monsieur Ergaste. Adieu, Monsieur. Si vous le voyez, dites-lui que je me recommande à lui. Le pauvre homme ! Lorsqu'un auteur, instruit dans l'art de plaire, Trouve des traits ignorés du vulgaire, On l'applaudit, On le chérit : Grand et petit En font récit ; Jamais l'ouvrage ne périt ; Le temps n'y peut rien faire. Si l'on ne suit qu'une route ordinaire, Le spectateur, Fin connaisseur, Contre l'auteur, Est en rumeur ; La pièce meurt malgré l'acteur Un jour en fait l'affaire. **** *creator_marivaux *book_marivaux_triompheplutus *style_prose *genre_comedy *dist1_marivaux_prose_comedy_triompheplutus *dist2_marivaux_prose_comedy *id_SPINETTE *date_1728 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_spinette Je suis charmée de vous voir de retour, Monsieur Ergaste. Pendant votre absence, je vous ai rendu auprès de ma maîtresse tous les petits services qui dépendaient de moi. J'ai cru que vous disiez que vous alliez me la témoigner. Vous me l'avez toujours dit ; mais, Monsieur, est-ce que vous allez voir Mademoiselle Aminte avec Monsieur que voilà ? C'est fort bien fait, Monsieur. Votre ami a l'air bien épais. Peut-on vous demander, Monsieur, ce que vous me voulez ? Tout le monde m'en veut, mais personne ne m'en fait. Ah ! Que cette preuve-là est claire ! Elle est d'une force qui m'étourdit. Vous êtes bien le maître de prouver tant qu'il vous plaira, et s'il ne s'agit que de douter du fait, je douterai de reste. Monsieur, munissez-vous encore pour le doute qui me prendra. Quel homme est-ce donc que cela ? Monsieur, vous demandez, à être de mes amis ; comment l'entendez-vous ? Est-ce amourette que vous voulez dire ? La proposition ne serait point de mon goût, et je suis fille d'honneur. Ah !... Votre fantaisie serait un assez bon goût. Mais qu'exigez-vous donc ? Effectivement, ce serait dommage, et vous méritez bien compagnie ; mais la chose est un peu difficile, voyez-vous ! Ma maîtresse a aussi un honneur à garder. Cela est vrai, quand c'est dans de bonnes vues ; mais les vôtres n'ont pas l'air d'être bien régulières. Si vous demandiez à vous en faire aimer pour l'épouser, riche comme vous êtes, et de la meilleure pâte d'homme qu'il y ait, à ce qu'il me paraît, je ne doute pas que vous ne vinssiez à bout de votre projet, avec mes soins, à condition que les preuves iront leur chemin, quand j'en aurai besoin. Oh ! Quel homme ! Oh ça, est-ce que vous voudriez épouser ma maîtresse ? Fort bien, je vous sers de bon coeur à ce prix-là ; mais Monsieur Ergaste, votre ami, avec qui vous êtes venu, est amoureux d'Aminte, et je crois même qu'il ne lui déplaît pas ; il parle de mariage aussi, il est d'une figure assez aimable, beaucoup d'esprit, et il faudra lutter contre tout cela. Je le crois comme vous ; car il ne m'a jamais rien prouvé que le talent qu'il a de promettre. Armidas a pourtant de l'amitié pour lui ; mais Armidas est intéressé, et vos richesses pourront l'éblouir. Ergaste, au reste, se dit un gentilhomme à son aise, et sous ce titre, il fait son chemin tant qu'il peut dans le coeur de ma maîtresse, qui est un peu précieuse, et qui l'écoute à cause de son esprit. Beaucoup. Malepeste ! La belle riante jeunesse ! Allez, allez, je ferai votre cour. Tenez ; moi d'abord, en vous voyant, je vous trouvais la physionomie assez commune, et l'esprit à l'avenant ; mais depuis que je vous connais, vous êtes tout un autre homme, vous me paraissez presque aimable, et dès demain je vous trouverai charmant ; du moins il ne tiendra qu'à vous. Mais, si cela continue, vous allez devenir un Narcisse. Ah ! C'est Arlequin, valet de Monsieur Ergaste. Oui, il est au logis. Oh ! Le plus galant homme qu'on puisse trouver, je t'en assure. Je suis de son avis. Non, Monsieur m'a déjà fait rêver de même. Tu n'es pas honteux, à ce que je vois. Doucement, voici l'oncle de Mademoiselle Aminte qui va nous aborder. Monsieur, faites-lui votre compliment. Tenez, dans les compliments on s'embrouille, et il y a mille honnêtes gens qui n'en savent point faire. Monsieur me paraît de ce nombre. Voyez de quoi il s'agit : Monsieur est ami du seigneur Ergaste ; ils viennent d'arriver ensemble. Monsieur Ergaste est au logis, je vous laisse. Allez, allez, quand Mademoiselle connaîtra bien Monsieur, on n'aura que faire de lui recommander. Pour original, vous avez raison, je ne crois pas même qu'il ait de copie. Faut-il vous dire tout ? Il vous a déjà vue en passant par ici, il vous aime ; il n'est revenu que pour vous revoir. Savez-vous bien par où il a débuté avec moi afin de m'intéresser à son amour ? Tenez, que dites-vous de cette bague-là ? De la meilleure grâce du monde. Monsieur Richard, rustique ! C'est une épaisseur qui ne vient que d'embonpoint. Et mort de ma vie, grossier ! Et moi je vous dis qu'il a autant d'esprit qu'un autre, mais qu'il ne veut s'en servir qu'à sa commodité. Oh ! vraiment, à propos, ses libéralités se sont aussi étendues sur Arlequin. J'étais témoin de tout ce qu'il vous dit là. Une rime à ces vers-là serait bien riche. Peut-on s'expliquer de meilleure grâce ? Ma maîtresse, ma chère maîtresse, ayez pitié de l'amour de cet honnête homme. Peut-on faire fumer un plus bel encens ? Ce sont là ses millions, à lui. La conversation de Monsieur Richard est magnifique. Elle commençait à m'endormir. Je m'en meurs d'impatience. Monsieur, on vous attend. Je n'ai guère le temps, au moins. Bon ! Vous étiez bien riche ; mais je crois qu'on m'appelle ; je suis votre servante. Et que voyez-vous donc de si rare ? Je ne sais pas le remède à cela. Je ne vous entends point ; Où donc est ce champ de bataille ? Hé ! Vous me faites perdre ici mon temps ; le dîner est prêt ; est-ce que vous n'en êtes point ? J'en suis bien fâchée. Adieu, Monsieur ; un peu de part dans vos bonnes grâces. Qui est là ? Je m'en vais faire descendre la compagnie.