**** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_MADAMEHILAIRE *date_1782 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamehilaire J'accours : j'ai entendu sa voix. Vous avez bien fait d'ouvrir à cette chère enfant. Je l'ai toujours aimée ; et tant que j'aurai quelque crédit, elle ne sera jamais regardée ici comme étrangère. Tu as donc songé à nous au milieu de cette calamité générale ?... Quand cessera-t-elle ? Hélas ! Nous y sommes plongés comme toi. Je vois tes yeux abattus, tes joues sillonnées par les larmes... Tu viens seule, hélas !... Ton silence... Je l'entends... Il ne faut point te demander ce qu'est devenue ma pauvre amie. Guerre malheureuse ! Tu as brisé les liens les plus chers ; le parent repousse son parent, l'ami son ami... Que de désastres effroyables, sans ceux, hélas ! qui se préparent ! Ménagez du moins vos termes en présence de sa fille infortunée, et ne l'obligez pas à condamner son père... Eh ! S'il faut le dire, nous sommes tous assez à plaindre, sans aggraver encore nos malheurs par le sentiment pénible de la haine. Cette funeste guerre, qui, depuis si longtemps, arme les Français, fait plus que répandre le sang ; elle divise ceux qui s'aimaient, ceux qui vivaient sous le même toit dans une tranquille union... Tandis que le carnage ensanglante les remparts de la ville, on se dispute avec acharnement dans l'intérieur des maisons. Et que produisent ces inimitiés particulières ? De nouvelles atrocités... Si Henri a des droits à la couronne, pourquoi les lui ravir, sous prétexte de l'éclairer ? Qu'on soit juste d'abord à son égard ; il le sera sans doute envers Rome et l'église. On tourne le fer contre lui, et l'on voudrait qu'il se laissât percer le flanc ! Au lieu de couvrir la face du royaume de tant de meurtres, n'eût-il pas mieux valu le laisser régner ?... Vous frémissez, mon cher époux ? Je puis me tromper ; mais quoi, après tout, au milieu de ces dissensions éternelles, Dieu est-il plus adoré, la religion mieux servie, la charité plus observée ? Allez, il faut que cette guerre soit impie, puisque le ciel nous en punit si cruellement. Malheur à qui a pu l'entreprendre ! Malheur à qui la continue ! Malheur à qui... Songez surtout qu'il est défendu, sous peine de la vie, de gémir de la mortalité, ou de parler de paix. Quiconque ne proférerait que ces mots, il faut se rendre, serait saisi sur le champ et précipité à l'instant même au fond de la rivière... Tremblez de dire un seul mot sur les calamités publiques. Que la prudence vous guide ; ne vous écartez pas trop au loin, et craignez de tomber dans les corps-de-gardes avancés. Arrêtez... On vient... Ils sont plusieurs... Prêtons l'oreille. Oui, toujours des espérances, et rien de plus... Que vont-ils aujourd'hui nous annoncer ? Mais, messieurs, arriveront-ils enfin ces secours désirés, et si longtemps attendus ?... Pendant ce temps, les royalistes sont toujours les maîtres ; ils sont dans l'abondance, et nous gémissons dans la famine. Le légat, le duc de Mayenne, les seize, les prédicateurs, du haut de leurs chaires, nous promettent constamment des merveilles ; et rien n'avance, que la douleur et la mortalité. Il faut que vous soyez les premiers abusés ; car chaque fois que vous venez nous visiter, vous nous apportez des nouvelles que vous croyez vraies ; et non seulement elles ne se vérifient point, mais c'est toujours le contraire qui arrive, et qui trompe notre mutuelle attente. Nous avions déjà loué des fenêtres pour voir passer le roi prisonnier, lorsque Mayenne écrivait à Paris qu'il le tenait, et qu'il ne pouvait lui échapper qu'en sautant dans la mer. Ah ! Messieurs, je ne dispute point contre vous ; mais si l'on avait pu concilier avec l'intérêt de la foi l'intérêt d'une ville aussi grande, aussi peuplée, éviter de tels désastres, si longs, si terribles, si désolants... Femmes, enfants, vieillards, tous innocents, hélas ! ont succombé dans les souffrances ! Mille actions de grâces vous soient rendues, généreux bienfaiteurs ! Nous sommes prêts à vous suivre... J'en rapporterai pour sa mère ; elle a quatre-vingts ans passés, messieurs... Elle vient de s'assoupir un peu... Je ne craindrai plus son réveil !... J'aurai quelque chose à lui offrir. C'est un grand miracle que le ciel a accompli sur elle, en nous la conservant jusqu'à ce jour. Revenons mourir ici, cher époux... Les barbares ! Est-ce ainsi qu'ils soulagent ! Ah ! Qu'ils égorgent plutôt, ils seront moins cruels. Quelle est donc cette horrible invention de leur détestable génie ?... Dieu ! Je me meurs... La nécessité ! Expirons cent fois avant que d'y toucher ! Quel abominable outrage fait à la nature !... Dieu !... J'ai cru entendre crier dans mon sein... Voilà donc ceux qui se disaient nos amis, nos protecteurs !... Ils appellent des bienfaits !... Ils ont pu !... L'oserait-on imaginer !... Horrible mets que tout mon coeur a repoussé encore plus que ma bouche, c'est ton souvenir qui me rend la mort douce et désirable ! Eux ? Ah, je commence à voir et à croire !... Allez, ils ont pétri pour nous cette pâte exécrable, composée d'ossements humains, arrachés aux cimetières ; mais ils vivent dans l'abondance, en nous contemplant mourir d'un oeil dérisoire ou indifférent. Ah ! Mon fils, mon fils, où es-tu ! Viens, viens assister à mes derniers moments !... C'en est fait ; je ne puis plus soutenir la lumière... Non, elle m'est odieuse... Ainsi il me faudra mourir douloureusement, et sans pouvoir l'embrasser encore une fois... Aurait-il touché de ses lèvres... Dieu ! Je succombe à cette seule image... Ô ma fille ! Que le ciel prolonge tes jours et retranche des miens ! J'ai trop vécu... Oui, trop longtemps... Ma mère, ce bienfait nous devient inutile, si le ciel ne nous le ramène pas. Les suisses !... Nous sommes perdus. J'expire de terreur... Ils brisent les verrous, rompent les barreaux, détachent les gonds... Lâches brigands ! Qui désolez la ville au-lieu de la défendre, est-ce pour de pareils attentats qu'on vous a payés ? Sont-ce là les secours que vous devez aux citoyens ? Ah ! Partagez avec nous au moins ; j'ai une mère, j'ai un fils... Une mère âgée... Ses cheveux blancs... Dans quelle extrémité plus horrible sommes-nous retombés ! Pourquoi t'es-tu séparé si longtemps de nous ? J'ai recueilli toutes ses paroles, et j'y ai reconnu le vrai portrait de ces traîtres, que je croyais des hommes sincères, et que je me reproche bien aujourd'hui d'avoir écoutés... Ah ! Cher époux, ses paroles ont allumé en moi un courage nouveau. J'aperçois la ligue sous son vrai jour : adopte nos idées ; rompons l'affreux esclavage où nous captivent depuis trop longtemps des hommes qui n'ont le nom de Dieu à la bouche que pour mieux cacher la cruauté dans leur coeur. Ne nous abandonnons pas à la douleur, cher époux. Hâtons-nous d'exécuter ses volontés dernières. Lancy, arrachons-les du triste objet qui les consume... Je crains qu'ils n'y succombent. Il te reste une épouse, un fils : supporte la vie pour eux. Hilaire, que ta vertu ne soit pas imprudente. Hélas ! Hilaire ! Mon époux ! Mon ami !... Je renais à ta voix ! Les miens sont brisés sous la pesanteur des chaînes, et mes efforts sont vains... Et toi, pauvre Lancy ! Chère fille, toi l'objet des voeux constants de mon fils, voilà donc ta destinée !... Pourquoi es-tu venue au-devant de ton malheur !... Hilaire est absent de ce lieu d'horreur... Mais l'espérance de le revoir s'éteint, hélas, avec ma vie !... Le son du tambour semble résonner au loin, et vient mourir sous ces voûtes lugubres. Si c'étaient des soldats de Henri, de ce prince magnanime !... Ils augmentent ma terreur... C'est à coup sûr quelque événement extraordinaire. Hilaire !... Ces cris, les as-tu entendus ?... Ciel !... Oserions-nous l'espérer ?... Ô clémence divine !... Ô mon dieu !... De quelle incertitude je suis agitée ! Ô mère désolée ! Que vas-tu devenir ! Que t'importe un jour si beau, si ton fils ne le partage ! Que nous le revoyions !... C'est à ce seul prix que tous nos maux pourront être effacés. Cet espoir est bien flatteur ; mais le ciel nous accordera-t-il cette dernière marque de sa miséricorde ? J'espère en elle ; je l'ai toujours adorée : mais la crainte est la plus forte ; un pressentiment secret et fatal me dit que je ne le verrai plus. Mon enfant !... Jour mille fois heureux qui nous réunit ! **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_MADAMEHILAIRE *date_1782 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_madamehilaire J'accours : j'ai entendu sa voix. Vous avez bien fait d'ouvrir à cette chère enfant. Je l'ai toujours aimée ; et tant que j'aurai quelque crédit, elle ne sera jamais regardée ici comme étrangère. Tu as donc songé à nous au milieu de cette calamité générale ?... Quand cessera-t-elle ? Hélas ! Nous y sommes plongés comme toi. Je vois tes yeux abattus, tes joues sillonnées par les larmes... Tu viens seule, hélas !... Ton silence... Je l'entends... Il ne faut point te demander ce qu'est devenue ma pauvre amie. Guerre malheureuse ! Tu as brisé les liens les plus chers ; le parent repousse son parent, l'ami son ami... Que de désastres effroyables, sans ceux, hélas ! qui se préparent ! Ménagez du moins vos termes en présence de sa fille infortunée, et ne l'obligez pas à condamner son père... Eh ! S'il faut le dire, nous sommes tous assez à plaindre, sans aggraver encore nos malheurs par le sentiment pénible de la haine. Cette funeste guerre, qui, depuis si longtemps, arme les Français, fait plus que répandre le sang ; elle divise ceux qui s'aimaient, ceux qui vivaient sous le même toit dans une tranquille union... Tandis que le carnage ensanglante les remparts de la ville, on se dispute avec acharnement dans l'intérieur des maisons. Et que produisent ces inimitiés particulières ? De nouvelles atrocités... Si Henri a des droits à la couronne, pourquoi les lui ravir, sous prétexte de l'éclairer ? Qu'on soit juste d'abord à son égard ; il le sera sans doute envers Rome et l'église. On tourne le fer contre lui, et l'on voudrait qu'il se laissât percer le flanc ! Au lieu de couvrir la face du royaume de tant de meurtres, n'eût-il pas mieux valu le laisser régner ?... Vous frémissez, mon cher époux ? Je puis me tromper ; mais quoi, après tout, au milieu de ces dissensions éternelles, Dieu est-il plus adoré, la religion mieux servie, la charité plus observée ? Allez, il faut que cette guerre soit impie, puisque le ciel nous en punit si cruellement. Malheur à qui a pu l'entreprendre ! Malheur à qui la continue ! Malheur à qui... Songez surtout qu'il est défendu, sous peine de la vie, de gémir de la mortalité, ou de parler de paix. Quiconque ne proférerait que ces mots, il faut se rendre, serait saisi sur le champ et précipité à l'instant même au fond de la rivière... Tremblez de dire un seul mot sur les calamités publiques. Que la prudence vous guide ; ne vous écartez pas trop au loin, et craignez de tomber dans les corps-de-gardes avancés. Arrêtez... On vient... Ils sont plusieurs... Prêtons l'oreille. Oui, toujours des espérances, et rien de plus... Que vont-ils aujourd'hui nous annoncer ? Mais, messieurs, arriveront-ils enfin ces secours désirés, et si longtemps attendus ?... Pendant ce temps, les royalistes sont toujours les maîtres ; ils sont dans l'abondance, et nous gémissons dans la famine. Le légat, le duc de Mayenne, les seize, les prédicateurs, du haut de leurs chaires, nous promettent constamment des merveilles ; et rien n'avance, que la douleur et la mortalité. Il faut que vous soyez les premiers abusés ; car chaque fois que vous venez nous visiter, vous nous apportez des nouvelles que vous croyez vraies ; et non seulement elles ne se vérifient point, mais c'est toujours le contraire qui arrive, et qui trompe notre mutuelle attente. Nous avions déjà loué des fenêtres pour voir passer le roi prisonnier, lorsque Mayenne écrivait à Paris qu'il le tenait, et qu'il ne pouvait lui échapper qu'en sautant dans la mer. Ah ! Messieurs, je ne dispute point contre vous ; mais si l'on avait pu concilier avec l'intérêt de la foi l'intérêt d'une ville aussi grande, aussi peuplée, éviter de tels désastres, si longs, si terribles, si désolants... Femmes, enfants, vieillards, tous innocents, hélas ! ont succombé dans les souffrances ! Mille actions de grâces vous soient rendues, généreux bienfaiteurs ! Nous sommes prêts à vous suivre... J'en rapporterai pour sa mère ; elle a quatre-vingts ans passés, messieurs... Elle vient de s'assoupir un peu... Je ne craindrai plus son réveil !... J'aurai quelque chose à lui offrir. C'est un grand miracle que le ciel a accompli sur elle, en nous la conservant jusqu'à ce jour. Revenons mourir ici, cher époux... Les barbares ! Est-ce ainsi qu'ils soulagent ! Ah ! Qu'ils égorgent plutôt, ils seront moins cruels. Quelle est donc cette horrible invention de leur détestable génie ?... Dieu ! Je me meurs... La nécessité ! Expirons cent fois avant que d'y toucher ! Quel abominable outrage fait à la nature !... Dieu !... J'ai cru entendre crier dans mon sein... Voilà donc ceux qui se disaient nos amis, nos protecteurs !... Ils appellent des bienfaits !... Ils ont pu !... L'oserait-on imaginer !... Horrible mets que tout mon coeur a repoussé encore plus que ma bouche, c'est ton souvenir qui me rend la mort douce et désirable ! Eux ? Ah, je commence à voir et à croire !... Allez, ils ont pétri pour nous cette pâte exécrable, composée d'ossements humains, arrachés aux cimetières ; mais ils vivent dans l'abondance, en nous contemplant mourir d'un oeil dérisoire ou indifférent. Ah ! Mon fils, mon fils, où es-tu ! Viens, viens assister à mes derniers moments !... C'en est fait ; je ne puis plus soutenir la lumière... Non, elle m'est odieuse... Ainsi il me faudra mourir douloureusement, et sans pouvoir l'embrasser encore une fois... Aurait-il touché de ses lèvres... Dieu ! Je succombe à cette seule image... Ô ma fille ! Que le ciel prolonge tes jours et retranche des miens ! J'ai trop vécu... Oui, trop longtemps... Ma mère, ce bienfait nous devient inutile, si le ciel ne nous le ramène pas. Les suisses !... Nous sommes perdus. J'expire de terreur... Ils brisent les verrous, rompent les barreaux, détachent les gonds... Lâches brigands ! Qui désolez la ville au-lieu de la défendre, est-ce pour de pareils attentats qu'on vous a payés ? Sont-ce là les secours que vous devez aux citoyens ? Ah ! Partagez avec nous au moins ; j'ai une mère, j'ai un fils... Une mère âgée... Ses cheveux blancs... Dans quelle extrémité plus horrible sommes-nous retombés ! Pourquoi t'es-tu séparé si longtemps de nous ? J'ai recueilli toutes ses paroles, et j'y ai reconnu le vrai portrait de ces traîtres, que je croyais des hommes sincères, et que je me reproche bien aujourd'hui d'avoir écoutés... Ah ! Cher époux, ses paroles ont allumé en moi un courage nouveau. J'aperçois la ligue sous son vrai jour : adopte nos idées ; rompons l'affreux esclavage où nous captivent depuis trop longtemps des hommes qui n'ont le nom de Dieu à la bouche que pour mieux cacher la cruauté dans leur coeur. Ne nous abandonnons pas à la douleur, cher époux. Hâtons-nous d'exécuter ses volontés dernières. Lancy, arrachons-les du triste objet qui les consume... Je crains qu'ils n'y succombent. Il te reste une épouse, un fils : supporte la vie pour eux. Hilaire, que ta vertu ne soit pas imprudente. Hélas ! Hilaire ! Mon époux ! Mon ami !... Je renais à ta voix ! Les miens sont brisés sous la pesanteur des chaînes, et mes efforts sont vains... Et toi, pauvre Lancy ! Chère fille, toi l'objet des voeux constants de mon fils, voilà donc ta destinée !... Pourquoi es-tu venue au-devant de ton malheur !... Hilaire est absent de ce lieu d'horreur... Mais l'espérance de le revoir s'éteint, hélas, avec ma vie !... Le son du tambour semble résonner au loin, et vient mourir sous ces voûtes lugubres. Si c'étaient des soldats de Henri, de ce prince magnanime !... Ils augmentent ma terreur... C'est à coup sûr quelque événement extraordinaire. Hilaire !... Ces cris, les as-tu entendus ?... Ciel !... Oserions-nous l'espérer ?... Ô clémence divine !... Ô mon dieu !... De quelle incertitude je suis agitée ! Ô mère désolée ! Que vas-tu devenir ! Que t'importe un jour si beau, si ton fils ne le partage ! Que nous le revoyions !... C'est à ce seul prix que tous nos maux pourront être effacés. Cet espoir est bien flatteur ; mais le ciel nous accordera-t-il cette dernière marque de sa miséricorde ? J'espère en elle ; je l'ai toujours adorée : mais la crainte est la plus forte ; un pressentiment secret et fatal me dit que je ne le verrai plus. Mon enfant !... Jour mille fois heureux qui nous réunit ! **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_LANCY *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lancy Quelle désolation répandue dans cette ville !... Encore personne ici !... Plus de parents !... Plus d'amis ! Tous les liens de la tendresse et de l'amitié sont rompus... J'ai parcouru tous les lieux où je pouvais la rencontrer... Vaines recherches ! Grand dieu, n'est-elle plus ! Voici la vingtième maison que je visite : et qu'ai-je vu ? Quel spectacle d'horreur ! Des couleuvres et des serpents engendrés dans les décombres de ces demeures désertes, et qui rongent les cadavres restés sans sépulture... Ceux qui vivent, ressemblent à des spectres. N'avons-nous pas traversé des rues où des infortunés couchés sur le ventre, broutaient l'herbe rare, à l'exemple des animaux ? Quel courage ou quelle opiniâtreté anime donc ce malheureux peuple ? Ils veulent éterniser la guerre ; mais ces prêtres qui l'ordonnent ne combattent pas... Ô ma fille ! Ma fille ! Où te trouverai-je !... Arriverais-je trop tard !... Mon ami, je vous fatigue, en vous associant à mes dernières recherches ; mais pardonnez à ce coeur paternel ; il poursuit les traces de son enfant... Elle n'est pas ici... Dieu ! Où est-elle ? Il me faut donc désespérer de pouvoir la secourir ! Hélas ! Elle expire peut-être de besoin dans un coin obscur de cette ville, tandis que j'ai là de quoi lui racheter la vie... La bonté de Henri sera donc infructueuse envers ce que j'ai de plus cher au monde !... Il m'a fallu l'image bien présente de ma fille, pour ne pas jeter tout ce pain à cette foule de moribonds qui achevaient d'expirer en se gorgeant d'une nourriture infecte... Ô mon ami, quel moment pour mon coeur, si je la retrouvais ! Quelle joie de la serrer contre mon sein, de voir son front reprendre ses couleurs, de la contempler renaissante entre mes bras ! Je ne voulais que cet instant... Le ciel me le refuse, et il faut abandonner cette ville sans pouvoir du moins embrasser ses tristes restes... Mon devoir m'est bien dur ; et il n'y a qu'un roi comme le nôtre pour qui l'on puisse faire de tels sacrifices. Je n'avance qu'en tremblant, je redoute le plus grand des malheurs. Je la demande et frémis de la rencontrer... C'est elle ! Mon ami, c'est... La voici... Je suis le plus heureux des pères... Ah, mon ami ! Je ne suis point traître à ma religion, ni à mes concitoyens... Avant peu tu en seras convaincu. Respecte le nom d'un héros que tu connais mal. C'est mon roi légitime ; il doit être le vôtre à tous, et pour votre bonheur. Les vrais auteurs de la guerre civile sont les imposteurs qui la perpétuent, qui ont fasciné vos yeux... Non : vous ne mourrez point... Et toi qui fus mon ami, ton esprit est droit, je le toucherai, je l'espère... Oui, j'ose... Dis-moi : quel est le but de cette ligue contre votre souverain ? Qu'a-t-elle fait pour l'état ? Depuis trente-neuf années de guerre, c'est-à-dire, de désolation, de ruines, de meurtres, d'incendies, de pillages, la France n'offre que plaies sanglantes, et force la pitié de ses ennemis les plus cruels ! Ah ! Il faut un roi comme Henri, pour la sauver du précipice où tout l'entraîne. Tu connais bien peu son âme, si tu ne la crois pas sensible. Tu n'as point vu couler ses pleurs, au récit de vos maux ; tu ne sais point comme il les partage, et combien il souffre de votre aveuglement. Il ne peut se résoudre à prendre d'assaut cette ville rebelle. Il veut la préserver d'un carnage affreux ; et sa sensibilité va plus loin encore, il voudrait pouvoir nourrir la ville en l'assiégeant. Il risque sa victoire, il hasarde son trône, en laissant passer secrètement des vivres. Mon arrivée en ces lieux... Si tu me vois en cette ville, apprends que c'est par sa permission. Cet ami et moi, nous sommes venus tous deux, chargés de pains pétris en sa présence, arrosés de ses pleurs, et que je viens de déposer chez toi, près de ta mère. Je l'ai trouvée défaillante, et j'ai eu le bonheur de la rappeler à la vie. Oui, allez vivre tous, en bénissant le roi qui vous donne la vie ! Ce pain a été fait, vous dis-je, sous ses yeux, et il y a mêlé ses larmes. Ce n'est pas la seule grâce qu'il destine à ses enfants. Vous verrez d'autres effets de sa générosité. Elle embrassera tous ceux qui reviendront à lui ; il ne veut que le repos de la France et sa félicité... Mais cachez ces provisions à la recherche avide du soldat que vous payez pour vous défendre, et qui erre néanmoins dans la ville qu'il met au pillage, le fer et les flambeaux à la main... Tant que le siège durera, je veillerai à votre subsistance... Hilaire, voilà comme je réponds à tes outrages ! Un instant, ami... Que vous êtes pressant !... Oh ! Que j'embrasse ma fille... Toi, que je ne crains point d'appeler mon ami, sûr que tu en rempliras les devoirs, adieu ; je te confie ma fille. Sers-lui de père jusqu'au moment où la paix pourra me rendre à moi-même. Ce moment ne saurait être éloigné. Puisse la fin de ce malheureux siège me ramener bientôt vers vous !... Puisse ce peuple, inconcevable dans son opiniâtreté, ouvrir les yeux sur cette ligue funeste, sur ces satellites mercenaires, qui, en déchirant le sein de la patrie, sont parvenus à s'en faire croire les légitimes défenseurs... On vous peint Henri sous des traits bien différents de ce qu'il est en effet. On se garde bien de vous rendre compte de ses vrais sentiments : et dans cette dernière conférence encore, que n'a-t-il pas dit à vos députés ? Avez-vous lu les offres de paix qu'il leur a remises par écrit, afin qu'elles fussent publiées ?... Voilà comme les seize, les prêtres et les espagnols vous trompent ; voilà comme l'esprit de fraude devient de jour en jour plus audacieux dans ses mensonges. Je l'ai entendu, moi, leur reprocher les calomnies qu'ils répandaient parmi le peuple ; les conjurer de prendre des sentiments humains ; leur exposer son respect pour la religion... Comme il s'attendrissait en leur peignant le triste état de la patrie ; ses belles campagnes dévastées ; ses villes florissantes sans communication et sans commerce ; l'anarchie à la place des lois ; les tribunaux déserts ; la police interrompue ; les autorités subalternes et les dominations arbitraires dévorant tout et remplaçant la majesté royale ! Ô mon ami ! Il était ému jusqu'aux larmes, en déplorant ces viles erreurs de la superstition qui dénature l'homme. Mais elle a transformé vos ligueurs en tigres cruels : fanatiques, cupides, intéressés au désordre, ils ont soif du pillage et des déprédations ; ils se sont vendus à l'étranger, et n'aperçoivent pas même l'esclavage qui va les enchaîner. Allez, un jour viendra que vous regretterez, mais trop tard, d'avoir écouté ces organes d'imposture, ces ministres de désolations... Je ne puis en dire davantage... Adieu, ma fille. Crains, ma fille, crains de faire perdre à ton père, en un seul jour, trente années d'honneur. Je cède au devoir ; cèdes-y à ton tour. Épargne-moi tes larmes, ou répands-les sur cette malheureuse cité. Et vous, mes amis, barricadez-vous, et mettez vos provisions à l'abri du soldat féroce. On lui a donné le droit de dévaster, et vous ne pouvez réprimer le désordre affreux qu'il exerce en vos propres murs... Ah ! Revenez au bon roi ; je vous y exhorte au nom de la paix... Adieu. Puissiez-vous m'entendre ! Hilaire, cher Hilaire, respires-tu dans ces horribles lieux ? Ah ! Mon ami, où es-tu ? Où est-elle ? Je la retrouve, ma fille... Je viens assez à temps... La joie me suffoque. Aidez-moi à soulever, à briser ses chaînes... Je ne puis parler. Mon ami... Mon frère... Mon cousin... Mon oncle... Mon bienfaiteur... Mon ami, quel moment !... Comme d'un instant à l'autre le sort de cette malheureuse ville est changé !... En vous quittant, je n'espérais pas sitôt vous revoir... À peine suis-je de retour au camp, que l'ordre arrive aux troupes de marcher vers les remparts. Je gémissais d'être forcé encore une fois de rougir mon épée du sang de mes compatriotes. Nous comptions aller à l'assaut... Quel a été notre étonnement et notre joie ! Les portes s'ouvrent à l'approche de Henri. Brissac lui présente les clefs ; tout se soumet : les factieux disparaissent... Nous avançons... Non, ce n'est point une ville qui se soumet à son vainqueur ; c'est un roi paisible qui entre en triomphe dans sa capitale... Entendez-vous ces cris d'allégresse ?... Ils vont aux pieds des autels rendre hommage au dieu des armées, d'une victoire d'autant plus chère à son coeur, qu'elle ne lui coûte point de sang. Le Louvre va recevoir son roi. La pompe du monarque est dans l'ivresse de tout un peuple qui l'adore et le bénit. Tous les vestiges de la guerre civile sont effacés, il n'en reste plus la moindre trace. L'abondance, sur cent chars couronnés de verdure, apporte à la ville ses dons variés. L'artisan dans cet instant même peut reprendre paisiblement ses travaux accoutumés. L'ordre règne comme s'il n'eût jamais été interrompu... Viens, mon cher Hilaire, viens contempler ce miracle, viens apprendre à connaître Henri... Ne te refuse pas, je t'en supplie, au bonheur de l'aimer comme nous. Embrassons-nous encore... Victoire entière... Le coeur de mon ami nous est rendu... Il est délivré de la séduction des traîtres... Allons jouir de ce double triomphe. Je vous ai toujours regardés comme destinés l'un pour l'autre... Que le ciel vous rassemble, et je consens à vous unir. Et sur quel fondement vous désespérez-vous ? Il est jeune, plein de force et de courage ; il ne manque point, d'ailleurs, de prudence... Armez-vous plutôt de confiance, et telle que vous devez la concevoir, après tant d'heureux miracles. Pourquoi se plaire dans des idées funèbres, quand tout annonce la clémence du ciel ? Le changement que vous venez d'éprouver, n'est-il pas un témoignage des grâces toujours inattendues que la providence tient en réserve ? Il est trompé, il est trompé, ce pressentiment... Le voici ! Entendez-vous ces nouveaux témoignages de l'ivresse publique ?... Ils nous appellent... Ne formons plus qu'une famille ; allons nous jeter aux pieds du grand roi : ce nom qu'on lui donne, lui est dû ; il est l'expression de l'amour qui ne s'accorde qu'à la bonté. Elle va s'asseoir avec lui sur le trône ; les exploits guerriers les plus célèbres disparaissent devant cette nouvelle gloire que lui attribue la clémence. Oh, que d'actions de grâces vous devez au ciel, ma chère fille ! Pouvait-elle commencer sous de plus heureux auspices ? Allons mêler nos voix à ces acclamations universelles. Le règne d'un héros qui a connu le malheur, est fait pour accomplir la félicité de son peuple. **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_MADEMOISELLELANCY *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mademoisellelancy Mon cher parrain, ayez pitié de moi... Hélas ! Hélas ! Le besoin... Que j'expire avant vous... Vous êtes le seul parent qui me reste en cette ville : près de vous, je me rassure contre la terreur de mourir... Je n'ai vu autour de moi que des mourants. Tout ce qui m'approchait n'est plus... Faut-il donc que je meure aussi !... C'est me rendre à la vie. Il y a trois jours que je n'ai mangé... Ah ! Ma chère marraine... Je renais. Ma chère tante n'est plus, et j'ai été bien près de la suivre ; je le désirais... Il a plu au ciel de vous rendre sensible à mes prières... Ma tante m'a toujours servi de mère ; votre nom fut toujours dans sa bouche, malgré les débats qui nous séparaient... Elle m'a dit, en mourant, de venir vous trouver ; que sûrement vous auriez pitié de moi... Ses derniers voeux du moins ont été exaucés. Vous avez du moins pour consolation un époux, un fils, une mère ; et moi, je ne sais quel est le destin de mon père ; aucune nouvelle n'a soulagé ma douleur inquiète... Il a cru devoir soutenir la cause de Henri... Est-il mort en combattant pour lui ? Cruel devoir ! Il est forcé d'obéir à ses serments. Combien son coeur doit souffrir sur le sort de sa fille, de ses concitoyens, de ses amis ! Ah, mon parrain ! Qu'il y aurait de choses à dire là-dessus !... Ah ! Connaissez-le mieux, mon parrain, et ne l'outragez pas. Ah ! Gardez-vous de sortir. Tous ceux qui errent dans les rues, portent la rage dans le regard comme dans le coeur ; on prodigue l'or, sans pouvoir rencontrer le plus grossier aliment. On n'entend que les cris d'une foule féroce qui se dispute la chair des animaux immondes. On les dévore sans horreur ; et je n'ai entendu, en traversant la ville, que des plaintes lugubres qui perçaient à travers les murailles. Cela est bien vrai... Des soldats de la ligue courent en troupes menaçantes, écartent tout ce qui s'assemble, et le mousquet repousse dans l'enceinte des maisons les malheureux, pâles et défigurés, qui implorent quelque secours. Chacun est barricadé ; il n'y a d'ouvert que les temples, où les sermons des ministres des autels promettent la manne du ciel à ceux qui soupirent après du pain. Ah ! Si ce secours était arrivé hier seulement, ma pauvre tante... Ah, dieu ! J'aurais pu la retirer des bras de la mort... Elle est morte, messieurs, en louant votre zèle, en vous bénissant, en priant Dieu pour le salut de cette ville qu'elle attendait de vos prières efficaces. Allez, mon cher parrain, allez. Ramenez-le, sauvez-le ; il se perdra sans vous. Mes maux semblaient s'adoucir à sa vue ; mais, puisque nous allons expirer, je vais vous révéler tout l'amour que je lui porte. Il n'y a plus à dissimuler sur le bord du cercueil, et c'est dans les bras de sa mère que j'avoue ce sentiment pur et caché au fond de mon coeur : vous le lui direz, je vous en conjure, c'est dans cette idée seule que je consens à quitter la vie... Mère infortunée, souffrez-vous plus que moi ?... J'ai un père que son devoir entraîne sous les drapeaux de Henri. Il donne la mort ou la reçoit ; c'est à regret qu'il fait couler le sang des parisiens... Ô détestable guerre civile ! Tu sépares donc les coeurs les plus faits pour s'aimer !... Mon père !... Je ne croyais plus obtenir du ciel cette faveur insigne. Et vous nous abandonnez, vous notre libérateur !... Encore quelques moments... De grâce... Non, je ne puis... Je ne puis... Je ne mangerai point qu'il ne soit de retour. Je ne consentirai à vivre que quand je le reverrai. Ô mon père ! Ne nous aviez-vous donc apporté ce pain, trésor si rare, que pour qu'il nous fût ravi l'instant d'après par ces barbares ! Grâces, dieu puissant, qui nous l'as rendu. Allons tous ensemble nous jeter dans le camp du roi. Il va obéir à ses transports ; il nous quitte, il va se perdre. Quoi, tant d'assauts m'étaient réservés ! Et comment pourrai-je les supporter ! Tous les traits de la guerre civile sont venus se réunir contre moi ; et pour un moment d'espérance, la crainte et la terreur m'agitent sans cesse... Mais que vois-je ! Les voici encore. Ah, grand dieu ! Ils amènent quelques nouveaux désastres... On voit une foule de satellites armés. Ô mon dieu !... Où suis-je ? Les barbares ! Comme ils vous ont traité ! Comme ils ont traité votre épouse ! Son image ne m'abandonne point... Mes derniers soupirs s'adresseront à lui... Qu'il vive, et que j'expire... Je sens plus que jamais combien mon coeur était à lui... Vous le dire en mourant, afin qu'il l'apprenne de vous après ma mort, est une espèce de consolation qui me soulage en ces moments... Oui, j'étais née pour l'aimer... Et je meurs. Ici on entend le bruit éloigné des tambours. Bruit sourd et confus. Des cris de joie semblent percer confusément à travers ce tumulte. C'est peut-être l'appareil de quelque assaut, où le sang va couler encore... Ô dieu, épargne mon père ! C'est sa voix, c'est mon père, c'est lui... Ah, mon père ! Ces moments cessent d'être fortunés par l'absence d'Hilaire... Je vous l'avoue comme je le sens. Cher Hilaire !... Du moment que je vous ai revu, mon père, mon âme est en prières et loue le maître suprême des événements. Ce qu'Hilaire vient de nous exposer m'a vivement touchée, et chaque mot qu'il a prononcé élevait un hymne au fond de mon coeur. Ô mon dieu ! Oui, j'aurai toujours confiance en votre miséricorde... Je retrouve en un moment tout ce que j'avais perdu... **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_GUINCESTRE *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_guincestre Salut au bon fidèle Hilaire, vrai catholique, zélé pour la religion, charitable ennemi des huguenots, et que le ciel, conséquemment, ne laissera point ici-bas, sans ouvrir sur lui les trésors infinis de ses miséricordes. Il vaut mieux cent fois mourir en martyr, que de vivre en hommes tièdes. Ce siège sera une chose mémorable dans les fastes de l'église. Louange éternelle à tous les fidèles qui ont eu la foi et la constance ! Ils seront tous comptés parmi les saints du martyrologe, ces héroïques défenseurs de la catholicité ! Allez, l'ange exterminateur descendra du haut du ciel avec son glaive enflammé, plutôt que de laisser vivre Henri sur le trône de France... Je vous l'assure, au nom de Dieu même. Oui, ayez toujours confiance en nous, et ne murmurez point mal-à-propos. Sans votre grande jeunesse... Mais nous vous pardonnons... Vous pouvez même aller tous de ce pas avec lui, en prenant la précaution de le suivre de loin, afin de ne point faire de jaloux. Chacun de vous obtiendra sa portion ; vous en rapporterez même au logis ; et comme la nature humaine est fragile, vous vous trouverez ainsi en état d'attendre le grand jour qui ne tardera pas à luire. Le zèle s'est étrangement refroidi depuis le jour de la Saint-Barthelemy. C'était là le bon temps. Aujourd'hui l'on rencontre des raisonneurs ; mais en allant ainsi de maisons en maisons ranimer le courage des patients, nous renverserons infailliblement les projets de Henri. La ville, vous le voyez, se soutient, et bien contre son attente. Il se verra forcé de lever le siège, et nous serons délivrés à jamais de lui et de sa race. Non, par ma foi. De son côté, il sait faire aussi des miracles ; mais c'est avec l'épée... Il est vrai que, pour être aux portes de la capitale, il n'est pas encore dedans. Notre parti est bien plus fort qu'il ne pense. Nous lui avons associé toute la populace. Fière de cet honneur, elle y répond en mourant de bonne grâce. Le feu du fanatisme, échappé de l'encensoir, brûle mieux que jamais. C'est un vrai plaisir que d'attiser ses flammes, que d'être témoin de leurs rapides progrès : tant que les esprits seront enflammés à ce point, nous n'aurons rien à craindre. Que revient-il à Henri d'être victorieux, lorsque l'opinion publique est soulevée contre lui ? C'est un homme qui s'épuise par ses efforts même, et qui finira par tomber sur ses trophées. Il faut renouveler l'accusation qui nous a servi à anéantir ses qualités héroïques. C'est là qu'il faut le peindre comme un homme qui détruirait la dernière messe dans Paris, s'il montait une fois sur le trône. Voilà le coup que nous redoutions. Il a été fort habile ; mais nous avons de quoi parer à ce tour d'adresse. En présentant cette conversion comme fausse et dissimulée, en la dénonçant comme une nouvelle hypocrisie, un mensonge public fait au ciel et à la terre, un piège politique pour établir plus sûrement le protestantisme en France, nous l'arrêterons sur les degrés du trône... Tu sais que l'on est toujours éloquent pour la multitude, lorsque l'on crie hautement au nom de dieu et de la religion ; le peuple s'émeut alors comme par enchantement ; il ne faut pas d'autre argument que celui-ci : le pape ne reçoit point cette abjuration. Alors le glaive que Henri tient dans les combats, se brisera contre le glaive de la parole que nous armons du haut des chaires. Les esprits seront terrassés. Dociles à nos impressions, ils n'agiront plus que conformément à nos volontés. Après tout ce qui s'est fait, on peut tout se promettre. Nous dicterons à l'impétueux boucher le texte de quelques sermons. Avec une octave, il fera perdre à Henri le fruit de deux batailles. Il a embrasé les cerveaux à Saint-Méry ; et en sortant de-là, le peuple va quelquefois plus loin qu'on n'aurait su le prévoir... Tout autres que nous seraient épouvantés de tels succès. Mon cher Aubry, sans l'espoir d'une fortune élevée et qui nous fasse dominer le vulgaire, qu'aurions-nous besoin de nous intéresser à ce grand changement ? Et que nous importerait au fond, que tel ou tel homme vînt à remplir le trône ? Tous les chefs de la ligue marchent à des intérêts particuliers, et les noms de patrie et de religion ne sont plus que pour les esprits crédules du peuple. C'est un beau morceau à vendre ou à démembrer, que la couronne de France. Qu'en pensez-vous ? Mettre le trône en quatre, frustrer Henri de son royaume, se partager ses belles provinces, s'enrichir de ses dépouilles, et les distribuer en différents lots ; les circonstances ne sont-elles pas favorables ? Ceux qui veulent en profiter, le sentent bien ; et sans l'imprudente division survenue entre-eux, le partage serait consommé il y a longtemps. Ils n'ont été politiques qu'à demi... Mais tout n'est pas désespéré, s'ils persistent. Quand on a bien préparé la machine qui doit monter les cerveaux, ils sont disposés à l'enthousiasme, et l'on doit calculer alors l'extraordinaire et le merveilleux, comme les choses naturelles et possibles. D'ailleurs, ce peuple éternellement étranger à ses vrais intérêts, semble né pour être asservi ; tant il s'y prête avec facilité. C'est un immense troupeau, que chacun se dispute pour le tondre à son gré ; il s'abandonne bénignement aux ciseaux ; sa toison le surcharge, et qui l'en débarrasse est toujours bien venu... C'est là ce qui l'enchaîne au sol qu'il broute innocemment. Ayons soin de l'entretenir dans son imbécillité native. Étouffons l'aurore d'une raison qui voudrait percer par intervalles. Qu'il ne pense jamais que d'après nous. En fondant notre autorité sur son imagination ardente et faible, craintive et crédule, notre pouvoir régira ses esprits, et notre autorité s'élèvera sans peine au-dessus du pouvoir des rois... Ta crainte est justement fondée. Il est une invention récente, que j'ai toujours jugée très dangereuse, et dont les conséquences n'ont pas encore été aperçues par nos sublimes sages. L'imprimerie... Y êtes-vous ? Je l'ai prédit... Cette découverte nous portera malheur. Elle a commencé par nous être utile ; elle finira par nous faire sauter. Tous ces imprimés, forgés par des plumes vénales que nous lâchons contre Henri et sa secte, pourront un jour être anéantis par d'autres à sa louange, et qui n'étant pas payés, seront bien meilleurs. Il n'y a plus d'actions secrètes devant cette langue rapide, universelle, indestructible... Songez à la satyre Ménippée ; si cela était lu, si cela était entendu généralement... J'ai toujours conseillé de mettre les plus dures entraves aux progrès de l'imprimerie, de renoncer même aux avantages passagers qu'elle pouvait procurer, afin de détourner l'attention de ses prodigieux effets ; car on pourrait, en donnant une certaine direction aux esprits, les mener au point diamétralement opposé où nous voulons les conduire. Si cette force immense est une fois tournée contre nous, il ne sera plus en notre pouvoir de l'arrêter ; elle dispersera nos opinions, comme un vent impétueux dissipe un monceau de paille légère. Tant que j'en verrai une dans l'Europe, je frémirai dans la crainte que la raison humaine ne rallume subitement son flambeau. N'augmentons point cependant nos alarmes. Ce n'est, pour le moment actuel, qu'un danger imaginaire. L'état où la France est réduite, ne laisse rien à craindre de sitôt. Elle est trop malade pour vouloir faire l'esprit fort. Le petit peuple surtout ne s'en relèvera de longtemps. Il est tellement imprégné d'une salutaire et profonde ignorance, que, dans mille ans d'ici, la chaîne des préjugés dont il est garrotté ne sera point encore usée, et qu'il la traînera à demi-rompue, en baisant ses débris, et en regrettant qu'elle ne soit pas entière. Consolons les uns par l'espoir de la couronne du martyre ; effrayons les autres avec les mots d'anathème et de Rome. Aux moins aveugles, promettons des places qui flattent leur ambition ; et quant à cette tourbe insensible, sur laquelle il y a peu de prise, faisons-lui sentir le fouet de la terreur, en la précipitant indifféremment dans les cachots ou dans la mort. Et toi, ton masque est excellent ! Selon ceux à qui tu parles, on voit ton visage absolument changer. Tantôt ta voix est menaçante, ton oeil enflammé, ton geste roide et dur ; tantôt ton regard est doux, ta parole humble, caressante, ton front charitablement baissé ; et lorsque dans ces temps-ci tu contrefais l'air famélique, exténué, mourant, on dirait que tu vas rendre l'âme, surtout lorsque tu prends la quinte de ta petite toux sèche... Admirable ! En vérité, admirable !... Tu ne te vois pas toi-même... Je te le répète, tu ne sais pas à quel point tu excelles... Il n'y a rien de plus plaisant que de te voir, après t'être bien rassasié avec nos provisions cachées ; de te voir, dis-je, prendre tout de suite, en sortant, un visage si allongé, que l'on dirait que tu vas tomber au bout de la rue. Comment fais-tu pour figurer si bien tes jambes chancelantes, pour être à la fois si pâle et si bien portant ? Elle nous aurait entendus ? Bonne femme... Prenez garde à ce que vous dites... Bonne femme, si l'on n'avait pitié de votre âge... Retirons-nous... Laissons cette vieille femme à elle-même. Que peut-elle avec sa voix cassée, expirante ?... Dans une heure, elle ne sera plus. Si toutefois elle ne mourait pas dans le jour... Je m'entends. Viens, Aubry, viens... Sortons. Tu les as fait arrêter ? Il était à craindre que l'on ne vînt à ébruiter nos discours. Il ne faut qu'une voix pour en ameuter cent, puis mille, puis tout un peuple ; et celui que nous dominons est si inconstant !... Et cette vieille est morte ? Bon, tout est en règle. Présentement je suis à vous, messieurs. J'ai couru partout pour intimider ceux qui sont enclins à parler de capitulation. Quand quelqu'un criait, la paix, la paix, et qu'il ne valait pas la peine d'être arrêté, trente voix, jointes à la mienne, absorbaient ce faible murmure, en criant bien plus haut : mort, mort aux lâches chrétiens qui parlent de se rendre ! J'ai répandu que les flambeaux n'attendaient que le signal pour consumer les maisons, si les parisiens se montraient sans foi et découragés ; et tout en même temps je leur donnais la ferme espérance de repousser les assaillants. Enfin, maîtrisant à mon gré les imaginations craintives, j'ai gravé dans les âmes les impressions les plus utiles à nos projets. J'ai parlé avec ce ton qui soumet les plus incrédules ; je leur ai montré des convois nombreux et imaginaires, qui sont à la veille, disais-je, de rafraîchir la ville. Ils sont souffrants, par conséquent disposés à croire : les acclamations de joie sortaient, je ne sais comment, de leurs poitrines épuisées. Ce sera là notre dernière ressource ; mais il ne faut pas l'employer encore. Ne détruisons pas aujourd'hui imprudemment ce qui pourrait nous appartenir demain. J'ai conçu de nouveaux soupçons qu'il faut que je vous confie. J'appréhende des intrigues de la part de plusieurs de nos chefs. Malgré la confiance que nous sommes obligés de témoigner au gouverneur, j'ai lieu de me méfier de lui. On trame, on négocie secrètement. Si Brissac allait faire sa paix à nos dépens, s'il allait vendre les clefs... Il faut que toutes ses démarches soient éclairées. À demain, vénérable... Toi, viens, mon cher Aubry : nos travaux, à nous, se prolongent quand les autres reposent. Nous n'avons pas encore tout achevé. Allons nous rendre à notre poste ordinaire. Dans quelques jours, nous serons amplement dédommagés de nos fatigues journalières. Nous sommes perdus ; la ville est livrée ; les portes sont ouvertes à Henri. Ces tambours que vous entendez, ce sont ses troupes... Brissac nous a trahis... J'entends la hache qui enfonce les portes... Détestable Navarrais, je voue à toi et à ta race une haine éternelle ! **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_VARADE *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_varade Mais, quoi ! Vous semblez tous bien émus. Pourquoi vos visages sont-ils altérés à ce point ?... Qu'avez-vous donc ? Ô mes enfants ! Quelle gloire pour l'église, de triompher d'un hérétique comme Henri ! Nous aurons bientôt un roi catholique ; et savez-vous que notre salut éternel dépendait de notre résistance ? Tout le royaume était excommunié, s'il eût souffert à sa tête le Navarrais ; mais le Saint-Père porte la France dans son sein, et du milieu de Rome il a veillé à la sauver du plus épouvantable, du plus affreux désastre, du danger d'être protestante... Qu'il sera beau, dans quelques jours, d'avoir résisté à l'ennemi de nos autels, et d'avoir sauvé la foi des vrais croyants ! L'armée qui vient délivrer la ville, marche à grands pas ; on l'aperçoit déjà, quoique dans le lointain, du haut des tours. On voit briller des lances... C'en est fait, le bled, la farine, les tonneaux de vin, les vivres de toute espèce vont entrer à grands flots par les portes, avec la foule victorieuse des soldats. Vous serez bien récompensés de votre constance ; car le pain et la viande seront pour rien. Alors on ne verra de tous côtés que fêtes, plaisirs, divertissements, où l'on se réjouira (en honnêtes chrétiens s'entend). Après demain, toute la ville sera illuminée, et l'on chantera, en actions de grâces, un beau Te Deum dans l'église cathédrale... Sur ma parole, je vous y ferai bien placer... Le soir, double rang de lampions sur vos fenêtres. Écoutez, jeune homme : il vous faudrait plus de résignation à la volonté céleste ; mais puisque le besoin vous domine, et que Dieu, à ce que je vois, ne vous a pas accordé le courage dont il gratifie ses élus chéris, nous aiderons à votre faiblesse... Suivez-moi en secret, à condition toutefois que vous maudirez de tout votre coeur le Navarrais, que vous le haïrez, comme vous le devez. Je vais vous faire donner d'une certaine nourriture de mon invention, laquelle, une fois prise, soutient son homme pour trois jours au moins... C'est de mon invention, vous dis-je... Bon ! Six mois !... L'élection qui va se faire, déterminera l'armée qui nous délivrera du Béarnais. Les troupes de Philippe II ne retourneront pas à Madrid sans coup férir. Ses intrigues ont amené à lui les secrets des princes ; et du fond de son cabinet, il suit de l'oeil tous les mouvements de l'Europe. Sa puissance est un colosse qui peut reposer sur plus d'un trône à la fois ; ses drapeaux flottants, et surtout ses trésors, achèveront le reste. Cette vieille loi salique, loi puérile et ridicule, sera annulée de plein droit. L'infante Isabelle, fille d'un roi catholique, succédera à la couronne, et donnera sa main à un prince du sang. Vous voyez que déjà les troupes de Philippe sont maîtresses de la capitale ; et l'on ne saurait leur porter trop de vénération ; car elles protègent l'église en conservant le catholicisme sur le trône. Il a été très-bien conseillé... C'est une ruse, pour un soldat, à laquelle nous ne nous attendions pas ; mais, malgré cette démarche, il n'en est pas encore au point qu'il s'imagine : il faut que le souverain pontife prononce l'absolution, afin qu'elle soit valide aux yeux de l'église, et Clément VIII ne se conduit pas aisément. Quand il ne ferait que temporiser, selon la politique italienne la plus commune, il le mènerait encore loin... Savez-vous d'ailleurs, messieurs, quelles sont les formules prescrites ? C'est ici vraiment que nous l'attendons... J'en ris d'avance. Eh bien, messieurs, sachez que, pour que Henri De Bourbon soit absous, il faut que ses représentants se mettent préalablement à genoux, à la vue de tout le monde, devant le pape ; qu'ils soient frappés sur les épaules de sa baguette, comme pénitents publics, tandis que le choeur récitera le miserere, dont le chant précède ordinairement le supplice des criminels ; et pour parvenir à cet avantage-là seulement, il y aura des conditions si amples, si dures, si extrêmes, dont j'ai déjà pris soin d'envoyer le modèle, que toutes ces obligations personnelles révolteront un caractère aussi vif que le sien... Il n'y tiendra pas, et je vous le garantis encore non absous dans trente ans. Mais le tout serait de l'arrêter ; et il n'est pas aisé à prendre. Ces mêmes circonstances exigent que l'on attende encore. Messieurs ! Les prisons nous servent de forteresses, en attendant que les palais nous servent de récompense. Messieurs, ne vous forgez point de chimériques terreurs. Il faut savoir envisager les divers événements d'une guerre civile d'un oeil ferme, sans crainte et sans audace. Les seize, sous main, ont tenu une assemblée, il est vrai, mais sous les auspices même de Brissac ; et cette circonstance décisive doit calmer vos alarmes. Brissac n'en est pas moins gardé à vue ; car il pourrait faire ses arrangements particuliers, par faiblesse ou par ambition. On a mis Halfrenas et Turiaf à sa suite ; ils ont avec eux des gens déterminés : ils sont tous déguisés ; leurs poignards l'environnent, sans qu'il s'en doute... Au moindre soupçon, c'est fait de lui. S'il vous faut un oeil vigilant et toujours ouvert, reposez-vous sur moi, j'ose le dire... Mais qui nous vient encore ? Eh bien, mes amis ! Où en sommes-nous ? J'en étais déjà instruit... Nous nous y rendrons. Allons, mes amis, à demain à dix heures. Indignes et lâches espions !... Remettez à de pareilles gens le sort des états ! Que n'ai-je pu tout voir, tout examiner, tout suivre de mes propres yeux ! Eh, oui, d'après vos malheureuses instructions... Je me déteste, je me méprise moi-même de vous avoir écoutés. Brissac s'est vendu au Navarrais. Henri entre victorieux... Quelle honte pour notre parti ! Et comment n'avons-nous pas su prévoir que Brissac céderait à la soif de l'or et de la faveur ? Espoir inutile ! Nous sommes environnés et sans défenses. Le peuple ignore même ce qui s'est passé ; il s'éveille à peine... Brissac attendait les troupes qu'il avait fait cacher... Les portes s'ouvrent à son ordre, les barrières tombent, et les soldats royalistes sont entrés en silence ; ils se sont emparés sans bruit des places et carrefours. La bravoure anime un seul corps-de-garde espagnol, qui veut s'opposer au passage. Ce corps fidèle est enveloppé et massacré... Henri s'avance au milieu d'un gros corps de noblesse. Mais, ce qui m'indigne le plus, c'est que cette marche ressemble moins à une entrée militaire qu'à un triomphe pacifique ; on le dirait affermi sur le trône depuis longtemps. Le croirez-vous ? Après une si longue résistance, et marquée par tant d'actes de courage, pas un seul catholique, vengeur de la religion et de l'état, n'a tendu une chaîne, n'a élevé une barricade ; pas une seule main furieuse ou désespérée n'a su lancer de dessus un toit une pierre, une poutre, une tuile. Il ne fallait qu'un coup tiré par un brave et digne citoyen, pour mettre tout en mouvement et sauver la ville et la France... Quel peuple ! Il n'aura jamais une base stable... Ce n'est point là une ressource... Est-ce un sang vil qu'il faut s'amuser à répandre ? Le poignard. Venez. **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_AUBRY *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_aubry Vous étiez tous deux prêts à sortir ; c'était sans doute pour aller dans les temples, invoquer la foudre sur la tête du relaps hérétique... Allez, mes amis, le tonnerre ne tardera pas à tomber sur lui. Quant à ceux qui meurent, mes bons amis, il ne faut pas les pleurer : félicitez-les plutôt de leur heureuse fin. Leurs âmes s'envolent droit au ciel, puisqu'ils expirent dans les bienheureux sentiments de la bonne cause... Vous pouvez sortir ; mais n'affichez point de regrets sur tout ce qui s'est passé : tous ces événements étaient arrêtés dans les décrets de la providence, et doivent tourner au profit de la religion. Plût à Dieu qu'il se fût noyé alors ! Mais si la foudre ne l'écrase, il sera errant dans le monde, le front marqué du sceau de la réprobation... Encore un peu de courage, et nous touchons à la fin de tout ceci. On a un peu souffert, d'accord ; cinquante ou soixante mille hommes sont morts de faim : mais présentement ils tiennent au ciel pour récompense, la palme glorieuse du martyre, et je regarde comme les plus infortunés ceux qui restent sur terre ; car ils n'ont pas, comme eux, l'assurance de la béatitude éternelle. Mais nous souffrons comme vous, madame, et plus encore, j'ose le dire ; car, exténués de fatigues et de courses, nous allons porter en tous lieux des consolations à nos fr7res. Il n'y a que le z7le pour la religion, qui nous prête des forces miraculeuses, et qui nous fasse oublier nos propres besoins. Nous montrons la sérénité de l'âme dans les moments les plus pénibles : et pourquoi ? Parce que nous regardons toujours le ciel, et non la terre. Vous voyez que les paroles des mourants sont éclairées du jour nouveau dans lequel ils vont entrer. La religion a soulevé à ses yeux le voile de l'avenir ; elle a vu le triomphe prochain de l'église ; les frémissements de l'enfer ne prévaudront point contre sa base inébranlable. Allez... Conduisez-les, discret Varade ; nous vous attendrons où vous savez. Le scientifique Guincestre va rester avec moi. Nous avons quelques dispositions à prendre pour la fête solennelle qui se célébrera. Je veux qu'on s'en souvienne longtemps, et que les yeux de tous les fidèles soient éblouis de sa pompe et de sa magnificence. Savez-vous qu'on a assez de peine à leur persuader de se laisser mourir de faim ? Oui ; l'on faisait alors du peuple tout ce qu'on voulait. Ce diable d'homme-là a de la vigueur au moins. Sa tête ressemble à son bras. Comme il a riposté à Sixte-Quint ! Comme il s'est battu à Arques ! Comme il a négocié à Rome ! Habile dans ses marches, après avoir commandé en capitaine, il se bat en soldat. Nous pouvons bien le rendre odieux, mais non méprisable. Ce n'est point là un Henri III. Entre nous, nous serions-nous jamais imaginé, au commencement de cette guerre, qu'il en serait venu tout seul au point où il en est ? Mais il vise à se faire aimer, parce qu'il sent bien que la force d'un monarque est nulle tant qu'elle n'est pas dans le coeur de son peuple. Comment lui enlever ce pouvoir qu'il se ménage ? Car enfin de jour en jour (ne nous le dissimulons pas,) il devient cher à plusieurs. Nous avons les insinuations des confessionnaux... Bien dit... Mais avouez que c'est un bon peuple, un peuple bénin, que celui qui ne craint rien tant au monde que de n'avoir plus de messes. Préférer la famine à cette privation, et repousser des victoires avec un tel prétexte, est un prodige non moins étonnant... Ce qui doit nous inquiéter le plus, c'est cette prétendue abjuration de Saint-Denis. Mais il faut persuader cela, et tout le monde n'a pas la même chaleur pour nous croire. Comme nous nous réjouirons, quand une fois la sainte ligue aura chassé les Bourbons ! Rome nous devra beaucoup, et s'acquittera magnifiquement selon le profit que nous lui aurons fait faire... Aldobrandin n'est pas si rusé que Sixte-Quint, et consentira de bonne grâce à partager. Landriano m'a promis pour ma part une place éminente... Une aussi belle opération ne s'offre pas toujours. C'était la seule chose qui pût leur nuire. Ils auraient dû se hâter. Pour moi, je ne reviens point de ce peuple, qui, dans la disette, chante des psaumes de toutes ses forces ; qui, périssant d'inanition, vole entendre des sermons, ranime une voix éteinte pour crier à l'hérétique ; qui, dans l'intérieur de ses maisons, se dispute avec emportement, l'un pour le légat, l'autre pour Guise ; celui-ci pour Mayenne... Il y va de bien bonne foi : et comment est-il dupe à ce point ?... Il est vrai qu'il ne connaît guère que la mutinerie, et qu'il a un goût décidé pour la superstition... Toute ma crainte est, qu'enfin ce peuple n'ouvre les yeux ; il ne faudrait qu'une lueur rapide et fatale, pour lui faire apercevoir ce tas de mensonges que nous avons fabriqués... S'il allait raisonner, que deviendrions-nous ? Quel est cet objet nouveau, destructeur de notre antique et formidable pouvoir ? Je cherche et n'aperçois pas... Il est vrai. La frayeur me saisit... Heureusement que sur mille, il n'y en a qu'un tout au plus qui sache lire : mais n'importe ; dès ce moment, je vais publier que la lecture conduit nécessairement à l'hérésie, à l'incrédulité, à la révolte, à tous les crimes... Si jamais, comme je l'espère, je monte à certaine place, je ne serai content que lorsque j'aurai aboli la dernière presse... On ne songe point assez à ce que vous venez de dire, et il faudrait à nos chefs la supériorité de votre coup d'oeil. Gardons toujours la même marche. Tant que nous saurons étudier et conduire les caractères selon les rangs, et déguiser les vrais motifs qui nous font agir, nous retarderons la funeste époque. Tu n'excelles pas mal dans ton rôle, toi, et tu possèdes au suprême degré l'art de te contrefaire. Comme cela, n'est-il pas vrai ? Parler au peuple, est une sorte d'éloquence que les plus grands clercs de ce monde ne connaissent pas toujours, et à laquelle ils sont bien inhabiles, quand les circonstances les y forcent. Ils n'ont pas la langue qu'il faut alors ; car cette langue-là ne s'apprend point dans le cabinet. Paix, paix, paix ! Une femme est là qui nous écoute. Mais il y a toute apparence. Vous oubliez qu'on pourrait vous punir sur la place... Si je m'en croyais... Puisse-t-elle à l'instant même expirer !... Entrez, entrez, vengeurs des catholiques et de nos saints autels... Nous avons entendu soutenir dans cette coupable maison, qu'un hérétique relaps, impénitent, chef, fauteur, défenseur public des hérétiques, soi-disant roi de France et de Navarre, condamné et excommunié par le pape, pouvait avoir quelque droit à la couronne ; et comme une telle proposition est visiblement absurde, schismatique, erronée, blasphématoire, sacrilège, remplie d'impiété, et dictée par un esprit de révolte contre l'église, et de sédition contre les vrais citoyens, nous venons à l'effet que, défendant les privilèges des catholiques, vous fassiez justice selon votre charge, qui est de traîner en prison ces malheureux hérétiques, comme châtiment préliminaire du supplice qui leur est destiné. Les satellites environnent Hilaire et sa famille, et les chargent de chaînes. Dieu l'emporte. Sa cause... La vieille est morte ; mais elle a parlé. Que le corps de cette femme, décédée dans des sentiments hérétiques, soit privé de la sépulture des fidèles. Elle est réprouvée également et de l'église et de Dieu, et livrée à cette heure à la damnation éternelle. Que son corps soit traîné à la voirie, en attendant qu'il ressuscite pour rejoindre aux enfers son âme abominable... Délivrez-moi de ces huguenots. Plongez-les dans les plus affreux cachots, et que mes ordres soient exécutés en tout point. À la voirie ; c'est une damnée ; à la voirie. C'est ce que j'ai toujours dit. Ne chantons pas trop victoire. Il a un bras et une santé de fer : aucune fatigue n'abat son courage. Il faut le voir dans les batailles. Il est partout. Son activité le multiplie. C'est une tête forte, une tête, entre nous, comme il en aurait fallu une à notre parti. Depuis la mort de Guise, nous n'avons guère eu que des lâches ou des insensés... Il faudra, pour l'abattre, se porter à des résolutions, j'ose le dire, extrêmes. J'ai furieusement déclamé contre lui toute la journée ; j'en ai gagné une altération... Bien dit... Mon avis à moi, est qu'il faudrait imaginer un moyen plus court et plus sûr ; un moyen autorisé surtout par quelque exemple puisé dans les saintes écritures : il n'en manque point, comme vous savez... Mais, je le répète en gémissant, on ne sait point prendre un parti décisif. On est trop circonspect dans de pareilles circonstances. Vous le voulez, soit. Avouez que c'est un grand plaisir d'avoir de quoi manger, lorsqu'on entend dehors crier famine. Bonne prédiction ! Mais faisons qu'elle se réalise... Je t'ai dit que j'en faisais mon affaire. Nos satellites ont investi la maison, et y sont entrés sans autres formalités. Il s'est répandu en déclamations vagues que je n'ai point écoutées... Je les ai fait jeter dans un cachot, où je doute qu'ils respirent encore. Oh ! Très morte... Et de plus à la voirie. Je suis de cet avis. Pour punir l'irrésolution de Mayenne, il n'y aura qu'à lâcher cette populace obéissante et féroce, et l'armer de flambeaux. Prompte à s'émouvoir, elle se répandra comme un torrent ; elle ne connaît plus de frein, dès qu'elle est une fois livrée à sa fougue... Le Navarrais, en entrant dans la ville, n'y trouvera plus que des ruines et des cendres. Vos craintes sont fondées. Je n'aime point Brissac, et ne lui ai point vu donner le gouvernement de cette ville avec plaisir. Depuis peu surtout, il a changé différents postes, et cela doit inquiéter... Je ne sais trop ce qu'on en doit penser. Voilà ce qui s'appelle prévoir avec génie. C'est Turiaf lui-même et Halfrenas. Mais dans quelle bonne rencontre vous êtes-vous donc trouvés, que vous ne voulez rien prendre ? Ah, je ne m'étonne plus ! Il est pour le moins aussi bien fourni que nous. Que je reprenne haleine ; j'ai peine à retrouver mes sens... Des troupes que je ne connais point, à la faveur des ténèbres, se répandent dans tous les quartiers, et s'emparent, les drapeaux au vent, des places et des carrefours. Et non, non, vous dis-je... J'ai des yeux... Ce ne sont pas là les soldats de la ligue. Rougissez de l'avoir été... Si nous égorgions nos prisonniers ? Eh ! Que lui fait notre haine ? Que nous reste-t-il contre lui ? **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_MONTMORENCY *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_montmorency Sire ? Sire, les assiégés, rebelles à vos bienfaits, ont fait rejeter le pain par-dessus les remparts. Sire, pourvu qu'ils ne s'arment point contre vous de vos propres bienfaits... **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_SULLY *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sully Sire, le moyen de rendre vains tous les foudres du Vatican, c'est de vaincre : alors vous obtiendrez aisément votre absolution. Mais si vous n'êtes pas victorieux, vous demeurerez toujours excommunié. Vous avez bien fait, sire ; on n'apaise pas autrement des théologiens. Allez, l'action la plus agréable à Dieu sera toujours d'épargner le sang des hommes, et de mettre fin aux maux qu'ils endurent, soit par aveuglement, soit par opiniâtreté. Si cela eût pu se faire sans hasarder votre couronne, sans plonger la France dans une guerre interminable, il eût été bien avantageux à l'état de recevoir de vous le principe de sa félicité et de sa grandeur, et d'anéantir le germe des fatales discordes que Rome nous envoie ; mais il s'agit évidemment de soumettre d'abord la capitale, afin de pousser les ennemis du centre du royaume vers la frontière. Elle était nécessaire... Il faut entrer dans Paris. Je l'ai dû. Ils haïssaient votre religion, et non votre personne ; il fallait que vous fussiez catholique. Il m'était permis, à moi, de demeurer fidèle à la loi de mes pères. Les esprits ne sont pas préparés encore pour un heureux changement... Point de remords, sire ! Les rois doivent dominer les religions, et ne s'attacher qu'à celle qui, composée d'éléments purs, découle du sein de la divinité, dont ils sont ici-bas les images, quand ils sont éclairés, fermes et bienfaisants. Ils doivent être au-dessus de ces pratiques superstitieuses qui avilissent la raison, abâtardissent les peuples, leur ôtent leur énergie et leurs vertus. C'est à eux de préparer de loin à leurs sujets un culte raisonnable, digne de l'homme, et de faire tomber, soit par les mépris, soit par une sagesse attentive, ces querelles misérables qui ont tant de fois ensanglanté la terre ; c'est ainsi que, législateurs sublimes et prévoyants, ils deviennent les bienfaiteurs du genre humain. Vous en ferez beaucoup, en paraissant céder au torrent contre lequel il n'y avait point de digues. Il faut aller d'abord au plus pressé, et terrasser le fanatisme qui, sous vos yeux, égorge vos sujets. Donnez-lui le signal qu'il demande pour apaiser ses fureurs. Touchez les autels où il doit tomber vaincu et désarmé, ôtez-lui son poignard et ses flambeaux... Une messe entendue doit enchaîner le monstre et prévenir l'effusion du sang. Entendez la messe, et regardez ce peuple, tantôt insensé, tantôt furieux, comme un peuple d'enfants qu'il faut conduire par les illusions qui lui sont chères. Prince ! Si je sais lire dans l'avenir, et voir la marche de l'esprit humain, il faut que l'idole de Rome tombe par degrés. Les abus et les lumières conduiront un jour la France au protestantisme ; et le protestantisme lui-même ayant épuré son culte, montrera enfin à l'univers les vrais adorateurs de Dieu en esprit et en vérité. Alors dégagée d'un mélange ridicule et honteux, la religion sortira éclatante et pure, le front élevé vers les cieux. Elle enchaînera sans effort les esprits droits et les coeurs vertueux qui chériront ses attraits chastes et nobles, eux qui se refusaient aux idées avilissantes et injurieuses, sous lesquelles on osait représenter le créateur de l'univers et le père auguste des hommes. Un de vos descendants, sire, une de ces âmes fortes et généreuses que la providence tient en réserve, chez qui l'amour du bien devient passion, qui conçoivent, veulent et exécutent les grandes entreprises, brisera le joug de ces tyrans religieux qui remplissent les esprits de chimères mystiques, et dont l'opulence oisive mine les forces de l'état : et la France alors, délivrée du principe secret de sa destruction, reprendra son lustre et son éclat. Le temps et la raison réaliseront les mouvements généreux de votre coeur... Vos enfants, vous dis-je, se souvenant de vous, rendront à l'homme la liberté que l'atrocité des siècles barbares lui ont ravie ; et la puissance imaginaire de Rome, réduite à sa juste valeur, n'excitera plus que la risée des sages. Vous auriez été coupable, lorsque le vaisseau de l'état était battu d'une si furieuse tempête, de n'avoir point porté la main au gouvernail. Il n'appartenait qu'à vous de le sauver. Restaurateur de la France, non, ils ne vous feront pas ce reproche. Ils savent qu'un roi se doit, avant tout, au repos de son pays ; qu'il n'est point hypocrite, pour donner le change au fanatisme... Eh ! Mon cher maître, n'est-ce pas le même dieu que nous adorons, le dieu qui nous commande de chérir les hommes, et de leur faire tout le bien qui est en notre pouvoir ?... C'est le même évangile, c'est-à-dire, la même morale que vous reconnaissez pour la mettre en pratique... Le reste, sire, est une vaine dispute de mots. Un culte aussi raisonnable, aussi simple, aussi pur, choquait trop l'ambition et l'orgueil des prêtres catholiques qui ont surchargé la religion de monstruosités étrangères. Ils ont besoin d'égarer l'esprit de l'homme dans la confusion ténébreuse de leurs dogmes et de leurs mystères. Vous le devez, sire, et par humanité, et par sagesse, et par reconnaissance, et même par politique. Agissez et marchez toujours sous l'oeil de Dieu, c'est assez pour ne plus craindre les hommes. Généreux prince, ayez constamment le courage de faire le bien ; car il est toujours difficile à faire, au milieu de ces hommes avides, de ces courtisans orgueilleux, qui ne voient qu'eux et jamais le peuple... Sire, je vous prouverai mon dévouement absolu, en ne vous déguisant jamais rien de ce qui pourra intéresser votre gloire ou le bonheur de vos peuples. **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_BIRON *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_biron Sire, je ne puis qu'approuver ces sentiments si rares dans un roi ; mais cependant que votre majesté considère que les deux bateaux de farine qu'elle m'ordonne de faire entrer, produiront un effet dangereux pour ses intérêts et pour la ville même. Les assiégés vont croire que ces vivres leur arrivent d'une main amie ; que c'est un bienfait des espagnols ; qu'il leur en arrivera de plus considérables. Les ligueurs en profiteront pour accroître l'opiniâtreté du peuple : et qu'en arrivera-t-il ? Le trépas d'un plus grand nombre. Mais au moins, sire, que la longueur du siège ne vous rebute point. Vous avez rapproché les postes ; vous avez resserré la ville ; vous avez brûlé les moulins. Toute ressource va bientôt leur manquer ; ne perdez pas le fruit de tant de victoires... Vous emporterez la ville. Ils sont donc aux derniers abois dans la ville, puisqu'ils ont renvoyé les bouches inutiles ? Que me dites-vous ! Il ne leur reste donc pas un muid de farine ? Ciel ! Et comment, dans leur désespoir, ces malheureux n'égorgent-ils pas la garnison ? Et les prêtres souffrent de telles horreurs ? Et ces infortunés se croient tels ? Pauvre patrie !... L'humanité sainte a déserté les autels ; où s'est-elle réfugiée ? Sire, je ne suis pas encore revenu de mon étonnement ; mais il faut qu'il soit né quelqu'un. **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_LANGLOIS *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_langlois Sire, je n'en ai point. Je ne suis point un simple courrier, mais un agent de confiance ; mes instructions sont verbales. Votre majesté ne sait pas ce qu'il faut de précautions pour entrer et pour sortir de la ville, et de chez m le gouverneur. De répondre à votre majesté, lorsqu'elle me demanderait la lettre : les Brissac ont toujours été fidèles à leur patrie et à leur roi. Ah, monsieur ! Heureux ceux qui sont dehors ! Il n'y a plus de place dans les cimetières, ni dans les églises, pour enterrer les morts. On peut compter à présent sur quinze cents hommes qui expirent chaque jour. Une mère a mangé son enfant. La garnison les égorge. Les prêtres appellent ceux qui meurent, des martyrs. Ceux qui survivent, parlent de la gloire de les imiter ; on promène le Saint-Sacrement dans les rues, pour fortifier les courages. Voilà le pain qui les nourrit. Si un homme tombe dans la foule en expirant de besoin : encore une âme dans le ciel, s'écrie le prêtre, réjouissez-vous-en avec moi. Venez, mes amis ; touchons tous ses vêtements, et prions-le d'intercéder pour nous. Dans le coeur de Henri. Je ne prendrai ni l'un ni l'autre. J'expose ma vie pour mon roi avec plaisir, même avec joie. Je ne la vendrais pas pour tout l'or du monde. Si vous me renvoyez à Monsieur De Brissac, j'y retourne, mais sans lettre. Oui, je serai arrêté, interrogé, fouillé... Dites-moi ce que vous voulez qu'il sache ; il le saura de vive voix... Songez que, quand j'aurai votre secret, j'en serai plus maître au milieu des tourments, que la famine n'est maîtresse des entrailles qu'elle dévore. Henri sera toujours le héros de la France ; et mon premier devoir est de mourir pour elle et pour lui. À quatre heures du matin ?... Cela suffit, sire, je lui rendrai vos propres paroles. J'échapperai. **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_LOUCHARD *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_louchard J'ai exhorté tout le monde à faire un massacre général des royalistes, et à dire que le paradis serait ouvert à tous les exécuteurs de cette bonne oeuvre ; mais chaque jour il y a du relâchement dans la foi... Il fut un temps où l'on aurait servi avec plus de zèle la sainte union . Qu'en dis-tu, Anroux ? Je ferai plus que des menaces, moi : qu'on me laisse agir. C'est moi, mes amis, qui, aidé d'un brave jésuite, ai renversé de mes mains, il y a deux ans, l'échelle chargée d'hommes prêts à s'élancer sur le rempart du quartier saint-Jacques ; j'ai fait manquer l'escalade. J'ai réveillé le corps-de-garde ; et les tambours, grâce à moi, ont sonné l'alarme... Oui, oui, pitié de vous, misérables huguenots ! Crevez, crevez ; allez à tous les diables. Mais, messieurs, voici l'heure d'aller entendre à Saint-Merry le curé de Saint-Benoît. C'est un bien habile homme que ce prédicateur. Quel foudre d'éloquence ! Comme il tonne contre les royalistes ! Comme il terrasse l'hérésie ! Comme il défend la cause de Dieu ! Il a prouvé au doigt et à l'oeil que la conversion du Béarnais n'était que feintise, hypocrisie, et que son absolution le rendait encore plus damnable qu'auparavant. C'est avec des traits tirés des saintes écritures, qu'il rapproche les temps et les lieux ; et les exemples héroïques qu'il offre à la multitude, sont bien choisis, vous en conviendrez. Ah ! Que n'est-il plusieurs auditeurs comme Barrière, qui sut mettre à profit toutes ces saintes exhortations ! On ne saisit pas si bien aujourd'hui le sens des divines écritures ; elles ordonnent manifestement la mort des impies. Si le succès n'a pas suivi l'acte méritoire de celui qui s'était dévoué pour la cause commune, son âme, mes amis, n'en est pas moins devant Dieu ; et c'est du haut du ciel qu'il nous exhorte aujourd'hui à l'imiter. **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_ANROUX *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_anroux Il est bien vrai ; mais il ne faut pas désespérer... J'ai répandu partout que nous avions des magasins d'armes, des lances à feu, de la poix, et toutes sortes de matières combustibles toutes prêtes, pour embraser et consumer la ville, si l'on ne pouvait autrement en fermer l'entrée au Navarrais... Ces menaces ont fait leur effet. J'aurais plutôt pitié d'un chien... Qu'ils crèvent, ces damnés d'hérétiques... Autant de places nettes pour ceux qui viendront. Il faudrait douze prédicateurs de cette force pour bien toucher les coeurs, car ils sont endurcis ; mais les grands talents sont rares... Allons, je ne veux pas manquer le sermon. Il prêcherait dix heures de suite, que je l'écouterais avec la même attention. Quel style ! Quelle véhémence !... Messieurs, s'il se trouvait dans l'assemblée quelque hérétique qui parût ne point goûter ses discours, ayez soin de le suivre de l'oeil, et qu'au sortir de l'église il soit arrêté et enlevé sur-le-champ... Prenez-y garde... **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_BUSSYLECLERC *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_bussyleclerc Présentement que vous avez repris des forces, retournez tous à vos postes... Espionnez les discours, devinez les regards, et interprétez jusqu'au silence. Au moindre soupçon, amenez ici pêle-mêle et sans distinction, ceux dont la physionomie serait équivoque. Il vaut mieux arrêter dix personnes, que de laisser échapper un hérétique... Allez, il y aura de la place pour tout le monde... Je fais creuser quelques cachots de plus, et ce sera bientôt fait... Parlez avec emphase de nos partisans ; exagérez leur nombre et leur force, et venez me rendre compte de tout. Faites surtout comme si vous étiez exténués par la famine ; et quand vous serez auprès de quelque bon catholique prêt à rendre l'âme d'inanition, prenez garde que votre son de voix ne trahisse le bon repas que vous avez fait. Eh bien ! Messieurs, nos provisions, comme vous voyez, ne manqueront pas de si-tôt. Vos craintes étaient bien frivoles. J'ai mis ordre à tout, et j'ai le plaisir de vous annoncer que nous avons des vivres pour six mois. Pour jouir d'un si grand avantage, on peut bien soumettre la France à une domination étrangère. Eh ! Qu'importe après tout celui qui aura la couronne en tête, pourvu qu'il règne suivant notre volonté ? Nous ne sommes pas trop au fait ; mais plus on inventera de difficultés, plus nous pourrons nous flatter de la victoire... Allons, mes amis, prenons force et courage ; vive la ligue ! Les Bourbons étant hérétiques, ne peuvent occuper le trône. Chassés à jamais eux et leur postérité... Vous souvenez-vous, quand j'ai amené ici tout le parlement comme un troupeau de moutons ? Ces vieilles robes noires, si redoutées, si redoutables, n'ont pas fait la plus légère résistance. Je rirais bien, si un jour j'allais tenir de même le Navarrais ! Je serais homme à l'arrêter tout comme un autre. Il serait sous bonne garde, je vous en réponds. Les députés du conseil des douze lui feraient son procès à huis clos, pour éviter le scandale, comme aux conseillers... Eh, messieurs ! N'a-t-il pas entretenu commerce avec les hérétiques, avec les ennemis de la religion et du royaume ?... Jugez-le vous-mêmes. La loi est formelle... La tête sur l'échafaud. Et toi, qu'as-tu fait, Guincestre, depuis que nous nous sommes quittés ? Mayenne est aussi d'une lenteur... Cet homme-là est inexplicable... Toujours incertain... Il fera bien d'arriver promptement, et avec une bonne armée : autrement nous ferons un coup de désespoir, et alors on verra beau jeu. Sachons ce qui s'est passé de nouveau. En cas d'alerte, nous serions bientôt éveillés et sous les armes. Eh bien, qu'y a-t-il donc ? Vous êtes tout interdit, votre visage est altéré. Serait-il possible ? Mais nous pouvons tenir quelque temps dans cette forteresse, canonner la ville ; et qui sait encore ce qui arrivera ? Puisqu'il faut céder pour le moment, cédons. Venez, suivez-moi tous... Je vous mènerai par les détours d'un souterrain qui nous conduira d'un côté favorable : notre retraite sera dans l'armée de Mayenne ; et de-là, plus furieux, plus intrépides, nous lui susciterons de nouveaux ennemis. **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_MONTALIO *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_montalio Mais, messieurs, aurait-on jamais pu s'imaginer que le Navarrais eût résisté si longtemps à cette foule d'ennemis, à l'or des espagnols, au glaive de Mayenne, aux foudres de Rome, à l'enthousiasme frénétique de tout un peuple ? Rien n'a pu l'intimider. Cet homme-là est d'une intrépidité qui me fait toujours frémir. Nous ne serons jamais tranquilles tant qu'il vivra. Messieurs, ce qui m'intrigue le plus, c'est cette abjuration faite à Saint-Denis. Il s'est servi, cette fois, de nos propres armes. C'est un tour adroit de sa part, qui peut trancher bien des difficultés ; et le chemin de la messe pourrait fort bien devenir la route du trône. Vous pouvez détailler ici sans crainte tous les artifices que Rome compte employer... Enseignez-nous... Tant mieux ! Qu'il soit toujours hérétique, cela est très-important pour nos intérêts. Je suis insatiable aujourd'hui. En courant exhorter les autres à souffrir la disette, on gagne un violent appétit. Et pourquoi pas ? Oh ! Cela irait sans difficulté. **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_TURIAF *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_turiaf Rassurez-vous ; tout est tranquille et dans l'ordre : nos craintes étaient vaines. Brissac, observé de toutes parts, n'a laissé échapper aucun signe de trahison ; mais on ne saurait jamais pécher par excès de vigilance. Nous avons épié ses moindres actions ; nous avons suivi tous les mouvements qu'il s'est donnés et qui nous inquiétaient. Tous sont favorables à la défense de la ville. Il n'y a eu aucune sorte de communication entre lui et l'armée ennemie ; ses dispositions y sont même contraires. Nous vous avions promis de ne pas le quitter de vue qu'il ne fût rentré chez lui ; il est présentement dans son hôtel, et va prendre du repos. Mais quatre espions veilleront à sa porte. Nous allons profiter du moment où il sommeillera, pour fermer un peu l'oeil ; car nous tombons de lassitude... Il n'y a rien à craindre pour cette nuit, nous en sommes garants. Vous pouvez dormir tranquillement. Je vous en réponds... Je lui devais rendre un compte exact de notre marche. Il m'a fort applaudi. Nous nous sommes entretenus de nouveaux projets, au conseil desquels vous êtes invités pour demain à dix heures. Mais ce ne peut être que l'armée que l'on attendait... Remettez-vous... Ô fureur ! Malheureux que je suis !... Mon poignard était si près de son coeur ; pourquoi ai-je différé de frapper ! **** *creator_mercier *book_mercier_destructiondelaligue *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_destructiondelaligue *dist2_mercier_prose_drame *id_LEPEUPLE *date_1782 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lepeuple Sire, ayez pitié de nous, ayez pitié de nous, sire !... On nous tue dans la ville, et l'on ne nous laisse pas sortir. Nous n'espérons plus qu'en vous, nous n'espérons plus qu'en vous ! Vive Henri ! Victoire au grand roi ! Vive Henri ! Victoire au grand roi ! Vive le grand Henri ! Vive le grand Henri !